Degré, radians, arcs et sinusoïdes
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Degré, radians, arcs et sinusoïdes
Degré, radians, arcs et sinusoïdes Denis Tanguay, UQÀM, département de mathématiques, section didactique [email protected] 1. INTRODUCTION Dans l’annexe intitulée Énoncés liés aux thèmes abordés dans le programme Mathématique 216 (Ministère de l’Éducation du Québec, 1993), le 10e énoncé se lit ainsi : « Dans un cercle, l’angle au centre a pour mesure la mesure de l’arc compris entre ses côtés. » Le même énoncé a été conservé au 1er cycle du secondaire dans le nouveau programme, dont l’implantation est déjà mise en branle. Cet énoncé fait partie de « ... ces définitions et ces propriétés [que l’élève] utilisera pour déduire des mesures et justifier une affirmation dans la résolution d’un problème portant sur les polygones réguliers et les cercles. » (MEQ, Math 216, p. 59). Précisons tout de suite qu’au premier cycle du secondaire (1re et 2e secondaires), l’élève n’a pas vu les radians. L’unité des mesures ici en cause est donc le degré, et c’est bien pour cela que l’énoncé ci-dessus laisse perplexe. Imaginons qu’un enseignant cherche à le justifier ou à lui donner un quelconque statut théorique. Il doit alors expliquer en quoi consiste mesurer un arc en degrés, puisque l’énoncé fait reposer la mesure de l’angle au centre sur celle de l’arc intercepté par cet angle. Mais un arc de cercle est une ligne courbe. Une courbe a en général une longueur et se mesure donc dans le Système international en mètres, ou plus pragmatiquement pour la classe, en centimètres. Si la mesure naturelle de l’arc était le degré, la formule de calcul du périmètre d’un cercle, valable pour tout cercle quel qu’en soit le rayon, serait « 360° », point à la ligne. Voilà qui serait bien sûr absurde. Mais alors, si la mesure naturelle d’un arc est le mètre, en quoi consiste mesurer un arc en degrés? Le degré étant l’unité de mesure des angles, mesurer un arc en degrés consiste à associer à l’arc un angle dont la mesure est proportionnelle à celle de l’arc, et à mesurer cet angle. Or, il va de soi que cet angle, associé à l’arc, est l’angle au centre qui l’intercepte! On comprend mieux dès lors ce qui dérange dans le fameux énoncé : IL EST À L’ENVERS! Ce n’est pas l’angle au centre qui a pour mesure celle de l’arc, mais bien l’arc qui a pour mesure en degrés celle de l’angle au centre! Si GRMS c’est encore possible, nous suggérons donc aux rédacteurs du nouveau programme de remplacer l’énoncé par ceci : La mesure en mètres d’un arc de cercle est proportionnelle à la mesure en degrés de l’angle au centre qui l’intercepte. Dans les contextes où l’on veut évaluer rapidement quelle proportion de la circonférence représente l’arc, il est utile d’attribuer à l’arc une mesure en degrés, qui est alors celle de l’angle au centre qui intercepte cet arc. Parmi ces contextes où mesurer les arcs en degrés présente des avantages certains, il y a celui des relations qui lient les différents types d’angles dont les côtés ont une intersection non vide avec un cercle : angles au centre, angles inscrits, angles intérieurs et extérieurs à un cercle. Nous y revenons en annexe au présent article. 2. LES RADIANS 2.1 Les radians en sciences et dans les programmes Les radians ne sont mentionnés nulle part dans le programme de Mathématique 536, qui prévoit pourtant une étude relativement systématique des fonctions sinus, cosinus, tangente et sinusoïdale. Dans le nouveau programme, le radian et le cercle trigonométrique sont mentionnés explicitement dans la description des contenus de la 3e année de la séquence Technico-sciences, autant dans le tableau synthèse de la page 96 que dans l’extrait suivant : Si l’étude du cercle trigonométrique introduit, d’une part, le concept de fonction sinusoïdale, elle soutient, d’autre part, l’établissement d’une correspondance entre les radians et les degrés ainsi que le calcul des longueurs d’arc dans l’une ou l’autre de ces unités. (MELS, 2006, p. 97) Dans la séquence Sciences naturelles du nouveau programme, en plus d’apparaître dans le tableau synthèse sur la Géométrie, à la page 108, le cercle trigonométrique est mentionné explicitement dès la 4e secondaire (2e année du 2e cycle) : ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 9 Le cercle trigonométrique est mis à contribution pour introduire les apprentissages relatifs à la trigonométrie du triangle rectangle. [...] Cette approche permet à l’élève d’expliquer la présence de valeurs négatives dans les rapports trigonométriques ou la présence de rapports de même valeur pour deux angles différents. (MELS, 2006, p. 109) On peut raisonnablement penser que l’absence de mention explicite des radians, tant dans le programme Mathématique 536 que dans la séquence Sciences naturelles du nouveau programme, tient, dans l’esprit des concepteurs de ces programmes, à ce que les radians y sont incontournables. Les auteurs de manuels l’ont d’ailleurs bien compris, puisqu’ils introduisent tous la trigonométrie dans le cercle et la mesure d’angle en radians comme préalables à l’étude des fonctions trigonométriques. Parmi les nombreuses raisons qui motivent l’utilisation des radians dans ce contexte, la principale est sans doute que dans les domaines scientifiques où les fonctions trigonométriques ont un rôle central à jouer, ces fonctions s’appliquent systématiquement à une variable libre correspondant à une mesure en radians. En effet, les relations d dt d sin t = cos t et dt cos t = -sin t ne sont valables que quand « sin » et « cos » désignent les fonctions sinus et cosinus d’un angle variable mesuré en radians. Voilà certainement un point sur lequel les enseignants de 5e secondaire n’insisteront jamais trop : les fonctions sindeg t et sinrad t, correspondant au sinus d’un angle mesurant respectivement t degrés et t radians, ne constituent pas la même fonction! La première prend par exemple la valeur 2 /2 ≈ 0,707 quand t vaut 45, alors que la seconde 2 t = 45 une valeur approximativement égale à prend en 0,851. Au collégial, non seulement l’enseignant consciencieux devrait-il revenir sur ce point, mais il aura selon moi tout intérêt à demander à ses étudiants d’établir la formule de la dérivée de sindeg t, connaissant celle de sinrad t. Sachant que ces fonctions prennent la même valeur quand l’angle mesuré par la variable t est le même, il suffit, pour ce faire, d’écrire : d dt sindeg t = d dt πt 180 , sinrad (un angle de t degrés mesure πt = cosrad , 180 d 180 π (règle de chaîne, et = 10 π 180 cosdegt. dt π 180 t radians) sinrad = cosrad) Un simple exercice d’approximation à l’aide de la dérivée achèvera de convaincre les étudiants de la validité de ces relations. Ce pourrait être l’exercice suivant : La fonction dérivée de f(t) = sin t donne la valeur en t du taux de variation instantané de f. Si la relation f '(t) = cos t était vraie pour le sinus en degrés, sachant que le cosinus de 60° est ½, cela voudrait dire qu’en passant de la valeur t = 60° à la valeur très voisine t = 61°, f(t) = sin t devrait augmenter d’environ ½. Comparez, à la calculatrice, les valeurs de sin(60°) et sin(61°). Où est le problème? Expliquez le lien avec le calcul de la dérivée du sinus en degrés, fait en classe. À la section 3.3, j’essaierai de persuader le lecteur que la relation d dt sin t = cos t peut être abordée de façon infor- melle, mais néanmoins très riche en enseignement, dès la 5e secondaire! 2.2 Les radians en classe Le flou entretenu par certains énoncés des programmes sur la mesure des arcs de cercle, flou dont j’ai discuté en introduction, risque de s’embrouiller encore davantage avec l’introduction au radian. Les programmes ne spécifient pas quelle définition devrait être adoptée pour cette unité de mesure, mais la seule phrase qui porte là-dessus dans le nouveau programme, et que j’ai citée dans la section précédente, pourrait laisser entendre que le radian est une unité de mesure de longueur d’arc. Mais voyons ce qu’en disent les manuels. Dans Mathophilie, on donne du radian la définition suivante : Un radian est la mesure d’un angle au centre d’un cercle qui sous-tend un arc de longueur égale au rayon. Puisque la circonférence d’un cercle vaut 2� fois la mesure du rayon, un tour complet vaut 360° ou 2� radians. (Mathophilie 536, p. 357) Cette définition est relativement standard. Le manuel Réflexions propose une définition analogue, à la page 227 du tome 2 de Mathématique 536 : « Dans un cercle, un radian correspond à la mesure de l’angle au centre dont les côtés interceptent un arc dont la longueur est égale au rayon. » Un bon pédagogue sera naturellement porté à se demander ce que les élèves comprendront de ces énoncés : bien que parfaitement valables mathématiquement, ceux-ci sont, il faut bien le dire, passablement abscons. ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 GRMS Pourquoi s’intéresser à un arc de même mesure que le rayon? Pourquoi l’angle au centre correspondant, qui représente le (1/2�)-ième de l’angle plein — au fait, quel rapport peu usuel! — aurait-il le statut si particulier « d’unité de mesure »? Imaginons maintenant un élève qui aurait perdu de vue que les unités de mesure naturelles des arcs sont les unités de longueur, et pour qui les arcs se mesurent en degrés, une conception que le fameux énoncé du programme (cf. l’introduction) et le travail systématique sur les arcs en degrés dans les exercices auront contribué à cimenter. On imagine alors facilement son désarroi : quelle est la mesure en degrés du rayon? Comment s’étonner, dès lors, qu’une majorité d’élèves se fasse une montagne de l’introduction au radian. Je propose plutôt d’enchaîner en classe les constats et raisonnements clés suivants par lesquels, au fil des ans, de nombreux étudiants des cours de mise à niveau dont j’ai eu la charge au collégial m’ont dit avoir débloqué leur compréhension du sujet. • Le degré est une mesure archaïque qui origine des Babyloniens et Égyptiens1, et que les scientifiques ont cherché à remplacer par une mesure d’angle mieux en phase avec les unités du système Sİ2 •P uisque les mesures des angles au centre sont proportionnelles aux mesures (en mètres) des arcs interceptés par ces angles, pourquoi ne pas mesurer les angles en les plaçant au centre d’un cercle et en mesurant les longueurs des arcs interceptés? • Parce qu’alors, la mesure des angles dépendrait du cercle choisi. Selon qu’un même angle est placé dans un cercle dont le rayon mesure r mètres ou 3r mètres, par exemple, la longueur de l’arc intercepté variera du simple au triple. Or, l’angle au centre est resté le même : PROBLÈME! • Cela suggère de se donner un « cercle étalon », un cercle fixé, au centre duquel on rapporterait systématiquement tous les angles à mesurer. Et quoi de plus naturel, alors, de choisir un cercle de rayon unitaire. Quand, de plus, son centre est placé à l’origine du plan cartésien, ce cercle étalon est appelé « cercle trigonométrique ». Nous verrons bientôt pourquoi. On obtient alors la définition suivante des radians3 : Mesurer un angle en radians consiste à placer cet angle au centre d’un cercle de rayon 1 (m, cm, km, pouce, pied, coudée…) et à mesurer la longueur de l’arc intercepté (en m, cm, km, pouces, pieds, coudées…). Le nombre obtenu constitue alors la mesure de l’angle en radians, et est indépendant de l’unité de mesure choisie pour le rayon, à condition cependant d’utiliser cette même unité pour mesurer la longueur de l’arc intercepté. La correspondance 360° ↔ 2� radians découle alors directement de la formule du périmètre du cercle. Une remarque s’impose maintenant, à l’effet que l’énoncé du programme, évalué en introduction comme très discutable pour les degrés, est par contre parfaitement adéquat pour les radians sous certaines conditions : la mesure en radians de l’angle au centre d’un cercle de rayon unitaire est bel et bien celle de l’arc compris entre ses côtés! Faire de la correspondance 1 rayon ↔ 1 radian l’objet cognitif premier est à mon avis une maladresse pédagogique parce que l’élève ne sait pas quel sens lui donner : pourquoi un arc de même longueur que le rayon? Le sens se construit plus aisément à travers la correspondance plus naturelle [1 unité de longueur pour l’arc] ↔ [1 radian], la correspondance rayon-radian découlant conséquemment Pour faire ressortir ce caractère archaïque du degré, l’enseignant pourra demander : « D’où vient ce 360? Pourquoi y a-t-il 360 degrés dans l’angle plein, plutôt que 100, 400 ou 257? Réponse : parce qu’il y a environ 360 jours dans une année! Et même si je simplifie un peu la vérité historique en disant cela, ce n’est pas une boutade! » Pour le lien entre degrés, astronomie, mathématiques babyloniennes et égyptiennes, le lecteur pourra consulter Charbonneau, 1986. 2 L’enseignant pourrait toucher un mot ici du grade, unité de mesure d’angle qui correspond à un centième de l’angle droit, et dont l’introduction a constitué une de ces tentatives d’instaurer une mesure d’angle conforme aux principes du système Sİ. Si le grade n’a pas réussi à s’implanter dans les domaines scientifiques, c’est qu’on lui a préféré le radian, pour les raisons que nous avons invoquées à la section 2.1 3 Le lecteur aura noté qu’on est passé d’une introduction au radian à une introduction auX radianS. Ce détail n’est pas anodin. 1 GRMS ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 11 du fait qu’on s’est placé dans un cercle étalon, où le rayon mesure 1. Autrement dit, la correspondance rayon-radian vient « ensuite » et non « d’abord », dans l’enchaînement des idées. S’il est vrai que la mesure en radians d’un angle au centre permet de déterminer facilement la mesure de l’arc intercepté, pourvu qu’on sache quelle est la mesure du rayon du cercle (et dans quelle unité!), le radian reste une mesure d’angle, et c’est une erreur conceptuelle d’en faire une mesure de longueur. L’énoncé du nouveau programme, cité en début de § 2.1, contribue donc lui aussi selon moi à brouiller les cartes! 3. FONCTIONS TRIGONOMÉTRIQUES ET RADIANS 3.1 Trigo du triangle et trigo du cercle Avant de transporter la trigonométrie dans le cadre des fonctions, il faut pouvoir étendre la définition du sinus et du cosinus aux angles obtus, aux angles de mesure négative, aux angles de plus d’un tour, etc., ce qui ne peut guère se faire qu’avec la trigonométrie du cercle. Quand celle-ci est traitée après la trigonométrie du triangle, conformément aux programmes4 , il importe bien sûr que l’enseignant fasse le lien entre les deux et établisse clairement en quoi la trigonométrie du triangle constitue un cas particulier de la trigonométrie du cercle. Ce lien peut par exemple être établi comme suit. On dira qu’un angle est placé en position standard dans le cercle trigonométrique si son sommet est à l’origine O du plan xy, et si le premier côté de l’angle coïncide avec la partie positive de l’axe des x. On nomme P le point d’intersection du 2e côté de l’angle avec le cercle, et Q la projection orthogonale de P sur l’axe des x. Soit A le point de coordonnées (1 ; 0) et B le point de coordonnées (0 ; 1). En déplaçant continûment le point P de A à B, on constate que les angles en position standard ainsi formés constituent tous les angles aigus possibles, entre l’angle nul obtenu quand P coïncide avec A et l’angle droit, obtenu quand P coïncide avec B. y B O En déplaçant continûment le point P de A à B, on forme des triangles ∆OPQ qui constituent, par le critère AA de similitude, tous les triangles rectangles possibles à similitude près. P Q A (1;0) x Les rapports trigonométriques des angles ∠AOP = ∠QOP ainsi formés s’obtiennent alors en considérant les triangles ∆OPQ, rectangles en Q, dont les hypoténuses OP sont des rayons du cercle trigonométrique et mesurent donc 1. En particulier, le cosinus de ∠QOP , égal au rapport mOQ / mOP = mOQ /1, est donné par la mesure de OQ qu’on « lit » directement sur l’axe des x, et le sinus de ∠QOP est donné par la mesure de PQ , qui correspond à l’ordonnée de P et qu’on peut donc lire directement sur l’axe des y. En résumé, si α = m ∠QOP , alors P est le point de coordonnées (cos α ; sin α). Cela suggère de généraliser la définition du cosinus et du sinus à l’angle nul et à l’angle droit, aux angles obtus, aux angles de mesure négative (mesurés en tournant dans le sens horaire)5, aux angles plus grands que l’angle plat ou que l’angle plein, etc. : on décrète que le cosinus et le sinus d’un angle quelconque seront respectivement l’abscisse et l’ordonnée du point d’intersection du 2e côté de l’angle avec le cercle trigonométrique, l’angle y étant placé en position standard. 3.2 La fonction sinus en radians De prime abord, il apparaît prématuré de parler des formules de dérivation en 5e secondaire, pour justifier la préséance des fonctions trigonométriques d’un angle variable mesuré en radians, sur celles d’un angle variable mesuré en degrés (voir § 2.1). Il est cependant relativement aisé de faire ressortir à quel point les fonctions trigonométriques deviennent naturelles et simples lorsque traitées en radians. Tous les enseignants ne sont pas d’accord avec cette prescription des programmes, et certains sont convaincus qu’il serait plus avantageux de faire la trigonométrie du cercle d’entrée de jeu, avant la trigonométrie du triangle. Voir par exemple Charbonneau, 2002, § 4. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le nouveau programme ouvre une porte à cette possibilité dans la séquence Sciences naturelles : voir le 2e extrait de notre section 2.1. 5 Pour tout angle, on pourra dès lors parler de sa mesure signée, c’est-à-dire d’une mesure affectée du signe + ou du signe –, selon le sens de la rotation à effectuer pour passer du 1er au 2e côté à travers l’angle. 4 12 ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 GRMS Supposons, par exemple, qu’on veuille étudier en classe la fonction u(t) = sin t, où t désigne la mesure « orientée » d’un angle variable, mesure dont on peut maintenant faire un quelconque nombre réel sur la base de la généralisation qu’a permise la trigonométrie du cercle. Attention pour la classe! Il y a alors deux plans cartésiens en jeu, et il s’agit pour l’enseignant d’être clair et de ne pas amener ses élèves à confondre ces deux plans : 1. Le plan des t u, où l’on se propose de tracer le graphique de la fonction u(t) = sin t. 2. Le plan des x y, celui du cercle trigonométrique, qui permettra de déterminer la valeur du sinus pour une valeur de t donnée. Pourquoi la fonction u(t) = sinrad t serait-elle plus « naturelle » que la fonction u(t) = sindeg t? Nous avons vu que quand t est la mesure signée en radians d’un angle en position standard, le réel t constitue également la longueur « orientée » de l’arc, mesurée à partir du point (1 ; 0) jusqu’au point (cosrad t ; sinrad t), intersection du 2e côté de l’angle avec le cercle. Cette longueur d’arc est orientée parce qu’elle doit être mesurée en tournant dans le sens mathématique si t > 0 et dans le sens horaire (anti-mathématique) si t < 0. On peut alors se forger une conception très dynamique et imagée de u(t) = sinrad t : si t est vu comme le temps qui s’écoule, la fonction sinrad t peut être vue comme la fonction « hauteur » (ou « ordonnée » dans le plan x y) d’un point se déplaçant à vitesse constante6 sur le cercle trigonométrique. Quand t est négatif, on doit « remonter dans le passé » (en deçà de la valeur t = 0) en tournant dans le sens contraire. Pour alléger la notation, nous supposerons, dans ce qui reste du présent texte, que sin t et cos t désignent les fonctions sinus et cosinus d’un angle mesuré en radians. Autre façon très imagée de concevoir la fonction u(t) = sint : on « enroule » l’axe des t sur le cercle trigonométrique en faisant coïncider son origine (la valeur t = 0) avec le point A : (1 ; 0) dans le plan xy. Chaque intervalle de longueur 2� sur l’axe des t correspondra, bijectivement et isométriquement, à un tour complet sur le cercle. Pour chaque valeur de t, la valeur de sin t à reporter sur l’axe des u pour placer le point (t ; sin t) sur le graphique, est simplement l’ordonnée du point (cos t ; sin t), obtenu par enroulement7. On peut même envisager l’abus de notation qui consisterait à utiliser la même lettre pour désigner l’axe des ordonnées dans chacun des deux plans, puisque les valeurs à reporter en ordonnée pour tracer le graphique sont les mêmes que les valeurs « lues » comme ordonnées des points sur le cercle. L’enseignant devrait maintenant être convaincu du choix de u(t) = sin t, plutôt que u(t) = cos t, comme première sinusoïde à tracer en classe : si l’on choisit de tracer le graphique de u(t) = cos t, on lit la valeur du cosinus sur l’axe des abscisses dans le plan x y et on la reporte sur l’axe des ordonnées dans le plan t u ; voilà qui est susceptible d’engendrer la confusion chez les élèves. Voir figure 1. Pour tracer le graphique de la fonction cosinus après avoir tracé celui du sinus, il suffit d’inférer, de la relation cos t = sin (t + �/2), que le graphique du cosinus s’obtient de celui du sinus par translation horizontale de �/2 vers la gauche (voir par exemple Tanguay, 2000). Voir figures 2 et 3. y t + sin t + π 2 t π 2 x cos t Figure 1 Figure 2 Plus précisément, à la vitesse constante et unitaire d’une unité de longueur parcourue par unité de temps. Plus formellement, si E : → 2, t (cos t ; sin t) désigne la fonction d’enroulement, à images sur le cercle trigonométrique, et si Px, Py : 2→ désigne les projections sur les axes, qui appliquent (x ; y) respectivement sur x et sur y, alors la fonction cos t est Px○E et la fonction sin t est Py○E . 6 7 GRMS ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 13 1 3π � π -1 2 cos t 2 2� t sin t Figure 3 3.3 Des dérivées en 5 secondaire e Essayons maintenant de déterminer comment varie le taux de variation en fonction des valeurs de t, dans u(t) = sin t, le sinus en radians. Le point au bout de l’arc de longueur t, mesuré sur le cercle trigonométrique à partir de (1 ; 0), est le point E(t) = (cos t ; sin t). Le sinus est donc la hauteur du point au bout de cet arc. Rappelons que pour f (t 2 ) − f (t1 ) toute fonction f, s’approche de (–1 ; 0), soit quand t atteint la valeur �. En t = �, le déplacement du point sur le cercle est à nouveau vertical, la hauteur diminue autant que la longueur d’arc augmente, et le taux de variation atteint la valeur –1. Entre toutes ces valeurs, le taux varie continûment, sans saut, sans rupture. Sur cette portion du cercle, la hauteur du point E(t) diminue quand t, la longueur de l’arc, augmente : le taux de variation de sin t sera négatif. y Au voisinage des points (0 ; 1) = E(�/2) et (0 ; -1) = E(3�/2) = E(-�/2), la variation de hauteur du point E(t) est presque nulle. x Sur cette portion du cercle, la hauteur du point E(t) augmente quand t, la longueur de l’arc, augmente : le taux de variation de sin t sera positif. t 2 − t1 est le taux de variation de f entre les valeurs t2 et t1. Ce nombre (négatif si f diminue entre t2 et t1 quand t2 > t1, positif sinon) indique de combien a varié f en moyenne (c’est-à-dire pour une variation d’une unité de la variable t) entre t2 et t1. L’idée est la suivante : quand E(t) = (cos t ; sin t) est proche de (1 ; 0) sur le cercle trigonométrique, le mouvement du point E(t) est presque vertical, la hauteur du point (la valeur du sinus) varie presque de la même façon que la longueur de l’arc parcouru (la valeur de t) sur le cercle, si bien que le taux de variation est voisin de 1. En fait, à la limite, au point (1 ; 0), quand t = 0, le taux de variation est de 1. Dès qu’on quitte la valeur t = 0 et le point (1 ; 0) sur le cercle, la variation de la hauteur commence à diminuer pour une même variation de la longueur d’arc, et le taux de variation diminue lui aussi. Quand E(t) est proche de (0 ; 1) sur le cercle, le mouvement du point E(t) est presque horizontal et la variation de la hauteur est presque nulle. À la limite, au point (0 ; 1), quand t = �/2, le taux de variation est de 0. Dès qu’on quitte la valeur t = �/2 en augmentant la valeur de t, c’est-à-dire dès que le point au bout de l’arc de longueur t entre dans la portion du cercle qui est dans le deuxième quadrant, la hauteur du point diminue (le taux de variation sera donc négatif) et elle diminue de plus en plus rapidement à mesure qu’on 8 En prolongeant de la même façon l’analyse jusqu’à la valeur t = 2� (jusqu’au retour du point (1 ; 0) sur le cercle), et en plaçant à mesure les points sur le graphique du taux de variation, en tant que fonction de t, on constate que l’allure du graphique obtenu ressemble étrangement à celui de v(t) = cos t. 1 π 2 -1 � 3π 2� t 2 Graphique du taux de variation de u(t) = sin t, en fonction de t Rappelons que l’étude du taux de variation des fonctions EST AU PROGRAMME de la 5e secondaire « scientifique », dans l’ancien comme dans le nouveau programme. L’enseignant de 5e secondaire pourra enchaîner en disant : « Vous verrez effectivement l’an prochain, dans le cours de calcul différentiel du cégep, que la fonction qui donne le taux de variation du sinus — on l’appelle la fonction dérivée du sinus — est exactement le cosinus! »8 Il ne s’agit bien sûr pas d’affirmer en classe que l’analyse informelle présentée ici constitue une preuve que (sin t)’ = cos t. La preuve sin t formelle de cette relation s’établit généralement en faisant intervenir l’égalité lim = 1 , facilement accessible à l’intuition, et t →0 t qui n’est valable que pour le sinus en radians : consulter tout bon livre d’analyse, par exemple Labelle et Mercier, 1993. 14 ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 GRMS 4. CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE Il m’apparaît important qu’un enseignement dynamique fasse de tels « appels au futur », pique la curiosité des élèves et « sème des graines », qui n’en germeront que plus facilement ensuite. Il serait dommage, à mon avis, qu’un enseignant se prive d’étudier la variation du sinus sous prétexte que les dérivées ne sont en principe abordées qu’au cégep, ou que l’analyse qu’il se propose de faire n’est pas suffisamment formelle ou se révèle plus qualitative que quantitative. Breton, G., en coll. avec B. Côté , C. Delisle, A. Deschênes et A. Ledoux. (1999). Réflexions mathématiques, 536, tome 2. Les éditions CEC inc., Montréal. Il me semble incidemment primordial de donner accès aux élèves à une appréhension qualitative des fonctions, notamment par le biais de l’étude de la variation; expliquer par exemple aux élèves qu’une exponentielle se caractérise comme une fonction dont les valeurs et celles de son taux de variation sont dans une proportion constante; une fonction qui, en quelque sorte, « nourrit » son propre taux de variation. L’enseignant pourrait illustrer « qualitativement » cette propriété avec les exemples suivants : • si j’élève une population de lapins dans ma cour (ou de coquerelles dans ma cuisine…), sa croissance sera d’autant plus rapide que les lapins seront nombreux, et la taille de la population pourra être modélisée comme une fonction exponentielle du temps; • si je sors une casserole d’eau bouillante à l’extérieur, alors plus l’écart de température est grand entre l’eau et l’extérieur, plus il y a échange de chaleur, et plus rapide est la diminution de la température. La température, comme fonction du temps, diminue très rapidement au début, puis ralentit sa diminution à mesure que l’eau perd sa chaleur. Il y a ici décroissance exponentielle. Charbonneau, L. (2002). La trigonométrie : une histoire à l’envers tournée d’abord vers le ciel. Actes du 44e congrès de l’AMQ, pp. 47-56. Charbonneau, L. (1986). 24 heures... 360°... Pourquoi? Bulletin AMQ, octobre 1986, pp. 5-6. Labelle, J. et Mercier, A. (1993). Introduction à l’analyse réelle. Modulo éditeur, Ville Mont-Royal, Québec. Lafortune, L., en coll. avec B. Massé. (1998). Mathophilie, Mathématique 536, tome 2. Guérin, éditeur, Montréal. MEQ. (1993-1996). Programmes d’études, Mathématique 116, Math 216, Math 314, Math 416, Math 436, Math 514, Math 536. Direction de la formation générale des jeunes, Ministère de l’Éducation du Québec, Québec. MELS. (2006). Programme de formation de l’école québécoise, secondaire, 2e cycle. Domaine de la mathématique, de la science et de la technologie. Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Québec. Simmons, G. F. (1972). Differential Equations with Applications and Historical Notes. McGraw-Hill, New York. Tanguay, D. (2000). Une image vaut mille mots. Bulletin AMQ, vol. XL, n°1, mars 2000, pp. 14-19. De fait, les modèles mathématiques des phénomènes physiques ont le plus souvent été constitués à partir de l’étude de leur taux de variation, comme le lecteur s’en convaincra en consultant par exemple le livre « Differential Equations with Applications and Historical Notes », de G. F. Simmons. Pas étonnant, dès lors, que ces branches des mathématiques que sont les Équations différentielles et le Calcul des variations soient à la charnière même des mathématiques et de la physique. GRMS ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 15 ANNEXE Dans le cas où l’étude des différents types d’angles dont les côtés ont une intersection non vide avec un cercle précède l’abord des radians, travailler avec des arcs de cercle mesurés en degrés contribue certainement à simplifier et à clarifier l’exposé. Supposons qu’un enseignant ait montré que la mesure d’un angle inscrit dans un cercle égale la moitié de la mesure de l’angle au centre qui intercepte le même arc9. Ayant défini la mesure d’arc en degrés comme la mesure de l’angle au centre qui intercepte cet arc, l’enseignant peut reformuler le résultat — appelons-le le Théorème de l’angle inscrit — conformément à l’énoncé qu’en donnent les programmes : « Un angle inscrit a pour mesure la moitié de celle de l’arc compris entre ses côtés ». Supposons maintenant qu’il veuille montrer les deux théorèmes : 1. L’angle dont le sommet est entre le cercle et le centre a pour mesure la demi-somme des mesures des arcs compris entre ses côtés prolongés. X A O A D I C C D B Figure, Théorème 1 Figure, Théorème 2 Démonstration du Théorème 1. ( ) 1 o o AB + m CD À montrer : m ∠AIB = m , où m° désigne 2 la mesure en degrés d’un arc. Considérant la somme des mesures des angles intérieurs dans ∆AIB, on peut écrire : m∠AIB = 180 − m∠BAI − m∠ABI = 180 − m∠BAC − m∠ABD 1 = 180 − 2 − m BC o 1 2 o m AXD par le Théorème de − m 360 − m BC AXD ) ( 2 1 = (m AB + m DC ) 2 = 2. L’angle dont le sommet est à l’extérieur du cercle a pour mesure la demi-différence des mesures des arcs compris entre ses côtés. (MELS, 2006, p. 126). Il est possible de rapporter systématiquement les mesures d’arc aux mesures des angles au centre correspondants, mais il en découle alors pour ces deux théorèmes, des démonstrations beaucoup plus lourdes et difficiles à suivre. En considérant plutôt les arcs, il suffit de placer l’angle qui nous intéresse dans un triangle dont les deux autres angles sont inscrits dans le cercle, et de bien repérer les arcs interceptés par ces angles inscrits. On peut alors forger une démonstration relativement simple, facile à retrouver, de chacun des théorèmes 1 et 2.10 B E 1 o l’angle inscrit, o o o Démonstration du Théorème 2. À montrer : m ∠E = 1 2 - m AC . (m BD ) o o Considérant la somme des mesures des angles intérieurs dans ∆BDE, on peut écrire : m∠E = 180 − m∠BDE − m∠DBE = 180 − m∠BDC − m∠DBA = 180 − 1 2 − m BAC o 1 par le Théorème de l’angle inscrit, m ACD o 2 −m 360 − m BAC ACD ) ( 2 1 −m = (360 − m AB − m AC ACD ) 2 1 1 = (360 − m AB − m ACD )− m AC 2 2 = = 1 o o o o o o 1 o 1 o m BD − m AC , 2 2 o o ce qu’il fallait démontrer. a preuve en est relativement simple et standard : on montre d’abord le résultat pour un angle inscrit dont un des côtés porte un L diamètre du cercle. Pour tout autre angle inscrit, on trace le diamètre passant par le sommet de l’angle et on additionne ou soustrait, selon le cas, des mesures d’angles inscrits qui tombent dans la catégorie traitée précédemment. 10 Exercice : récrivez ces démonstrations en remplaçant partout les arcs par des angles au centre. 9 16 ENVOL no 139 — avril-mai-juin 2007 GRMS