L`IMAGE DE LA ROME ANTIQUE DANS L`ANGLETERRE ANGLO
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L`IMAGE DE LA ROME ANTIQUE DANS L`ANGLETERRE ANGLO
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) École doctorale 1, Mondes antiques et médiévaux Yann COZ L'IMAGE DE LA ROME ANTIQUE DANS L'ANGLETERRE ANGLO-SAXONNE (VIIème SIECLE-1066) Thèse pour obtenir le grade de docteur (nouveau régime) de l'université de Paris-Sorbonne (Paris IV) soutenue publiquement le 24 novembre 2007 Directeur de thèse : Michel SOT Jury composé de : Bruno JUDIC Frédérique LACHAUD Stéphane LEBECQ Rosalind LOVE Position de thèse d'histoire médiévale Yann Coz, Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), « L'image de la Rome antique dans l'Angleterre anglo-saxonne (VIIème siècle-1066) » Les Anglo-Saxons entretinrent avec Rome un rapport profond et durable, et ce, dès l'envoi par le pape Grégoire le Grand des missionnaires derrière Augustin. La force de ce lien peut surprendre, s'agissant d'une île que l'administration romaine avait abandonnée au début du V ème siècle : les peuples germaniques qui s'installèrent ne purent se présenter comme les héritiers naturels de l'Empire. Ce titre revenait plutôt aux Bretons, et les défaites qu'ils subirent contre les nouveaux arrivants n'étaient a priori pas de nature à favoriser l'imitatio imperii. L'objet de ce travail est d'étudier cette perception du passé romain et des événements qui s'étaient déroulés aussi bien dans l'île que dans le reste de l'orbis romanus, afin d'en cerner les évolutions. Pour pour ce faire, nous recourrons aux sources les plus diverses : textes historiques et hagiographiques, rédigés en latin ou en vieil-anglais, mais aussi, pour l'analyse de l'utilisation politique de la romanité, diplômes et pièces de monnaie et, de manière générale, tout document susceptible de nous éclairer sur cette perception de la Rome antique. Ce travail est également une synthèse des nombreux travaux produits par les spécialistes de l'Angleterre anglo-saxonne, souvent mal connus en France. La première partie est consacrée à l'héritage de l'Antiquité et à la forme qu'il prit entre les IVème et VIIème siècle, aussi bien dans l'historiographie que dans l'enseignement de la grammaire et de la littérature : l'un des axes de recherche est en effet l'étude de l'apprentissage de la langue et de la culture latine, dont nous pouvons supposer – car en la matière rien n'est démontrable – qu'elles avaient un impact durable sur les élèves. Par l'accent qu'ils mettaient sur l'Énéide, considérée comme une histoire de Rome, les grammairiens transmettaient une masse d'informations relatives à ce passé, qui ne se limitaient pas au cadre géographique italien mais incluaient aussi bien Carthage que Troie dans l'imaginaire romain. De la même manière, les historiens chrétiens les plus influents, comme Eusèbe et ses traducteurs ainsi qu'Orose, ne rédigèrent pas des histoires romaines, bien que l'Vrbs y tienne un rôle essentiel, mais des histoires du monde qui faisaient une large place à l'Orient. L'île de Bretagne avait aussi une histoire particulière et une monumentalité propre ; le souvenir de l'époque romaine y était transmis par les peuples bretons, dont certains au moins se considéraient comme les héritiers des Romains. Aussi, avant même leur conversion, les Anglo-Saxons étaient-ils entrés en contact avec des objets romains et le dernier chapitre de cette partie vise à présenter succintement ce que nous savons de la réutilisation d'objets et de monuments romains à l'époque païenne mais aussi après la conversion. Lorsqu'ils adoptèrent le christianisme, mais aussi un ensemble de procédures d'administration complexes (écriture, monnaie, codes de loi...), les Anglo-Saxons se tournèrent naturellement vers le modèle romain qui était dans de nombreux domaines le seul disponible : les pratiques mérovingiennes se situaient dans la continuité des traditions impériales – le premier objet monétiforme romanisant est le médaillon de l'évêque mérovingien Liudhard – et seuls les Irlandais s'en éloignaient parfois. Cette romanisation fut très profonde dans les premières décennies du VIIème siècle, parfois même un peu avant ; plusieurs rois recoururent à des symboles romains pour accroître leur légitimité par référence à l'Empire, un phénomène utilisé par les missionnaires. Toutefois cette symbolique ne s'exprima pas à travers l'urbanisme puisque les rois ne développèrent pas de capitales sur le modèle romain ou constantinopolitain plus tard, sauf peut-être à Cantorbéry ; ce furent les évêques qui récupérèrent à leur profit les traditions urbaines et, de manière générale, les ecclésiastiques qui promurent l'utilisation de la pierre dans la construction de bâtiments. Toutefois, pour interpréter ces phénomènes, nous sommes très dépendants de l'Histoire ecclésiastique, or il est possible que Bède ait interprété les actions des personnages dans un sens romanisant qu'elles n'avaient pas à l'origine. Le fait qu'il ne parle pas ou peu des autres traditions avec lesquelles les souverains pouvaient et/ou devaient composer pour légitimer et exercer leur pouvoir est un handicap supplémentaire pour l'historien : dans le cas de la Northumbrie par exemple, certaines monnaies révèlent l'existence de fortes traditions culturelles et politiques irlandaises, alors que Bède insiste uniquement sur l'influence religieuse des Scots. Les monnaies qui ne portent en général pas le nom des rois sont de peu d'utilité pour reconstituer les stratégies successives des souverains et la place qu'elles accordaient à la symbolique romaine : dans un premier temps, c'était l'impression générale de romanité que l'on recherchait, plus que l'affirmation du pouvoir d'un souverain précis. Si l'utilisation politique de la symbolique romaine fut ponctuelle, ce qui implique de prendre en compte d'autres traditions, l'attrait pour la Rome apostolique et pontificale fut lui plus constant et est bien connu : de nombreux pèlerins s'y rendaient et les églises consacrées aux saints romains furent particulièrement nombreuses en Angleterre. La nomination de Théodore, originaire de Tarse, comme archevêque de Cantorbéry, et d'Hadrien, un Africain, comme abbé de Saint-Pierre-Saint-Paul, à la fin des années 660, donna un nouvel élan aux études dans l'île. Nous ne savons presque rien de l'enseignement prodigué en Angleterre avant eux, alors que leurs disciples sont nombreux et, pour certains, bien connus. Bien qu'ils aient été très attachés à Rome, leur origine et leur formation conduisirent ces deux savants à transmettre à leurs nombreux élèves de nombreuses traditions orientales, dont beaucoup étaient d'origine romaine mais au sens large de l'Empire romain et non stadtrömisch : plusieurs saints orientaux furent ainsi vénérés en Angleterre. Cette orientation de la culture est également liée à la reprise des traditions grammaticales et historiques romaines par des hommes comme Wynfreth/Boniface et Aldhelm, pour lesquels la maîtrise de la culture romaine était un élément de prestige mais aussi un moyen d'exprimer leur foi en des poèmes savants. L'hagio-géographie que l'on peut reconstituer dans le De uirginitate du second montre qu'il existait bien un intérêt pour les saints liés à la ville de Rome, mais que son œuvre couvre l'ensemble du bassin méditerranéen. Bède s'inscrit lui aussi dans ce phénomène de reprise de la culture antique, en particulier tardo-antique, en composant des poèmes et traités de métrique. Son rapport au passé est cependant très différent, unique même, par l'intérêt qu'il éprouve pour l'histoire antique : les historiens comme Orose étaient déjà connus et étudiés avant lui, mais ni Aldhelm ni Boniface ne semblent avoir tenté de connaître précisément l'Antiquité. Les œuvres du moine de Jarrow donnent l'impression d'un rapport apaisé à ce passé et à cette culture antique, qu'il intègre apparemment sans difficulté dans ses projets. Il ne craint pas de composer des œuvres exégétiques, ni même de faire une place aux royaumes anglosaxons dans l'histoire du monde, aussi bien dans les Chroniques que, bien sûr, dans l'Histoire ecclésiastique. Le De Temporum ratione reconnaît également une légitimité aux traditions anglosaxonnes, par exemple à propos des mois : elles ne sont pas considérées comme inférieures aux autres traditions antiques. L'Angleterre avait avait eu des grands saints, comme en témoignent les deux versions de la Vie de Cuthbert composées par Bède et les nombreux chapitres consacrés aux saints dans l'Histoire ecclésiastique. La greffe de l'histoire romaine sur l'histoire des Angles et des Saxons dans l'Histoire ecclésiastique est aussi un moyen de faire de ces peuples dans leur ensemble les égaux des Anciens, et non plus seulement de laisser quelques individus assimiler le savoir antique et le revendiquer la romanité pour eux seuls. Après Bède, La Northumbrie semble avoir maintenu une tradition d'étude du passé et de la culture antique, si l'on se fie au « catalogue » de la bibliothèque que donne Alcuin dans le poème sur la ville d'York. Entre les VIème et VIIIème siècles, la diversité l'emporte dans l'île : les bibliothèques ne contiennent pas les mêmes œuvres, le rapport à la culture antique varie aussi tant selon les individus que selon les régions. On peut cependant faire apparaître une chronologie commune dans la mesure où les attestations d'utilisation politique de la romanité sont bien plus nombreuses au VIIème siècle qu'au VIIIème. Les modèles romains se font ainsi progressivement moins nombreux sur les pièces. Offa de Mercie semble avoir tenté de renverser cette tendance en utilisant la symbolique romaine pour conforter son pouvoir mal assuré, mais il avait aussi recouru à d'autres traditions, bibliques et germaniques, ce en quoi il ne différait de Charlemagne que par la combinaison de ces éléments. Les troubles du IXème siècle entraînèrent une transformation radicale de ce rapport au passé romain : sous le règne d'Alfred du Wessex (871-899), le manque de savants maîtrisant le latin incita ce roi à promouvoir le vieil-anglais au rang de langue littéraire en traduisant ou faisant traduire diverses œuvres, en particulier la Consolation de Philosophie ; à la même époque, les Histoires contre les païens d'Orose furent traduites et adaptées, tout comme l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais, et on compila la Chronique anglo-saxonne : cette dernière fournit une version « officielle » du passé romain de l'île. La traduction d'Orose offre pour sa part une opportunité unique d'analyser la perception de l'histoire antique par des hommes du Haut Moyen Âge car la traduction en langue vernaculaire impliquait de fournir au lecteur de nombreuses informations qui permettent de comprendre comment cette Antiquité était perçue. Le passé romain ne fut pas promu au rang de modèle, rôle qui incomba à l'histoire anglosaxonne, qui fut exaltée pour promouvoir l'unité du nouveau royaume. Ce retour souhaité à l'époque décrite par Bède demeura un des grands leitmotive de la culture anglo-saxonne des Xème et XIème siècles, bien que le règne d'Alfred puis celui d'Edgar aient à leur tour servi de références. Durant cette période, les rois du Wessex devinrent progressivement rois d'Angleterre en annexant l'ensemble des royaumes autrefois indépendants ; pour définir les fondements de leur pouvoir, ils ne recoururent pas au modèle impérial romain mais d'une part insistèrent sur l'ancienneté de leur lignage, et d'autre part proclamèrent leur domination sur l'île dans un latin « herméneutique », style complexe recourant volontiers aux termes rares, archaïques et grecs, dans lequel les allusions à une antiquité indéfinie n'ont que peu de contenu idéologique. Seules quelques références, en particulier monétaires, laissent entrevoir une utilisation du modèle romain, progressivement remplacé, sous Édouard le Confesseur, par des modèles byzantins exprimant la maiestas royale. Le théologien, hagiographe, grammairien et penseur politique Ælfric semble avoir été le seul auteur à proposer au roi un modèle romain, encore que ces exemples romains soient toujours moins importants dans ses écrits que les exemples bibliques. Le titre impérial des Ottoniens et de leurs successeurs ne fut guère contesté dans l'île : au contraire, il semble avoir été pleinement reconnu. D'une manière générale, les savants anglo-saxons ne s'intéressèrent par la connaissance de la culture antique païenne. Même dans le domaine religieux, où le lien avec Rome demeura très fort, on ne discerne pas de phénomène massif de translations de reliques romaines comme dans l'Empire carolingien : les translations solennelles, parfois appuyées par le roi, concernèrent surtout des saints anglosaxons. Le culte d'Alban, qui aurait pu devenir l'équivalent de saint Denis chez les Francs, n'atteignit jamais ce statut. Il semble que les facteurs politiques aient été prépondérants dans ces évolutions puisque les rois disposaient avec l'Histoire ecclésiastique d'un modèle aussi bien politique que religieux et culturel, qu'ils promurent de concert avec les ecclésiastiques. Cela ne signifie nullement que les traditions romaines aient été méprisées, au contraire : de nombreuses légendes furent intégrées dans la culture vernaculaire et il apparaît dès les VII ème et VIIème siècles que la culture romaine et la culture germanique n'étaient nullement inconciliables.