ARTS, ETATS, POUVOIR : Liberté, Paul Eluard

ARTS, ETATS, POUVOIR : Liberté, Paul Eluard
INTRODUCTION
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• contexte littéraire :
Le mouvement surréaliste naît dans les années 1920, et entend toucher tous les arts, de la littérature (Breton/
Desnos/ Aragon/ Eluard), à la peinture (Picabia, Ernst, Miro, Magritte), la sculpture (Arp), ou encore le cinéma
(Buñuel/ Cocteau). Les surréalistes entendent se détacher de toutes les conventions, de tout contrôle de la
raison, de toute préoccupation esthétique et morale. Mais l’oppression des nazis crée un équilibre fragile sur la
poésie surréaliste et l’engagement, et dans les années 30, le groupe se déchire : Eluard (avec Aragon) devenus
communistes, optent pour une poésie engagée.
PAUL ELUARD (1895-1952) De son vrai nom Eugène Grindel, infirmier pendant la Première Guerre
mondiale, il publie ses premiers poèmes en hommage aux «poilus» avant de participer aux mouvements
poétiques d'avant-garde (dada, surréalisme) dans les années 20, aux côtés d'André Breton. Sa poésie est
marquée par un renouveau du lyrisme amoureux. Sous l'Occupation, il vit à Paris, où il publie d'abord
légalement des recueils de poésie à tirage restreint. Ses activités clandestines commencent en 1942 : il se
rapproche du Parti communiste (d'où il avait été exclu avant-guerre) et organise le Comité national des
Écrivains de zone occupée. À partir de 1943, il publie sous le couvert de divers pseudonymes (comme Jean Du
Haut) dans des revues clandestines. II coordonne et présente l'anthologie L'Honneur des poètes (1943).
Contraint à la clandestinité totale à partir d'octobre 1943, il se cache en Lozère, puis à Paris jusqu'à la libération
de la capitale.
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contexte historique
En 1942, la France est occupée, et le régime de Vichy collabore avec les nazis.La résistance naît dans ce
contexte, avec l’appel du Général de Gaulle le 18 juin 1940 lancé sur les ondes de la BBC de Londres pour exhorter
ceux qui le pouvaient à le rejoindre en Angleterre, et regroupe des hommes et des femmes qui refusent l’occupation
du pays par l’ennemi.
Mais pour les premiers résistants, isolés dans une population écrasée par la défaite, le premier combat passa par
les mots : papillons, tracts, feuilles clandestines appellent au réveil patriotique en dépit des dangers encourus pour
quiconque est arrêté en possession d'un de ces papiers interdits. Des poèmes sont appris par cœur, recopiés et
diffusés sous le manteau. D'autres, destinés à la publication légale, sont chargés de double sens par des poètes
pratiquant ce que l'on a appelé une «poésie de contrebande». Pendant les quatre années de l'Occupation, c'est tout
un peuple de l'ombre qui trouve ainsi sa voix dans une parole poétique retournant à ses sources populaires (exemple
de Chanson d’Automne de Verlaine)
• Situation du poème :
Paul Éluard a d'abord fait paraître son poème sous le titre «Une seule pensée», avant de l'intégrer, en avril 1942, au
recueil Poésie et Vérité, publié semi-clandestinement. Le poème fait l'ouverture du recueil et s'intitule désormais
«Liberté». C’est un appel à la Résistance.
Le poème est composé de 20 strophes, construites sur un même modèle formé de quatrains de 3 heptasyllabes,
suivis d’un tétrasyllabe.
Contenu
1) Poésie et Histoire
• De l’histoire du poète à l’Histoire
A une première lecture, sans connaître tout le contexte du poème on pourrait penser que ce texte se rapproche de la
poésie amoureuse ; en effet on a ici une immense déclaration d'amour à la vie en dépit de quelques images de
découragement qui viennent ternir parfois l'élan enthousiaste. Si tous les moments de la vie d’un homme ne sont pas
cités, les plus importants le sont. (L’enfance, la fraternité sont des thèmes abordés), et le poème revêt une dimension
symbolique en ce qu’il touche chaque homme, chaque français qui voit sa destinée individuelle tributaire d’une
destinée collective.
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Un symbole de la résistance
Le poème connaîtra un destin hors du commun, puisqu'il sera parachuté par la RAF (Royal Air Force, l'aviation
anglaise en 1942 sur le sol français) dans des containers destinés à la Résistance intérieure.
2) Un poème « engagé »
• une poésie incantatoire
* le ton : son poème s'adresse à tous les lecteurs qui s’opposent au régime de Vichy et exhorte à la révolte et
formule un appel (d'où les nombreuses modalités injonctives des textes), d'où ce souffle fraternel et ce sentiment de
connivence qui traversent souvent les poèmes de Résistance. D'où aussi ce ton de confidence et l'efficacité
consolatrice de ces textes qui bercent la souffrance née de la tourmente de la guerre.
* Les anaphores :
- la structure du poème : 20 strophes construites sur le même canevas + Anaphore de la préposition "sur", répétée
3 fois par strophe et suivie de compléments circonstanciels de lieu+ Dernier vers de la strophe : "J'écris ton nom"
-> Eluard cherche à ce que son texte soit facilement mémorisé pour être retransmis oralement d'une part et
d'autre part pour être complété par les lecteurs partisans.
- la prédominance du je : Anaphore du "je" en début de vers v.82-83, avec un effet de redondance sur "pour" v.83ème
84 + La 20
strophe aussi a un côté oratoire assez fort grâce à des procédés d'amplification ainsi que la
conjonction "et" met en valeur cette strophe
-> Clôture très simple du texte sur le mot clef qui apparaît comme une évidence absolue d'autant plus qu'il est
mis en valeur par son détachement.
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écrire la « Liberté
* De nombreux supports lexicaux -> volonté de couvrir tous les domaines d'une vie :
- Enfance : "cahiers d'écolier" v. 1, "pupitre" v. 2, "pages" v. 5
- Pouvoir : "armes des guerriers" v. 10, "couronne des rois" v. 11
- Nature : "champs" v. 25, "oiseaux" v. 26, "mer" v. 30
- Espace privé : "lampe" v. 45, "maison" v. 48, "chambre" v. 50, "chien" v. 53
- Etat d'esprit du poète : "absence sans désir" v. 73, "solitude nue" v. 74, "espoir sans souvenir" v. 79
* Evocations fréquentes d'un fait et de son contraire -> Volonté d'englober la totalité de l'univers :
- V. 5-6 : "pages lues"/ "pages blanches"
- V. 22-23 : "soleil moisi"/ "lune vivante"
- V. 17-18 : "nuits"/ "journées"
3) La dimension musicale du poème
• Musicalité du poème
Parce que ce texte était destiné aux Résistants, Eluard retrouve la tradition de la poésie orale qui doit frapper les
esprits par sa ligne mélodique. Pour cela, on notera :
* le rythme : étroitement lié à l'anaphore puisqu'il fonctionne à chaque fois avec le même effet d'insistance. Chaque
quatrain est formé de :3 heptasyllabes + 1 tétrasyllabe martelé par des mots brefs.
->ouverture sur le monde
->toujours relié à une idée fixe, obsédante
* les sonorités :
- quasi absence de rimes traditionnelles
- L'effet rime était en début de vers avec l'anaphore "Sur" -> Certains vers riment parfaitement sauf à la rime. Ex : v.56 et v.45-46.
- Eluard préfère le phénomène assonances / allitérations à la rime : c'est beaucoup plus fluide et moins contraignant.
Ex : Strophe 7, v.25-28, allitération en [ch] et en [z] et assonance en [on] et en [an]. Cela contribue largement à
donner au texte un aspect mélodique en dépit de l'absence de rimes traditionnelles.
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Une source d’inspiration musicale
- le poème a eu des interactions avec des œuvres musicales (Poulenc 1943), Figure humaine, 8. i
http://www.youtube.com/watch?v=Ij03EZ1SHWE
4)
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La dimension picturale
des éléments abstraits aux éléments concrets
La volonté qui est revendiquée, c'est d'écrire le mot "liberté" sur tous les supports possibles dans le monde et de faire
de cet univers une sorte d'immense graffiti :
- Concret : "cahiers" v. 1, "pupitres" v. 2, "pages" v. 5-6, "images" v. 9, "sable" v. 3, "vitre" v. 65…
- Multiplication des supports imaginaires : ce sont ces supports qui donnent au texte sa valeur symbolique la plus
importante grâce aux métaphores
- V. 18 : sérénité des jours de paix qui est évoquée. Associée au plaisir simple du pain par opposition aux jours
de l'occupation pendant lesquels les Résistants mangeaient leur pain noir
- V. 22 : image corrompue par la barbarie
- V. 27 et 29 : "moulin", "ombre" à idée de la ronde des heures, la nuit qui revient trop souvent et "bouffée
d'aurore" = soupirs d'espérance à chaque fois renouvelés
->On assiste donc à une multiplication infinie des supports proposés pour écrire le mot "liberté" et ceci est révélateur
de la tonalité d'ensemble du texte qui se veut dans les heures sombres de 1942 : un hymne à la vie, à la plénitude de
tous les instants d'une vie d'homme.
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Le pouvoir évocateur des mots et la peinture
Cf Lurçat ou Léger illustration pleine de lettres, comme une mise en pratique immédiate.
http://musees.angers.fr/fileadmin/plugin/tx_animuse/job_1141637-FicheLiberteLurcatWeb.pdf
Conclusion
La question du rôle du poète est une question qui de tout temps se posa. Le poème Liberté à travers sa portée
symbolique, son rôle dans l’histoire, mais aussi comme source d’inspiration pour nombre d’artistes, est révélateur de
l’engagement et du rôle de l’Art par rapport au pouvoir.
Dans cette période trouble que connut la France, nombre d’artistes se sont engagés, comme René Char qui prit les
armes, René Guy Cadou, qui témoigna des atrocités de la guerre, ou Robert Desnos qui entra dans la résistance et
mourut du typhus à Auschwitz.
Vocabulaire :
Résistance/ communisme/ occupation/ régime de Vichy
Versification/ surréalisme/ tétrasyllabes / heptasyllabes/ assonances/ incantatoire