Une névralgie du trijumeau... révélatrice d`un amyloïdome
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Une névralgie du trijumeau... révélatrice d`un amyloïdome
cas clinique Une névralgie du trijumeau... révélatrice d’un amyloïdome K. Ben Abdelghani*, D. Gérard-Dran*, M.L. Casanova*, B. Combe* Observation Mme S.D., âgée de 40 ans, originaire des Antilles, consulte pour des paresthésies de l’hémiface droite. Sa symptomatologie, qui évolue depuis plus de 2 ans, est apparue au décours d’une grossesse. On note dans ses antécédents une urticaire chronique diagnostiquée à l’âge de 18 ans. Une hypoesthésie faciale droite dans les territoires V1 et V3 est objectivée à l’examen clinique. L’examen des autres paires crâniennes est normal. Il n’existe pas de déficit moteur et les fonctions cognitives sont normales. L’examen général est sans particularité. Le bilan biologique révèle : ➤➤ une numération formule sanguine normale ; ➤➤ une VS à 7 mm/h et une CRP à 5 mg/l ; ➤➤ un bilan d’hémostase normal ; ➤➤ un bilan hépatique normal ; ➤➤ une créatininémie normale ; ➤➤ une protéinurie des 24 heures à 0,02 g. L’IRM cranio-encéphalique met en évidence une lésion ovoïde intracaverneuse droite qui s’étend vers le nerf V droit via le foramen ovale. Elle apparaît en isosignal T1 et isosignal hétérogène T2. Il existe également un rehaussement intense après injection de gadolinium (figures 1A et 1B). Il s’y associe une ballonnisation de la loge de Meckel et de la partie postérieure du sinus caverneux droit. Le diagnostic de neurinome du trijumeau est suspecté et une résection chirurgicale est décidée. L’exérèse chirurgicale est pratiquée par une ouverture frontotemporale droite. Le sinus caverneux est ballonnisé à sa partie postérieure. La lésion est de couleur jaunâtre et envahit les faisceaux nerveux de V2. Elle est en partie lobulée et facilement clivable à la curette. L’exérèse paraît macroscopiquement en zone saine. Histologiquement, il existe d’importants dépôts de substance amorphe qui se situent dans le tissu interstitiel et autour des vaisseaux (périvasculaires), réalisant d’épais manchons sous* Service de rhumatologie, CHU de Montpellier. 38 | La Lettre du Rhumatologue • N° 346 - novembre 2008 e ndothéliaux. Cette substance amorphe est colorée par le cristal violet, le rouge congo et la thioflavine (figures 2A et 2B). Le diagnostic d’amylose du trijumeau est retenu. Le typage des dépôts amyloïdiens ne peut être réalisé, car l’ensemble des prélèvements a été fixé lors du prélèvement chirurgical, rendant une étude immunohistochimique complémentaire impossible. Le bilan de cette lésion amyloïde est le suivant : ➤➤ il n’y a pas d’argument pour une maladie auto-inflammatoire malgré l’urticaire, mais, par principe, la recherche génétique est effectuée, sans révéler d’anomalie ; ➤➤ l’électrophorèse des protéines sériques et le dosage pondéral des immunoglobulines et des chaînes légères ne révèlent pas d’immunoglobuline anormale. L’immunofixation des protéines sériques n’objective pas de pic monoclonal. Il n’y a pas d’infiltration lymphocytaire ou plasmocytaire au myélogramme ni à la biopsie ostéo-médullaire ; ➤➤ le bilan immunologique (anticorps antinucléaires, facteur rhumatoïde et anti-CCP) est négatif ; La recherche d’une extension systémique de l’amylose se révèle négative : ➤➤ il n’y a pas de neuropathie périphérique ni de signe de dysautonomie. L’électromyogramme des 4 membres est sans anomalies ; ➤➤ il n’y a pas de syndrome sec, ni d’anomalies cutanées (purpura périorbitaire ou infiltrats amyloïdes), ni de douleurs osseuses ou articulaires ; ➤➤ l’examen cardio-pulmonaire et l’échographie cardiaque sont normaux ; ➤➤ il n’y a pas d’hépatosplénomégalie ni de macroglossie. Il n’y a pas de trouble digestif ni de dépôt amyloïdien à la biopsie colique et rectale ; ➤➤ le bilan rénal est normal. L’évolution est marquée par la disparition des douleurs et des paresthésies après l’exérèse de la lésion. Il persiste une hypo esthésie des territoires V1 et V2 à l’examen clinique, associée à une parésie du nerf III droit. Le réflexe cornéen est intact. cas clinique Discussion A B ▲ Figures 1A et B. IRM encéphalique en coupe axiale de la lésion intracaverneuse droite qui s’étend du trijumeau droit via le foramen ovale. A. En séquence T2 objectivant la lésion en isosignal. B. En séquence T1 après injection de gadolinium montrant un rehaussement intense de la lésion. ▼ Figures 2A et B. Coupe histologique de la pièce d’exérèse montrant des dépôts amyloïdiens. A. Coloration standard (HE). B. Coloration au rouge congo confirmant les dépôts amyloïdes. A B Cette jeune patiente souffre depuis plus de 2 ans de fourmillements de l’hémiface droite. La symptomatologie évoque une névralgie idiopathique du trijumeau. Cependant, la persistance des symptômes justifie des investigations neuroradiologiques dans l’hypothèse d’un neurinome. L’exérèse permet de révéler une amylose isolée appelée “amyloïdome”. Cette amylose pseudotumorale ou amyloïdome isolé est très rare : seuls 52 cas de tumeur amyloïde du système nerveux central ont été rapportés (1). Quand les nerfs périphériques sont atteints, il existe une prédilection pour le nerf trijumeau. À ce jour, seules 14 observations d’amyloïdome du trijumeau ont été rapportées dans la littérature (tableau) [1-10]. Par définition, il n’y a aucune autre localisation amyloïde dans ces observations. Cette atteinte du V s’observe uniquement dans l’amylose AL (11). L’amylose est caractérisée par un dépôt de substance protéique, fibrillaire, amorphe et réagissant de façon spécifique à la coloration au rouge congo (12). Elle peut être classée en fonction de la composition biochimique de ces fibrilles en 13 types au moins, dont les formes AA et AL sont les plus fréquentes. Dans l’amylose AA, le composant protéique est la protéine SAA, produite en excès par le foie dans les pathologies inflammatoires, infectieuses ou néoplasiques. Dans l’amylose AL, le composant amyloïde est un fragment ou la totalité d’une immunoglobuline, qui est le plus souvent une chaîne légère ou, exceptionnellement, une chaîne lourde. Cette amylose AL est la conséquence d’un syndrome lymphoprolifératif (myélome, lymphome non-hodgkinien ou maladie de Waldenström), où elle est isolée (primitive), associée le plus souvent à un composant monoclonal sans prolifération maligne qui peut être une chaîne légère libre sanguine ou une gammapathie monoclonale bénigne (MGUS) [13]. Chez notre patiente, les prélèvements qui ont été effectués lors de l’examen n’ont pas permis de déterminer la nature exacte de cette amylose, mais la recherche d’un syndrome lymphoprolifératif ou d’une atteinte systémique se révélée négative et le diagnostic d’amylose primitive a donc été retenu. La symptomatologie clinique de l’amyloïdome du trijumeau est univoque. Tous les patients décrivent des douleurs et paresthésies se distribuant selon une ou plusieurs branches du trijumeau, faisant évoquer le diagnostic de névralgie idiopathique du trijumeau. Le délai diagnostique est généralement long, avec une durée moyenne de 4,6 ans. Il était de 2 ans dans notre cas. Des explorations neuroradiologiques sont essentielles pour l’évaluation des patients atteints de névralgie du trijumeau atypique. En tomodensitométrie (TDM), la lésion apparaît communément hyperdense, avec un fort rehaussement après injection de produit de contraste (1). La présence de calcifications peut être notée. La Lettre du Rhumatologue • N° 346 - novembre 2008 | 39 cas clinique Tableau. Quatorze observations d’amyloïdome du trijumeau rapportées dans la littérature. Année Âge de publication Aspect IRM Sexe Délai diagnostique (années) Territoire d’hypoesthésie IRM T1 IRM T2 Injection de gadolinium H 11 V 2-3 NR NR NR Paresthésie Évolution Daly (2) 1957 42 Borghi (3) 1961 58 F 7 V 1-2-3 NR NR NR Paresthésie DeCastro (4) 1976 59 H 1,5 V 1-2-3 NR NR NR Paresthésie O’Brien (6) 1994 49 F 4 V 1-2-3 NP NP Oui Paresthésie Bornemann (5) 1993 44 F 10 V 2-3 NR NR NR NP Bornemann (5) 1993 49 F 10 V 1-2-3 Isosignal NP Oui NP Bornemann (5) 1993 45 F 9 V 2-3 Isosignal NP Oui NP Laeng (7) 1998 46 H 10 V2 NP NP NP Paresthésie Laeng (7) 1998 36 F 9 NP NP NP NP NP Laeng (7) 1998 31 H 4 V 1-2-3 NP NP Intense Paresthésie Vorster (8) 1998 46 F 1 Non Isosignal Hyposignal Intense Paresthésie Matsumoto (9) 1999 41 F NP V 1-2-3 Isosignal Hétérogène Intense Amélioration Yu (10) 2004 62 H NP NP Isosignal Hyposignal Oui NP Bookland (1) 2007 32 H 3 V 1-2-3 NP NP Oui Amélioration Notre observation 2007 40 F 2 V1-3 Isosignal Isosignal Oui Amélioration NP : non précisé ; NR : non réalisé. En IRM, la lésion est en isosignal ou discret hypersignal sur les séquences T1 avec un fort rehaussement après injection de gadolinium. Le signal est hétérogène et intermédiaire sur les séquences pondérées en T2. Ce signal hétérogène semble en rapport avec le dépôt non uniforme de la protéine amyloïde (14). L’IRM permet ainsi, par l’hyposignal des séquences T2, de différencier l’amyloïdome du schwannome ou du méningiome (10). Chez notre patiente, l’aspect IRM était comparable à celui retrouvé dans la littérature. Le seul traitement efficace est l’exérèse chirurgicale. La chirurgie permet généralement la disparition des douleurs. Des paresthésies ou un déficit sensitivo-moteur peuvent toutefois persister (5, 7, 8). Dans notre observation, l’évolution a été marquée par la disparition des douleurs mais aussi par la persistance d’une hypoesthésie et d’une parésie du III. En conclusion, il existe d’authentiques formes pseudotumorales d’amylose du système nerveux central. C’est une affection qui peut mimer une névralgie idiopathique du trijumeau. Même en l’absence de signes systémiques d’amylose, ce diagnostic exceptionnel peut être évoqué. L’évolution est généralement favorable après résection chirurgicale, avec un risque minime de récidive. Références bibliographiques 1. Bookland MJ, Bagley CA, Schwarz J et al. Intracavernous trigeminal ganglion amyloidoma: case report. Neurosurgery 2007;60:E574. 2. Daly DD, Love JG, Dockerty MB. Amyloid tumor of the gasserian ganglion: report of case. J Neurosurg 1957;14:347-52. 3. Borghi G, Tagliabue G. Primary amyloidosis in the gasserian ganglion. Acta Neurol Scand 1961;37:105-10. 4. DeCastro S, Sparks JR, Lapey JD, Freidberg SR. Amyloidoma of the gasserian ganglion. Surg Neurol 1976;6:357-9. 5. Bornemann A, Bohl J, Hey O et al. Amyloidoma of the gasserian ganglion as a cause of symptomatic neuralgia of the trigeminal nerve: report of three cases. J Neurol 1993;241:10-4. 6. O’Brien TJ, McKelvie PA, Vrodos N. Bilateral trigeminal amyloidoma: an unusual case of trigeminal neuropathy with a review of the literature. Case report. J Neurosurg 1994;81:780-3. 7. Laeng RH, Altermatt HJ, Scheithauer BW, Zimmermann DR. Amyloidomas of the nervous system: a monoclonal B-cell disorder with monotypic amyloid light chain lambda amyloid production. Cancer 1998;82:362-74. 8. Vorster SJ, Lee JH, Ruggieri P. Amyloidoma of the gasserian ganglion. Am J Neuroradiol 1998;19:1853-5. 9. Matsumoto T, Tani E, Fukami M et al. Amyloidoma in the gasserian ganglion: case report. Surg Neurol 1999; 52:600-3. 40 | La Lettre du Rhumatologue • N° 346 - novembre 2008 10. Yu E, de Tilly LN. Amyloidoma of Meckel’s cave: a rare cause of trigeminal neuralgia. Am J Roentgenol 2004;182:605-6. 11. Traynor AE, Gertz MA, Kyle RA. Cranial neuropathy associated with primary amyloidosis. Ann Neurol 1991; 29:451-4. 12. Grateau G. Amylose : aspects biochimiques. Rev Med Interne 1990;11:53-9. 13. Moles MP, Brousseau M, Rachieru AP et al. Forme pseudotumorale d’une amylose primitive : l’amyloïdome. Rev Med Int 2007;28:339-42. 14. Symkoa SC, Hattaba EM, Steinberga GK, Lane B. Imaging of cerebral and brain stem amyloidomas. Am J Neuroradiol 2001;22:1353-6.