Le financement des petites et moyennes entreprises du secteur des

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Le financement des petites et moyennes entreprises du secteur des
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
I - Le contexte économique et social du BTP au Niger
1.1 - Cadre socio-économique général
1.2 - L'emploi dans le secteur des BTP au Niger
II - Objet et organisation de l'étude
III - Les premiers résultats
3.1 - Les premières contraintes observées
3.2 - La question de la fiscalité
3.3 - Le financement difficile de la création d'entreprise ou des premiers marchés
de travaux
1 - Le financement moderne
2 - Le financement non structuré
IV - Les mécanismes réels de financement des entreprises des BTP
4.1 - Les procédures de création des entreprises
4.2 - Les possibilités réelles de financement
4.3 - L'utilisation des possibilités de financement par les entrepreneurs
4.4 - Le financement des approvisionnements
Conclusion
INTRODUCTION
Dans un contexte d'effondrement du système financier moderne (entre 1988 et 1992
quatre banques sur les huit en activité ont connu d'importantes difficultés financières
notamment la Banque de Développement de la République du Niger) et dans une
conjoncture d'impérative nécessité de relancer l'économie en encourageant l'initiative
privée, le problème du financement des petites et moyennes entreprises revêt une
importance cruciale d'autant plus que l'insuffisance d'apports en fonds propres des
promoteurs est une des contraintes principales du développement de leur activité.
C'est en prenant l'exemple des petites et moyennes entreprises du secteur du Bâtiment et
des Travaux Publics que nous allons traiter ici de cet aspect. Au préalable, nous
retracerons le cadre socio-économique général dans lequel évoluent ces entreprises et
donnerons un aperçu du marché du travail dans la branche.
I. - LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET SOCIAL DU BTP AU NIGER
1.1 - Le cadre socio-économique général
Le Niger a entrepris, à partir de 1983, des programmes d'ajustements macro-économiques
dans un contexte général caractérisé par plusieurs facteurs hostiles :
- un environnement naturel défavorable lié aux aléas climatiques, à une frontière
commune avec le Nigeria traversée par de nombreux réseaux de contrebande et
une démographie galopante (la population du Niger s'accroît de 3,5% par an)
- la présence d'une ressource minière, l'uranium qui demeure une des principales
sources de recettes d'exportation et dont les perspectives de prix de vente sont à
moyen terme défavorables
- le relatif essoufflement des mesures d'urgence prises pour que le pays retrouve
une dynamique de croissance soutenue
- la persistance de la crise économique que le pays ne parvient pas à surmonter.
Dans une telle conjoncture, le secteur manufacturier s'est relativement peu développé et a
même régressé comme l'illustrent les graves difficultés auxquelles sont confrontées
certaines entreprises nigériennes comme la SONITEXTIL. Aussi, le dynamisme du
secteur informel contraste avec la situation de crise que traverse le secteur formel.
Toutefois celui-ci est soumis à deux contraintes fondamentales constituées par sa
dépendance de l'extérieur et une demande intérieure faible.
La proximité du Nigeria et la faiblesse de sa monnaie, la naira, sont des contraintes
essentielles. Les commerçants et les particuliers profitent en effet du fort taux de
convertibilité du franc CFA sur le marché noir pour acheter des produits qui viennent en
définitive concurrencer sur le marché intérieur l'offre des entreprises nationales et des
artisans.
La demande globale de la population n'a pas connu, d'autre part, le développement
escompté car les revenus réels des paysans ont diminué et la stagnation nécessaire des
salaires a réduit le pouvoir d'achat, déjà peu élevé, de la population urbaine.
Au Niger, le secteur des micro et petites entreprises est une composante essentielle de
l'économie. La situation économique morose a contribué au phénomène d'atomisation des
activités, résultat d'une "informalisation" croissante du secteur et principalement de sa
composante "artisanat".
L'importance du secteur informel comparativement au secteur moderne est beaucoup plus
frappante si on se réfère à leur contribution respective au PIB. La morosité des
investissements privés a donc plus profité aux micro et petites entreprises nationales qui
ont su maintenir leurs activités, essentiellement urbaines. Par leur segmentation, leur
flexibilité et par le biais de la sous-traitance ces entreprises ont su entretenir leur
dynamique de développement ou de survie dans une situation économique peu favorable
aux grands projets industriels.
Plusieurs facteurs négatifs ont contribué à la disparition progressive des P.M.E. modernes
et à la croissance corrélative des micro-entreprises informelles :
1. Les exportations nigériennes non performantes conjuguées à des termes
d'échange peu favorables ont provoqué le manque de matières premières
importées et d'intrants réduisant ainsi la possibilité pour les industries locales de
fonctionner à plein rendement et entraînant par là une pénurie des services et des
marchandises nécessaires. La récente dévaluation du franc CFA n'a fait
qu'aggraver encore la situation. On remarquera cependant que le secteur informel
a su survivre en utilisant les matières premières locales.
2. Le secteur moderne n'a pas su développer des domaines qui ne demandent pas
d'investissements étatiques très coûteux. Au contraire, ils ont souvent été
disproportionnés au marché intérieur ou potentiel.
3. Le secteur moderne n'a pas eu le potentiel de créer des emplois sûrs et des
revenus stables pour une portion de la population à cause de la haute intensité
capitalistique des investissements réalisés.
4. La récession économique a, de plus, diminué les possibilités d'emplois.
1.2 - L'emploi dans le secteur des BTP au Niger
Pendant les années de forte croissance ("boum" de l'uranium), l'industrie des BTP
enregistrait un taux annuel moyen de croissance de 25% environ. Sa contribution au PIB
est passée de 4% en 1977 à 7% en 1980, et l'effectif de la main d'oeuvre s'est accru de
27% par an. En 1982, année record, le chiffre d'affaires du secteur des BTP a été estimé à
66,5 milliards de francs CFA dans le secteur moderne et à 47,6 milliards de francs CFA
dans le secteur traditionnel. Depuis lors, le chiffre d'affaires annuel du secteur moderne a
baissé pour tomber à 28,8 milliards de francs CFA en 1988 et le nombre d'emplois créés
par ce secteur a été divisé par trois. Dans le secteur informel des BTP, la situation aurait
été moins mauvaise au cours de la même période.
Du côté de l'offre, l'industrie du BTP comprenait plus de 200 entreprises dont plus de
60% étaient petites ou très petites (employant moins de 10 personnes). En outre, une
enquête nationale sur le secteur traditionnel révélait la présence de 5.000 tâcherons.
Une des caractéristiques fondamentales de l'emploi dans le secteur des BTP est l'ampleur
et la diversité de ses formes, la relation mal définie entre le travail permanent salarié et le
travail dans le secteur informel. Il existe des disparités profondes entre les activités
modernes et celles des nombreux tâcherons aux activités multiformes, fractionnées,
occasionnelles et représentant le plus souvent une recherche d'adaptation permanente au
contexte économique du moment.
Les statistiques officielles en matière d'emplois ne permettent pas de fournir une analyse
satisfaisante de la situation de l'emploi dans le secteur des BTP. Le problème se
complique lorsqu'il s'agit d'évaluer l'effet global des entreprises informelles des BTP sur
l'emploi, il n'existe pas d'estimation annuelle des effectifs de ce secteur et les tâcherons
locaux emploient le plus souvent des aides familiaux qui sont assimilés aux parents par le
service de la main d'oeuvre.
Pour le secteur moderne, nous nous référerons constamment aux données officielles tirées
des statistiques annuelles de la Direction du travail. Le secteur moderne des BTP
représente plus de 15% de l'emploi du secteur privé. Sa faiblesse actuelle en terme
d'effectifs est le reflet de la morosité économique.
L'effectif du secteur des BTP a connu un essor particulier vers la fin des années 1970 et le
début des années 1980 (en 1981, le secteur moderne des BTP employait plus de 34 % des
salariés du secteur privé). Il a en effet absorbé, au cours de cette période, des
investissements sans précédent liés aux grands projets de génie civil entrepris par l'État et
les entreprises privées.
Parallèlement à la diminution de sa valeur ajoutée brute, le secteur moderne des BTP a vu
ses effectifs salariés passer de 11.800 personnes en 1981 à seulement 4.107 employés.
L'analyse des principaux indicateurs d'emploi amène les remarques suivantes :
- Les effectifs moyens par entreprise se sont considérablement réduits entre 1981
(118 employés par entreprise) et 1988 (42 employés).
- Le coefficient de productivité, défini par la valeur de la production par tête, s'est
détérioré entre 1984 et 1988. Il se situe néanmoins au-dessus de 5 millions de
francs CFA par salarié.
- La masse salariale a chuté de plus de 70 % et les salaires moyens annuels par
employé ont baissé d'environ 21 %. Les coefficients de salaire les plus faibles
s'observent lorsque les investissements routiers sont élevés, ce qui laisse penser
que les travaux routiers ont un faible coefficient salarial.
- Le coefficient de productivité nette, c'est-à-dire la valeur ajoutée brute par
salarié, a connu une évolution en dents de scie. Ce coefficient, rapproché de celui
qui met en relation les rémunérations avec la valeur ajoutée, permet d'apprécier
les conséquences sur l'emploi d'une variation du volume d'activité de la branche
des BTP.
L'évolution de ces indicateurs montre que :
- le nombre d'employés donné par les entreprises est très conjoncturel et reflète la
nature et l'importance du marché honoré à un moment donné et non une situation
d'effectifs moyens constants.
- l'influence des investissements routiers est faible dans les variations d'effectifs
alors qu'elle est sensible au niveau des salaires individuels versés. Ce sont les
valeurs et la nature des marchés passés qui déterminent le mieux l'évolution des
effectifs.
- la demande des entreprises privées et des particuliers a pu contribuer à
l'évolution de cette branche d'activité. L'habitat privé, en dépit de sa dispersion,
représente des investissements considérables et peut générer beaucoup d'emplois
avec la croissance démographique et spatiale rapide des principales villes du pays.
- le développement de P.M.E. de moins de 20 employés est l'alternative en
matière d'emploi dans un contexte économique médiocre peu favorable aux gros
investissements en génie civil.
- l'utilisation d'une main d'oeuvre temporaire est une pratique assez courante au
niveau des entreprises modernes.
La structure qualitative de la main d'oeuvre du secteur moderne des BTP montre une
pénurie préoccupante de cadres moyens. Les rapports d'effectifs sont très accentués dans
les BTP, le coefficient d'encadrement des ouvriers et des employés est très faible alors
que celui des agents de maîtrise est élevé par rapport aux normes admises.
Enfin, le secteur moderne et para-public du Niger comme celui de beaucoup de pays
africains, n'arrive pas à créer suffisamment d'emplois rémunérés pour compenser la
croissance de la main d'oeuvre et pour offrir des possibilités d'insertion professionnelle
aux jeunes diplômés. Ainsi, une grande majorité de jeunes diplômés de l'enseignement
supérieur et technique se trouve encore sans emploi trois ans après la fin de leur
formation.
Pour le secteur informel, il faut admettre que celui-ci a toujours joué un rôle de palliatif
aux demandeurs d'emploi. Son extrême atomisation rend cependant difficile toute étude
exhaustive en matière d'emploi pour la période passée.
L'organisation du secteur se caractérisant par l'adaptation des effectifs à la commande, la
main d'oeuvre employée varie évidemment selon les délais à respecter et l'importance des
travaux.
Plusieurs enquêtes ont été menées dans pour avoir une meilleure connaissance de ce
secteur. Notre analyse s'appuie sur deux études récentes1 qui ont l'avantage de présenter
des estimations chiffrées et détaillées, même si elles ne sont pas tout à fait concordantes.
- Les effectifs moyens par entreprise informelle sont très faibles, sept fois moins
élevées que ceux des entreprises formelles. La valeur de ce ratio constitue la
réalité tangible du secteur non structuré des BTP : un entrepreneur individuel
entouré d'un nombre réduit de salariés permanents qui le secondent pour les
tâches élémentaires.
- La part de rémunération de la main d'oeuvre dans la valeur ajoutée est
remarquablement élevée par rapport à celle du secteur moderne des BTP et aux
autres activités du secteur informel urbain.
La décomposition de la valeur ajoutée en pourcentage telle qu'elle apparaît dans les
données économiques de l'enquête sur le secteur informel 2 est la suivante :
- Rémunération de la main d'oeuvre : 33,7 %
- Impôts et taxes : 1,4 %
- Investissements : 0,5 %
- Revenu net de l'entrepreneur : 64,4 %
En effet et compte tenu du caractère informel du secteur, on peut supposer que les
rémunérations correspondent aux salaires versés et que le résultat net de l'entrepreneur
rémunère également de la main d'oeuvre.
- La productivité du travail, c'est-à-dire la valeur ajoutée par travailleur, est deux fois
moins élevée que celle du secteur moderne des BTP. Il en résulte qu'il existe trois
catégories de travailleurs dans les entreprises informelles de BTP :
1. L'entrepreneur qui combine plusieurs facteurs de production extérieurs pour se
créer un revenu. A cet effet, il loue une force de travail qu'il rémunère en monnaie
ou en nature.
2. Le tâcheron indépendant auto-employé qui a créé sa propre entreprise de
services en BTP et la fait fonctionner seul.
3. Les travailleurs qui vendent leur force de travail en échange de numéraires
(personnel salarié), en échange de l'espérance de revenus futurs (formation) ou de
quelques avantages en nature.
- l'apparition et le développement de la main-d'_uvre permanente et salariée est assez
récente : cela concerne essentiellement les petites entreprises susceptibles de postuler à
des marchés publics où les critères de sélection sont très contraignants en matière de
personnel.
A ce niveau, on remarquera que l'utilisation de nouvelles technologies dans le secteur du
bâtiment peut provoquer la nécessité, pour l'entrepreneur, d'engager un personnel salarié
permanent et qualifié, capable de réaliser certaines opérations qu'il ne peut plus remplir
(implantation, coffrage, ourdis).
Cette présence de personnel salarié permanent suppose, bien sûr, un volume d'opérations
et de résultats d'exploitation positifs qui permettent de supporter les frais de personnel.
Cette contrainte financière explique en partie la faible présence de salariés dans
l'entreprise informelle. Le second facteur explicatif est le fait qu'une très grande partie
des tâcherons est auto-employée.
- Le marasme que connaît le secteur moderne des BTP a favorisé une remontée sensible
des qualifications des employés. Le secteur informel commence à être confronté à une
situation qui ne rentre plus dans la logique informelle de formation sur le tas. Pour les
entreprises à personnel permanent, la situation se rapproche du secteur moderne,
notamment au niveau des ouvriers et par rapport à des critères tels que la formation,
l'expérience professionnelle et la fiabilité du personnel permanent.
On commence aussi à remarquer l'existence de combinaisons de formation générale et
professionnelle représentant l'association d'un minimum d'éducation scolaire et d'une
formation sur le tas.
Ces dernières années, l'industrie des BTP s'est heurtée à de nombreux obstacles qui
limitent sa capacité d'expansion et de participation aux activités de construction et
d'entretien de l'infrastructure. Même lorsque les travaux n'exigent pas de hautes
compétences techniques et pourraient être exécutés efficacement avec des techniques à
haute intensité de main d'oeuvre par de petites entreprises locales, la plupart de ces
dernières n'arrivent pas à obtenir des marchés ni même à soumissionner pour les offres
publiques car leur faible capacité managériale ne leur permet pas de soumettre des
propositions acceptables, ni de satisfaire aux multiples exigences administratives
qu'impliquent les procédures complexes de passation des marchés publics ; d'autre part,
les retards de paiement aux entreprises, dus aux procédures administratives trop longues
ainsi qu'aux difficultés des finances publiques, mettent à rude épreuve leur trésorerie et
leur fonds de roulement. Seules les grandes sociétés disposant de moyens importants
peuvent se permettre d'attendre aussi longtemps.
Pour pallier à ces contraintes et dans la cadre de la relance de l'emploi, le gouvernement
du Niger avec l'aide des bailleurs de fonds a entrepris un important programme
d'infrastructures urbaines et routières. Dans le cadre de ce projet, a été créée l'Agence
nigérienne de travaux d'intérêt public pour l'emploi (NIGETIP).
L'Agence nigérienne de travaux d'intérêt public pour l'emploi est une association à
laquelle a été octroyé le statut d'Organisation non gouvernementale. Elle a été créée par le
gouvernement du Niger et la Banque Mondiale (IDA) avec l'appui d'autres bailleurs de
fonds.
NIGETIP a pour but d'engager toute action en vue de réaliser des travaux et opérations
d'intérêt public susceptibles de créer des emplois pour la main d'oeuvre non qualifiée ou
peu qualifiée. Les autres principaux objectifs liés à ce programme sont les suivants :
1 - le renforcement des capacités des entreprises nigériennes par une amélioration
de leur productivité et de leur compétitivité.
2 - la réalisation de travaux d'intérêt collectif, économiquement et socialement
utiles, à des conditions de coût et de qualité au moins équivalentes aux travaux
réalisés sous d'autres formes.
3 - la démonstration de la faisabilité de projets à haute intensité de main d'oeuvre
et la mise à l'essai de procédures applicables par le secteur public dans la
réalisation de ce genre de projets.
Les projets exécutés par l'Agence sont identifiés et élaborés par les bénéficiaires. Les
projets reçus sont examinés par rapport à des critères d'éligibilité dont :
- l'utilité économique et sociale du projet soumis
- la part de la main d'oeuvre qui doit, en règle générale, être supérieure à 20% du
coût total estimé du projet
- la part éventuelle des matériaux importés dans le coût estimé du projet
- le degré de participation des populations et l'impact du projet sur
l'environnement.
En termes de résultats après trois années d'exercice, l'Agence a exécuté et/ou est en train
d'exécuter plus de 14,0 milliards de francs CFA de travaux sur l'ensemble du territoire
nigérien. En terme de zones d'intervention, le programme a couvert les zones urbaines
pour environ 60% du montant des financements, le solde, soit 40%, a concerné les zones
rurales. Elle a également enregistré plus de 900 micro et petites entreprises dans son
fichier d'entreprises agrées pour soumissionner aux appels d'offres qu'elle lance
régulièrement. Enfin, elle a affiché un délai moyen de paiement des décomptes qui est de
sept jours. Ce délai couvre la période qui sépare le dépôt de l'attachement des travaux
auprès de l'Agence et le paiement effectif des sommes dues à l'entrepreneur. Cette
situation peut avoir un effet déterminant dans les mécanismes de financement adoptés par
les tâcherons et qui font l'objet de la présente enquête.
II. OBJET ET ORGANISATION DE L'ETUDE
Les objectifs de l'étude sur les mécanismes de financement des petites entreprises des
BTP au Niger consistent à mieux connaître le degré d'adaptation des entrepreneurs du
secteur des BTP à la situation actuelle caractérisée par un net dysfonctionnement des
organismes financiers locaux modernes qui les pénalisent surtout dans la situation
économique morose que traverse actuellement le pays.
La mission s'est déroulée sur le terrain au Niger entre le 1er septembre 1994 et le 29
novembre 1994. L'étude s'est essentiellement basée sur l'analyse de deux échantillons
représentant respectivement les entreprises ayant exécuté au moins un marché de
l'Agence et les entreprises et bureaux d'études nouvellement créés ou en cours de
création.
La méthodologie s'est appuyée sur des enquêtes par questionnaires et des entretiens
approfondis auprès des différents groupes d'intervenants, et sur l'exploitation de données
disponibles au niveau de l'Agence, notamment auprès du service comptable.
Deux échantillons ont été construits, l'un comportant 100 entreprises ayant déjà réalisé
des travaux de NIGETIP et l'autre comptant 80 bureaux d'études et d'entreprises en cours
de création ou n'ayant pas encore été adjudicataire d'un marché de l'Agence. Au moment
de l'établissement de l'échantillon, plus de 200 entreprises avaient obtenu au moins un
marché, de ce fait l'échantillon retenu représente environ 50% de l'ensemble des
adjudicataires de marchés NIGETIP.
L'échantillon des entreprises ayant déjà travaillé auprès de l'Agence répond aux
caractéristiques décrites dans le tableau suivant :
Tableau 1 : Répartition des entreprises par catégorie3 et localité
Catégorie Niamey Agadez Maradi Tahoua Zinder Total
2ème
2
0
1
2
3
8
3ème
5
2
2
1
2
12
4ème
30
10
15
10
15
80
Total
37
12
18
13
20
100
L'échantillon des bureaux d'études et des entreprises non encore adjudicataires de marché
de NIGETIP se présente comme suit :
Tableau 2 : Répartition des bureaux d'études et des entreprises par catégorie et localité
Catégorie Niamey Agadez Maradi Tahoua Zinder Total
2ème
0
0
0
0
0
0
3ème
4
0
0
0
0
4
4ème
20
10
10
10
10
60
bureaux 16
0
0
0
0
16
Total
40
10
10
10
20
80
L'enquête revêt trois caractéristiques principales :
a) l'échantillonnage est en conformité avec les objectifs de l'étude générale sur le
financement des entreprises des BTP au Niger.
b) le mode d'enquête autorise, par sa fiabilité, à la fois une légère analyse
statistique (faute de données macro-économiques vraiment fiables sur l'ensemble
du secteur, publiées par le Service de la main d'_uvre ou la Direction de la
Statistique) et surtout une analyse qualitative. Cette démarche fait que la
répétition de certains constats devient significative de tendances interprétables
comme des opinions ou des comportements des groupes cibles.
c) enfin, l'enquête de groupe tend à restituer une image homogène du milieu des
BTP nigérien qui recèle, en toile de fonds, une extrême diversité des situations et
des réalités des groupes sociaux et des collectivités locales.
III. LES PREMIERS RESULTATS
La première analyse a dégagé les constats socio-économiques suivants :
a) sur les 164 entreprises interrogées, 150 sont des entreprises individuelles et 14
sont des sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL).
b) quand on fait le rapprochement entre l'origine du capital initial ou l'apport
initial et les activités antérieures du promoteur, on constate qu'il y a très peu de
techniciens du secteur ayant bénéficié de programmes de départ volontaire
(PAIPCE) mais un nombre très important (plus de 75%) "d'hommes d'affaires".
On peut en conclure que l'expérience professionnelle et la formation des chefs
d'entreprises sont souvent d'un niveau inadéquat. Cette situation a des
conséquences négatives dans le financement futur des activités de construction.
3.1 - Les premières contraintes observées
Parmi les premières conclusions globales tirées de l'analyse préliminaire des réponses aux
questions, on retiendra les contraintes suivantes :
la pénurie de capital : les institutions financières jouent actuellement un rôle négligeable
dans le financement des activités du secteur des BTP. En effet, la majorité des entreprises
créées n'arrivent pas obtenir des lignes de crédit à cause de plusieurs obstacles. Même,
l'AFELEN, créée pour le financement de la libre entreprise au Niger, ne parvient pas à
jouer pleinement son rôle. Il est demandé aux promoteurs de satisfaire à certaines
conditions : inscription au registre du commerce, capital minimum de deux millions de
CFA pour une SARL, la disponibilité d'avoirs, d'apports personnels ou de nantissements,
des études détaillées de faisabilité, des livres de comptes pratiquement inexistants dans la
plupart des cas.
les difficultés de création d'entreprise : la procédure administrative pour lancer une
entreprise est très longue, compliquée et implique de faire des démarches auprès de
plusieurs entités de l'État.
la pénurie d'infrastructures : l'insuffisance d'infrastructures d'accueil limite la naissance et
la croissance du secteur moderne.
la pénurie de matériaux de construction locaux : l'insuffisance d'intrants provient
essentiellement du fait que les entrepreneurs n'ont pas la possibilité d'en acheter en
grande quantité et cela parce que la taille des marchés est généralement petite et qu'il n'y
a pas d'organisations ou d'associations spéciales auxquelles ils peuvent confier une telle
tâche.
l'absence de politique : les pouvoirs publics s'intéressent peu (ils ont actuellement d'autres
priorités) au secteur des BTP. Le rôle de l'entrepreneur des BTP est peu reconnu sur le
plan économique et l'absence d'une chambre des métiers ne permet pas à ces derniers de
recevoir les soutiens nécessaires sur le plan financier.
le manque d'encadrement technique : les entrepreneurs ont des difficultés à se lancer dans
les activités productrices modernes. Ils ont de bons potentiels intellectuels et techniques
mais leur formation de base ne leur donne pas les moyens d'entreprendre leurs propres
affaires dans le secteur moderne avec de réelles chances de réussite. Ce qui explique le
nombre très important de petites entreprises individuelles et de tâcherons.
3.2 - La question de la fiscalité
La fiscalité est peu adaptée aux problèmes de financement des entreprises, celles des BTP
en particulier : en effet, si la volonté, la capacité entrepreneuriale et le dynamisme des
opérateurs économiques sont des facteurs importants en matière de création d'entreprises,
la cadre fiscal n'en est pas moins déterminant; la part élevée du secteur informel dans
l'économie atteste de la véracité de cette constatation.
Une étude réalisée en 1993 sur le secteur des micro et petites entreprises des BTP a
montré qu'environ 30% seulement des tâcherons s'acquittent des taxes et impôts exigibles
au Niger. Ce qui représente un niveau de recouvrement des impôts relativement faible. Le
système fiscal qui est appliqué comprend plusieurs taxes : patente, impôts sur les
bénéfices, droits de douane, TVA, taxes de marché, taxes de publicité, taxes de
statistique... Il paraît pour le moins inadapté. Ainsi, l'étude a montré que :
- si la somme des impôts frappant les artisans n'était pas globalement excessive,
elle était en revanche inégalement répartie et dégressive
- les impôts et taxes payés par certaines catégories d'entrepreneurs du secteur
informel s'inscrivent dans un ensemble fiscal complexe dont la hiérarchie, certes
très élaborée, présente l'inconvénient d'être assez lourde et de cumuler les taxes
pour certaines catégories d'artisans
- la classification des professions et la tarification restent archaïques et rarement
révisées
- la patente n'est pas uniformément appliquée à travers les régions de par sa
complexité.
La nouvelle politique fiscale entendait promouvoir une fiscalité simple, compréhensible
par les petites entreprises à travers l'institution d'un impôt unique. L'adoption des textes
se fait toujours attendre sans doute par manque de volonté politique ou peut être en raison
de la persistance de la crise économique.
A ces constats, nous ajouterons que ce système fiscal n'offre en rien des avantages
susceptibles de pousser à la création d'entreprises, tout au moins dans le domaine des
micro et petites entreprises. Nous avons vu que le code des investissements offrait des
avantages considérables en exonérant les entreprises d'impôts et de taxes sur des périodes
pouvant aller jusqu'à 15 ans. Mais, par la taille des entreprises concernées (25 millions de
francs CFA d'investissements), il exclut la majeure partie des entreprises que le code des
impôts ne prend pas non plus en compte. Un effort est à faire dans ce sens car c'est dans
ce domaine que le potentiel de création d'entreprises existe.
De plus, l'octroi d'avantages fiscaux (exonérations d'impôts sur certaines périodes) et
l'établissement de barèmes d'imposition clairs qui n'expose pas, comme c'est le cas en ce
moment, les entreprises à l'évaluation subjective de leur activité par les services des
impôts, seraient de nature à attirer bon nombre d'entreprises vers le secteur formel.
Des avis contraires opposeront la perte de rentrées fiscales qu'entraînerait l'octroi de ces
avantages, surtout dans la situation difficile que traverse le Niger qui a justement besoin
d'augmenter ses recettes. On notera simplement que l'établissement de barèmes clairs va
dans le sens de la formalisation qui permettra à tout créateur de connaître rapidement et
avec précision le montant de ces redevances vis-à-vis du fisc. Ce qui est très intéressant
quand on connaît la difficulté de réaliser des prévisions fiables au moment du montage
d'un dossier de création.
L'octroi d'avantages fiscaux ne pèsera absolument pas, dans l'immédiat, sur le budget de
l'État car il concerne des entreprises en création, donc non encore prises en compte dans
ses ressources. L'incidence ne peut être à moyen terme que positif sur les rentrées fiscales
du fait de l'augmentation du nombre des entreprises.
De façon beaucoup plus globale, une réforme totale de la fiscalité s'impose. La montée de
l'informel correspond à un divorce progressif des opérateurs avec l'État, et à un rendezvous manqué avec les organismes d'appui. Le niveau de tolérance à l'égard de l'impôt n'a
jamais été aussi faible qu'aujourd'hui du côté des opérateurs de l'informel. Pour les
entreprises du secteur moderne, le niveau de tolérance est normal mais devenu inopérant.
Pourtant, malgré le refus de l'impôt des uns et l'incapacité des autres à le payer, il existe
cependant une attente de traitement égal dans lequel il y aurait un système plus
acceptable par tous et qui serait lié à des faits générateurs, familiers ou du moins proches
des opérations du commerce traditionnel, applicables à toutes les entreprises. On
remarquera que le régime des entreprises modernes n'aurait aucune difficulté à s'adapter à
un système inspiré du secteur informel, alors que la démarche inverse, en place depuis
plusieurs années, n'a pas réussi à s'imposer.
3.3 - Le financement difficile de la création d'entreprise ou des premiers marchés de
travaux
Les résultats de l'étude menée auprès de 80 bureaux d'études et nouvelles entreprises
révèlent les problèmes auxquels se heurtent ces derniers. Plus de 80 % d'entre eux ont
exprimé leurs obligations de solliciter un crédit auprès des institutions financières, donc
leur besoin d'obtenir un crédit bancaire ou similaire. Parmi cet échantillon, le
financement devrait servir pour les activités suivantes :
Tableau 3 : Modes d'utilisation des financements
Réponses
Nombre %
Achats de matériaux
40
50%
Achats d'équipements
24
30%
Construction d'infrastructures 12
15%
Autres
4
5%
Vingt entrepreneurs parmi les quatre-vingts avaient essayé d'obtenir des crédits bancaires
à moyen terme. Selon eux, les prêts n'auraient pas été accordés pour les raisons suivantes
:
a. demande non poursuivie à cause de formalités complexes : 15 %
b. pas assez de garanties : 70 %
c. conditions de financements inacceptables : 10 %
d. autres raisons : 5 %
Le reste n'avait pas encore essayé de contracter des emprunts pour les mêmes raisons et
dans des proportions semblables. Les difficultés d'accès au financement de l'entreprise
des jeunes diplômés viennent essentiellement du manque de fonds propres. En plus, il
faut également noter que le système bancaire préfère surtout octroyer des crédits aux
entreprises de taille importante et, en priorité pour des activités de l'économie marchande
(importation de biens de consommation).
Les banques commerciales collectant des dépôts à vue ont tendance à se limiter aux
crédits à court terme. Cette situation nuit aux jeunes promoteurs qui ont justement besoin
de crédits à moyen et long terme pour financer leurs immobilisations et leurs actifs
d'exploitation.
L'analyse fine des résultats des interviews montre que le financement est au centre de la
vie quotidienne des P.M.E. du secteur des BTP. Leurs besoins sont multiples en ce
domaines et peuvent être regroupés en trois catégories : l'investissement, la trésorerie et
le financement des conditions de vie. Face à ces différents besoins, les P.M.E. peuvent se
tourner vers deux sources distinctes : les circuits de financement modernes et les circuits
non structurés.
1 - Le financement moderne
Ce circuit englobe essentiellement les banques et les organisations non gouvernementales
présentes au Niger. D'une façon générale, les banques ne participent pas au financement
des P.M.E. ou ne leur accordent des crédits que de façon très marginale. Les raisons
invoquées tiennent :
- à l'absence de compte bancaire pour insuffisance de revenus du créateur.
- au risque de détournement des crédits obtenus.
- à l'absence d'information précises sur l'emprunteur.
- à l'absence de garanties suffisantes.
- à l'insuffisance des éléments comptables fournis pour l'évaluation du projet, etc.
On ne saurait ici remettre en cause le bien fondé des réticence des banques à financer des
projets dont les promoteurs ne sont pas à même de fournir suffisamment d'éléments
conformes aux exigences des banquiers et de nature à entraîner une décision favorable. Si
la nécessité existe de donner un coup de pouce sérieux à la création d'entreprises, les
banques ont des obligations de gestion qui les empêchent de prendre des risques
financiers au-delà de ce que permettent les lois de la profession.
Pour contourner cette difficulté, des structures telles que le PAIPCE, le Fonds
d'intervention en faveur des petites et moyennes entreprises avaient été mises en place
pour couvrir ces risques. Mais, ce sont des institutions moribondes qui n'ont jamais su
jouer pleinement leur rôle. L'existence de telles institutions est pourtant nécessaire pour
que les banques puissent, elles aussi, s'engager dans des projets de création.
Aujourd'hui, l'offre de crédit provient essentiellement des organisations non
gouvernementales et des différentes missions de coopérations présentes au Niger. Ces
sources de financement sont d'un grand apport pour l'économie mais elles pêchent par
leur orientation trop ciblée.
Il n'existe pas non plus d'études exhaustives sur l'offre et la demande de crédits au Niger.
Cependant les premières analyses que nous avons effectuées dans le cadre de la mise en
place de notre étude, concluent que la demande de crédit est très largement supérieure à
l'offre.
En terme d'épargne formelle, la faillite des banques de développement, des caisses
d'épargne et des caisses de crédits au milieu rural a affecté très nettement la mobilisation
de l'épargne intérieure et par conséquent l'offre de crédit.
Cette offre existe cependant et une revue rapide des projets et programme d'appui au
secteur privé nigérien montre que l'offre de crédit s'élève à 35 milliards de francs CFA
soit environ 4.000 francs par habitant. Cette analyse exclut les banques commerciales qui
ont actuellement des liquidités importantes. Quand on sait que les lignes de crédit mises
en place, en ce moment au Niger, ne sont pas consommées, on ne peut s'empêcher de
conclure à l'indélicatesse de la situation. Les chiffres de l'AFELEN dont la ligne de crédit
initiale est de 7,836 milliards de francs CFA, sont à eux seuls très révélateur.
Si l'on ne considère que les prêts accordés pour l'acquisition de biens d'équipement, la
situation par secteur après douze mois d'activités de l'AFELEN, se présente comme suit :
Secteur agro-pastoral
Industrie, manufacture et
artisanat
Services
Travaux publics
Transport
Commerce
TOTAL
204.000.000 F CFA
308.000.000 F CFA
15.000.000 F CFA
30.000.000 F CFA
4.000.000 F CFA
7.000.000 F CFA
568.000.000 F CFA
Les engagements ne représentent donc que 7,25% du montant de la ligne de crédit
disponible.
Les initiatives et les projets de création ne manquent pourtant pas. Cette situation tient
plutôt au taux de rejet très élevé des dossiers de demande de crédit : à l'AFELEN, il est de
90%. Et, il n'est pas rare de trouver au Niger des lignes de crédits qui ne sont pas
consommées faute de projets viables susceptibles d'intéresser les bailleurs de fonds ou de
montage cohérent des dossiers de demande de crédits et d'informations relatives à
l'existence et à la nature des programmes.
Les entrepreneurs interrogés pensent que lorsqu'on aura mis en place des structures
d'encadrement des promoteurs (Chambre de Métiers par exemple) leur permettant
d'obtenir des informations sur certains secteurs d'activité et programme de financement,
sur les études de marché, sur les études financières et sur l'organisation et la gestion, nous
aurons alors résolu les problèmes majeurs. Ces structures sont les compléments
indispensables qui rendront accessibles les crédits.
2 - Le financement non structuré
Dans ce domaine, les opérateurs assurent leur financement à partir d'une épargne
personnelle. Il convient tout de même de dissocier le cas du milieu rural de ce qui prévaut
dans le monde urbain.
a - Les tontines en milieu rural
On peut noter que ce mode de financement recueille la faveur de 80% des épargnants, les
garde-monnaies assurant le reste. L'enquête "Finance rurale au Niger" a ainsi montré que
les tontines ont une activité financière importante et qu'un cycle d'opération peut mettre
en jeu des sommes élevées (en moyenne 485.000 francs CFA). Celles-ci permettent aux
épargnants d'avoir de l'argent disponible mais hors de portée.
b - Le financement informel en ville
A ce niveau, trois remarques intéressantes peuvent être formulées :
- la pratique de la tontine est assez usitée (30% environ).
- l'épargne ainsi collectée est élevée : les cotisations varient de 10 à 20.000 francs CFA
par mois. Si on applique le taux de 30% à la population de Niamey (450.000 habitants) et
en adoptant une cotisation moyenne de 12.000 F CFA, on arrive à une masse financière
de 1.620.000.000 francs CFA drainée ainsi chaque mois.
Ces circuits de financement ne sont certes pas très adaptés aux besoins de la création
d'entreprises qui nécessite une approche en terme de conditions et d'échéances plus
favorables. Pour créer une entreprise et financer le développement d'une P.M.E., il faut en
effet se donner des objectifs et des horizons à moyen et long terme que ne permettent pas
ces circuits de financement informels. Mais, face au manque d'intérêt des banques, ces
circuits ont l'avantage de répondre à un réel besoin des opérateurs économiques. De plus,
on peut dire que si ces circuits sont si dynamiques, si ces circuits drainent autant
d'épargne, c'est parce que les épargnants n'ont pas vraiment confiance dans les
institutions financières modernes.
c - Les caisses populaires d'épargne et de crédit
Les performances des projets d'appui financier à la promotion du secteur privé nigérien
sont disparates et n'ont pas dans la plupart des cas atteint leurs objectifs. C'est pourquoi,
en dehors des structures dépendant du Ministère de l'industrie et de l'artisanat, d'autres
structures non-gouvernementales travaillant pour le développement du secteur privé
nigérien ont vu le jour.
Une structure mérite une attention particulière car elle pourrait constituer une réponse
exclusivement nationale et privée aux problèmes de collecte d'épargne et de financement
de la libre entreprise au Niger. Il s'agit de la caisse populaire TAIMAKO.
Au cours de notre enquête, ce nouvel organisme a été cité par plus de 60% des petits
entrepreneurs du secteur des BTP. Une analyse du fichier d'épargnants et de membres
actifs de l'association a montré une forte implication de la caisse populaire TAIMAKO
dans le financement des entreprises du secteur. Sur les 100 entreprises ayant exécuté des
travaux pour NIGETIP :
- 45% ont obtenu une caution de garantie auprès de cette caisse.
- 60% y ont ouvert un compte qui vient en complément de ceux déjà ouverts
auprès des banques commerciales locales.
- 35% ont sollicité et obtenu un prêt à court terme pour le financement de leur
approvisionnement et du démarrage des travaux.
Cette caisse, prémisse de la future société de caution mutuelle, a été créée en 1993 pour
promouvoir le développement à la base. C'est une association apolitique et à but non
lucratif dont l'objectif est la mise en place d'une structure viable susceptible de gérer dans
le temps une épargne de groupe et d'entretenir une véritable solidarité entre les membres.
En effet, face à la méfiance de la population à l'égard des institutions bancaires due
notamment à la déstructuration du système financier qui a engendré la liquidation de la
BDRN (Banque de développement de la république du Niger) et de la BICI-Niger
(Banque internationale pour le commerce et l'industrie au Niger), la suspension des
activités de la C.N.E. (Caisse nationale d'épargne) et de la Banque islamique du Niger, il
y avait urgence de combler le vide institutionnel et d'améliorer ainsi les conditions de vie
des populations à faibles revenus. De ce fait, la création de la caisse populaire
TAIMAKO avait été bien accueillie tant par les particuliers que par les opérateurs
économiques qui ont beaucoup bénéficié des facilités qu'elle accordait.
A titre indicatif, de 50 membres sociétaires au départ, TAIMAKO compte 904 membres
au 31 décembre 94 alors qu'ils n'étaient que 119 un an auparavant soit une progression
moyenne de 760% en une année. Le nombre total de comptes est passé de 762 (décembre
93) à 2.269 (décembre 94).
Le succès de cette caisse, notamment par son implication totale en matière de caution
pour avance de démarrage des travaux, semble orienter les entrepreneurs interrogés vers
la nécessité de créer une structure analogue en vue d'une société de caution mutuelle.
Environ 80% des entrepreneurs proposent d'utiliser les services de la caisse TAIMAKO
alors que seuls 10% envisagent la création d'une entité distincte. Cette initiative répond à
un besoin manifesté par les membres promoteurs dans le secteur des BTP nigérien. En
effet les difficultés d'obtention de caution pour les avances sur travaux ont été identifiées
comme entrave fondamentale à la promotion des entreprises de BTP.
L'approche proposée et acceptée par les promoteurs est la prise de capital à travers un
pourcentage sur le montant des marchés obtenus et réceptionnés. On notera aussi la prise
de participation de personnes morales ou privées qui n'opèrent pas dans le secteur des
BTP. La mobilisation des ressources a permis de constituer un fonds de caution d'environ
deux cents millions de CFA et ce en une année d'exercice.
IV. - LES MÉCANISMES RÉELS DE FINANCEMENT DES ENTREPRISES DES
BTP
4.1 - Les procédures de création des entreprises
Il est opportun de rappeler brièvement ici les règles appliquées à la constitution et au
fonctionnement de la société à responsabilité limitée (SARL) qui sont régies par la loi du
7 mars 1925 et l'ordonnance n· 80-15 du 19 juin 1980 modifiant ladite loi.
Un résumé des aspects pratiques qui peuvent intéresser les entrepreneurs, permet de
mettre l'accent sur les contraintes possibles à la création de SARL :
1 - Les conditions de fond
Etre au moins deux associés.
Disposer d'un capital minimum de 2 millions de francs CFA.
Déposer en banque ou chez un notaire les apports en espèces jusqu'à constitution
définitive de la société.
2 - Les conditions de forme et de publicité
Nécessité d'un acte notarié. Formalité de publicité à accomplir.
3 - Le coût des formalités
Les honoraires du notaire.
Les émoluments qui sont fonction du montant du capital social et qui varient entre
0,1 % et 1,5 % du capital.
Les droits d'enregistrement qui varient aussi en fonction du capital.
La publication légale (500 francs CFA la ligne).
Les formalités de constitution d'une société individuelle sont beaucoup moins
contraignantes. Très schématiquement, il suffit d'adresser une demande d'inscription au
rôle des patentes à la Direction des contributions diverses en y joignant une attestation de
prise de connaissance des droits et taxes au Niger, de déposer, d'autre part, le dossier au
greffe du tribunal de 1ère instance qui se charge de délivrer le registre du commerce dans
les 48 heures et enfin de solliciter son inscription au registre du commerce de la Chambre
de Commerce et de l'Artisanat.
4.2 - Les possibilités réelles de financement
Les possibilités de financement des entreprises du secteur des BTP sont très limitées.
L'accès au crédit bancaire est extrêmement rare chez les tâcherons et le financement de
l'investissement dans ce secteur se fait généralement en dehors des circuits financiers
modernes.
Les institutions bancaires nigériennes dépendent de la BCEAO qui fixe la progression
globale de l'encours des crédits. Le paysage bancaire du Niger s'est très nettement
détérioré avec la fermeture ou les difficultés conjoncturelles des banques dont la plus
importante était la BDRN qui vient de disparaître pour laisser la place à une nouvelle
institution : la SONIBANK.
Les autres institutions de financement non bancaire sont peu actives ; le Crédit du Niger
qui finance les investissements immobiliers privés a une activité réduite et les autres
organismes de crédit ne sont pas concernés par le financement des entreprises de BTP.
Les banques locales peuvent financer les entreprises de différentes manières :
- Le crédit à court terme dont la durée est inférieure à deux ans et consiste
principalement en avances sur montant de commandes dûment approuvés par
l'administration et correspondant aux travaux déjà effectués et non encore payés.
Des découverts bancaires peuvent être accordés aux entreprises mais pour des
montants réduits.
- Le crédit à moyen terme qui s'analyse comme une possibilité de mobilisation
anticipée des amortissements à effectuer sur des immobilisations. La durée du
crédit varie de deux à cinq ans et peut même atteindre sept ans. Les garanties les
plus fréquentes sont l'aval des actionnaires, l'hypothèque, le nantissement du
fonds de commerce et du matériel.
Il existe, en outre, des concours bancaires au financement des entreprises de bâtiment et
travaux publics, titulaires d'un marché public. Quelques principes de base président à ce
financement :
- le marché à financer doit faire l'objet d'une demande ajustée sur les bases d'un
plan prévisionnel de trésorerie.
- la garantie à donner au banquier est bien sûr le nantissement du marché. Ce
nantissement peut être limité à la valeur du crédit sollicité afin de limiter les frais
d'enregistrement.
- les immobilisations doivent être financées par crédits distincts, en général à
moyen terme, avec un plan d'amortissement à l'appui.
- les découverts sont limités et utilisés de façon intermittente pour combler des
écarts de trésorerie. Leur plafond ne dépasse pas en principe 5% du chiffre
d'affaires trimestriel.
Les concours bancaires par caution sont adaptés aux entreprises des BTP. Ils prouvent la
capacité technique, la crédibilité, la solvabilité des entreprises soumissionnaires. Les
cautions généralement exigées sont les suivantes :
1. la caution de soumission ou caution provisoire, non contraignante est destinée à
prouver le sérieux de l'entreprise et de son offre lors de la soumission.
2. la caution définitive qui est la garantie de l'entreprise devenue titulaire du
marché public de sa bonne exécution. Le pourcentage qui varie de 3 % à 10% est
précisé dans le marché.
3. la caution de retenue de garantie qui remplace la caution définitive au fur et à
mesure du déroulement du marché. Elle garantit les rétentions probables
préjudiciables à la trésorerie de l'entreprise et relatives aux retenues effectuées
pour malfaçons ou retards de chantier.
4. la caution pour avances utile lorsque le marché prévoit des avances à
l'entreprise. Ces avances seront consenties contre des cautions dont la nature
variera avec celle de l'avance (avances sur matériel, approvisionnement ou de
démarrage).
Les crédits bancaires adaptés aux entreprises de BTP permettent soit le démarrage des
travaux, soit l'accompagnement financier de ceux-ci: le crédit de démarrage intervient
lorsque le marché ne prévoit pas une avance. L'entrepreneur devra recourir au crédit pour
couvrir les frais de mise en place du chantier. C'est un crédit à blanc qui permet à
l'entrepreneur de garantir le démarrage à temps des travaux.
Quant aux crédits d'accompagnement financiers, ils n'existent pas encore au Niger, dans
la mesure où les banques tiennent à minimiser les risques.
4.3 - L'utilisation des possibilités de financement par les entrepreneurs
Les résultats de l'enquête sont donnés par le tableau synoptique :
Tableau n·4 : Structure de l'utilisation des services financiers
Libellé
Banque Taimako Informel Personnel
Caution de soumission
80% 10%
5%
5%
Caution de retenue de garantie 60% 40%
0%
0%
Caution fin de garantie
55% 45%
0%
0%
Crédit démarrage
5%
75%
10%
10%
Ces résultats appellent les remarques suivantes :
- le système bancaire moderne, malgré ses insuffisances et les critiques émises,
continue à représenter l'essentiel des sources de cautionnement lors du démarrage
des travaux;
- il ne constitue cependant pas le recours essentiel lorsqu'il s'agit de financer le
crédit de démarrage notamment pour les tâcherons qui lui préfèrent la caisse
populaire;
- seules les entreprises moyennes sont en mesure de solliciter et d'obtenir auprès
des banques commerciales le crédit de démarrage;
- le recours à l'épargne personnelle est assez rare; celle-ci sert généralement aux
dépenses de démarrage des travaux.
4.4 - Le financement des approvisionnements
L'approvisionnement des entreprises des BTP est étroitement lié à la proximité du
Nigeria qui en fournit une grande part (plus de 47 %). Il subit de ce fait les fluctuations
engendrées par l'évolution du taux de change naira/franc CFA. Ceci entraîne des
variations de prix et des ruptures de stocks des matériaux de construction que les
entrepreneurs ont du mal à maîtriser.
L'étroitesse du marché et l'absence corrélative de grandes compagnies de négoce
international contribuent à accentuer le phénomène d'autant plus que les
approvisionnements parallèles et souvent illégaux ont mis en difficulté les grandes
sociétés commerciales (CFAO, Peyrissac...).
La conséquence immédiate est le développement d'un marché informel de matériaux de
construction (marché de Katako) dont la principale source d'approvisionnement est le
Nigeria. Des commerçants d'intrants (ciments, fer, planches...) tirent profit de cette filière
pour proposer sur le marché local des produits dont la moindre qualité est compensée par
des prix bien inférieurs à ceux des produits manufacturés importés à partir d'autres voies.
La perméabilité de la frontière qui sépare le Niger du Nigeria et le faible taux de la naira
accélère la fraude. Les opérateurs économiques nigériens aidés en cela par leurs
fournisseurs nigérians y tirent de substantiels profits.
L'évolution de la naira au marché noir est donc une variable décisive dans le
développement des activités informelles des BTP car elle détermine l'importance des flux
de matériaux de construction entre les deux pays. Ainsi en 1987, le flux de matériaux de
construction s'est effondré suite à la politique de flottement de la naira adoptée par les
nouvelles autorités de ce pays; il en fut de même lors de la fermeture temporaire de la
frontière en 1985-1986.
Une étude récente menée auprès de l'administration douanière montre que les
importations de matériaux de construction entrant dans le cadre des activités des travaux
d'infrastructures proviennent essentiellement du Nigeria avec lequel le pays partage une
frontière commune de plus de 1.600 km. L'approvisionnement des chantiers est fortement
corrélé à l'économie de ce grand voisin. Les opérateurs nigériens bénéficient d'un taux de
change très avantageux sur le marché parallèle et toute activité manufacturière (y compris
de matériaux de construction) au Niger demeure concurrencée par les importations du
Nigeria (régulières ou non), d'abord parce certains facteurs de production y sont moins
chers, mais aussi parce qu'au Nigeria, grâce à l'immense marché intérieur, les
perspectives d'économie d'échelle permettent une plus grande capitalisation de l'industrie,
et en conséquence, une baisse structurelle des coûts de production.

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