L׳Agenda 2063 : Cadre global de la
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L׳Agenda 2063 : Cadre global de la
Note de l’IAM Mars 2015 L’Agenda 2063 : Cadre global de la transformation positive de l’Afrique ? Jean-Baptiste HARELIMANA, Président du conseil d’orientation, IAM Introduction Les économies africaines ont enregistré une croissance remarquable depuis la fin des années 90, mais la transformation structurelle demeure difficile à atteindre, avec une désindustrialisation observée dans 38 pays africains entre 1995 et 2012. Les données indiquent que la transformation structurelle n’en est qu’à ses débuts dans la majorité des pays. La question essentielle consiste donc à déterminer si ce bond en avant restera un épisode exceptionnel ou s'il marquera un réel décollage économique de l'Afrique. Après avoir fait le deuil des 50 années (1963-2013) de la post-colonie, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, tout en reconnaissant les succès antérieurs et les défis subsistant, se sont engagés à parvenir à une transformation structurelle à travers un cadre global : l'Agenda 2063. Ils se sont par ailleurs engagés à intégrer ces idéaux et objectifs dans les plans nationaux de développement. L'objectif de l'Agenda 2063 est de planifier et organiser la trajectoire de développement de l'Afrique sur une base endogène et appropriée pour les 50 prochaines années, tirant profit des leçons apprises au cours des 50 dernières années ainsi que de l’expérience des précédents plans continentaux de développement (plan d’action de Lagos, Traité d’Abuja, NEPAD), s'appuyant sur les progrès actuels et tirant parti des opportunités stratégiques qui s’offrent à l’Afrique. L’Afrique, continent marqué par la diversité et l'hétérogénéité de 54 pays, offre un tableau contrasté en termes de développement économique et de richesses en ressources naturelles. C’est ainsi qu’on peut distinguer quatre grands groupes de pays : ceux à économies diversifiées, ceux qui exportent du pétrole, ceux à économies en transition et ceux à économies en pré-transition. Coexistent ainsi plusieurs modèles économiques : le modèle fondé sur les industries minières et pétrolières avec des risques possibles de distorsion, le nouveau modèle d’une agriculture exportatrice très largement diversifiée, le modèle des économies très compétitives à l’échelle mondiale, mais aussi celui des économies stagnantes sans compter les cas restreints d’Etats faillis. Repenser l'exploration d’alternatives aux modèles de développement dominants va parfois de pair avec l'étude de la transformation sociale et économique. Que signifie «transformation» dans les nouveaux débats sur le développement en Afrique et quels sont les déterminants de cette transformation ? Dans quelle mesure l’Union africaine (UA) et ses institutions sont-elles bien préparées à faire une transformation pragmatique nécessaire pour opérer le changement de cap économique ? A l’heure où se profile l’échéance cruciale des objectifs du millénaire, il est temps de revisiter et décortiquer cette stratégie globale qui suscite autant d’attentes qu’elle crée de désillusions, alors que l’Afrique connaît des transformations et des accélérations majeures, et se voit confrontée à de multiples crises. © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM I. Afrique : Une croissance confirmée sans développement La croissance économique africaine impressionne avec l'émergence comme horizon. Depuis 2000, un consensus s’est dégagé quant au potentiel qu’a l’Afrique de devenir le prochain pôle de croissance mondiale. En effet, durant les dix dernières années - et en particulier avant la crise financière mondiale de 2008 - l’Afrique a connu une croissance accélérée. Alors que les taux de croissance sont en berne dans les pays développés et que les économies émergentes connaissent un ralentissement important, l’Afrique affiche des taux de croissance supérieurs à 6% et attire de plus en plus d’acteurs. L’Afrique subsaharienne a ainsi émergé dans la conscience de nombreux pays et toutes les puissances ont adopté une stratégie dans sa direction, de la Chine aux EtatsUnis et au Brésil, en passant par la Russie, l’Inde, le Japon et la Turquie. Les États africains ont également la volonté d’amorcer un réel développement, comme en témoigne les programmes d’émergence en cours dans plusieurs pays (Côte d’Ivoire, Gabon, Cameroun, Sénégal…). La mondialisation y participe au travers : des échanges internationaux matériels et immatériels qui ont explosé, entraînant une compétition elle aussi globale et en partie dématérialisée ; de la nécessité de nouvelles règles du jeu pour les réguler ; et enfin, de la transformation de notre société globale en société de l’information, avec des moyens de communication et d’expression immédiats et planétaires qui induisent des modes de fonctionnement et de décision nouveaux. Nombreux sont en tout cas, au Nord comme au Sud, ceux qui y voient un signe encourageant d’une possibilité d’émergence, qui serait plus rapide si les efforts d’intégration régionale étaient plus soutenus. La dynamique de croissance, qui suscite autant d'espoirs, s'appuie aussi sur deux leviers puissants : l'exploitation des ressources énergétiques et minérales et la croissance de la demande intérieure. En 2013, l’Afrique a connu une croissance de 4 %, supérieure d’un point à la croissance planétaire. La même année, l'Afrique de l’Ouest et de l’Est caracolaient en tête avec une croissance de 6 % ou plus devançant l’Afrique du Nord. L’édition 2014 des Perspectives économiques en Afrique témoigne de l’amélioration constante des conditions économiques et sociales en Afrique de l’Ouest, qui reste la région du continent qui connaît la croissance la plus rapide. Toutefois, le dernier livre de l’économiste-géographe Sylvie Brunel met en garde sur la fragilité d'un développement encore à consolider. Les inégalités sociales fragilisent son développement. Les lignes de faiblesse du continent demeurent : aujourd'hui, la croissance africaine n'est pas durable. En effet, alors qu'à Maputo, en 2003, les chefs d'Etat avaient pris l'engagement de consacrer 10 % de leur budget à l'agriculture, moins de 10 ont respecté leur engagement. L'ampleur des inégalités internes crée des tensions sociales d'autant plus fortes que les réseaux de communication et d'information mettent directement en contact des univers autrefois cloisonnés. Face à cet « afro-optimisme » forgé au gré des rapports stratégiques et études prospectives, Sylvie Brunel rappelle que la croissance économique du continent ne doit pas faire oublier son manque de développement : « Encenser l’Afrique aujourd’hui paraît pourtant aussi excessif que l’accablement dont elle était hier l’objet. L’engouement qu’elle suscite est tout aussi caricatural que l’était le catastrophisme à tous crins des quinze ans qui ont suivi la fin de la guerre froide, avec l’effondrement en dominos de la plupart des Etats, minés par la crise de la dette, les rivalités politiques internes, l’instauration brutale du multipartisme sous l’influence des bailleurs de fonds, la baisse drastique de l’aide publique au développement» . En tant que © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM telle, l’Afrique participerait alors à l’élaboration des idées régulatrices et à l’établissement des normes régissant les échanges et la coexistence globaux dans un ordre mondial soutenable, débarrassé des effets belligènes et déshumanisants. II. L’Agenda 2063 : L’occasion pour l’Afrique de déterminer à nouveau son destin. L’Afrique évolue, se donne les moyens de s’engager sur la voie d’un changement profond et durable. Si l’on regarde les quatre dernières années, les 11 pays d'Afrique les plus performants ont atteint le seuil de croissance de 7 %, considéré comme étant un préalable à la réalisation des OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement). La liste des pays les plus performants (Éthiopie, Sierra Leone, Libye, Ghana, Rwanda, Liberia, Malawi, Zimbabwe, Nigeria, Mozambique) n'en souligne que davantage l'importance centrale de la production et des exportations de produits de base. Le Nigéria est devenu champion du continent avec 440 millions d’habitants, 29% du PIB continental, et 40% des réserves pétrolières du continent. Les évolutions démographiques offrent une infinité d'opportunités et le progrès technologique est omniprésent. Ces atouts se dégagent dans un contexte ambiant de transformation des perceptions et préoccupations internationales vis-àvis de l'Afrique notamment provoqué par une crise mondiale des ressources naturelles et un déplacement de l'activité manufacturière. Faut-il croire en des lendemains qui chantent ? Au-delà de ces indicateurs encourageants, une équation capitale reste donc à résoudre : la pérennisation de l’action transformative. L’Agenda 2063 est certainement un appel à l'action endogène de tous les segments de la société africaine pour profiter du momentum actuel (5% de croissance économique en moyenne depuis 2007, stratégies macroéconomiques saines, progrès en matière de gouvernance, changements dans l’architecture internationale du développement avec l’émergence des BRICS et l’augmentation des flux d’IDE) afin d’établir une croissance inclusive et assurer la transformation socio-économique du continent. Ainsi l’approche, très économiciste, pourrait s’affiner et s’élargir pour faire face à certains réquisits de mobilisation et d’orientation, d’essence philosophique et stratégique, que le NEPAD n’a pu satisfaire. Dans de nombreux pays, l’économie informelle occupe encore de 90 à 95% de la population active. L'émergence économique de l'Afrique nécessite de modifier la structure de ses relations commerciales avec les grands émergents et les partenaires traditionnels en passant d’une économie à prédominance agricole et artisanale à une économie industrielle. Il s’agira d’élever l’économie de proximité et la croissance inclusive au rang de paradigmes économique et politique. Dotée de vastes terres arables, d’un important capital humain et de nombreuses richesses naturelles et minérales, l’Afrique a donc la possibilité de mobiliser des ressources nationales substantielles et d’attirer des ressources extérieures pour financer son programme de développement. Les petites et moyennes entreprises (PME) sont au cœur des économies africaines : leur développement est une priorité au centre de l’agenda de transformation de l’Afrique. Leur accès aux financements étant trop limité en Afrique, les fonds de placement privés sont une opportunité importante pour les pays africains, afin d’accroître et de diversifier les sources de financement accessibles aux PME. Seule la modernisation agraire doit permettre d’accroitre la production. Comme le souligne Sylvie Brunel « bien menée, avec des chartes éthiques et des codes de conduite respectés, des garanties données aux communautés rurales, ces concessions agricoles pourraient aussi représenter des opportunités car elles apportent les capitaux et les investissements qui manquent aux campagnes africaines et © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM leur permettent de passer de systèmes extensifs à un intensif intelligent, avec le développement de l’agroécologie, une rémunération équitable, l’essor de l’emploi et des opportunités de transformation sur place» . Le défi immédiat est de mettre en œuvre des stratégies à la fois cohérentes, coordonnées et complémentaires vis-à-vis de ses différents partenaires en vue de tirer parti des opportunités offertes. Tout n’est pas à bouleverser ou à réinventer. Des solutions, des leviers existent déjà, mais ne sont pas connus ou pas appliqués. L'Afrique est devenue un relais de croissance majeur et incontournable compte tenu de sa démographie, de ses ressources naturelles, du développement rapide de son marché intérieur. Pleine de promesses et de talents humains, l’Afrique est en éternel devenir. III. Le capital humain : axes stratégique de l’agenda 2063 L'Agenda 2063 consacre les idéaux du panafricanisme. Il comporte les huit axes stratégiques qui ciblent tous les domaines de développement de l’Afrique. Une économie de la rente sociale ou financière s’enracine au détriment d’une économie du travail et nous oblige à repenser les fondamentaux du développement durable. Le capital humain en constitue un substrat nécessaire. L’Afrique est un continent actuellement confronté à deux principales problématiques, à savoir la qualité de la croissance et sa durabilité. Comment l’Afrique peut-elle tirer parti de l’actuelle dynamique pour créer des emplois pour sa population et réduire sa dépendance ? Quelles sont les conditions à remplir et les politiques à mener pour capturer le dividende démographique? La recherche et l’innovation technologique et scientifique sont indispensables dans une société de connaissance. Le continent offre aux investisseurs intéressés par les économies d’échelle de plus larges possibilités d’investissement. Il compte près de 1 milliard d’habitants, ce qui représente un marché de consommateurs en expansion rapide caractérisé par une demande croissante. Dans de nombreux pays, la classe moyenne est en augmentation et le taux d’urbanisation est élevé. Grâce à cette dynamique démographique, il est possible d’investir dans des secteurs autres que les ressources naturelles en recherchant à la fois des gains d’efficacité et de nouveaux marchés. Dans les années à venir, le continent connaitra une croissance démographique unique. En 2050, la population africaine aura doublé, la moitié des Africains vivront dans les villes et le continent sera la seule région du monde où la population en âge de travailler est en croissance. Cette population africaine en âge de travailler surpassera celle de la Chine et atteindra 1,1 milliard d’individus en 2040. Ce boom démographique représente une occasion pour l'Afrique de tirer profit du dividende démographique, caractérisé par la baisse des taux de mortalité et l’augmentation de l'espérance de vie. Dans cet esprit, l'éducation doit être un secteur prioritaire. Plus encore, les efforts pour améliorer la qualité de l'éducation, le taux de réussite et l'égalité des sexes, doivent être poursuivis et renforcés. L’expérience montre que l’émergence et une croissance plus soutenue passent par une forte diversification de l’économie et un processus de transformation structurelle et institutionnelle dans le cadre duquel l’Etat joue un rôle central. Dès la fin de la première décennie du 21ème siècle, une série de plans d’« émergence » a été élaborée en vue d’un développement infrastructurel et économique dont l’industrialisation est un aboutissement nécessaire. © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM IV. L’Industrialisation de l’Afrique : clef de voûte de la straté gie globale panafricaine L’Afrique dispose d’un solide avantage comparatif dans les ressources naturelles, lesquelles peuvent devenir les moteurs de sa transformation structurelle, via les effets de diffusion, l’emploi, les recettes fiscales et l’investissement étranger, à condition de bénéficier d’un environnement propice et d’un accompagnement pour prospérer. Il convient néanmoins de souligner que ni la taille ni les ressources naturelles ne sont nécessaires ou suffisantes pour le développement, comme en témoignent les cas extrêmes de Singapour et de la République démocratique du Congo. La pauvreté est de plus en plus liée à des questions de répartition des inégalités persistantes qui constitue le défi le plus urgent des politiques économiques nationales. La faible industrialisation de ce secteur minier réduit néanmoins sa valeur ajoutée à l’économie et limite les effets de redistribution des bénéfices. La question de l’industrialisation en Afrique est essentiellement liée à la valorisation des ressources naturelles dont regorge le continent. La croissance économique de l’Afrique est en effet essentiellement liée à ses ressources naturelles, exploitées par des entreprises modestes et pressées d’exporter son pétrole, son bois, son uranium, bref ses matières premières sans aucune transformation sur place. Ce qui crée peu ou pas d’emplois au regard des prévisions de croissance démographique du continent. Ces importantes ressources ne contribuent que très faiblement à l’accumulation de la richesse. Les travaux d’économétrie les plus récents montrent que si 72% des Africains vivent dans un pays où les rentes de ressources extractives représentent plus de 2% du PIB et si, au cours des dix dernières années, on estime que 25% de la croissance économique de l'Afrique a été imputable à l’augmentation du prix des matières premières, la forte dotation de l’Afrique en ressources naturelles n’a pas entraîné son enrichissement. Elles sont plutôt devenues les facteurs d’instabilité politique, de crises socio-politiques récurrentes et de l’accentuation de la pauvreté. Les raisons de ces difficultés proviennent de l’émergence des réseaux mafieux que leur exploitation entraîne. La participation de l'Afrique aux chaînes de valeur mondiales se limite à des activités de faible valeur ajoutée, même si le continent est doté d’atouts certains pour progresser et prendre part à des activités à plus forte valeur ajoutée. En ciblant les marchés régionaux et émergents, en modernisant leurs infrastructures, en encourageant les entreprises locales et en investissant dans l'éducation technique, les pays africains peuvent renforcer leur croissance inclusive et leur intégration dans les chaînes de valeur mondiales . C’est là, sans aucun doute, l’un des grands défis que devront relever un certain nombre d’Etats africains, chacun à sa mesure. L'Afrique ne sera bien partie que lorsqu'elle répartira mieux la manne des financements et saura mettre en œuvre des politiques sociales dignes de ce nom. V. Les défis du projet cinquantenaire du panafricanisme maximaliste L'objectif de l'Agenda 2063 est de définir, pour les 50 prochaines années, une trajectoire de croissance pour l'Afrique tenant compte des leçons tirées des 50 dernières années. Le 24e sommet de l'Union africaine (UA) s'est terminé le 31 janvier 2015 par l'adoption de l'Agenda 2063. La réalisation d’un tel objectif se heurte néanmoins à plusieurs défis. © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM 1. Prendre au sérieux la lutte contre les flux financiers illicites Les diverses formes de flux financiers illicites grèvent considérablement les ressources financières de l’Afrique et ont des conséquences négatives sur la concrétisation des aspirations du continent en termes de transformation structurelle. Bien que les flux financiers illicites soient un problème mondial, leur impact sur le continent est massif et représente ainsi une menace importante pour la gouvernance et le développement économique en Afrique. Les données actuelles montrent que l'Afrique a perdu plus de 50 milliards de dollars US par an entre 2000 et 2008. Le montant des flux financiers illicites en provenance d'Afrique dépasse l'aide officielle au développement du continent qui représentait 46,1 milliards de dollars en 2012. « Si l'Occident injecte de l'argent en Afrique par le biais des IDE, des importations et de l'aide au développement, le continent est en situation de créancier net par rapport au reste du monde une fois les flux financiers illégaux intégrés aux études», a indiqué GFI dans son rapport ». Une des principales solutions consiste à juguler les flux financiers illicites qui quittent massivement le continent. Ces flux proviennent de la fraude fiscale, de fonds blanchis provenant de transactions commerciales, d’activités criminelles, du vol des ressources publiques, des pots-de-vin et d’autres formes de corruption. Ils représentent une ponction considérable sur les ressources et recettes fiscales de l’Afrique et restreignent le niveau de l’épargne, qui n’atteint pas les niveaux nécessaires à la résolution des principaux problèmes de développement. Ces flux accentuent la faiblesse des structures de gouvernance (ou contribuent à les affaiblir) en offrant une incitation à la recherche de rentes plutôt qu’à la maximisation de la productivité, et en sapant les structures, les institutions et les mécanismes juridiques mis en place pour repérer et poursuivre les personnes à l’origine de ces flux. Ils réduisent également l’efficacité des efforts de gouvernance en encourageant la création de systèmes financiers de l’ombre tels que les paradis fiscaux, les juridictions opaques et la falsification du prix des échanges. La restitution des avoirs spoliés se heurte à plusieurs obstacles juridiques. La plupart des pays ne prévoient ni la confiscation ni la restitution des avoirs, sauf s’il y a une condamnation pénale ou une autre procédure qui établit, au niveau de preuve exigé au pénal, que des infractions ont été commises et que les avoirs recherchés en sont le produit. Le recouvrement d’avoirs est actuellement une opération très coûteuse et délicate. Le temps et les moyens nécessaires sont souvent un facteur inhibiteur. La première est l’obligation d’établir l’origine délictueuse des avoirs. La communauté internationale est intervenue sur de nombreux fronts pour remédier à la complexité croissante et à la nature internationale des flux financiers illicites qui évoluent rapidement. L’accent est mis sur la promotion de la coopération internationale et l’établissement d’un régime international coordonné et efficace. L’organisation des Etats américains, le Conseil de l’Europe, l’Union africaine et l’Union européenne se sont ainsi dotés de conventions et autres protocoles de lutte contre la corruption. La Convention des Nations unies contre la corruption, dite de Mérida, signée en 2003, est entrée en vigueur en décembre 2005. La Convention de Merida, dont le succès auprès de pays en voie de développement ou émergents s’explique notamment par le fait qu’elle instaure, pour la première fois dans une convention internationale, l’obligation de rapatriement des avoirs confisqués, fait de la restitution des avoirs détournés un principe fondamental du droit international. © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM Pourtant, les sommes restituées à ce jour aux pays du Sud ne représentent qu’une goutte d’eau au regard de l’ampleur des fonds détournés. Environ 5 milliards de dollars, en tout et pour tout, ont été restitués aux pays du Sud. On estime, dans le même temps, qu’entre vingt et quarante milliards de dollars sont détournés chaque année. De plus, les procédures juridiques sont complexes et ce sont seulement les États « pillés » qui peuvent les enclencher. L'immunité de poursuites pénales pose souvent problème s'agissant de poursuivre des personnes exerçant des fonctions publiques. Il faudra de la volonté politique et des engagements à différents niveaux pour s’y attaquer et pour réformer les structures, les systèmes et les pratiques qui font que des flux financiers illicites sont monnaie courante. La Déclaration de Yaoundé adoptée par les avocats de l'Union panafricaine des avocats (Palu) demande aux gouvernements africains de charger la Banque africaine de développement (BAD) de retenir tous les avoirs gelés et de gérer le processus de rapatriement des avoirs mal acquis. En tant qu'acteur de premier plan en Afrique, cette proposition revêt une pertinence particulière. En effet, désormais, l’Union africaine dispose d’une cour permanente qui lui manquait, à la suite de l’adoption formelle par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union du projet de Protocole, lors de leur 23ème conférence au sommet, à Malabo (Guinée équatoriale), le 27 juin 2014. Ce protocole prévoit la compétence de la Cour sur onze autres crimes dont la corruption et le blanchiment d’argent. Sa compétence rationae materiae est généreuse : les articles 28.E à 28.L.bis du Protocole incluent, entre autres, les crimes relatifs au changement anticonstitutionnel de gouvernement, de piraterie et d’exploitation illégale de ressources naturelles qui traduisent la spécificité africaine. 2. La fragilité africaine face aux opportunités globales S’interroger sur la trajectoire de développement de l'Afrique pour les 50 prochaines années, c’est inévitablement poser la question du lien entre sécurité et développement et de la capacité institutionnelle de l’Etat. Evoquer aujourd’hui la fragilité de l’Etat plutôt que de sa faillite (failure), ne relève pas uniquement de la cosmétique. La notion d’État fragile est en effet plus sensible à une performance sectorielle différenciée de l’État. Le concept de faillite s’intéresse au contraire uniquement à l’absence de structures étatiques. La problématique des Etats fragiles est indéniablement en relation avec celle des Etats sortant de conflit, mais la notion de fragilité est plus englobante: il peut y avoir d’autres sources de fragilité qu’un conflit. Le concept suggère qu’une intervention est nécessaire, sans attendre le stade ultime de la faillite ou de l’effondrement. Or, dans les Etats fragiles ou sortant d’un conflit, l’Etat est encore trop souvent vecteur d’insécurité, d’où le développement des programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants (DDR) et des programmes de réforme du secteur de la sécurité (RSS), qui s’inscrivent en complémentarité avec la notion de sécurité humaine. Une « fragilité structurelle » habite l’existence démocratique. Définir et mesurer la « fragilité » est une tâche extrêmement difficile, en partie car il n’existe pas une seule définition largement acceptée du concept, ni une liste faisant l’objet d’un accord international. En outre, les innombrables facteurs contribuant à la fragilité de même que la rareté des données disponibles ne facilitent pas la tâche. Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE définit un Etat fragile comme étant un Etat « dont les instances étatiques n’ont pas la capacité et/ou la volonté politique d’assumer les fonctions essentielles pour faire reculer la pauvreté et promouvoir le développement, ni d’assurer la sécurité de la population et le respect des droits de l’homme » . L’OCDE regroupe © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM une grande variété d’indicateurs de la fragilité de l’État sous deux dimensions : la « faible capacité à développer des relations constructives entre État et société, et l’absence des fonctions de base de gouvernement » (OCDE, 2013). La démocratisation a révélé deux choses en Afrique : la fragilité des États hérités de la colonisation, dont la plupart sont actuellement en crise, et la nécessité de construire des espaces politiques beaucoup plus solides et davantage solvables et redevables. La redevabilité fait référence à la transparence et à l'intégrité dans le secteur public et la gestion économique, ainsi qu’au renforcement de l'efficacité dans la réponse aux demandes et besoins des citoyens. Au lieu de constituer un facteur d’affermissement de la démocratie, les élections sont désormais sources de crises et tensions qui conduisent et dégénèrent parfois en conflits. Même dans les pays qui ont à première vue des pouvoirs légitimes, les risques de déstabilisation et conflictualité sont importants en raison de fragilités institutionnelles et/ou de faiblesses du leadership. Pour l’Agenda 2063, paix/sécurité et développement sont deux faces d’une même monnaie, qui se conditionnent et s’enrichissent mutuellement. Cela explique que les Chefs d’Etat et de Gouvernement aient fixé, dans leur déclaration sur le Cinquantenaire, 2020 comme année du silence des armes en Afrique, et la sécurité humaine comme priorité. Elle déclare à cet effet être engagée « à assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, et à adopter une approche centrée sur les populations dans toutes ses entreprises, ainsi que le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de ses Etats ». La réussite du transfert systématique du pouvoir politique à la suite des élections multipartites permettra d’améliorer la crédibilité du pays sur la scène internationale. La sécurité humaine est un nouveau paradigme de paix et de développement. Dans cette perspective, les changements générés par l’augmentation des variables d’« insécurités humaines » en Afrique doivent alimenter l'organisation d'un cadre de concertation continentale. Elle recouvre de fait plusieurs dimensions qui sont : la sécurité politique (concerne la stabilité institutionnelle de l’État et de son régime politique) ; la sécurité économique (concerne les conditions de maintien du bien-être et de la prospérité d’un État) ; la sécurité environnementale (comme protection des conditions de la vie humaine sur terre) ; la sécurité sociétale enfin (porte principalement sur les atteintes à la culture et la langue d’une entité politique, son identité en somme). Il y a aussi la sécurité sanitaire qui concerne tout ce qui relève de la santé de la personne et dont l’urgence est rappelée aux décideurs africains par l’actuelle crise Ebola. La résilience dans ce cadre est un aspect important du développement durable, car une société incapable de s’ajuster au changement peut difficilement se développer au fil du temps. Améliorer la résilience des pays fragiles, c’est renforcer les capacités des institutions formelles et informelles à surmonter les chocs, comme l’extrémisme et l’intégrisme religieux qui font actuellement des ravages. La crise actuelle du pétrole participe à la déstabilisation de toute la région et s’accompagne d’une remise en cause de plus en plus affirmée de la sécurité humaine. Le pétrole représente une part importante et croissante des exportations et des revenus fiscaux de nombreux pays d’Afrique et recèlent un potentiel pour financer rapidement le développement des infrastructures et les projets de développement social nécessaires à une croissance économique durable et diversifiée ainsi qu’à la réduction de la pauvreté. Face à cette lissade des cours du baril qui s’amplifie de façon spectaculaire et à leurs conséquences sociopolitiques dévastatrices, la © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM fragilité des pays exportateurs de pétrole, incapables de financer leurs politiques sociales et de soutenir des politiques d’investissement, devient très sévère. 3. Une Afrique prospère, intégrée et unie à l’épreuve des rivalités régionales L’intégration régionale est depuis toujours une préoccupation pour l'OUA/UA et reflète la tendance globale actuelle. Les leaders africains ont adopté une approche plus pragmatique et gradualiste. On peut distinguer trois générations de régionalismes. La première génération, que nous pouvons situer à grands traits entre les années 1960 et les années 1970, fut marquée par les influences keynésiennes, le contexte de la guerre froide et la division Nord-Sud. Il s’agissait alors de créer de grands espaces économiques intégrés, orientés vers des objectifs de solidarité et de développement conjoint, et encadrés par des institutions de type communautaire. Ont alors été encouragés des projets d’intégration fonctionnelle basés sur des entités de taille plus modeste, et sur une coopération surtout économique. Plusieurs rencontres ont été organisées au début des années 60 pour discuter du panafricanisme et c’est ce processus qui a abouti à la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en 1963. La deuxième génération de régionalisme, dans les années 1980 et 1990, s’inscrivant en rupture avec le régionalisme de « l’intégration positive », participe de la mondialisation en cours mais également de la fin de la division cardinale du monde. Plus commercial qu’économique, le régionalisme de cette période restera par la prolifération des accords de libre-échange. Moins géographique qu’institutionnel, ce régionalisme repose sur des institutions de type contractuel. Une troisième période s’est ouverte dans les années 2000. Il est marqué par une révolution technologique qui bouleverse autant l’organisation de la vie économique que les relations entre les nations. Les chaînes de production et d’approvisionnement traversent les frontières. L'économie mondiale s’articule en effet désormais autour de nouveaux pôles de croissance régionaux. Cette profusion d’arrangements et d’institutions, et ces appartenances multiples à l’intérieur d’une même région peuvent brouiller les objectifs d’intégration et induire une concurrence contreproductive entre pays et entités. L’existence d’un grand nombre d’organisations régionales se recoupant et se faisant concurrence pourrait bien être une stratégie délibérée visant à accroître les possibilités de régionalisme « de paroles ». Une approche pragmatique et axée sur les résultats de l'intégration régionale africaine pourra créer des marchés sous régionaux connectés où les biens, les capitaux et les personnes se déplaceraient facilement au-delà des frontières. Une Autorité de l’UA, forte, et dotée du poids politique, des capacités et des ressources nécessaires pour remplir véritablement son rôle, devrait être à même d’assumer un rôle moteur dans le processus d’intégration continentale. Ce n’est pas seulement une question technique, mais surtout un problème politique essentiel qui requerra un fort leadership et une vision stratégique. L'intégration régionale suppose des économies d'échelle, des marchés plus importants et des coûts de transaction plus faibles. La réalisation de l'intégration régionale aidera le continent à corriger la fragmentation de ses réseaux d'infrastructures, à renforcer son approvisionnement en énergie, à développer sa stratégie d'industrialisation en profitant pleinement de la compétitivité de ses produits de base (dans l'agriculture et l'exploitation minière). Mais ce qui caractérise le nouvel essor du continent, c’est la diversification de son économie et l’attraction des firmes étrangères qui sont séduites par l’Afrique. © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected] Note de l’IAM Conclusion Les pays africains ont connu un redémarrage économique majeur, si on en juge par la quasi-totalité des mesures de performance (taux de croissance de 5 % en moyenne) et par le taux actuel de retour sur investissement en Afrique, aujourd’hui supérieur à celui de toute autre région en développement. Les défis et les tendances décrites ci-dessus soulignent la nécessité d'aller au-delà des OMD, et de répondre à plusieurs questions quant à la réalisation d’un développement durable. En termes opérationnels, la mise en œuvre de l'Agenda 2063 se décline en plans à court terme (10 ans), à moyen terme (10-25 ans) et à long terme (25-50 ans). Il s’inspire de la vision de l’Union Africaine d’une Afrique intégrée, prospère, en paix avec elle-même, indépendante, conduite par sa citoyenneté et capable d’être une force dynamique sur la scène internationale. Cet Agenda 2063 requiert un dispositif robuste de suivi, d’évaluation et de reporting afin de s’assurer de son effectivité. Le changement de priorité demande que le respect des droits de l’homme soit la pierre angulaire des stratégies pour parvenir à un développement économique durable et inclusif sur le continent. Le potentiel des industries extractives du continent doit garantir que les générations actuelles et futures bénéficient des revenus provenant de leurs ressources. Le développement infrastructurel et les inflexions vers la diversification économique visant à lever les hypothèques rentières doivent poser graduellement les bases d’une industrialisation forte. La dernière décennie étant marquée par l’apparition de nombreuses alliances stratégiques de puissance ainsi que d’organisations multilatérales qui sont devenus des acteurs de plus en plus importants, notamment les « BRICS », il faudra dépasser la dichotomie traditionnelle donateur-bénéficiaire et adopter un cadre plus souple qui reflète la réalité d’un monde multipolaire. © Institut Afrique Monde, 42, rue de Grenelle – 75007 Paris, [email protected]