Interactions inattendues avec les médicaments antirétroviraux

Transcription

Interactions inattendues avec les médicaments antirétroviraux
Interactions inattendues avec les médicaments
antirétroviraux
Unexpected antiretroviral-drug interactions
 H. Sterlingot*, G. Breton**, C. Le Tiec***, A.M. Taburet***
 Résumé
 Si certaines interactions avec les médicaments antirétroviraux sont désormais bien connues, d’autres sont inattendues
et ont été découvertes de façon fortuite. Ainsi, le ténofovir
augmente les concentrations de didanosine par inhibition de
la purine nucléoside phosphorylase. À cette interaction pharmacocinétique s’ajoute une diminution de l’efficacité immunovirologique d’associations combinant ces deux analogues
nucléos(t)idiques à l’efavirenz ou à un troisième analogue
nucléosidique. Il a également été démontré que le ténofovir
diminue les concentrations d’atazanavir, pour des raisons
mal élucidées. L’addition de ritonavir à cette association est
impérative. Chez certains patients en situation d’échec virologique, l’association de deux inhibiteurs de protéase (IP) et
de faibles doses de ritonavir a été proposée. Compte tenu du
caractère inhibiteur et/ou inducteur de certains IP sur le cytochrome P450 3A4 et/ou la glycoprotéine P, des diminutions de
concentration d’un des IP ont été observées (par exemple :
tipranavir et saquinavir, amprénavir ou lopinavir ou amprénavir et lopinavir/ritonavir). Enfin, des interactions comme la
diminution des concentrations de méthadone par les IP associés au ritonavir, ou impliquant l’effet inducteur de plantes
telles que le millepertuis sont décrites.
mots-clés : Cytochrome P450 - Antirétroviraux - Interaction
pharmacocinétique.
D
epuis la commercialisation des inhibiteurs de la
protéase (IP) et la mise sur le marché régulière de
nouveaux antirétroviraux, les stratégies thérapeutiques
proposées aux patients sont plus nombreuses ; elles associent
selon les recommandations deux inhibiteurs nucléosidiques
de la transcriptase inverse (INTI) à un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) ou un IP associé à
une faible dose de ritonavir (1). L’adhésion au traitement, les
effets indésirables, la toxicité intrinsèque des antirétroviraux
et l’émergence de mutations de résistance sont les principaux
obstacles à la prise en charge à long terme des patients. De plus,
* Service de pharmacie, hôpital Necker-Enfants malades, 75015 Paris.
** Service de médecine interne, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris.
*** Service de pharmacie, CHU Bicêtre, 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 3 - mai-juin 2007
mise au point
m ise au point
 SUMMARY
 Most interactions with antiretroviral drugs are now well
known, such as the potent inhibitory effect of ritonavir used
to boost protease inhibitors. However some unexpected drugdrug interactions involving antiretroviral compounds have
been described recently. This article focuses on interactions
between antiretroviral drugs such as didanosine and tenofovir, tenofovir and atazanavir or double ritonavir boosted
protease inhibitors combinations. For example, tipranavir, a
potent CYP3A or Pgp inducer, was found to decrease concentrations of coadministered ritonavir boosted protease inhibitors such as amprenavir, saquinavir or lopinavir. The inducing
effect of ritonavir on methadone metabolism, which could
lead to withdrawal syndrome, is recalled. And lastly, the inducing or inhibitory effect of some plants and herbs such as St
John’s Wort or grapefruit should be reminded.
Keywords: Cytochrome P450 - Antiretrovirals - Drug-drug
interactions.
des interactions, d’ordre pharmacodynamique ou pharmacocinétique, sont susceptibles de survenir. Une bonne connaissance
des caractéristiques pharmacologiques des anti-rétroviraux
est alors indispensable. En effet, les interactions entre médicaments exposent le patient à des risques de sous- ou surdosage,
dont les conséquences peuvent être l’émergence de mutations
de résistance dans le cas du sous-dosage, et l’augmentation de la
toxicité dans le cas d’un surdosage, avec un risque de mauvaise
adhésion du patient. Les interactions le plus fréquemment
rencontrées sont désormais bien connues des cliniciens. C’est,
par exemple, le caractère inhibiteur puissant du ritonavir pour
le cytochrome P450 3A (CYP3A), et donc son utilisation à dose
faible pour améliorer l’exposition aux IP, substrats de ce CYP,
ou le caractère inducteur de l’efavirenz ou de la névirapine
pour ces mêmes CYP. Malheureusement, certaines inconnues
subsistent encore, qui ne permettent pas de prévoir et d’éviter
toutes les interactions avec les médicaments mis sur le marché
très rapidement compte tenu des besoins de santé publique. En
effet, si l’on sait que les risques d’interactions entre et avec les
INTI sont minimes du fait de leurs voies d’élimination, il n’en
est pas de même des IP et INNTI, qui sont métabolisés principalement par le cytochrome P450 3A4 (CYP3A4). Ce CYP
103
mise au point
m ise au point
est inductible et ses substrats sont nombreux ; les interactions
pouvant survenir sont à prendre en compte lors du choix de
la thérapeutique pour un malade donné. Les essais cliniques
réalisés avant la mise sur le marché de ces médicaments étant
limités, très vite après la commercialisation des IP en 1996, des
interactions ayant des conséquences cliniques ont été signalées
et de nombreuses questions ont été soulevées sur les risques à
coprescrire des médicaments dont les associations ont été peu
ou mal évaluées. Par ailleurs, les malades dont l’espérance de
vie augmente grâce à l’efficacité de ces multithérapies antirétrovirales sont traités pour des maladies opportunistes, au moins
à certains stades de la maladie, pour des pathologies liées à
la chronicité de la maladie VIH ou aux effets indésirables des
médicaments antirétroviraux tels que l’hypercholestérolémie,
l’hypertriglycéridémie et le syndrome lipodystrophique et,
enfin, pour toutes les pathologies cardiovasculaires, rhumatologiques, etc., rencontrées dans la population générale.
Cet article fait le point sur certaines interactions qui, compte
tenu des connaissances actuelles, n’étaient pas prévisibles. Nous
développerons principalement les interactions entre les antirétroviraux et citerons à titre plus anecdotique des interactions
avec des médicaments d’autres classes thérapeutiques et avec
des substances exogènes telles que les produits de phytothérapie
ou l’alimentation.
été décrite avec l’allopurinol (5) et le ganciclovir (6) qui présentent
une similitude de structure chimique avec le ténofovir. Le mécanisme
de cette interaction serait une inhibition par le ténofovir de la purine
nucléoside phosphorylase (PNP), responsable de la dégradation et de
l’élimination des purines et de la ddI, entraînant une augmentation des
concentrations de ddI sans que les concentrations en ddA-TP soient
modifiées (7). Mais cette interaction “pharmacocinétique” ne suffit
pas à expliquer une diminution paradoxale des lymphocytes CD4
(en valeur absolue et pourcentage) chez certains patients présentant
une réponse virologique optimale, dont le traitement comprenait
l’association ténofovir + ddI (associé à l’efavirenz) [8, 9]. Les métabolites intracellulaires du ténofovir inhiberaient la PNP ainsi que le
catabolisme des purines et la ddI inhibe la voie de l’adénosine et la
formation d’ATP ; ces deux phénomènes entraînent une accumulation de déoxy-guanosine-triphosphate (dGTP), une inhibition de
la ribonucléotide réductase et un blocage de la synthèse d’ADN,
favorisant une déplétion en lymphocytes (fi gure 1) [9]. Il s’agit d’un
mécanisme indépendant de l’infection à VIH, qui n’apparaît qu’après
plusieurs mois d’exposition et qui s’apparente à l’immunodéficience
en lymphocytes T observée lors d’un déficit en PNP. Enfin, une
moindre efficacité virologique a été décrite lors de l’association avec
l’efavirenz ou un troisième INTI (9). Au vu de ces deux phénomènes
de toxicité et d’inefficacité immunovirologique, l’association de ces
deux molécules est désormais déconseillée (1).
Synthèse de novo
des purines
inteRactions entRe antiRétRoViRaux
Interactions entre analogues nucléosidiques
ou nucléotidiques de la transcriptase inverse :
didanosine et ténofovir
La pharmacocinétique des INTI et leur utilisation depuis déjà
plusieurs années ne laisse pas présager d’interactions entre ces
molécules. Il est néanmoins bien connu que certains INTI ne
doivent pas être associés entre eux à cause de leur analogie
structurelle et de leur même site d’action : c’est le cas des associations zidovudine-stavudine et lamivudine-zalcitabine.
Le ténofovir (TDF) et la didanosine (ddI) sont tous les deux des
analogues de l’adénosine, qui nécessitent respectivement une double
(analogue nucléotidique) et triple phosphorylation intracellulaire en
PMPApp et ddA-TP pour être actifs. Ces deux molécules présentent
l’avantage d’être administrées en monoprise quotidienne. Lors de la
mise sur le marché du ténofovir, il était donc tentant de l’associer
à la ddI, afin d’améliorer l’observance du traitement et le confort
des patients, même si la ddI doit être administrée à distance d’un
repas, alors que le ténofovir voit sa biodisponibilité améliorée par
l’alimentation. Chez des patients recevant cette association, l’incidence des pancréatites et des acidoses lactiques parfois fatales est
augmentée par rapport à celle observée avec la didanosine (2, 3).
Différentes études pharmacocinétiques ont montré une augmentation de l’aire sous courbe (ASC) de la ddI lorsqu’elle est associée
au ténofovir avec ou sans prise concomitante d’un repas (4), ce qui
a conduit les autorités de santé à recommander dans un premier
temps une diminution de la posologie de la ddI et la prise avec un
repas en même temps que le ténofovir. Cette interaction avait déjà
104
ddl
TDF
IMP
ddA-MP
AMP
GMP
Hypoxanthine
ADP
GDP
Acide urique
ddA-DP
ddA-TP
Inhibition
Purine nucléoside
phosphorylase
GTP
TDF-DP
Catabolisme des purines
NTP
Ribonucléotide réductase
ATP
TDF-MP
Synthèse de l’ADN
dNTP
dGTP
Inhibition
AMP, ADP, ATP : adénosine 5’-mono, -di, triphosphate ; GMP, GDP, GTP : guanosine 5’-mono, -di, triphosphate ;
ddA-MP, -DP, -TP, didéoxy-adénosine 5’-mono, -di, triphosphate ; NTP, nucléotide triphosphate.
Figure 1. Schéma de la voie de synthèse des purines (9).
Interaction avec les métabolites du ténofovir et de la didanosine.
Inhibition par les métabolites du ténofovir de la purine nucléoside
phosphorylase(PNP) et du catabolisme des purines. D’autre part,
les métabolites de la didanosine bloquent la voie de synthèse de
l’adénosine. Le résultat est une augmentation de synthèse de la
guanosine et de la dGTP qui inhibe la synthèse de l’ADN.
Interactions entre analogues nucléotidiques
et inhibiteurs de la protéase : ténofovir et atazanavir
Les INTI et les IP ont des mécanismes d’action et des voies
métaboliques totalement différentes, ce qui laissait supposer
une absence d’interactions lors de leur association. En effet,
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 3 - mai-juin 2007
le ténofovir est éliminé par voie rénale sous forme inchangée
et l’atazanavir est un substrat du CYP3A comme tous les IP.
L’essai PUZZLE 2 (ANRS107) s’intéressait à l’association du
ténofovir et de l’atazanavir, plus ritonavir chez des patients
prétraités chez lesquels l’ajout de deux molécules actives semblait
pouvoir entraîner une efficacité antirétrovirale. Le ténofovir et
l’atazanavir s’administrant en monoprise au cours d’un repas,
l’observance des patients pouvait être améliorée. Les profils
pharmacocinétiques de l’atazanavir/ritonavir associé ou non au
ténofovir ont été comparés. Lorsqu’on ajoutait du ténofovir à un
traitement comprenant de l’atazanavir/ritonavir, on observait
une diminution significative des ASC de l’atazanavir de l’ordre
de 25 à 40 % (10). Le mécanisme serait une interaction physicochimique entre le ténofovir et l’atazanavir ou une interaction
au niveau de la glycoprotéine P acide (PgP) [protéine d’efflux
des médicaments] lorsque les deux molécules sont présentes
simultanément au niveau de l’intestin. Malgré cette diminution
d’exposition, les concentrations d’atazanavir restent au-dessus de
celles obtenues sans ajout de ritonavir. Il est donc recommandé
de toujours prescrire du ritonavir avec l’atazanavir lorsque le
ténofovir est associé et de surveiller les concentrations plasmatiques d’atazanavir pour vérifier que l’exposition est suffisante (10).
Une telle interaction n’a pas été retrouvée avec d’autres IP.
Par ailleurs, il semblerait qu’atazanavir et lopinavir/ritonavir
augmentent les concentrations plasmatiques de ténofovir de l’ordre
de 30 %. Le mécanisme d’une telle interaction n’est pas entièrement
élucidé. Il pourrait s’agir d’une inhibition de transporteurs impliqués
dans l’élimination du ténofovir tels que MRP2 ou MRP4 (11).
mise au point
m ise au point
Interactions entre IP associés au ritonavir
Le ritonavir est l’un des inhibiteurs les plus puissants du CYP3A4.
Son utilisation à des posologies infrathérapeutiques (booster) dans
les stratégies antirétrovirales en association avec les IP est désormais
bien connue et a permis d’améliorer le profil pharmacocinétique
Tableau. Interactions entre inhibiteurs de protéase associés au ritonavir faible dose. (D’après D. Back, symposium Boehringer IAS, Rio de Janeiro,
Brésil, 2004).
Associations
Posologie par prise en mg
Modifications des concentrations résiduelles
comparées à IP + RTV seul
Commentaires et recommandations
Références
APV ou fAPV + LPVr
600 (ou 700) + 400/100 x 2/j
APV diminution 70 %
LPV diminution 50 %
Patients VIH
Étude clinique ANRS 104 ; suggestion
200 mg RTV x 2/j ; non validé fAPV
(14, 15)
fAPV + SQV + RTV
700 + 1 000 + 100 x 2/j
APV inchangé (1 299 ng/ml)*
SQV diminution 40 % (386 versus 508 ng/ml
et 520 ng/ml si RTV dose x 2/j)
Patients VIH
Suggestion RTV 200 mg x 2/j
(40)
fAPV + ATV + RTV
700 x 2/j + 300 x 1/j + 100 x 1/j
APV inchangé (>1 190 ng/ml*)
ATV diminution 22 %
ATV (>960 ng/ml*)
Sujets sains et patients*
Posologie inchangée ; suggestion ATV x 2/j
(41, 42)
ATV + LPVr
300 x 1/j + 400/100 x 2/j
ATV inchangé (796 versus 896 ng/ml)
LPV diminution 20 % (4 408 versus 5 225 ng/ml)
Patients VIH sous ATV ou LPVr
(+ LPVr ou ATV 2 sem.) ; posologie inchangée
(18)
ATV + SQV + RTV
300 + 1 600 + 100 x 1/j
ATV inchangé (767 ng/ml*)
SQV augmentation 100 % (184 versus 87 ng/ml)
Posologie inchangée
(43)
LPVr + IDV
400/100 + 400 x 2/j
LPV inchangé (5 612 versus 4 811 ng/ml)
IDV inchangé (293 ng/ml*)
Patients VIH sous LPVr (+ IDV 2 sem.) ;
posologie inchangée
(44)
LPVr + NFV
400/100 + 1 250 x 2/j
LPV diminué (4 800 versus 7 100 ng/ml)
NFV inchangé (1 300 versus 1 100 ng/ml)
mais 1 g versus 1 250 g x 2/j
Sujets sains
Augmenter LPVr 533/133 x 2/j + NFV inchangé
(45)
LPVr + SQV
400/100 + 1 000 x 2/j
LPV inchangé (3 310 ng/ml*)
SQV inchangé (543 versus 427 ng/ml)
Comparaison de deux cohortes (SQV + RTV
+ AN et SQV +LPVr) ; posologie inchangée
(46)
TPV + RTV + APV
500 + 200 + 600 x 2/j
APV diminution 44-55 %
TPV inchangé
Association déconseillée
(17)
TPV + RTV + LPV/r
500 + 100 + 400/100 x 2/j
LPV diminution 55-70 %
TPV inchangé
Association déconseillée
(17)
TPV + RTV + SQV
500 + 200 + 1 000 x 2/j
SQV diminution 76-82 %
TPV inchangé
Association déconseillée
(17)
* Comparaison avec données historiques ** et aussi (47).
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 3 - mai-juin 2007
105
de ces médicaments (12). Il est également intéressant d’associer
plusieurs IP dans certains cas d’échecs aux traitements antirétroviraux et/ou d’effets indésirables, voire de toxicité des INTI
contre-indiquant leur poursuite. Ces associations ne sont pour
la plupart pas évaluées par des essais cliniques et des interactions
inattendues peuvent survenir, qui dépendent du profil respectif
de chaque IP en tant qu’inhibiteur ou inducteur enzymatique
préférentiellement du CYP3A et/ou de la Pgp. L’amprénavir et
le lopinavir/ritonavir ont été les deux premiers IP associés chez
des patients prétraités en échec. L’essai PUZZLE 1 (ANRS 104) a
permis une évaluation de cette association thérapeutique. Sur le
plan de l’efficacité, il a démontré l’intérêt d’augmenter la dose de
ritonavir à 200 mg x 2/j ; sur le plan pharmacocinétique, il a mis en
évidence la complexité de l’interaction (13). Les résultats montrent
une diminution significative des concentrations d’amprénavir lorsqu’il est associé au lopinavir et une diminution des concentrations
de lopinavir lorsqu’il est associé à la dose la plus faible de ritonavir (100 mg x 2/j), les concentrations étant augmentées par une
posologie supérieure de ritonavir (200 mg x 2/j). Le mécanisme
de cette interaction serait une diminution du pouvoir inhibiteur
du ritonavir sur le CYP3A4 lorsqu’il est associé au lopinavir et
à un effet inducteur de l’amprénavir (13, 14). Cette interaction
a été également retrouvée avec le fosamprénavir (prodrogue de
l’amprénavir administré à la posologie de 700 mg x 2/j) avec une
diminution des concentrations de lopinavir et d’amprénavir (15).
Une augmentation de la posologie du fosamprénavir est parfois
recommandée lors de cette association (1 400 mg x 2/j), un suivi
thérapeutique pharmacologique (STP) des deux médicaments
étant recommandé dans tous les cas (1, 15).
L’association du tipranavir avec l’amprénavir, le saquinavir ou le
lopinavir/ritonavir entraîne une diminution de 50 % ou plus des
concentrations de l’IP associé (fi gure 2). Le mécanisme serait
une induction puissante par le tipranavir de la Pgp (16, 17). La
coadministration de tipranavir avec d’autres IP est donc déconseillée ; si ces associations s’avèrent nécessaires, un suivi pharmacologique est indispensable afin d’augmenter les posologies
et d’éviter des concentrations plasmatiques sous-optimales.
Depuis la mise sur le marché d’autres IP, des études “systématiques”
d’interaction ont été mises en route, soit chez des volontaires sains,
soit chez des malades. Un résumé des interactions observées est
présenté dans le tableau, voir page 105. Il faut toutefois rappeler
que même en l’absence d’interaction pharmacocinétique, la pertinence clinique de certaines de ces associations doit être discutée,
en particulier en prenant en compte la puissance virologique sur
des virus mutés et le profil de tolérance (16, 18).
Interaction entre inhibiteur de fusion et IP/r
L’enfuvirtide est le seul médicament de cette classe administré par
voie parentérale. Son métabolisme est indépendant du CYP450,
puisque, de structure polypeptidique, il est catabolisé par des
peptidases. Une étude récente a montré une augmentation des
concentrations résiduelles de tipranavir et de ritonavir lors de
l’association avec l’enfuvirtide. Cependant, ces études ne sont pas
des études contrôlées et leurs résultats, dont la pertinence clinique
est discutable, doivent être interprétés avec précaution (19).
106
inteRactions entRe antiRétRoViRaux
et d’autRes classes de médicaments
Méthadone
La découverte “fortuite” d’interactions inattendues a permis de
faire des progrès rapides sur la connaissance des voies métaboliques de certaines molécules, en particulier les plus anciennes.
Un exemple est la méthadone. Les premières études in vitro
suggéraient un métabolisme médié par le CYP3A (20). Puis
il a été démontré que, contrairement à l’effet attendu, le ritonavir diminuait les concentrations de méthadone, suggérant
que le CYP3A ne serait pas la voie d’élimination principale (21).
Depuis, un métabolisme complexe stéréosélectif, impliquant
différentes isoformes des CYP450 et notamment les CYP2B6,
CYP2C19 et CYP3A4, a été mis en évidence. Le CYP2B6
métabolise (préférentiellement l’énantiomère S, le CYP2C19
préférentiellement l’énantiomère actif R), alors que le CYP3A4
métabolise indifféremment l’un ou l’autre des énantiomères (22).
En conséquence, l’exposition à la méthadone est significativement diminuée lorsque celle-ci est associée à la névirapine et
à l’efavirenz, substrats et inducteurs du CYP2B6, nécessitant
une adaptation de posologie de la méthadone (23). Il semble
que le ritonavir soit également inducteur du CYP2B6 ; les IP
associés au ritonavir provoquent en général une diminution des
concentrations de méthadone qui n’est d’ailleurs pas toujours
associée à la survenue d’un syndrome de manque (21, 24).
Atazanavir et inhibiteurs de la pompe à protons
Les interactions au niveau de l’absorption sont en général peu
explorées, mais il convient de ne pas les méconnaître, car elles
sont sources de modifications importantes de concentrations.
Ainsi, l’absorption de l’atazanavir est dépendante du pH gastrointestinal (25, 26). Plusieurs études ont ainsi montré une diminuSQV
APV
LPV
0
- 10
- 20
- 30
Changement (%)
mise au point
m ise au point
- 40
- 50
- 60
- 70
- 80
- 90
ASC
Cmax
Cmin
Figure 2. Effet du tipranavir sur les principaux paramètres pharmacocinétiques des inhibiteurs de la protéase associés (48).
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 3 - mai-juin 2007
tion des concentrations d’atazanavir associé aux IPP, lansoprazole
ou oméprazole (27-31). Compte tenu de la durée d’action des IPP,
l’association d’atazanavir et d’IPP n’est pas recommandée. Il reste
cependant à vérifier que cette interaction est aussi importante
chez des patients que des sujets volontaires sains.
Plantes
Des substances inhibitrices ou inductrices sont présentes dans
les végétaux. Les conséquences cliniques sont probablement
peu importantes lorsqu’elles sont associées à des médicaments à marge thérapeutique importante. Devant l’absence
de données pharmacodynamiques et pharmacocinétiques, les
patients doivent être informés du risque d’interaction lié à la
prise concomitante de compléments alimentaires, de mélanges
de plantes à visée thérapeutique en vente libre.
Deux interactions désormais “classiques” peuvent être citées
à titre d’exemple :
✓ Le millepertuis (Hypericum perforatum) est une plante médicinale largement utilisée en phytothérapie pour ses propriétés
antidépressives. Une étude chez des volontaires sains a montré
une réduction significative des concentrations d’indinavir lors
de l’administration concomitante de millepertuis avec une diminution significative de son ASC de 57 % en moyenne (32). Des
données préliminaires ont suggéré que le millepertuis induisait
l’isoforme 3A4 du CYP responsable du métabolisme des IP et
des INNTI (33). Cette interaction pourrait être renforcée par
un second mécanisme qui ferait intervenir la glycoprotéine P
intestinale ; celle-ci serait induite en présence de millepertuis
chez des volontaires sains (34).
✓ Le pamplemousse contient une (ou des) substance(s) capable(s)
d’inhiber le CYP3A présent au niveau intestinal (35). La molécule
active isolée dans le jus de pamplemousse, la 6’, 7’dihydroxybergamottine, inhibe plus particulièrement les CYP3A4 présents au
niveau intestinal par un mécanisme post-transcriptionnel qui
accélère leur dégradation (36, 37). Bien que tous les IP interagissent avec le CYP3A4, cette interaction n’a pas été retrouvée
avec l’amprénavir (38) ni avec l’indinavir (39), sans doute du
fait de la faible contribution du métabolisme intestinal de ces
deux molécules. Cependant, la puissance inhibitrice étant bien
moindre que celle du ritonavir, son utilisation pour améliorer la
biodisponibilité de certains IP n’est donc plus d’actualité !
conclusion
La connaissance de la pharmacocinétique et des voies métaboliques des nouvelles molécules a progressé ces dernières
années, du fait notamment de l’augmentation du niveau d’exigence des agences d’enregistrement. Ainsi, le profil d’interactions
complexes du ritonavir est mieux défini : inhibiteur puissant du
CYP3A tout en étant inducteur d’autres CYP et UGT. Cela n’a
cependant pas permis d’éviter la mise en évidence “fortuite”
d’interactions, potentiellement délétères pour le patient du fait
d’une sur- ou d’une sous-exposition : interactions inattendues
au niveau de l’absorption, voies métaboliques peu explorées…
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 3 - mai-juin 2007
La prévision d’une interaction est donc parfois un exercice difficile,
en l’absence d’une connaissance approfondie des voies métaboliques du médicament associé. La pertinence clinique (efficacité et
tolérance) de l’adaptation posologique proposée doit être évaluée.
À cet égard, l’exemple de l’interaction didanosine-ténofovir est
exemplaire : interaction pharmacocinétique “dépistée” par l’augmentation d’effets indésirables graves, mais méconnaissance
d’une interaction pharmacodynamique qui a conduit à des
échecs immunovirologiques. Il est probable qu’avec l’arrivée de
nouveaux antirétroviraux, d’autres interactions surviendront.
Par conséquent, la prescription d’associations de médicaments
antirétroviraux peu ou mal évaluées doit rester prudente.
■
mise au point
m ise au point
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Ce numéro est routé avec La Lettre de la SFLS, n° 32 – juin 2007, 12 pages, un flyer IAS et un flyer ICAAC.
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 3 - mai-juin 2007