Faut-il en finir avec les princesses - Clarence Edgard-Rosa
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Faut-il en finir avec les princesses - Clarence Edgard-Rosa
Psycho www.cote-momes.com Dossier Des diadèmes et du caractère Faut-il en finir avec les princesses ? « Un jour, mon prince viendra... », tel est le leitmotiv des histoires de princesses. S’ensuivent des épopées diverses, toujours conclues par le fameux « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » ! Belles, douces, fragiles et indécrottables romantiques, les princesses sont-elles de bons modèles pour les petites-filles d’aujourd’hui ? Clarence Edgard-Rosa Avec « Oh my princess ! », Emmanuelle Beaufort organise des réceptions royales en robes luxueuses pour réveiller la princesse qui sommeille en chaque petite-fille. Sois belle et tais-toi ? ça se discute… Oh my Princess ! « s’appuie sur la magie des robes pour expliquer aux petites filles qu’elles possèdent aussi une beauté et une force intérieure qui peuvent être explorées. » Habiller les petites filles en robes de soie à la Marie-Antoinette, leur apprendre à sourire comme des dames et à faire la révérence, les aiderait à prendre conscience de leur force ? C’est intrigué par cette contradiction que nous avons rencontré Emmanuelle Beaufort, qui est derrière cette initiative surprenante. Maman de deux petits garçons de 2 et 4 ans, Emmanuelle Beaufort est aussi la belle-mère de deux filles de 10 et 13 ans. Pour elle, la figure de la princesse n’est pas à diaboliser. « Pour moi, la princesse, c’est la représentation de la petite-fille idéale. Et dans mon esprit, la petite-fille idéale, c’est celle qui a confiance en elle et qui est à l’aise dans ses baskets. » Comment se passe une réception de princesse ? « Je leur explique que je suis une révélatrice de princesse, et que je vais réveiller celles qui sommeillent en elles », explique Emmanuelle Beaufort. « Je leur montre que ce n’est pas la robe de princesse qui les rend heureuses : la force, elles l’ont en elles. Il faut la mettre dans un bocal invisible qu’on peut ressortir quand ça ne va pas fort. » Un but : l’empowerment. Indéniablement, le mythe de la princesse est sexiste : une princesse se tait, reste douce et féminine en toute circonstance, et attend le prince charmant passivement… Mais c'est un tout autre style de princesse auquel s'intéresse Emmanuelle Beaufort dans ces goûters d'anniversaire d'un genre nouveau. « Le but n’est pas de les déguiser et les faire sourire niaisement !, poursuit-elle. J’ai d’ailleurs connu plusieurs exemples de petites filles pas franchement attirées par les choses féminines, qui, une fois dans les robes, étaient ravies ! » élevée par une mère féministe, Emmanuelle Beaufort clame que cet héritage fait partie de sa démarche. Elle revendique un féminisme « lipstick », cette nouvelle vague de féministes qui arborent la féminité comme une arme. « Je n’avais pas droit aux Barbie quand j’étais petite », confie-t-elle. Doit-on y voir la raison de son obsession pour les princesses ? En tous cas, Cendrillon aurait certainement rêvé qu'elle lui organise une réception. Princesse des temps modernes D’abord comédien puis producteur audiovisuel, Gaël Aymon s’est lancé en 2010 dans la littérature jeunesse, avec La princesse RosePraline, un album publié aux éditions antisexistes Talents hauts, qui réinvente les contes classiques à travers l’histoire d’une princesse tout sauf cucul la praline. Un an plus tard, il remet le couvert, toujours chez Talents hauts, avec Contes d’un autre genre, une ode à l’individualité très réussie dans laquelle princes et princesses affirment leur caractère au-delà de ce que l’on attend d’eux. Le combat de ce papa de deux petites filles de 2 et 4 ans : promouvoir d’autres modèles féminins que celui de la princesse nunuche. 60 Un passionné de contes Pourquoi Gaël Aymon s’intéresse-t-il tant aux contes ? « Ils parlent de manière très simple de sujets graves, en les projetant dans des univers imaginaires, raconte-t-il. Les contes font appel à des archétypes très forts qui sont bien ancrés dans l’inconscient collectif pour les détourner. Aujourd’hui, Disney s’est accaparé les contes, a fait oublier ce qui existait avant et a pris toute la place dans l’imaginaire des enfants et des adultes. Et sous des aspects très innocents, c’est à mon avis employé pour formater les pensées, de la même manière que les contes traditionnels à leur époque. » Avec Contes d’un autre genre et La princesse Rose-Praline, cet auteur propose de réinventer complètement l’exercice du conte. « Je n’ai pas une passion pour les princesses, mais c’est vrai qu’elles sont omniprésentes dans l’univers des petites-filles, poursuit-il. En gros, elles symbolisent la femme parfaite, l’exemple à suivre. Elles sont belles, elles se regardent, elles sont passives, elles n’ont aucun but dans la vie à part trouver ou garder leur prince. Sauf pour Blanche-Neige qui doit aussi faire la boniche, et pour la Princesse au petit pois, qui doit à tout prix être fragile ! Je trouve assez grave de transmettre de tels modèles. » Pour lui, le danger n’est pas tant dans ce stéréotype que dans le fait qu’il n’y a pas de contre-exemple proposé aux petites filles. Est-ce qu’il aimerait effacer les contes traditionnels d’un coup de balai ? Pas du tout. Mais Gaël Aymon s’interroge surtout sur le fait qu’il n’y a aucun autre modèle. La terrible histoire de la Belle au bois dormant « Perrault, quand il a écrit la Belle au bois dormant, a lui même actualisé une version antérieure, à savoir une belle endormie qui se faisait violer et engrosser par le prince pendant son sommeil, et qui était réveillée, non par un baiser, mais par ses deux nourrissons qui cherchaient son sein. Le prince, charmé par la scène, virait sa première femme et emmenait la belle dans son château. La princesse n’avait pas son mot à dire sur le fait qu’elle avait enfanté pendant son sommeil d’un inconnu parfait. Perrault, déjà à son époque, trouvait que ça posait problème, et c’est pour cela qu’il a réécrit l’histoire que l’on connaît aujourd’hui, pour l’adapter aux mœurs de son époque. C’est pour ça que quand je suis attaqué pour mes Contes d’un autre genre, par des personnes qui veulent protéger les contes traditionnels, je leur dis qu’il y a toujours eu une adaptation aux mœurs de l’époque. Pourquoi, en 2012, s’acharne-t-on à conserver les mêmes modèles ? » Beaucoup rétorqueraient qu’aujourd’hui, les princesses des dessins animés sont tout de même moins nunuches que celles de la décennie dernière. « Quand on me dit que maintenant, les princesses Disney sont libérées, comme Raiponce qui est bagarreuse et qui assomme le prince avec une poêle à frire, je me dis quand même qu’elle n’est toujours pas capable de sortir de sa tour toute seule. Je ne dis pas que les princesses doivent être célibataires ! Mais il faut faire attention, parce qu’on donne le sentiment aux filles qu’elles ne peuvent être qu’aidées par un homme. » 61 Psycho www.cote-momes.com Dossier / Faut-il en finir avec les princesses ? Dis papa, comment on trouve un mari ? Ma fille de quatre ans, sa préoccupation en ce moment, c’est « Comment on trouve un mari ? ». Elle me dit : « Comment il faut faire ? Il faut que j’aille demander ? » On fait comprendre dès le plus jeune âge aux filles qu’il faut qu’elles trouvent un homme. Le problème, c’est qu’on ne fait pas du tout passer ce message-là aux garçons, au contraire, on leur dit qu’il faut qu’ils soient forts pour s’en sortir tout seuls. La figure du prince est très importante pour les filles, mais aucun garçon ne s’identifie au prince charmant. Il y un décalage complet dans les attentes des garçons et des filles, et donc dans celles des hommes et des femmes. Peut-être que si les attentes étaient moins clivées, les garçons et les filles se rencontreraient quelque part. Pour moi, ce n’est pas la peine d’imposer ces stéréotypes, ni d’en imposer des nouveaux non-sexistes. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait un choix, pour que les enfants soient libres de choisir ce qui les intéresse. à la fin du livre La princesse Rose-Praline, la fée fait plusieurs propositions à la princesse. Elle peut se marier avec le prince Bêta, un jeune homme couronné, mais pas très malin, ou choisir d’autres destins. « Qu’est ce que tu aurais choisi ?, demande l’auteur. Quand je rencontre des classes, je leur pose la même question, et chacun choisit quelque chose de différent. Mais je remarque qu’il y a vraiment beaucoup de filles qui choisissent le prince Bêta. Mon rôle à moi, ce n’est pas de leur donner une bonne ou une mauvaise réponse. S’il y a des filles qui choisissent d’aller faire le ménage chez le prince Bêta, c’est quand même un succès parce qu’elles ont choisi ce qu’elles préféraient. Je ne suis pas là pour les formater ! Beaucoup d’enfants me disent "Mais alors, qu’est-ce qu’elle a choisi la princesse ?" Je leur dis que je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle a prit une décision de son propre chef. » L’avis de Geneviève Djenati, psychologue Geneviève Djénati est psychologue-clinicienne. Maman de deux grands enfants, elle est l’auteure de Le prince charmant et le héros (2004) et Psychanalyse des dessins animés (2001), aux éditions L’Archipel. Interview. Côté-mômes : Entre les contes de fées et l’univers des dessins animés, les princesses font rêver les petites-filles. Leur côté passif et superficiel est-il néfaste aux petites-filles qui s’y identifient ? Geneviève Djenati : Les princesses font rêver les petites-filles parce qu’elles correspondent à l’incarnation de leurs rêves. Si elles sont passives et superficielles, c’est parce qu’elles viennent de l’univers enfantin et que la représentation du monde « des grands » y est naïve. C’est une transposition du monde infantile dans le monde adulte, ce qui peut naturellement paraître puéril aux adultes. En aucun cas, cela ne peut être dangereux. C’est comme si on disait que les rêves que nous faisons la nuit sont dangereux. L’hypersexualisation des héroïnes parfois proposées aux jeunes enfants est, elle, beaucoup plus problématique. 62 Peut-on vraiment résister aux princesses ? A cette question, ce jeune papa très attentif aux stéréotypes est catégorique. « Non, c’est impossible ! Je ne cherche même pas à le faire. Je trouverais très grave d’éduquer mon enfant dans l’ignorance de ce à quoi tous les autres enfants sont confrontés. Ma fille aînée est fan de la Belle au bois dormant de Disney. C’est son modèle, elle chante « je l’ai vu au beau milieu d’un rêve » toute la journée. C’est pas grave, parce qu’elle sait que d’autres modèles existent. » temps : la différence des sexes dans les comportements est moins marquée que par le passé et les filles peuvent accéder à des activités qui il n’y a pas si longtemps étaient cataloguées « pour les garçons ». Toutefois, la dimension affective persiste dans la relation prince princesse avec la permanence de la fin heureuse et du mariage comme représentation du début de la vie « comme les parents », de faire couple et enfants. C’est ainsi que la vie se poursuit. Le schéma en soi donne envie de grandir pour y accéder, et ça c’est positif. C.M : Porter de jolies robes et aller au bal… Le manque d’ambition des princesses ne déteint-il pas sur les petites-filles ? G.D : Porter des belles robes et aller au bal est quand même plus source de plaisir que de rester au coin du feu en haillons, non ? Entre la figure dépressive de Cendrillon empêchée de sortir et celle qui va danser avec le prince, il y a l’intervention de la fée sa marraine, qui remplace avantageusement la marâtre ! La princesse Rose-Praline, écrit par Gaël Aymon, illustré par Julien Castanié, Editions Talents Hauts (2010), 11,50 €. Contes d’un autre genre, écrit par Gaël Aymon, illustré par François Bourgeon, Sylvie Serpix et Peggy Nille, éditions Talents hauts (2011), 15 €. C.M : Il y a, au-delà des contes de fées, un grand retour dans les magasins de jouets, au rose bonbon et au girly à outrance. Ce phénomène est-il inquiétant selon vous ? G.D : Depuis Barbie, le rose signifie fille qui veut être vue. D’autres marques ont bien sûr exploité le filon : ce qui se voit se vend. C’est essentiellement une démarche commerciale, et peu importe ce que l’on vend. Je trouve cela regrettable d’autant plus qu’esthétiquement les produits laissent souvent à désirer et qu’ils conditionnent la petite-fille à acheter plus tard, sans vraiment choisir, ce qui est ciblé pour elle. C’est un conditionnement qui joue sur le fait que ce sont les femmes qui achètent impulsivement et je trouve cela désolant. Il est important que les parents en parlent avec leurs enfants. C.M : Au-delà du cliché sexiste, les princesses peuvent-elles être de bons modèles ? G.D : Les princesses influencent les fillettes dans le sens qu’elles imaginent que c’est la beauté et la bonté qui sont les atouts majeurs de la réalisation de leur rêve. Cependant, on voit de plus en plus de princesses qui prennent leur vie en main (la Princesse et la Grenouille, la nouvelle version de Blanche-Neige). Signe des C.M : Dans le conte, sa valeur symbolique est très importante, la fée permet de passer de l’impossible au possible. N’est-ce pas le meilleur antidépresseur en attendant la maturité ? G.D : Oui, effectivement. Mais quel fossé entre les ambitions d’une princesse et celles qu’on peut avoir quand on est une petite-fille en 2012 ! Il y a quand même d’autres choses qui peuvent faire rêver une petite-fille, à notre époque, que la beauté physique et la recherche du prince charmant, non ? Dans le présent, effectivement, les petites-filles s’intéressent aussi à autre chose qu’aux princesses et aux princes, mais il faut bien qu’elles trouvent des réponses à leur questionnement sur le couple, quand le sujet les préoccupe. Les histoires de jolies princesses et de princes sont la réponse satisfaisante que les petites-filles se donnent à ce moment-là. Elles ne vivent pas les choses, elles les imaginent en fonction de ce qu’elles peuvent comprendre. Pas d’inquiétude, elles rêvent aussi qu’elles seront de super instit’ ou pilotes ; l’un n’empêche pas l’autre. Le principal c’est que cet inaccessible actuel soit possible plus tard, même si ce projet est abandonné par la suite (ce qu’elles ne savent pas encore d’ailleurs). Est-ce que quand on croit au père Noël, on sait qu’on trouvera cela « bébé » plus tard ? C.M : Doit-on s’inquiéter de voir sa petite-fille obsédée par l’univers des princesses ? G.D : Si la petite fille n’a pas d’autre centre d’intérêt et est monomaniaque des princesses, effectivement, on peut s’inquiéter comme de tout intérêt unique. Il peut y avoir une phase un peu excessive, mais si votre fille ne s’intéresse qu’aux princesses, veut qu’on lui parle comme à une princesse et se vit comme une princesses dans tous ses faits et gestes sans que vous puissiez l’en sortir pendant une longue période, c’est qu’elle confond les registres ou se réfugie dans un monde plus satisfaisant que sa vie réelle. Il faut être attentif dans ce cas et consulter si cela devient envahissant et coupe la communication avec elle. C.M : Un parent peut avoir peur que sa petite fille s’imagine qu’une femme ne peut réussir que grâce à sa beauté… Bannir les princesses, ce serait une erreur ? G.D : C’est une erreur de bannir les princesses comme de laisser croire qu’on ne réussit que grâce à sa beauté. Ce sont les vraies valeurs (conscientes et inconscientes) et le sens donné aux bonnes comme aux mauvaises expériences de la vie par les parents qui vont construire la personnalité de l’enfant et ses représentations de la réussite. En aucun cas, les héros fictifs ne viennent se substituer aux parents. Ils ne sont choisis par l’enfant qu’en fonction des valeurs auxquelles il adhère déjà, sans le savoir, et qu’ils mettent en œuvre dans leur vie. La princesse figure la réalisation d’un désir, non un modèle imposé de l’extérieur comme on pourrait le croire. Comment lui faire un rappel à la réalité, en douceur... • Si elle ne jure que par « Un jour, mon prince viendra » Avouez qu’il y a pire ! Elle danse et rêve comme Blanche-Neige dans le film... Demandez-lui, quand elle reprend son souffle, comment elle imagine la rencontre et quelles seront les qualités du prince. Elle peut aussi dessiner la scène ou la mimer. Vous saurez ainsi comment elle imagine sa vie future. • Si elle est obsédée par son apparence physique Elle a envie d’être jolie et soignée, pas de problème ! Elle fait de son apparence une idée fixe et ça ne va jamais, c’est plus ennuyeux. L’importance qu’elle attache à cette seconde peau que sont les vêtements peut être le reflet de la façon dont elle peut être exigeante avec elle-même. Pour assouplir les choses, il ne faut pas attaquer « le symptôme » mais plutôt déplacer à petite dose son intérêt sur des activités créatives qui laissent la place à la surprise et au faire avec des déguisements, mais aussi du collage, du bricolage. Traquer ce qui fait plaisir plutôt que le « comme il faut ». • Si elle ne veut plus quitter sa robe de tulle et son diadème On la comprend, mais il y a des endroits où la tenue n’est pas adéquate. En principe, elle est très jeune (aux alentours de 4 ans, sinon c’est ennuyeux) et elle a encore peur de perdre ce qu’elle n’a pas sous les yeux. Prévoyez avec elle un endroit secret dans lequel elle pourra « cacher son costume » qu’elle retrouvera en rentrant de l’école et dans les cas où cela vous paraît faisable, proposez lui une sortie « en princesse » et jouez le jeu. Mais pas tous les jours, ça doit être la fête ! 63