Granvelle : à Besançon

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Granvelle : à Besançon
Publié dans A Bridge between cultures.
Studies on Ottoman and Republican
Turkey in Memory of Ali øhsan Ba÷ú, ed.
Sinan Küneralp, The Isis Press: Istanbul,
2006
Enquêtes sur les nouveaux chrétiens d’Anvers et leurs
relations avec la Turquie (1530-1548)
A la mémoire du regretté Ali-Ihsan
Ba÷ú, connaissant son intérêt pour
les questions des minorités
religieuses.
1. Charles Quint et les juifs
L’’attitude de l’’empereur Charles-Quint à l’’égard des communautés juives de ses
domaines a été pour le moins fluctuante : qu’’attendre d’’un empereur héritant de
domaines si composites, aux traditions si diversifiées, et soumis aux pressions
contradictoires de ses conseillers ecclésiastiques, des juristes de formation érasmienne et
des financiers qui en fin de compte étaient les principaux pourvoyeurs de fonds de ses
entreprises militaires ? Il ne faisait pourtant pas de distinction entre anciens et nouveaux
chrétiens à son service, comme on le voit dans le choix de Veltwyck comme
ambassadeur1.
La politique des rois catholiques d’’expulsion des juifs de leurs territoires avait
conduit à une émigration vers le Portugal. Puis après que le roi Manuel I (1492-1521), à
la demande de son épouse, ait décidé de leur expulsion du Portugal, même ceux qui se
sont convertis au catholicisme –– les ““nouveaux chrétiens””-, ont cherché, dès 1496, et
encore plus après l’’interdiction totale de l’’exercice du culte mosaïque au Portugal en
1526, puis l’’introduction de l’’Inquisition en 1536, à émiger vers la France, l’’Angleterre,
les Pays-Bas et notamment vers la grande métropole d’’Anvers, où certains grands
marchands ont continué à œœuvrer pour le compte du roi de Portugal2.
1
Dr H. Brugmans & Dr. A. Frank, Geschiedenis der Joden in Nederland, Amsterdam, Van Holkema &
Warendorf, 1940, 173-188 ; dès 1495, diverses familles marranes s’’établissent à Middelburg et Veere
en Zélande.
2
L. Guicciardini, Description de touts les Pais-Bas, 1582, pp. 130, 180, 184, 192. L’’auteur donne une
longue description de la cité d’’Anvers (99) et de la bourse, fondée en 1531; des foires de la Pentecôte,
commençant 15 jours avant la Pentecôte, et de St Rémy ou St Bavon, commençant le ““deuxième
dimanche après notre dame d’’aoust””, qui duraient 6 semaines et servaient de termes pour les
paiements à crédit (129). on trouve à Anvers ““des tapis de Turquie ou imitez tels”” (176). Sur le marché
du poivre à Anvers, voir F. Edler de Roover, « The market for spices in Antwerp. 1538-1544 », Revue
belge de philologie et d’’histoire, vol. 17 (1938) pp. 212-221. Voir aussi R.H. Tawney & E. Power,
eds., « Guicciardini’’s description of the trade of Antwerp », Tudor Economic Documents, 1965, vol.
III, pp. 149-173. Les Anversois ont, dans la suite des Portugais, envoyér trois navires chercher
directement les épices à la source, dont l’’un est revenu à bon port le 21 janvier 1522, chargé d’’épices
(Ernest van Bruyssel, Histoire du Commerce et de la Marine en Belgique, A. Lacroix, Verboeckhoven
et Cie, Bruxelles-Leipzig, 1863, p. 283). J.A. Goiris, Etudes sur les colonies marchandes méridionales
(Portugais, Espagnols, Italiens) à Anvers de 1488 à 1567, contribution à l’’histoire des débuts du
capitalisme moderne, Louvain, 1925 ; P. Grunebaun-Ballin, Joseph Naci –– Duc de Naxos, Mouton,
Le jeune empereur a montré initialement une certaine tolérance à l’’égard des juifs
et des nouveaux chrétiens établis dans ses royaumes : une capitulation du 23 novembre
1520 autorise les juifs établis dans le royaume de Naples à y rester, amenant le nombre
de familles juives y installées de six cents jusqu’’à près de cinq mille3. À Anvers, alors
que le magistrat anversois prend des mesures draconiennes de contrôle à l’’immigration
de nouveaux chrétiens, le 30 mars 1526, Charles Quint leur accorde la permission de
séjourner pendant trente jours aux Pays Bas, d’’y vendre, acheter, échanger et s’’y
déplacer, et d’’obtenir une prolongation de ce permis4.
Le nouveau chrétien portugais Diego Mendès s’’était assuré, pour le compte du roi
du Portugal, en 1512, le monopole de l’’approvisionnement en épices de la place
d’’Anvers, et de là, de tout le marché du Nord-Ouest de l’’Europe, en collaboration avec
des marchands flamands tel Jean Carle ou génois, tel Giovan-Carlo de Affaitati. Son
chiffre d’’affaires a rapidement atteint un montant considérable pour l’’époque - entre
600.000 et 1200.000 ducats par an. Il obtint la protection des chanceliers impériaux
Sauvage et Chièvres moyennant finances5. En 1527, Diego Mendès avait suffisamment
de ressources pour contribuer 30.000 livres à l’’emprunt contracté par Charles Quint chez
le banquier Hochstetter6.
Toutefois la tolérance montrée initialement a été remise en cause autour des
années 1529-1530, à la fois par des conseillers politiques et judiciaires de la reine
gouvernante Marie de Hongrie, poussant à une politique rigidement intolérante, et par les
craintes impériales, après Mohacs et le premier siège de Vienne, que les Juifs constituent
en quelque sorte une deuxième colonne de l’’empire ottoman auquel ils fournissaient
Paris –– La Haye, 1963 ; J. Reznik, Le duc Joseph de Naxos, Thèse pour le Doctorat d’’Université
présentée à la Faculté des lettres de l’’Université de Paris, Librairie Lipschutz, Paris, 1936; H. Rose,
« New information on the life of Joseph Nasi, duke of Naxos : the Venetian phase », in The Jewish
Quaterly Review, LX (1970), n° 4, pp. 330-344 ; B. David, « Money, love and powers politics in
sixteenth century Venice : the perpetual banishment and subsequent pardon of Joseph Nasi », in Italia
Judaica, Rome, 1983, pp. 159-180. Sur la famille Mendès, voir particulièrement : Franco, Moïse,
Essai sur l’’histoire des Israélites dans l’’empire Ottoman depuis les origines jusqu’’à nos jours,
Librairie A. Durlacher, 1897; réédition, Centre d’’Études Don Isaac Abravanel, Paris, 1981, pp 53-61;
mentionne également Amato Lusitano (1511-1568) ou Juan Rodriguez, né à Castel Branco, en
Espagne en 1511, après des études de médecine à Salamanque, se réfugia à Anvers, puis en France, à
Venise, Ferrare, Ancône, avant de passer en 1555 à Raguse, et de là à Salonique; auteur d’’un
Curationum medicinalium centuriæ septem. Sur ce dernier, voir George Tucker, ““To Louvain and
Antwerp, and beyond: The contrasting itineraries of Diogo Pires (Didacus Pyrrhus Lusitanus, 151799) and João Rodrigues de Castelo Branco (Amatus Lusitanus, 1511-68””, in The Expulsion of the Jews
and their Emigration to the Southern Low Countries (15th-16th C.), Medievalia Lovaniensia, Leuven
University Press, 1998, pp. 83-114. L.M.E. Shaw, « The Inquisition and Portuguese Economy »,
Journal of European Economic History, vol. 18, 1989, pp. 415-431 ; J. Lúcio de Azevedo, História
dos Cristãos Novos Portugueses, Lisbonne, 1921 ; C. Roth, A History of the Marranos, Philadelphia,
2° éd. 1947 ; A.J. Saraiva, A Inquisição Portuguesa, Lisbonne, 1956 ; A.J. Saraiva, A Inquisição e os
Cristãos Novos, Porto, 1969; Renata G. Fuks-Mansfeld, « Les nouveaux chrétiens portugais à Anvers
aux XVIe et XVIIe siècles””, in Les Juifs d’’Espagne: histoire d’’une diaspora, éd. Henry Méchoulan,
Liana Levi, Paris, 1992.
3
Felipe Ruiz Martín, « La expulsion de los Judios del reino de Napoles », Hispania, Madrid, (9), 1949,
pp. 28-76, 179-240 ; Ferrorelli, N., Gli ebrei nell’’ Italia meridionale dell’’età romana al secolo XVIII,
Turin, 1915
4
Liste des édits et ordonnances de Charles V, 30 mars 1526.
5
Brugmans & Frank , op.cit, 172
6
R. Ehrenberg, Das Zeitalter der Fugger, II, p. 47.
2
finances et même intelligence militaire. C’’est ainsi que l’’empereur a peu à peu cherché à
étendre l’’Inquisition vers ses autres domaines –– Naples et les Pays-Bas, mais avec des
accomodements pragmatiques, liés souvent aux difficultés économiques de l’’heure.
2. Lettres patentes de l’empereur pour enquêter sur les nouveaux
chrétiens d’Anvers, avril 1530
Entre octobre 1529 et le printemps 1530, l’’émotion suscitée par le siège manqué de
Vienne par Soliman le Magnifique amène l’’empereur, alors en Italie, à élaborer une
stratégie de résistance à la progression turque, incluant entre autres une ambassade
auprès du Chah d’’Iran. Le 17 avril 1530, à Mantoue, à la veille de son départ de cette
ville, il confie par lettres patentes à son jeune conseiller Corneille de Schepper7 la
mission d’’enquêter sur les faux chrétiens qui, sous couvert de commerce, s’’enfuient en
Turquie avec tous leurs biens ou vendent aux Turcs des armes offensives. On lira ciaprès une traduction française inédite de ces lettres, de la main du conseiller.
Doc. 1 - Lettres patentes de Charles Quint, Mantoue, 17 avril 15308
Mission confiée à Corneille de Schepper, juifs (sans date)
Charles, par la divine clémence empereur des Romains, tousjours auguste, roy de
Germanie, de Castille, de Léon, de Grenade, d’’Arragon, de Navarre, de Naples, de
Sécille, de Maiorque, de Sardanne, des Isles, Indes et terre ferme de la mer océane,
archiduc d’’Austrice, duc de Bourgoingne, de Lothier, de Brabant, de Lembourg, de
Luxembourg, et de Geldres, conte de Flandres, d’’Artois, de Bourgoingne, palatin de
Haynnault, de Hollande, de Zeelande, de Ferrette, de Haghenault, de Namur et de
Zutphen, prince de Zwave, marquis du Sainct Empire, seigneur de Frize, de Salms, de
Malines, & dominations en Asie et en Affricque. A tous qui ces présentes verront salut.
Comme nous avons entendu/ plusieurs juifz et marans faignans et dissimulans estre
chrestiens/ hentans, demeurans et commersans avecq les chrestiens/ et soubz espèce et
habit de chrestien, les deceipvans et defraudans/ les ungs aiant cueillé et amassé toutz
leurs biens et aussi rendu d’’aulcuns se retirez vers l’’Orient et ès terres, pays et
seignories du Turcq et d’’aultres indidèles et ennemis de la chrestienité/ les aultres
7
Sur Corneille de Schepper (1502-1555), conseiller de la reine Marie de Danemark, puis du chancelier
Gattinara, puis par après ambassadeur de l’’empereur dans de nombreuses missions, y compris en
Turquie en 1533-1534, voir mon article: ““Ambassadeurs de Charles Quint auprès de Soliman le
Magnifique””, Anatolia Moderna, IX, Paris, 2001. Saint-Genois, "Missions diplomatiques. Corneille
Duplicius de Schepper dit Scepperus, ambassadeur de Christian II, de Charles V, de Ferdinand Ier, et
de Marie, reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, de 1523 à 1555", in Mémoires de l'Académie
Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux Arts de Belgique, tome XXX, Bruxelles, 1856 [Recueil
du voyage du sieur Cornille Duplex Schepperus au grand Turck, descrit par luy-mesme (1533-34),
Bib. Alb. II 479 [Cat. 7425]
8
Le texte cité ci-dessous est inédit dans sa version française d’’époque (de la main de Schepper) qui
figure sans date dans un dossier des archives de la Secrétairerie Allemande de 1540 (AGR SEA 845 f°
112-113 v.) Il s’’agit de la traduction du texte latin, daté de Mantoue, 17 avril 1530, contresigné
Valdes, conservé aux Archives d’’Anvers, et publié dans le Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, p.
191-196. La première phrase, relative à la titulature, est assez différente du texte latin : ce dernier
mentionne Jérusalem, omise ici, et ne donne pas le détail des domaines des Pays-Bas désignés « Gallia
Belgica » succinctement, ni ne mentionne les «dominations en Asie et en Affricque», comme si
Schepper avait, dans une version française postérieure à l’’original de quelques années agrémenté le
texte en se basant sur la titulature officielle de l’’empereur en 1540 (incluant Gueldres et Zutphen, qui
n’’apparaissent officiellement dans la titulature qu’’en 1538).
3
attendants l’’occasion du temps pour eux retirer plus commodieuse[ment] continuer leurs
demurances en noz pays, terres et seigneuries/ aultres aussi pour fréquenter l’’usaige et
tours de marchandises /et achapter ce que prouffit leur semble/ et que après ilz puissent
illecq envoyer et faire transporter par aulcungs ou mesmes emmener avecq eulx/ èsdit
nos pays et terres souvent venir et se transporter/ et noz subiectz par fraudes et
déceptions de leurs biens desnuer et d’’iceulx biens les ennemis de notre foy et nostres
secrètement et ouvertement aussi ayder et assister, affin que tant mieulx et plus
commodieusement ilz se puissent après retirer, à touz leurs biens et mesnaige èsdits pays
des indifèles et noz ennemis, comme desjà plusieurs d’’eulx ont faict. Semblablement
soyons advertiz qu’’il y a aulcuns merchants qui secrètement venoient et font transporter
armes offensives ausdits Turcqs et aultres ennemis de notre saincte foy/ puisque à nous
appartient avoir regard à telz et semblables faintz et simulez chrestiens/ et pareillement
à ces marchans qui emmènent et font transporter lesdites armes offensives et danrées
prohibeez/ et iceulx faire chastier et punir, et donner ordre qu’’ilz ne desnuent nos pays et
subiects de leurs biens et d’’iceulx aydent et assistant nous ennemis, sçavoir faisons que
pour la bonne cognoissance et expérience que avons de la personne de notre amé et féal
conseiller et secrétaire Messire Cornille Scepperus, confiant entièrement de ses sens de
vertus, loyaulté, dextérité, prudhomie, ydonéité et souffisance, avons esleu, créé et
député, eslisons, créons et députons par cet présentes/ ledt messire Cornillo pour notre
commissaire en ceste affaire/ luy donnant faculté et puissance de en son lieu substituer et
subvoyer ung ou plusieurs aultres commissaires/ idones touteffois où il ne pourra
personnelement à l’’exécution de ce estre présent/ avecq tel ou lymité povoir que par
ceste luy donnons pour en notre lieu et nom et comme en ce noz commissaire ou
commissaires se transporter en et par tous nos pays, terres et seigneuries d’’embas, et
illec lesdits fainctz et simulez chrestiens et aussi les aultres marchans armes offensives
aux Turcqs envoiant et leurs marchandises et biens meubles et immeubles si
paradventure en aient aulcuns/ et quelconques se soient ou qu’’ilz se pourront trouver/
prendre ou faire prendre et emprisonner/ et aux officiers et juges ordinaires des lieux ou
qu’’ils prins seront/ les bailler en charge et garde pour procéder contre eulx faire et
instruire leurs [prens ?]/ les décider juger et sententier sommairement et de plain par
droict et justice. Et la cause cognue procéder jusques au dernier supplice si le cas le
requiert et confiscation de leurdits biens/ et au surplus faire en toutes et singules les
choses susdites circonstances et d’’aprendre tout ce qu’’ils verront estre besoing et
necessaire/ mandant et commandant très expressément et a certes à tout et quelconques
nos lieutenans, gouverneurs, capitaines, officiers justiciers, leurs lieutenans et à chascun
d’’eulx de tous nosdits pays d’’embas, villes, chasteaulx et places que toutes et quanteffois
que per ledit messire Cornille notre commissaire que dessus ou par les aultres
commissaires ses subdéléguez & députez, ilz seront requis et admonestés par ces nos
présentes ou transcript authentiques d’’icelles, ilz prennent, arrestent et détiennent ou
facent prendre, arrester et détenir lesdits / sçavoir tant les personnes et corps desdits
juifz faincts & simulez chrestiens se retirant aux Turcqs/ ou que pour attendre le temps
plus commode et propice pour eulx en aller et retirer vinent et comersent dissimuléement
& soubz l’’ombre, espèce et habit de chrétiens en nosdits pays, terres, villes, chaux entre
noz subiectz quelque part que ce soit/ ou que soubz ladite espèce ou dissimulation,
traffiquer négocient et marchandent appertement et occultement/ et semblablement les
marchans et personnaiges qu’’ilz seront trouvez et promiz avoir mené/ ou estre en
délibération de mener armes offensives ausdits Turcqs ou aultres choses prohibées que
toutz et quelconques leurs biens meubles et immeubles si par adventure en aient
4
quelcuns/ et quelconques ce soient/ et leurs marchandises de ainsy délinquans et
despuans9 nos subiectz lesquelles marchandises et biens nous est déclairé qu’’ilz sont
accoustumez soubz faulces enseignes et marques emmener ou envoier. Et pareillement
toutes bales/ pacquetz, charges et bagaiges seignez et marquez des seignes10 et marques
des marchans quelconques/ de que quelles sera information légitime que en icelles soient
contenuz biens et danrées desdits fainctz et simulez chrestiens/ lesquelles soient tenues
et arresteez jusques au temps qu’’il apparaistra certainement à qu’’ilz appertiennent / et à
qu’’ilz soient. Ou aussi ces marchans qui aultreffois biens et marchandises d’’iceulx soubz
leurs marques et signes ont ailleurs envoié/ ou envoier trouvez seront/ sur ce par voie de
justice soient requis et contrainctz déposer et tesmoingner la vérité/ de ce et de tout ce
qu’’ilz sçauront et les biens leurs commandez ou comis manifester/ et ès mains des juges
assigner / quelque part que trouvez seront/ et prendre se pourront/ et en nulle sorte les
délassent jusques à ce que cognu d’’iceulx délicts et après debuement11 soit administrée
la justice/ et declaire que d’’icelles personnes et biens ainsy detenuz et arrestez par moien
de droict soit à statuer/ et en oultre de ceulx qui comme dict est/ prins seront par toutz
moiens légitimes et par droict permis la vérité soit cognues/ et d’’eulx soit entendu par
torture au cas que les qualitez de la justice ce requièrent, qu’’est ce que entre eulx ilz ont
désignez et quelz compaignons de ceste conspiration ilz ont eut et qu’’ils sont ceulx qui de
ceste affaire sçavent et cognoissent affin que après d’’avoir eut d’’iceulx / l’’on puisse les
aultres debuement que selon qu’’ilz auront déservis/ chastier / et quant aux biens que
ainsy adjugez et confisquez seront, voulons qu’’ilz soient bien et léalement gardez au
mesme lieu où la sentence contre lesdits délinquants sera donnée, et prononcée, sans ce
que par vouloir ou mandement de quel qui ce soit ilz soient de là ostez ou distraitz
jusques à ce qu’’il apparaistra par aultres notre mandement ce que vouldrons que desdits
biens soit faict.
Schepper a reçu ces lettres patentes à Augsbourg, où il assistait à une diète de
l’’empire aux côtés du chancelier Gattinara, qu’’il a veillé sur son lit de mort le 27 juin
153012. Impliqué dans la gestion centrale de l’’empire et donc incertain de pouvoir
effectuer sur le terrain les enquêtes qui lui étaient confiés, il en a aussitôt délégué la
tâches à Jean Vuysthinck d’’Utrecht, devant notaire à Augsbourg en juillet 153013.
Schepper, qui en effet ne semble pas avoir participé directement aux poursuites contre les
nouveaux chrétiens, sera envoyé comme ambassadeur de l’’empereur en Pologne, en
Suisse, puis en 1533-34 à Constantinople, où il aura l’’occasion de rencontrer des juifs
réfugiés. Il note en effet dans son journal de voyage, qu’’à Constantinople, le 28 mai
1533, un rabbin originaire de Tolède lui explique le système des millets: « Après le
disner, veint vers nous Rabbi Moyses, médecin espagnol de Tolède, juif, lequel, par
commandement du roy catholique Ferdinande, s'estoit retiré bien jeusne des Espaignes.
Il vint doncques vers nous de la part de Aloysio Grity, pour nous advertir qu'au moyen
de plusieurs empeschements à lui survenuz, il ne pouvoit pour le jourd'huy traicter avec
nous, mais que le lendemain, il nous envoyeroit quérir. Ledict Moyses disoit que les Juifs
9
dépouillant
10
signe
11
duement
12
Lettre du 28 juin 1530 à Erasme, La Correspondance d’’Erasme, vol. VIII, lettre 2336 p. 591-594.
13
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, pp. 191-196.
5
ne payoient pour chaque masle sinon un ducat, et si quelqu'un est bien riche, qu'il ne
paye point davantaige de quattre ducats; que le mesme estoit indifféremment payé par
les Crestiens et par les Turcqz ; que les larrecins, homicides, dissentions et aultres
crimes semblables se punissoyent par les juges turcqz, mais en ce qui concerne les
différens de leur loi, se jugeoit par les principaux desdicts juifs14. » À Edirne, le 21
juillet 1533: ““Nous avons entendu qu’’en ceste ville y avoit plusieurs juifs, entre lesquelz
estoyent des hispaignols castillians, Samuel de Niebal, de Burgos, David de Seres, et
aultre portugalois, Moyses David, et aultres appellez de Vargas.””
Les lettres patentes posent toutefois plusieurs problèmes, qui méritent d’’être
examinés plus avant. Le texte latin parle d’’arma offensiva ; la version française ajoute
«et denrées prohibées». Pourquoi cette différence ?
Aux XI-XIIe siècles, le droit canon avait défendu aux chrétiens de fournir aux
Sarrasins des grains, du bois, des munitions et des armes; les traités passés avec les
infidèles étaient frappés de nullité per se15. En 1453, le financier du roi de France Charles
VII, Jacques Cœœur, est, entre autres, «souspeçonné d’’avoir envoyé des harnois de guerre
aux Sarrazins, nos anciens ennemys et de la foy chrestienne... certaines grant quantités
de harnois ou habillemens de guerre et autres armes invasives : c’’est à savoir de
cranequins, haches, guysarmes, couleuvrines, vouges, jaserans et autres habillemens de
guerre», ainsi que cuivre et argent, offerts au soudan d’’Egypte16.
Dans la suite des documents, rien n’’indique que l’’on ait effectivement mis à jour
un trafic d’’armes offensives par les nouvaux chrétiens des Pays-Bas –– où les artilleurs
développaient effectivement de nouvelles technologies d’’armement- aux Turcs. De
même, les rumeurs sur l’’introduction de chariots d’’affût adaptés aux canons par les juifs
auprès des Turcs paraissent peu fondés ; les Turcs ont emprunté des charriots d’’affût aux
Hongrois au XVe siècle, d’’où le nom de tabur cengi17, puis aux Français18. Ce qui
manquait le plus aux Turcs, c’’étaient les ingénieurs capables de développer les
technologies les plus modernes, et l’’information était venue à Charles Quint de
Constantinople dès mars 1530 que «les maistres d’’artillerie allemans qui ont esté
emmenés l’’année passée par led. Turc font icelle artillerie»19. Bien plus, lors de la
14
. Recueil du voyage du sieur Cornille Duplex Schepperus au grand Turck, précité dont nous préparons
une nouvelle publication.
15
Nys, E., « La Théorie de l’’équilibre européen », RDILC, 25 (1893) pp. 38-39.
16
Bonamy, «Mémoires sur les dernières années de Jacques Cœœur », dans Buchon, Choix de Chroniques
et mémoires relatifs à l’’histoire de France, Able Plon, Paris, 1875, p. 584.
17
Gábor Ágoston, « Ottoman Warfare in Europe. 1453-1826 », in European warfare, 1453-1815 /
edited by Jeremy Black. New York : St. Martin's Press, 1999, pp. 118-144.
18
Duffy, Chr. Siege Warfare: The Fortress in the Early Modern World, 1979, p. 210.. Gilles Veinstein,
““Note sur les transferts technologiques des Séfarades dans l’’Empire ottoman””, in Coloniser au Moyen
Âge, sous la direction de Michel Balard et Alain Ducellier, Armand Colin, Paris, 1995, pp. 268-273:
cf. S.O.T. Chistensen, ““The Marranos as Gunrunners. A Distorted Topos of the Clandestine European
Expansion””, dans Dimensões da alteridade nas culturas de lingua portuguesa- o outro. Actas de I°
Simposio interdisciplinar de Estudios Portugueses, II, Lisbonne, 1987, pp. 111-132.
19
Avis de frère Bernardino Pomazaniü, mars 1530, AGR SEA 764 f° 158, inédit, cité par C. Piot,
« Notes sur les relations diplomatiques de Charles-Quint avec la Perse et la Turquie », Extrait du
Messager des Sciences Historiques de Belgique, Gand, 1843, dans Opuscules , I, 1 ; Piot pense qu’’il
s’’agit d’’un agent envoyé par l’’empereur ; en fait il ne s’’agit que d’’un « avis ». Postel, La tierce partie
des Orientales histoires, 42, « La pluspart de ces bombardiers icy sont Ponentins ou Occidentaus,
6
conquête de Tunis, ce que l’’on a trouvé était essentiellement donné par les Français à
Barberousse, comme l’’empereur l’’indique à Rome en 1536 : « les bombardes & grande
quantité d’’artillerie tant de fer que de métal par nous trouvé en la Goulette bastille & en
la ville de Thunis ayns par-dessus les armes dudict roy »20.
Quant aux «denrées prohibées», ajoutées peut-être après coup compte tenu de
l’’incapacité des enquêteurs à trouver des exportations d’’armes, il ne peut s’’agir d’’épices
et drogues, le principal commerce des nouveaux chrétiens, puisque l’’empire ottoman
était approvisionné depuis l’’Egypte. Il ne s’’agit pas non plus de marchandises de luxe :
on a vu en 1533-1534 une démarche commerciale du tapissier Dermeyen qui a envoyé
Pierre Coecke d’’Alost pour vendre des tapisseries de Bruxelles à Constantinople, mais
sans succès21. Quant aux métaux et composants de poudre (salpêtre) 22, dont l’’exportation
était effectivement interdite, l’’empire ottoman contrôlait suffisamment de mines
premières nécessaires à la fabrication d’’artillerie - fer, cuivre, charbon de bois, salpêtre,
soufre- pour n’’avoir pas besoin de chercher à s’’en procurer en dehors. Seul manquait
l’’étain, dont le commerce n’’est pas relevé.
C’’est ainsi que les documents ultérieurs relatifs aux enquêtes ne retiennent
aucune vente d’’armes ni de denrées prohibées, mais seulement le transfert de fonds et
l’’émigration illicite. Dès février 1531, des nouveaux chrétiens portugais qui venaient
d’’arriver à Anvers sont arrêtés, mais sont libérés en se référant aux lettres de saufconduit accordées par l’’empereur en 152623.
3. L’affaire Mendès, premier épisode (1532-1533)
Au printemps 1532, alors que Soliman est parti de Constantinople avec l’’intention
d’’envahir l’’Allemagne, l’’Empereur Charles Quint, qui a rejoint la diète de l’’Empire à
Ratisbonne, est approché par un certain David Reuben, imposteur venu de l’’Inde au
Portugal, se faisant passer pour l’’ambassadeur d’’un roi juif qu’’il prétendait exister dans
le Haybar, au fond de l’’Arabie, et venant chercher des armes en son nom. Reuben était
asçavoir François, Italiens, Espagnols, Allemans, Hongres regniés, & Chrestiens. » Maurand, en 1546,
voit à la fonderie de Tophane ““des Allemands qui, au nombre de 40 ou 50, y font les pièces
d'artillerie. » Lors de la campagne de 1532, l’’envoyé bavarois à Budapest a été étonné de voir des
canons pesant jusqu’’à 100 quintaux (10.000 kg.) pouvant tirer des boulets d’’un cental
(Correspondenzen und Aktenstücke zur Geschichte des Verhältnisses der Herzöge Whilhelm und
Ludwig von Bayern zu König Johann von Ungarn. Ed. August Muffat, Munich, 1857 (Quellen und
Erörterungen zur Bayrischen und Deutschen Geschichte IV), p. 252, cité par Szakály Ferenc,
Lodovico Gritti in Hungary 1529-1534. A Historical Insight into the Beginnings of TurcoHabsburgian Rivalry (Studia Historica vol. 197 ), Budapest 1Cf. Colin Heywood, « The activities of
the State canon foundry (Tophane-i amire) at Istanbul in the early sixteenth century, according to an
unpublished Turkish source », Prilozi za orijentalnu filologiju, 30 (1980, pp. 212 sq.)
20
Nouvelles de Rome touchant L’’Empereur. Imprime en Anvers au Naveau par moy Michiel de
Hoochstraten l’’an mdxxxvi.
21
Kellenbenz, « Jakob Rehlinger, ein Augsburger Kaufmann in Venedig », Beiträge zur Wirtschafts und
Stadtgeschichte. Festschrift für Hector Ammann, Wiesbaden, 1965, pp. 362-379
22
Gábor Ágoston, « Ottoman Gunpowder Production in Hungary in the Sixteenth Century : The
Baruthane of Buda », in Hungarian-Ottoman Military and Diplomatic Relations in the Age of
Süleyman the Magnificent, Lorand Eötvös University, Budapest, 1994 , 149-159. Gábor Ágoston,
““Gunpowder for the Sultan’’s Army: New Sources on the Supply of Gunpowder to the Ottoman Army
in the Hungarian Campaigns of the Sixteenth and Seventeenth Centuries””, Turcica 25 (1993) 75-96.
23
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, p. 186.
7
passé à Avignon, Ferrare et Mantoue, et promettant d’’aider à la libération de la Terre
Sainte des Turcs, « annonçant qu’’il allait emmener les Juifs de leurs Etats pour les
conduire dans son pays », jusqu’’à la supercherie soit découverte. Un secrétaire du roi du
Portugal, Diego Perez, revenu au judaïsme sous le nom de Salomon Molkho, parcourt
l’’Italie et la Turquie, rencontrant les Cabbalistes de Salonique, publie un recueil de
prédications annonçant pour 1540 la fin de la captivité d’’Israël et l’’arrivée du Messie,
puis revient à Rome où Clément VII l’’autorise à s’’établir où il veut; lié à David Reuben,
il se rend à Ratisbonne (1532) pour avoir une « controverse avec l’’empereur sur les
choses de la foi…… mais l’’empereur ne l’’écouta point », le fait jeter en prison puis
emmener à Mantoue, où il est condamné au bûcher. David Reuben est remmené en
Espagne, et meurt en prison24.
Le 5 juin 1532, le confesseur de l’’empereur à Bruges reçoit la déposition du fils
d’’une femme d’’origine juive, épouse d’’un nouveau, médecin ordinaire du roi du
Portugal. Cette femme, fuyant son mari, serait arrivée à Anvers avec ses quatre enfants
en 1521, et recueillie par les membres de la colonie marrane, et en particulier Diego
Mendès, Gabriel de Negro, Emanuel Serano et Loys Peres, et sur leurs conseils,
craignant que son mari la fasse revenir au Portugal, elle serait partie pour Salonique avec
ses enfants. Son fils, après des pérégrinations à travers toute l’’Italie, avait abouti en
piteux état à Anvers à la recherche de son père, allant, sur les conseils d’’Emmanuel
Serano, rival de Mendès, raconter sa vie au confesseur de l’’empereur et affirmant que les
personnes qui avaient conseillé sa mère étaient juifs et non chrétiens25. Ses allégations,
confirmées par les espions gouvernementaux, ont servi à ouvrir un procès contre les
principaux négociants nouveaux chrétiens, Gabriel de Negro, Emmanuel Serano, Loys
Perez et en particulier contre Mendès.
Le procureur général du Brabant, Boisot, fut désigné pour surveiller la marche de
l’’enquête menée devant le tribunal d’’Anvers, mais le margrave de la ville traîna des
pieds, gardant le prévôt envoyé de Bruxelles dans sa maison sous un prétexte de
circonstance, donnant le temps à Gabriel de Negro et probablement aussi à Loys Perez de
s’’enfuir en Allemagne, libérant Manuel Serano pour défaut de motif à l’’accusation.
Boisot réussit toutefois à faire appréhender Mendès début juillet, le faisant transporter à
Bruxelles et garder au secret, mettant ses livres sous scellés. Aussitôt, une délégation de
marchands portugais, accompagnée du géographe Damien de Goes, s’’est rendue à
Bruxelles pour exposer les risques que la détention de Mendès ferait courir aux emprunts
de l’’empereur et aux foires des épices des années à venir. Mendès en effet, avait
contribué aux emprunts que le roi du Portugal avait consenti à contracter pour aider
l’’empereur dans la guerre contre les Turcs –– promettant 200.000 florins au facteur
portugais qui devaient être remis aux Fugger pour les faire parvenir aux mandataires de
l’’empereur en Allemagne; il avait en outre en dépôt des sommes importantes appartenant
à divers seigneurs portugais26. Le magistrat d’’Anvers, défendant les privilèges de
24
Joseph Ha-Cohen, La vallée des pleurs, Présentation apr J.P. Osier, Centre d’’Etudes don Isaac
Abravanel, Paris, p. 116-119 ; Franco, Moïse, Essai sur l’’histoire des Israélites dans l’’empire
Ottoman depuis les origines jusqu’’à nos jours, Librairie A. Durlacher, 1897; réédition, Centre
d’’Études Don Isaac Abravanel, Paris, 1981, pp. 52-53. Sanuto, Diarii, LIV, 145-148, signale son
passage à Venise en 1531.
25
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, p. 201-202. Cf. S. Ullmann, Histoire des juifs en Belgique
jusqu’’au 18e siècle (Notes et Documents), Anvers, Imprimerie et Lithographie Delplace, Koch & Co,
p. 31. Le texte original signalé comme se trouvant aux AGR a disparu du dossier indiqué par l’’auteur.
26
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, pp. 186, 190, 202, 204, 207, 215, 230 ; AGR, Audience 11772 A
n° 3.
8
jurisdiction de la ville, s’’est inquiété des abus de pouvoir et violation des privilèges de la
ville commis par le procureur Boisot. De son côté, le roi du Portugal, averti, s’’est
inquiété des dettes que Mendès devait encore régler sur ses derniers achats d’’épices ; le
facteur portugais à Anvers s’’en est ouvert auprès de l’’empereur.
Doc. 2 - Lettre de Ruy Fernandez, facteur du roi du Portugal au pensionnaire de la
ville d’’Anvers Adrien Herbouts, 21 juillet 153227
A Monsieur Maistre Adrien, le Penssionaire de la ville d’’Anvers en
Bruselles
Monssieur, Maistre Adrien,
Je me recomende à vous. Je croys que vous estes adverty du cas de Diego,
Mendez, noustre bon amy. Maistre Luys, le comisaire a tant fait hojourduy avecque
Messieurs, que on luy a rendu Diego Mendez en sez mains arrière et l’’ont amené sous la
monnoie de Pittre Vastrate. Ilz ne veult que nulluy parle à luy et le tient ainssy estroit
comme s’’il fusist ung Turque, que eust toussjours mal vaicu. Jusques à maintenant il ne
l’’ont point encores accussé de riens ; toutefois le Brugumaistre m’’a dit qu’’ilz l’’ont
impossé qu’’il est Juyf, ce qu’’ilz sçaront byen mal à prouver, à mon advys ; néontmays,
pour ce que l’’homme est de pettite couraige, comme vous sçavez, s’’on nelle laysse parler
et veoir ses amys, il se mourira de deuil. Oultre cella, il doibt au Roy, mon Maistre, bien
deux centz mylle ducatz, lesqueles il doibt païer en cez trois fêtes venantz…… du Roy, et
oultre, il doibt beaucop d’’argent à gentz de ceste ville, et nous sommes sour le train du
paiement della feste. Véritablement, s’’on nelle remest en sa maison et qu’’il peusse veoir
ses livres et ses comptes et tenir son crédit, il ne paiera au Roy, mon Maistre, ne à tous
les aultres, par quoy beaucop de marchans et gens de bien pouroient faire banqueroutte,
aussy bien en ceste ville que alleurs, et touchant les paiementz della feste, ylz seront tous
gâtés, à ceste causse, et oultre cecy, que c’’est que plus me fait mal, c’’est que le Roy mon
maistre, m’’escript que je fesisse prest deux centz mille ducatz, lesquelz il donne d’’ayde à
l’’Empereur contre ceste guerre du Turc, comme on poura veoir pour les lettres que j’’ay
du Roy, lequel argent Diego Mendez me debvoit fornir ceste feste, et j’’ay fait ung
contract aveque luy pour la ditte somme, lequelle je doybs païer au Foccere28, pour les
païer en Allemagne, comme l’’on peult se demander. Je me dubte que se on ne laysse
Diego Mendez arrire en sa maison et crédit, que ne pouray fornir laditte somme d’’argent
à l’’Empereur, et pourtant je vous prie que sour toutez choses vous faites tant que on
nelle tire point de ceste ville et que, donant sufissante causion de ce qu’’on luy peult
demander, qu’’on le remaisse arrire en sa maison et crédit, car véritablement il en verra
beaucop de maulx, et pour ce que vous entendés bien la matière, il ne vous fault pas dire
beaucop. Faitez que les privilèges della ville nous soient gardez, affin que les marchans
peussent résider en la ville et nelles boutez point dehors. Monssieur, s’’il vous semble
qu’’il soit profitable de promettre à quelque ung de cez Seigneurs de court ung, deux ou
trois centz florins, afin qu’’ilz tiènent la main et qu’’on ne fasse tort à Diego Mendez pour
avoir plus brief justice, pour faire sa marchandisse, je vous prie que les promettes par
ceste ; je me oblige de vous rendre tous systost que verrés en ceste ville. En touchant
voustre paine, je vous prometz que vous sera très bien païée. J’’envoierey demain au
matin Jorge de Barres et Damien de Goez, les deux scripvains du Roy, mes compagnons,
27
Archives d’’Anvers, Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, 206-208.
28
Fugger.
9
devers la Roine et Conseil, pour luy donner à cognoistre le cas et qu’’elle nous veulle
proveoir de justice, et touchant les deux cent mille ducatz que je doibis fornir à
l’’empereur, je vous prie que vous ne dites riens, pource que les scripvains apporteront
les lettres du Roy avecque eulx et ilz parleront à vous plus largement. Aultre chose,
synon que je vous recomende le cas le plus fortement qu’’il m’’est possible. D’’Anvers, le
xxje jour de juillet de l’’an 1532.
Je suis vostre, le facteur,
P. Ruy Fernandez
Doc. 3 - Note du Magistrat à l’’empereur Charles Quint, 2 août 153229
A l’’Empereur,
Extract et copie translatée d’’ung article contenu ès lettres du roy de
Portugal envoyez par deçà à Monsieur son facteur, en date, etc. 30
Aussi je escripve du mesme affaire aux seigneurs de la ville, et vous leur direz de
ma part que nous l’’estimerons fort qu’’ilz travaillent de leur cousté que ses biens vous
soient délivrez, comme j’’en espère qu’’ilz feront, puisqu’’ilz appartienent à moy, car les
marchans qui les ont envoyé par delà ne l’’ont encoires payé ; et à cause que je sçay la
liberté du pays et les bons œœuvres, lesquelz en la dicte ville, depuis pluiseurs ans ençà,
en son train et nobilité, a receu du roy, mon seigneur et père, cui Dieu absoille, et aussi
de Moy, je tiens fermement que, à ce respect et autres occasions, ilz feroient que les
biens, venuz par-delà, seroient à tousjours seurez, de sorte que je ne pourroye jamais
perdre quelque chose. Par quoy j’’ay tousjours fait donner crédit aux marchans qui les
achattèrent en nostre maison et envoyèrent par-delà, sans y prendre d’’iceulx aulcune
plaisgerie ou caution, et que, se astheure, je voye le contraire que je ne croy qu’’il soit, il
seroit mescier commander de muser le train et affaire d’’espéceries en quelque autre lieu
où ce qu’’on fist ce qu’’ilz ont jusques astheure tousjours fait ; puisque iceulx et tout le
pays, par mon ayde, a tant gaigné, ne doibvent désirer que chose aulcune y succède que
je perde. Escripvez-moi ce qu’’on en faict, et la ayde qu’’ilz vous donnent, car je le désire
fort assavoir.
Doc. 4 -Requête de Ruy Fernandez, facteur du Portugal à Anvers, à l’’empereur
Charles Quint, 2 août 153231
A l’’Empereur,
Remonstre en toute humilité Ruy Fernandis, facteur du roy de Portugal, comme
ledict remonstrant bien saysant que les poivres, succres, biens, espéceries,
marchandises, desquelles partye puis naguères sont esté vendues et partant les crédites
procédez d’’icelles et grande qualité qui est encoires en estre à la maison de Diego
Mendis en la ville d’’Anvers, appertiennent à pluiseurs marchans résidens en Portugal,
subjectz de la Majesté dudict Roy, et est icelluy Diego Mendis d’’iceulx que facteur et
négociateur ; partant à icelluy remonstrant bientost après qu’’il avoit entendu que le dict
Diego Mendis estoit prins en corps et tous les susdictz biens aussi arrestez, ce que dessus
29
Archives d’’Anvers, Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, 208-211.
30
Archives d’’Anvers, Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, 211-212
31
Archives d’’Anvers, Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, 212-214.
10
humblement fut remonstré à Vostre Majesté, affin que à l’’honneur et en faveur du dict
Roy, les subgectz d’’icelluy Roy, ne le Roy seront adommagiez, et peult estre combien
icelle remonstrance n’’a esté faicte autrement ne à autre intencion que pour la cause
susdicte, que aucuns aient prins et entendu comme se la dicte remonstrance auroit esté
faicte unement et seullement en faveur du dict Diego Mendis ; aussi peult apparoir de ce
que dessus, par le rescript du dict roy, fait le ije jour d’’aoust dernier, passé en Lixbonne,
par lequel Sa Majesté signifée avoir esté adverti en poste, par lettres du facteur de Jehan
Francisci de Laffetati , que le dict Diego Mendis, le xixe de juillet dernier passé, estoit au
dict Anvers constitué prisonnier et que tous les biens et marchandises estans en sa
maison aussi arrestées et que au dict Anvers estoient aussi arrestez, en corps et biens,
pluiseurs nouveaulx cristiens ; escript en oultre le dict Roy, à cause que Sa Majesté ne
sçavoit, par lettres du dict remonstrant, la cause de la capture du dict Diego Mendis et
de l’’arrestacion des biens ; aussi que le dict remonstrant scet bien que le dict Diego
Mendis est facteur de Francisque Mendis, son frère, et Jeorge Lopez, Diego Redrigo
Pinto et de ses frères, de Eduwart Tristram et de pluiseurs aultres marchans subjectz
résidens au dict Portugal, lesquels subjectz avoient achatté des officiers de Sa Majesté et
en sa maison nommée des Indes, scituée à la ville de Lixbon, les susdictz poivres, sucres,
biens, espécieries et marchandises, debvent encoirent au dict Roy les deniers d’’icellui
achat, et que en cas le dict Diego Mendis auroit délinqué, que partant les biens des dictz
subjectz, marchans de Portugal, ne doibvent estre confisquez, a pour ce le dict Roy
mandé et commandé au dict remonstrant et à icelluy envoyé mandat espécial que
incontinent se transporteroit vers Vostre majesté et autres juges, là où il appertiendra, et
poursuyvir que les dictes spéceries, et tout ce que dessus, avec ce qui est procédé à luy
remonstrant, seroit délivré, et ce jusques à la somme que les subjectz pour icelles
debvent à Sa dicte Majesté ; a le dict Roy, à ceste fin, envoyé aussi certiffication de la
quantité des espéceries et marchandises que ses dictz subjectif ont eu de luy et envoyé de
par dechà, et à ceste cause, a le dict Roy encoires envoyé au dict remonstrant lettes de
crédence pour Vostre Majesté Impériale ; aussi de ce que dit est apperra assez,
conformément par les livres, lettres, missives et autres enseignemens du dict Diego
Mendis, et tout ce non obstant, entendt le dict remonstrant que les commissaires par
Vostre Majesté députez et commis, ont les susdictz poivres, succres, biens, espéceries et
autres marchandises que dessus, fait peser et point au jour d’’arrest, comme se les biens
des dictz subjectz de Portugal estoient condempnées au proffit de Vostre Majesté, à très
grande confusion, eschandale de dommaige des dictz subjectz, marchans de Portugal ; et
tandiz que le dict arrest tiendra, est-il apparent qu’’ilz supporteront encoires très grans
dommaiges ; ce que le dict remonstrant, ensuyvant la charge et commandement de la
Majesté de son Seigneur et Roy, a convenu remonstrer, pour sur ce estre pourveu de
remède convenable. Supplie partant qu’’il plaise à Vostre Majesté ordonner que lesdictz
poivres, succres, biens, espéceries, marchandises et crédites procédé d’’icelles, soyent
délivrez ès mains du dict remonstrant, ensuivant le rescript et la requeste du dict Roy,
soubz récépissé pertinent, et ce au prouffit des dictz ses subjectz, marchans de Portugal,
et jusques à la quantité qu’’ilz sont redevables au dict roy ou que au dict suppliant soit
permis de povoir administrer et vendre les susdictz poivres, sucres, biens, spéceries et
marchandises, affin que, des deniers procédans, faire et tenir bonne et léal compte et
reliqua, pour l’’asseurance du dict Roy, des dictz subjetz et des autres ausquelz toucher
pourroit. En ce faisant, etc.
11
Doc. 5 - Copie d’’un billet32
Diego Mendis a une manière de faire en faisant sa marchandise qui tent à
monopole ; assçavoir que lui et ung nommé Jehan Kaerle, quant ilz viengnent vers le roy
de Portingal, ilz achatent de lui pour vjc, viijc ou xijc m ducatz à une fois d’’espiceries,
assçavoir noix, cloux, gingembre, povere et autres espéceries, et conviengnent du
paiement avec lui, et davantage mectent des condicions en leur marché que le Roy ne
pourra à nullui vendre espiceries que à eulx, et s’’ilz en vendent nomméement, ilz
exclusent que l’’on ne les amènera en ses pays de par-delà, qu’’ilz appellent Flandres,
affin que ilz les vendent à leur volenté, et que nulluy n’’en aura que eulx, et les fault venir
querre33 à eulx, autrement n’’en aurez point.
En faisant leur dicte marchandise, souvent vj, viij, x ou xij marchans, lesquelz ont
pour emploier en ce que dessus, l’’un xm, ung autre xijm, ung autre xxm ducatz, l’’un plus et
l’’autre moins, que dèsent achater des dictes espiceries, et affin qu’’ilz puissent mieulx
conduire leur affaire, sont contens prendre et accepter en leur compagnie, et auront
part, chascun à son avenant, au prouffit et dommaige ; bien entendu que les espiceries
demeurent ès mains du dict Diego Mendis et Jehan Karle, et n’’en pèvent les associerz
joyr d’’une once, affin que ne les vendent ou distribuent aux subgetz.
Et quant le marchandise est venue par-delà, ceulx qui en ont affaire se ritirent
vers les dictz Diego Mendis et Jehan Carle, pour en avoir ; ilz ballent la livre de poivre
pour xxviij gros, et pour venir à leur entente, les autres marchans, qui sont associez
comme dessus, dient et font dire qu’’ilz ont du povre à vendre par ordonnance des dictz
Diego et Carle ; mais ilz ne le veullent bailler que pour xxix gros, et n’’oseroient moins
dire, car ilz yroient contre leur promesse, et partant sont constrains, pour gaigner ung
gros, retourner et aller aus dictz deux marchans, qui par ce moyen composent et
destruisent les pays de par-deçà.
A Lixbonne, les dictz deux marchans en font ainsi et constraindent le roy de leur
vendre ses espiceries ; car ilz ont tous ou la pluspart des marchans associez comme
dessus que n’’oseroient reins achater sans eulx, pour ce que le roy aime mieulx à vendre
à grosse somme une fois que de le vendre par petites parties. Et si s’’avance d’’en vendre
aux autres marchans, les dictz Diego et Jehan Carle le lessent, et si le roy leur demande
pourquoy ils n’’achatent riens, ilz dient : « Vous avez commencé à vendre aux petiz
compagnons, parfaictes.» et partant véant que ses espices lui demeurent en ses mains,
est constraint besoingnir avec eulx.
Et encores oultre ce, à Lixbonne, s’’ilz vendent leur espicerie à quelques
marchans, ce qu’’ilz font souvent ilz condicionnent expressément qu’’ilz n’’en manneront
ne vendront aucune chose en Flandres, car ilz gardent ce quartier pour eulx.
Et semblablement, quant ilz vendront, par-delà Anvers, à aucuns Almans,
Oesterlins, François, Angloix ou autre nacion, ilz condicionnent expressément qu’’ilz le
mèneront hors du païs sans en vendre ou lesser une once par-delà ; dont la commune est
fort traveillée, car, quant telz monipoles n’’ont point de lieu, les povres marchans
gaignent les ungs aux autres et à la marchandise son cours, et au compte nullui ne
gaigne que eulx deux.
Ilz en vendent aux marchans et grossiers34 par-delà, qui le vendent par onces,
livres et autrement, et ceulx-là ne les peuvent adommager, car ce qu’’ilz achatent est peu
32
Archives d’’Anvers, Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, 215-217.
33
Chercher.
34
Grossistes.
12
de chose.
Pour respondre à la requeste du roy, Diego Mendis l’’a tout paié de par eulx
deux ; mais ce que le roy demande, c’’est la porcion des associez qui dénient encoire au
roy aucuns terms qui ne expérez, pour ce qu’’ilz n’’ont la puissance de paier avant le
terme, comme le dict Diego ; et néanmoins sont leur espiceries ès mains des dictz Diego
et Carle.
Le 12 août 1532, quand Mendès paraît devant la cour, les accusations d’’hérésie
tombent, tout autant que l’’abus de monopole, l’’accusation se concentre sur les aspects
externes : on lui reproche d’’avoir continué d’’expédier les biens des marranes à Venise
chez le libraire hébraïsant Daniel Bomberg35. Mendès se défend, affirmant n’’avoir
effectué qu’’une opération purement commerciale, Venise n’’étant d’’ailleurs pas
Salonique.
Finalement il fut décidé d’’examiner les livres de Mendès par «gens neultraulx» et
en secret, puis, début septembre, de libérer le banquier, sous caution de 50.000 ducats,
payés au trésorier de la reine Wolfgang Haller, et sous contrainte de répondre à chaque
appel et de fournir des renseignements sur les fonds des marranes en sa possession ––
« aussy sera le dit Diego Mendis tenu et obligié de affermer, révéler et déclairer par
serment les biens, denrées, deniers et substances qu’’il en ses mains et povoir,
appertenant aux Juifz estans en Turquie et des autres nouveaulx chrestiens, lesquelz il
scet estre retirez d’’Anvers ou en chemin pour eulx transférer en Turquie, sur paine de
confiscation de corps et biens »36.
Le 8 octobre 1532, Granvelle écrit à Marie de Hongrie que l’’empereur lui laisse
les mains libres « l’’affere de Bruxelles et de Diego Mendes, l’’Empereur vous remet de
fère touchant ledit Diego Mendes ainsi que adviserez pour le mieulx…… »37 La décision
prise par la reine est ultérieurement confirmée par lettre de l’’empereur du 10 novembre,
tandis qu’’il adoptait un édit défendant l’’accès des Pays-Bas aux nouveaux chrétiens
intentionnés d’’aller en Turquie, et que par ailleurs une lettre du 27 novembre 1532
légitimait le monopole des épices, à la demande de son cousin le roi du Portugal38. Une
douzaine d’’autres Marranes furent également libérés moyennant le versement de 12.077
livres. Quelques mois après, l’’empereur demande à vérifier ce que l’’on envisage de
décider. Il écrit, le 1er février 1533, à Marie, de Bologne39 : « quant à l’’appointement
avec Diego Mendes, je tiens que y aurez fait pour le mieux et plus convenable, toutesfois
ne vous en sçauroye dire plus avant jusques j’’auray entendu comme la chose sera
passée, par celluy que devez envoyer devers moy, comme vos dittes lettres
contiennent……»
35
Sur Daniel Bomberg, cf. A. Goovaerts, Généalogie de la famille van Bomberghen, Bruxelles, 1914. L.
Guicciardini, Description de touts les Pais-Bas, 1582, p. 174: « est sorty aussi d’’Anvers, Daniel
Bomberghe, homme sçavant & bien versé en Hébrieu; le fils duquel, nommé Charles, est docte et
studieux, comme encore l’’est son neveu Cornille: lequel semble que soit le premier, qui en ce pays ait
fait imprimer des livres en Hébrieu».
36
Décision de la reine Marie sur le cas de Diego Mendis, 7 et 13 septembre 1532 ; Bulletin des Archives
d’’Anvers, VII, p. 243.
37
AGR Audience 123, f° 61.
38
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, pp. 206- 208, 211-212, 214-215, 217sq. , 230, 235-236, 238, 240,
244, 251 ; AGR, Audience 11772 A n° 3
39
AGR Audience 48, f° 15 v°.
13
La conviction que les « nouveaux chrétiens » et les juifs constituent une deuxième
colonne informant Barberousse conduit peu à peu à leur expulsion des terres de
l’’empereur, notamment du royaume de Naples, particulièrement de Manfredonia40 :
l’’empereur, d’’Italie, en novembre 1532, décide l’’expulsion immédiate des juifs du
royaume de Naples, à l’’exception de ceux qui se convertiraient au Christianisme. L’’édit
est publié le 5 janvier 1533 à Naples, mais son application est retardée jusqu’’au 5 juillet
1534 ; certaines interventions demandent que restent au moins quatre cent familles « de
las mas facultosas ». Au premier trimestre 1534, deux espions turcs pris dans le royaume
de Naples déclarent faire partie d’’une organisation complexe, dans tout le pays, aux
ordres de Barberousse. A Manfredonia, plusieurs Juifs sont dénoncés pour leurs contacts
permanents avec leurs parents de Salonique, et d’’autres parties de l’’empire ottoman où
ils se rendaient fréquemment, soupçonnés d’’informer les Turcs des préparatifs et projets
de l’’empereur41. L’’expulsion est confirmée par l’’empereur, depuis Tolède, le 24 mai
1534 ; puis, suite à des démarches, elle est reportée jusqu’’à avril 1535 : le marquis de
Villafranca écrit le 26 octobre 1534 à Charles V que les juifs qui donnent 1500 ducats de
tribut par an pourraient bien financer quatre galères pour participer à la flotte de Doria42,
en échange d’’une prolongation de leur séjour pour dix ans moyennant le paiement d’’un
montant de 20.000 ducats soit 2000 ducats par an; toutefois l’’accord de Charles ne vient
qu’’en janvier 1535. L’’ordre d’’expulsion sera renouvelé en 1540- la plupart des Juifs
avaient commencé à partir vers les Etats pontificaux, où ils devaient porter un signe
distinctif rouge, ou vers Ferrare ou surtout vers la Turquie. Leur émigration sera achevée
en octobre 154143.
4. L’affaire Anthoine Fernandez (1534)
A peine l’’affaire Mendès close, Marie de Hongrie fait arrêter, en décembre 1533,
le nouveau chrétien Antonio Fernandez, «marchant de la nation du Portugal ayant faict
sa résidence en la ville d’’Anvers par l’’espace de douze à treize ans continuels, y faisant
et exerçant grand train de marchandise», alors qu’’il s’’était mis en route pour se rendre à
Lyon et à Venise «en ses affaires et négotiations». Fernandez est appréhendé à Leeuwe,
près de Halle, au sud de Bruxelles, mis au secret au château d’’Ecaussines pendant près de
six mois, - en violation des privilèges d’’Anvers, qui impliquaient qu’’une personne
40
Simancas, Estado, leg. 1017, 39 ; cf. Paolo Preto, I servizi secreti di Venezia, EST, Milan, 1999, p.
482; F. Ruiz Martin, ““La expulsión de los judíos del Reino de Napoles””, II, Epoca de Carlos V, in
Revista Hispania, xxxv (1950), pp. 73-79; N. Ferorelli, Gli Ebrei nell’’Italia meridionale dalla età
romana al secolo XVIII, Turin, 1915; José María del Moral, El virrey de Nápoles Don Pedro de
Toledo y la guerra contra el Turco, Madrid, CSIC, 1966, pp. 75, 88 fn. 7; Dejanirah Couto,
« L’’espionnage portugais dans l’’empire ottoman au XVIe siècle », dans La Découverte, le Portugal et
l’’Europe, Actes du colloque, Paris, 26-28 mai 1988, Fondation Calouste Gulbenkian, Centre Culturel
Portugais, Paris, 1990, p. 250, fn. 22. Citant : João Lúcio de Azevedo, História dos Cristãos Novos
Portugueses, Clássica Ed., Lisbonne, 1975 ; Cecil Roth, The House of Nasi, 2 vol., Philadelphie, 1948
41
Don Pedro de Toledo à Charles Quint, de Naples, 26 avril 1534, AGS, Estado, leg. 1017, f° 42-43 et
1018.
42
AGS, Estado, leg. 1017, f° 77.
43
Felipe Ruiz Martín, « La expulsion de los Judios del reino de Napoles », Hispania, Madrid, (9), 1949,
pp. 28-76, 179-240 ; Ferrorelli, N., Gli ebrei nell’’ Italia meridionale dell’’età romana al secolo XVIII,
Turin, 1915. Les juifs d’’Ancône passent en 1544 à Raguse en espérant revenir à leur religion
maternelle (Lettre de Baltazar de Faria au roi João III, de Rome, du 8 mai 1544, citée par Dejanirah
Couto, « L’’espionnage portugais dans l’’empire ottoman au XVIe siècle », 1990, p. 258, fn. 54.)
14
appréhendée devait être présentée en justice dans les trois jours de sa détention. Le
procureur désigné par la reine, Christian Baers, place les scellés sur les biens et
documents de Fernandez, en contrevenance aux usages locaux et fait emprisonner ses
domestiques, dont une « servante moresse ». Fernandez est accusé d’’entretenir des
relations avec les nouveaux chrétiens de Turquie pour le compte de Mendès –– « et qu’’il
avoit, en contervenant les ditz status et ordonnances, fréquenté les ditz pays de par-delà,
sans congié ou licence, et fait marchandises avecq aucuns Juyfz ou nouveaux chrestiens,
receupt et logié leurs personnes et marchandises et fait assistance à iceulx pour eulx
retirer hors des dits pays en Turquie » - et de fréquenter les Pays-Bas depuis trois ans
sans avoir fait renouveler ses lettres de pas44. Simultanément les nouveaux chrétiens sont
globalement accusés de gagner des fortunes grâce à leur cartel sur le commerce des
épices, dont ils exclueraient les marchands locaux. Autrement dit, il est accusé
d’’immigration et émigration illégales, d’’abus de position dominante, et de transferts
frauduleux de fonds.
Doc. 6 - Raisons et motifs pour lesquels Anthoine Fernandez a été arrêté, 25 mai
153445
L’’Empereur, nostre Sire, désirant pourveoir et obvier sur les abus concernant la
foy catholicque, le faict des monnoies, la diversité des coustumes sur les monopoles, tant
sur les victuailles que ès autres marchandises qui se font par les nouveaulx Chrestiens et
autres marchans, sur les bancqueroutes et fugityfz, sur les vagabondes, sur ce que l’’on
trasporte, les chevaulx hors des pays de par-deça, que autrement, Sa Majesté, par
délibération du Conseil et par l’’advis de ses Nobles et Estaz de ses dictz pays, a faict
pluiseurs belles et louables ordonnances fondez en droit en toute équité et grandt prouffit
du bien publicque ; et jachoit que icelles ordonnances et status, depuis trois ans enchà,
ont esté partout en iceulx pays publiées, ce non obstant, n’’ont les officiers en leur endroit
fait aucun debvoir pour exécuter les dites ordonnances et status, de sorte que icelles
demeurent infraictueux, dont grant mal et inconvénient journellement s’’ensuyt ; bien est
vray que, depuis certain temps ença, ung commis, de par la dite Majesté Impériale, a
prins et appréhendé ung appellé Anthoine Fernandis, à cause qu’’il est Nouveau
Chrestien et qu’’il avoit, en contervenant les ditz status et ordonnances, fréquenté les ditz
pays de par-deça, sans congié ou licence, et fait marchandises avecq aucuns Juyfz ou
Nouveaux Chrestiens, receupt et logié leurs personnes et marchandises et fait assistance
à iceulx pour eulx retirer hors des ditz pays en Turquie, etc.
Ce venu à la cognoissance de la Royne Douaigière de Honguerie, Régente et
Gouvernante, etc., a commis et député Maistre Chrestien Baers, secrétaire de la dite
Majesté Impériale, pour prendre informacion sur le dit Anthoine et ses consors,
circonstances et deppendans d’’icelles.
Et jachoit que par icelle informacion appert clèrement ce que dessus, et
d’’abondant que icelluy Anthoine, avecq ses consors, aussi Nouveaulx Chrestiens, dix ou
douze en nombre, eulx tenans en Anvers, ont commis monopole ; et en cas que l’’on
pourroit avoir accès ou ouverture des livres, papiers, lettreaiges et munimens d’’icelluy
Anthoine, estant en la ville d’’Anvers, dont le dit Maistre Chrestien Baers n’’a peu avoir
vision ou lecture, parce que l’’homme ou serviteur du dit Anthoine, appellé Francisque
Alvarys, ait emporté hors du comptoir du dit son maistre ses principaulx lettres et
44
Un permis de séjour dirait-on aujourd’’hui. Voir aussi détention du marrane Jean Rodrigo, pour avoir
négligé de se munir de ses lettres de sauf-conduit (janvier 1535).
45
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, pp. 282-285.
15
pappiers, l’’on trouveroit aultres délictz.
Appéra aussi clèrement que le dit Anthoine, avecq ses consors, nouveaulx
Chrestiens, assçavoir Diego Mendis, Loys Fernandis, Ruy Perus, Diego de Camergo,
Steven Perus, Fernande d’’Espaigne, Emanuel Sarrano, le filz de Gonsale Fernandis,
Rodrigo de Peris, Diego Dies, Loys de Cyvilia, Gabriel de Negro, ont secret entendement
avecq les juyfz, nouveaulx Chrestiens ou aultres marchans, eulx tenant par-dechà ou au
royaulme de Portingal, assçavoir, avec Jehan Charles, Lucas Geraldo, Chrestiens eulx
tenans par-deçà, Francesque Mendis, frère de Diego Mendis, Anthoine Martines, son
filz, Noene Henricus, Henrico Noenes, son frère, Aloncho de Torris, Diego de Torris, son
frère, George Vixorda, Thomas Sarrano et aultres, de sorte que les ditz juyfz ou
nouveaulx chrestiens eulx tenans au dit royaulme de Portingal, d’’an en an font contractz
avecque le dit roy du dit Portingal, de tous les espéceries et drogueries, à condicion que
nulz Flamengs ou aultres marchans n’’auront part ne porcion avec eulx, comme il appert
par les ditz contractz, et, ce fait, envoyent iceulx juyfz ou nouveaux chrestiens, par-delà
les dites espéceries ou marchandises par-delà, ès mains des ditz nouveaulx chrestiens
par-delà, lesquelz les vendent à leur appétit, au très grand grief des marchands de pardelà et du bien publicque, de sorte que auparavant le dit monopole, l’’on souloit avoir les
dites espéceries la moictié meillieur marchié que l’’on a à présent.
Et, qui pis est, quant les ditz nouveaulx chrestiens, qui n’’ont pas ung piet de terre
par-delà, ont fait grand et inextimable gaing par-delà, ilz s’’en vont et emportent avecq
eulx grande quantité des biens, comme en argent comptant, par lettres de change, que
autrement, en Turquie, et aultres pays, etc.
Par quoy, actendu que selon le dernier contract, fait en novembre dernier avecq
le dit roy de Portingal, les dites espéceries sont tous, assçavoir les poivres, ès mains des
ditz juyfs ou nouveaulx chrestiens, et les drogueries ès mains de deux autres marchans,
par égale portion, chargiez par eulx pour les mener par-delà, valissant deux ou trois
cens mille ducatz, il fault avoir sur ce bon advis, actendu que, selon le contenu des dites
ordonnances et status, les dites marchandises sont tous confisquez.
Et pour manier cest affaire de bonne sorte, actendu que c’’est une matière de
grande importance et conséquence, et qu’’il touche à la Majesté Impériale, aux marchans
et bien publicque, et aussi la ville d’’Anvers, il semble que la Royne Régente, etc., doit sur
ce faire assembler son Conseil d’’Estat, aucuns du Privé Conseil, deux ou trois du Grand
Conseil de Malines, deux ou trois du Conseil de Brabant et de Flandres, y appelle ceulx
des Finances, en présence de Sa Majesté, pour résoudre et conclure ce qu’’il sera de faire
en ceste matière.
Et au surplus, actendu que le Procureur Général de Brabant ait tant affaire ès
causes fiscales qu’’il ne pourroit journellement vaquer en ceste ou semblables matières,
circonstances et deppendences d’’icelle, actendu aussi qu’’il n’’a substituyt, sera besoing
commectre quelque personnaige expert pour prendre informacion sur l’’entretenement
des dites ordonnances et status, mesmement aussi pour prendre tous aultres
informacions précédentes par ordonnance de la dite Royne, de ses conseilx, Finances et
Chambres des Comptes, lequel aura povoir et puissance, en l’’absence du dit Procureur
Général, faire toutes les choses que à ung procureur général de Brabant appartient, et
sur ce luy faiure expédier lettres de commission.
Cette nouvelle affaire suscite un immense émoi dans la communauté des
négociants d’’Anvers, qui inquiète des répercussions financières de la faillite éventuelle
de Fernandez, résista à fournir les informations demandées, certains marchands menaçant
de partir de la ville, beaucoup se faisant délivrer des attestations d’’orthodoxie par des
prêtres. Le magistrat de la ville souligne la complète illégalité du comportement des
procureurs de la reine : « Anthoine Fernandes a esté et est, par tant de temps, tenu et
amené prisonnier hors du pays, et mal et sans droict et justice traicté et mis, par deux
16
fois à torture, sans loy ou jugement ; semblablement ses serviteurs et servante ; son
comptoir et secretz sont ouverts et visités en l’’absence et sans le sceu des officiers et
justice de la ville d’’Anvers ; demain ou après demain, on pourrait nous faire le
semblable. »46 L’’affaire a été réglée par lettre décision du Conseil secret du 5 octobre
1535, craignant que le départ des nouveaux chrétiens n’’ait des conséquences
commerciales désastreuses –– « le retirement des marchans entraînerait une perte,
dommage et intérest perpétuel, inestimable et irréparable »-, laissant aux marchands
d’’Anvers leurs anciens privilèges, libérant Fernandez mais maintenant en prison sa
Moresse47.
La même année 1535, la conquête du royaume de Tunis par Charles-Quint conduit
également à une expulsion des Juifs de Tunisie48.
Le succès de l’’expédition en Afrique du Nord, les préparatifs d’’une grande
expédition contre les Turcs, et sur le plan interne des Pays-Bas l’’écrasement des
anabaptistes et à l’’affaiblissement du luthérianisme, amènent l’’empereur à relâcher la
pression : par lettre du 27 février 1537 de Bruxelles, suite à une requête présentée par les
nouveaux chrétiens le 15 février, il autorise les nouveaux chrétiens à s’’installer à Anvers
et aux Pays-Bas avec leurs familles et leurs biens, et à jouir de tous les droits des
marchands, libres d’’aller et venir et sans pouvoir être poursuivis hors du lieu de leur
résidence.
Doc. 7- Lettres de l’’Empereur permettant aux nouveaux chrétiens du royaume de
Portugal de venir se fixer à Anvers et dans les autres villes des Pays Bas, en y
jouissant de tous les droits, libertés et franchises dont jouissent les marchands
étrangers49
« De la part des nouveaulx chrestiens du royaulme de Portugal nous a esté remonstré
comment ilz désirent doresenavant résider et demourer, hanter et converser [en] noz
pays de pardeçà et mesmement en nostre ville d’’Anvers, en payant les tonlieux et autres
droiz accoustumez, ce qu’’ilz n’’oseroient bonnement faire ne attempter obstant certain
edict et deffence de par nous faicte50, contenant que nulz nouveaulx chrestiens ne
pourront venir ne résider en nosdicts pays de pardeçà sans saulfconduyt, lequel edict
toutesfoiz leur semble qu’’il se doibve entendre des nouveaulx chrestiens que se
vouldroient transporter en Salonicque ou autre part pour apostazyer de la saincte foy
catholicque, et ne seroit vraysemblablement à entendre des bons chrestiens nouveaulx
qui désirent vivre comme bons et vrays chrestiens baptisez sont tenuz de faire, sans
nostre congié et licence…… » et leur donne « congié et licence de grace espéciale par ces
46
BAA, VII, 343, 2 Septembre 1535, Mémoire du magistrat à la reine Marie de Hongrie.
47
Bulletin des Archives d’’Anvers, VII, pp. 251, 254, 257, 265, 271-273, 281-285, 289, 293, 310, 305,
330-334, 423.
48
Abitbol, p. 91.
49
Liste chronologique des édits et ordonnances de Charles V, 27 février 1536 (vieux style) Recueil des
ordonnances des Pays-Bas, 2e série- 1506-1700, t. IV, par MM. J. Lameere et H. Simont, Bruxelles, J.
Gomaere, Imprimeur du Roi, 1907, pp. 10-12; AGR Audience 1177/2 : l’’édition imprimée omet la
titulature qui se trouve dans l’’original des AGR.
50
T. III, p. 343, 14 août 1532
17
présentes, que doresenavant ilz puyssent et pourront librement et franchement avecq
leurs femmes, enffans, serviteurs, familles, biens, denrées, marchandises, bagues, joyaulx
et meubles quelzconcques ainsi que bon leur semblera venir demourer, hanter et
fréquenter nostredicte ville d’’Anvers ou autres villes de nosdicts pays de pardeçà, et y
user de tous tels droiz, libertez et franchises dont usent autres marchans estrangiers,
parmy payant les thonlieux et autres débites telz que lesdicts marchans estrangiers sont
accoustumez de payer »……
27 février 1537.
5. Reprise des poursuites contre les nouveaux chrétiens (1538). Affaire
Mendès (deuxième épisode, 1543-45) 51
Cette décision n’’a donné qu’’un répit de courte durée à la communauté nouvelle
chrétienne. Dès le 18 juillet 1538, de Bruxelles, Marie de Hongrie ordonnait à Guillaume
van Lare d’’arrêter les nouveaux chrétiens qui se seraient hasardés hors d’’Anvers pour se
transporter en Turquie52. Le commissaire désigné paiera son salaire sur l’’argent
confisqué aux nouveaux chrétiens:
«Comme il soit venu à la congnoissance de la royne douaigière de Honguerie, de
Bohême, etc., régente et gouvernante pour l’’Empereur en ses pays de pardeçà, qui puis
aucuns jours en çà pluisieurs nouveaulx chrétiens se seroient secrètement absentez du
royaulme de Portugal et arrivez en la ville d’’Anvers, à intencion de fainctement et par
dissimulacion eulx transporter et aller résider en Salonicque et ailleurs sous
l’’obéyssance du Turcq, où les juyfs tiennent leur demeure, pour appostazer de la saincte
foy catholicque, enfraindant par ce tel saulf conduit qu’’ilz pourroient alléguer avoir
obtenu de Sa Majesté», commet «Guillaume de Lare, porteur des présentes, soy
transporter et tenir en tous lieux où que besoing sera pour arrester, prendre et
appréhender tous et quelzconques lesditz nouveaulx chrestiens»…… «il aura d’’autant le
jour qu’’il affermera y avoir esté occupé trente solz, de deux groz monnoie de Flandres le
solt, par chacun jour, à en estre payé des deniers que viendront des amendes et
confiscacions desdits nouveaulx chrestiens, non autrement…… »53
En janvier 1540, cent marranes portugais, parmi les plus pauvres, cordonniers,
drapiers ou merciers, apportant vaisselle et linge, les ducats restants cousus dans la
doublure de leurs habits, débarqués en Zélande, sont arrêtéset sévèrement interrogés sur
la foi par le receveur, probablement terrorisés, incapables de fournir de caution, et
finalement relâchés54.
51
Voir pour toute cette affaire, Léon Voet, Antwerp, the Golden Age, Mercatorfonds, Anvers, 1973, pp.
266-269, renvoyant à J. A. Goris, Turksche kooplieden te Antwerpen in de XVIe eeuw, Bijdragen tot
de Geschiedenis, 1922 ; et J.A. Goris, Etudes sur les colonies marchandes méridionales à Anvers,
1477-1567, Louvain, Librairie Universitaire, 1925, pp. 556-577; P. Génard, « Poursuites judiciaires à
Anvers pour « faict de religion » », Bulletin des Archives d’’Anvers, t. VII, p. 205 ; cf. P. Fredericq,
Corpus documentorum Inquisitionis pravitatis Neerlandicæ, Gand, 1902-1906 ; Kalkoff, Die Anfänge
der Gegenreformation, Halle, 1903.
52
Liste chronologique des édits et ordonnances de Charles V, 18 juillet 1538.
53
AGR Audience 1158, publié dans Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e série- 1506-1700, t. IV,
par MM. J. Lameere et H. Simont, Bruxelles, J. Gomaere, Imprimeur du Roi, 1907, p. 77.
54
AGR, Audience 11772 A, f° 63 sq : « En la ville de Middlebourg les xve et xvie jours de mars xvcxl
pardevãt le gentmaister assisté de l’’advocat sistat du grant conseil …… et deux interprétateurs entendans
18
Le 16 décembre 1540, de Valenciennes, Charles Quint tout en confirmant les
dispositions de 1537, publie un édit défendant aux nouveaux chrétiens l’’entrée des PaysBas, et une Ordonnance enjoignant à l’’écoutète et au margrave d’’Anvers de se faire
dénoncer les juifs et ceux qui vivent selon les rites de la religion israélite : « ordonnant
très sévèrement de notre part que tous ceux qui connaissent des personnes vivant comme
des juifs, entretenant leurs cérémonies ou observant le sabbat des juifs, seront tenus de
les dénoncer et signaler à vous-même ou au bourgmestre de la ville d’’Anvers, sous peine
d’’être considérés comme faulteurs et réceptateurs des juifs et seront punis et corrigés
comme tels » (en thiois)55 ; ces dispositions seront reconfirmées par une lettre de
l’’empereur du 12 juillet 1542 au margrave d’’Anvers56.
Le 30 septembre 1541, du magistrat d’’Anvers envoie une requête à l’’évêque
d’’Arras, Granvelle -« avertance de ce que porte information de ceulx de la loy d’’Anvers,
endroict du faict des nouveaulx Chrestiens, estans venuz du royaulme de Portugal à
négocier et résider en la ville d’’Anvers, ensemble leur advis en cest endroit »57- où il fait
observer qu’’à « débouter [les nouveaux chrétiens] de l’’hantise, commerce et
fréquentation des chrestiens, car ne pouvans négocier, hanter ne fréquenter ès pays de
chrétiens, ne avecques chrestiens, ne faict à doubter que de ce ne prennissent occasion
de prendre ailleurs leur refuge et soy transporter en Salonique, Turquie ou aultre pays
infidelz, où que l’’on les vouldroit recepvoir et admectre ». Ainsi les négociants résistent
à l’’expulsion des nouveaux chrestiens, qui font la fortune de la ville : « que n’’y ayt aussy
aultre considéracion pour laquelle deussent faire ladicte retraicte d’’icy, au moins vers
Salonicque, Turcquie ou ailleurs hors de Chrestienneté, là où, comme qu’’ilz disent, ilz
n’’ont ne père, ne mère, ne frère, ne parent, ne alié, ne aultruy au monde, qui les
apertient de riens, ains que ont ceulx-là demourans et résidens en Portugal, leurs
respondans en faict et traficque de marchandise et négociation, envoyans les ungz aux
aultres et reçoivans réciproquement les marchandises, dont ont de besoings et que
servent pour l’’ung pays et l’’aultre. Et comme ilz disent avoir leurs ngéoces et affaires de
leur train, dispers par tout le monde en plusieurs lieux d’’Espaigne, Civilia58,
Calismalis59, Corduba et de Portugal, comme Lixbonne et Algerbe, par toutes les Indes
et toutz autres pais du monde, où que peuvent négocier, hanter et fréquenter librement et
franchement, comme toutz aultres marchans estrangiers, comme une fois l’’on scet qu’’ilz
font de très grandes affaires et traicte de marchandise…… »
les langaiges portugaloix franchois et thiois ont esté examinés les personnes qui s’’ensuivent et ont
respondu cõme il s’’ensuyt. »
55
Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e série- 1506-1700, t. IV, par MM. J. Lameere et H. Simont,
Bruxelles, J. Gomaere, Imprimeur du Roi, 1907 ; [Bulletin des Archives d’’Anvers, II, p. 224 sq. Ernest
Ginsburger, « Marie de Hongrie, Charles Quint, les veuves Mendès et les néo-chrétiens », Revue des
Etudes Juives, t. DXXXIII, pp. 179-191
56
Bulletin des Archives d’’Anvers, II, p. 225.
57
Ullmann, Histoire des juifs en Belgique, pp. 44-57.
58
Séville.
59
Cadix.
19
Doc. 8- Lettre de l’’empereur à Marie de Hongrie, juillet 1542, Monzon60
Madame ma bonne sœœur,
Je vous ay nagaires faict envoyer les doubles et extraitz autentiques des examens
et responses d’’aulcuns nouveaulx chrestiens qui estoient venuz d’’Anvers en Italie, en
intention, comme ilz ont confessé de passer en Turquie, et ont esté détenuz à Milan,
Pavie et Veneglano et interrogiez par Jean Wuystinck, substitut de Messire Cornille
Sceppers, commissaire principal, et les officiers desdits lieux, par lesquelles confessions
ilz chargent aulcuns que sont à Anvers d’’induire les aultres à aler en Salonique et à ce
leur donner les moïens et assister d’’argent. Et combien que je ne doubte vous les aurez
fait veoir et visiter et en aurez usé conforme à la raison et mon intention, de laquelle
oultre la démonstration que j’’en feiz estant par-delà vous ay souvent adverty par lettres,
touttefois estant la chose de telle qualité et tant importante à nostre sainte foy, et le bien
de mes païz, vous en ay bien volu escripre derechief, et vous prier et recommander très
affectueusement que vous faictes procéder contre les suspects selon l’’exigence et comme
vous trouverez par la vision des dites pièces au cas appartenir, comme chose estant de
ceste qualité et tant emportante.
Au marcgrave d’’Anvers,
Cher et féal, avant notre partement de par delà, nous avons fait advertir de notre
intention touchant les procédures que avons ordonné estre faictes contre les nouveaulx
crestiens résidens en nostre ville d’’Anvers observans les cérémonies de la loi judaïque.
Et pour ce que depuis nostre dict partement, elles ne se sont continuées, comme l’’avions
ordonné, et que entendons journellement la persévérance et que plusieurs soubs umbre
d’’aller à Ferrare ou Venise et aultres costez passent en Turquie induitz et assistez par
aultres de la mesme secte, faisant leur résidence audit Anvers qu’’est chose très
préjudiciable à nostre sainte foy et république crestienne et très dommageable et
pernicieuse pour noz pays tant généralement que particulièrement, désirans à ce
pourveoir, et affin que aultre plus grant mouvement ne s’’en ensuive, avons nagaires
escript à la royne douhagière d’’Hongrie, de Bohème, régente, etc. , ma dame nostre
bonne seur, qu’’elle se feit informer de ce que dessus et présentement luy escripvons
qu’’elle face veoir en conseil les doubles et extraits authenticques des examens et
confessions d’’aulcuns de la mesme secte nagaires détenuz et interroguez à Milan, Pavie
et Viglenano, et de faire procéder contre les coulpables comme elle cognoistra le cas de
requérir. A quoy vous ordonnons très expressément et à certes et une fois pour toutes
faire tout debvoir, en obéissant pleinement et entièrement à tout ce que nostre dicte sœœur
en mandera et ordonnera et de manier que tous coulpables et délinquans soient puniz et
chastiez selon l’’exigence des dits cas. Et que en ce il n’’y eust faulte. Et encoires le vous
recommandons très à certes. A tant, etc .
De Montzon, le xije de juillet 1542
Mendès cherche à gagner du temps : en 1540-41, il négocie avec le légat du pape
pour obtenir le renvoi de la création de l’’Inquisition au Portugal, mais ne veut verser
qu’’un accompte de 30.000 ducats, la somme totale ne devant être versée qu’’au résultat61.
En 1542, aux côtés de la nation génoise à Anvers, il contribue à un prêt de 219.800 livres
1 sol à Marie de Hongrie « pour emploier en ses urgens affaires et mesmes au payement
60
AGR, Audience 53, f° 209; reproduit par J. Reznik, Le duc Joseph de Naxos, 1936, p. 235
61
Herculano, Historia da Origem e estabelecimento da Inquisição em Portugal, t. II, p. 174.
Grunebaum-Ballin, Joseph Naci, duc de Naxos, Paris-La Haye, Mouton, 1968
20
des gens de guerre de cheval et de pied estans lors à la deffence desdist pays contre la
France »62.
En fait, l’’étau se resserre : en 1542, Ferdinand de Habsbourg ordonne l’’expulsion
des juifs de Bohème qui se réfugient en Pologne63.
Quand Diego Mendès meurt en 1543, il laisse sa fortune à sa veuve Brianda,
épousée en 1539, et désigne comme exécuteur testamentaire sa belle-sœœur, Béatrice64,
veuve de . de son frère Francesco Mendès, recueilli sa veuve, Béatrice de Luna, fortunée,
venue du Portugal avec les membres de sa famille, dont sa fille Reyna. L’’empereur veut
faire saisir ses biens, ce que Béatrice prévient moyennant le versement de 40.000 ducats,
mais Marie de Hongrie impose un prêt forcé à la maison de 200.000 florins.
Charles Quint intervient aussi auprès de Marie de Hongrie, pour qu’’elle demande
le mariage d’’un certain Francisco d’’Aragon, soi-disant bâtard de la maison d’’Aragon, qui
avait promis 200.000 ducats à l’’empereur, avec la fille de Mendès : « en considération du
service qu’’il m’’a fait desçà por longtemps et aussi à l’’impératrice de bonne mémoire
avec laquelle il vint en Espaigne »65. La reine Marie refuse toutefois d’’intervenir en
faveur de Francisco d’’Aragon, et Charles Quint se rallie à sa sœœur : « Je n’’ay jamais
entendu ny désirez que assistez en cette affaire synon avec dehue honnesteté et sans user
de nulle espèce de contraincte desraisonnable »66.
Les deux sœœurs quittent Anvers, sous couvert de se rendre aux bains d’’Aix-laChapelle, laissant partie de leurs biens dans leur maison, mais poursuivent leur route par
Lyon vers Venise ; elles auraient liquidé leurs créances, et emporté plus de six cent mille
ducats dans des coffres de grande dimension67. Quand le pot aux roses est découvert, la
famille est loin, à Venise- leurs biens restés à Anvers sont saisis. Un convoi de marranes
se rendant des Pays Bas vers l’’Italie pour aller en Turquie est arrêté à Colmar le 7 mai
1545, et avoue avoir été aidé dans son départ par Béatrice de Luna68.
La suite est bien connue. Juan Micas (Johannes Miquez, Micques, plus tard
Joseph Nassi), né vers 1524, étudiant à Louvain en 1542, fils d’’un médecin de Lisbonne
et neveu des dames de Luna ; interviendra auprès de Marie de Hongrie, en 1546, comme
facteur des dames Mendès, proposant de dédommager la reine en échange de la levée des
séquestres sur les biens des sœœurs, qui « n’’estoyent estymées autres que bonnes
crestiennes » mais portugaises et avaient bien droit de changer de domicile- «et si elles
62
ADN B 2430 (registre 1542).
63
Joseph Ha-Cohen, La vallée des pleurs, p. 123.
64
Testament du 28 juin 1543 devant le notaire Guillaume Stricht à Anvers dans Bulletin des Archives
d’’Anvers, t. VII, pp. 252-253.
65
Lettre de Spire, du 28 avril 1544, AGR, t. VII., cf. Ulmann ; ceci laisse entendre que ledit Aragon était
Portugais.
66
Lettre de l’’empereur à Marie de Hongrie, Spire, 25 mai 1544.
67
Lettres de l’’ambassadeur Navagero des 5 septembre et 21 octobre 1545, Venise, Biblioteca Marciana.
Ernest Ginsburger, « Marie de Hongrie, Charles Quint, les veuves Mendès et les néo-chrétiens »,
Revue des Etudes Juives, t. DXXXIII, pp. 179-191 ; cf. Mme Fernand Halphen, « Gracia Mendès »,
Revue de Paris, 1er septembre 1929.
68
Ernest Ginsburger, Revue des Etudes Juives, t. DXXXIII, p. 56.
21
avoient failly d’’estre retirées secrètement d’’Anvers –– ce qu’’elles pensoient leur estre
loisible –– que la faulte n’’estoit si grande que pour ce tous leurs biens debvoient leur
estre confisquez » « que semblait estrange à tout le monde de prendre les biens d’’un
marchand qui se retire »69. Quinze lettres sont échangées entre juillet 1546 et juillet 1547
entre l’’empereur et sa sœœur au sujet de l’’affaire. L’’empereur transige pour 30.000 écus le
1er juillet 1546 ; trois coffres sont saisis chez des marchands à Füssen, près d’’Augsbourg,
appartenant aux Mendès, remplis de perles et de doublons d’’or chez des marchands, mais
les sœœurs font saisir les biens de ces marchands à Venise, et l’’archevêque d’’Augsbourg
intervient auprès de l’’empereur en leur faveur . La reine refuse d’’appliquer la transaction,
et exige la comparution des fuyardes, écrivant le 16 juillet 1546 que le montant des
créances et biens appartenant aux sœœurs est bien supérieur à ce que Micas a proposé. Sur
l’’insistance de Marie, Micas propose une transaction sous forme d’’un prêt sans frais de
200.000 livres, contre la cessation des poursuites et des lettres de pardon. L’’empereur
refuse le compromis –– « je ne puys pardonner pour estre chose attachant à la foy »- et
Micas part sans rien obtenir. Une lettre de change est tirée sur les biens confisqués aux
héritiers de Diego Mendès, en septembre 1548, depuis Valladolid, pour 90.000 livres
destinés au grand écuyer de Boussu le 21 octobre à Anvers, suivi d’’un nouveau prêt
garanti de 60.000 écus sur la place de Ratisbonne70.
Les sœœurs Mendès, à Venise, se présentent sous le nom de Luna comme
chrétiennes, et engagent des procès pour se partager l’’héritage de leurs défunts se
montant à plus de 10.000 ducats en plus de bijoux personnels ; elles quittent Venise en
1552, grâce à l’’intervention de çavuú Hüseyin puis Sinan, envoyés les réclamer à la
demande de Amon de Luna, alias Moses Hamon, médecin personnel de Soliman, qui
aurait souhaité marié un de ses fils à une héritière Mendès71.
6. L’expulsion des nouveaux chrétiens
Les persécutions contre les juifs et nouveaux chrétiens se poursuivent : en janvier
1545, l’’empereur adopte une ordonnance d’’expulsion des juifs de Gueldre et Zutphen72.
Les persécutions au Portugal amènent de nouveaux convois de nouveaux chrétiens
aux Pays-Bas.
Marie de Hongrie écrit à l’’empereur, le 2 juin 1547 de Tornhout73 :
«Journalement arrivent en Anvers grant nombre de nouvaux crestiens venans de
Portugal, qui petit à petit se retirent par divers quartiers. Et ne sçay comment y
69
Lettre de Marie de Hongrie du 6 avril 1546 à Charles Quint.
70
Carande, Carlos V y sus Banqueros, 460, 487-488:
71
Maria Pia Pedani, In Nome del Gran Signore, Inviati Ottomani a Venezia dalla Caduta di
Costantinopoli alla Guerra di Candia, Venise, Deputazione Editrice, 1994, pp. 153-159, citant
Milano, Storia degli Ebrei, et Kellebenz, I Mendes. Lettre de Soliman au doge de Venise dans
Mühimme Defteri de 1552, Uriel Heyd, « Moses Hamon, Chief Jewish Physician to Sultan Süleyman
the Magnificent », Oriens, 16 (1963), p. 159. Graetz, Geschichte des Juden, IX, p. 366 ; P.
Grunebaum- Ballin, Josef Naci, duc de Naxos, Paris, 1969.
72
Extrait des Grands Livres de Placards de Gueldre et Zutphan, vol. 1, f° 16, reproduit par J. Reznik, op.
cit., pp. 238-239.
73
AGR, Audience 59, f° 160 (et non 109); reproduit par J. Reznik, Le duc Joseph de Naxos, 1936, p.
70, fn. 6
22
remédier, car quand on les appréhendt, ilz se disent crestiens sans que on les sceit
convaincre de quelque délict, sinon de leur fuyte de Portugal, pour laquelle excuse
allèguent diverses raisons. Et quand on en parle au facteur de Portugal, il dit n’’avoir
charge de les poursuyvre ou charger, et si est à craindre qu’’ilz se retirent quelque part
pour laisser la foy cristienne. » A quoi l’’empereur répond tout simplement le 20 juin :
« Quant aux nouveaux crestiens qui viennent journellement de Portugal et se retirent
par-delà, il sera bien que y faictes prendre bon regard…… » 74
Début juillet 154775, Marie de Hongrie revient sur le sujet : «Quant aux nouveaux
crestiens qui viennent journellement de Portugal en Anvers, ilz passent continuelement
dudit Anvers en France et de là (comme l’’on dict) vers Ferrare, sans que scet riens
alléguer contre iceulx, en tant qu’’ilz se dient bons cristiens et sçavent généralement
respondre de la foy cristiene, combien que la présumtion soit grande que ilz ne se
retirent dudit Portugal en si grand nombre, sans estre grandement suspectz. Et quand on
les interroge pourquoy ilz se retirent, disent qu’’ilz le font pour avoir meilleure
commodité de vivre, non sachans gaigner leur vie audit Portugal, que n’’est
vraysemblable. J’’en ay par ci-devant fait parler avecq le facteur de Portugal pour y
remédier, mesmes que si le roy de Portugal vouloit défendre leur partement de Portugal
et pourvoir par publication que on se conformeroit de ce costé, mais il n’’estoit de cest
avis, et luy sembloit que on les debvoit laisser convenir et que si par bonne manière on
les sçavoit faire demourer par-dechà que se fust esté bien fait, pour le prouffit que le
pays en recepvroit, parce que sont gens industrieux. Ceulx d’’Anvers se sont doulus de
grant nombre qui y arrive et quant je leur ay demandé advis pour y pourveoir, ils
désiroient que on leur eust accordé certain lieu vage où ilz ont ragrandi la ville pour
illecq édifier et povoir demourer en portant une marcque comme font les Juifz en
Allemaigne, ce que je ne trouvay raisonable, car s’’ilz sont Juifz Vostre Majesté ne les
vouldroit tollérer en voz pays mesmes les avoir fait retirer de Geldres, et s’’ilz estoient
cristiens, on leur feroit tort faire porter marcque.
Monseigneur, il y a grande présumption contre eulx qui sont vrays Juifz, qui petit
à petit se retirent vers la Salonicque, oires que on ne les scet convaincre et pour y
pourveoir ne voye autre remède que entièrement leur défendre la hantize de vos pays.
Mais en ce faisant est à craindre que la négociation de voz pays diminuera en tant que
aulcun d’’eulx font grand train de marchandise. Votre Majesté me pourra commander
son bon plaisir…… »
Doc. 9 - Lettre de l’’empereur à Marie de Hongrie, 18 octobre 1547, Augsbourg76
Madame ma bonne seur, j’’ay tousjours délaissé de respondre à plusieurs voz
lettres et mesmes des xj, xvije de juillet et xviije du mois passé……
Quant aux nouveaulx chrestiens qui arrivent journellement en Anvers, il me
semble que debvriez user comme le roy de Portugal et les laisser passer sans permettre
le séjour audit Anvers si vous n’’avez raison ou occasion au contraire pour laquelle vous
semble que l’’on deust user autrement dont me pourez advertir et que l’’on tienne
74
AGR, Audience 59, f° 175.
75
AGR, Audience 59, f° 192-193 (et non 187); reproduit par J. Reznik, Le duc Joseph de Naxos, 1936,
p. 70-72, fn. 6
76
AGR, Audience 59, f° 221 et 224; reproduit par J. Reznik, Le duc Joseph de Naxos, 1936, p. 236 ;
voir aussi réponse de Marie de Hongrie, du 31 octobre 1547, AGR, audience 59 f° 229 ; nouvelle
lettre de l’’empereur de mars 1548, AGR, Audience, 60, f° 11, toutes deux reproduites dans Reznik,
op. cit., 236-237.
23
tousjours grande advertance en leur endroit que leur commerce n’’infecte le pays de leurs
dompnables erreurs……
A tant, d’’Augsbourg, le xviij d’’octobre 1547
Doc. 10 - Lettre de Marie de Hongrie à l’’empereur, 22 avril 1548, Bruxelles77
De Bruxelles, le xxije d’’avril 1548,
Monseigneur, estant arrivée le ix de ce mois en ceste ville j’’ay comunicqué à
ceulx du conseil d’’Estat de Vostre Majesté les appostilles que avez fait mectre sur les
mémoires des affaires de voz pays de par dechà pour les faire encheminer et effectuer
suyvant vostre bon plaisir, en quoy on fera tout debvoir possible…….
Quant aux nouveaux chrétiens qui viennent de Portugale en Anvers, je n’’ay sceu
entendre que depuis mon partement de par dechà vers Ausbourg en soyent arrivés
aulcuns en voz pays. Et ceulx qui y estoient arrivez auparavant sont ou la plus part
retirez et ordonneroy aux autres aussy eulx retirer sans en recepvoir nouveaulx et n’’y a
personne qui sert à parler de la rue des Juifz nouvellement faite en Anvers. Vray est que
puis nagaires on fait pluseiurs nouvelles rues et que en aulcuns d’’icelles plusieurs
desdits nouveaux cristiens venus de Portugal ont logé, mais qu’’ilz vivent publiquement
comme juifs, l’’on ne l’’a jamais sceu enfoncher, quelque diligence que on y ayt fait et si
on l’’eust peu prouver on n’’eust fallu de les faire chastier, comme on a fait en Zélande de
plusieurs y appréhendez et exécutés. Et l’’on en a autrefois prins plusieurs à Anvers, mais
parce que on ne les sçavoit convaincre, on a esté constraint les relaxer. Et en ay
autrefois fait parler avecq le facteur de Portugale, résident en Anvers, luy faisant
remonstrer l’’intérest que le roy son maître pouvoit avoir avecq le temps en laissant
partir si grant nombre de gens de son royaulme, pour par son moyen recouvrir preuve de
Portugale de la qualité desdits nouveaulx cristiens, mais il s’’excusa et ne se volut mesler,
disant que si on les ne vouloit laisser passer par yci, trouveroient aultres passages, fust
par France ou Italie. Si ceulx qui ont fait ceste advertence à Vostre Majesté sçavoyent
aulcuns moyen de les convaincre et faire apparoir qu’’ilz sont juifz ou vivent à la mode de
juifz, en advertissant je feray faire tout debvoir possible pour les faire chastier, mais
pour ce que extérieurement ilz vivent comme aultres cristiens et inerrogez de la foy
sçavent très bien respondre à propoz, les juges ne les veullent condempner sur les
suspicions que on a qu’’ilz se retirent de Portugale pour tirer quelque part pour laisser la
foy et vivre à la judaisque……
Le 15 juillet 1549, dans une ordonnance adoptée à Gand, l’’empereur révoque les
privilèges accordés aux nouveaux chrétiens et met en demeure ceux qui sont venus aux
Pays Bas depuis six ans, de partir dans le mois qui suit : « différentes personnes, qui se
disent être des nouveaux chrétiens, en invoquant la qualité de commerçant ou autre…… en
étant toutesfois pour la plupart des Juifs et marranes, alors que les autres retombent
petit à petit dans leur croyance juive, entetenant dans leurs habitations le sabbat et
d’’autres cérémonies juives, tellement secrètement qu’’il n’’est pas possible de le constater
et de le vérifier, si grands soient les suspicions ou les indices, et qui sont remarqués
d’’autant moins que d’’autre part elles font profesion de foi chrétienne, de même que
l’’expérience a montré plus d’’une fois que beaucoup d’’entre elles, qu’’on considérait
comme de bons chrétiens, après avoir résidé longtemps dans nos pays d’’outre frontières,
et y avoir amassé or et argent, ont quitté ces pays prénommés et ont fixé leur demeure à
77
AGR, Audience 60, f° 41 et 46 v°-47 r°; reproduit par J. Reznik, Le duc Joseph de Naxos, 1936, p.
237-238 ; voir également lettres du 3 mai 1548, ibid. f° 47, et réponses de l’’empereur, des 7 et 16 mai
1548, ibid. f° 62 et 67, Reznik, op. cit. p. 238.
24
Salonique et en d’’autres lieux hors du royaume chrétien, où ils ont vécu publiquement
comme des juifs, après donc s’’être soustrait aux pays prénommés et avoir dérobé
secrètement et ouvertement les biens prénommés aux pays chrétiens…… »78
Une autre ordonnance du 30 mai 1550 réitère les mêmes injonctions79. Les
derniers nouveaux chrétiens habitant Anvers quittent la ville pour Ferrare……
*
*
*
Ainsi, en vingt ans, l’’on est passé d’’une tolérance limitée par la crainte de
l’’espionnage contrebalancée par des intérêts purement commerciaux à une persécution
purement idéologique, quand les premières accusations n’’ont pu être étayées d’’aucune
preuve concrète. La Contre Réforme était en route... Les nouveaux chrétiens retrouveront
dans l’’Empire ottoman leurs libertés religieuses.
78
79
Texte néerlandais et traduction française dans Ullmann, Histoire des juifs en Belgique, pp. 64-66, qui
transcrit non pas Salonicque mais « Salamancque », ce qui ne fait pas de sens.
Ullmann, Histoire des juifs en Belgique, pp. 66-68.
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