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Dialogues
16
Faux lecteurs
et vrais militants
Médiatrice
Véronique Maurus
A
u cœur d’un été noyé sous la
pluie, le courrier des lecteurs
s’étiolait, morne comme une
actualité saturée par la ritournelle présidentielle. Quand le
sursaut vint d’où on ne l’attendait pas : un bref article publié dans les
pages culturelles, le 3 août, sous le titre
« Renaud au combat contre la corrida ».
Macha Séry, rédactrice spécialisée dans
les médias, y rapportait la colère de
Renaud contre le bureau de vérification
de la publicité (BVP), lequel avait refusé la
diffusion d’un spot contre la tauromachie
commenté en voix off par le chanteur. Produites par la Société protectrice des animaux (SPA) avec le Comité radicalement
anti-corrida (Crac) et la Fédération des luttes anti-corrida (Flac), les images dudit
spot avait été jugées choquantes.
Nul parti pris, encore moins de jugement, l’article restait prudemment informatif et donnait équitablement la parole
aux deux parties. Il suscita pourtant un
déluge de courriels. Issus de tous les coins
de France, les éloges pleuvaient sur tous
les modes ; du plus sobre – « Merci pour
votre article contre la tauromachie » (Nicole et Francis Bert, Carqueiranne) –, au
plus exalté : « Il faut du courage pour
publier ces réalités odieuses, dédaignées par
la plupart des médias pour des raisons de
lâcheté politique. Merci pour les animaux
suppliciés » (Jeannick Marcon).
Certains lecteurs annonçaient leur qualité, tels Sacha Liebenow, délégué Crac
pour le département de la Manche, ou
Marian Hussenbux, secrétaire de Quaker
Concern for Animals. D’autres arguaient
de leur fidélité : « Déjà que j’apprécie votre
journal pour la qualité de ses articles, de
savoir que vous soutenez tous les gens qui
dénoncent la barbarie moyenâgeuse de la
corrida (…) me fait vraiment chaud au
cœur. » (Françoise Solins, « une lectrice
0123
Dimanche 9 - Lundi 10 septembre 2007
assidue »). Emportés par l’enthousiasme,
quelques-uns se trompaient sur l’auteur :
« Toutes mes félicitations pour le bel article
de M. Séry ! », le titre ou l’article : « Merci
pour le message publicitaire anti-corrida. »
(Jean-François Chanu). Un autre – on
n’est jamais trop prudent – envoyait deux
courriels en rafale ; ils disaient la même
chose mais de façon différente.
Car, si le message général était toujours
le même (bravo, continuons le combat),
chaque courriel était soigneusement identifié et rédigé dans le style propre à chacun, avec ses références, son vocabulaire
souvent hyperbolique (« barbarie », « torture », « insoutenable cruauté », etc.) mais
suffisamment varié pour éviter l’effet
« copié, collé ».
U
n concert de louanges un peu
trop beau pour être honnête. En
tout cas disproportionné.
L’auteure de l’article, d’abord un
peu surprise par l’abondance des réactions, ne s’y est pas trompée. « C’est un
réseau qui s’exprime, remarque Macha
Séry, les activistes du Net sont structurés et
leur système de réaction est extrêmement
rapide. Dès que tu écris un article qui les touche, tu entres dans une liste de diffusion et ça
tombe comme à Gravelotte. »
La réaction en soi n’est pas surprenante. Les défenseurs de la cause animale figurent de tout temps parmi les militants les
plus virulents, les plus prompts à la riposte. Le moindre entrefilet sur la chasse, la
fourrure ou tout autre sujet connexe
déclenche un afflux de messages, parfois
fort violents – une enquête sur un lapin à
fourrure nous fut, en son temps, renvoyée
par courrier, découpée et couverte de sang
séché…
Cible favorite, le chantre attitré de la
tauromachie, Francis Marmande, est résigné. « A chaque article, c’est régulier, dit-il,
les insultes pleuvent ; je réponds toujours
gentiment, je n’ai pas d’arguments à opposer à quelqu’un qui exprime sa souffrance, je
respecte sa douleur. » Bien content encore
d’éviter les menaces plus directes que
reçoivent certains de ses confères – petits
cercueils, boîtes remplies de lames de
rasoir, etc.
La nouveauté est dans la méthode. Foin
des tracts et des pétitions laborieuses. L’Internet donne des ailes aux groupes de pression. On l’a bien vu pendant la campagne
présidentielle. Avec plus ou moins d’astuce ou de discrétion, tous les partis ont utilisé la Toile pour lancer des rumeurs ou y
répondre, vilipender ou, au contraire,
encenser des articles mis en ligne. Les partisans de François Bayrou, par exemple,
s’inscrivaient sur un forum ; à la moindre
attaque, ils y trouvaient non seulement les
articles à contrer, mais aussi l’argumentaire à développer, la liste des « cibles », etc.
Le PS, mieux organisé, fournissait des
fiches, tandis que l’UMP, plus discret,
fonctionnait essentiellement par courriels,
raconte Vincent Truffy, chef adjoint du service France.
Depuis les élections, cet activisme s’est
calmé, en apparence du moins. Mais le système reste appliqué par d’autres réseaux
qui deviennent de plus en plus habiles à
GDF Suez par Horsch
mesure que l’usage du Net se développe,
donc de plus en plus insaisissables.
Le service Courrier des lecteurs tient à
jour, depuis des années, un dossier « Sectes » : chaque sectaire, une fois identifié,
est répertorié et suivi à travers ses lettres
et courriels, quel que soit le sujet abordé.
Les groupes de pression sont plus ardus à
cerner : leur action repose sur une multitude de volontaires qui se renouvellent
constamment et dont chacun développe, à
partir d’un schéma commun, sa propre
argumentation. Comment distinguer les
faux lecteurs activistes des vrais lecteurs
convaincus ?
Au demeurant, dans une société où
« l’opinion », ce nouveau maître, tend à
remplacer la démocratie, où n’importe
quel sondage vaut légitimation populaire,
peut-on reprocher à des militants d’exprimer en masse leur avis pour faire pression
sur les médias à l’instar des plus puissants
lobbys ? C’est un piège, certes, mais un piège bénin, sitôt identifié sitôt déjoué, qui
peut par ailleurs éviter d’autres débordements.
Pour revenir à nos taureaux, notons
que, par exception cet été, les articles de
Francis Marmande sur la corrida n’ont
pas provoqué un torrent d’injures, pas
plus d’ailleurs que la page d’enquête
consacrée, le 5 septembre, à la bataille des
militants pro- et anti-corrida. Les défenseurs des animaux, tout occupés à susciter
l’adhésion des médias à leur cause, ont
rangé les menaces au placard et préféré
les encouragements. On ne peut que s’en
féliciter. a
RECTIFICATIFS ET PRÉCISIONS
Bulgarie. La commission
chargée de contrôler le passé
communiste des responsables
politiques et de la fonction publique a mis à l’index 139 députés
élus en Bulgarie depuis la chute
du communisme – dont 19 siègent dans l’actuel Parlement et
non 16, comme écrit par erreur
dans Le Monde du 7 septembre.
Mafia. Dans l’infographie intitulée « Les quatre grandes organisations mafieuses de la Péninsule » publiée dans Le Monde du
5 septembre, nous avons écrit
par erreur que le chiffre d’affaires de la Sacra Corona Unita était
estimé à 28,5 milliards d’euros ;
il est en fait de 6,3 milliards
d’euros.
Pologne. Nous avons indiqué
par erreur que les 36 millions de
zlotys perçus, selon les Polonais, par les chantiers navals de
Gdansk (Le Monde daté 2-3 septembre) représentaient environ
4,5 millions d’euros. Il s’agit en
réalité de 9,4 millions d’euros.
Ikea. Dans la page consacrée à
Ikea, dans l’article titré « En
Inde, les ONG se montrent critiques » (Le Monde du 30 août),
nous avons écrit par erreur que
les ouvriers étaient payés 2 dollars de l’heure. C’était 2 dollars
par jour.
Cinéma. La société de production cinématographique coréenne Bom Film Productions Co –
strictement spécialisée dans le
cinéma – précise qu’elle produit
avec Nuit et jour son deuxième
film réalisé par Hong Sang-soo,
et non son premier, comme indiqué par erreur dans Le Monde du
23 août.
Par ailleurs, Hou Hsiao-hsien est
taïwanais et non pas coréen.
objectif
Dessin de Horsch publié dans « Handelsblatt » ( Allemagne). [email protected]
Aucourrierdeslecteurs
Affaire Borrel
me
M Elisabeth Borrel a pris
connaissance des déclarations faites au journal Le Monde par le procureur général de Djibouti,
M. Djama Souleiman. Elle prend
acte du refus de celui-ci de comparaître devant la juridiction pénale, dérobade singulièrement éloquente de la part d’un haut magistrat que la dignité et le sens des
responsabilités qu’implique sa
fonction devraient conduire, si
elles étaient sans fondement, à
combattre les accusations dont il
fait l’objet en affrontant à
l’audience ceux qui les formulent
et en contestant dans un débat
public les éléments qui le mettent
en cause. Quant à la déclaration
de M. Souleiman suivant laquelle
« ce sont Mme Borrel et ses avocats
qui devraient être renvoyés devant
le tribunal », Mme Borrel y voit,
au-delà du mépris ainsi affiché
d’une façon puérilement provocante à l’égard d’une victime et
de ceux qui combattent avec elle
pour la manifestation de la vérité,
une nouvelle perte de sang-froid
révélatrice de l’embarras crois-
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sant des dignitaires du régime djiboutien devant les progrès de l’enquête et la détermination de la
France à faire la lumière sur l’assassinat de l’un de ses magistrats.
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Deux millions de pauvres
En lisant l’article « Objectif : –
2 millions de pauvres » (Le Monde du 31 août), j’ai été surpris et
révolté (…). Ranger cette information dans la rubrique Débats, comme s’il s’agissait d’un problème
sur lequel les opinions pouvaient
différer, m’inquiète beaucoup.
Les pages réservées à la Bourse
sont une partie de l’information,
mais la situation financière
concrète des ménages français
fait aussi partie des données que
le lecteur du Monde est en droit
de recevoir en lisant son quotidien. Et je dirai même qu’elles
devraient figurer en première
page, en parallèle avec toutes les
déclarations tonitruantes des élus
et aspirants au pouvoir. Les pauvres et désargentés, victimes des
rouages économiques, font aussi
partie de l’humanité. Serionsnous désormais soumis à une
information qui cherche à cacher
toutes les zones d’ombre de la réalité, comme cela était la règle
dans des démocraties que l’on
appelait à l’époque « populaires » ? Un journal comme Le Monde se doit de donner toutes les
informations, y compris celles qui
dérangent. Il l’a fait dans le passé
et il convient de l’en féliciter.
Mais de grâce, qu’il continue ! (…)
Pierre Chalopin
Le May-sur-Evre (Maine-et-Loire)
Le retour des bandes
ethniques
La « Page Trois » de l’édition du
6 septembre est riche en (mauvaises) surprises. D’abord, l’appel
de « une » décrète un « retour »
des bandes ethniques bien étonnant. Pouvez-vous m’indiquer la
date de l’édition dans laquelle
vous avez annoncé leur « disparition » ? Par ailleurs, je constate
un odieux deux poids deux mesures. A longueur de colonnes dans
votre journal, une personnalité
noire ou arabe qui s’illustre positivement – en présentant le
« 20 heures » par exemple – est
décrite comme « issue de la diversité » (avec ou sans les guillemets). Mais quand un Noir participe à des combats de rue à Paris,
il est « d’origine subsaharienne ». Il n’est souvent pire raciste
que l’antiraciste.
Laurent Mimouni
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