Détention de sûreté : l`Allemagne à nouveau
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Détention de sûreté : l`Allemagne à nouveau
Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) Détention de sûreté : l’Allemagne à nouveau condamnée … en attendant la France le 9 décembre 2011 EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Pénal PÉNAL | Peine et exécution des peines La Cour de Strasbourg constate la violation du droit à la sûreté et du principe de légalité pénale, en Allemagne. CEDH, 5e sect., 24 nov. 2011, Schönbrod c. Allemagne, n° 48038/06 (en anglais) CEDH, 5e sect., 24 nov. 2011, O. H. c. Allemagne, n° 4646/08 (en anglais) Les échos du « coup de tonnerre » (C. Saas, Avis d’orage sur l’internement à durée illimitée des délinquants, AJ pénal 2011. 462 ) qu’a constitué l’arrêt M. c. Allemagne (CEDH 17 déc. 2009, n° 19359/04, D. 2010. Jur. 737, note J. Pradel ; AJ pénal 2010. 129, étude J. Leblois-Happe ; RSC 2010. 228, obs. D. Roets ; ibid. 236, obs. D. Roets ; JDI 2010. 981, note O. Bachelet) ne cessent de résonner outre-Rhin, comme l’attestent les arrêts commentés. Dans l’affaire Schönbrod c. Allemagne, le requérant avait fait l’objet, en 1978, d’une ordonnance de placement en détention de sûreté. À l’issue de sa peine, en juin 2005, il fut donc maintenu privé de liberté sans que, pour autant, le tribunal compétent ait encore décidé si l’ordonnance de 1978 devait être exécutée. Ce n’est qu’en mars 2006 que ce tribunal ordonna l’exécution de la détention de sûreté au motif que, malgré son âge avancé, le requérant risquait de commettre de nouvelles infractions graves s’il était libéré. Finalement, en mars 2008, l’intéressé fut libéré. Bien qu’elle relève que le requérant a fait l’objet d’une détention « après condamnation » dont la durée n’a pas excédé celle permise à la date de l’infraction commise par lui et de sa condamnation, la Cour de Strasbourg constate une violation de l’article 5, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ce faire, elle souligne que, pendant plus de neuf mois après avoir purgé la totalité de sa peine privative de liberté, l’intéressé a été placé en détention de sûreté alors que le juge légalement compétent ne s’était pas encore prononcé sur la nécessité d’un tel placement. Insistant sur le fait que ce retard dans l’intervention du tribunal ne peut être imputé au requérant, la Cour européenne des droits de l’homme conclut au caractère arbitraire de ces neuf mois de détention de sûreté. Pour ce qui concerne la France, un tel constat de violation ne semble pas pouvoir être encouru dès lors que l’examen de la situation du condamné en vue d’une éventuelle rétention de sûreté doit intervenir « au moins un an avant la date prévue pour [sa] libération » (C. pr. pén., art. 706-53-14, al. 1er). Dans l’affaire O. H. c. Allemagne, bien que souffrant d’un trouble de la personnalité, le requérant fut déclaré pénalement responsable de deux chefs de tentative de meurtre, les experts psychiatres et neurologues consultés par le tribunal ayant considéré que ce trouble n’était pas suffisamment grave pour être qualifié de pathologique. Après avoir purgé l’intégralité de sa peine, l’intéressé fut placé en détention de sûreté dans deux établissements psychiatriques différents. Néanmoins, quelques années plus tard, le tribunal compétent décida que la détention de sûreté devrait s’effectuer dans un établissement pénitentiaire en raison du fait, notamment, que le requérant avait refusé toutes les thérapies proposées. Par la suite, faisant application d’une loi de 1998 à portée rétroactive, le tribunal ordonna le maintien de l’intéressé en détention de sûreté alors que cette mesure avait déjà duré dix années et qu’au moment des faits et de la condamnation initiale elle ne pouvait excéder une telle durée. Reprenant la solution déjà dégagée dans l’arrêt M. c. Allemagne (préc.) et dans plusieurs arrêts subséquents (V. not. CEDH 13 janv. 2011, Kallweit c. Allemagne, n° 17792/07 ; 13 janv. 2011, Mautes c. Allemagne, n° 20008/07 ; 13 janv. 2011, Schummer c. Allemagne [n° 1], nos 27360/04 et 42225/07, D. 2011. 379, obs. O. Bachelet ), la Cour européenne considère que la prolongation de la Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017 Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) détention de sûreté du requérant doit s’analyser comme l’application rétroactive d’une peine supplémentaire contraire au principe de légalité pénale et constate donc une violation de l’article 7, § 1er, de la Convention. Bien que cette solution soit sans surprise, le raisonnement suivi par la Cour diffère légèrement des précédents arrêts. En effet, en réponse à l’argumentation du gouvernement allemand, la Cour admet que le requérant a bénéficié de certains aménagements dans son régime de détention, en raison du trouble de la personnalité dont il souffre. Pour autant, selon elle, de telles « petites différences dans le régime de détention par rapport à un prisonnier ordinaire purgeant sa peine […] ne peuvent […] occulter le fait qu’il n’y avait pas de différence substantielle entre l’exécution d’une peine d’emprisonnement et la détention de sûreté du requérant ». A contrario, une telle affirmation pourrait signifier qu’en cas de différences majeures entre les régimes de détention, des dispositions nouvelles plus sévères relatives à la détention de sûreté pourraient s’appliquer de manière rétroactive… Par ailleurs, à propos du droit à la sûreté, la Cour estime que le maintien en détention du requérant ne se justifiait sur le fondement d’aucun des alinéas de l’article 5, § 1er, de la Convention. Ainsi, au regard de l’alinéa a) – relatif à la détention « après condamnation » –, les juges européens affirment, comme dans l’arrêt M. c. Allemagne (préc.), qu’il n’existe pas de lien de causalité suffisant entre la prolongation de la privation de liberté du requérant au-delà de dix ans et sa condamnation par les juridictions allemandes dès lors que, au moment de son prononcé, cette condamnation ne pouvait avoir pour conséquence de maintenir l’intéressé en détention de sûreté pendant plus de dix années. En outre, au regard de l’alinéa e) – relatif à la détention d’« aliénés » –, la Cour note que le requérant a été et est toujours incarcéré dans un établissement pénitentiaire. Or, en vertu de la jurisprudence de la Cour, l’internement pour raisons de santé mentale n’est régulier que s’il a lieu dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement adéquat. Par conséquent, elle refuse de considérer qu’un tel motif de privation de liberté puisse être retenu en l’espèce. Enfin, en réponse à l’argument du gouvernement allemand selon lequel le maintien du requérant en détention de sûreté était et est toujours justifié par le risque qu’il commette des infractions graves, la Cour rappelle que la Convention ne permet pas à un État de protéger les victimes potentielles de faits délictueux par des mesures qui, en elles-mêmes, violent les droits conventionnels (V. CEDH 14 avr. 2011, Jendrowiak c. Allemagne, n° 30060/04, Dalloz actualité, 28 avr. 2011, obs. O. Bachelet ). Pour finir, la Cour se félicite à nouveau que la Cour constitutionnelle fédérale allemande, dans un arrêt du 4 mai 2011, ait jugé que l’ensemble des dispositions sur le fondement desquelles des détentions de sûreté avaient été prolongées rétroactivement étaient incompatibles avec la Loi fondamentale (V. CEDH, 9 juin 2011, Schmitz c. Allemagne, n° 30493/04 ; 9 juin 2011, Mork c. Allemagne, nos 31047/04 et 43386/08, Dalloz actualité 22 juin 2011, obs. O. Bachelet ). En particulier, les juges européens soulignent qu’à la suite de cet arrêt les juridictions allemandes ont désormais l’obligation de réexaminer la détention des personnes dont la détention de sûreté a été prolongée rétroactivement, en vérifiant qu’elles risquent bien de commettre les crimes les plus graves et qu’elles souffrent de troubles mentaux. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, les personnes concernées devront être libérées, au plus tard, le 31 décembre 2011. Par conséquent, la Cour européenne estime que, par cet arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale a proposé une solution adéquate pour mettre fin aux violations continues de la Convention. Malgré tout, la Cour ne manque pas de souligner que le nouvel examen judiciaire ordonné par le juge constitutionnel allemand ne concerne que la question du maintien en détention de sûreté et ne vise pas la détention passée. Incidemment, elle évoque donc un nouveau risque de constat de violation de la Convention tenant à la méconnaissance de l’article 5, § 5, aux termes duquel « toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation ». Sachant que les textes français relatifs à l’indemnisation d’une détention (C. pr. pén., art. 149 s.) n’envisagent pas l’hypothèse de la rétention de sûreté (V. C. Saas, op. cit.), cette mise en garde voilée semble également concerner la France. L’orage allemand sera-t-il suivi d’une tempête française ? Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017 Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) Site de la Cour européenne des droits de l’homme par O. Bachelet Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017