Les auteurs - Université Paris 1 Panthéon

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Les auteurs - Université Paris 1 Panthéon
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Guerre et paix
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La construction du
militaire
Savoirs et savoir-faire militaires à l’époque
Sous la direction de Benjamin Deruelle
et bernard Gainot
10 octobre 2013, 16 × 24, 228 p., 27 €
ISBN 978-2-85944-753-3
Premier volume d’un travail collectif sur la construction du militaire initié dans le cadre du séminaire
« Guerre et société à l’époque moderne » dirigé par Hervé Drévillon, Bernard Gainot et Benjamin Deruelle,
Savoirs et savoir-faire militaires à l’époque moderne s’attache à la problématique de l’éducation militaire,
de la préparation des corps et des esprits, de
la transmission des savoirs et savoir-faire
ainsi que de la formation d’une identité spécifique du militaire de la fin du xve siècle au
début du xixe siècle. Le parcours chronologique du présent ouvrage propose ainsi de
découvrir les transformations qui affectent
ce qu’il est convenu d’appeler la condition
militaire et le processus de construction
d’une société militaire à part et à côté de la
société civile. Dans cette période qui s’étend
des guerres d’Italie aux prémices de la guerre
industrielle contemporaine, sous le Second
Empire, et caractérisée, entre autres, par la «
Révolution militaire des Temps modernes »,
naît alors sous nos yeux l’armée moderne
pourvue d’une identité et d’une symbolique
propres, de valeurs et d’expériences partagées ainsi que d’une éducation de plus en
plus spécifique et spécialisée. Les auteurs
nous accompagnent ainsi tout au long d’un
processus au sein duquel le militaire se
construit comme un homme de métier, distinct tant du guerrier que du mercenaire.
Les auteurs :
Michaël Bourlet, Adolfo Carrasco Martínez, Benjamin Deruelle, Hervé Drévillon,
Bernard Gainot, Éric Gherardi, Arnaud Guinier, Martin Motte, Olivier Paradis, Solange
Rameix, Anne-Valérie Solignat
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Ta b l e d es mati è res
Avant-propos
Éric Gherardi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
La construction du militaire, du milieu du xve siècle au milieu du xixe siècle.
Présentation d’un programme de recherche
Bernard Gainot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Introduction et présentation historiographique
Solange Rameix. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
LA FORMATION DU GENTILHOMME
Entre cavalerie et chevalerie : la formation du noble dans l’écurie du roi
au xvie siècle
Benjamin Deruelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L’absence de formation au ban et arrière-ban en Auvergne
au xvie siècle ?
Anne-Valérie Solignat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
L’apprentissage du métier d’officier, entre savoir-faire professionnel
et distinction aristocratique (1682-1696)
Hervé Drévillon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
la discipline
Olivares, la Compañía de Jesús y la educación de la nobleza.
Los Estudios Reales del Colegio imperial de Madrid y otros proyectos
del conde duque
Adolfo Carrasco Martínez . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Les enjeux de la formation du soldat. À propos de la métaphore mécanique
dans les mémoires d’officiers de la seconde moitié du xviiie siècle
Arnaud Guinier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
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La référence à Suffren dans le débat sur le recrutement et la formation
des officiers de marine, de Choiseul à la création de l’École navale
Martin Motte. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
L’institutionnalisation
Les aspects militaires dans la formation des élèves
de l’École royale militaire d’Effiat
Olivier Paradis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
L’École spéciale militaire et les quarante premiers « Bellifontains »
Capitaine Michaël Bourlet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Conclusion. D’une discipline à l’autre
Hervé Drévillon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Biographies des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
La construction du militaire
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Introduction et présentation
historiographique
Solange Rameix
Fondation Thiers
Définitions d’hier et d’aujourd’hui
Que recouvre l’expression « formation du militaire » pour la période qui
s’étend de la fin du xve siècle au troisième quart du xixe siècle ? L’expression est forgée tardivement : elle n’est, en effet, pas employée par les
contemporains, du moins si l’on en croit les dictionnaires de l’époque1.
En effet, ceux du xviie siècle sont muets sur ce thème. Ainsi, ni
le Thresor de la langue françoyse de Jean Nicot (1606), ni le Dictionnaire
de Furetière (1690), ni le Dictionnaire de l’Académie (1694) ne nous apprennent ce que les contemporains associaient à la formation des militaires2. La raison en est simple : le terme de « formation » n’est défini
que dans ses acceptions grammaticale ou matérielle. Selon Furetière, elle
est l’« action par laquelle une chose se forme ». Le terme « militaire » a
droit à des définitions, mais l’éducation ou l’instruction du militaire n’y
sont pas ou peu évoquées. Furetière aborde, de manière succincte il est
vrai, les « exercices militaires » dans son article « Militaire » et consacre
quelques mots aux académies militaires, comme celle de Pluvinel, à l’entrée « Académie ». Néanmoins, ces dernières sont bien plus présentées
comme un lieu de formation de la jeunesse nobiliaire que comme un des
lieux d’apprentissage des savoirs et des savoir-faire spécifiquement militaires. Quant aux exercices militaires, rien n’est dit de la manière dont
les soldats s’y entraînent.
1Les sources de l’époque moderne, comme les traités militaires du xvie siècle, n’utilisent
pas l’expression « formation du militaire ». En revanche, elles évoquent la nécessité
d’« exerciter » le soldat.
2J.  Nicot, Thresor de la langue françoyse, Paris, 1606 ; A. Furetière, Dictionnaire universel
contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes, La Haye, 1690 ;
Dictionnaire de l’Académie française, Paris, 1694, 2 vol.
La construction du militaire. Savoirs et savoir-faire militaires à l’époque moderne,
Benjamin Deruelle, Bernard Gainot (dir.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2013
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Au xviiie siècle, grâce à des dictionnaires de plus en plus étoffés
et à l’apparition des encyclopédies, le militaire est défini avec plus de
précision. Ainsi, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert lui consacre de
très nombreux articles. Les écoles, les exercices ou encore la discipline
militaires sont analysés : la formation militaire est donc évoquée dans
l’Encyclopédie sans pour autant être traitée de manière globale3. Les encyclopédistes s’intéressent à la fois à la formation de ceux destinés à commander l’armée et à celle des simples soldats, sans poser la question de la
formation militaire comme un tout. La quatrième édition du Dictionnaire
de l’Académie de 1762 suit cette évolution et accorde une place à l’art et à
la discipline militaires dans la définition du terme « militaire », sans pour
autant donner plus de précisions.
En fait, si la formation militaire n’a pas droit à une définition dans
les dictionnaires de l’époque, c’est qu’il faut attendre la fin du xixe siècle
pour que le mot « formation » soit employé pour désigner l’éducation
d’un être humain, et il faut attendre les années 1930 pour que le terme
de formation désigne l’ensemble des connaissances dans un domaine4.
Aujourd’hui, la formation se définit comme l’« éducation intellectuelle
et morale d’un être humain » ainsi que comme l’« ensemble des connaissances théoriques et pratiques dans une technique, un métier ; leur acquisition5 ». Cette deuxième définition, plus précise, est celle que nous
suivrons. Deux éléments de cette définition attirent notre attention.
Premièrement, la formation est un apprentissage de savoirs et de
savoir-faire. Il s’agit donc, dans le cadre de cette journée d’étude, de définir les savoirs et savoir-faire que les militaires devaient acquérir, et de saisir l’articulation qui pouvait exister entre des savoirs hérités de la période
médiévale et des savoirs en construction. Durant l’époque moderne, la
formation semble avoir un lien très étroit avec la révolution technique,
moteur de la révolution militaire qui touche l’Europe moderne. Cette
révolution implique la maîtrise de nouveaux savoirs qui sont, peut-être
– c’est à nous de le prouver –, propres aux militaires.
3Consultable sur cd-rom, Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers, à partir de l’édition originale in folio [1751-1765], éditions
Redon, 2001. Voir notamment dans le tome V l’article « École », sous-article « École
militaire de Paris » de Meyzieu.
4« Formation », dans A. Rey (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française,
Paris, Le Robert, 1998, t. 2, p. 1463.
5« Formation », dans A. Rey (dir.), Le petit Robert. Dictionnaire de la langue française, Paris,
Le Robert, 1976, p. 730.
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Deuxièmement, la définition du Robert insiste sur le terme de profession. Autrement dit, la formation du militaire serait celle d’un professionnel, c’est-à-dire d’un technicien de la guerre, mais également d’un
membre d’une profession au sens de communauté de gens de métier
partageant non seulement des savoirs et des savoir-faire, mais aussi une
morale professionnelle et, peut-être, une identité collective. Une identité professionnelle existe-t-elle ou se construit-elle à l’époque moderne,
grâce notamment à une formation spécifique ? Cette identité militaire
transcenderait-elle les distinctions socioculturelles entre le noble et le
simple soldat ? Par ailleurs, le terme de profession pose la question de la
reconnaissance de la profession de militaire par la société et par l’État.
Plus largement, au travers de la question de la formation du militaire se
posent celles de l’institutionnalisation de cette dernière et de la place
de l’État.
Présentation des sources
Les sources disponibles sur la formation du militaire sont nombreuses et
variées. Une classification est difficile à établir. Cependant, deux grands
types de sources se distinguent : les sources théoriques et les sources
pragmatiques. Chacune de ces deux catégories regroupe à la fois des imprimés et des manuscrits, même si les sources théoriques sont davantage
imprimées que manuscrites. Ainsi les manuels de formation, les traités
d’art militaire, les ordonnances militaires, les programmes de fondation et d’étude des écoles militaires sont-ils pour la plupart imprimés.
Les sources pragmatiques, témoignage d’une expérience directe de la
guerre, sont, quant à elles, majoritairement manuscrites : c’est le cas, par
exemple, des correspondances militaires.
Quelle que soit leur nature, manuscrite ou imprimée, théorique
ou pratique, ces sources peuvent être classées en fonction de leur auteur, même si cette tâche est ardue et si on atteint vite les limites d’un
classement objectif. On peut néanmoins distinguer plusieurs catégories. Certaines sources émanent du pouvoir. C’est le cas, par exemple,
des ordonnances militaires ou des chartes de formation comme celle du
collège militaire de Thiron-Gardais, fondé en 16296. D’autres émanent
6En 1629, l’abbaye de Thiron, qui appartient à la congrégation de Saint-Maur, périclite.
Elle est alors transformée en collège militaire. Louis XIV lui accorde le titre d’École royale
militaire. Il s’agit, en fait, d’une école de cadets dans laquelle un certain nombre de soldats
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des militaires eux-mêmes. Les manuels ou instructions confectionnés par
ces derniers sont nombreux. Ils doivent servir à procurer aux militaires,
officiers comme simples soldats, le bagage technique dont ils ont besoin
pour manier les armes, notamment avec la révolution militaire en cours7.
Les militaires rédigent également des ouvrages de stratégie, nécessaires
pour un bon commandement de l’armée8. D’autres sources émanent des
moralistes et des philosophes. C’est le cas, par exemple, des Discours politiques et militaires de François de La Noue ou encore du Poème de Fontenoy de Voltaire, qui donnent des informations concrètes sur la bataille.
Dans la même catégorie, on peut ranger les ouvrages des historiographes
pensionnés par le roi, comme le général de Vault qui rédige, de 1761 à
1790, les monumentales Mémoires concernant les guerres de Louis XIV et de
Louis XV, écrits d’après la correspondance de la cour et des généraux9.
Parmi les écrits des militaires, certains relèvent d’une autre catégorie de sources, celles de l’individu, autrement appelées les écrits du
for privé. Jusqu’au milieu du xviie siècle, les mémoires personnels sont
les principales sources utilisables par l’historien, la narration suppléant
invalides peuvent être envoyés pour rejoindre les élèves ordinaires internes ou externes. À
la fin du xviiie siècle, on compte plus de cent cinquante élèves pensionnaires sur un total
de plusieurs centaines d’élèves. Napoléon Bonaparte obtient une bourse pour l’école de
Thiron, mais fait ses études à celle de Brienne. Nous pouvons citer également l’académie
de Mailly, académie militaire fondée en 1751 pour le roi à l’initiative du futur maréchal de
Mailly. Elle doit servir à former de jeunes nobles au service du roi.
7Parmi les instructions militaires, nous pouvons citer P. de Clèves, seigneur de Ravestein,
L’instruction de toute manière de guerroyer sur mer, J. Paviot (éd.), Paris, 1997. Les manuels
de formation demeurent assez rares jusqu’au xviiie siècle. Nous pouvons néanmoins
évoquer, pour le xviie siècle, celui de Desmartins, L’expérience de l’architecture militaire,
où l’on apprendra à fond la méthode de faire travailler dans les places… par le Sr Desmartins,
ingénieur ordinaire du roy, Paris, 1685. Plus tardivement, se distinguent L. N. Bonaparte,
Manuel d’artillerie à l’usage des officiers d’artillerie de la République helvétique, Zurich/
Strasbourg/Paris, 1836, et Le petit manuel du canonnier ou instruction sur le service de toutes
les bouches à feu en usage dans l’artillerie, Paris, 1809. Ce petit manuel, publié sur ordre de
Napoléon, décrit l’essentiel des ordres et mouvements que les artilleurs doivent connaître.
8Les traités d’art militaire étaient souvent de tradition plus ancienne que les manuels.
Beaucoup de programmes d’étude des écoles s’apparentent à des traités d’art militaire.
Voir S.-F. Gay Du Vernon, Traité élémentaire d’art militaire et de fortification à l’usage des
élèves de l’École polytechnique, Paris, 1805. Au cours du xixe siècle, l’usage de la publication
des programmes et des cours dispensés dans les écoles militaires se répand. Par exemple,
le Cours de l’École spéciale militaire révèle le contenu des cours selon les années d’études.
En première année (1850-1851), les élèves recevaient des cours d’instructions d’artillerie,
des cours de topographie, de fortification, de législation et d’administration militaires.
9En 145 volumes.
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souvent une documentation archivistique lacunaire10. Les exemples les
plus connus sont ceux des écrits de Monluc et de Brantôme, dans lesquels se trouvent les meilleures évocations de la fin des guerres d’Italie et
des guerres de Religion. Les sources du for privé sont l’objet d’un regain
d’intérêt de la part des historiens, du fait qu’elles constituent une source
d’information essentielle pour les périodes où l’on dispose à la fois de
peu d’imprimés et de peu de sources militaires institutionnelles, comme
c’est le cas pour le xvie siècle11. Ces papiers permettent un renouvellement de l’approche de la formation du militaire, notamment par le biais
de l’histoire culturelle, car on touche véritablement à ce que représentait
l’expérience de la guerre aux yeux des combattants eux-mêmes. Mais
c’est aussi un outil précieux pour percevoir les solidarités individuelles et
les mécanismes des réseaux d’amitié et de compagnonnage. Les archives
personnelles sont donc importantes pour comprendre la formation des
militaires, dont celle des enfants nobles dans le cadre familial, cadre dans
lequel on pourrait qualifier la formation d’initiation, ou même de rite
d’initiation. De ce point de vue, les mémoires personnels sont à placer
au premier plan. Au xviie siècle, ils se multiplient, notamment pendant la
guerre de Trente Ans12. Ils étaient souvent écrits pour servir de modèle
afin d’éduquer les futurs militaires. C’est ce qu’illustre le Testament ou
conseils fidèle d’un bon père à ses enfants (1648) de Fortin de La Hoguette.
Les écrits du for privé semblent bien avoir un rôle formateur revendiqué
et, par conséquent, être de précieuses sources pour l’historien de la formation du militaire.
Enfin, nous disposons de sources picturales, notamment de dessins consacrés aux mouvements des armées13. Notons l’absence ou
quasi-absence de sources permettant de mesurer le poids de l’oralité
10Voir Y.  N.  Harari, Renaissance Military Memoirs: War, History, and Identity, 1450-1600,
Woodbridge, 2004.
11Voir le travail du groupe de recherche no 2649 du CNRS dirigé par Jean-Pierre Bardet et
François-Joseph Ruggiu, et intitulé « Les écrits du for privé en France de la fin du Moyen
Âge à 1914 ». Voir le site Internet www.ecritsduforprive.fr.
12Voir les mémoires de l’Anglais Sydnam Poyntz, des Écossais Robert Monro et James Turner,
ou du Français Claude de Letouf, baron de Sirot. Ce dernier écrit ses mémoires pour qu’ils
puissent servir de modèle à son fils : « J’avais commencé à dresser ces mémoires pour
servir d’exemple à mon fils, sur la conduite qu’il devait tenir quand il serait en état d’entrer
dans le monde et sur la manière avec laquelle il devait se gouverner quand il serait parmi
les troupes et dans les armées », C. de Letouf, Mémoires et la vie de messire Claude de Letouf,
chevalier baron de Sirot… sous les règnes des rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV, Paris, 1683.
13Voir, par exemple, les planches que les encyclopédistes consacrent à l’« Art militaire.
Exercices », dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert…, op. cit.
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dans la transmission de la mémoire des hauts faits d’armes ou leur rôle
dans la formation des jeunes militaires.
Historiographie14
Les sources pouvant servir de support à une histoire de la formation du
militaire durant l’époque moderne sont donc nombreuses. Les historiens
ne les ont pas négligées, même si la question peut être renouvelée. L’historiographie consacrée à la formation du militaire est importante, mais
présente des limites que la journée d’étude a pour ambition de combler,
du moins en partie.
L’intérêt des historiens pour cette question n’est pas nouveau. On
peut en trouver la preuve dans l’article qu’André Corvisier consacre à la
« Formation des militaires » dans son Dictionnaire d’art et d’histoire militaires15. Plusieurs leçons historiographiques peuvent être tirées de cet
article publié en 1987.
Premièrement, l’article n’est consacré qu’à l’armée de terre et non
à la marine, ce qui pose la question des points communs entre la formation des soldats des armées de terre et de mer : la formation est-elle
facteur d’unité des militaires, qu’ils soient marins ou soldats, ou est-elle,
au contraire, facteur de division ou de distinction ? La distinction entre
marine et armée de terre pose aussi le problème de la chronologie et de
l’importance de la formation pour la marine.
Deuxièmement, l’article « Formation » est confondu avec celui « École militaire ». André Corvisier ne se contente pas d’aborder la
question des écoles militaires, mais y consacre une large, part et les indications bibliographiques ne concernent que les écoles militaires. Ce
choix fait émerger un ensemble de questions : en quoi consistait la formation militaire avant la naissance de ces écoles militaires ? Ces écoles
forment-elles avant tout des militaires, ou bien des nobles et la haute
hiérarchie militaire ? Ce choix suggère aussi une tendance de l’historiographie française à s’intéresser, dans le domaine de la formation, avant
tout aux écoles militaires. La question de la formation militaire n’est pas
14Les références bibliographiques se limiteront à quelques exemples significatifs.
15A.  Corvisier, « Formation des militaires », Dictionnaire d’art et d’histoire militaires, Paris,
PUF, 1987, p. 313-321.
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pensée de manière globale et sur la longue durée, d’où l’intérêt de cette
journée d’étude.
Troisièmement, André Corvisier attire notre attention sur la spécificité du métier des armes : son rapport direct avec la mort, qui implique
que les combattants intègrent la notion de sacrifice. Peut-on apprendre à
se sacrifier, et comment ? Le rapport à la mort fonde-t-il une identité collective partagée par l’ensemble des militaires et qui les distingue d’autres
catégories professionnelles ?
Un second dictionnaire spécialisé montre l’intérêt des historiens
pour la formation des militaires. Il s’agit de celui dirigé par John Childs et
André Corvisier16. L’intérêt de cet article est de le confronter à celui du
dictionnaire français : l’article est intitulé Training et son contenu suggère
que les Anglo-Saxons sont davantage intéressés par les exercices militaires et la formation technique que les historiens français. C’est ce que
suggère également la bibliographie proposée en fin d’article.
Il semble qu’on puisse distinguer deux grandes catégories d’études
historiques consacrées à la formation des militaires : d’une part, celles
traitant spécifiquement de la formation des officiers et sous-officiers,
qui abordent généralement la question des académies, des écoles militaires ou encore des écrits théoriques sur la guerre, et, d’autre part, celles
consacrées à la formation des simples soldats, et notamment à l’apprentissage de la discipline.
Dans la première catégorie, on trouve beaucoup d’études consacrées aux savoirs militaires et à leurs moyens de diffusion. Par exemple,
John Hale a consacré plusieurs articles à cette question durant la Renaissance et au rôle de Venise dans ce domaine17. D’autres sont consacrées aux institutions de formation naissantes, telles que les académies
ou les écoles militaires18. Les écrits théoriques sur la guerre et leur place
16J.  Childs, A. Corvisier (dir.), A Dictionary of Military History and the Art of War, Oxford,
Blackwell, 1994.
17J. R.  Hale, « Printing and the Military Culture of Renaissance Venice », Medievalia et
Humanistica, 8, 1977, p. 21-62. Voir aussi H. J. Webb, Elizabethan Military Science: The Books
and the Practice, Londres/Wisconsin, 1965.
18J. R.  Hale, « The Military Education of the Officer Class in Early Modern Europe », dans
Id., Renaissance War Studies, Londres, 1980, p. 225-246, et « Military Academies on the
Venitian Terraferma in the Early Seventeenth Century », Study Veneziani, 15, 1973, p. 273295 ; A. Corvisier, Armies and Societies in Europe, 1494-1789, Bloomington, 1979, p. 105109 ; L’armée française de la fin du xviie siècle au ministère de Choiseul. Le soldat, Paris, 1964,
t. 1, chap. iv ; L. Hennet, Les compagnies de cadets-gentilshommes et les écoles militaires, Paris,
1889 ; R. Laulan, L’École militaire de Paris, Paris, 1950 ; « Pourquoi et comment on entrait
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dans la formation de l’homme de guerre ont également été étudiés par
les historiens19.
La deuxième catégorie a moins suscité l’attention des historiens,
du moins français. Néanmoins, des études existent. Les manœuvres, les
exercices militaires et leur apprentissage par les soldats ont été étudiés
sous deux angles : celui, socioculturel, de l’apprentissage de la discipline
par les soldats et celui, technique, de l’apprentissage de techniques militaires, et notamment du maniement des armes20.
Un des points communs entre les deux catégories, c’est l’importance du rapport entre l’armée et l’État, et la place de l’État dans la formation21. C’est un thème que nous voulons favoriser dans cette journée
d’étude, comme le montre notre programme. L’institutionnalisation de la
formation du militaire apparaît, de fait, comme une des caractéristiques
de la longue période moderne envisagée aujourd’hui. Les objectifs de la
journée ne se limitent néanmoins pas à cette question, il est vrai essentielle durant une époque touchée sinon par une révolution militaire, du
moins par un lien toujours plus resserré entre l’État et la guerre, qui ne
peut qu’avoir des conséquences sur la formation des militaires et son
institutionnalisation.
Objectifs de la journée d’étude
et du projet de recherche
Le bref bilan historiographique sur la question montre qu’aucune réflexion d’ensemble sur la question n’existe réellement et que l’on a tendance à séparer la formation de chacun des groupes, officiers, simples
soldats, gens de telle ou telle arme, ce qui est tout à fait légitime dans le
cadre d’une monographie ou d’un article. Notre objectif, en proposant
dans l’École royale de Paris », RHMC, avril-juin 1957, p. 141-150 ; P. Chalmin, « L’École de
Sorrèze, 1748-1794 », Revue historique de l’armée, avril-juin 1961, p. 141-158.
19R.  Granderoute, « L’homme destiné aux armes dans le discours d’éducation du
xviiie siècle », dans L’armée au xviiie siècle, 1715-1789, actes du colloque organisé par
l’université d’Aix-en-Provence en 1996, Aix-en-Provence, 1999, p. 99-107.
20J.  Lynn, A Giant of the Grand Siècle. The French Army, 1610-1715, Cambridge, 1997, chap. xv,
« Learning and Practicing the Art of Field Warfare », p. 513-546 ; S. Loriga, Soldats : un
laboratoire disciplinaire. L’armée piémontaise au xviiie siècle, Paris, 1991 ; B. Wicht, L’idée de
milice et le modèle suisse dans la pensée de Machiavel, Lausanne, 1995.
21W.  Barberis, Le Armi del Principe : la tradizione militare sabauda, Turin, 1981.
Solange Rameix
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un projet de recherche sur la construction du militaire et une journée
d’étude sur la formation du militaire, est d’élargir les perspectives en posant les questions sur une durée relativement longue – de 1494 à 1870 –
et en essayant de penser la formation non pas de chaque arme ou de
chaque groupe social, mais du militaire en tant que professionnel de la
guerre. Il ne s’agit pas de penser de manière différenciée la formation des
nobles et celle des simples soldats, mais plutôt de voir si et comment, au
cours de notre période d’étude, se met en place une formation collective
des militaires.
Nous proposons de vérifier l’hypothèse selon laquelle la formation se professionnaliserait durant la période moderne. Au cours de cette
dernière, une véritable révolution militaire a lieu ou, du moins, des changements considérables modifient la manière de faire la guerre : les armes
sont de plus en plus nombreuses et élaborées, l’architecture militaire
s’améliore de telle sorte que les techniques de siège se perfectionnent,
les armées sont de plus en plus nombreuses, ce qui a pour conséquence
de rendre les manœuvres plus difficiles et la gestion des soldats par l’État
plus complexe. Pour s’adapter à ces nouvelles exigences, la formation
technique et théorique, à la fois de ceux qui commandent et de ceux
qui exécutent les ordres, doit être renforcée. Est-ce que, au travers de
l’apprentissage de nouveaux savoirs et savoir-faire, s’épanouissent à la
fois des cultures propres à chaque arme, chaque corps et une identité
collective partagée par l’ensemble des militaires et caractérisée par le
partage de valeurs propres aux militaires ? Autrement dit, est-ce que la
formation participe de la construction du militaire en tant que catégorie
professionnelle et plus largement de catégorie sociale particulière ?
C’est par ce biais, en élargissant les perspectives, que la question
de la formation du militaire mérite, selon nous, d’être approfondie et renouvelée. Elle peut bénéficier du renouvellement historiographique de
l’histoire des savoirs. De fait, la thèse récemment soutenue par Christelle Rabier sur les chirurgiens en France et en Angleterre au xviiie siècle
démontre que l’historien peut bénéficier des apports de la sociologie
des professions. Ce travail nous encourage à renouveler, par ce biais, la
question de la formation du militaire qui démontre que l’histoire militaire,
loin d’être fermée, voire sclérosée, est, au contraire, au croisement de
l’histoire sociale, de l’histoire culturelle et de l’histoire des techniques22.
22C.  Rabier, Chirurgiens de Paris et de Londres, 1740-1815. Économie, identités et savoirs, thèse
de doctorat d’histoire, université Paris 1, 2008.
Introduction et présentation historiographique
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