Entretien - Tango mi amor

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Entretien - Tango mi amor
Entretien avec DJ BYC (Bernardo), DJ Tango
Faut-il être fou pour être DJ ?
Ce qui me rendait fou, c’était de ne pas pouvoir danser sur les musiques qui me donnaient le frisson.
Il y a plus de dix ans en France il était parfois difficile d’entendre autre chose que du Di Sarli et les
pistes 2 et 5 du premier CD de Gotan Project…
Te souviens-tu de ton premier bal en tant que DJ de tango ?
J’ai créé et musicalisé deux milongas régulières au début des années 2000. Ce que j’appréciais à
l’époque, c’était de partager, faire découvrir des musiques que je passais des heures à choisir sur leur
musicalité et dansabilité.
Ce qui est amusant, c’est que lorsque je suis allé pour la première fois à Buenos Aires, j’ai été frappé
d’entendre que les musiques diffusées étaient les mêmes que celles que j’avais rodé dans mon petit
univers en France.
J’utilisais à l’origine des Mini Disc, mais depuis environ 2003 je suis passé à l’ordinateur pour avoir
plus de facilité pour danser et surtout transporter toute cette musique d’une milonga à l’autre…
Comment tu t’organises pour un bal ?
La première chose que je prépare, c’est la cortina, ou les cortinas. Si je préfère conserver la même
pour tout le bal, dans les pratiques je teste plutôt des cortinas sur des thèmes. Par exemple, le
folklore argentin, ou des bandes sons de films, voire de dessins animés. Le mois dernier à Esprit
tango (Paris), j’ai proposé des cortinas sur la série les Simsons… La semaine prochaine, je proposerai
des interprétations magiques de Schumann par Marta Argerich (la fabuleuse pianiste argentine).
L’an passé pour Tangopostale, j’avais préparé une cortina à base de « Toulouse » de Nougaro, mais
chanté par un chœur d’enfant. Cette année, j’ai joué à fond le thème des deux rives, mais chut.
Entre les cortinas, je place bien sûr des tandas. Je les considère comme de petits voyages. J’essaye de
trouver une logique dans l’enchaînement des titres. Je respecte aussi scrupuleusement que possible
la compatibilité des morceaux, même orchestre, même sonorité, mêmes chanteurs de façon à ce que
les danseurs puissent entrer le plus profondément possible dans la musique. Un morceau qui
détonne et c’est l’harmonie qui est détruite. Pour pouvoir construire une milonga à la volée, je
prépare des regroupements de titres qui sont harmonieux, je peux ainsi être certain de ne pas créer
de gros impairs dans le feu de l’action.
J’essaye aussi, mais c’est à mon avis moins important, de créer un rythme dans l’enchaînement des
danses.
Je souhaite jouer à fond le thème du festival Tangopostale 2012, « les deux rives ». Pour cela,
j’essayerai de diffuser des interprétations un peu plus rares venues d’Uruguay. Préparer ce festival
m’a demandé de réinterroger les presque sept mille tangos de ma musithèque.
Quels sont les orchestres incontournables pour toi ?
Si l’orchestre donne envie de danser, il est incontournable. Je me rends compte parfois en fin de
soirée que j’ai honteusement privilégié un orchestre. C’est qu’il répondait bien aux envies de la salle.
Il est en tout cas exceptionnel que je ne diffuse pas Fresedo, Donato, Canaro, Biagi, Los dos Ángeles,
Racciatti et d’Arienzo.
Quelle place accordes-tu aux années 40 dans ta programmation ?
Honnêtement, c’est le gros de ma programmation. Je recherche tout le temps les meilleurs
enregistrements possibles et il m’arrive même souvent de faire des montages. Je sais que ce n’est
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pas bien, mais je ne supporte pas d’entendre toujours les mêmes petits défauts. Il y a quelques
temps à Buenos Aires, deux petits vieux guettaient un de ces artéfacts sur El Flete de d’Arienzo
(enregistrement du 3 avril 1936). Sur ma version, il est corrigé…
Je me plais à rêver à ce que pourraient être les milongas si ces crétins de chez Sony n’avaient pas jeté
tous les masters. Avec les moyens actuels, on pourrait retrouver la qualité de son des orchestres de
l’époque et cela m’épargnerait beaucoup de temps. En effet, une contrebasse devait émettre en
1940 le même son qu’une contrebasse aujourd’hui…
Et aux orchestres plus actuels ?
Il existe d’excellents orchestres actuels. Certains apportent une interprétation personnelle. Je n’aime
pas trop les orchestres qui jouent « à la manière de », même si la qualité sonore est supérieure car il
y a toujours un petit quelque chose qui cloche. L’imitation n’est pas le ressenti.
J’adore en revanche certains orchestres comme le Sexteto Milonguero. Là, c’est une véritable
énergie, une authenticité et danser avec eux en live est un moment extraordinaire.
Et de l’électro tango, t’en penses quoi ?
Il m’arrive d’en diffuser, mais je n’arrive quasiment jamais à créer une tanda homogène. En effet,
très peu de musiques électro comportent le support à la danse.
Pour moi, une bonne musique de tango doit comporter de la variété, différentes lignes mélodiques
qui s’enchevêtrent, une vitesse et un rythme qui correspondent parfaitement au caractère de la
danse.
Ce n’est à mon avis pas un hasard si à Buenos Aires il est si rare d’en entendre.
Je pense cependant dommage que les orchestres électro qui ont créé quelques titres à peu près
dansables n’aient pas pris la peine d’en enregistrer suffisamment pour faire une tanda complète.
À quoi penses-tu quand tu programmes ?
Je pense à ceux qui ne dansent pas. Je vais souvent leur demander si c’est à cause de la musique. Je
leur demande ce qu’ils aiment et si cela me semble compatible avec l’esprit de la soirée, je leur fais
ce petit cadeau.
Tu préfères le début ou la fin d’un bal ?
Comme danseur, tout le bal, y compris quand la piste est totalement bondée car cela oblige à danser
avec beaucoup de finesse et de subtilité. Comme DJ, c’est variable. Je n’aime pas la fin car c’est
frustrant de se résoudre à ne pas avoir passé des titres que l’on avait vraiment envie de diffuser.
Je n’aime pas le temps des annonces et du sorteo car cela refroidit la salle et qu’il va falloir ensuite
remonter la mayonnaise et que c’est toujours angoissant de voir les danseurs partir ;
Tu es plutôt tango chanté ou plutôt tango instrumental ?
Je pense que c’est un faux débat. La culture du tango ne se limite pas à la danse. Il a des milliers de
magnifiques thèmes que je classe en « canciones » et que je ne diffuse donc jamais en bal. Ce sont à
mon avis ces morceaux qui ont donné leur mauvaise réputation aux tangos chantés.
Souvent, un tango purement instrumental me parait souvent déséquilibré et par conséquent, je me
rends compte que je passe très majoritairement du tango chanté.
Tu es plutôt valse ou plutôt milonga ?
Une de mes petites manies personnelles est de commencer une milonga par une tanda de valse. Je
trouve que c’est facile à danser et qu’il n’y a que très peu de vilaines valses. Il m’arrive de diffuser
d’ailleurs des valses de toutes les origines. Elles peuvent être très lentes ou rapides, avec des
variations de rythme, presque tout passe bien.
Pour les milongas, le choix est extrêmement plus restreint. Sur plus de cinq cent milongas que je
possède, je n’en utilise qu’une centaine.
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Ton lieu de bal idéal ?
Bonne piste, bonne musique et danseurs respectueux. Cela se retrouve dans la plupart des milongas
traditionnelles à Buenos Aires, mais aussi, et de plus en plus souvent en d’autres lieux.
Le tango est une recherche d’harmonie. Si chaque danseur la recherche, on peut faire un bal
merveilleux dans des conditions moyennes.
Que t’inspire Tangopostale ?
Au départ, le nom peut un peu surprendre. En effet, à Buenos Aires on appelle ainsi ces cartes que
les touristes envoient (avec bien peu de chance de réception) et où l’on voit des couples dans des
poses globalement absurdes et ridicules.
Cependant, dès que l’on pense à Toulouse, l’Aéropostale vient à l’esprit et l’on est heureux de
participer à cette belle entreprise qui unit les Hommes des deux côtés de l’Atlantique dans une
passion commune, le tango dont on est tous un peu timbrés.
Et s’il ne devait en rester qu’un tango parmi tous, un seul, ce serait
lequel pour toi ?
Ne parle pas de malheur ! Il ne peut pas rester un seul tango. Je possède à ce jour 6915 tangos et je
n’arrive pas à me défaire de certains presque doublons, par exemple une copie plus gratouillante du
même enregistrement, mais dont la sonorité n’est pas inintéressante.
J’ai classé tous les titres en fonction de leur dansabilité, pour en retenir moins de 1500. Je passe
beaucoup de temps en avion et j’y écoute systématiquement mes tangos. J’y redécouvre ainsi des
perles oubliées, soit que ma sensibilité ait changé, soit que je les avais tout simplement occultées. Je
ressors alors ces titres et je les rends présentables. Si ce sont des tangos chantés, je rajoute les
paroles au fichier. Mon préféré peut donc être ce petit dernier, mais pas question de le rendre
orphelin…
Propos recueillis par Gerry Kenny
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