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Editions Hatier
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(devoir rédigé)
Introduction
Le problème de la perception a toujours hanté la tradition philosophique car il pose une question fondamentale :
quel est le rapport entre l'homme et le monde, comment est possible un rapport sensible aux choses ? Plus
précisément, la question s'est posée de savoir d'où vient l'erreur dans la perception sensible.
Dans ce texte, Alain s'efforce précisément d'analyser le processus de perception, et de découvrir comment naît
l'erreur dans la perception. Il met en évidence le rôle essentiel que joue l'anticipation : elle constitue un processus
qui dépasse l'actualité de la sensation, va au-delà du présent, et fonde la possibilité de l'erreur.
Comment se compose la perception ? Quel rôle y joue l'anticipation ? La sensation ? Telles sont les questions
auxquelles nous allons nous efforcer de répondre, en étudiant le texte d'Alain.
1. La thèse du texte
Alain établit sa thèse dans les premières lignes de son texte (“ La perception est exactement...le choc d'une pierre
”). Il définit ainsi les rapports entre perception et mouvement, et assigne une finalité à la perception. Comment
procède-t-il ?
A. Perception et mouvement
La première affirmation (“ La perception est exactement...leurs effets ”) d'Alain peut sembler paradoxale. En
effet, nous avons l'habitude d'associer la perception à l'appréhension d'un objet. La perception ne concernerait
pas le mouvement, mais se rapporterait simplement au contact avec une chose extérieure.
Or Alain nous dit l'inverse : la perception est tout entière tournée vers le mouvement futur, c'est-à-dire vers
l'action. La perception est “ anticipation ” des “ effets ” de nos mouvements : autrement dit, elle ne prend en
compte le présent que pour le dépasser et envisager un mouvement futur. Elle est donc constituée par une
prévision imaginaire des mouvements futurs, réglée sur l'état présent.
En réalité, la thèse d'Alain n'est pas nouvelle : elle est établie par la psychologie de l'époque, et reprise par
Bergson dans le premier chapitre de Matière et mémoire. Bergson affirme en effet que nous ne percevons que
dans la mesure où nous avons besoin d'agir.
B. La finalité du mouvement
Après avoir posé sa première thèse, Alain apporte une précision concernant la finalité du mouvement : il s'agit
toujours d'agir sur une sensation pour en amener une autre. L'action est motivée par une sensation. Ce faisant,
Alain établit la nature de l'anticipation : elle est aussi une sensation imaginée, prévoyant la nature de la sensation
future. Les exemples sont explicites : l'anticipation comme motif du mouvement est l'image d'une satisfaction
future, donc d'une sensation future.
2. Le vrai et le faux dans la perception
Dans un deuxième moment de son texte (“ Bien percevoir... aveugle palpent ”), Alain tente de répondre à la
question : qu'est-ce que bien percevoir ? Qu'est-ce qu'une perception vraie ? Il procède en deux temps. Tout
d'abord, il tente d'établir la nature de la perception vraie (“ Bien percevoir...et ainsi du reste ”). Puis il détermine
l'origine de l'erreur dans la perception (“ Donc ce qu'il y a...aveugle palpent ”).
A. La vraie perception
Qu'est-ce qu'une perception vraie ? Comment se définit l'acte de “ bien percevoir ” ? Alain donne une réponse
conforme aux principes qu'il a posés plus haut : la véracité de la perception réside dans l'adéquation entre
l'anticipation et sa réalisation. La vérité de la perception ne réside donc pas dans l'objet que je perçois
actuellement, mais dans ce que je prévois de faire avec lui. La vérité de la perception n'est donc pas actuelle,
mais future.
On comprend qu'Alain emploie ici des termes se rapportant à la connaissance : une perception est vraie lorsque
l'anticipation se vérifie, autrement dit lorsque l'on connaît adéquatement son résultat. C'est pourquoi la véracité
d'une perception est fortement liée à l'expérience passée, et au savoir qu'elle a permis d'acquérir. À cet égard, les
exemples utilisés par Alain sont très clairs : le chasseur a sur l'enfant l'avantage de l'expérience ; l'enfant n'a pas
encore appris à établir les propriétés constantes des objets qu'il perçoit.
B. D'où vient l'erreur dans la perception ?
Ces principes permettent à Alain d'expliquer l'origine de l'erreur dans la perception. Conformément à ce qu'il a
précédemment établi, le vrai et le faux se situent dans ce jugement qui anticipe sur le futur, et non (nous allons le
voir) dans ce qui est perçu actuellement : est vraie une anticipation qui se trouve confirmée par la suite ; est
fausse une anticipation qui se trouve infirmée.
© Hatier
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Editions Hatier
Alain précise bien que cette définition de l'erreur dans la perception s'applique à tous les sens, et n'est pas limitée
à la vue. La vue a cependant le privilège de présenter l'erreur la plus significative : celle de la perspective. Alain
fait sans doute référence aux peintures du trompe-l'œil : elles donnent l'illusion d'un relief, de mouvements
susceptibles d'appréhender ce relief ; cette illusion qu'elles provoquent ne peut se dissiper qu'avec d'autres
mouvements qui corrigent les premières anticipations.
Ces thèses sont néanmoins paradoxales : on pourrait en effet s'attendre à ce qu'une perception fausse soit
actuellement fausse, puisque c'est dans le présent que l'on se trompe. Or, depuis le début, Alain ne parle jamais
de la sensation présente : tout ce qu'il dit concerne l'image d'une sensation future. Quel est donc la nature de la
sensation présente ? Pourquoi n'est-elle donc pas concernée par l'erreur ?
3. Nature de la sensation
Dans un troisième temps de son raisonnement (“ Quant à la sensation... être animé ”), Alain répond à un
problème qu'il avait laissé de côté depuis le départ : pourquoi la sensation n'est-elle pas fausse ? Pourquoi,
lorsque nous parlons d'une perception fausse, il n'est pas question de la sensation présente mais d'une sensation à
venir ?
A. La sensation n'est ni vraie ni fausse
L'erreur réside dans l'anticipation d'une sensation à venir. Il n'y a pas d'erreur dans la sensation présente, mais
dans l'image d'une perception à venir. Pourquoi ? Alain explique que la sensation est toujours actuelle, autrement
dit réelle. Et pourquoi la réalité de la sensation garantit-elle son indépendance à l'égard du vrai et du faux ? Parce
que la présence de la sensation est indubitable. Même si ce que m'indique la sensation est faux, je ne peux mettre
en doute que je suis actuellement en train de sentir.
Quoi qu'il en soit, comme le dit Kant dans la Critique de la raison pure1, le vrai et le faux appartiennent au
discours, à la connaissance et non à la réalité. Le réel ne peut jamais être en contradiction avec lui-même, il ne
peut jamais se tromper : il est, par définition. Il en va de même avec la sensation : elle est réelle, elle existe. On
ne peut donc poser à son sujet la question de la vérité ou de la fausseté. C'est pourquoi l'erreur se situe dans
l'anticipation d'une perception future : l'anticipation est une sorte de connaissance que l'on possède de la
sensation future ; cette connaissance est destinée à être vérifiée ou infirmée.
B. Les temps de la perception
Ce qui rend possible l'erreur dans la perception est donc qu'elle porte sur le futur en même temps que sur le
présent. Si la perception était uniquement présente, elle ne pourrait jamais être fausse : elle n'irait pas au-delà de
la sensation. Alain affirme ainsi : “ Pour ce que j'éprouve actuellement, sans aucun doute je l'éprouve. ” .
Nous pouvons désormais répondre au problème posé plus haut : pourquoi l'erreur est présente, alors que la
sensation présente ne trompe pas ? C'est que l'on se trompe bien dans le présent, mais jamais sur la sensation
présente ; on se trompe sur une sensation à venir.
C. Le phénomène et le jugement
Alain met ainsi en évidence les différents éléments qui composent le processus de la perception : d'une part la
sensation, d'autre part l'anticipation d'une sensation future. Alain montre ainsi que la perception n'est pas un
processus simple, mais composé, qui comprend au moins deux éléments. Un premier, la sensation, consiste en
une simple appréhension : Kant lui donne le nom de phénomène. Un second élément dépasse la sensation
présente et la relie à d'autres sensations possibles : c'est l'anticipation, ou le jugement porté sur la sensation
présente.
Le résultat du texte d'Alain est donc la mise en évidence de la sphère du jugement. En percevant, nous portons
un jugement sur nos sensations. Nous nous élevons ainsi au-delà de nos perceptions présentes, sensibles,
immédiates, et projetons notre action dans un futur qui dépasse le présent. Et avec le jugement se manifeste aussi
une dimension par laquelle l'homme peut affirmer son indépendance à l'égard de la sensation : la liberté.
Conclusion
Au terme de son raisonnement, Alain manifeste le caractère essentiellement composite de la perception :
percevoir n'est pas simplement voir un objet, c'est porter un jugement sur une sensation ; c'est dépasser l'actualité
de la sensation pour se porter vers une action future.
Toute cette analyse permet de faire apparaître l'autonomie de l'homme à l'égard de ses sensations. L'homme,
lorsqu'il perçoit, est capable de dépasser l'actualité, de s'élever au-delà du donné pour se tourner vers le futur. Il
manifeste ainsi une forme primitive de sa liberté.
1. Kant, Critique de la raison pure, Gallimard, coll. “ Folio-essais ”, p. 318.
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