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LES PROCESSUS D’ADAPTATION À LA
MONDIALISATION AUX ÉMIRATS ARABES
UNIS : DES ZONES FRANCHES AUX ZONES
ÉCONOMIQUES SPÉCIALES
Nermine EL SHIMY *
L’établissement de zones de statut particulier afin d’atteindre des objectifs
économiques n’est pas une idée neuve. Dès le XVIIIe siècle, plusieurs
territoires furent transformés en zones de libre-échange : Gibraltar en 1704,
Singapour en 1819 et Hong Kong en 1824. Cependant, c’est durant les trentecinq dernières années que s’est répandu le concept de zones franches. Cellesci font partie des moyens utilisés pour attirer les investisseurs étrangers.
Gagnant du terrain sur l’ensemble de la planète, elles sont devenues de plus
en plus importantes à mesure que les pays en développement ont cherché
à attirer des investissements étrangers pour dynamiser leur commerce et
soutenir leur croissance économique.
Les avantages présentés par les zones franches sont clairs. Dans les pays en
développement, elles peuvent servir de point de départ à l’industrialisation et
permettre d’élargir le spectre des possibilités de diversification économique.
Les objectifs à court terme du pays d’accueil sont d’augmenter les
exportations ainsi que les recettes des échanges avec l’étranger, de générer
des opportunités d’emplois, de stimuler les investissements et d’accélérer
le développement régional. Sur le long terme, le pays d’accueil espère que
les zones franches participeront également au transfert de technologies, à
l’acquisition des clés du management, ainsi qu’au développement de liens
avec l’économie de l’ensemble du pays. Dans les économies industrialisées,
on observe que le modèle des zones franches est utilisé pour revitaliser des
* Nermine El Shimy est Chief Economic and Regulatory Officer, The Higher
Corporation for Specialized Economic Zones-Zones Corp, Abou Dhabi.
Maghreb-Machrek, N° 195, Printemps 2008
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Nermine EL SHIMY
espaces urbains et ruraux où l’économie est déficiente et pour relancer la
compétitivité des produits et l’efficacité commerciale des entreprises.
Le concept de zone franche variant légèrement d’un pays à l’autre,
la difficulté à le maîtriser, faute d’expérience, a gêné la mise en place et
l’exploitation des zones franches en Afrique du Nord et au Moyen-Orient,
où les zones franches ont été un succès seulement dans quelques pays dont
les Émirats. Il convient donc d’expliquer clairement le concept de zone
franche et son évolution, en mettant en lumière les directions prises par
les zones franches à l’échelle internationale avant de présenter le statut
des zones franches aux Émirats arabes unis et d’analyser les raisons qui
justifient de s’orienter vers l’adoption d’un modèle différent, celui des zones
économiques spéciales.
LE
DÉVELOPPEMENT ET L ’ ÉVOLUTION DES ZONES FRANCHES À TRAVERS LE
MONDE
Pendant les dernières décennies, de nombreux changements se sont
produits dans la manière dont ces zones ont été conçues, développées,
gérées, régulées et administrées. Ces changements incluent le rôle croissant
du secteur privé dans le développement et l’organisation de ces zones,
l’implantation de la politique de l’OMC et l’adoption de cadres juridiques
innovants, régulateurs et adaptables. Des pays comme la Chine, la Malaisie
et la Jordanie ont utilisé ces zones comme des espaces-test afin d’évaluer
l’impact des nouvelles politiques et des nouvelles mesures visant à améliorer
le climat des affaires. Le Costa Rica les a utilisées comme un outil efficace
pour attirer des investisseurs étrangers, avant d’étendre cette approche
à un ensemble plus large d’entreprises. De nouvelles lois en Inde et au
Panama utilisent des zones économiques d’une nature particulière pour
faire disparaître les rigidités du marché du travail et pour promouvoir
des approches compatibles avec les obligations de l’OIT (Organisation
Internationale de travail). Dans la zone économique spéciale d’Aqaba en
Jordanie, les mesures de simplification, d’accélération et de transparence
des démarches ont été couronnées de succès et sont désormais appliquées
à d’autres parties du pays. Enfin, dans plusieurs pays du Golfe, les zones
franches permettent d’illustrer la spectaculaire libéralisation des politiques
concernant les investissements étrangers.
Les études menées sur les zones franches permettent de résumer les
principales raisons qui inspirent les politiques menées.
• Appuyer une stratégie de réforme économique : les zones franches sont
de simples outils qui permettent au pays de diversifier et de développer ses
exportations. Ce modèle a été suivi à Taiwan et en Corée du Sud.
• Servir de soupapes de sécurité pour limiter l’augmentation du chômage :
les zones franches en Tunisie et en République Dominicaine sont souvent
citées comme exemples de réussite en matière de création d’emplois.
Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis
3
• Servir de laboratoires pour tester les nouvelles politiques : les zones
franches chinoises sont des exemples de cette catégorie. Des dispositions
financières, législatives ou réglementaires ont été expérimentées dans ces
zones avant leur généralisation au reste du pays.
• Attirer des investisseurs étrangers : les zones franches récemment établies
au Moyen-Orient ont pour principal objectif d’attirer des investisseurs
étrangers.
Aujourd’hui, il y a au moins 850 zones franches dans le monde, sans
compter toutes les zones chinoises de taille d’une province ou d’une ville,
qui doivent maintenant dépasser les mille.
Tableau 1 – Le développement des zones franches
Dans les années 1970
Aujourd’hui
30 pays
Plus de 120 pays
80 zones en projet
2000 à 5000 zones en projet
Pas de zones privées
Plus de 1200 zones privées
Total des exportations = 6 milliards $
Total des exportations > 600 milliards $
Création d’emplois directs = 1 million
Création d’emplois directs = 50 millions
Source : OTT et Banque mondiale.
Selon la Banque mondiale, les zones franches peuvent catalyser ou
piloter une réforme au niveau de la politique nationale. Elles jouent aussi
un rôle en créant des emplois, en augmentant les salaires, en améliorant
les conditions de travail et en permettant la diffusion des qualifications
(0,21 % de l’emploi total est créé par les zones franches dans le monde). Les
zones franches participent également à l’augmentation du PNB des pays
d’accueil à hauteur de 0,52 % en moyenne. Elles contribuent à accroître les
exportations, particulièrement dans les plus petits pays. Elles représentent
14,3 % du commerce mondial des exportations. Les zones franches facilitent
aussi le transfert de technologies et la diversification des économies. La
mondialisation entre, bien entendu, en jeu puisque ces zones peuvent
servir de liens dans les chaînes de production qui alimentent les marchés
mondiaux.
Au-delà de leur diversité, les investisseurs manifestent des préoccupations
communes. La première d’entre elles concerne ce que l’on pourrait appeler
la rançon du succès : surchauffe de l’économie, pénurie de ressources et
surcapacité de production. La deuxième préoccupation commune concerne
la force de travail. L’investisseur doit se préoccuper de la disponibilité des
compétences requises et de la possibilité d’améliorer celles qui existent. La
surchauffe du marché du travail est une autre préoccupation puisqu’une
demande importante aboutit à une augmentation excessive des salaires et
à un important turnover. Le manque de soutien de la part du gouvernement
fait aussi partie des inquiétudes. La bureaucratie et la routine effraient
Nermine EL SHIMY
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les investisseurs. La faiblesse de la législation sur les droits de propriété
intellectuelle et la carence de mesures efficaces pour faire respecter les lois
sont également un sujet de préoccupation de même que l’augmentation des
coûts de fonctionnement. Enfin, les investisseurs se préoccupent de l’existence
de risques, problèmes de sécurité ou risques naturels. Selon une étude sur
les investisseurs étrangers dirigée par la Multilateral Investment Guarantee
Agency (MIGA) de la Banque mondiale en 2002, les principales compagnies
mondiales citaient les vingt raisons suivantes comme éléments déterminants
dans le processus de décision d’une implantation à l’étranger.
Tableau 2 – Les facteurs déterminants pour les investisseurs étrangers
Facteur
Pourcentage
Accès au marché
77
Environnement social et politique stable
64
Climat des affaires facile
54
Fiabilité et qualité des infrastructures et des services
50
Facilité à recruter des techniciens qualifiés
39
Facilité à recruter du personnel d’encadrement
38
Niveau de corruption
36
Coût de la main-d’œuvre
33
Criminalité et sécurité
33
Facilité à recruter des ouvriers qualifiés
32
Taxes nationales
29
Coût des services
28
Réseau routier
26
Accès aux matières premières
24
Existence et qualité des universités et formations techniques
24
Disponibilité en espaces équipés
24
Taxes locales
24
Accès aux fournisseurs
23
Relations de travail et syndicalisation
23
Services aériens
23
Source : MIGA 2002.
L’étude révèle que l’accès au marché est le facteur crucial pour les
entreprises quand elles décident de s’installer à l’étranger. Il convient aussi
de noter que les entreprises manufacturières placent au second rang la
réduction des coûts de fonctionnement avant les matières premières et
les sources d’énergie. Ce dernier point est une des raisons majeures qui
poussent les Émirats à adopter le modèle des zones économiques spéciales,
comme on le verra ci-dessous dans cet article. En général, les entreprises
regardent aussi le potentiel du marché, la proximité des clients, la fiabilité
Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis
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des fournisseurs, les risques économiques et la qualité et le coût du travail,
ainsi que la qualité du réseau de transports. En 1993, NEI/Ernest and Young
a publié une étude à l’intention des compagnies multinationales pour leur
démontrer l’importance d’un certain nombre de critères.
Tableau 3 – Les facteurs de localisation géographique
% des entreprises considérant les facteurs du
choix du pays
choix de la région
décisif
important
décisif
important
34
51
19
31
Disponibilité en matières premières
9
23
12
17
Proximité des principaux clients
17
14
18
6
Disponibilité en sites aménagés
5
5
17
17
11
20
19
20
Appui du gouvernement
6
19
9
23
Langues
15
14
2
2
Fiscalité des entreprises
6
15
3
-
Climat des affaires
Proximité des marchés
Caractéristiques
Assistance financière
Travail
Disponibilité en main d’œuvre
8
26
5
32
Disponibilité en travailleurs qualifiés
9
19
11
22
Qualité du travail
8
22
9
29
Relations de travail
6
17
5
6
Comportement au travail
8
14
-
17
Coût des locaux
5
17
11
18
Coût du travail
11
22
9
17
Qualité du réseau routier et ferroviaire
23
20
15
32
Coût des facteurs
Infrastructures
Proximité d’un port
8
11
6
15
Proximité d’un aéroport
9
14
6
31
Qualité des aéroports
5
12
2
11
Facteurs culturels
5
17
-
23
Écoles pour expatriés
2
11
2
9
Facilités éducatives
-
6
2
12
Attractivité générale de la zone
5
6
6
8
Qualité de vie
Source : NEI/Ernst & Young, 1993.
Nermine EL SHIMY
6
Les tendances exposées dans cette première partie ont des implications sur
le développement des zones franches aux Émirats dans la mesure où toute
zone se doit de répondre aux exigences et aux préoccupations des entreprises.
Les investisseurs ont besoin de flexibilité en termes d’allocation des ressources
(travail, capital, équipement), d’une réglementation appropriée, de chaînes
logistiques compétitives, ce qui implique des infrastructures de qualité et un
système de transports multimodal, de travailleurs productifs et compétents
mais aussi de l’adhésion aux attentes d’entreprises socialement responsables.
Tels sont les impératifs dont les zones des Émirats doivent tenir compte.
LES
ZONES FRANCHES AUX
DÉVELOPPEMENT
ÉMIRATS
ARABES UNIS ET LEUR CONTRIBUTION AU
Selon un rapport de l’OMC 1, l’économie des Émirats arabes unis a connu
une croissance de l’ordre de 6 % par an au cours de la dernière décennie.
De 2003 à 2005, le taux de croissance a atteint 9 %, ce qui est en partie dû
à l’augmentation du prix des hydrocarbures. L’investissement des surplus
générés par les revenus des hydrocarbures dans des infrastructures et des
grands projets, combiné à l’afflux de travailleurs étrangers, a contribué à
la diversification de l’économie émirienne. Le pétrole et le gaz comptent
aujourd’hui pour seulement un tiers du PNB des EAU (contre 74 % en
1980), derrière le secteur des services qui comptent pour 55 % du PNB. Le
PNB par habitant des EAU est maintenant l’un des plus élevé de la planète
et dépasse les 49 000 dollars en 2007.
Le commerce a une importance particulière dans l’économie des EAU.
Les exportations de marchandises, à côté de celles de pétrole et de gaz,
s’orientent vers la mécanique et l’outillage et incluent des ordinateurs et
d’autres matériels électroniques. L’activité de réexportation est également
substantielle. Alors que les exportations de brut se font essentiellement à
destination des pays d’Asie orientale, les exportations non pétrolières sont
destinées à des clients tels que l’Inde, le monde arabe, voire l’Europe. Les
réexportations se font à destination de l’Iran et des membres du Conseil de
Coopération du Golfe. Le secteur des services des EAU est aussi en pleine
croissance tant au sein du pays qu’à l’étranger. Les piliers de l’économie
des EAU sont donc en bonne santé et s’inscrivent fortement dans une
diversification orientée vers les secteurs de l’industrie et des services. En
décembre 2006, il y avait trente-deux zones économiques spéciales aux
EAU, dont vingt-six situées dans l’émirat de Doubaï. Les activités des zones
franches sont reliées au commerce ou aux services. Les indicateurs-clés de
deux des zones doubaïotes permettent de se faire une idée de leur importance.
En janvier 2006, on dénombrait 5 243 entreprises et 106 971 salariés à
Jebel Ali, tandis que Dubai International Financial Center rassemblait 150
entreprises et 1 400 employés.
1. WTO Trade Policy Review Report, avril 2006.
Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis
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Tableau 4 – Les zones franches des Émirats arabes unis
Jebel Ali Free Zone (Jafza)
Dubai Airport Free Zone
Dubai Internet City
Dubai Media City
Dubai Metals &
Commodities Center
(DMCC)
Dubai International
Financial Center (DIFC)
Dubai Auto Zone
Dubai Building Material
Zone
Dubiotech
Gold & Diamond Park
Knowledge Village
Hamriyah Free Zone
Dubai Silicon Oasis
Maritime City
Techno Park
Sharjah Airport
International Free Zone
(SAIF)
Dubai Aid City
Dubai Health Care City
Dubai Auto Parts
City
Ajman Free Zone
Dubai Textile City
Dubai Outsource Zone
Dubai Studio City
Ahmad Bin Rashid Free
Zone
Heavy Equipment &
Trucks FZ
Dubai Academic City
Dubai Flower
Center
Ras Al Khaimah Free
Zone
International Media
Production Zone
Dubai Carpet Free Zone
Jebel Ali Airport
City
Fujairah Free Zone
Sources personnelles de l’auteur.
Les zones franches aux EAU offrent un ensemble d’avantages s’inscrivant
dans le cadre habituel des zones franches présentes tout autour du monde :
absence de taxes, de frais de douanes sur les importations, de quotas, de
contrôle des échanges avec l’étranger, aucune restriction sur le rapatriement
des profits et des capitaux, liberté d’employer et de licencier la maind’œuvre, réduction de la bureaucratie. La possibilité pour les étrangers
d’être propriétaire à 100 % de leur entreprise dans les zones franches des
EAU, ce qui n’est pas le cas hors zones franches, a joué un rôle important
pour attirer les investisseurs étrangers et explique largement le succès de
ces zones. Les zones franches représentent l’unique moyen de contourner
la législation fédérale sur les entreprises, selon laquelle la propriété des
étrangers ne peut dépasser 49 %. En dépit de leur succès, la contribution des
zones franches à l’économie des EAU n’est pas à la mesure de leur nombre,
car certaines font en quelque sorte double emploi, dans la mesure où leurs
activités se chevauchent. Une stratégie reste à mettre en place pour :
• Attirer les investissements étrangers : l’implantation d’une zone franche
aux EAU induit un afflux de capital. Il y a environ 9000 compagnies opérant
dans les zones franches de Doubaï. Selon la Conférence des Nations Unies
pour le Commerce et le Développement (CNUCED), les Investissements
Directs Étrangers (I.D.E.) aux EAU entre 1990 et 2004 ont atteint vingt
deux milliards de dollars. Le ministère de l’économie travaille en étroite
collaboration avec la CNUCED afin d’estimer les I.D.E. générés par les
compagnies opérant dans les zones franches. Actuellement, il n’y a pas
encore de chiffres précis montrant la contribution des zones franches dans
les statistiques relatives aux I.D.E.
8
Nermine EL SHIMY
• Promouvoir les exportations : selon le rapport annuel de la Banque
Centrale des EAU de 2005, les importations totales en 2004 au sein des zones
franches ont atteint 69 milliards de dihrams soit 35 % des importations
totales des EAU. Le montant total des exportations non pétrolières générées
par les zones franches (en incluant les réexportations) a atteint 53 milliards
de dihrams en 2004, ce qui représente 66,75 % des exportations totales du
pays. Ayant surtout servi de centres de réexportation, les zones franches, pour
être en phase avec la politique gouvernementale qui prône la diversification,
vont devoir reconsidérer leurs approches et leurs stratégies afin d’augmenter
la valeur ajoutée de leurs activités.
• Créer des opportunités d’emplois qualifiés : la mondialisation oblige
les entreprises des zones franches à produire plus rapidement et pour un
moindre coût, donc à s’améliorer constamment. Cela amène de nombreuses
entreprises à introduire de nouvelles technologies et à trouver des moyens
d’augmenter la productivité de leurs employés en finançant des stages
intensifs de formation. Certaines entreprises, parmi les plus avancées,
utilisent même des systèmes de plans de carrière, des équipes autodirigées
et un partage du profit pour assurer une amélioration de la rapidité et
de la qualité du travail tout en minimisant les coûts. Les entreprises des
zones franches, concernées par quelques-uns des problèmes qui réduisent
la productivité aux Émirats, fournissent des facilités pour les moyens de
transport et la garde des enfants ou aident leurs employés à trouver un
logement. Un autre effet de la mondialisation est la demande croissante
de nouveaux talents. Les firmes étrangères demandent des travailleurs
et des équipes qualifiés, ce qui oblige les EAU à remettre en cause leur
système éducatif afin de répondre à la demande des investisseurs et à mieux
contribuer à la création d’emplois pour les Émiriens.
• Faciliter le transfert de technologies et l’art du management : les EAU
espèrent utiliser les zones économiques spéciales (ZES) pour l’introduction
de nouvelles technologies dans l’économie du pays, en encourageant les
entreprises à diffuser ces technologies. Même dans les industries sans
technologie très compliquée, le transfert existe toujours. Or, différentes
études ont montré que la capacité d’un pays d’accueil à initier un transfert
de technologies dépendait en grande partie des caractéristiques du capital
humain 2, ce qui renvoie à la politique d’éducation et de formation.
• Nouer des liens avec l’économie nationale : la nature des liens entre
les activités en zones franches et celle du reste de l’économie nationale est
une question importante. Plus les liens sont étendus, plus les zones franches
seront susceptibles de générer des bénéfices sur le long terme. La création
de tels liens reste l’un des principaux objectifs de la stratégie des zones
économiques spéciales. La construction, l’électricité, les technologies de
l’information et de la communication, les services financiers et les transports
2. Dieter Lösch, “Chinese Special Economic Zones at a Crossroads”, HWWA –
Discussion Paper, Hambourg, n° 25, 1995.
Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis
9
comptent parmi les liens les plus importants avec l’économie nationale. Si
aucun intrant du pays n’est utilisé dans la production de la zone, celle-ci
n’aura pas d’effets multiplicateurs, alors que la construction de relations
entre la zone et le pays peut obliger les producteurs nationaux d’intrants
intermédiaires à produire des intrants de meilleure qualité pour que les
firmes étrangères se procurent ces intrants sur place et n’aillent plus les
chercher à l’étranger. Faute de liens suffisants avec l’économie nationale,
les zones ne seront que des enclaves.
LA
NÉCESSITÉ D’ADAPTER LES ZONES FRANCHES ÉMIRIENNES À DE NOUVELLES
RÉALITÉS GLOBALES
Il ne fait aucun doute que le concept de zone franche est un atout pour la
croissance économique. Plusieurs pays ont déjà bénéficié de l’implantation
de ces zones d’activités particulières. La compétition est donc de plus en
plus forte au niveau régional et international. La gestion de ces zones
implique une surveillance étroite des investissements internationaux. Il faut
connaître leur évolution, la position des acteurs, les facteurs qui expliquent
les tendances, ce qui est déterminant si l’on veut conserver la compétitivité
des zones franches.
La première étape dans la gestion d’une ZES consiste à attirer des
entreprises qui investissent et s’établissent. La seconde étape consiste à les
retenir. Les gestionnaires doit donc prendre en compte le degré de mobilité
des entreprises. Généralement, les activités en aval (reliées au marché)
et en amont (reliées à la source) de la chaîne de production sont moins
mobiles que celles situées au niveau intermédiaire (reliées à la logistique).
La mobilité croissante des entreprises va donc forcer les zones franches à
analyser et à renforcer, avec attention et en permanence, leur position en
termes d’avantages comparatifs et des stratégies de suivi sont indispensables
pour fidéliser les entreprises existantes.
Le rapport qualité/prix est un autre élément déterminant pour la
compétitivité des zones franches qui ont besoin de concentrer au même
endroit la meilleure qualité de services et les coûts les plus bas possible.
Les zones qui ont commencé comme sites à faibles coûts de fabrication ont
besoin, pour la plupart, de se transformer en zones logistiques sophistiquées
pour rester compétitives. Des études ont montré que les incitations fiscales
ne constituent plus désormais un argument suffisant pour les zones franches
et qu’elles doivent proposer une offre globale attractive.
L’impact socio-environnemental négatif des ZES, dénoncé par les
organisations internationales comme une « course vers le bas », est un
autre élément à retenir. Selon l’Organisation Internationale du Travail
(OIT), les zones franches offrent, en effet, une force de travail abondante
et comparativement peu chère. Parfois même, les zones franches échappent
à la réglementation du travail des pays dans lesquels elles sont implantées.
Des conditions particulières de travail émergent en raison du manque de
réglementation des emplois. L’OIT appelle à une action collective pour
10
Nermine EL SHIMY
limiter cette probable « course vers le bas ». Les législateurs doivent prendre
cette dimension en considération lorsqu’ils conçoivent ces zones.
Pour attirer les entreprises, les zones franches proposent plusieurs
types d’avantages et d’incitation qui doivent être en conformité avec les
règles édictées par l’OMC 3. L’Accord sur les Subventions et les Mesures
Compensatoires (ASMC) et les Mesures Associées au Commerce et aux
Investissements (MACI) sont particulièrement à considérer lors de la création
et de l’organisation des zones. L’ASMC réglemente l’usage des subventions et
régule les actions que les pays peuvent mettre en place pour contrebalancer
les effets négatifs des subventions. Ces dernières sont, soit interdites, soit
tolérées. Les subventions interdites ne doivent pas être maintenues, ni
financées par un pays membre de l’OMC alors que les subventions tolérées
sont soumises à l’obligation de prouver qu’elles ne nuisent pas aux intérêts
des autres pays membres. Les subventions interdites sont principalement
de deux types : subventions pour les exportations ou subventions de
substitution aux importations. Toutes les zones ne sont pas compatibles
avec les accords de l’OMC. Des avantages tels que l’exemption d’impôts
directs sont considérés comme des subventions interdites lorsqu’elles sont
liées à des exportations. Or il s’agit de l’un des avantages majeurs offerts par
la plupart des zones franches à travers le monde, en violation des principes
de l’OMC. Dans certaines zones, les entreprises doivent assurer un certain
volume d’exportation pour bénéficier de ces exemptions fiscales. Une telle
exigence d’exportation n’est pas en conformité avec les règles du commerce
mondial.
Les pays membres de l’OMC sont signataires, pour la plupart, d’un ou
plusieurs Accords Régionaux de Commerce (ARC). En décembre 2002, 250
ARC ont été recensés par le GATT et l’OMC dont 130 postérieurs à janvier
1995. À la fin de l’année 2005, le nombre d’ARC était de l’ordre de 300. Depuis
que les zones franches sont considérées comme « un pays à l’intérieur du
pays », les entreprises qui y sont implantées ne peuvent plus prétendre aux
bénéfices énoncés dans les accords commerciaux préférentiels. Dans le cas
des EAU, ceci s’étend aux pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG)
et aux pays signataires de l’Accord Pan Arabe de Libre Echange (PAFTA).
De plus, alors que l’accessibilité au marché a été une grande priorité aux
EAU, et ce particulièrement depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libreéchange, le 1er janvier 2005, les entreprises manufacturières qui opèrent
dans les zones franches ont réalisé qu’elles n’étaient plus concernées par
les bénéfices énoncés dans les accords commerciaux préférentiels. L’article
85 de la loi sur les douanes des pays du CCG stipule que les biens acquis en
dehors des zones franches sont traités comme des biens étrangers. L’article
88 ajoute que les biens importés des zones franches doivent être traités
comme des biens étrangers.
3. Ce paragraphe est fondé sur les discussions qui se sont tenues lors de la
réunion annuelle de la convention mondiale des zones franches qui a eu lieu à
Genève en juillet 2006.
Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis
11
Pour surmonter ce problème d’accessibilité au marché, un autre
modèle, celui des zones économiques spéciales, doit être introduit afin de
soutenir la diversification économique et de renforcer les exportations. Les
manufacturiers trouveront ce modèle particulièrement séduisant pour leurs
besoins, car il tente d’éliminer toutes les difficultés d’accessibilité au marché
auxquelles ils ont dû faire face en opérant au sein des zones franches. La ZES
est un concept aujourd’hui répandu sur l’ensemble du globe. On peut espérer
que les ZES deviendront des sortes de laboratoires pour expérimenter des
politiques économiques de plus en plus orientées vers l’extérieur. Le projet
de loi sur les ZES proposé au gouvernement fédéral inclut également un
article concernant la définition du concept de désignation d’entreprise,
pour proposer une solution au secteur manufacturier ayant déjà réalisé
des investissements importants dans les zones franches.
Les ZES doivent être établies en se conformant aux standards mondiaux.
Le développement de ZES aux EAU est un objectif prioritaire défini à moyen
et à long terme, pour maintenir leur position de centre régional dans un
contexte où la compétition s’intensifie. Les EAU doivent mettre en place le
projet d’établissement des ZES et l’envisager comme un outil permettant
de supprimer les barrières entravant l’accès au marché. La ZES n’est donc
pas un simple concept industriel. C’est un espace ouvert, attractif pour
les ressources humaines de niveau mondial, pour les capitaux et pour la
technologie. Les responsables politiques doivent envisager cette initiative
comme un nouveau moteur de croissance de l’économie des EAU pour le
XXIe siècle. Les ZES peuvent aider les EAU à conforter leur place de leader
régional dans les affaires, l’industrie et la logistique, mais elles doivent aussi
permettre au pays de tenir sa place dans la compétition mondiale.
Les zones franches logistiques sont un autre modèle à prendre en compte
lorsque l’on examine les futures options possibles pour les EAU. Elles
se concentrent sur l’amélioration de l’efficacité des systèmes logistiques
et des flux. Les zones franches logistiques peuvent servir à stocker des
marchandises étrangères ou nationales, à reconditionner du matériel, à
assembler des produits ou à réexporter des biens. Le tableau suivant résume
les éléments clés que les gouvernements doivent prendre en considération
lorsqu’ils conçoivent des zones franches logistiques.
Nermine EL SHIMY
12
Tableau 5 – Conditions de fonctionnement des zones franches logistiques
Localisation
stratégique
Fort support
gouvernemental
Infrastructures
et services de
niveau mondial
Soutien à la
logistique
industrielle
Promotion
d’une maind’œuvre
qualifiée
Technologies de
l’information
sophistiquées
Taille du
marché
Avantages pour
les loyers, les
taxes, etc.
Facilités
portuaires
Lignes
maritimes
Compétences
en logistique
Plates-formes de
e-commerce
Localisation
Atmosphère
favorable aux
affaires
Conditions
de transport
international
Lignes
aériennes
Présence
d’experts en
logistiques
Infrastructures de
télécommunications
Atmosphère
Faible intensité
des conflits
Hinterland
portuaire
Fournisseurs
de services
logistiques
Stabilité du
marché du
travail
Accès facilité à
internet haut débit
Diffusion de
l’information
Niveau de
services
Programmes
d’éducation
et de
formation
Liens électroniques
avec les différentes
administrations
portuaires
Accords de libreéchange
Source : Arthur D. Little, 2003.
L’expérience internationale a révélé cinq domaines que les décideurs
devraient prendre en compte pour réussir l’implantation d’une zone.
Le type de zone. L’une des questions cruciales à aborder est celle du choix
du type de zone. Les zones franches devraient être différenciées des ZES.
Les activités industrielles visant les pays du CCG et du PAFTA doivent être
situées dans les ZES, tandis que les zones franches doivent se concentrer
principalement sur les activités logistiques et de réexportation.
Le cadre stratégique. Les meilleures pratiques dans la formulation d’une
stratégie incluent les aspects suivants :
- le développement de zones privées implique de définir clairement
les droits et les obligations des développeurs ainsi que les modalités des
partenariats public-privé.
- les critères de désignation d’une zone, incluant des critères de
développement physiques, doivent être pris en compte.
- l’expérience internationale suggère fortement que la compétitivité des
zones sur le long terme dépend de la qualité et de la productivité de leurs
employés. Pour atteindre ce but, il est important de respecter les principes
et obligations de l’Organisation Internationale du Travail. Des règles doivent
être définies à l’intérieur d’un cadre flexible et libéral concernant le marché
du travail.
Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis
13
Les mesures d’incitation. Celles-ci doivent être en adéquation avec
les obligations de l’OMC. Les subventions non autorisées doivent
être transformées en subventions tolérées. Les exigences vis-à-vis des
exportations, la restriction des ventes au sein du territoire douanier national
et les exonérations d’impôts directs doivent être abolies.
Le cadre réglementaire. Une instance régulatrice est indispensable pour
coordonner les efforts des diverses zones et pour assurer leur adéquation
à la vision globale que les EAU veulent adopter.
- Les lois et règlements qui établissent les différentes zones doivent être
centralisés et facilement accessibles aux investisseurs étrangers. Les activités
actuelles des zones doivent être revues et chaque zone doit répondre à la
liste d’activités établie.
- Des procédures simplifiées pour l’enregistrement des entreprises doivent
être établies.
- Un « guichet unique » doit être créé pour faciliter l’obtention des permis,
l’acquisition des terrains, les procédures de construction des bâtiments, la
gestion des travailleurs, les questions de santé, de sécurité, etc. L’objectif
est de concentrer l’ensemble des démarches auprès de l’autorité en vigueur
dans la zone qui aurait aussi la capacité à accorder les autorisations, au
lieu d’attendre celles-ci des ministères et des agences. Chaque zone devrait
disposer de sa propre autorité et de ses propres bureaux pour parvenir à
offrir de tels services.
Le cadre institutionnel doit viser :
- à assurer une autonomie appropriée à l’autorité de la zone, plus
particulièrement pour les objectifs, le budget, les dépenses et les décideurs
politiques ;
- à assurer une autonomie appropriée en mettant en place une
administration spécifique comprenant certains départements clés du
gouvernement et des représentants du secteur privé ;
- à s’assurer que l’autorité de la zone agit comme un « guichet
unique » ;
- à s’assurer que l’autorité délègue et privatise les fonctions externalisables
pour se concentrer sur les fonctions de base.
CONCLUSION
Il est indéniable que les zones à statut spécial des EAU doivent se
réinventer pour répondre à l’intégration mondiale, aux règles du commerce
international et à l’augmentation des accords commerciaux préférentiels.
L’avenir des zones ne peut et ne devrait pas se fonder uniquement sur les
avantages fiscaux, mais devrait plutôt jouer sur des spécialisations qui
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Nermine EL SHIMY
permettent des complémentarités en termes d’équipements, de services
et surtout de procédures. Le succès des ZES ne dépend pas uniquement
d’un travail qualifié ou d’infrastructures appropriées. C’est l’organisation
des processus socio-politico-économiques dans lesquels elles se mettent
en place et fonctionnent qui peut apporter un changement coordonné
et global. En conséquence, trois facteurs sont décisifs : la vision, le
consensus, la continuité. Pour développer un programme réussi de zones
économiques spéciales, les EAU doivent avoir une vision claire du projet
et du but qu’ils poursuivent. Si différentes zones ont des visions différentes
de leurs projets et de leurs objectifs, alors les efforts seront dispersés dans
différentes directions. Les stratégies des zones devraient faire partie de la
stratégie globale des EAU. Cependant, une vision claire du futur ne suffit
pas en elle-même ; sans un consensus autour de cette vision, le progrès est
difficile, voire impossible. Une autorité de coordination devrait être établie
pour permettre une coordination maximale entre les différentes zones et
pour assurer un suivi des projets et des réalisations effectuées. Enfin, les
décideurs politiques doivent considérer que les investisseurs ne s’inquiètent
pas seulement des incertitudes politiques. Ils accordent aussi beaucoup
d’attention aux changements concernant les salaires, l’augmentation des
coûts de production, des services publics, la mise en place d’infrastructures
adaptées, mais aussi leur maintenance. Au final, il apparaît clairement qu’afin
de permettre aux zones économiques spéciales de contribuer de manière
positive à l’économie des EAU, l’élaboration de lois et de réglementations
nouvelles est indispensable.