Table ronde : BD numérique, une mutation animée

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Table ronde : BD numérique, une mutation animée
Table ronde : BD numérique, une mutation animée ?
L’irruption du numérique en bande dessinée a soulevé de nombreuses questions sur les modes de narration et l’expérience de lecture. Une table ronde consacrée aux créations en bande dessinée numérique réunissait, dans le cadre des 2es Rencontres de l’édition numérique, des professionnels comme Sergio Honorez (directeur éditorial des Éditions Dupuis), Guillaume Mangeot (directeur du pôle édition d’Ankama), Alexandre Castanheira (co‐directeur de la filiale française de ComiXology), ainsi qu’Alain Lewkowicz et Samuel Pott (auteurs du web‐manga documentaire Anne Frank au pays du manga). Les enjeux numériques d’un éditeur historique Comment un éditeur historique de bandes dessinées comme les Éditions Dupuis fait‐il face aux enjeux du numérique ? En 2013, les Éditions Dupuis ont fêté les 75 ans de Spirou. Pour célébrer cet anniversaire, il y a eu un travail important sur le patrimoine et une réflexion pour retrouver l’échange dont le magazine éponyme bénéficiait autrefois grâce à un « effet cour de récré ». C’est pour répondre à cette double exigence qu’est né le magazine numérique Spirou.Z qui célébrait le 75e anniversaire tout en proposant une expérience ludique mêlant BD, jeux et interactivité. Ce prototype – il n’existe actuellement que le numéro 0 – est le fruit d’un travail de réflexion important, notamment sur le format adéquat ou encore sur l’élasticité par rapport à l’univers de la bande dessinée. Comment adapter des cases de bande dessinée au format numérique ? Les créateurs sont‐
ils sensibles au numérique et pourront‐il s’y adapter ? Le public va‐t‐il adhérer ? Travailler en turbomedia va‐t‐il éloigner du métier ? (cf. Le blog de L’Intrépide de Malec pour découvrir ce qu’est le turbomedia) Pour Sergio Honorez, l’important ce n’est pas le nombre de cases ou de pages mais le temps de plaisir que l’on peut avoir en lisant une bande dessinée, que ce soit au format papier ou numérique. Une autre initiative a suivi cet unique numéro de Spirou.Z : insérer des QR codes sur certaines pages. Cette initiative va également dans le sens de la mise en avant du patrimoine des Éditions Dupuis : un lecteur peut par exemple utiliser le QR code d’une rubrique historique pour avoir accès au numéro du magazine Spirou de l’année 1991. Cette deuxième démarche permettait de rendre différents univers complémentaires. BD, jeux vidéo et animations : une stratégie transmédia Le pôle éditions du groupe français Ankama n’a pas le passé historique des Éditions Dupuis. Ankama a acquis sa notoriété avec les jeux vidéo et ne publie des bandes dessinées que depuis la fin de l’année 2005. Les différentes activités d’Ankama s’inscrivent dans le domaine du divertissement et sont liées par le même univers narratif. D’une bande dessinée peut naître un jeu vidéo, d’un jeu vidéo peut naître une animation, etc. Ankama fonde son développement sur une stratégie transmédia. Par exemple, des jeux vidéo, animations et bandes dessinées font partie de l’univers de Dofus et Wakfu. En créant des passerelles entre ces histoires, Ankama offre la possibilité au public de circuler d’un média à l’autre tout en restant immergé dans le même univers fictif. Ainsi, le public peut vivre une expérience complète et interactive. Toutefois si l’expérience du lecteur devient interactive lorsqu’il passe à un autre média, les bandes dessinées proposées par Ankama ne sont pas, à l’heure actuelle, des œuvres interactives. Pour le moment, les bandes dessinées numériques d’Ankama sont encore une simple version digitale de l’œuvre originale. Par ailleurs, Ankama s’est associé à l’acteur américain ComiXology en 2013 pour sa distribution numérique. Marvel Infinite : la technique du turbomedia La première plate‐forme mondiale de distribution de bandes dessinées numériques, ComiXology a ouvert l’année passée des bureaux en France et intégré des éditeurs francophones à son catalogue (Delcourt, Glénat, Ankama, Sandawe, Soleil, etc.). Néanmoins, ComiXology trouve son origine dans la culture américaine avec des éditeurs de renom tels que Marvel, DC Comics ou encore Image Comics. Pour le moment, c’est le catalogue américain de ComiXology qui compte de nouvelles créations en BD numérique. En ce qui concerne Marvel, l’auteur Balak (Yves Bigerel) a été appelé par la maison d’édition pour lancer une nouvelle collection de « digital comics » : Marvel Infinite. La technique du turbomédia est une technique utilisée chez Marvel Infinite. Selon Alexandre Castanheira, co‐directeur de la filiale française de la société américaine ComiXology, les bandes dessinées numériques répondent à un souci de cohérence en respectant avant tout ce que l’auteur a voulu faire ressentir et la technique du turbomedia se prête bien au catalogue de Marvel et aux histoires de super‐héros. Anne Frank au pays du manga : BD interactive et BD papier La dernière œuvre créative, Anne Frank au pays du manga, a été présentée par ses auteurs, Alain Lewkowicz et Samuel Pott. L’œuvre originale est un documentaire interactif (2012), une co‐
production d’Arte et SubReal Productions qui a par la suite été adaptée en bande dessinée par Les Arènes et Arte éditions (2012). Anne Frank au pays du manga est donc à la fois un voyage en BD documentaire interactive et une BD papier. À l’origine de l’œuvre interactive : un projet journalistique réalisé pour servir de complément à un film documentaire. L’œuvre originale mêlait sons, images, photos, écrits et manga. Dans le documentaire interactif, il y a notamment des interviews de personnes qui donnent leur point de vue sur l’extrême droite. Pour adapter la version originale au format papier, il a fallu utiliser un subterfuge pour ne pas perdre une partie lors de l’adaptation et un QR code a été inséré en début de chaque chapitre pour avoir accès à des vidéos essentielles à l’œuvre. Le passage de la bande dessinée papier au format numérique soulève de nombreuses questions, notamment en termes de rendu visuel et respect de l’univers particulier de la BD. Et inversement, l’adaptation en bande dessinée papier d’un documentaire interactif comme Anne Frank au pays du manga impliquait de recourir à des subterfuges, comme les QR codes, pour ne pas perdre une part essentielle de l’œuvre originale. Ce questionnement n’est pas neuf : l’adaptation d’une œuvre lui fait‐elle perdre une partie de ce qui fait sa richesse en la dénaturant ? Pour Sergio Honorez, ce qui compte finalement et, Gérard Wormser le rappelait dans l’introduction, c’est le public et le plaisir qu’il trouvera à lire l’œuvre.