La musique - Ordre Soufi International France

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La musique - Ordre Soufi International France
LA MUSIQUE
Hazrat Inayat Khan
« La musique est le langage de l’âme, elle nous communique donc quelque chose
qui ne peut jamais être dit par les mots. » Pir Vilayat
« Musique », ce mot que nous utilisons dans le langage de tous les jours, n’est autre
que l’image de notre Bien Aimé. C’est parce que la musique est Son image que nous
aimons la musique. Mais qui est notre Bien Aimé, où se trouve-t-Il ? Il est notre
source, notre but, et ce que nous voyons de Lui, devant nos yeux physiques, c’est la
beauté qui est face à nous ; Il nous parle à travers cette forme de beauté intérieure,
part non manifestée à nos yeux.
Si seulement nous pouvions écouter la voix de la beauté qui nous attire sous toutes ses
formes, sous tous ses aspects, nous découvririons qu’elle nous dit : « L’Esprit parfait,
l’esprit de sagesse se trouve derrière toute manifestation ».
Dans la beauté qui nous est visible, que remarquons-nous de l’expression principale
de la vie ? Le mouvement. Il est constant dans le trait, la couleur, dans le changement
des saisons, la montée et la chute des vagues, dans le vent, la tempête, dans toute la
beauté de la nature. Le mouvement est la cause du jour et de la nuit ainsi que du
changement des saisons, aussi nous donne-t-il l’étendue de ce que nous appelons le
temps. Sinon il n’y aurait pas de temps, en réalité il n’y a que l’éternité ; cela nous
enseigne que la vie est cachée derrière tout ce que nous aimons, admirons, observons
ou comprenons, et que cette vie est notre essence.
Nous ne pouvons voir l’être entier de Dieu en raison de notre limitation, mais tout ce
que nous aimons dans la couleur, le trait, la forme ou la personnalité appartiennent à
la réelle beauté, le Bien Aimé. Lorsque nous trouvons la trace de ce qui nous attire
dans cette beauté vue sous toutes ses formes, nous découvrons son mouvement, en
d’autres termes la musique.
Toutes les configurations de la nature, par exemple les fleurs, sont parfaitement
formées et colorées, les planètes et les étoiles, la terre, tout donne l’idée d’harmonie,
de musique. L’ensemble de la nature respire, toute la nature et pas seulement les
créatures vivantes. Seule notre tendance à comparer ce qui paraît vivant à ce qui pour
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nous ne le semble pas, nous fait oublier que les êtres et les choses vivent une vie
parfaite. Et le signe émis par cette beauté vivante est la musique.
Qu’est-ce qui fait danser l’âme du poète ? La musique. Qu’est-ce qui fait que l’artiste
peint de magnifiques tableaux et que le musicien interprète de superbes chants ? C’est
le talent de la beauté inspiratrice. Les soufis ont appelé par conséquent cette beauté :
« Saki, le Donateur divin, Celui qui donne à tous le vin de la vie ».
Qu’est-ce que le vin des soufis ? La beauté dans la forme, le trait, la couleur,
l’imagination, le sentiment, l’attitude ; dans tout cela ils voient la beauté unique. La
vie derrière toutes ces formes fait partie de l’esprit de beauté, comme une bénédiction
constante.
Pour moi, l’architecture, le jardinage, le fermage, la peinture, la poésie, sont musique,
dans le sens usuel de ce mot. Là où le vin divin a été versé, dans toutes les activités de
la vie inspirées par la beauté, il y a musique. Mais parmi tous les arts, celui de la
musique est considéré comme particulièrement divin, parce qu’il est l’exacte
miniature de la loi qui régit l’univers entier. Si l’on travaille sur soi l’on observe que
les pulsations du cœur, les mouvements de la respiration sont tous issus du rythme. La
vie dépend du travail rythmique de tout le mécanisme du corps. La respiration se
manifeste par la voix, les mots, le son, et ce dernier est continuellement audible, qu’il
nous soit intérieur ou extérieur. C’est la musique, et cela montre qu’elle existe à
l’extérieur et à l’intérieur de nous.
La musique inspire non seulement l’âme du grand musicien, mais aussi celle de
chaque enfant qui, dès qu’il est venu au monde, bouge ses petits membres sur le
rythme de la musique. Il n’est donc pas exagéré de dire que la musique est le langage
de beauté de Celui qui aime toute âme vivante. Quand l’on en prend conscience et que
l’on reconnaît la perfection de toute beauté comme étant divine et venant de notre
Bien-Aimé, l’on comprend pourquoi la musique, dont on fait l’expérience par l’art et
à travers tout l’univers, peut être appelée l’art divin.
Nombreux sont ceux qui prennent la musique pour une source d’amusement et de
passe temps, à travers trop de musiques sophistiquées et trop de musiciens
divertissants. Pourtant, personne n’a vécu en ce monde, n’a pensé et senti sans avoir
considéré la musique comme le plus sacré de tous les arts.
Car en fait, ce que l’art de la peinture ne peut suggérer clairement, la poésie
l’explique en mots mais ce que même un poète trouve difficile à traduire dans la
poésie est exprimé par la musique. Par cela je ne dis pas que la musique est seulement
supérieure aux arts graphiques et à la poésie ; en réalité la musique surpasse aussi la
religion, car elle élève l’âme de l’homme encore plus haut que les formes extérieures
de la religion.
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Mais cela ne veut pas dire que la musique puisse prendre la place de la religion, car
toutes les âmes ne sont pas nécessairement accordées à ce diapason par lequel elles
peuvent réellement en recevoir les bienfaits, et d’ailleurs chaque musique est-elle
élevée au point d’exalter plus intensément la personne qui l’écoute que ne le ferait la
religion?
Cependant, la musique est essentielle au développement spirituel de ceux qui suivent
le chemin du culte intérieur. Et cela parce que l’âme qui cherche est en quête du Dieu
sans forme. L’art graphique, sans aucun doute, est plus exaltant mais en même temps,
il contient la forme ; la poésie suggère la forme par des mots et des noms. Seule la
musique contient beauté, puissance, charme, et peut en même temps élever l’âme audelà de la forme.
C’est pourquoi dans l’ancien temps, la plupart des prophètes étaient de grands
musiciens. Par exemple, on peut citer parmi les Hindous, Narada, le plus grand
prophète qui était en même temps un grand musicien, Chiva le prophète divin,
l’inventeur de la Vina sacrée, et Krichna toujours représenté avec une flûte.
Il existe aussi une légende bien connue de la vie de Moïse ; elle raconte qu’il entendit
le commandement de Dieu sur le mont Sinaï, sous les mots : « Muse ke, Moïse
écoute ». La révélation qui lui vint ainsi était faite de son et de rythme. Il l’appela par
le même nom : « musik » ; le mot musique vient de là.
David, dont le chant et les cantiques sont connus depuis des siècles, donna son
message au monde sous forme de musique. Orphée, dans la légende grecque, avait la
connaissance des mystères du son et du rythme, et par ce savoir, il avait la maîtrise
des forces cachées de la nature. La déesse hindoue de la beauté et de la connaissance,
dont le nom est Sarasvati, est toujours représentée avec une Vina.
Qu’est-ce que cela suggère? Cela suggère que toute l’essence d’harmonie est dans la
musique. Outre son charme naturel, la musique a un pouvoir magique que l’on peut
éprouver encore maintenant. Il semble que la race humaine ait beaucoup perdu de
l’ancienne science de la magie, mais s’il ne reste qu’une seule magie, c’est celle de la
musique.
En plus de sa puissance, la musique est ivresse. Lorsqu’elle enivre ceux qui l’écoutent,
combien plus peut-elle enivrer ceux qui la jouent ou la chantent, et plus encore, ceux
qui ont atteint sa perfection et ont médité sur elle durant des années et des années. Elle
leur donne une exaltation et une joie encore plus grandes que celles qu’un roi ressent en
étant assis sur son trône.
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Selon les penseurs orientaux, il y a quatre sortes d’ivresses : la première est l’ivresse
de la beauté, de la jeunesse et de la force, la deuxième l’ivresse de la richesse, la
troisième celle de la puissance, du commandement, de la domination, et la quatrième,
celle de l’érudition et de la connaissance. Mais ces quatre ivresses disparaissent tout
comme les étoiles devant le soleil, en présence de l’ivresse de la musique, pour la
bonne raison que celle-là touche la partie la plus profonde de l’être humain. La
musique pénètre en nous plus loin que ne peut le faire toute sensation venant du
monde extérieur. Sa beauté vient de ce qu’elle est à la fois source de création et
moyen de l’absorber. En d’autres termes, par la musique le monde a été créé, et c’est
encore par la musique que le monde se retire dans la source qui l’a créé.
Pour appuyer ces propos, vous pouvez lire dans la Bible qu’au commencement était le
Verbe, et que le Verbe était Dieu. Le Verbe signifie le son, et du son vous pouvez saisir
l'idée de musique. Il y a une légende orientale qui est parvenue à travers les siècles:
quand Dieu créa l'homme à partir de l'argile et qu’Il demanda à l'âme d'y entrer, elle
refusa d'aller dans sa maison prison. Alors Dieu commanda aux anges de chanter, et
pendant que les anges chantaient, l'âme enivrée par le chant pénétra dans le corps de
l’homme.
Nous pouvons observer dans ce monde matérialiste et scientifique un exemple
similaire : avant de pouvoir fonctionner, une machine ou un mécanisme doit
commencer par faire un bruit. Il se fait d’abord entendre puis il manifeste sa vie. Nous
pouvons le voir sur un bateau, un avion, une voiture. Cette idée appartient au
mysticisme du son. Un bébé se réjouit d’un son avant d’être capable d’admirer une
couleur ou une forme. S’il existe un art préféré des personnes âgées, un art qui puisse
rajeunir par la vie, l’enthousiasme, l’émotion et la passion, un art qui permette
d’exprimer pleinement les sentiments, les émotions, c’est bien la musique.
En même temps, elle donne à l’homme cette force et ce pouvoir d’agir qui fait marcher
les soldats au battement du tambour et au son de la trompette. Dans les traditions
anciennes il était dit qu’au Jour du Jugement Dernier on entendrait le son des
trompettes avant la fin du monde. Cela montre que la musique est liée à la création,
continuellement, du début à la fin.
Les mystiques de toutes les époques ont intensément aimé la musique. Partout dans le
monde et dans presque tous les cercles du culte intérieur, la musique semble être le
centre des office religieux ou des cérémonies. Et ceux qui atteignent cette paix parfaite
appelée nirvana, ou samadhi, dans le langage des Hindous, le font plus facilement à
travers la musique. Ainsi les soufis, et particulièrement ceux de l’ancienne tradition
Chichti, ont pris la musique comme source de leur méditation. Ils puisent en elle
beaucoup plus de bénédictions que ceux qui méditent sans son aide. Le résultat de cette
expérience est le déploiement de l’âme, l’ouverture des facultés intuitives ; leur cœur
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en les élevant, s’ouvre à toute la beauté intérieure et extérieure, et leur apporte cette
perfection dont toute âme se languit.
LA MUSIQUE DES SPHERES (1)
Par ce titre je ne veux pas dire que j’encourage la superstition ou quelque idée qui
puisse attirer les gens sur le terrain de la curiosité. Mon but est d’orienter l’attention des
chercheurs de vérité vers la loi de la musique, qui travaille à travers l’univers et qui, en
d’autres termes, peut s’appeler la loi de la vie : le sens des proportions, la loi de
l’harmonie, celle qui apporte l’équilibre, celle qui est cachée derrière tous les aspects
de la vie, qui maintient intact cet univers, et qui met au point le destin de l’univers
entier en accomplissant son objectif.
Nombreux sont ceux qui dans ce monde sont à la recherche de prodiges ; si quelqu’un
voulait bien se donner la peine de noter leur nombre, c’est phénoménal ! Plus on scrute
profondément la vie, plus elle s’ouvre à nous, et chaque instant de notre vie devient
plein de merveilles et de splendeurs.
Ce que nous appelons musique dans notre langage ordinaire n’est qu’une miniature de
cette musique ou de cette harmonie de l’univers entier qui travaille derrière toute chose,
que notre intelligence a saisie, et qui est la source et l’origine de la nature. C’est pour
cela que les sages de tous les âges ont considéré la musique comme un art sacré. Car au
royaume de la musique, le clairvoyant peut voir l’image de l’univers entier, et le sage
peut interpréter le secret et la nature de son mécanisme.
Cette idée n’est pourtant pas nouvelle et en même temps, elle l’est toujours. Rien n’est
plus ancien que la vérité et rien n’est aussi neuf. C’est le désir de l’homme de courir
après le traditionnel, l’original ou le nouveau ; toutes ces tendances peuvent se trouver
confortées dans la connaissance de la vérité.
Comme l’ensemble des religions l’a enseigné, l’origine de la création entière est le son.
Il n’y a pas de doute que la façon dont le mot »son » est utilisé dans notre langue
usuelle est une limitation du son évoqué dans les Ecritures. Le langage traite de
comparaisons, mais Celui qui ne peut être comparé n’a pas de nom. On ne peut jamais
parler de la vérité et les sages de toute époque ont essayé de l’exprimer de leur mieux,
aussi modestement qu’ils le pouvaient.
La musique de l’univers est à l’arrière-plan d’une petite image que nous appelons
musique. Notre sens de la musique, notre attirance pour elle nous montre qu’elle se
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trouve dans les profondeurs de notre être. La musique est derrière la marche de
l’univers entier.
Elle n’est pas seulement le sujet principal de notre vie, mais la vie elle-même. Hafiz, le
grand et merveilleux poète soufi persan a dit : « Nombreux sont ceux qui disent que la
vie s’introduisit dans le corps humain à l’aide de la musique, mais la vérité est que la
vie elle-même est musique. » Que voulait-il dire par là ? Il faisait référence à une
légende d’Orient qui raconte comment Dieu fit une statue d’argile à Sa propre image ;
ensuite Il demanda à l’âme d’y entrer, mais l’âme refusa de se laisser emprisonner car
sa nature est de voler ici et là, librement, sans limites ni soumission à aucune sorte de
gabarit. L’âme ne souhaitait pas le moins du monde pénétrer dans cette prison. Alors
Dieu demanda aux anges de donner de leur musique, et pendant qu’ils ils la jouaient,
l’âme s’installa dans l’extase et à travers celle-ci, entra dans le corps afin de lui rendre
la musique encore plus claire. On raconte qu’Hafiz ajouta : « Les gens disent que l’âme
entra dans le corps en entendant ce chant, mais en réalité l’âme elle-même était
chant ! »
C’est une belle légende et son mystère l’est plus encore. Son interprétation nous
explique deux grandes lois. La première est que la liberté est la nature de l’âme, qu’elle
appartient à la nature originelle de l’âme, et que pour l’âme, toute la tragédie de la vie
réside dans l’absence de liberté. L’autre mystère que nous révèle la légende est le
suivant : pour expérimenter la musique de la vie et la rendre plus claire à elle-même,
l’âme est entrée dans l’argile, la matière ; c’est la seule raison. Lorsque nous résumons
ces deux grands mystères, le troisième vient à notre esprit, le mystère de tous les
mystères. La part illimitée de nous-mêmes devient limitée et terre-à-terre dans le but de
rendre cette vie, la vie extérieure, plus intelligible.
Ainsi, il y a une perte et un gain. La perte est celle de la liberté, et le gain l’expérience
de la vie, gain pleinement atteint quand nous entrons dans cette vie limitée, appelée vie
de l’individu.
Ce qui fait que nous nous sentons attirés par la musique, c’est que tout notre être est
musique ; notre esprit et notre corps, la nature où nous vivons, la nature qui nous a
faits, tout, au-dessous et autour de nous, est musique ; nous baignons dans toute cette
musique au sein de laquelle notre être vit et se déplace.
Donc la musique nous intéresse, attire notre attention et nous donne du plaisir, parce
qu’elle correspond au rythme et au ton qui veille sur le mécanisme intact de tout notre
être. Ce qui nous plait dans tous nos arts, que ce soit le dessin, la peinture, la gravure,
l’architecture, la sculpture, la poésie, c’est l’harmonie sous-jacente de la musique. Que
nous suggère la poésie par le rythme ou par l’harmonie des idées et des phrases, si ce
n’est la musique ? En plus de cela, lorsque nous admirons une œuvre d’art, une
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peinture, un dessin, c’est notre sens de l’harmonie et des proportions qui nous donne ce
plaisir.
La proximité de la nature nous attire car sa musique est plus parfaite que celle des arts.
Elle nous donne une sensation d’exaltation, lorsque nous nous promenons dans les bois,
que nous regardons la verdure et que nous nous tenons au bord de l’eau courante avec
son rythme propre, son ton et son harmonie. Le balancement des branches dans la forêt,
l’émergence et la chute des vagues, tout est musique. Nos cœurs s’ouvrent à la musique
à partir du moment où nous contemplons la nature et faisons un avec elle.
Nous disons que nous aimons la nature, mais qu’apprécions-nous en elle ? La musique.
Quelque chose en nous est touché par le mouvement rythmique, par l’harmonie
parfaite, si rarement trouvée dans la vie artificielle qui est la nôtre ; elle nous élève et
nous fait ressentir que la nature est le temple réel, la véritable religion. Quand nous
sommes en accord avec elle, et que nous avons le cœur ouvert, un seul moment en
pleine nature compte pour notre vie entière.
Observer la voûte cosmique, les mouvements des étoiles, des planètes, et la loi de
vibration et de rythme, tous parfaits et immuables, indique que le système cosmique
fonctionne par la loi de la musique et de l’harmonie. Et chaque fois que, d’une façon ou
d’une autre, l’harmonie vient à manquer au système cosmique, un désastre
proportionnel arrive dans le monde, dont l’influence est visible à travers la
manifestation de nombreuses forces de destruction. L’ensemble des lois astrologiques,
des sciences de magie et de mysticisme, est basé sur la musique.
Ainsi a été musique la vie entière des âmes les plus illuminées venues dans ce monde,
comme celle des plus grands prophètes de l’Inde. En partant de la musique miniaturisée
que nous comprenons, ils ont dilaté l’univers entier de musique, et par ce chemin, ils
ont été capables d’inspiration. Celui qui reçoit la clef du fonctionnement de la vie est
celui qui devient intuitif : il est inspiré. C’est à lui que se manifestent les révélations,
puis son langage devient musique. Chaque personne qui vient à nous, chaque objet que
nous voyons révèle quelque chose. Sous quelle forme ? Chacun dit son caractère, sa
nature, ses secrets. Chacun exprime son passé, son présent, son avenir. De quelle
façon ? En nous signifiant son contenu. De quelle manière ? Sous forme de musique, si
seulement nous savons l’écouter.
Il existe un autre langage : le rythme et la tonalité. Nous l’entendons, mais sans l’aide
de nos oreilles. Une personne aimable manifeste l’harmonie par sa voix, ses paroles,
ses mouvements, son attitude. Une personne peu aimable montre une dissonance dans
ses mouvements mêmes, dans son regard, son expression, sa démarche, dans tout, si
l’on est capable de le voir. J’avais un ami en Inde qui se fâchait très facilement. Parfois
quand il venait me voir, je lui disais : « Tu es contrarié aujourd’hui ? » et il me
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répondait : « Ca alors, comment le sais-tu ? » Je lui disais : « Ton turban me le dit. Tu
l’as mis de travers et cela indique une discordance. »
Nos actes mêmes signalent une attitude harmonieuse ou dissonante. Beaucoup de
choses peuvent se percevoir dans l’écriture, mais la principale, à la lecture, est
l’harmonie ou la disharmonie des courbes. Elle vous parle et vous dit l’humeur de la
personne. L’écriture vous dit beaucoup de quelqu’un : son degré d’évolution, son
attitude dans la vie, son caractère et son humeur. Vous n’avez pas besoin de lire la
lettre en entier, il vous suffit de regarder l’écriture. Car, si vous êtes capable de les voir,
ses lignes et ses courbes vous indiquent l’harmonie ou la dissonance. Dans tout être
vous pouvez les voir, on peut même lire dans un arbre, si l’on plonge avec perspicacité
dans la nature des choses. Suivant les fruits ou les fleurs que porte l’arbre, on découvre
quelle musique s’exprime à travers lui.
Vous voyez, à l’attitude d’une personne, si elle va vous prouver son amitié ou si elle
finira par devenir votre ennemi. Vous n’avez même pas besoin d’attendre; au premier
coup d’œil vous pouvez voir son penchant, car chaque être est musique, perpétuelle
musique, allant de l’avant continuellement jour et nuit ; et vos facultés intuitives
peuvent entendre cette musique. La raison pour laquelle une personne est repoussante,
ou qu’une autre vous attire, vient de l’expression de sa musique, toute son atmosphère
en est chargée.
Voici l’histoire d’Omar, le khalife bien connu d’Arabie. Un homme lui voulait du mal
et le cherchait : il apprit qu’Omar, bien qu’il fût roi, ne vivait pas dans les palais, mais
qu’il passait le plus clair de son temps dans la nature. L’homme en fut très heureux car
il aurait en ce cas toute possibilité d’accomplir son objectif. Mais quand il arriva à
l’endroit où Omar était assis, son attitude changea au fur et à mesure qu’il s’approchait
du khalife ; il laissa tomber son poignard et dit : « Je ne peux pas vous faire de mal.
Dites-moi quelle puissance vous habite et m’empêche d’accomplir ce que je suis venu
faire. » Omar répondit : « Mon accordage à Dieu. »
Que voulait-il dire par « accordage à Dieu » ? Il voulait dire : être en accord avec
l’Infini, en harmonie avec l’univers entier. En d’autres mots, Omar était le réceptacle
de la musique de l’univers entier.
Le grand charme qui se dégage de la personnalité d’une sainte personne quelle que soit
l’époque à laquelle elle vit, vient de sa réaction positive à la musique de l’univers
entier. C’est le secret qui lui permet de devenir l’amie de son pire ennemi. Mais cela ne
vient pas seulement du fait qu’elle soit sainte. Cette puissance se manifeste en chacun
de nous à un degré plus ou moins important. Chacun manifeste l’harmonie ou la
dissonance, selon son ouverture à la musique de l’univers. Plus l’on est ouvert à ce qui
est beau et harmonieux, plus notre vie est accordée à cette harmonie universelle et plus
l’on montre une attitude amicale envers tout individu rencontré. Notre atmosphère
même va créer de la musique autour de nous.
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La différence entre le point de vue matériel et le point de vue spirituel, c’est que, dans
le premier cas l’on voit la matière comme la chose initiale, et l’on considère que
l’intelligence et la beauté, ou toute autre chose, en proviennent. Mais du point de vue
spirituel, on voit en premier l’intelligence et la beauté, et de là vient tout ce qui existe.
Sous cet angle, on considère en dernier ce qui est en premier, et donc, dans l’essence de
tout son être, la musique est la base de tout ce qui existe. On peut voir que dans
l’essence de la graine d’une rose, la rose elle-même est contenue, son parfum, sa forme
et sa beauté ; et bien qu’à la fin elle ne se manifeste plus, en même temps elle est
encore là. Celui qui s’accorde, non seulement à l’être extérieur, mais aussi à l’être
intérieur et à l’essence de toute chose, perçoit cette essence de l’être entier, et peut donc
découvrir et apprécier, même dans la graine, le parfum et la beauté qui le ravissent dans
la rose.
A notre époque l’activité a considérablement augmenté, et c’est une grande erreur qu’il
y ait dans la vie de tous les jours si peu de marge laissée à chacun pour se reposer. Car
le repos est le secret de toute contemplation et de toute méditation pour s’accorder à cet
aspect de la vie qui est l’essence de toutes choses. Lorsque que l’on n’est pas habitué à
se reposer, on ne connaît pas ce qui se cache derrière son être. On fait l’expérience de
cet état, d’abord en préparant le corps et l’esprit par le moyen de purifications puis en
affinant ses sens pour être capable d’accorder son âme à l’Être entier.
Cela semble complexe et c’est cependant si simple. Lorsqu’on est ouvert à un ami
fiable, on connaît beaucoup de lui ; il s’agit simplement de l’ouverture du cœur, c’est
l’accordage à l’ami. Nous connaissons ses failles et ses mérites, mais nous savons aussi
comment connaître et apprécier son amitié. Là où se trouvent haine, préjugé et
amertume, il y a perte de compréhension. Plus la personne est profonde, plus elle a
d’amis. La petitesse, l’étroitesse d’esprit, le manque de développement spirituel rendent
une personne fermée, distante, différente des autres. Elle se sent supérieure,
magnifique, meilleure que les autres, la capacité d’amitié semble avoir été perdue. De
cette façon, elle se coupe elle-même des autres et là réside sa tragédie. Cette personne
n’est jamais heureuse. L’homme heureux est celui qui se prépare à être l’ami de tous.
Son regard sur la vie est bienveillant, il a une attitude aimable non seulement vis-à-vis
des gens, mais aussi vis-à-vis des buts et des circonstances de la vie.
Par cette disposition à l’amitié l’homme se dilate et fait tomber les murs qui le gardent
emprisonné ; en brisant les murs il fait l’expérience de son accordage à l’Absolu. Cet
accordage se manifeste à travers la musique des sphères, ainsi l’homme en expérimente
toutes les facettes, dans la beauté de la nature, les coloris des fleurs, dans tout ce qu’il
voit et ce qu’il rencontre. La musique est toujours présente, avec l’harmonie qu’il aime,
aux heures de contemplation et de solitude ou au milieu du monde.
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LA MUSIQUE DES SPHERES (2)
L’un devenant deux est la nature de la création. Ce double aspect est la cause de toute dualité
dans la vie, une partie positive, l’autre négative, l’une qui s’exprime, l’autre qui répond. Donc
l’esprit et la nature, dans cette création de dualité, se tiennent face à face. Le premier aspect
est le son, le suivant est la lumière. Au début, dans cet aspect de nature ou dans celui de
réponse, seule la lumière agit. Mais lorsque l’on va plus loin dans la création, le son est là.
Dans la nature, ce qui est face à face à l’esprit, ce qui s’exprime en premier c’est la lumière, et
ce à quoi l’homme réagit en premier c’est la lumière, ensuite c’est le son qui touche l’homme
le plus profondément.
Le corps humain est un véhicule de l’esprit, le véhicule complet qui expérimente les différents
aspects de la création. Cela ne veut pas dire que tout autre nom ou forme existants dans ce
monde ne soient pas réceptifs à l’expression de l’esprit, les uns en tant qu’objets, les autres en
tant que créatures. En réalité, chaque objet est réceptif à l’esprit et à son travail, actif dans tous
les aspects, les noms, les formes de l’univers. On peut lire dans le Masnavi de Rûmi que la
terre, l’eau, le feu et l’air sont des objets pour l’homme, mais sont des êtres vivants devant
Dieu. Ils travaillent sous Son commandement, comme l’homme comprend que les êtres
vivants travaillent sous celui d’un maître. Si l’on pouvait expliquer la création, ce serait par les
phases de sons ou de vibrations qui se manifestent à différents niveaux dans toute la variété
des formes de la vie.
Tout ce qui ne semble pas parler ou émettre un son, même ce que nous appelons matière ou
substance, est en réalité toute vibration. La beauté de la création dans son ensemble est là, qui
travaille de deux façons. D’un côté elle s’exprime et de l’autre elle se fait terreau réceptif. Par
exemple, pour une substance, une matière à toucher, il existe le sens du toucher, du contact. Il
y a un son et en même temps des oreilles pour l’entendre. De même, existent la lumière, la
forme et les couleurs, et des yeux pour les voir. L’homme appelle beauté l’harmonie de tout ce
qu’il expérimente.
Après tout, qu’est-ce que la musique ? Ce que nous appelons musique s’exprime par
l’harmonie de notes audibles ; mais en réalité il y a de la musique dans la couleur, dans un
texte, dans la forêt avec des variétés d’arbres et de plantes, et il y a de l’harmonie dans la
façon dont ils correspondent entre eux. Plus largement on observe la nature, plus elle attire
notre âme. Pour quelle raison ? Parce qu’une musique est là. Plus on écoute cette musique qui
répond à l’univers entier, plus notre façon de voir la vie s’élargit, plus notre compréhension
en est profonde. Mais celui dont le cœur est ouvert n’a pas besoin d’aller dans la forêt ; il peut
trouver la musique au milieu de la foule.
A notre époque les idées des hommes ont tellement changé, en raison du matérialisme, qu’il
est difficile de distinguer les personnalités. Mais en étudiant la nature humaine on peut se
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rendre compte qu’on ne pourrait reproduire sa diversité, même avec un piano à mille octaves.
Pourquoi certains s’entendent et d’autres ne se supportent pas, certains deviennent amis en un
instant et d’autres ne peuvent le devenir au bout de plusieurs années ? Si seulement on pouvait
voir les tonalités auxquelles est accordée chaque âme, les octaves différentes dans lesquelles
chacune s’exprime selon ses propres normes ! Parfois deux personnes sont en discorde, et il
suffit qu’une troisième arrive pour les unir. N’est-ce pas de la nature de la musique ? Plus on
étudie l’harmonie de la musique, puis la nature humaine et la façon dont les gens s’entendent
ou se détestent, s’attirent ou se repoussent, et plus l’on voit que tout est musique.
Mais alors il y a un autre point à comprendre. Ce que l’homme sait est généralement basé sur
le monde qu’il voit autour de lui. Très peu se donnent la peine de penser qu’il y a quelque
chose au-delà de ce que l’on voit. Lorsqu’ils apprennent qu’il y a deux mondes, pour
beaucoup ce n’est qu’une fiction. Mais en regardant profondément en soi, on s’aperçoit qu’il
n’y a pas que deux mondes, mais tant de mondes, au-delà de ce que l’on peut exprimer.
Cette partie réceptive de notre être est le plus souvent fermée chez l’homme moyen. Ce qu’il
sait lui est communiqué de l’extérieur, et vient de la même sphère à laquelle il peut accéder.
Par exemple, voici la différence entre un homme ordinaire et une personne réfléchie, à la
compréhension profonde : une personne ordinaire reçoit un mot qu’elle entend seulement avec
ses oreilles, alors qu’une personne qui pense reçoit le même mot aussi loin que sa pensée le lui
permet. Le même mot a atteint les oreilles de l’une et le cœur de l’autre. Si ce simple exemple
est vrai, il montre que l’une vit dans le monde extérieur uniquement, l’autre dans deux
mondes, et qu’une troisième vit dans plusieurs mondes à la fois. Lorsqu’une personne
demande : « Où sont ces mondes ? Sont-ils au-delà du ciel, ou en bas sous la terre ? » La
réponse est que tous ces mondes sont à la place même où se trouve cette personne.
Un poète a dit : « Une fois que le coeur de l’homme se dilate, il devient plus vaste que tous les
cieux. » Les penseurs profonds de tous temps ont jusqu’alors maintenu que le seul principe
d’éveil à la vie est celui de dégager son moi. En d’autres termes, se rendre soi-même plus
transparent et complètement ouvert, de façon à s’adapter à toutes les expériences plus
clairement et plus pleinement. La tragédie de la vie, tous les chagrins et toutes les douleurs
font partie le plus souvent de la surface de la vie du monde. Si quelqu’un était pleinement
éveillé à la vie, s’il pouvait réagir à la vie, la percevoir, il n’aurait pas besoin d’être à la
recherche de prodiges, il n’aurait pas besoin de communiquer avec les esprits, car chaque
atome dans ce monde est un émerveillement pour ceux qui peuvent les voir les yeux ouverts.
Pour connaître l’expérience de ceux qui plongent dans la vie en atteignant leur profondeur,
Hafiz répond : « On ne connaît pas la distance lointaine du but vers lequel on se dirige, mais
ce que je sais bien, c’est que la musique qui atteint mes oreilles vient de très loin. » La
musique des sphères, selon le point de vue du mystique est comme le phare dans le port que
l’homme voit en mer et qui lui indique s’il se rapproche de sa destination. Comment la
musique rend-elle cela possible ? S’il n’y avait pas d’harmonie dans l’essence de la vie, elle
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n’aurait pas créé l’harmonie dans ce monde si divers. Et l’homme n’aurait pas eu la nostalgie
de quelque chose qui n’existerait pas dans son esprit.
Tout, dans ce monde qui semble manquer d’harmonie, est en réalité limité par la propre vision
de l’homme. Plus l’horizon devient large grâce à son observation, plus l’homme apprécie
l’harmonie de la vie. Au plus profond de l’être humain, l’harmonie de l’œuvre de tout
l’univers atteint son sommet dans une musique parfaite. Par conséquent la musique des
sphères est source de création, celle que l’on entend lorsqu’elle voyage à travers le but de
toute la création. Ceux qui sont en contact avec la profondeur de leur propre vie l’entendent et
l’apprécient.
LA SCIENCE ET L’ART DE LA MUSIQUE HINDOUE
Musique, littérature et philosophie ressemblent à nos âmes, quelles que soient nos
croyances, notre foi, ou notre façon de voir la vie. L’Inde se présente dans l’histoire du
monde comme un pays et un peuple engagés dans la recherche de la vérité, à travers le
royaume de la musique, de la philosophie et de la poésie, à un moment où le reste de
l’humanité n’a pas encore commencé à le faire.
Il est donc nécessaire d’étudier la musique, la philosophie et la poésie indiennes pour
comprendre leurs fondements. De nos jours les linguistes s’accordent à dire que le sanscrit
fut à l’origine de nombreuses langues ; celle de la science musicale se trouve aussi dans le
sanscrit.
En fait, l’art aussi bien que la science, prend source dans l’intuition. On semble parfois
oublier, mais sans aucun doute et bien qu’ils ne le reconnaissent pas toujours, les
scientifiques eux-mêmes sont aidés par l’intuition, et ceux qui ont approfondi leur science
sérieusement l’admettent. L’intuition fonctionne comme une réponse aux besoins de
l’esprit et du corps, elle invente à travers la matière les objets pratiques de tous les jours, et
augmente ainsi la connaissance des choses dans leur nature et leurs caractéristiques : c’est
ce que l’on appelle la science.
Et l’intuition qui oeuvre à travers la beauté produite dans la forme du trait, dans la couleur
et le rythme, s’appelle l’art. L’intuition est donc la source de la science et de l’art.
Ayant conscience de cette source, les Hindous fondirent leur musique sur l’intuition, et
grâce à l’exercice de la musique indienne, ils cultivèrent une stimulation intuitive, un éveil
de la faculté d’apprécier de beaux sons, souvent des mots, en les exprimant sous de belles
formes.
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En Inde, la vie commence toujours par l’âme, en conséquence, science, art, philosophie et
mystique furent tous orientés vers un seul et même but. Sans le point de vue religieux, non
seulement les arts et les sciences mais aussi les professions libérales et le commerce
n’existeraient pas. On peut imaginer à quel point la vie du musicien fut emplie de pensées
religieuses dans un pays où les hommes d’affaires et les professionnels voyaient également
les choses d’un point de vue spirituel.
En Orient ou en Occident, nulle part au monde, on ne peut véritablement nier la nature
divine de la musique. Tout d’abord la musique est le langage de l’âme, et pour deux
personnes de nations ou de races différentes, elle constitue le meilleur moyen de s’unir.
Car la musique lie l’homme à l’homme, mais aussi l’homme à Dieu. Alors se pose la
question : quand et comment la musique unit-elle l’homme à Dieu ?
Croire en Dieu a deux aspects. On croit en Dieu lorsque l’on pense : « Peut-être y a-t-il un
Dieu » ou bien : « Comme les autres y croient, j’y crois aussi. ». On ne Le connaît pas par
conviction, et on ne Le voit pas devant soi. Dieu pour l’homme est peut-être dans les
cieux. Qu’Il existe ou non, l’homme ne le sait pas. Et dans ce genre de croyance, une
petite ambiguïté, une déception ou une injustice suffisent à s’en écarter. C’est la raison
pour laquelle des milliers et des milliers d’hommes qui adoraient Dieu renoncèrent à leur
foi en Lui.
Un autre aspect de la conviction s’acquiert à travers la prise de conscience de la présence
de Dieu, non seulement dans les cieux, mais dans notre propre environnement. Quand on
atteint ce point, notre croyance devient vivante. Dieu n’est pas seulement un juge ou un
soutien pour nous, Il est un Ami qui entend les pleurs de notre âme esseulée, et qui connaît
le meilleur et le plus grand secret de notre cœur, un Ami sur lequel l’on peut toujours
compter, dans les bonnes comme les mauvaises expériences, même dans l’avenir.
Pour un musicien, la musique est le meilleur chemin d’union à Dieu. Par sa foi en Lui, le
musicien offre à Dieu la beauté, le parfum et la teinte de son âme.
Rien ne peut atteindre, d’un point de vue métaphysique, le sans forme, excepté l’art de la
musique qui est lui même sans forme. Il existe un autre point de vue : la dimension la plus
profonde de l’être humain est l’Akashha, ce qui signifie à la fois un potentiel et un
héritage. Donc tout ce qui se dirige du monde extérieur vers le monde intérieur peut
atteindre ce royaume, et c’est la musique qui y parvient le mieux.
Sous un troisième aspect, la création entière provient de vibrations, ce que les Hindous
appellent Nada ; on retrouve cela dans la Bible sous la forme du Nom qui vint le premier
et avant tout. Toutes les religions sur ce point sont unies. C’est pourquoi l’homme aime la
musique plus que tout. Issue de vibrations, elle fait partie de sa nature, car l’homme est
lui-même vibration.
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La vie se présente sous deux aspects : l’homme est réglé par son environnement, puis
l’homme peut s’accorder lui-même en dépit de son environnement. Ce dernier point est le
travail du mystique. Les soufis orientaux oeuvrent ensemble depuis des années pour
s’accorder. A l’aide de la musique, comme le font les Yogis, ils se règlent sur les sphères
où ils souhaitent se trouver. Ainsi la musique débuta en Inde au temps de Shiva, seigneur
des Yogis. Ce grand enseignant apprit au monde la science de la respiration.
Il y avait à Ajmer, parmi les soufis, un grand saint : Moin-ud-Din Chichti. On joue de la
musique sur sa tombe, les hindous et les musulmans y viennent en pèlerinage. Cela montre
que la religion des connaisseurs de vérité est celle de Dieu, car la prière du plus grand
dévot émerge de son cœur au royaume de la musique. Grâce à son aide on peut atteindre
l’ensemble des méthodes qui apportent le calme et la paix.
On peut diviser la musique indienne en quatre périodes : la période sanscrite, la période
prakrite, la période mongole et la période moderne. La période sanscrite est de lignée
mystique, la prakrite exprime des émotions de différentes sortes. A la période mongole, la
musique fut influencée par la Perse et l’Arabie, et se développa ensuite dans la musique
moderne. De plus, en Inde, les ethnies dravidiennes et aryennes possédaient chacune leurs
propres traditions musicales ; les dravidiens, ou race karnatique, produisirent la musique
du sud et les aryens ou hindous, celle du nord.
La science de la musique indienne a trois sources : mathématique, astrologique et
psychologique, et l’on retrouve ces sources dans la musique occidentale car la science de
l’harmonie et du contrepoint est entièrement basée sur les mathématiques. En sanscrit, la
science de la musique hindoue s’appelle Prestara, ce qui signifie, arrangement
mathématique des rythmes et des modes.
Dans le système indien, il existe un grand nombre de modes et de rythmes utilisés pour la
musique de tous les jours. Les modes s’appellent ragas et sont rassemblés en quatre
groupes. Le premier groupe contient sept notes, comme la gamme naturelle de la musique
occidentale. Ensuite il existe des gammes de six notes, dans lesquelles on saute une des
sept notes, ce qui donne un autre effet sur l’octave et influence différemment la pensée
humaine.
Il existe aussi des ragas à cinq notes qui sautent deux notes sur la gamme. En Chine, ils
utilisent une gamme de quatre notes, mais non en Inde.
On dit que l’origine de la gamme à quatre ou cinq notes vient de l’instinct naturel que
l’homme manifeste dans sa découverte des instruments. Le premier instrument fut la flûte,
symbole de la voix humaine. Il semble naturel, après avoir choisi un morceau de roseau
dans la forêt, que l’homme ait voulu y percer quatre trous, à une distance lui permettant,
sans effort, de placer le bout de ses doigts, et ensuite d’en percer un autre dessous, ce qui
donne le raga à cinq notes.
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C’est seulement plus tard que les savants aboutirent à la connaissance des vibrations. Mais
cette gamme vient naturellement lorsque l’homme place ses mains sur le roseau, et une
puissante énergie psychologique semble s’en dégager. Elle a une grande influence sur la
nature humaine, ce qui montre que l’énergie provenant directement de la nature est plus
importante que celle que l’homme modifie et altère afin de créer une nouvelle forme d’art.
L’astrologie fut établie sur la science des vibrations cosmiques, car tout dépend de l’état
vibratoire, y compris la position des étoiles et des planètes, des individus, des nations, des
races et de tout objet. Une bonne partie de l’énergie secrète que les Hindous ont trouvée
dans la musique provient de la science de l’astrologie. Chaque note de la musique hindoue
est en corrélation avec une planète précise, et chaque note reflète un ton particulier du
monde animal.
Dans les anciens Védas se trouve la science des éléments, feu, eau, air, éther, mais ces
mots ne doivent pas être pris dans leur sens usuel. L’élément eau, par exemple, signifie un
état fluide, et le feu, la chaleur ou la combustion. Les Hindous, à travers cette science, ont
été capables d’organiser les ragas ou modes, afin qu’ils soient joués, chantés à certains
moments du jour ou de la nuit ; et sans aucun doute, par la puissance de la musique, ceux
qui connaissaient l’alchimie des vibrations ont fait des merveilles.
Le fait d’avoir chanté ces mélodies pendant des milliers d’années développa chez cette
ethnie un sens critique de ces ragas tel que même l’homme de la rue ne peut supporter
d’entendre un raga du matin chanté le soir. Il peut ne pas connaître les notes mais cela
sonne désagréablement à ses oreilles, il ne le supporte pas, c’est comme flâner un matin de
plein été en robe du soir ! On pourrait dire que c’est une question d’habitude, ce qui est
vrai, mais en même temps un mode qui serait chanté au milieu de la nuit perdrait de sa
belle influence si on le chantait à midi.
Chaque planète exerçant une influence certaine, un mode précis est nécessaire pour y
répondre. Si ce n’est pas pris en considération, la musique devient un passe-temps et ne
fait pas le travail pour lequel elle a été conçue.
Pour un Indien, la musique n’est pas un divertissement ou seulement un spectacle. C’est
quelque chose de plus important, qui répond aux aspirations profondes de son âme.
L’homme a non seulement un corps physique mais aussi un esprit. Le corps a faim de
nourriture et l’homme subvient généralement à ses besoins corporels et ne prête pas
attention à son existence intérieure et à ses exigences. Il est satisfait momentanément, puis
la faim revient, et il ignore que l’âme est la partie la plus raffinée de son être. Ainsi reste le
désir inconscient de l’âme.
Pour quelqu’un de peu développé, ce désir silencieux de l’âme devient quelque chose de
désagréable qui le rend agité ou irrité. Il se sent insatisfait de la vie, et devient querelleur et
agressif. Cette faim de l’âme, pour une personne à la sensibilité subtile, s’exprime sous
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forme de dépression ou de désespoir. Elle trouve quelque réconfort dans l’amour de l’art
ou de la lecture.
L’âme se sent ensevelie dans le monde matériel extérieur, et rassurée et vivante lorsque
des vibrations fines la touchent. La matière la plus subtile est esprit et l’esprit le plus
vulgaire est matière. La musique étant l’art le plus subtil, elle aide l’âme à s’élever audessus des différences. Elle unit les âmes, car les mots ne sont pas nécessaires. La musique
est au-delà des mots.
La musique hindoue, au caractère unique, donne par son art, une parfaite liberté
d’expression à l’âme de l’instrumentiste et du chanteur. On saisit le caractère de la nature
indienne à travers l’esprit d’individualité. Toute l’éducation tend vers lui, pour que chacun
puisse s’exprimer quelle que soit la forme qu’on peut lui donner. Par conséquent les
Indiens se doivent d’exprimer leur liberté, quelquefois à leur désavantage, le plus souvent
à leur bénéfice. L’uniformité a ses avantages, mais très souvent en art, elle paralyse la
progression.
Il y a deux chemins dans la vie, l’uniformité et l’individualité. L’uniformité a sa puissance,
mais l’individualité a sa beauté. Durant son audition, la première chose que doit faire un
chanteur de musique hindoue c’est de régler sa tamboura, (instrument à cordes
d’accompagnement donnant un bourdon) pour donner l’accord, et pendant qu’il le fait, il
accorde aussi son âme ; et son influence sur les auditeurs est telle, que souvent, ils peuvent
attendre avec patience pendant un long moment. Alors dès qu’il se sent en accord avec son
âme, son esprit et son corps semblent ne faire qu’un avec sa tamboura,
Une personne au cœur sensible qui l’écoute, même un étranger, percevra la façon dont il
adapte son chant et harmonise son esprit. Pendant ce temps-là, le musicien se concentre et
s’accorde à tous ceux qui sont là. Il n’accorde pas seulement son instrument, mais ressent
aussi les besoins et la demande de l’âme de chaque auditeur, ce qu’elle souhaite à ce
moment précis. Ce n’est pas donné à tous les musiciens, mais les meilleurs en sont
capables.
Au moment de la synthèse, quand il commence son chant, tout émerge automatiquement,
il semble qu’il touche chaque âme, chaque personne assise là, et qu’il répond entièrement
à sa demande. Il n’a pas préparé de programme à l’avance, il ne sait pas ce qu’il chantera
ensuite ; mais chaque fois il est inspiré de donner tel chant ou de jouer dans tel mode. Il
devient l’instrument du système cosmique entier, ouvert à toute inspiration, uni à
l’auditoire, accordé à la tamboura. Il fait don aux gens, non seulement de la musique, mais
d’un événement spirituel.
Les chants anciens et traditionnels de l’Inde, composés par les grands maîtres, ont été
transmis de père en fils. La musique est enseignée d’une façon différente de la méthode
occidentale. Elle est enseignée par imitation et n’est pas toujours écrite. L’enseignant
chante, l’élève l’imite et toute la complexité et les subtilités sont apprises par mimétisme.
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L’aspect mystique de la musique est le secret de toutes les religions. Les grands de ce
monde, comme le Christ, Bouddha et d’autres sont venus époque après époque pour servir
d’exemple et exprimer cette perfection qui est le but de toute âme. L’homme doit atteindre
ce sommet extrême appelé perfection, c’est le secret caché derrière toutes ces grandes
religions et dans le travail de leurs maîtres ; c’est aussi le principe enseigné dès la première
leçon, par le musicien aux élèves. L’élève doit non seulement imiter l’enseignant et
apprendre, mais il doit focaliser son esprit sur le sien et recevoir son héritage.
Tant de chercheurs poursuivent la vérité en surface, l’extraient d’un livre ou l’apprennent
d’un enseignant, et ne parviennent pas à un résultat satisfaisant ; c’est pourquoi l’on
observe aujourd’hui un tel manque d’éveil spirituel. Autrefois, en Orient, et cela existe
encore maintenant, quand un petit garçon allait auprès d’un professeur pour apprendre, il
lui exprimait une grande considération, et son respect, son comportement envers son lui
était à la mesure de celui qu’il aurait eu pour un prêtre ; de cette façon il apprenait à
respecter et à estimer la valeur, le savoir de son maître. Dans la vie des grands chanteurs
de l’Inde, il est merveilleux de lire de quelle façon les élèves imitaient leurs professeurs, et
comment ils devenaient parfois plus grands qu’eux.
L’entraînement de l’âme et de l’esprit est le but de la musique indienne, qui offre le
meilleur moyen de se concentrer. Quand vous demandez à quelqu’un de se focaliser sur un
objet précis, le fait d’essayer le perturbe davantage, mais la musique qui attire l’âme
maintient l’esprit concentré. On développerait naturellement une puissance de
concentration si seulement l’on s’en rendait compte et que l’on rejetait tout le reste en lui
consacrant son esprit.
En plus de la beauté, la musique apporte la tendresse qui donne vie au cœur. Pour une
personne aux sensations subtiles, aux pensées bienveillantes, la vie du monde est très
éprouvante, déconcertante, et a parfois un effet glacial. Elle rend le cœur, pour ainsi dire
gelé. Dans ces conditions l’on passe par une dépression et toute la vie devient déplaisante,
la vraie vie qui signifie être le ciel devient un lieu de souffrance.
Concentrer son cœur sur la musique équivaut à réchauffer une personne gelée. Le cœur
retrouve ses conditions naturelles, le rythme régule son battement et aide le corps, l’esprit
et l’âme à guérir, tout en les ramenant à leur véritable diapason. La joie de vie dépend du
parfait accordage du corps et de l’esprit.
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LA VINA
Un grand poète indien chanta ainsi, en sanscrit, les louanges de la vina: « Cet instrument
aux cordes de boyau ! Le regarder, l’entendre, le toucher peut vous libérer, eussiez-vous
même tué un brahmane ! » Or l’acte de tuer un brahmane est considéré comme le plus
grand des péchés.
Cet instrument fut inventé par Chiva, le seigneur des yogis appelé aussi Mahadeva. Tout
au long de sa vie, il transmit au monde ses expériences de la pratique du yoga, et il est
adoré en Inde en tant que divinité. Ses écrits sont considérés comme saints. Chiva était un
ascète et un grand maître de la respiration.
Il vivait dans la montagne, s’asseyait et respirait l’air libre des vastes horizons de l’Orient.
Il pratiquait les mantras, des mots et des phrases qui changent l’existence entière de
l’homme. Il eut un jour le désir de créer un instrument qui serve à la plus haute exaltation
à travers la musique. Il coupa dans la forêt un morceau de bambou, puis il prit deux
calebasses, les évida et les fixa au bambou. Il fit des cordes à partir de boyaux d’animaux
et les attacha à l’instrument ; il fabriqua ainsi la première vina et s’exerça dans la solitude.
On raconte que lorsque les cerfs l’entendaient jouer dans la forêt, ils lui disaient: « Fais de
nos veines des cordes et pose-les sur ta vina, mais continue à jouer aussi longtemps que
nous vivrons. »
Mahadeva élabora cet instrument pour venir en aide au corps et à l’esprit de l’homme, en
tenant compte de son état le matin, à midi, l’après-midi, la nuit et à l’éveil de l’aube. Il
découvrit que chaque moment du jour et de la nuit produisait un effet particulier sur le
corps et l’esprit, et qu’un rythme apparenté à l’une de ces périodes particulières pourrait
être prescrit, sur les plans psychologique et mystique, pour l’élévation de l’âme.
Mahadeva mit donc au point une science psychologique de la musique, appelée raga ou
émotion, maîtrisée et utilisée pour le meilleur but. Lorsque sa compagne Parvati vit
l’instrument, elle dit : « Je dois inventer ma propre vina. » Elle prit des demi calebasses
pour en fabriquer une autre : la vina Sarasvati. Ainsi il existe deux vinas, l’une jouée par
les hommes et l’autre par les femmes. Cette dernière produit non seulement des notes
aigues et graves, mais aussi des harmoniques, et ainsi la musique s’enrichit. Mais il faut
une vie entière pour développer la science si difficile des harmoniques.
Les musiciens de l’Inde consacrent douze heures par jour et plus à l’exercice des rythmes
différents sur lesquels ils improvisent. Finalement ils provoquent un effet psychologique
qui ne fait plus partie de la musique mais de la magie, une magie qui peut faire vibrer une
personne et pénétrer son coeur. C’est un rêve, une méditation, c’est le paradis. Quand on
l’entend, on se sent dans un autre monde. Cependant leur musique est difficile d’accès car
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elle n’est pas jouée devant des milliers d’individus, mais seulement pour deux ou trois
personnes aux aptitudes de même nature qui se réunissent pour l’apprécier pleinement. En
présence d’un élément extérieur, le musicien ne se sent pas inspiré.
Un jour, un musicien fut invité à jouer de la vina, il vint et fut bien accueilli. Il sortit sa
vina, puis il regarda ici et là et ressentit de la discorde. Il rangea son instrument, salua et
commença à partir. Ceux qui étaient là se sentirent si désappointés qu’ils le supplièrent de
jouer, mais il répondit : « Vous pouvez me donner tout ce que vous voulez, je ne sens pas
de jouer. »
C’est très différent d’organiser un programme musical des mois à l’avance. Le musicien
occidental est retenu six mois à l’avance pour jouer un certain programme ; il est sans
défense et sous cette forme ce n’est pas de la musique, c’est du travail mécanique. Un
chanteur oriental ne sait jamais ce qu’il va chanter avant de commencer. Il ressent le
rythme et l’atmosphère de l’endroit, puis il commence à chanter ou à jouer ce qui lui vient
à l’esprit. C’est très spécial. Je ne veux pas dire qu’une musique de ce genre peut être
universelle, elle appartient à de rares personnes vivant dans un lieu retiré.
Actuellement les musiciens indiens disparaissent à cause d’un manque de reconnaissance.
Les puissants, les gourous, les maîtres de haute inspiration qui vivaient autrefois
appréciaient cette musique. Mais même en Inde les gens s’industrialisent, ils deviennent de
plus en plus matérialistes et la musique se meurt. Il reste maintenant très peu de ces
musiciens des anciens temps, capables d’envoûter ceux qui les écoutaient ; ils survivront
difficilement plus longtemps.
Parmi des millions, il en existe peut-être trois ou quatre qui disparaîtront dans quelques
années. Peut-être qu’un jour, le monde occidental va s’éveiller à la musique indienne, car
il le fait maintenant pour la poésie orientale, comme celle de Rabindranath Tagore. Il
viendra un temps où l’Occident sera aussi en demande de cette musique et l’on n’en
trouvera plus, il sera trop tard. Elle est magique et bâtie sur des bases psychologiques ; si
elle est introduite en Occident il ne fait pas de doute qu’elle déracinera un genre comme le
jazz. Il semblerait que la finesse des sens soit abîmée et détruite par ce genre de musique.
Des milliers de gens chaque jour dansent sur du jazz, et ils oublient l’effet qu’il a sur leur
âme, sur leur esprit et sur leurs sens subtils.
Un prince de Rampur voulait apprendre la musique auprès d’un grand maître. Mais ce
dernier connaissait le caractère du prince, amoureux de musique, et il comprit que de
nombreux musiciens voudraient exposer leur talent devant lui. Il dit : « Je ne peux vous
enseigner qu’à une condition : je ne veux pas que vous écoutiez des musiciens qui ne
soient pas des artistes accomplis, parce que votre sens musical ne doit pas être détruit, il
doit être réservé à la musique délicate, et vous permettre d’en apprécier la complexité
subtile. »
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Lorsque l’éducation détruit la finesse de son sens musical, le public préfère le jazz, ce qui
ne l’aide pas à aimer l’écoute de la vraie musique. Au lieu d’aller de l’avant, il recule. Et si
la musique, thème central de toute la culture humaine, n’aide pas les gens à aller de
l’avant, c’est un grand dommage.
La musique de la vina est très proche de la voix humaine. Quand vous l’écoutez, jamais
vous ne penseriez que c’est un instrument. Sa musique n’est pas aussi magnétique que
celle de la voix humaine, mais elle attire et impressionne davantage ; le son de la vina
parfait toutes les finesses et la structure soyeuse de la voix humaine.
LA VOIX
La voix ne donne pas seulement une indication sur le caractère de l’homme, elle est
l’expression de son esprit. La voix est audible mais aussi visible pour ceux qui peuvent la
voir. Dans les sphères éthériques, elle laisse des empreintes que l’on peut définir comme
audibles et en même temps visibles. Sur tous les plans, la voix laisse sa trace et les
scientifiques qui ont expérimenté le son, et l’ont gravé sur plaques, constateront un jour
que l’empreinte de la voix est plus profonde, plus vivante et qu’elle produit un effet plus
important que n’importe quel autre son.
D’autres sons peuvent être plus puissants, mais aucun n’est aussi vivant. Parce qu’ils
connaissaient cela, les Hindous des anciens temps disaient que parmi les arts musicaux, le
chant est le premier art, le théâtre et la danse viennent en deuxième, la musique
instrumentale en troisième. Ils ont découvert que par ces trois facettes on atteignait la
spiritualité plus tôt que par tout autre chemin, et que le chant était le plus court chemin
pour atteindre les hauteurs spirituelles. Ainsi, les grands prophètes hindous comme Narada
et Tumbara étaient chanteurs. Narada fut l’inspirateur de Valmiki, celui qui écrivit le
Ramayana et le Mahabharata, les textes hindous importants.
Il y a principalement trois qualités de voix : Jelal, Jemal, Kemal. La voix Jelal indique la
puissance, la voix Jemal la beauté, la voix Kemal la sagesse. Si vous y faites attention dans
la vie de tous les jours, vous vous rendrez compte que parfois vous êtes importuné avant
qu’une personne n’ait terminé sa phrase. Ce n’est pas par ce qu’elle dit, mais c’est à cause
de sa voix. Et vous noterez aussi que quelqu’un a pu vous dire quelque chose une seule
fois, et que c’est toujours resté en vous ; cette sensation continue à vous apaiser, à vous
soigner, à vous élever et à vous inspirer.
Si un médecin à la voix dissonante examine un patient, il peut l’effrayer et le rendre
encore plus souffrant. Par sa voix, un autre médecin pourra faire en sorte que le malade se
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sente déjà mieux, avant même d’avoir pris un médicament. Le médecin prescrit, mais ce
qui compte c’est son timbre de voix quand il parle au patient. Dans l’histoire du monde,
des hommes n’ont-ils pas avancé sur des centaines de kilomètres avec force et vigueur
parce qu’ils entendaient la voix de leur commandant dire : « En avant marche ! » Et ils ne
savaient pas à quoi ils allaient faire face. A-t-on jamais entendu parlé d’un commandant
qui aurait donné à ses soldats l’ordre de faire feu, et que les soldats aient retourné leur
arme contre eux-mêmes ? C’est aussi le pouvoir de la voix.
La voix est donc un vin. Elle peut être le meilleur des vins ou la pire des liqueurs. Elle
peut rendre une personne malade ou bien la transporter. On dit que Tansen, le grand
chanteur indien, accomplissait des prodiges par son chant. C’était un yogi du chant, il
maîtrisait le son et donc le son de sa voix devenait vivant, ce qui fait que tout ce qu’il
souhaitait se produisait. Dans ce monde, très peu connaissent l’importance de phénomènes
accrus par la puissance de la voix. S’il existe des preuves réelles de miracles, de
phénomènes, de merveilles, elles sont dans la voix.
Il y a cinq qualités de voix, reliées au caractère spécifique de chaque personne.
- La qualité terre de la voix donne espoir, encouragement, tentation.
- La qualité eau enivre, adoucit, guérit, élève.
- La qualité feu impressionne, excite, stimule, horrifie, et en même temps éveille. Très
souvent la voix de qualité feu donne un avertissement. Les langues de feu, citées dans le
Nouveau Testament, parlent de cette voix et de la parole qui avertit du danger à venir ; il
était inquiétant pour les gens de sortir de leur sommeil afin de s’éveiller à une conscience
plus vaste et plus haute.
- La qualité air de la voix, élève, emporte très loin du plan terrestre.
- La qualité éther inspire, guérit, apaise, harmonise, convainc, attire et en même temps
enivre. Chaque voix, Jelal, Jemal, Kemal a, prédominante en elle, l’une ou l’autre de ces
cinq qualités, et produit un effet créé en regard de cette qualité.
Par l’étude de la voix vous pouvez découvrir l’avancement personnel d’un homme, son
niveau d’évolution. Vous n’avez pas besoin de le voir, sa voix seule vous dira le niveau de
son évolution. Il ne fait aucun doute qu’elle met en évidence le caractère d’une personne,
et à chaque étape, du bébé, de l’enfant, de l’adolescent, jusqu’au plus âgé, la hauteur de la
voix change. L’âge mûr exprime ce qu’une personne a acquis, et donc la voix donne aussi
une indication sur ce qu’elle a atteint. Comme pour tout dans la vie, un changement sur la
voix survient également à chaque avancée de l’évolution spirituelle. Toute expérience dans
la vie est une initiation, comme dans le monde matériel, on gravit des marches, et cette
expérience change la voix d’un individu.
On peut constater une chose étonnante dans l’étude de la voix, c’est qu’une personne
fortunée a une voix différente de celle qui ne l’est pas. Si vous réunissez cinq personnes
qui ont réellement prouvé leur grande fortune et que vous les écoutez, vous constaterez
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combien la différence entre une voix ordinaire et la leur, est grande. La comparaison est la
même pour la voix de gens importants, quelle que soit leur spécialité.
Ce qui est dit ici concerne uniquement la voix parlée, mais dans le chant c’est vraiment
différent, parce que cet art aujourd’hui est devenu aussi artificiel que possible. Selon les
concepts modernes, on entraîne la voix pour la rendre différente de ce qu’elle est
naturellement. Cet entraînement ne l’attire pas vers le développement de ce qui lui est
naturel, mais l’oriente vers quelque chose d’artificiel. Et donc lorsqu’une personne chante
selon les méthodes actuelles, elle a une voix qui n’est plus la sienne. Elle peut avoir
beaucoup de succès et être écoutée par des milliers de gens, mais elle ne chante pas avec
sa voix naturelle et on ne peut y déceler son niveau d’évolution. On doit par conséquent
découvrir le véritable caractère d’une personne par sa voix parlée.
La douceur ou la force d’une voix est le troisième point à comprendre, car par moments la
voix est plus douce et à d’autres elle est plus sonore. Cela donne une indication sur les
conditions naturelles de l’esprit à ce moment-là, car parfois l’esprit par sa tendresse,
adoucit la voix, et parfois il est vigoureux et la voix devient plus dure. Pour gronder
quelqu’un, vous n’avez pas besoin d’élever la voix, elle se durcit naturellement. Et pour
sympathiser avec une personne, pour exprimer votre gratitude, votre amour, votre
dévotion, votre affection, vous n’avez pas besoin d’adoucir votre voix, elle devient douce
avant que vous ne le ressentiez, parce que vous y pensez en anticipant. Cela montre que la
voix est l’expression de l’esprit. S’il est doux, elle est douce, s’il est dur, elle est dure ; si
l’esprit est puissant la voix a de la force, s’il perd de sa vigueur, alors elle aussi perd de sa
puissance.
L’inspiration choisit sa propre voix. Lorsqu’un orateur doit la transformer pour l’adapter à
la salle où il est, il perd son inspiration ; l’inspiration sent : « Ce n’est pas ma voix », et
alors elle ne vient pas. Ensuite l’orateur doit se débattre face à deux problèmes, le premier
est de parler sans inspiration et le deuxième est d’être entendu par chaque auditeur. Ce
n’est pas possible.
De nos jours, une nouvelle méthode s’est développée, celle de l’élocution. Quand on l’a
apprise, on peut déclamer aussi fort que dix personnes à la fois, et tout le monde trouve
cela magnifique, mais quelle impression en reste-t-il ? Aucune. De même un haut parleur
multiplie la voix par vingt et c’est très bien pour le commerce ou les affaires, mais lorsque
vous entrez dans la vie même, pour une conversation ou une discussion entre amis, c’est
très différent.
Lorsque l’on parle à une ou plusieurs personnes, c’est un moment psychologique
important, en raison de son écho dans le cosmos. Aucun mot prononcé n’est perdu. Il reste
et vibre, en accord avec l’esprit que l’on y a mis. Si une personne rend sa voix artificielle
pour convaincre les gens, cela veut seulement dire qu’elle n’est pas sincère avec son esprit.
C’est impossible. Que l’on parle à quelques individus ou à la multitude il est préférable de
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rester naturel, plutôt que de devenir artificiel. Très souvent les gens pensent que pour
réciter, ils doivent imiter une autre voix, devenir un autre être et ils ne veulent pas se
souvenir de qui ils sont ; il n’y a rien de plus beau, de plus convaincant, attirant et
impressionnant que de réciter de sa voix naturelle.
Comme dans le chant, il y a certaines choses à conserver dans la voix. Cependant, par
l’entraînement, plus la voix est développée, plus son volume est important, et plus sa
portée est grande, plus on doit cependant se sentir responsable et préserver sa voix
naturelle, intacte à travers chaque étape du développement. Cela ne veut pas dire qu’on ne
doive pas avoir une voix ample, et de grand volume, ou qu’il ne faille pas qu’elle soit
vigoureuse et souple. Tout ce qui peut l’enrichir est nécessaire et doit être développé par le
travail ; mais en même temps, il ne faut jamais perdre de vue qu’on ne doit pas sacrifier les
qualités naturelles d’une voix.
Chacun doit savoir qu’il n’existe aucune autre voix semblable à la sienne ; si l’on perd la
spécificité de voix de son âme, alors il n’en reste rien. De plus, chacun joue un instrument
de l’orchestre qu’est l’univers entier, et chaque voix est la musique de l’un de ces
instruments, chaque instrument a été réalisé de manière distincte et spécifique, et aucune
voix ne peut prendre la place de cette voix singulière. Si ensuite, on développe une voix
qui n’est pas la nôtre, et qu’avec l’instrument que Dieu a créé et la musique qu’il a voulue
dans le monde, on ne permet pas à cette musique d’être jouée, c’est naturellement une
grande perte pour soi et pour les autres.
Il y a une façon mécanique ou une façon naturelle de travailler la voix. La manière
mécanique est celle des instruments. Mais il existe une voie naturelle que les peuples
anciens avaient coutume de percevoir. Ils identifièrent le tonnerre et les divers sons de la
nature et, à partir de là, créèrent les sept notes ; ils virent les liens entre les êtres humains
et les notes de la nature. C’est pourquoi dans la musique ancienne indienne, il existe des
notes appelées notes de la nature ; le diapason qui les régule est le son émis par les
animaux.
Il est de la plus grande importance pour ceux qui sont sur le chemin spirituel, les penseurs,
les étudiants, les âmes méditatives, de connaître leur état d’esprit en consultant de temps
en temps leur voix. C’est le baromètre. Du matin au soir on peut observer le climat que
l’on crée, qu’il fasse chaud ou froid, au printemps ou en hiver. Notre voix est l’instrument,
le baromètre qui nous indique ce qui va venir, car ce qui va venir est la réaction, le résultat
de ce qui est créé et la voix l’indique. Si seulement ils consultent leur voix, ceux qui
pensent plus profondément encore sur ce thème seront capables de voir comment, étape
après étape, ils progressent sur le chemin spirituel. Chaque pas provoque un petit
changement. Lorsque vous observez le changement de votre voix, vous découvrez que
vous avez beaucoup progressé, ou bien que vous régressez encore, c’est la voix qui vous
le dit.
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Voici une autre chose tout à fait étonnante à propos de la voix : une fois que vous l’avez
cultivée, approfondie, amplifiée, si vous devez abandonner ce travail pendant des mois ou
des années, il se peut qu’elle prenne une forme et une apparence différentes, mais en
même temps ce que vous avez développé restera quelque part en vous, comme un dépôt à
la banque. Vous l’avez peut-être oublié, cependant c’est est là. Le jour où vous y toucherez
de nouveau, cela reviendra par le même chemin et il faudra peu de choses pour compléter
le travail.
Si la voix a développé une qualité spirituelle et que l’on s’aperçoit plus tard que cette
qualité est perdue, on ne doit pas se décourager ou être déçu. On doit se corriger et essayer
d’aller plus loin encore, avec le regret d’avoir reculé, mais on ne doit jamais se décourager
ou désespérer parce que la qualité est là, elle a seulement besoin d’un petit stimulant. Il en
est de même pour une bougie qui s’est éteinte, vous frottez une allumette et vous la
rallumez, elle reste la même. La voix est une lumière. Si la lumière faiblit, elle ne disparaît
pas, elle est là. C’est la même chose avec la voix : si elle ne brille pas, cela veut seulement
dire qu’elle n’a pas été entretenue ; vous devez la cultiver, elle brillera à nouveau.
Parfois une personne vient vous parler de quelque chose, et ensuite elle fait : « Hum,
hum » et après avoir dit quelques mots, elle recommence : « Hum, hum ». Cela peut
vouloir dire qu’elle est enrhumée, mais elle peut ne pas l’être, alors pourquoi fait-elle cela?
Parce quelque chose de son esprit doit venir au jour, et ne sort pas rapidement ; sa voix
montre ce qui se passe dans sa tête. Elle veut dire quelque chose, mais elle ne le peut parce
que son esprit ne fonctionne pas correctement et parce que sa voix ne coopère pas. S’il
existe dans sa tête une gêne ou un obstacle, il existe aussi dans la voix.
LE MYSTERE DU SON ET DE LA COULEUR
L’attirance de la couleur et du son nous émerveille, y aurait-il derrière elle un mystère
caché, un langage de la couleur et du son que nous pourrions apprendre ? On peut
répondre que ce langage est celui de l’âme, et que notre langage extérieur nous perturbe et
perturbe aussi le sens de ce langage intérieur : la couleur et le son sont le langage de la vie.
La vie s’exprime sur tous les plans de l’existence sous forme de couleur et de son, mais les
manifestations extérieures de la vie sont si rigides et si denses que le secret de leur nature
et leur caractère y est enseveli.
Pourquoi les mystiques disent-ils que le monde est une illusion ? Parce que la nature de la
manifestation est ainsi faite qu’elle enveloppe son propre secret en elle-même, elle
apparaît sous une forme si rigide, que le mystère, la beauté, la subtilité de son caractère
sont cachés en elle. C’est pourquoi les chercheurs de vérité, ceux qui étudient la vie sont
de deux natures différentes. Les uns souhaitent apprendre à partir des apparences
extérieures, les autres désirent découvrir le secret caché derrière elles. Celui qui apprend
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de l’extérieur acquiert la connaissance de l’extérieur, que nous appelons la science, qui
découvre par l’intérieur ce qui est caché dans cette manifestation, est le mystique. La
connaissance qu’il gagne est le mysticisme.
Qu’est-ce qui, dans le son et la couleur, attire l’homme ? C’est la première question qui
vient à l’esprit de quelqu’un de sensé. Le ton et le rythme de la couleur, aussi bien que du
son, influencent la tonalité et le rythme de notre être. La capacité de résonance au ton et au
rythme, qui vient du son et de la couleur, est dans notre être ; cette capacité ouvre la porte
à leur influence sur nous. Aussi chacun préfère une couleur, chacun est séduit par un
certain type de son. En chant, on peut être attiré par le timbre d’une basse ou d’un baryton,
ou bien par celui d’un ténor ou d’une soprano. Certaines âmes sont attirées par les sons
profonds du violoncelle, d’autres sont intéressées par celui du violon, ou bien apprécient le
son du cor ou du trombone, et d’autres encore préfèrent la flûte. Qu’est-ce que cela
montre ? Qu’il existe un potentiel particulier dans nos êtres et nos cœurs, et que de lui
dépend le type de son qui nous attire.
En même temps tout cela dépend du degré d’évolution de l’homme, de sa nature, de son
caractère, qu’ils soient grossiers ou subtils, et aussi de son tempérament, qu’il soit de
nature pratique ou rêveuse, qu’il aime le drame de la vie ou qu’il soit absorbé par ses
banalités. Couleurs et sons affectent l’état de l’homme suivant son tempérament et son
évolution ; la preuve en est que ses envies de couleurs changent si souvent. A certains
moments, il recherche le rouge, à d’autres il a besoin de mauve, à d’autres encore il lui
prend fantaisie de bleu ou il désire ardemment du jaune ou de l’orange. Certains préfèrent
les couleurs profondes et d’autres les couleurs claires. Tout dépend de leur tempérament et
de leur degré d’évolution.
Toutes sortes de musiques les charment, ils peuvent apprécier les meilleures comme les
pires. Ne voyez-vous pas combien les enfants peuvent s’amuser avec une boîte de
conserves et un bout de bois ? Le rythme a une part dans leur capacité de plaisir. La nature
humaine est telle que, lorsque vous la regardez dans son ensemble, elle se sert de toutes
choses, de la plus haute à la plus basse.
Ces possibilités sont si vastes que rien n’est laissé de côté. Tout a sa place, tout est
assimilé par la nature humaine. Il y a action et inaction en même temps. Ce n’est pas
seulement le degré d’évolution qui transforme le désir de l’homme pour telles couleurs ou
tels sons, ceux-ci l’aident aussi dans son évolution et en changent la rapidité.
Très souvent l’homme attache une grande importance aux couleurs et aux sons, et oublie
ce qu’il y a derrière, ce qui le conduit à de nombreuses superstitions, imaginations et
envies. Beaucoup d’individus ont dupé des gens simples, en leur disant la couleur de leur
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âme, ou la note de leur vie. L’homme est toujours prêt à répondre à tout ce qui peut le
rendre perplexe et semer la confusion dans son esprit, il souhaite toujours se faire berner.
Il est si heureux qu’on lui dise que sa couleur est le jaune ou le vert, ou que sa note est do,
ré ou mi, qu’il ne prend pas le soin d’en découvrir la raison. C’est comme dire à quelqu’un
que le mercredi est son jour et le jeudi celui d’un autre.
En fait, tous les jours sont nôtres et toutes les couleurs aussi. L’homme est le maître de
toute manifestation. C’est à lui d’utiliser l’ensemble des couleurs et des tons ; ils sont à sa
disposition, à lui d’en faire le meilleur usage. Il serait bien dommage que nous soyons
assujettis à une couleur ou un ton. Ce serait sans vie, comme une forme de mort. L’escalier
est fait pour que nous montions, pas pour stationner sur une marche. Chaque marche est la
nôtre, si nous voulons bien la gravir.
Du point de vue mystique, le son est la première orientation qui permet à l’intelligence de
devenir consciente des manifestations ; la deuxième est la lumière (la couleur). La preuve
en est dans la Bible aussi bien que dans le Védanta. La Bible dit : « Au commencement
était le Verbe, et le Verbe était Dieu » et il est dit aussi qu’en premier fut créé le son et
qu’ensuite vint la lumière.
Qu’est-ce que la couleur ? C’est un aspect de la lumière. On lit dans le Védanta que la
première manifestation du Créateur, la source à partir de laquelle tout fut créé, fut le son.
Dans le Coran, il est dit : « Le premier commandement fut « Soit », et cela devint ».
A toutes les périodes de l’histoire, tous les mystiques, les prophètes, les grands penseurs
du monde ont donné la première place au son pour expliquer le processus de la création.
Les scientifiques d’aujourd’hui disent la même chose. Il parlent de rayons, d’atomes,
d’électrons, puis après être passés à travers les divers atomes des substances, ils
aboutissent à quelque chose qu’ils appellent « mouvement ». Le mouvement est vibration
et c’est seulement l’effet de ce mouvement que nous nommons son. Le mouvement parle
et nous l’appelons parole quand il est audible. Quand il ne l’est pas, c’est qu’on ne le capte
pas suffisamment. Mais la cause du son est le mouvement, et le mouvement est toujours là.
Il est évident que son existence ne dépend pas de nos capacités.
La couleur aussi est mouvement et sa fonction nous rend les couleurs visibles
concrètement. En même temps, et bien que nous nommions une couleur, verte, rouge,
jaune, les couleurs sont différentes pour chaque personne ; les gens ne perçoivent pas de la
même façon les nuances subtiles des couleurs, parce que la capacité est différente en
chacun d’eux. Le ton est en rapport avec la capacité. En d’autres termes, ce n’est pas le ton
ou la couleur qui diffère de valeur, ils deviennent différents lorsque nous en avons la
sensation par rapport à nos sensations, quand nous les sentons. C’est par rapport à nous
qu’ils sont différents.
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La conception des cinq éléments qu’ont eue les mystiques de tous les temps, ne peut pas
s’expliquer en termes scientifiques, car ils leur donnent un sens spécial. Bien que les
éléments aient pour nom, terre, eau, feu, air, éther, on ne peut pas, selon les mystiques, les
prendre au sens littéral, car leur nature et leurs caractères sont différents ; comme les mots
sont peu de chose, on ne peut pas leur en donner d’autres, bien qu’en sanscrit, nous ayons
des mots distincts pour les désigner.
« Ether », n’est pas l’éther au sens où l’entendent les hommes de science, il veut dire
potentiel. « Eau » n’est pas l’eau telle que nous la comprenons dans notre langage de tous
les jours, elle est limpidité. « Feu » se comprend différemment : il signifie chaleur ou
rayonnement, sécheresse, éclat, tout ce qui vit. Tous ces mots suggèrent quelque chose de
plus que leur sens ordinaire.
L’effet des cinq éléments se distingue par des couleurs et des sons distincts. Ils sont
représentés par des sons. Dans l’échelle musicale des ragas indiens et chinois, le raga de
cinq notes est considéré comme le plus émouvant; j’ai moi-même expérimenté que la
gamme de cinq notes est beaucoup plus émouvante que celle de sept notes qui ne possède
pas la même influence vitale. Dans les temps anciens, les gammes par lesquelles étaient
accomplis des miracles étaient la plupart du temps les gammes de cinq notes.
Il y a un lien entre son et couleur, en réalité ils sont un, ils sont deux aspects de la vie.
Lumière et vie sont un : la vie est lumière et la lumière est vie, et donc la couleur est son et
le son est couleur. Mais lorsque le son est couleur il est plus visible et moins audible, et
lorsque que la couleur est son, elle est plus audible que visible. En étudiant et pratiquant la
science du souffle, on peut découvrir l’unité de la couleur et du son. Quand on entend
quelque chose, la première tendance est d’ouvrir les yeux pour essayer de voir la couleur
correspondante. Bien que la couleur soit un langage, ce n’est pas le bon moyen de la voir.
La vie même est audible et visible aussi, mais où ? Elle est visible sur le plan intérieur.
L’erreur c’est que l’homme la regarde de l’extérieur.
Lorsqu’il entend de la musique, il veut en voir la couleur devant lui. Chaque activité du
monde extérieur est une sorte de réaction ; en d’autres termes, une ombre à l’activité qui se
cache derrière et que nous ne voyons pas. Il y a un décalage de temps, une activité qui a eu
lieu douze heures plus tôt, est maintenant visible en couleur dans le plan extérieur. Il en est
de même de l’effet des rêves sur la vie. On a rêvé de quelque chose la nuit et l’on en verra
peut-être l’influence le lendemain matin, ou bien une semaine plus tard. Cela montre que
dans les coulisses, prend place une activité qui se reflète sur la vie extérieure, suivant la
direction donnée aux activités extérieures.
Voilà pourquoi un voyant ou un mystique est très souvent capable de connaître à l’avance
son état ou celui des autres, ce qui va venir, ce qui s’est passé, et à distance ce qui
viendra ; car il connaît le langage du son et de la couleur. Et maintenant se pose la
question de savoir sur quel plan il connaît ce langage, et de quelle manière il se manifeste
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à lui. On ne peut pas restreindre ce phénomène à une loi et cependant il suit une certaine
loi. Où le mystique le voit-t-il ? Il le voit dans son souffle.
Ainsi toute la culture du développement spirituel est basée sur la connaissance du souffle.
Qu’est-ce qui fait que les yogis, les mystiques sont capables de voir les événements passés,
présents et futurs ? Ils connaissent la loi derrière la création, le mécanisme particulier d’un
processus plus subtil. Et comment peut-on le voir ? En ouvrant sa propre vision à soimême.
D’après les mystiques, il existe en nous cinq potentialités que l’on peut nommer Akashas.
La première : le corps, tout le monde le connaît et en est conscient, est ce que l’on peut
appeler le réceptacle de la nourriture. La deuxième, le réceptacle des sensations, plus ou
moins reconnu, se tient au niveau des sens. La troisième est un monde en elle-même, dans
lequel on est conscient des forces subtiles de vie agissant en nous. Elles peuvent nous
apporter une perception du passé, du présent, du futur, pour la bonne raison qu’elles
deviennent claires à notre vision. Nous les voyons.
Vous pouvez vous demander comment l’on peut comprendre la condition de quelqu’un
d’autre. Ce n’est pas parce que l’on en sait plus sur les autres, car l’on est surtout fait
pour savoir ce qui nous concerne; mais nombreux sont ceux qui ignorent le troisième
réceptacle, celui de la vie. Celui qui est conscient de cet Akasha est capable de le vider de
son potentiel, et de faire ce qu’il faut pour que la vie d’une autre personne s’y réfléchisse.
Il y parvient en se concentrant sur la vie d’un autre et ainsi il englobe le passé, le présent,
le futur. Il doit simplement placer son appareil photo à la bonne place. C’est exactement
comme un cliché. Le support est là, limpide, parce qu’il est vide, et la concentration est
comme le tissu noir que le photographe pose sur l’appareil et sur sa tête. Lorsque l’homme
a maîtrisé la concentration, il devient le photographe. Il est capable de focaliser toute la
lumière sur un point, ce qui est tout à fait scientifique lorsqu’on le comprend ainsi ; cela
devient une énigme quand on nous le présente comme un mystère. Tout est mystère quand
on ne sait pas, quand on sait, tout est simple. Les chercheurs authentiques de la vérité sont
des amoureux de la simplicité. La bonne route est simple, claire et distincte. Il n’y a rien
de flou en ce qui la concerne.
Plus on suit le sentier du mystère de la vie, plus la vie nous est révélée. La vie commence à
exprimer son secret, sa nature. Il est demandé à l’homme de suivre honnêtement les lois de
la vie. Rien en ce monde n’est plus important que la connaissance de la nature humaine et
l’étude de la vie humaine ; cette étude repose sur l’étude de soi-même, et c’est l’étude de
soi-même qui est réellement l’étude de Dieu.
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LA MUSIQUE ANCIENNE
Lorsque l’on étudie ce thème, on s’aperçoit que l’idée de la musique du point de vue oriental a
son origine dans l’intuition.
Mais la tradition de tout art ou même de toute science nous dit la même chose. C’est
seulement plus tard que l’homme commença à croire en des choses extérieures et en oublia
l’intuition originelle. Pour les Anciens, la musique n’était pas une science mécanique de l’art :
c’était la première langue.
On peut en trouver la preuve encore maintenant dans le langage des animaux et des oiseaux ;
ils expriment ainsi leurs émotions et leurs passions les uns pour les autres, bien que ce ne soit
pas des mots mais seulement des sons. La combinaison des sons différents émis par les
animaux et les oiseaux a également un effet sur les multitudes innombrables de la création
inférieure.
Si la musique fut la première expression de cette création, il en fut de même pour l’humanité.
Et puisque ce fut la première expression des émotions et des passions du cœur, c’est aussi
l’ultime ; car ce que la peinture ne peut exprimer, la poésie le fait et ce que la poésie ne peut
exprimer, la musique le fait. Ainsi pour un penseur, la musique de tous les temps a le rang
suprême de la plus haute expression de ce qui est au plus profond en lui.
Lorsque l’on compare la musique ancienne et la musique moderne, l’on se trouve devant un
gouffre sans doute trop vaste à enjamber. La musique orientale peut donner une idée de la
musique ancienne originelle, car elle en contient encore les traces. Elle n’aurait peut-être pas
été conservée intacte, si en Orient on l’avait considérée comme une simple musique ; elle a
toujours fait partie de la religion et c’est pourquoi elle a été préservée pendant des milliers
d’années à travers la tradition.
L’n pourrait se demander comment la musique des temps anciens a pu rester pure, alors que la
nature humaine a tendance à altérer les choses. C’est parce qu’il a toujours été difficile pour
les hommes de changer de religion. Ils peuvent changer beaucoup de choses mais ils ont
toujours conservé la religion. La religion des Hindous est issue du Védanta, et dans le
Védanta, le cinquième aspect nommé est la musique, il est appelé Sama Véda.
En étudiant la musique hindoue on peut remonter le cours des traditions, et constater qu’il y a
plusieurs milliers d’années il existait déjà de fines nuances du ton, comme le quart de ton. Non
seulement l’on étudiait la qualité du son, mais aussi sa nature et son caractère, exactement
comme en chimie. Dans les traditions anciennes, nous pouvons retrouver aujourd’hui des
effets variés, liés aux différentes notes, que ce soit la sécheresse ou l’humidité, le froid ou le
chaud.
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Aujourd’hui il est difficile de différencier des sons exprimant tous ces effets, parce que
maintenant la distinction des sons est donnée par les instruments, alors qu’en ce temps-là elle
était uniquement produite par la nature. De plus, il est très intéressant de trouver dans les
écritures sanscrites de nos jours les différents degrés de son, autrefois perceptibles. En
l’absence de piano ou de diapason, et grâce aux sons émis par certains animaux et oiseaux, les
Anciens pouvaient déterminer la hauteur du son ; ils distinguaient le son d’un objet précis sous
ses aspects différents.
Ce côté scientifique se développa de la même façon que l’art ancien de la musique hindoue.
Nous pouvons nous en émerveiller et penser que cet art naturel se serait sans doute développé
ainsi, grâce à ces gens si proches de la nature.
L’n trouve en Orient même actuellement, des références sur la façon dont l’art s’est développé
chez les peuples anciens. Ils faisaient le lien entre les saisons et les différents thèmes
musicaux, entre certaines mélodies et les différents moments du jour et de la nuit. Comme il
n’existe rien dans le monde qui n’ait sa raison, ce n’était pas seulement de l’imagination ou
des fantaisies ; il y avait une logique dans l’attribution de certaines mélodies à certains
moments.
S’il s’était agi seulement d’une fantaisie poétique, le phénomène n’aurait duré qu’une courte
période et n’aurait eu d’influence que sur un cercle limité. Mais depuis des siècles et jusqu’à
maintenant, son influence s’est étendue à tout le pays. De nos jours à l’est, ou à l’ouest, au
nord ou au sud, on trouve le même raga chanté au même moment. Lorsque le thème musical
est chanté en dehors du temps qui lui correspond, il n’est pas émouvant.
Du point de vue métaphysique, l’on remarque que la prise de conscience de cette science a
depuis toujours pour origine, la vibration qui est à la racine de l’ensemble de la création.
C’était une certitude pour ces peuples anciens et c’était la base de toute leur science. Ils
savaient que la puissance qui a créé et qui a maintenu, la manifestation entière de tout le
cosmos, est vibration. Et c’est pour cela que la science astrologique, qui a beaucoup à voir
avec la façon dont les êtres humains et les différents pays furent influencés, émergea elle aussi
de cette science de la vibration.
Les Anciens savaient que la science de la musique avait beaucoup à voir avec l’influence des
planètes, leur mouvement, leur travail continuels, et que leur action sur la terre était la base
des ragas sur lesquels leur musique se fondait.
On a retrouvé dans la tradition sanscrite des anciens temps des versets en relation avec
certaines planètes. Ainsi l’on établissait le programme musical en l’accordant à l’influence du
cosmos et des planètes, et on l’appliquait tout au long de l’année. On pourrait penser que ces
influences sont trop floues à percevoir et qu’il n’est pas possible d’établir un programme
d’après l’action des planètes ; néanmoins, de tout temps l’humanité a organisé sa vie en
s’accordant à leur influence.
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Il était nécessaire de laisser le chanteur et l’instrumentiste libres de chanter et de jouer comme
ils le souhaitaient, de manière à ce que leur musique reste proche de la nature. Naturellement il
n’était pas question d’uniformité et l’on ne pouvait mettre en place un système standardisé.
C’est pourquoi leur musique est toujours restée un art individualiste, ne faisant pas partie de
l’éducation générale. La musique des peuples anciens avait alors ses avantages et ses
inconvénients. Pour les avantages, un musicien, un chanteur, un instrumentiste n’était jamais
contraint de chanter d’une manière particulière pour exécuter comme il convient la musique
devant un auditoire, il était toujours libre de jouer en accord avec l’inspiration du moment.
Il avait ainsi toute liberté pour exprimer ses émotions et ses passions, sans entrave extérieure
à laquelle il aurait dû se soumettre. Bien sûr, pour un nombre plus important de chanteurs et
d’instrumentistes, il était nécessaire de mettre en place certains critères mais ils étaient peu
contraignants. C’est cette règle que l’on appelait musique.
Le mot musique, ou Sangita en sanscrit, présente trois aspects. Le premier est le langage, le
deuxième est le jeu, et le troisième est le mouvement. Les Hindous n’ont jamais considéré que
la science du mouvement ou de la danse était séparée de la musique. Ils ont toujours réuni les
trois aspects de ce qu’ils appelaient musique. Celle des orientaux se déployait, et chacun de
ces trois aspects se développait aussi. Par exemple le chant de personnes plus raffinées était
assez différent de celui des paysans. Les chants du temple n’étaient pas du tout semblables à
ceux de la scène. Il n’y avait pas seulement une mécanique des règles ou des réglementations
particulières à suivre, mais il y avait aussi une différence de nature.
La musique des peuples anciens apporta un grand bienfait à l’humanité, le plus précieux et le
plus important, car les Anciens distinguaient les différents aspects de la musique et ils
comprirent qu’il était possible d’exprimer le ton et le rythme d’une certaine façon et ainsi de
provoquer une émotion ou un penchant à l’action. A partir de là, ils découvrirent qu’une
certaine utilisation du temps et du rythme apportait l’équilibre et le calme. Cette science se
développa avec des années de pratique et forma en elle-même un art spécial qui fut appelé
Mantra Yoga.
Le mot yoga veut dire unité ou lien, et mantra yoga signifie l’union sacrée entre la vie
extérieure et la vie profonde. Car les yogis découvrirent l’existence de penchants
psychologiques. Par exemple, l’une des tendances de la respiration est d’aller vers l’extérieur,
l’autre d’aller vers l’intérieur. Ces deux tendances se trouvent aussi dans la nature, dans le flux
et le reflux, dans le lever et le coucher du soleil. On voit ces différences en soi-même : les
vibrations et les actes de son propre corps sont très différents le matin et le soir.
Ainsi les yogis réglèrent le rythme du cœur, de la circulation et de la respiration à l’aide de la
vibration de la musique, du ton et du rythme. Ce travail les amena des vibrations audibles aux
vibrations intérieures, autrement dit du son à la respiration ; les Hindous, pour cette raison, ont
un seul et même mot pour dire son et souffle : Sura. Une chose se mélange à l’autre, parce
qu’en fait c’est une même chose. Le souffle d’un objet peut s’appeler son, et l’audition du
31
souffle peut s’appeler voix. Donc le souffle et la voix ne sont pas distincts, non plus que le
souffle et le son, si l’on peut comprendre qu’ils ont tous les deux la même base.
C’est pour cette raison que l’homme se réjouit et qu’il est impressionné par la musique qu’on
lui joue : elle est là. Est-ce seulement un divertissement, ou un passe-temps ? Non, derrière
tout cela, il y a quelque chose. La principale raison est que dans l’homme, il y a un rythme
perpétuel en action qui est le signe de la vie en lui, un rythme exprimé dans les pulsations et
les battements mêmes de son cœur. De ce rythme dépendent sa santé, mais aussi ses humeurs.
Un rythme continuel a un effet sur chacun, différent et distinct pour chaque personne.
Il est amusant et intéressant de savoir que lorsque le jazz devint à la mode, tout le monde
dit : « Quelque chose de fou est entré dans notre société. » Et pourtant personne n’y a vraiment
résisté. Le jazz est devenu de plus en plus à la mode. Cependant beaucoup le détestent, en
disent du mal, et ne peuvent pas l’écouter plus de cinq minutes. Quelle en est la raison ?
Sous quelque forme que ce soit, le rythme est insistant et il a un effet est psychologique, à la
fois sur le corps et sur l’esprit. On raconte qu’un très grand poète mystique persan avait
l’habitude de tourner autour d’un pilier situé au milieu de sa maison, lorsqu’il entrait dans une
certaine humeur. Alors il commençait à parler, les gens prenaient note de ce qu’il disait et sa
poésie était parfaite. Il existait aussi un avocat qui tournait sur lui-même lorsqu’il ne trouvait
pas de controverse au barreau, et alors il trouvait le bon argument.
Nous sommes à la recherche d’un mystère et nous n’avons pas besoin d’entrer dans ces cas
extrêmes. Une personne qui ne peut trouver une idée tapote de ses doigts sur la table, et l’idée
vient. Il est courant de marcher en rond dans une pièce lorsque l’on ne peut exprimer sa
pensée et au bout de quelques tours elle devient claire. Le corps humain est une sorte de
mécanisme qui doit poursuivre sa route régulièrement. S’il est stoppé en chemin, d’une
certaine manière quelque chose s’arrête dans son corps ou son esprit. Ce qui nous conduit à
comprendre que les humeurs, la santé, l’état mental de l’homme dépendent du rythme, pas
seulement de celui donné par la musique, mais aussi de celui de sa respiration. Ce rythme a
beaucoup à voir avec celui de sa vie.
Il est aussi tout à fait vrai que certains sons irritent l’homme et affectent ses nerfs, mais il
existe aussi d’autres espèces de rythmes qui ont sur l’esprit un effet apaisant, guérissant et
réconfortant.
La musique est son et rythme. La musique ne serait pas utilisée uniquement comme un passetemps si le son et le rythme étaient compris dans leur nature et leur caractère. Elle deviendrait
alors source de guérison et d’élévation. Les soufis d’autrefois, les grands mystiques, avaient
développaient cet art pour trouver un équilibre de vie après leurs activités journalières.
Quelques soufis connus sous le nom de derviches, adoptent une méthode spéciale de progrès
sur le chemin spirituel, en essayant de vivre leur vie aussi loin que possible du monde. On les
appelle aussi fakirs, ils ont des pouvoirs prodigieux et sont clairvoyants. Ce sont des amoureux
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et des rêveurs de Dieu. Ils L’adorent dans la nature et spécialement dans la nature humaine.
Parmi de nombreuses voies de développement spirituel, entendre la musique est le chemin
qu’ils ont appelé Suma. Ils écoutent de la musique dans une assemblée d’initiés. Un non-initié
n’est pas autorisé à entrer. Ils s’adressent les uns aux autres en disant : « O roi des rois, O
souverain de tous souverains », et sont pour la plupart revêtus de toges rapiécées ou de
guenilles. Ils ne pensent jamais au lendemain, leur pensée est uniquement orientée sur le
moment présent, pour se désaltérer et pour apaiser la faim du moment. Le souci du lendemain
est remis au lendemain ; ils ne sont concernés que par le présent, à supposer que la vie les
concerne tout court.
Les derviches sont réellement habilités à apprécier la beauté de la musique, eux dont l’âme et
l’esprit chaleureux, dont les centres ouverts se mettent eux-mêmes dans une résonance
médiumnique à la musique qu’ils entendent ; elle touche ainsi la partie la plus profonde de
leur être, autrement que la plupart des gens. Ainsi émus par elle, ils manifestent des états
différents, appelés Hàl par les soufis. Touchés par l’Esprit, ils peuvent entrer en extase, Wajad,
sous forme de larmes, de soupirs ou de danse.
Ceux qui les appellent les derviches sauvages ou les derviches dansants n’ont pas compris le
sens de leur danse. L’or des cieux est poussière pour l’homme matérialiste, l’or de la terre est
poussière pour l’homme spirituel. Pour tous les deux, l’or de l’autre ne signifie que poussière ;
leurs monnaies ne sont pas échangeables. Et donc le paradis du derviche est compris par très
peu.
Mais, à partir de cette théorie, on peut apprendre le processus complet de leur développement
spirituel. Ils créent la présence de Dieu, en faisant de Lui leur Bien Aimé et en le voyant dans
la sublime nature ; et de la même façon que le processus quotidien de la vie est constitué à la
fois de joie et de souffrance, ainsi la vie du derviche est-elle, elle aussi de joie et de souffrance
dans la présence de Dieu.
Avec l’aide de la concentration, de la poésie et de la musique, la joie et la souffrance sont
ressenties plus profondément. Dieu devient vivant dans le derviche ; Sa présence est devant lui
dans toutes ses humeurs. Une fois que sa souffrance a pu sortir sous quelque forme que ce soit
dans la cérémonie de musique, le Suma, l’état qui s’en suit le mène dans la vie à une
perspicacité plus profonde. Quelles que soient la personne ou l’objet sur lesquels il pose son
regard, la nature la plus profonde, son caractère et son secret sont révélés à son âme, ainsi dans
la lumière de Dieu, l’ensemble de sa vie s’éclaire par sa vision.
Pour les soufis, Suma est le trésor le plus sacré ; les grands poètes, comme Rûmi de Perse,
avaient l’habitude d’écouter de la musique pour leur méditation et par son aide, calmaient et
maîtrisaient l’activité de leur corps et de leur esprit.
Nous observons actuellement une tendance croissante au malaise. L’activité trop importante
dans la vie en est la cause. La vie devient chaque jour de plus en plus artificielle, et l’homme
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oublie à chaque pas en avant, que le repos est le levain de l’espèce humaine. L’art de la
tranquillité qui semble être perdu a grandement besoin d’être redécouvert, pour l’amélioration
et l’éducation de l’humanité d’aujourd’hui.
LE SENS SPIRITUEL DU SON ET DE LA COULEUR
Il semble que le mystique comprenne dès le début ce que la science ne comprend qu’à la
fin de sa recherche, selon la parole du Christ : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et
tout vous sera donné de surcroît. » Quand on entend parler, du point de vue scientifique,
des découvertes actuelles sur le son et la couleur, on commence par être surpris. On se dit :
« Quelle découverte ! Voilà quelque chose de tout à fait nouveau dont on n’a jamais
entendu parler.» Et cependant lorsque l’on ouvre la Bible, il est dit : « Au commencement
était le Verbe et le Verbe était Dieu. »
Si vous ouvrez les écritures encore plus anciennes du Védanta, vous pouvez y lire que
dans le Créateur était ce mot ou cette vibration, et si nous en venons au Coran, nous
lisons : « Au commencement était le mot « Soit » et alors cela devint. » Les religions du
monde, les prophètes et les mystiques qui existaient il y a des milliers d’années
connaissaient ces choses.
Si aujourd’hui, un homme arrive avec une plaque photographique en disant : « J’ai ici la
photographie d’un son. Elle montre l’importance de sa vibration et de son action sur la
plaque », il ne se rend pas compte que c’est quelque chose de connu depuis toujours mais
qui était exprimé en termes spirituels. Ce qui a été dit, l’homme n’y pense pas et ce qui
s’exprime maintenant, il pense que c’est nouveau.
Mais lorsque l’on découvre, ainsi que Salomon l’a dit, qu’il n’y a rien de nouveau sous le
soleil, on commence à apprécier la vie, en voyant comment époque après époque la même
sagesse est révélée à l’homme. Celui-ci découvre la vérité à travers la science, celui-là la
recherche à travers la religion, cet autre la trouve à travers la philosophie ou le mysticisme,
quelle que soit sa voie de recherche, chacun finit par la trouver.
Un jour à New York on me présenta à un scientifique également philosophe. « J’ai
découvert l’âme ! » fut la première chose qu’il me dit sur ses recherches. Cela m’amusa
beaucoup, alors que toutes les écritures, les mystiques et prophètes en parlent, que cet
homme puisse affirmer : « J’ai découvert l’âme ! » Je pensai : « Bien sûr c’est la nouvelle
découverte que nous attendions, quelque chose que nous n’avons jamais su. » Ainsi en
est-il de l’attitude d’esprit puérile d’aujourd’hui. Quand on se penche sur le passé, le
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présent ou le futur, on voit l’éternité de la vie et ce que l’on peut découvrir n’est autre que
tout ce qui a toujours été découvert par ceux qui cherchent. s’ils atteignent le sommet de
leur connaissance, philosophie ou science, mysticisme ou ésotérisme s’accordent sur un
point dans la moindre trace de vie, qui est derrière la création entière, derrière l’ensemble
de la manifestation : c’est l’élan, c’est le mouvement, c’est la vibration.
Maintenant le mouvement a deux aspects, et ce, parce que nous avons développé deux
facultés principales, la vue et l’ouïe. L’un fait appel à l’ouïe, l’autre à la vue. Nous
nommons mouvement ou vibration l’aspect qui fait appel à notre ouïe et nous l’appelons
audible ou son. Nous nommons lumière ou couleur l’aspect qui fait appel à notre vue et
nous l’appelons visible. Quelle est en fait l’origine de tout ce qui est visible et de tout ce
qui est audible ? C’est l’élan, le mouvement, la vibration, c’est une et même chose. Ainsi
ceux qui voient peuvent retrouver la trace d’une couleur dans ce qui est audible et que l’on
appelle son, de même que pour ceux qui entendent, le son d’une couleur est audible.
Y a-t-il un lien entre ces deux choses ? Oui il y en a un. Et quel est-il ? C’est l’harmonie.
Ce n’est pas une couleur particulière qui en elle-même est harmonieuse ou non
harmonieuse, mais le mélange de cette couleur, le cadre dans lequel elle se situe, et son
organisation. Conformément à cela, elle produit un effet sur celui qui la voit. Il en est de
même avec le son. Il n’existe aucun son qui soit en lui-même harmonieux ou non ; c’est le
rapport d’un son à un autre qui crée l’harmonie. Ainsi l’on ne peut mettre en évidence que
telle ou telle chose soit harmonie. L’harmonie est un fait, elle résulte de la relation entre
couleur et couleur, entre son et son, et entre couleur et son.
L’aspect le plus intéressant de cette connaissance, c’est le degré d’attraction qu’exercent
certaines couleurs sur différentes personnes, et la manière dont chacune d’elles apprécie
différents sons. Plus on l’étudie plus on trouve un lien avec la progression personnelle
d’un homme dans son évolution : par exemple l’on se rendra compte qu’à une certaine
étape, une personne aimera une certaine couleur, puis perdra contact avec elle, et par sa
croissance et son évolution dans la vie, cette personne commencera à apprécier une autre
couleur.
Cela dépend aussi de son état émotionnel, passionnel, romantique, si elle a chaud ou froid,
si elle est bien ou mal disposée. Quel que soit son état émotionnel, et en accord avec lui,
elle a ses préférences ou ses dégoûts pour des couleurs. C’est pourquoi pour le voyant, le
connaissant, il est facile de lire le caractère d’un homme, en regardant simplement ses
vêtements, avant même d’avoir vu son visage. Son goût pour une certaine couleur exprime
ce qu’il est et ce qu’il aime. Tout montre à quoi il ressemble et quelles sont ses
préférences, dans son penchant pour telle fleur, telle pierre précieuse, tel bijou,
l’environnement de sa chambre, la couleur des murs.
A mesure que l’homme évolue spirituellement à travers sa vie, son goût des couleurs
évolue. A chaque pas en avant il change ; son idée de la couleur se modifie. Certains
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seront attirés par des couleurs agressives, pour d’autres ce seront les couleurs claires. La
raison en est que les couleurs fortes ont d’intenses vibrations et les couleurs claires des
vibrations douces et harmonieuses, c’est en accord avec son état émotionnel que l’homme
apprécie des couleurs différentes.
Il en va de même avec le son. Chaque personne, qu’elle le sache ou non, a un goût pour
certains sons. Bien que la plupart des gens n’étudient pas ce sujet et qu’ils restent
habituellement ignorants de cette idée, chaque personne a un lien spécial avec un certain
son. Ceci explique le dicton ou la croyance que chaque individu a sa note. En fait chacun a
son propre son, un son qui est apparenté à son évolution particulière. Au-delà de toutes les
divisions qui ont été mises en place, comme celles de ténor, basse ou baryton, chaque
individu possède son propre diapason et chacun a sa note de base lorsqu’il parle ; cette
note est l’expression de son évolution de vie, de son âme, de l’état de ses sensations, et de
ses pensées.
Entendre certains sons et voir certaines couleurs n’a pas seulement un effet sur les gens
mais aussi sur les animaux. Les couleurs produisent un grand effet et ont une influence sur
toutes les créatures vivantes, animaux, oiseaux ou êtres humains. Sans le savoir,
l’influence des couleurs travaille sur leur vie, et les oriente vers tel ou tel penchant. Un
jour, je rendais visite à un certain club installé dans une maison, et l’un des membres me
dit : « C’est très ennuyeux, depuis que nous occupons cette maison nous avons toujours
des différends dans notre comité. » Et je lui dis : « Ce n’est pas étonnant. Je peux le voir. »
Ils demandèrent : « Pourquoi ? » Je répondis : « Les murs sont rouges, ils vous poussent à
la dispute. »
Tout autour d’elle, une couleur agressive met sur la pente du désaccord, elle touche les
émotions, et ceux qui ont tendance à la discorde sont certainement stimulés par elle. C’est
sous cet angle de vue psychologique que l’on trouve en Orient cette ancienne coutume de
choisir certaines couleurs, spécialement aux noces et pour d’autres occasions ou festivités.
Tout cela a un sens et recèle en arrière-plan une signification psychologique.
Parce que le son et la couleur sont tous deux perçus différemment et que nous avons
différents sens pour les percevoir, nous avons fait une distinction entre les choses visibles
et audibles ; mais en réalité ceux qui méditent, qui se concentrent, qui entrent en euxmêmes, ceux qui retrouvent la trace des origines de la vie, découvrent que derrière ces
cinq sens externes il y en a un autre caché ; et ce sens est capable de faire tout ce que nous
semblons faire ou expérimenter.
Nous distinguons cinq sens externes. Il y en a cinq parce qu’il y a cinq organes sensitifs.
Mais en réalité, il n’y a qu’un sens. C’est lui, qui à travers les différents organes
expérimente la vie, et distingue en elle cinq formes distinctes. Et donc, tout ce qui est
audible et tout ce qui est visible est une seule et même chose. C’est ce qu’on appelle en
sanskrit Purusha et Prakriti, et en termes soufis, Zat et Sifat. L’aspect manifesté s’appelle
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Sifat : l’apparence extérieure. C’est dans une manifestation comme Sifat que l’on peut voir
la distinction ou la différence entre ce qui est visible et audible ; dans leur aspect réel
d’être, ils sont une seule et même chose. Selon les mystiques soufis, le plan d’existence
dans lequel ils sont unis et semblables s’appelle Zat, ce savoir de l’existence intérieure
dans lequel on voit la source et le but de toutes choses.
La couleur et le son sont un langage qui peut être compris non seulement dans la vie
intérieure mais aussi dans la vie extérieure. Pour le médecin et le chimiste, la couleur a une
grande signification. Plus l’on approfondit les sciences de la médecine ou de la chimie,
plus l’on reconnaît la valeur de la couleur : le développement du changement de chaque
partie est reconnaissable par le changement de la couleur.
Les anciens médecins avaient l’habitude de reconnaître les maladies grâce à la couleur du
visage et du corps. Même de nos jours il y a des médecins, qui principalement par cette
méthode, diagnostiquent ce dont souffre un patient, par la couleur de ses yeux, sa langue,
ses ongles, et sa peau. Pour chaque cas c’est la couleur qui exprime son état physique. De
même que l’on reconnaît une chose à son son ou à sa couleur, de même un psychologue
identifie l’état des objets par leur son et celui des gens par leur voix. A quelle sorte
d’humain a-t-on à faire ? Tout peut être connu et compris à travers sa voix, qu’il soit fort
ou faible, quels que soient son caractère ou ses penchants, et quelle que soit son attitude
envers la vie.
La couleur et le son ne sont pas seulement le langage de communication de la vie
extérieure, mais aussi celui qui permet de communiquer avec la vie intérieure. On peut se
demander comment cela se fait, et la réponse se trouve dans certaines expériences
scientifiques : on fabrique des plaques spéciales, on parle près d’une de ces plaques où
s’imprime le son et la vibration, et ses empreintes produisent des formes harmonieuses ou
disharmonieuses.
Chaque personne construit du matin au soir une forme invisible dans l’espace, à travers ce
qu’elle dit. Elle crée d’invisibles vibrations autour d’elle et produit ainsi une atmosphère.
Quelqu’un entre chez vous, et avant qu’il ne commence à parler, vous êtes las de lui, vous
souhaiteriez vous en débarrasser; avant qu’il ait fait ou dit quoique ce soit, vous en avez
fini avec lui, vous souhaiteriez qu’il s’en aille, car il crée dans son atmosphère un son
désagréable. Vous pouvez ressentir de la sympathie pour quelqu’un d’autre, vous vous
sentez attiré par lui, l’harmonie est continuellement créée à travers lui. Il s’agit également
d’un son.
Si c’est vrai, alors il n’y a pas que les signes extérieurs, mais l’état intérieur est aussi
audible et visible. Bien qu’invisible aux yeux et inaudible aux oreilles, cet état l’est par
l’âme. Nous disons : « Je sens les vibrations de cette personne, je sens sa présence, je
ressens de la sympathie ou de l’antipathie envers elle. » Il y a un ressenti, et une personne
crée une sensation sans avoir dit ou fait quoique ce soit. Donc une personne dont les
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vibrations sont mauvaises, crée une mauvaise atmosphère sans avoir fait ni dit quoique ce
soit de mauvais, et l’on se sent mal avec elle.
Il est très amusant de voir comment des gens peuvent venir vers vous en se plaignant : « Je
n’ai rien dit, je n’ai rien fait et pourtant les gens ne m’aiment pas et sont contre moi ! » Ils
ne comprennent pas que cela ne vient pas de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils font ; ce qu’ils
sont parle plus fort que tout ce qu’ils pourraient dire, c’est leur être. La vie elle-même a sa
tonalité, sa couleur, sa vibration. Elle parle tout haut.
On peut se demander ce que c’est et où le trouver. L’homme limité ne connaît de luimême que son corps physique, là est la réponse. Si vous demandez à quelqu’un de dire où
il se trouve, il va montrer ses bras, ses mains, son corps ; il en connaît peu au-delà.
Nombreux sont ceux à qui vous demandez où ils se situent dans leur corps et qui
répondent : « Dans mon cerveau. » Ils se limitent à une petite région physique appelée
« corps », et se font ainsi plus petits qu’ils ne le sont vraiment.
En vérité l’homme est un individu à deux aspects, comme une ligne droite a deux
extrémités. Si vous regardez les extrémités elles sont deux, si vous regardez la ligne elle
est une. Une extrémité de la droite est limitée, et l’autre extrémité est illimitée. L’homme
est à un bout et Dieu à l’autre. L’homme oublie ce bout et ne reconnaît que le bout dont il
est conscient. La conscience de sa limitation le rend plus limité. Autrement il aurait de loin
de grands moyens d’approcher l’Illimité qui est en lui. Lorsque le sage parle de
connaissance de soi, cela ne signifie pas qu’il connaît l’âge de quelqu’un, s’il est bon ou
mauvais, s’il a raison ou tort, cela veut dire qu’il connaît l’autre partie de son être, la plus
profonde dans son aspect subtil. L’accomplissement de la vie dépend de la connaissance
de cet être.
On pourrait se demander comment s’en rapprocher. Pour ceux qui cherchent la vérité, qui
recherchent Dieu, ceux qui souhaitent s’analyser et comprendre la vie, le chemin trouvé
par les chercheurs de vérité, le seul, c’est le chemin des vibrations. Les anciens ont pris le
même chemin, à l’aide du son, ils se sont eux-mêmes préparés. Progressivement ils ont
amené ces atomes physiques qui se dégradent petit à petit à vivre encore à l’aide du son ;
ils ont travaillé par la puissance du son.
Comme le dit Zeb un Nissa : « Dites continuellement le nom sacré qui vous rendra sacré. »
Les hindous ont appelé ce travail Mantra Yoga, les soufis l’ont appelé Wasifa. La
puissance du mot travaille sur chaque atome du corps, le rend sonore, et fait de lui un
intermédiaire de communication entre la vie extérieure et la vie intérieure.
Dès la première expérience de développement spirituel, on commence à se rendre compte
que l’on se sent en communion avec les êtres, non seulement avec les humains mais aussi
avec les animaux, les oiseaux, les arbres, les plantes. Ce n’est pas un conte de fées que les
saints utilisent pour parler avec les arbres et les plantes. Si vous êtes branchés, vous
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pouvez dès aujourd’hui leur parler ; il n’y a pas que les temps anciens qui étaient ainsi
bénis par d’anciennes bénédictions, elles ne sont pas vieilles aujourd’hui, elles sont
neuves. Elles furent, elles sont, elles seront, aucun privilège n’a jamais été limité à une
période historique du monde.
L’homme a les mêmes privilèges aujourd’hui, s’il prend conscience du fait qu’il est
privilégié. Lorsqu’il ferme de lui-même son cœur, lorsqu’il s’autorise à se laisser englober
par la vie au-dedans et au-dehors, aucun doute qu’il ne se ferme et qu’il ne soit séparé de
l’ensemble de la manifestation qui est un tout indivisible. L’homme se coupe de lui-même
car la vie est indivisible, entière.
C’est l’ouverture de la communication à la vie externe qui fait grandir l’homme. Alors il
ne dit plus de son ami : « Il est mon ami, je l’aime, » mais : « Il est moi-même, je l’aime. »
Lorsqu’il atteint ce point, il peut dire qu’il est parvenu à la prise de conscience de l’amour.
Tant qu’il dit : « Je l’apprécie parce qu’il est mon ami », son amour pour lui n’est pas
pleinement éveillé. Le jour où il dit, en voyant son ami : « Il est moi », alors a lieu ce
véritable éveil et la communication est établie à l’intérieur de lui-même.
L’homme se ferme non seulement à la vie extérieure, mais aussi à sa partie intérieure, ce
qui est encore plus important. La partie intérieure est aussi son et lumière et lorsque l’on
en prend conscience, on sait que ce langage est celui des cieux, celui qui exprime le passé,
le présent, le futur, celui qui révèle le secret et le caractère de la nature, la langue du divin
Message toujours reçu et donné par les prophètes qui ont essayé de le révéler en leur
temps.
L’INFLUENCE PSYCHIQUE DE LA MUSIQUE
Dans le domaine musical, il y a beaucoup à explorer et l’influence psychologique de la
musique semble peu connue de la science moderne. On nous enseigne que l’influence de
la musique, ou du son et de la vibration, vient vers nous et touche nos sens de l’extérieur ;
mais une question demeure : quelle est la source de cette influence qui vient de
l’intérieur ? Le véritable secret de l’influence psychologique de la musique se cache dans
sa source, la source d’où vient le son.
Il est facile et évident de comprendre que la voix possède une valeur psychologique
certaine, qu’elle est différente d’une autre et que chacune exprime sa valeur et son pouvoir
psychologique. Très souvent l’on ressent la personnalité de quelqu’un qui parle à distance,
au téléphone. Une personne sensible peut sentir l’effet produit par la seule voix, sans voir
l’orateur. Nombreux sont ceux qui dépendent non pas des mots, mais de la voix qui les
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prononce. On voit ainsi que le développement psychologique s’exprime en parlant et plus
spécialement dans le chant.
En sanscrit, le souffle est nommé Prâna, c’est la vie même. Et qu’est-ce que la voix ? Elle
est souffle. S’il y a quelque chose dans la vie, dans la constitution de l’homme qui peut
être appelé vie, c’est bien le souffle. Et le son de la voix est le souffle manifesté à
l’extérieur. Donc le meilleur moyen d’expression pour une personne passe par un chant
ou par ce qu’elle dit. S’il y a quelque chose au monde qui peut exprimer l’esprit et les
sentiments, c’est la voix. Très souvent il arrive qu’une personne parle d’un sujet précis
avec un millier de mots, et cela n’a pas d’influence ; et une autre personne exprime sa
pensée en peu de mots et laisse une impression profonde. Cela montre que la puissance
n’est pas dans les mots, mais derrière ce qui est dans les mots, c’est-à-dire dans la
puissance psychologique de la voix qui vient du Prâna. Suivant sa force, la personne fait
impression sur l’auditeur.
On trouve la même chose sous les doigts du violoniste et sur les lèvres du flûtiste. Sous
l’influence de ses pensées, le musicien produit une action à travers son instrument. Il peut
être très habile, il n’aura pas de succès si le bout de ses doigts ne produit pas une sensation
de vie. Au-delà de la musique qu’il joue, il y a la valeur du Prâna ou la puissance
psychologique qu’il donne à ce qu’il joue.
En Inde, certains joueurs de vina n’ont pas besoin d’exécuter une symphonie afin
d’exercer une influence et produire un phénomène spirituel. Ils n’ont qu’à prendre leur
vina dans leur main et frapper une note. Dès qu’ils la frappent, la note pénètre
complètement, et en une ou deux notes, ils ont accordé l’auditoire. Le son travaille sur tous
les nerfs ; c’est comme de jouer sur le luth qui habite chaque cœur. Leur instrument
devient simplement une source, la réponse à ce qui se trouve dans le cœur de chacun, ami
et semblable.
Quand une personne très agressive est en présence d’un vrai joueur de vina, elle ne peut
conserver son hostilité. Dès que les notes l’ont touchée, elle ne peut éviter les vibrations
qui ont été créées en elle, et elle ne peut s’empêcher de devenir amicale. Aussi en Inde, au
lieu d’être appelés musiciens, ces joueurs sont souvent nommés « magiciens de vina ».
Leur musique est magique.
Une âme vraiment musicienne s’oublie réellement dans la musique ; de même qu’un poète
s’oublie dans la poésie et qu’une âme profane tournée vers le monde se perd dans le
monde. Divine est l’âme qui s’est oubliée en Dieu. Tous les grands musiciens, Beethoven,
Wagner et bien d’autres ont laissé au monde une oeuvre qui sera toujours estimée ; ils
n’auraient pu être capable de l’accomplir s’ils ne s’étaient oubliés dans leur travail. Tous
ont perdu l’idée de leur propre être, et de cette façon ils ont approfondi et n’ont plus fait
qu’un avec ce qu’ils étaient venus offrir au monde. La clef de la perfection se trouve dans
l’oubli de soi.
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Il existe différents modes d’écoute de la musique. Au stade technique, lorsque quelqu’un a
travaillé une technique et a appris à mieux apprécier la musique, il se sent perturbé par un
niveau médiocre d’interprétation. Mais il y a un chemin spirituel qui n’a rien à voir avec la
technique, c’est simplement l’accordage à la musique ; alors la personne spirituelle ne se
préoccupe pas de la qualité d’exécution. Cela ne fait aucun doute pour elle : meilleure est
la musique, meilleure sera son aide ; mais en même temps, on ne doit pas oublier qu’il y a
des Lamas au Tibet qui se concentrent et méditent tout en agitant une sorte de crécelle,
dont le son n’est pas spécialement mélodieux. Ils cultivent ainsi ce sentiment qui, à l’aide
de la vibration, élève une personne vers les plans supérieurs. Il n’est rien de mieux que la
musique pour élever l’âme.
Il ne fait pas de doute non plus que la puissance de la musique dépende du niveau
d’évolution spirituelle atteint par la personne. Voici une histoire sur Tansen, le grand
musicien de la cour d’Akbar. L’empereur lui demanda : « O grand musicien, dis moi, qui a
été ton maître ? » Il répondit : « Votre Majesté, mon maître est un très grand musicien,
mais plus que cela, je ne peux pas l’appeler « musicien », je dois l’appeler « musique ».
L’Empereur lui demanda : Puis-je l’entendre chanter ? » Tansen répondit : « Peut-être, je
pourrais essayer. Mais ne pensez pas l’appeler ici à la cour. » L’Empereur dit : « Puis-je
aller là où il se trouve ? » Le musicien dit : « Même dans ce cas, sa fierté peut se révolter
en pensant qu’il va chanter devant un roi. » Akbar dit : « me présenterai-je comme ton
serviteur ? » Tansen répondit : « Oui, alors là il y a un espoir. »
Et donc tous les deux se rendirent dans l’Himalaya, dans les hautes montagnes où se
situait dans une grotte le temple de musique du sage, qui vivait dans la nature, en accord
avec l’Infini. Lorsqu’ils arrivèrent, le musicien était à cheval et Akbar marchait. Le sage
vit que l’Empereur venait humblement écouter sa musique, il voulut bien chanter pour lui ;
lorsqu’il se sentit d’humeur à chanter, il le fit. Et son chant fut magnifique, c’était un
phénomène psychique et rien d’autre. C’était comme si tous les arbres et toutes les plantes
de la forêt étaient en train de vibrer, c’était le chant de l’univers. L’impression profonde
laissée sur Akbar et Tansen était plus qu’ils ne pouvaient supporter, et ils entrèrent dans un
état de transe, de repos, de paix.
Pendant qu’ils étaient dans cet état, le Maître quitta la grotte. Quand ils ouvrirent les yeux,
il n’était plus là. L’Empereur dit : « O quel phénomène étrange ! Mais où est allé le
Maître ? » Tansen répondit : « Vous ne le reverrez plus jamais dans cette grotte, car une
fois que l’homme a goûté à cette musique, il la poursuivra, même au prix de sa vie. C’est
plus grand que quoi que ce soit dans la vie. »
Quand ils furent à nouveau chez eux, l’Empereur demanda un jour au musicien : « Dismoi, quel raga a chanté ton maître et de quel mode ? » Tansen lui dit le nom du raga et le
chanta pour lui, mais l’Empereur fut mécontent et dit : « Oui, c’est bien la même musique,
mais elle n’est pas dans le même esprit. Pourquoi ? » Le musicien répondit : « La raison en
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est que, pendant que je chante devant vous, l’Empereur de ce pays, mon Maître chante
devant Dieu ; c’est toute la différence. »
Si nous étudions la vie contemporaine, en dépit des grands progrès de la science, la radio,
le téléphone, le gramophone et toutes les merveilles de cette époque, nous constatons
cependant que l’aspect psychologique de la musique, la poésie, les arts ne semblent pas se
développer comme il le faudrait. Au contraire, ils reculent. Et si nous en cherchons la
raison, la réponse sera en premier lieu, que tout l’avancement actuel de l’humanité est
centré sur les progrès mécaniques, qui entravent le progrès individuel.
Un musicien doit se soumettre aux lois de l’harmonie et du contrepoint et s’il fait un pas
de côté par rapport à ce que font les autres, sa musique est contestée. Lorsqu’en Russie je
demandais à Taneiev, un très grand musicien qui était le professeur de Scriabine, ce qu’il
pensait de la musique de Debussy, il répondit : « Je ne la comprends pas. » Il semble que
nous soyons entravés par l’uniformité, ce qui enlève toute liberté ; vous trouverez la même
chose dans les mondes scientifiques et médicaux. Mais particulièrement dans l’art, où la
plus grande liberté est nécessaire, l’on est restreint par l’uniformité.
Les peintres et les musiciens ne peuvent faire reconnaître leurs œuvres. Ils doivent se
conformer à la foule, au lieu de suivre les grandes âmes. Tout ce qui est général est banal,
parce que la majeure partie des gens est peu cultivée. Les belles choses et le bon goût ne
sont compris et appréciés que par un petit nombre, et il n’est pas facile pour un artiste
d’atteindre ce petit nombre. Dans ce sens, ce qu’on appelle uniformité est devenu un
obstacle au développement individuel.
Il serait nécessaire de nos jours de donner aux enfants un enseignement de la valeur
psychologique de la musique. C’est le seul espoir, le seul chemin dont nous pouvons
attendre, avec le temps, des résultats meilleurs. Dans l’apprentissage de la musique les
enfants ne devraient pas seulement la connaître, mais savoir aussi ce qu’il y a derrière et
comment le donner.
Bien sûr, il y a deux facettes à cette question : les conditions extérieures et la
représentation de l’art. Les conditions extérieures peuvent être plus ou moins favorables.
De la musique ou un chant interprétés devant deux ou trois personnes agréables, solidaires,
harmonieuses, compréhensives, et réceptives, produisent des vibrations et créent un effet
tout à fait autre que la même représentation donnée devant cinq cents personnes. Quelle en
est la signification ? Cela veut dire que certaines personnes sont comme des instruments ;
lorsque de la bonne musique leur est présentée, elles réagissent, elles s’accordent à elle,
elles sont toute musique. Elles prennent part à la musique et donc un phénomène se crée.
Ce phénomène peut même atteindre l’idéal le plus élevé que l’on puisse attendre de la
musique, celui de la prise de conscience de la liberté de l’âme, appelée nirvana ou moukti
en Orient et salut dans le monde chrétien.
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Ainsi rien au monde ne peut aider quelqu’un spirituellement davantage que la musique. La
méditation prépare, mais pour toucher à la perfection, la musique est la plus élevée. J’ai vu
des merveilles se produire par la puissance psychologique de la musique, mais uniquement
dans un environnement sympathique Cinq ou six personnes, une nuit sous la lune, à
l’aube, au lever du soleil, il semble que la nature aide à parfaire la musique, elles
travaillent ensemble, car elles sont une.
Un grand chanteur d’opéra ou un violoniste en solo qui doit jouer devant dix mille
personnes ne peut toucher chaque âme, malgré toute sa compétence. Cela dépend bien sûr
de la grandeur de l’artiste : plus il est grand plus il y parviendra. Mais il doit tenir compte
de ce qui plaît à l’auditoire, plutôt que de ce qui plaît à Dieu. Quand la musique se
commercialise, elle perd de sa beauté ainsi que d’une grande partie de sa valeur.
A une époque, en Orient, l’aristocratie indienne faisait tout pour tenir l’art musical à
l’écart du commerce, et elle y réussit un certain temps. Les musiciens ne recevaient pas de
salaire. On subvenait à leurs besoins, même lorsqu’ils étaient extravagants. Les musiciens
se sentaient entourés d’harmonie et de beauté ; ils étaient généreux et leurs portes étaient
ouvertes aux autres en permanence. Ils étaient toujours endettés, mais leurs dettes étaient
payées par le roi. De plus le musicien n’était pas entravé par un programme, il était libre
de sentir par intuition ce dont le peuple avait besoin. Il n’avait qu’à choisir au moment où
il voyait les gens, et il le savait mieux encore pendant qu’il jouait ou qu’il chantait. L’effet
chimique produit par l’esprit des auditeurs lui indiquait ce qu’ils voulaient et il en résultait
une fête spirituelle.
Le secret de tout magnétisme, qu’il s’exprime à travers une personnalité ou une musique,
c’est la vie. C’est elle qui charme, qui attire, c’est elle que nous recherchons toujours, et
c’est le manque de vie que l’on peut appeler manque de magnétisme. Si l’on donne un
enseignement musical basé sur ce principe, les résultats psychologiques seront beaucoup
plus probants. La psychologie dépend de la santé du corps physique, de la pensée, de
l’imagination, du cœur souvent froid et gelé ; c’est cette vie qui s’exprime à travers le bout
des doigts du violoniste, à travers la voix du chanteur.
C’est cette vie dont le monde manque, dont les âmes humaines se languissent, qu’elle
vienne par la musique, les couleurs, les vers ou les mots. La vie est le désir de chacun. Elle
est la vraie source de guérison, la musique peut guérir, si l’on y met de la vie. Ce n’est pas
un grand secret, si seulement l’on est capable de comprendre la vérité dans sa simplicité.
Lorsque que quelqu’un joue de façon mécanique, les doigts courent presque
automatiquement sur le piano ou le violon, cela peut produire un effet momentané qui ne
tient pas.
La musique qui guérit l’âme est celle qui apaise. On peut produire un effet strident ou
apaisant, cela ne dépend pas seulement de l’interprète mais aussi du compositeur et de
l’humeur qui l’a inspiré. Une personne consciente de l’effet psychologique d’une musique
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peut facilement percevoir l’humeur dans laquelle se trouvait le compositeur lorsqu’il
l’écrivit. Si dans sa musique, il a mis beauté et vie, elle se révèlera toujours belle et
apportera toujours la vie, même après mille ans. Certes les études et les diplômes aident le
compositeur à mieux s’exprimer, mais il a réellement besoin de la vie qui émerge de
l’expansion de la conscience, de la prise de conscience de la lumière divine, ce qui est le
secret de tout art véritable, et qui est l’âme de tout mysticisme.
LA PUISSANCE DE GUERISON DE LA MUSIQUE
A travers l’art de la musique la notion de guérison appartient vraiment au stade initial de
développement ; son but, que l’on appelle samadhi dans le Védanta, est atteint par la
musique.
En premier lieu si nous pouvions voir ce qui constitue les médicaments que nous utilisons
pour guérir, si nous nous demandions ce qui guérit dans ce qu’ils contiennent, nous
verrions que certains de leurs éléments constituent notre être physique.
Les mêmes éléments sont présents dans ces médicaments, et, nous prenons à travers eux ce
qui nous manque. Autrement dit, ce sont eux qui ont un effet sur notre corps. Par leur
puissance, ils créent dans notre corps la vibration nécessaire à notre santé ; et ils
provoquent le rythme utile à notre guérison en amenant la circulation sanguine à une
certaine vitesse, un certain rythme.
Nous apprenons ainsi que la santé dépend de la tonalité et du rythme parfaits. Qu’est-ce
que la musique ? Elle est tonalité et rythme. Lorsque la santé est perturbée, cela veut dire
que la musique l’est aussi. Par conséquent lorsque notre musique intérieure est perturbée,
l’aide du rythme et de l’harmonie est indispensable pour nous amener à un état
harmonieux et bien rythmé. On peut étudier et comprendre ce chemin de guérison en
étudiant la musique de sa propre vie, par le rythme du pouls, du battement du cœur et de la
tête.
Les médecins sensibles au rythme déterminent l’état du patient par l’examen du pouls, des
battements du cœur et du rythme de la circulation sanguine. Pour trouver la maladie avec
plus de précision, un médecin doit faire appel à son intuition et à l’usage de ses qualités
musicales en plus de toutes ses connaissances matérielles.
Dans l’ancien temps, et encore de nos jours en Orient, il existait deux écoles principales de
médecine. L’une venue de l’ancienne école grecque à travers la Perse, l’autre issue du
Védanta et dont le fondement est le mysticisme. Et qu’est le mysticisme si ce n’est la loi
de vibration ?
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Lorsque l’on comprend la nature d’une maladie à travers la tonalité et le rythme perçus
dans le corps humain, l’on obtient une bonne santé par la régulation du corps dans son
rythme et sa tonalité, en accord avec ses proportions. De plus il existe une autre
observation possible. Apparemment chaque maladie a une raison particulière d’exister,
mais en réalité toutes les maladies viennent d’une seule raison, d’une seule cause, d’une
seule condition : l’absence de vie, le manque de vie. La vie est la santé. Son absence est
maladie, et elle culmine dans ce que nous appelons la mort.
Sous sa forme physique la vie, telle qu’elle est perçue dans les sphères physiques,
s’appelle Prâna en sanscrit. La nourriture ou les médicaments donnent cette vie ; certaines
nourritures ou certains médicaments préparent le corps et lui donnent la possibilité de
respirer dans cette vie même, de façon à ce qu’il soit en meilleure santé ou qu’il puisse
expérimenter une santé parfaite.
Ce Prâna, qui signifie le souffle, le souffle central, attire de l’espace tous les éléments qui
y sont, de même que les herbes médicinales, les plantes, les fleurs et les fruits le font pour
l’élément identique qui les représente. Tous ces éléments sont attirés par le souffle.
Qu’ils viennent de Grèce, de Perse ou d’Inde, les mystiques ont toujours pris pour base
d’évolution spirituelle la culture et la science du souffle. L’on voit encore de nos jours des
guérisseurs orientaux magnétiser l’eau, la nourriture ou l’atmosphère. Leur souffle
contient le secret de ce magnétisme, d’où son influence sur l’eau ou la nourriture.
Il existe chez les religieux indiens une cérémonie au cours de laquelle une sainte personne
donne un sacrement, très efficace à quelqu’un qui souffre. Son souffle puissant est
tellement équilibré, si purifié et développé qu’il attire tous les éléments, tout ce que l’on
trouve dans une herbe médicinale, plante, fleur ou fruit, et même davantage. Il peut ainsi
accomplir mille fois ce que peut faire un médicament. Certains guérisseurs en Orient
chuchotent des mots sacrés, mais que chuchotent-ils ? Du souffle et encore du souffle qui
donne un pouvoir et une orientation aux mots.
Il y avait à Delhi un médecin qui utilisait principalement cette puissance de guérison sur
ses patients. Un jour un ami sceptique vint le consulter. Le médecin lui chuchota quelques
mots sacrés et lui dit : « Maintenant tu peux y aller. » L’homme sceptique répondit qu’il ne
pouvait comprendre comment une méthode pareille pouvait avoir quelque effet sur sa
santé. Alors le médecin fit quelque chose de tout à fait inhabituel : il l’offensa en lui
parlant très durement. Le patient se mit fortement en colère et dit : « Comment toi qui es
médecin, tu peux me parler ainsi ? » Le médecin lui répondit : « Il est très rare que j’agisse
de la sorte et je ne l’ai fait que pour te prouver quelque chose : si mes paroles peuvent te
rendre coléreux et malade, elles peuvent aussi te guérir. Si des mots peuvent blesser et
bouleverser quelqu’un, ils ont également le pouvoir de l’harmoniser et de le guérir. »
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Qu’est ce que la musique ? Selon les anciens penseurs de l’Inde, la musique se présente
sous trois aspects : le chant, le jeu d’un instrument, la danse. Tous trois représentent le
rythme et la tonalité sous une forme ou une autre. Quel est l’effet de la musique ? Il ajuste
le rythme d’une personne et l’accorde à la musique qui est donnée.
Quel est le secret d’une musique qui attire tous ceux qui l’écoutent ? C’est le rythme créé,
c’est le ton de cette musique qui accorde une âme et l’élève au-dessus de la dépression et
du désespoir de la vie ordinaire de ce monde. Si l’on connaissait le rythme dont un
individu a besoin pour dissoudre ses problèmes et son désespoir, ainsi que la tonalité, le
diapason qui élèverait son âme, l’on serait alors capable de le guérir par la musique.
Si la musique est rythme, on peut se demander pourquoi, les musiciens sont si souvent
capricieux et facilement perturbés. N’est-ce pas beau d’avoir un peu de tempérament ?
Sans caractère, la vie n’est pas musique. Une personne qui ne se met pas en colère de
temps en temps ne vit pas. Il est humain d’avoir ces défauts mineurs; la joie les surmonte.
La musique n’est pas que tristesse ; il existe des octaves hautes ou basses. La musique est
tout, elle englobe tout ; c’est pourquoi elle est encore plus grande que le ciel.
A une certaine époque en Inde la musique était très utilisée pour la guérison. On s’en
servait pour guérir l’esprit, le caractère, l’âme, car c’est la guérison de l’âme qui entraîne
la guérison du corps. Mais la remise sur pied du corps physique n’aide pas toujours l’âme.
C’est pourquoi la médecine scientifique matérielle, bénéfique de temps en temps, ne
comble pas entièrement les besoins du patient. Je ne veux pas dire par là que les
traitements externes soient inutiles. Rien au monde n’est inutile, tout est nécessaire et
bienfaisant si l’on sait s’en servir convenablement. Mais si on impose un
remède extérieurement, alors qu’intérieurement la maladie se maintient, tôt ou tard en
couvant dans le corps, elle apparaîtra.
J’ai rencontré un jour une femme qui disait avoir consulté de nombreux médecins pour un
problème de névrite. Elle allait mieux pendant un certain temps mais son problème
finissait toujours par revenir. Elle me demanda si quelque chose pouvait l’aider. Je lui dis :
« Y a-t-il quelqu’un que vous n’aimez pas, que vous détestez, ou dont les actes perturbent
votre esprit ? » Elle répondit : « Oui, il y a beaucoup de gens que je n’aime pas, et
spécialement une personne à qui je ne peux pardonner quelque chose. » « Bien. » lui dis je,
« La racine du mal est là, voila l’origine de votre névrite. Extérieurement elle apparaît
dans la douleur de votre corps, intérieurement elle est enracinée dans votre cœur. »
La cause d’une maladie est souvent intérieure, bien que bien des phénomènes aient sans
doute une cause extérieure. Une seule règle ne peut tout englober. Comme les choses ont
incontestablement changé dans le monde et que le matérialisme s’y est répandu, cette
influence existe non seulement en Occident mais aussi en Orient. L’utilisation de la
musique dans la quête spirituelle et la guérison de l’âme était prédominante dans l’ancien
temps, de nos jours elle n’a plus la même importance. La musique a été transformée en
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passe-temps, un moyen d’oublier Dieu au lieu de se convertir à Lui. Les gens ont
l’habitude d’adapter les choses à ce qui constitue leurs défauts ou leurs vertus.
En Inde, l’utilisation traditionnelle de la musique subsiste encore chez les pauvres. L’on
rencontre des guérisseurs qui jouent d’un instrument spécial pour la guérison, et les gens
viennent les voir pour se faire guérir. En jouant de leur instrument, ces guérisseurs
stimulent certaines sensations qui étaient endormies et les font revenir à la surface. C’est
en réalité l’ancienne manière de pratiquer la psychanalyse. La musique aide le patient à
exprimer pleinement l’influence cachée qui se trouvait en lui, et cette façon de faire vient
en aide à de nombreuses personnes, sans qu’elles soient obligées d’aller chez le médecin.
Mais c’est sans aucun doute une façon rudimentaire de guérir.
Ayant appris l’existence de cette forme de guérison par la musique, le Maharaja de Baroda
proposa un jour des concerts dans certains hôpitaux, et le résultat fut surprenant : tous ceux
qui souffraient se mirent à hurler : « Pour l’amour de Dieu, laissez-nous tranquille, allezvous-en ! » On n’avait pas joué la musique spécifique qui pouvait les calmer et leurs
souffrances s’étaient accentuées comme si on leur avait donné un os au lieu d’un pain.
Il faut étudier les besoins et les demandes pour pouvoir guérir par la musique. Il faut
d’abord examiner la plainte, son sens symbolique, les éléments manquants, l’attitude
mentale qui se trouve derrière la maladie. Après une étude précise, on peut faire beaucoup
de bien à un patient à l’aide de la musique.
Même si la musique n’est pas utilisée de la même manière qu’une ordonnance spécifique
et adaptée à un traitement, la puissance de la maladie dans le cœur de l’homme peut
toujours diminuer s’il modifie ses pensées et stimule son cœur. Les effets de la maladie
viennent de l’idée que l’on s’en fait plutôt que de la maladie elle-même. La maladie se
manifeste dans le corps de l’homme comme l’ombre de ce que l’on pourrait appeler la
vraie maladie occupe son esprit.
La musique peut élever l’esprit par sa puissance, afin qu’il émerge au-dessus de l’idée de
maladie, et elle est ainsi oubliée. Vous allez vous demander : « Par quelle musique
l’homme peut-il guérir ? Est-ce par le chant, la musique instrumentale ou par celle de la
danse ? » Le chant est le plus puissant car il est la vie. Il est le Prâna, la voix est la vie ellemême. Nul doute que la vie travaille aussi à travers un instrument par le toucher ; mais
dans le chant il s’agit de la vie en direct, le souffle touche le cœur de l’auditeur. Il doit
cependant y avoir, derrière la voix, un cœur chargé comme une batterie de ce qu’il faut. Et
de quoi est-il chargé ? De ce que nous appelons l’amour et la compassion, la plus grande
puissance qui soit.
Quelqu’un de matérialiste ne peut pas guérir s’il se bat pour lui du matin au soir à la
recherche de son propre profit, s’il est perturbé ou cruel et s’il se trouve au milieu de
conflits. Le guérisseur doit être libre, libre de compatir, et même libre d’aimer son
camarade plus que lui-même.
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Qu’est-ce qui enseigne cet amour ? Où peut-on l’apprendre et le recevoir ? Dieu est la clef
de cette essence d’amour. Quand on observe la vie d’aujourd’hui avec tous ses progrès,
que manque-t-il ? Dieu. Il est la clef de cette réserve illimitée d’amour qui se trouve dans
le cœur de l’homme.
Un jour on frappa à la porte d’une maison, et la femme de ménage très bonne et pieuse ne
put répondre aussi rapidement qu’elle aurait dû le faire ; l’invitée qui s’impatientait à la
porte lui parla avec colère. Lorsqu’on demanda à la femme de ménage ce qui s’était passé,
elle n’en fut pas troublée le moins du monde et elle dit en souriant: « Cette dame a été très
contrariée à cause de moi. » Et lorsqu’on lui demanda si elle savait pourquoi, elle
répondit en toute innocence: « Pourquoi? Parce que Dieu n’était pas là ! »
C’est une magnifique réponse. Quand Dieu fait défaut, il n’y a pas d’amour. Partout où il y
a de l’amour, Dieu est présent. Si nous interprétons correctement ce qui cause la douleur et
la souffrance, nous constatons que c’est le manque de vie. Qu’est-ce que la vie ? Elle est
amour. Qu’est- ce que l’amour ? C’est Dieu. Ce dont chacun a besoin, ce dont le monde a
besoin, c’est de Dieu. Dieu est tout ce que nous avons besoin d’atteindre, en bénissant nos
vies par la musique, l’harmonie et la science du ton juste. Voila l’indicatif central de tout
le bien.
L’AIDE DE LA MUSIQUE AU DEVELOPPEMENT SPIRITUEL
Le mot « spirituel » ne s’applique pas à la bonté, au travail merveilleux, au pouvoir de
faire des miracles, ou à une grande puissance intellectuelle. Sous tous ses aspects, la vie
entière n’est qu’une seule et même musique, et s’accorder à l’harmonie de cette musique
parfaite est la vraie réussite spirituelle.
Qu’est-ce qui retarde l’homme dans cette réussite ? C’est la densité de son existence
matérielle et le fait qu’il ne soit pas conscient de son être spirituel. Ses limitations
empêchent la libre circulation et le mouvement dans la nature et le caractère de la vie.
Prenons un exemple de cette densité. Il y a un rocher devant vous et vous voulez en faire
sortir un son, mais il ne résonne pas, il ne répond pas à votre désir de produire un son. Une
corde (de boyau) ou une corde (métallique) au contraire répondront à la tonalité que vous
souhaitez. Vous les frappez et elles vous répondent ; ainsi en est-il de la nature humaine.
Vous dites quelque chose à une personne lourde et bornée, mais elle ne peut comprendre,
vous lui parlez, mais elle ne vous entend pas. Elle ne réagit pas à la musique, la beauté, ou
l’art. Qu’est-ce que cela ? C’est la densité.
Une autre personne sera prête à apprécier et à comprendre musique et poésie, ou la beauté
quelle que soit sa forme, son caractère ou sa manière. Elle apprécie la beauté, sous toutes
ses formes ; c’est cela l’éveil de l’âme, le bon état du cœur. La véritable réussite spirituelle
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est faite d’un esprit vivant qui devient conscient. Quand l’homme, inconscient de son âme
et de son esprit, est conscient uniquement de son être matériel, il est stupide, il est très
éloigné de l’esprit.
Qu’est-ce que l’esprit, qu’est-ce que la matière ? La différence entre la matière et l’esprit
correspond à la différence entre la glace et l’eau : l’eau gelée est de la glace et la glace
fondue est de l’eau. Nous appelons matière l’esprit dans sa densité, et c’est la matière dans
son excellence que nous appelons esprit. Un matérialiste, un jour, m’a dit : « Je ne crois
pas du tout à l’esprit, à l’âme ou à l’autre monde, je crois en une matière éternelle. » Je lui
répondis : « Vos croyances ne sont pas très différentes des miennes, la seule différence est
que ce que vous appelez matière éternelle, je l’appelle esprit. C’est une différence de
termes. Il n’y a pas de quoi se disputer, car nous croyons tous les deux à l’éternité et aussi
longtemps que nous nous rencontrons sur le terrain de l’éternité, quelle différence cela
fait-il que nous l’appelions matière ou esprit ? C’est une seule et même vie, du début à la
fin. »
La beauté naît de l’harmonie. Qu’est-ce que l’harmonie ? Elle est la juste proportion, le
juste rythme. Et qu’est ce que la vie ? La vie est issue de l’harmonie. Elle est derrière
toute la création et tout le secret de la création est dans l’harmonie. L’intelligence a le
désir d’arriver à la perfection de l’harmonie. Ce que l’homme appelle bonheur, confort,
profit, avantage, tout ce dont il a très envie et qu’il souhaite atteindre, c’est l’harmonie. Il
la désire même en obtenant les choses les plus banales. Mais bien souvent il n’adopte pas
la bonne méthode. L’objet obtenu par une bonne ou une mauvaise méthode est toujours le
même, mais c’est le chemin que l’on prend pour l’atteindre qui fait que c’est juste ou faux.
Ce n’est pas l’objet qui est mauvais, c’est la méthode adoptée.
Personne, quel que soit son rang dans la société, ne souhaite la dysharmonie ; toutes les
souffrances et le manque d’harmonie provoquent douleurs et problèmes.
Accéder à la spiritualité, c’est comprendre que l’univers entier est une symphonie ; dans
ce tout, chaque individu est une note, et son bonheur se trouve dans un accordage à
l’harmonie de l’univers devenant parfait. On ne devient pas spirituel en suivant une
religion, en ayant certaines croyances, en étant un fanatique idéologique ou même en
devenant trop bon envers la vie dans ce monde. Il existe de nombreuses bonnes personnes
qui n’ont jamais compris ce que signifiait le mot spiritualité. Elles sont très bienfaisantes
bien que ne connaissant pas ce qu’est le bien absolu. Le bien absolu est l’harmonie même.
Par exemple les prêtres et les professeurs des religions du monde enseignent et proclament
les différents principes et croyances. L’homme n’est pas toujours capable de les suivre et
de les exprimer, mais ces principes émergent naturellement du cœur de celui qui s’accorde
au rythme de l’univers. Chaque acte, mot, sensation, sentiment exprimé est harmonieux ;
ils sont toutes vertus et toutes religions. Il ne s’agit pas de suivre une religion mais de la
vivre, il est nécessaire de faire de sa vie une religion.
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La musique est une miniature de l’harmonie de l’univers entier, car l’harmonie de
l’univers est la vie même, et l’homme étant une miniature de l’univers, exprime des
accords harmonieux ou disharmonieux dans ses pulsations, les battements de son cœur, ses
vibrations, son rythme et sa tonalité. Dans sa vie, santé ou maladie, joie ou malaise, tout
indique la musique ou son manque.
Que nous enseigne la musique ? Elle nous aide à nous former à l’harmonie, c’est là que
réside sa magie, son secret. Une musique aimée, lorsque vous l’écoutez, vous accorde et
vous harmonise à la vie. L’homme a donc besoin de musique, elle lui manque. Nombreux
sont ceux qui disent qu’ils n’ont rien à faire de la musique, car ils ne l’ont pas entendue.
S’ils l’écoutaient réellement elle atteindrait leur âme et les aideraient sûrement à l’aimer.
Sinon, cela voudrait dire qu’ils n’écoutent pas la musique avec assez d’attention, qu’ils
n’ont pas mis leur cœur dans le calme et la tranquillité, afin de l’écouter, en l’appréciant et
en l’aimant.
De plus la musique développe cette faculté qui permet d’appréhender la compréhension de
tout le bon et le beau de la forme artistique et scientifique, de la forme musicale et
poétique, et permet d’apprécier chaque aspect de la beauté.
La lourdeur du corps ou du cœur prive l’homme de toute la beauté qui l’environne. Il est
rabattu vers la terre et tout devient limité, mais lorsqu’il se débarrasse de cette lourdeur, la
joie arrive et il se sent léger. Toutes les bonnes tendances comme la douceur et la
tolérance, le pardon, l’amour et la reconnaissance, toutes ces belles qualités aboutissent à
la légèreté du mental de l’âme et du corps.
D’où viennent la musique et la danse ? Elles proviennent de cette vie naturelle et
spirituelle en nous. Cette vie spirituelle lorsque émerge au grand jour, allège tous les
fardeaux de l’homme. Elle rend sa vie plus lisse comme flottant sur l’océan de la vie. Le
sens critique se fait au bénéfice de la lumière. La vie est exactement comme l’océan.
L’homme sombre comme un morceau de métal ou une pierre au fond de la mer, lorsqu’il
n’a ni reconnaissance ni ouverture. Il ne peut flotter comme le fait un bateau évidé et
réceptif.
Sur le sentier spirituel, les difficultés viennent toujours de nous. L’homme n’aime pas être
élève, il veut être enseignant. Si seulement il reconnaissait la grandeur et la perfection des
êtres géniaux qui viennent de temps en temps dans ce monde, en étant élève et non pas
enseignant ! Plus grand est l’enseignant, meilleur est l’élève. L’élève apprend de chacun,
du plus grand au plus modeste, du sage au fou, du vieux au jeune. Il apprend de leurs vies
et étudie la nature humaine, sous tous ses aspects.
Celui qui apprend à parcourir le chemin spirituel doit devenir une coupe vide, pour que le
vin de musique et d’harmonie se déverse dans son cœur. Lorsque quelqu’un vient vers moi
et me dit : « Me voici, pouvez-vous m’aider sur le plan spirituel ? » Je lui
réponds : « Oui » et très souvent il me dit : « Je voudrais d’abord savoir tout ce que vous
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pensez de la vie et la mort, ou du début et de la fin. » Et là je me demande quelle sera son
attitude si son opinion conçue au préalable ne s’accorde pas à la mienne. Il veut apprendre
et il ne veut déja pas être vide, il est recouvert d’idées préconçues. C’est comme d’aller
dans l’eau et de vouloir en prendre avec un bol recouvert.
Mais d’où viennent ces idées préconçues ? Aucune idée ne peut appartenir à quelqu’un.
Toutes viennent d’une source ou d’une autre et nous pensons qu’elles nous appartiennent.
Pour nos idées, nous argumentons et nous nous disputons, même si elles ne nous satisfont
pas entièrement. Mais c’est notre champ de bataille et nous continuons à garder notre bol
couvert. Les mystiques ont adopté une voie différente. Ils ont enseigné un parcours
différent, qui se base sur la modestie et qui consiste en d’autres termes à désapprendre ce
que l’on a appris ; c’est ainsi que l’on peut devenir un bol vide.
Il est dit en Orient que la première chose à apprendre est de devenir un élève. On pourrait
penser que sur ce chemin on perd son individualité. Mais qu’est-ce que l’individualité ?
N’est-ce pas ce qui est accumulé dans nos idées et nos opinions ? On accumule un savoir
et il nous faudra désapprendre ce savoir.
On pourrait penser que les caractéristiques de l’esprit permettent d’y graver ce qui est
appris. Comment peut-on ne pas savoir que le désapprentissage est le complément de ce
savoir ? Voir quelqu’un dire : « Cette personne est malfaisante, je ne l’aime pas », c’est
apprendre. Voir plus loin et reconnaître du bon en elle, commencer à l’aimer et la plaindre,
c’est désapprendre.
Quand vous voyez la bonté d’une personne que vous aviez traitée de malfaisante, vous
avez désappris, vous avez défait le nœud. On apprend en premier en voyant avec un oeil,
ensuite on apprend à voir avec ses deux yeux, ce qui rend le regard entier.
Tout ce que nous avons appris dans ce monde est un savoir partiel, mais lorsqu’il est
déraciné par un point de vue différent, alors notre savoir prend sa forme complète. C’est
que l’on appelle le mysticisme. Pourquoi le nomme-t-on mysticisme ? Parce que l’on ne
peut pas le restreindre par des mots. Les mots ne nous montreront qu’une face, l’autre face
se situe au-delà des mots.
La manifestation entière est dualité, cette dualité qui nous rend intelligent et derrière
laquelle se cache l’unité. Si nous ne nous élevons pas au-delà de la dualité et si nous
n’avançons pas vers l’unité, nous ne pouvons atteindre ni la perfection ni la spiritualité.
Cela ne veut pas dire que notre savoir est inutile, il est d’une grande utilité. Il nous donne
le pouvoir de discrimination et de discernement des différences. Il aiguise l’intelligence et
rend le regard pénétrant et de cette façon nous comprenons la valeur des choses et leur
usage. C’est toute la partie de l’évolution humaine et son utilité. Nous devons donc
apprendre et désapprendre ensuite. On ne doit pas regarder le ciel en premier, quand on a
les pieds sur terre. On doit regarder la terre en premier, et voir ce qu’elle propose en
apprentissage et en observation. Mais en même temps on ne peut penser que le but de la
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vie s‘accomplisse par le seul regard vers la terre. C’est en regardant vers le ciel que
l’accomplissement du but de la vie se réalise.
La musique aide merveilleusement l’homme à se concentrer et à méditer indépendamment
de la pensée. Par conséquent la musique semble être un pont au-dessus du gouffre entre la
forme et l’informe. S’il existe quelque chose d’intelligent, d’efficace, et en même temps de
sans forme, c’est bien la musique. La poésie indique une forme de même que le trait et la
couleur, la musique ne le fait pas. De plus elle crée cette résonance qui vibre à travers
l’être entier, élevant la pensée au-dessus de la densité de la matière ; elle transforme
presque la matière en esprit, dans son état d’origine, à travers l’harmonie des vibrations
qui touchent chaque atome de notre être entier.
La beauté d’un trait et d’une couleur va aussi loin mais pas davantage. La réjouissance
d’un parfum peut aller un peu plus loin, mais la musique atteint notre être au plus profond
et ainsi crée une vie nouvelle qui lui apporte l’exaltation et fait émerger cette perfection
contenue dans l’accomplissement de la vie humaine.
Yehudi Menuhin – Voyage inachevé
J’ai eu la chance que l’on me montre l’Inde dans ce qu’elle a de plus authentique et de plus
cultivé. A tous les échelons on y retrouve la religion, liant le passé lointain à l’avenir qui
ne fait que poindre, liant aussi les réactions immédiates de l’homme intuitif à l’idée la plus
abstraite que puisse se faire l’homme cultivé d’une puissance désincarnée, innommable,
unifiant toute la création. Le meilleur de cette découverte a été de constater qu’au cours de
son ascension à travers les âges, l’Inde n’avait pas tiré l’échelle mais qu’elle y avait
seulement ajouté de nouveaux échelons.
Toute ma vie, j’ai aspiré à sentir sous mes pieds le solide plancher du passé, et parmi tout
ce dont je suis redevable à l’Inde, c’est le don que je reçois d’elle avec la plus grande
reconnaissance. Tout comme les différentes formes de vie coexistent dans l’espace, les
rythmes de l’univers n’y sont pas strictement marqués, le temps y est élastique, le matin
fusionne avec l’après-midi, le passé ne s’y distingue pas du présent…
Une fois on nous emmena voir une statue de Jaïn Bouddha à Bangladore, au sommet d’un
énorme rocher dominant la plaine. Le pèlerin devait gravir d’innombrables marches pour
atteindre le sommet où le Bouddha assis, peut-être cinquante fois plus grand que nature,
contemple sereinement le paysage. Il était oint de lait et de miel une fois par jour me diton… Juste avant midi, nous nous approchâmes jusqu’au bord du rocher, qui à cet endroit,
surplombait la plaine de plusieurs centaines de mètres ; en fixant l’horizon nous
discernâmes un point qui se mit à grossir peu à peu jusqu’à se matérialiser près de nous,
quelques minutes plus tard, sous la forme d’un aigle venu là se faire nourrir. C’eut été déjà
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en soi une aventure suffisante pour une belle matinée ensoleillée, mais fait remarquable,
cet aigle n’était que le dernier d’une longue lignée qui étaient venus de toute éternité,
chaque jour à midi, chercher leur pitance auprès de la statue de du Bouddha.
Telle est la notion indienne du temps qui sous-tend la doctrine de la réincarnation, la
croyance en une filiation si régulière que ce qui est présent appartient tout à la fois au
passé et à l’avenir, à la terre comme au ciel ; et c’est ce sentiment qui, jusqu’à présent, a
valu à l’Inde sa stabilité…
L’appartenance à une telle continuité doit, je pense, soulager l’individu d’une bonne partie
du fardeau de son unicité. La vie et la mort ne sont pas tout ou rien, mais les étapes d’un
processus, des phénomènes jalonnant un cours infini auquel on s’en remet pour soi-même
comme pour les autres phénomènes. C’est pourquoi la musique indienne reflète cette
conception indienne de la vie : sans commencement ni fin déterminés à l’avance, elle
s’écoule sans interruption entre les doigts du compositeur interprète ; l’accord de
l’instrument se fond imperceptiblement dans l’élaboration de la mélodie qui peut s’écouler
pendant au moins deux ou trois heurs d’affilée (ou qui s’adapte de nos jours, à trente
minutes de temps d’antenne).
Malgré toutes mes prédispositions favorables à l’Inde, je dois avouer que la musique
indienne me conquit par surprise. Je n’en connaissais ni la nature ni la richesse, mais si j’ai
jamais trouvé de quoi justifier ma conviction que l’Inde est la source originelle de toutes
choses, c’est bien dans ce domaine. Les deux gammes occidentales, majeure et mineure, la
demi-douzaine de modes de la Grèce antique, se perdent ici dans une variété de gammes et
de modes qui paraît inépuisable. Même les arcanes de la musique dodécaphonique ont été
devancés et surpassés… Les centaines de ragas existants permettent l’exploitation de la
totalité des notes possibles en des permutations d’une subtilité et d’une souplesse que l’on
a peine à concevoir…
L’Indien s’unit à l’infini plutôt qu’à son prochain, et sa musique participe de la même
tendance. Elle a pour but de raffiner l’âme et de discipliner le corps, de nous rendre
sensible à l’infini que l’on porte en soi, d’unir notre souffle à celui de l’espace, nos
vibrations à celles du cosmos…
La musique indienne fait place au groupe, mais à l’intérieur de celui-ci les individus
restent comme autant de solistes qui ne fusionnent jamais pour quelque affirmation
harmonique. Il serait contre nature d’essayer de former des orchestres de musiciens
indiens…
Comme pour toute improvisation musicale, il convient de maîtriser une structure
rigoureuse si l’on veut que la créativité s’épanouisse au moment de l’exécution ; autrement
improviser ne serait qu’inventer un langage selon l’inspiration du moment. Il faut
connaître la grammaire, la syntaxe et le vocabulaire si l’on veut que le miracle quotidien
de la parole se produise ; il en va de même de la musique improvisée. Elle suppose, entre
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la dictée de l’esprit et l’obéissance des doigts, un tel raccourci qu’on ne puisse la mesurer,
mais son tracé est l’œuvre d’une technique et d’une discipline acquises au fil d’années
d’entraînement…
Le musicien indien, avec un mètre et une forme imposés avant de commencer, comme un
poète chargé d’écrire un sonnet ou une ballade, ressemble davantage à un troubadour
médiéval qu’à un compositeur assis à sa table de travail devant du papier réglé. Il
n’interprète pas : il est.
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