(Quelques pistes pour entrer en poésie)

Transcription

(Quelques pistes pour entrer en poésie)
Quelques pistes pour entrer en
poésie
« Un poème dit une chose et en signifie une autre » Riffaterre
« Le poème est toujours une tension entre la contrainte, la rigueur qui s’exprime dans une forme, et
l’expression, l’élan, le mouvement, l’émotion… » (Dossier « La poésie à l'école », Eduscol 2004-2010)
« Toute ma vie, j’ai joué… avec les mots. Ceux de tous les jours et de tout le monde, les bons et les moins
bons, les gros et les sacrés. Je les ai attrapés au vol et tirés au sort. Je les ai mélangés dans tous les sens et
dans tous leurs sens. Je me suis bien amusé… » Jacques Prévert.
Place de la poésie dans les programmes
Depuis les origines, la poésie occupe vraiment une place singulière dans les différentes instructions officielles. Tantôt
discipline à part entière, tantôt associée à la morale, le plus souvent chapitre particulier du français ou de la Maîtrise
de la langue, elle est depuis 2002 partie intégrante du domaine littéraire. Les publications, en 2004, d’un document
d’accompagnement spécifique (la poésie à l’école) et en 2006 puis 2011 du Langage en maternelle, consacrent son
statut et sa place entre les comptines, le texte littéraire patrimonial et l’œuvre d’art.
Le Socle Commun des connaissances et de compétences la situe expressément à chacun de ses paliers pour le langage
oral (pratique de la récitation), pour la lecture autonome, pour la mémorisation et pour l’expression écrite (rédiger,
[…] écrire un poème) aux cycles 2 et 3.
L’ensemble de ces indications nous permettent effectivement d’envisager les 3 axes à partir desquels les activités
poétiques peuvent être conduites à l’école :
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L’axe de la familiarisation avec le fait poétique : l’acculturation, le « nourrissage ». Essentiellement fondées
sur la lecture diverse, fréquente et régulière, ces activités sont précisément décrites dans La poésie à l’école :
lecture magistrale régulière, aménagement d’un espace poésie dans la classe, création d’anthologies, etc…
L’axe de la diction : il s’appuie sur le principe selon lequel l’oralisation constitue une modalité possible
d’appropriation du texte poétique. La « récitation » n’en est qu’un aspect parmi beaucoup d’autres. Des grilles
d’évaluation recensent entre autres compétences, la maitrise de l’espace, la gestuelle, la voix, le débit,
l’articulation, l’intonation…
L’axe de l’écriture poétique, lui-même dissocié en 2 étapes successives et progressives : les jeux poétiques
puis, enfin, l’écriture de poèmes, individuellement et/ou collectivement.
Il paraît essentiel de préciser que « la poésie se situe tout autant du côté de l’art que de la maîtrise de la
langue ; elle appelle une forme d’attention esthétique, c’est-à-dire une expérience cognitive particulière qui
vaut par la satisfaction qu’elle peut procurer, qui est finalisée par la recherche de cette satisfaction, sans
avoir à se justifier immédiatement dans des mots ». »(Le langage à la maternelle Mai 2011).
L’intérêt de la poésie est le « développement d’un autre rapport au langage puis à la langue » (Le
langage à la maternelle Mai 2011).
La poésie
La poésie est par essence indéfinissable « on ne sait pas ce que c’est mais on la reconnait quand on la
rencontre » précise Jean L’Anselme. Et précise-t-il si elle « ne se définit pas, c’est elle qui donne la
possibilité de tout définir ».
Effectivement la poésie ne se laisse enfermer dans des critères de formes (vers, rime…).Il n’est pas
possible d’affirmer qu’il existe des sujets plus poétiques que d’autres, ni qu’une finalité unique ou un
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processus type d’écriture fixerait les contours d’un genre instable et mouvant. Toutefois on peut dire pour la
cerner un peu que la poésie est une invitation à l’échange par le biais du langage utilisé à des fins non
utilitaires.
La constitution de nos boîtes dont l’une est à offrir formalise concrètement cet échange.
Il nous paraît essentiel de permettre à nos élèves l’expérience de cette approche du langage : oser
associer des mots c’est un premier pas à franchir pour accéder à la création poétique, transformer notre
regard sur le réel et nos représentations du monde.
Quelques propositions:
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Faire entrer la poésie dans les classes, éduquer à la poésie
Eveiller, donner le goût des mots qui sonnent « entrer avec les élèves de sa classe en poésie »
Approcher la diversité des écrits poétiques, des formes poétiques et repérer les contraintes formelles
(le sonnet et autres formes comptées)
Constituer une culture poétique élargie (poésie narrative, formes courtes (haïku), dialogue,
collections, listes… ex : Anacoluptères de J. Sacré – Tarabuste)
Intégrer l’activité poétique au quotidien de la classe
Constituer une anthologie personnelle (privilégier un support original, format différent de celui des
cahiers classiques, voire carnet de lecteur…)
Analyse des poèmes de référence
Nous avons choisi de vous proposer des textes qui vous parlent de mots, les exploitent ou les
décortiquent et vous invitent à leur dégustation.
Quelques points de départ pour analyser les six textes :
• formulation des ressentis vis-à-vis des textes (tristesse, joie, chagrin…)
• recherche du moment où le texte quitte le réel pour entrer dans l’imaginaire, l’humour ou l’absurde
• recherche des rimes, des répétitions, des jeux sonores (ex ; des mots que l’on ramasse des mots qui
passent, des mots qui se cassent.)
• mise en évidence des verbes à l’impératif (Recette et Pour apprendre aux enfants l’usage des gros
mots)
- prenez un toit
- placez tout à côté
- mettez au-dessus d’eux
- laissez-les faire
- regardez (…)
• repérage des oppositions et de la construction avec /mais/
Ex : Ils ne vont jamais à l’école
mais ils vont parfois au zoo
(Pour apprendre aux enfants l’usage des gros mots de Claude Guillot)
Ex : Je n’habite pas du côté de l’océan
mais du côté de la goutte d’eau
(Mes résidences, Daniel Schmitt)
• travail sur les verbes à l’infinitif dans les tournures du poème de Georges Jean : c’est pour les
chanter, c’est pour rêver, c’est pour les manger.
• repérer les images, les comparaisons
• recherche des mots incompris, nouveaux, difficiles à prononcer ou inconnus, chercher une définition
pour les mots qui résistent
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Extrait d'un poème à Gabriel Péri
Paul Eluard Gallimard 1966
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et
Certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d'amis.
Architecture du texte pouvant être mise en
exergue
Il y a des mots qui
Et ce sont des mots
Le mot
le mot
et le mot
Le mot
et le mot
Et certains
et
Certains
Le mot
et le mot
Et le mot
et le mot
Et certains
Et certains
.
Regard sur le texte
Ce texte est la troisième strophe incomplète d’un poème engagé :
Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli.
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait
vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous
connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est
vivant.
Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre.
Paul Eluard est mobilisé durant la première guerre mondiale, sur le front comme infirmier. Il est le témoin de
terribles hécatombes de là nait son horreur de la guerre; un effroi qui ne le quittera plus.
Eluard est un communiste et l’un des grands poètes de la Résistance.
Le 15 décembre 1941, Gabriel Péri, député communiste est fusillé par les nazis près de Paris. Avec 53 autres
otages juifs. Paul Eluard, écrit ce poème pour lui rendre hommage, perpétuer son souvenir.
On a quinze occurrences des mots « mots »/ « noms » : pour Eluard la poésie, les mots ont un pouvoir. Ces mots
sont tous mélioratifs : chaleur/confiance/amour/justice/liberté/enfant/gentillesse/
fleurs/fruits/courage/découvrir/frère/camarade/amis. Il s nous donnent un message d’espoir.
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Exemples de productions
Il y a des mots
Il y a des mots qui font peur
Et ce sont des mots qui sont fantomatiques
Le mot monstre le mot voleur
Prison évadés et le mot clown
Le mot cauchemar et le mot horreur
Et certain noms de manoir et certain noms d'asile
Le mot train fantôme et le mot atroce
Et le mot tueur et le mot diable.
Melodie, Coraline, Laurie
Il y a des mots
Il y a des mots qui font dormir
Et ce sont des mots ennuyants
Le mot coussin, le mot lit
Horloge, canapé et le mot oreiller
Le mot fatigue et le mot rêve
Et certains noms de voyages et
Certains noms de voitures
Le mot couverture et le mot pyjama
Et le mot sieste et le mot lune
Et certains noms d'horloges, de montres
Et certains noms de constellations et
d'étoiles.
Okba
Architecture du texte pouvant être mise en
exergue
Recette
Eugène Guillevic Avec Gallimard
Prenez un toit de vieilles tuiles
Un peu avant midi.
Placez tout à côté
Un tilleul déjà grand
Remué par le vent.
Mettez au-dessus d'eux
Un ciel bleu, lavé
Par des nuages blancs.
Laissez-les faire.
Regardez-les.
Prenez
.
Placez
.
Mettez
.
LaissezRegardez-
.
.
Regard sur le texte
Ce texte est une recette poétique (rythmée par des vers introduits par des verbes à l’impératif, amorce de
phrases plus ou moins longues) évidemment impossible à réaliser puisque ce paysage était déjà là, présent
depuis longtemps et que le poète fait mine de l’avoir construit lui-même Mais ce que nous propose Guillevic
c’est de rêver à une intervention sur le naturel. Cette action sur le monde doit nous conduire à la
contemplation : il faut laisser faire, regarder. Les deux dernières lignes nous invitent à l’inaction et la
contemplation.
Eugène Guillevic, Paris 1982
photographie Monique DupontSagorin © Monique DupontSagorin
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Dialogue (en vers)
Architecture du texte pouvant être mise en
exergue
Gildas Féré LES MOTS DECOLLENT
Il a dit : « Bonjour !»
Elle a dit : « S’il vous plaît »
Il a dit : « Plat du jour ? »
Elle a dit : « Cochon de lait »
Il a dit : « Et en dessert ?»
Elle a dit : « C’est un mystère… »
Il a dit : « L’addition ! »
Elle a dit : « Une misère ! »
Il a dit : « Je vous remercie »
Elle a dit : « Je vous en prie ! »
Et puis il est parti.
Il a dit : «
Elle a dit : «
Il a dit : «
Elle a dit : «
Il a dit : «
Elle a dit : «
Il a dit : «
Elle a dit : «
Il a dit : «
Elle a dit : «
Et puis il est
»
»
»
»
»
…»
»
»
»
»
.
Regard sur le texte
Ce texte est une dialogue tant par sa disposition que par l’usage des signes de ponctuations
inhérents à ce type de texte. Chaque vert est introduit par il ou elle a dit, pouvant dans le processus
de création être remplacé par n’importe quel autre verbe.
Il s’amorce par une rencontre (Bonjour) et se termine sur un départ (Il est parti).
Ce dialogue, aux frontières de l’absurde, se joue des mots : le mystère est aussi une glace, une
misère se dit d’une très petite somme d’argent…
Pour apprendre aux enfants l’usage des gros mots
Claude Guillot
Prenez un gros mot : éléphant
Et découpez-le en rondelles
Regardez ce qu’il y a dedans
Il y a aile, il y a faon
Et le total c’est aile et faon
Puisqu’ils voyagent en avion
Et ils n’ont pas non plus de faons
Mais ils ont des petits enfants
On les appelle éléphanteaux
Ils ne vont jamais à l’école
Mais ils vont parfois au zoo
Architecture du texte pouvant être mise en
exergue
Prenez un
:
Et découpez-le
Regardez
Il y a
, il y a
Regard sur le texte
Ce texte peut bien évidemment être rapproché de celui de Guillevic: l’amorce injonctive
incitant à une action sur le réel mais très vite on perçoit qu’on perd « la main ». Ce
poème évoque bien par là l’essence de la poésie qui fait un usage de langue tel qu’elle
finit par nous échapper.
Ce texte est une invitation à jouer avec les mots, mots qui deviennent comme les boîtes gigognes
et sont ainsi désacraliser de part leur décomposition.
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Mes résidences
Architecture du texte pouvant être mise en
exergue
Daniel Schmitt LA BARBE DES SAISONS LO PAIS
Je n’habite pas du côté de l’océan
mais du côté de la goutte d’eau
Je n’habite pas du côté de la forêt
mais du côté du brin d’herbe
Je n’habite pas du côté de l’ouragan
mais du côté du courant d’air
Je ne
mais
pas
Je ne
mais
pas
Je ne
mais
pas
Je ne
mais
pas
Je n’habite pas du côté de l’aigle
mais du côté du pingouin
Dites-moi où vous habitez
si vous habitez mon quartier
Dites-moi
si
Je viendrai un de ces jours
vous dire un petit bonjour
Regard sur le texte
Ce poème présente quatre distiques à la construction identique basée sur une opposition,
les deux derniers étant un questionnement et une invitation à la rencontre, celle d’un
monde simple et emprunt d’humilité, dans lequel les petites choses sont autant de bonheur
rassurants.
Il peut être possible de faire découvrir le fonctionnement et la structure du poème en
proposant une activité de reconstitution de poèmes qui va mettre en exergue l’opposition
linguistique (je, ne pas, mais) mais aussi du lexique et de ce qu’il renvoie. Il est également
possible d’extraire unique ment les groupes de mots qui changent et d’opérer à un
classement qui devrait aboutir à la distinction: grand/petit, fort/faible.
Exemples de productions :
Es-tu dans la branche ?
Lieux de dîner
Je ne reste pas près de la grenouille
Mais tout près de la mare
Je ne reste pas près de la barbe
Mais tout près de la moustache
Je ne reste pas près de l’index
Mais tout près du pouce
Je ne reste pas près du corbeau
Mais tout près du poussin
Dis-moi où vous restez
Si vous restez sur ma branche
Je passerai tout de suite
Pour te donner une échelle.
Je ne dîne pas chez Madame Vipère
Mais chez Madame Souris
Je ne dîne pas chez Monsieur Monstre
Mais chez Monsieur Ange
Je ne dîne pas chez Madame Grimace
Mais chez Madame Caresse
Je ne dîne pas chez Monsieur Boa
Mais chez Madame Sauterelle
Dites-moi chez qui vous dînez
Si vous dînez chez Monsieur Soleil
J’arriverai ce week-end
Vous tendre des gouttes de pluie.
Franck Yvan Kengne,
Fotso Barbara,
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Architecture du texte pouvant être mise en
exergue
Il y a des mots
Georges Jean
Il y a des mots, c’est pour les dire,
c’est pour les faire frire,
c’est pour rire.
Il y a des mots, c’est pour les chanter,
c’est pour rêver,
c’est pour les manger.
Il y a des mots, que l’on ramasse;
des mots qui passent,
des mots qui se cassent.
Il y a des mots pour le matin,
des mots métropolitains,
ou lointains.
Il y a des mots épais et noir,
des mots légers pour les histoires,
des mots à boire.
Il y a des mots pour toutes les choses,
pour les lèvres, pour les roses,
des mots pour les métamorphoses,
Si l’on ose...
Il y a des mots, c’est pour les
c’est pour
,
c’est pour
.
,
Il y a des mots, c’est pour
c’est pour
,
c’est pour
.
,
Il y a des mots, que
des mots qui
des mots qui
;
,
.
Il y a des mots pour
des mots
.
,
Il y a des mots
des mots
pour
des mots à
,
,
.
Il y a des mots pour
pour
, pour
des mots pour
(Si)
...
,
,
,
Regard sur le texte
George Jean n’a pu que s’inspirer du poème de Paul Eluard. Il nous permet de faire
prendre conscience à nos élèves qu’écrire c’est également réécrire, se nourrir des
textes de chacun pour entrer soi même en création…
Ce texte propose une suite d’énumérations, introduite par il y a organisée par des
virgules. Il s’achève par une invitation à l’écriture.
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