La musique de l`âge baroque

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La musique de l`âge baroque
La musique de l’âge baroque
Contexte historique et social
Le terme baroque vient probablement du portugais "barocco" qui signifie "perle
irrégulière". Appliqué à l’origine aux arts décoratifs et à l’architecture, il désigne un style
exubérant né à la fin du xvie siècle en Italie qui va connaître une progressive extension au
cours du xviie siècle sur la plus grande partie de l’Europe (c’est ce que l’on nomme "le
croissant baroque") et même au-delà.
La notion de "musique baroque" est une classification récente : mieux vaudrait-on
lui préférer l’épithète "musique de l’âge baroque". Cette notion fait référence au formidable
bouleversement qui agite la vision et la place de l’art dans la société durant tout le xviie
siècle et la première moitié du xviiie siècle.
Une période opulente et dynamique
Les compositeurs de la période baroque vivent à une époque de forte expansion
culturelle et leurs œuvres traduisent l’optimisme et l’énergie d’une Europe confiante en
son avenir. L’ère baroque est en effet, du point de vue historique, une période relativement
opulente et dynamique : l’Europe sort des guerres de Religion qui ont suivi la Réforme,
affirme partout son hégémonie et lançait de nombreux navigateurs à la conquête d’autres
nouveau mondes encore inexplorés. Le développement commercial qui s’ensuit favorise
l’émergence d’une riche classe de marchands, augmentant d’autant le nombre de personnes
instruites et fortunées, dotées d’une sensibilité cosmopolite, et enclines au mécénat. Le
contexte est donc extrêmement favorable au développement des arts, de l’artisanat et de la
musique.
La musique, partie intégrante d’un tout culturel et sociologique
Musicalement parlant, la période revêt une unité plus profonde qui ne relève pas
seulement de facteurs strictement techniques ou artistiques. Une partie importante des
œuvres créées à cette époque possède toute une série de caractéristiques musicales communes qui provient à la fois de la société et de la mentalité. Regarder la musique du temps
comme partie intégrante d’un tout culturel et sociologique se justifie d’autant plus que,
dans les conceptions des contemporains et dans la pratique quotidienne, elle ne jouit pas
d’une indépendance prononcée par rapport à d’autres domaines de la culture et par rapport à la vie sociale, mais qu’au contraire elle y était fortement insérée.
En effet, pour les contemporains, la musique est intégrée dans le monde cosmique,
dans l’univers tout entier. Epoque d’unification et d’absolutisme monarchique, l’âge baroque conçoit la musique comme au service de celui qui se tient au sommet de la hiérarchie
sociale, qu’il s’agisse du monarque (musique de cour) ou de Dieu (musique d’église).
Profondément insérée dans la société et dans les conceptions de l’époque, la musique
savante de l’âge baroque se tourne d’abord et surtout vers les milieux de cour où elle exerce
des fonctions sociales et atteint un caractère artistique particulier. Bien qu’une partie de la
vie musicale puisse s’exercer ailleurs, elle quitte la vie de tous les jours. On voit donc se
constituer un public restreint de privilégiés et se rétrécir considérablement le champ de la
musique.
Une musique élitiste
Le xviie siècle est le siècle le plus élitiste de toute la musique européenne. Il n’y
a pas de marché de la musique, surtout pas un marché libre. Le patronage ou le mécénat est l’institution sociale principale assurant un rapport stable et sûr entre le musicien
et son employeur ou protecteur. Le musicien compose et joue pour un auditoire bien défini qu’il connaît bien, pour des occasions familières et pour des lieux et ensembles qu’il
connaît bien. Dans ces conditions, la majorité des œuvres sont des œuvres de circonstance.
Presque toutes les compositions de l’époque portent dédicace à un patron, un mécène, une
personnalité de qui le musicien peut s’attendre à une faveur ou à une récompense.
A l’image de Music for the Royal Fireworks de Haendel, les compositeurs baroques
travaillent principalement sur commande, passées par l’Eglise, les puissants et les rois, afin
de célébrer un événement ou un public particuliers. [Haendel : Music for the Royal Fireworks]
Les caractéristiques de la musique de l’âge baroque
La musique baroque peut être définie comme celle de la basse continue et de la représentation des passions. On peut également la classifier en trois catégories principales :
la musique d’église, la musique de chambre et la musique de théâtre. Toutes trois correspondent à des lieux bien spécifiques, à des styles particuliers et à des fonctions sociales
précises.
Musique et arts platiques
C’est dans les arts plastiques, et notamment l’architecture, que se définissent le
mieux les caractéristiques du style baroque, caractérisés par la complexité et l’harmonie.
Il paraît donc intéressant de mettre en regard le monde de la musique avec celui des arts
platiques.
Quelques principes de base :
– L’art de la construction se fonde sur l’impression de mouvement dont l’expression principale réside dans le contour. La ligne disparaît dans le mouvement des
masses de lumière et d’ombre.
– La force du contraste illustrée par la technique spécifique du clair-obscur, que ce
soit en architecture ou a fortiori en peinture, rehausse l’impression de mouvement.
– C’est donc la notion de perspective qui va occuper une place prépondérante dans
des effets de trompe-l’œil. Les arts baroques se placent dans la dialectique de
l’Etre et du Paraître. Les jeux de l’illusion vont donc s’emparer des sens pour faire
sens. Le détail prend alors toute son importance puisqu’il participe, par définition,
à la perception du Tout.
– Dans l’architecture, la sculpture ou la peinture baroques, c’est le détail ornemental
qui accapare le regard en premier lieu, en l’impressionnant par son raffinement.
Dans le domaine de la musique à présent, la période 1600–1750 est une période
d’expérimentation dans les domaines de la composition. La nouvelle architecture sonore
s’élabore à partir d’un socle, dont le principe de fondation est la basse continue, les puissants piliers les accords de l’harmonie, tout ceci afin de mettre la perspective sonore en
mouvement, voire en fuite, au moyen de l’attraction tonale, le tout étant animé avec décoration par l’ornementation mélodique.
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L’art du mouvement
Pour se faire, la musique baroque préconise l’art du mouvement, la mobilité harmonique, instaure la nouvelle fonction expressive de la dissonance, excite les lignes mélodiques par la magie ornementale ou bien encore irise le dialogue des timbres.
[Monteverdi : Cruda Amarilli].
Le goût du contraste
Le goût du contraste prévaut dans l’agencement de l’alternance des différents mouvements (vif-lent-vif) du concerto ou de la sonate, dans le développement de la palette
musicale des nuances et des timbres, ou dans le geste de la variation.
[Bach : Art de la fugue].
L’ornement
L’ornement est au centre du discours musical baroque en lui assignant une véritable fonction expressive et structurante. Il n’est pas une phrase dont il ne sache ponctuer
les cadences par la richesse d’un "embellissement", légitimant ainsi une réelle science de
l’ornementation. Dès lors, les interprètes sont appelés à participer au luxe de la décoration, en associant dans le meilleur goût cet art de "l’agrément" à leur savante virtuosité.
[Monteverdi : Duo Seraphim]
La puissance expressive
L’art baroque cherche à saisir l’auditeur dans son émotion. Face aux arts de la vue,
la musique s’impose ici avec une supériorité manifeste car, avec son pouvoir de s’adresser
en même temps au corps et à l’esprit, avec sa capacité donc de toucher le physique et le
métaphysique, elle entraîne tout entier l’homme de l’intérieur vers l’extérieur de lui-même.
On peut certes objecter que cette faculté expressive de la musique n’est pas l’apanage du baroque, mais force est de constater que jamais jusqu’à ce moment de l’histoire,
la musique ne s’était avisée de tendre tous ses moyens vers cette seule finalité. Dans la
musique baroque, le mouvement, le contraste, l’ornement et l’illusion s’unissent dans un
même but : placer l’homme, en tant que sujet de perception, au centre même de l’univers
musical.
[Bach : Es ist vollbracht].
Conséquence de cette esthétique, la représentation des passions et des états d’âme
demeure l’épicentre de toute création baroque. L’œuvre est conçue dans un principe à
la fois dynamique et architectonique, et ce principe relie dans une même pensée plus
d’ailleurs que dans un même style Monteverdi, Purcell, Rameau, Haendel ou Bach.
Le croissant baroque
Alors qu’au xve et xvie siècle l’influence essentielle sur la musique européenne était
celle des anciens Pays Bas, au xviie c’est l’influence italienne qui domine. La grande évolution de la musique instrumentale est en partie rendue possible par le développement de
l’artisanat auquel étaient liées des nouvelles techniques de production, plus perfectionnées,
dont dépendaient la facture de certains instruments. Jusqu’alors la musique vocale prédominait sur la musique instrumentale. Les instruments, peu perfectionnés, ne conservaient
qu’une importance artistique secondaire et restreinte. La facture des instruments à corde a
permis que ces instruments parviennent plus rapidement à la perfection et à l’individualisation. Parfois même, les possibilités d’exécution musicale offertes par les constructeurs
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dépassent largement ce que les instrumentistes attendaient et demandaient d’eux.
L’Italie
Le berceau Sur le plan musical, l’Italie s’impose comme terre d’accueil de la nouvelle
musique. Ce sont d’abord les monodistes qui, dans les Académies, vont tracer la nouvelle
voie d’un style moderne en poursuivant le rêve humaniste d’une réactualisation musicale
des principes de la Tragédie antique. Le rêve devient réalité devint sous la forme de fables
musicales, "favola in musica", le plus souvent fascinées par le mythe d’Orphée et de son
pouvoir. Monteverdi ne faillira d’ailleurs pas à la règle en faisant représenter son Orfeo en
1607. La mélodie accompagnée va rapidement sortir de son cadre d’origine pour devenir
un procédé d’écriture à part entière avec élaboration progressive du système tonal et à une
libération expressive des contours mélodiques, avec adoption des techniques d’ornementation.
La musique instrumentale L’un des aspects les plus révolutionnaires de l’Italie baroque
est de permettre à la musique instrumentale de se développer de manière autonome et
fulgurante. Cette explosion passe manifestement par un essor considérable de la lutherie
et de la facture mais aussi par un souci de divulgation qui encourage l’expansion de l’imprimerie musicale. De la musique pour clavier au répertoire pour cordes ou pour vents, il
n’est pas un domaine qui soit laissé pour compte.
Cependant, une question esthétique se pose et devient centrale dans la problématique des compositeurs : celle d’inventer des formes cohérentes qui répondent à l’idéologie
stylistique et constituent en toute spécificité les racines d’une éloquence émotionnelle. Il ne
sera donc plus question de demander son chemin à la musique vocale même si l’on saura,
ici ou là, lui emprunter des tournures, des accents ou des formules ornementales (d’ailleurs
la voix demeurera, durant toute cette période, le modèle de tous les instruments). La réponse italienne sera apportée dans des formes telles que la sonate ou le concerto, d’abord
en préservant une mémoire polyphonique (sonate à trois, concerto grosso), puis en individualisant davantage les échanges (sonate ou concerto pour soliste). [Vivaldi : Concerto
grosso en la mineur]
Représenter les passions C’est sans doute dans la théorie des passions qu’il faut rechercher le principe moteur et unificateur de la spécificité du Baroque. En effet, dans cette
perspective du mouvoir et de l’émouvoir, la musique va se délecter dans l’invention de
codes pour traduire littéralement le mouvement intérieur de l’âme, dénominateur commun
des passions humaines. Toute la palette des sentiments est explorée : l’amour, la haine, la
crainte, l’effroi, la jalousie vont tour à tour trouver leur correspondance musicale. Les climats sonores entraînent l’auditeur dans une reconnaissance "instinctive" et "introspective"
de ses propres passions. La musique devient ainsi le miroir intérieur de l’homme qui se
perçoit dans toute sa dimension, physique (le corps exprime la passion) et métaphysique
(l’esprit subit et provoque la passion). L’art des sons se réinvente comme art d’imitation.
C’est ce qui prévaut dans le récit chanté des monodistes, c’est encore ce qui anime
le madrigal, ce qui va développer les multiples nuances du bel canto ou enfin ce qui va
inspirer également l’évolution des formes instrumentales. [Monteverdi : Zefiro torna]
Le sens de la représentation L’exemple italien démontrera que toute passion peut se
doter d’un vocabulaire de représentation, au sens propre comme au figuré. C’est surtout le
monde de l’opéra qui s’inscrit dans cette dimension en prenant bien soin qu’à chaque aria
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– lors duquel l’action est mis en suspens – corresponde l’expression d’un affect unique et
centrifuge. La structure même de l’aria da capo A-B-A en découle. [Vivaldi, Tito Manlio]
Au-delà même du genre de l’opéra qui puise son essence dans l’acte de représentation, c’est l’ensemble du langage musical qui va s’efforcer de simuler autant que de stimuler
ce théâtre des passions. Ainsi, les tonalités se voient attribuer des caractères (ré mineur :
plaintif, do majeur : fastueux ou conquérant), les timbres instrumentaux (flûtes pastorales,
régale des enfers) sont associés à des états d’âme ou à des situations dramatiques et les
rythmes de danse auront la charge d’induire des affections (la passacaille est par exemple
assimilée à la plainte).
Tout est en somme focalisé sur cet axe de la représentation et sur sa force motrice.
Cette nouvelle conception, qui transmue la musique d’un art de se mouvoir en art d’émouvoir, représente un glissement fondamental dans les objectifs des compositeurs, eux-mêmes
parfaitement conscients des secousses novatrices qu’ils imposent.
Monteverdi ou l’apogée du style représentatif Si la musique n’exprimait jusqu’alors que
deux sentiments, la douleur ou l’apaisement, c’est-à-dire des états d’âme passifs, Monteverdi, lui, reconnaît la Colère, la Modération et l’Humilité comme principales émotions
de l’âme humaine. Le compositeur moderne se doit donc de traduire ces gradations par
une écriture à la fois violente, retenue et souple. Ne trouvant dans le style ancien aucun
exemple qui puisse évoquer l’agitation, Monteverdi invente un nouveau genre expressif :
le genre concitato. [Monteverdi : Orfeo]
La France
Foyer de résistance A l’inverse de ce qui s’était passé pour la Renaissance, l’influence
italienne est fortement freinée en France. Celle-ci va se distinguer comme foyer de résistance contre la musique italienne et lutte de toutes ses forces contre un dessaisissement de
son rayonnement. Le règne de Louis XIV, qui entendait étendre la suprématie politique et
économique aux domaines artistiques,y contribue sûrement beaucoup.
Cette différence entre Français et Italiens est bien illustrée par une métaphore culinaire de l’écrivain Lecerf de la Vieville : les Français sont censés se nourrir "de tout ce
que la nature nous donne de plus délicieux et de plus exquis", "d’un ordinaire simple et
excellent qui ne fatigue pas, qui ne rebute jamais, tandis que les Italiens, dit encore Lecerf
de la Vieville, "sont gens à pâtisseries, à ragoûts et à confitures ambrées et ne mangent
que cela". Le malentendu vient de là : pour l’Italien, le naturel c’est l’univers de la passion,
alors que pour le Français – et depuis Descartes – l’univers doit se rendre à la raison, le
psychique se réduite au conscient et le naturel au raisonnable.
La querelle du Baroque fait donc rage en France plus qu’ailleurs et n’acceptera à
laisser pénétrer le courant moderniste venu d’Italie qu’au moyen d’un travestissement à la
française. L’idéal des compositeurs français sera donc de faire vibrer les sens par le sens,
asservissant les perceptions sensorielles à la suprématie de l’entendement .
Sous cet éclairage, on peut alors comprendre qu’un Rameau se voulût d’abord philosophe et théoricien avant d’être musicien et s’il le devint, magistralement, c’est pour
l’application de ses principes. [Rameau : La Poule]
La grâce de l’élégance La recherche permanente de la grâce et de l’élégance est une
spécificité française. La France va proposer sa science des accords et des timbres ainsi que
son art d’adapter la musique aux suggestions du texte ou de l’argument, son souci d’une
juste déclamation des paroles, son sens unique de la valeur de l’expression ou de l’allusion,
qu’il s’agisse d’imiter la nature ou de figurer le sentiment.
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Qu’ils soient clavecinistes, musiciens d’église et de cour, dramaturges, tous les compositeurs contribuent à cette grandeur française toute marquée par le raffinement du trait
qui porte l’accent sur l’image représentative. Les luthistes, clavecinistes, gambistes, maîtres
de chapelle ou autres adeptes du ballet de cour ou de la tragédie lyrique s’associent d’un
même élan dans la peinture et dans le conte de la tendre émotion. La musique française
veut gommer les excès de mouvement, de contraste ou d’ornement en lui préférant le geste
délicat, le fondu enchaîné et la subtilité de "l’agrément".
On retrouve ces idées en peinture avec des peintres comme Le Nain ou de la Tour.
L’opéra Grâce à Lully, la France sera la seule en Europe à posséder un opéra parfaitement
indépendant de l’Italie. Lully, nourri dans le sérail de la danse, reprend à son compte le
ballet de cour, en y adjoignant chant et symphonie. Ses comédie ballet et tragédie lyrique
vont fonder l’ordonnance d’un spectacle sur l’équilibre entre lyrisme et plastique. L’édifice
construit par Lully va s’avérer vaste et solide : l’Opéra de Paris, né en 1671 (il porte alors le
nom d’Académie royale de musique), perdure jusqu’à nos jours (l’Opéra national de Paris).
[Rameau, Les Indes galantes]
La musique instrumentale La musique instrumentale française se distingue de sa voisine
italienne en empruntant les accents du chant déclamé, les contours ornés de ses mélodies
ainsi que la retenue de son expression.Les pièces vont se faire évocation de caractères
plutôt que traduction directe, peinture des attitudes plutôt que des passions. Couperin
nous convie, par exemple, à un véritable carnaval français, en nous faisant défiler, chacun
sous un « domino » de couleur différente, un jeu de masques des émotions profondes sous
le reflet discrètement allusif d’un sentiment ou d’une vertu.
Allemagne/Autriche : la profession de foi
A la différence de la rivalité entre la France et l’Italie, les autres nations, spectatrices
de ces joutes, s’efforceront de n’y prendre aucune part et essaieront de tirer le meilleur
parti des influences spécifiques. Les pays germaniques, en particulier, s’enrichiront de cette
attitude par une juste synthèse de styles et c’est, sans doute, ce qui leur assurera une toute
nouvelle et surprenante suprématie à la fin du xviiie siècle (vers le classicisme).
L’impact de la réforme luthérienne
La musique allemande est le fruit d’une longue maturation, d’un recueillement,
d’un repliement religieux du pays sur lui-même. Elle est née de la Réforme luthérienne,
qui institue l’usage du chant dans les cérémonies du culte. Avec des compositeurs comme
Bach, la mélodie sans individualité du choral luthérien prend soudain forme et couleur
en se pliant à la mesure et à l’harmonisation selon les lois de la tonalité nouvelle et en
s’imprégnant de l’esprit même de la prière qu’elle a mission d’accompagner.
La musique baroque, tout en accueillant à bras ouverts le baroque venu d’Italie ou
de France, va également souder un peuple autour de ses musiciens.
La synthèse des styles Si au xviie siècle la prégnance de la musique italienne est première
en territoire germanique, les compositeurs allemands vont très vite étouffer le conflit culturel franco-italien par la systématique cohabitation, puis par la fusion stylistique des deux
styles, ce qui va avoir pour conséquence de mener l’histoire de la musique européenne du
Baroque au Classique.
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Le ciment identitaire Lorsque Bach naît en 1685 dans famille de musiciens modestes et
consciencieux, l’Allemagne ne tient pas encore sa partie dans le concert européen. C’est
avec Bach que la musique allemande va prendre véritablement corps.
L’Allemagne de cette époque, engagée dans son aventure spirituelle, est à la quête
de son identité. C’est la langue sacrée de Luther, relayée par celle des poètes spirituels
dont on chante les cantiques, qui va cimenter cette identité, sous le regard de l’Église, tout
comme la place primordiale que la religions nouvelle réserve à la musique. .
La mémoire collective Si le choral constitue pour l’Allemagne un véritable socle de la mémoire collective, c’est en majeure partie parce que les compositeurs ont fait leur le précepte
luthérien selon lequel "la Musique est le langage de l’âme". L’âme allemande s’est ainsi forgée à l’ombre de la musique, ce qui va bientôt faire d’elle la première nation musicienne,
supplantant du même coup l’hégémonie longtemps partagée par la France et l’Italie. Une
filiation naturelle s’instaure, dans le partage jamais discuté d’une profondeur spirituelle
où la musique devient prière. Au-delà de la simple harmonisation du choral, c’est tout un
style qui se développe, magnifié par Bach, en préludant au cantique, en le paraphrasant,
en l’ornant ou bien encore en lui faisant subir les mille contorsions de la variation.
Au final, une métaphysique de la musique instrumentale va s’insinuer dans l’inconscient collectif car, même en l’absence de paroles, le choral, perçu ou aperçu, donne du
sens. L’immense œuvre de Bach entretiendra cette mémoire : c’est sans doute pour cela que
Bach est considéré comme le père nourricier de la musique moderne.
[Bach, Concerto brandebourgeois]
Angleterre : le soleil noir
Le poids de l’âge d’or
La position de l’Angleterre est tout à fait particulière quant à la pénétration du
mouvement baroque. On sait qu’à la faveur de leur situation insulaire, les Anglais ont
toujours pu s’isoler, dans une large mesure, des courants européens et qu’ils mirent au
point leur propre manière de produire et de consommer l’art. Les évènements politiques
ont eu une influence considérable sur la production de l’époque et que la Révolution a
totalement bouleversé l’activité musicale.
Alors qu’en Italie on s’intéresse à l’apparat et l’effet, en Angleterre on s’intéresse
plus au contenu, à la profondeur de l’expression en puisant aux sources de la subtilité
polyphonique.
L’ombre et la lumière
En 1642, l’Angleterre est ravagée par la guerre civile. Le puritanisme ne se contente
plus seulement d’attaquer dans des pamphlets la musique comme maîtresse de corruption
(surtout lorsqu’elle s’associe à la danse et aux chansons profanes). Les émeutiers iront
jusqu’à fermer les théâtres, à saccager les églises, les orgues, à disperser les chœurs, bref à
prendre toute mesure propre à décourager l’exercice de la vie et de la production musicale.
C’est donc la musique d’église qui va le plus souffrir de ces intolérances.
Paradoxalement, c’est tout un mouvement de musique amateur qui va se développer, maintenant une pratique du clavier et du consort, au plus grand profit de l’édition.
C’est ce qui explique que la plus grande partie de la musique anglaise du xviie siècle se
résume à la musique de chambre.
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Le langage du double
La restauration de Charles II va avoir pour effet immédiat un regain de l’activité
musicale à Londres et en Angleterre. Dès son retour de France, le roi veut donner à sa
cour l’éclat dont brillait celle de Louis XIV, son cousin. Il réorganise donc la Chapelle
royale, fonde la troupe des "vingt-quatre violons du Roy" et favorise tout un climat de
cosmopolitisme musical qui permettra à une nouvelle génération de musiciens anglais de
s’épanouir brillamment et d’appartenir au monde baroque.
Purcell va devenir le chantre anglais des goûts réunis en absorbant avec grand talent
les influences de Lully et celle des Italiens mais lui aussi revendiquera son appartenance
nationale en cultivant la mémoire d’une tradition proprement anglaise que les évènements
dramatiques de l’histoire n’ont pas réussi à meurtrir.
[Purcell : Didon et Enée]
Suivant les traces de Purcell, Haendel, fait également la synthèse de l’art européen.
L’Allemagne lui enseigna la solidité des proportions, l’Italie le don mélodique, la France
la clarté et l’équilibre mais c’est l’Angleterre, sans doute à travers Purcell, qui lui transmit
poésie et spontanéité.
Espagne : l’import export
Le deuxième âge
L’italianisme envahit la péninsule espagnole dès la seconde moitié du xviie siècle, à
l’exception de la musique sacrée, où les innovations du style baroque n’auront pas d’accès
immédiat.
Cela dit, la musique espagnole conserve, tout au long de la période baroque, une
couleur locale bien marquée. En Espagne, c’est la musique profane qui développe le caractère national à partir de formes populaires comme les villancicos. On assiste à une véritable interaction entre musique savante et musique populaire à laquelle l’église se verra
contrainte d’ouvrir ses portes.
En Espagne, il est également un genre spécifique de divertissement scénique : la
zarzuela, équivalent espagnol du ballet de cour français ou du mask anglais. On y retrouve
d’ailleurs une alternance de sections parlées et chantées ainsi qu’une importance considérable accordée aux dispositifs scéniques, aux costumes et aux ballets.
Le règne des mélomanes Le milieu du xviiie siècle, à la cour de Ferdinand VI et de sa
femme Maria Barbara, est marqué par la domination de Farinelli et de Scarlatti.
Le premier devient le ministre de divertissement du couple royal, s’occupent des
opéras de la cour, engageant les meilleurs chanteurs d’Europe et commandant mille nouveaux ouvrages et ne reculant devant aucune dépense.
Quant à Scarlatti, c’est en Espagne qu’il trouve sa vraie nature musicale et met son
étonnant dynamisme au service de la plus pure expression personnelle. Lorsque Maria Barbara arriva en Espagne, Scarlatti faisait partie de sa "dot musicale" puisqu’il l’avait suivie
comme maître de musique depuis le Portugal. Paradoxalement, Scarlatti est parfaitement
parvenu à rendre l’essence de l’Espagne alors qu’il y était arrivé en étranger. Avec lui, on a
affaire à un vrai baroque excentrique, nourri de l’effusion du folklore ibérique, des effets de
guitare et des tournures modales du flamenco andalou. Scarlatti est parvenu à su capter le
rythme des castagnettes, la nostalgie des complaintes gitanes, la liesse festive d’un groupe
villageois et surtout il a su s’approprier la cambrure des danses espagnoles.
[Scarlatti, Sonate]
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Ecoute commentée n˚1. Haendel – Music for the Royal Fireworks
Georges Frédéric Haendel (1685–1759) est né la même année que Bach, à Halle,
en Allemagne. Son père un chirurgien barbier respecté, détestait la musique et voulait
qu’il devienne avocat. Haendel commence donc la musique en cachette, dans son grenier.
Il étudie le droit, mais son talent musical extraordinaire finit par le rattraper : il est en
même temps admis à l’Université de Halle, et organiste suppléant de la ville. Là, il se lie
au compositeur Telleman. En 1703, il quitte Halle pour Hambourg, attiré par son Opéra.
Son premier opéra, Almira, y est accueilli avec enthousiasme. Haendel étend rapidement
son succès en Italie. Il arrive à Londres en 1710, où il est reçu chaleureusement à la cour
de la reine Anne. Il finit par s’installer définitivement en Angleterre en 1712. Ses œuvres
majeures sont des opéras, l’oratorio Le Messie, 12 concerti grossi pour cordes, le Water Music
et la Music for the Royal Fireworks.
La Music for the Royal Fireworks (1749) a été commandée à Haendel, alors compositeur officiel de la cour, par Georges II, pour commémorer la paix d’Aix la Chapelle, signée
en 1748. Les combats avaient duré dix ans et Georges II, qui souhaitait tant cette victoire,
avait personnellement mené ses troupes en 1743. Il espérait qu’une explosion d’enthousiasme accueillerait ce qu’il considérait comme l’un des grands triomphes de son règne et
ne se priva pas d’exploiter à des fins de propagande l’issue des hostilités.
Les projets de festivités furent établis longtemps à l’avance. On décidé de tirer de
magnifiques feux d’artifice et Haendel fut choisi pour composer un grand concerto en
plein air. Une énorme toile de fond fut également commandée à Servandoni, spécialiste
des décors de théâtre. Tout comme George II, le compositeur avait des idées bien arrêtées
sur ces réjouissances, ce qui ne va pas faciliter leur organisation. Avec un orchestre de plus
de 100 musiciens et près de 12 000 spectateurs, la répétition générale fut un événement et
provoqua un embouteillage magistral.
La partition de l’orchestration s’organise autour de 24 hautbois, 12 bassons, 9 contrebasses, 9 cors et 3 paires de timbales. Même si l’on ajoute des tambours plats, nous sommes
loin de reconstituer l’orchestre qui créa ce morceau. Heandel a dû très probablement intégrer des violons dans l’orchestre pour parvenir au compte. La pièce utilise des éléments
baroques traditionnels tels que des airs de sonnerie de chasse, auxquels répondent des
cuivres ou des motifs de bois et de cordes en imitation. Heandel reprend aussi avec bonheur certaines constructions baroques courantes, par exemple le contraste entre des petits
groupes d’instruments (concertino) et d’autres sections exposées par l’orchestre dans son
entier (tutti). Il met ainsi en valeur toutes les composantes de l’ensemble musical. De plus,
le génie du compositeur pour travailler la complexité du contrepoint ou la richesse des
harmonies se traduit ici par une grande clarté dans la texture des parties de cuivre. Cette
écriture soignée évite les tons confus qu’aurait pu provoquer l’acoustique d’un concert en
plein air.
La pièce est une somptueuse suite répondant au genre de la symphonie de caractère.
L’ouverture de style français combine une lente et majestueuse introduction avec un allegro fugué. Le caractère grandiose de ce début s’exprime en de solennelles notes soutenues,
jouées par tout l’orchestre. La musique se divise ensuite en une série d’appels et de réponse
entre les diverses sections de l’orchestre. On retrouve ici le rythme impérieux des musiques
baroques destinées à accompagner les parades équestres ou les exercices militaires. L’humeur change sensiblement avec l’arrivée d’une danse enlevée, la Bourrée, qui contraste avec
l’esprit militaire de la suite. Les haubois se manifestent avec enthousiasme et le ton jovial
de la danse folklorique colore le reste du morceaux. La Paix, une fluide pièce d’ambiance,
constitue le centre symbolique de la suite et rappelle l’événement qu’elle commémore. La
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voix solennelle des hautbois trouve écho dans les cors, ensemble ils font naître une image
pastorale évocatrice de sérénité. Après la Paix vient la Réjouissance. A un exubérant allégro
joué par des trompettes, certains bois et cordes, répond la joie des cors et de la section des
bois. Les tambours plats enrichissent la texture et semblent annoncer le vacarme et les couleurs du feu d’artifice. Les deux menuets sont beaucoup plus majestueux. les percussions
se mettent en avant pour annoncer le caractère militaire de la suite. Le premier menuet
est alors interrompu par un autre thème, dans lequel les cordes succèdent aux bois. La
première mélodie, reprise par tout l’orchestre avec fermeté, nous mène vers une conclusion
joyeuse et épanouie avant que ne débute le feu d’artifice.
Ecoute commentée n˚2. Vivaldi – Concerto grosso en la mineur
Antonio Vivaldi (1678-1741) naît à Venise. Son père, fils d’un boulanger, fut engagé
comme violoniste à la basilique Saint-Marc en 1665, sous le nom de "Rossi" (le Roux). Vivaldi, du jour de sa tonsure à celui de son ordination, étudie chez les pères de Saint Jean.
Il aprend en même temps le violon avec son père et le remplace parfois à la basilique.
Vivaldi souffrait d’asthme, ce qui le dispense de dire la messe, et devient simple abbé,
sans obligations pastorales et par conséquent entièrement libre de se consacrer à sa musique. En 1703, Vivaldi est engagé comme maître de violon dans une vénérable institution
vénitienne, le conservatoire de l’Ospedale della Pieta, un hospice qui recueille des jeunes
filles orphelines, illégitimes ou abandonnées. Ce fut pour elles que Vivaldi écrivit ses plus
belles œuvres en cherchant à innover dans le domaine de la forme et de l’instrumentation.
Peu à peu sa popularité s’étend au-delà des frontières de son pays. Bach retranscrit par
exemple une grande partie des concertos de l’opus 3, l’Estro armonico pour des instruments
à clavier. En 1718, Vivaldi entame une longue période de voyages, pour répondre à des
commandes qu’il a reçues : il se rend à Mantoue et à Rome, ou à Amsterdam. En 1739,
Vivaldi revient à Venise, mais sa musique ne suscitait plus le même enthousiasme. Vivaldi
part alors pour l’Autriche, où il meurt d’une inflammation interne. L’œuvre instrumentale
de Vivaldi est considérable et comporte 456 concertos dont 223 concertos pour violon et
orchestre, 22 pour deux violons, 27 pour violoncelle, 39 pour basson, 13 pour hautbois et
d’autres concertos pour la viole d’amour, le luth, le théorbe, la mandoline, la flûte piccolo,
ainsi que 73 sonates. Vivaldi composa de nombreuses œuvres chorales, 16 grands motets
pour solistes, chœur et orchestre, 28 motets à une ou deux voix, et 3 oratorios. Ses œuvres
religieuses les plus connues sont le Gloria en ré majeur (1708), le Stabat Mater et l’oratorio
Juditha Triumphans (1716). Il est également auteur d’œuvres profanes, de 30 cantates profanes, de centaines d’airs et de sérénades, et de 47 opéras, dont 21 ont été conservés, parmi
lesquels l’Olimpiade (1734) et Foraspe (1739).
Le Concerto grosso en la mineur pour deux violons et orchestres, composé en
1715, appartient à l’Estro Armonico. L’œuvres partage nombre de points communs avec
le Concerto brandebourgeois de Bach, la ritournelle orchestrale dans le mouvement d’ouverture par exemple, ou encore les parties solistes, qui usent de séquences. Comme dans Bach,
Vivaldi introduit un deuxième mouvement calme pour un orchestre réduit et un dernier
mouvement plus rapide. L’œuvre est cependant plus simple que celle de Bach : mélodie
moins subtile, notamment dans les passages solo, la gamme d’expression est relativement
limitée et manque de profondeur.
Le premier mouvement du concerto possède la structure rigoureuse typique d’un
mouvement de concerto grosso du baroque tardif. La ritournelle assez longue d’ouverture
se transforme en quatre séquences séparées : thème principal, séquence, cadence 1 et ca10
dence 2. Après que le violon soliste est entré, l’orchestre s’interrompt avec l’une ou l’autre
de ces séquences, ou plusieurs à la fois, jusqu’à ce qu’elles soient toutes représentées à la fin
du mouvement. Les sections solistes ont des similarités entre elles. Cependant, plusieurs
des ritournelles et des sections solistes arrivent dans des tonalités différentes, ce qui donne
à la pièce son intérêt.
Le deuxième mouvement commence par une passacaille. D’abord présenté seul par
l’orchestre, comme une ritournelle, le thème sert par la suite à conclure le mouvement. Les
violons solos usent de lignes de contrepoint. Pendant ce temps, l’orchestre joue le thème
de la passacaille tranquillement ou font de nouvelles phrases sur les motifs.
Le troisième mouvement est une pièce fière, brillante, qui ressemble au premier
mouvement. La ritournelle est plus courte et revient moins souvent que dans le premier
mouvement. De manière surprenante, un thème de soliste qui ressemble à un chant apparaît parmi les deux figures rapides des deux violons. Moins rapide que dans le reste du
mouvement et plus expressif, il rappelle le mouvement lent.
Ecoute commentée n˚3. Monteverdi–Zefiro Torna
Claudio Monteverdi (1567–1643) est né à Crémone dans la patrie des luthiers. Il
acquiert une formation humaniste et musicale, apprenant l’orgue, la viole, le chant et le
contrepoint. En 1587, âgé de 20 ans à peine, il public à Venise son premier libre de madrigaux à cinq voix. En 1590, Monteverdi commença à travailler comme maître de musique de
la chambre, puis comme maître de chapelle, à la cour de l’exubérant Vincent I de Mantoue.
Malgré de nombreuses difficultés, il y reste jusqu’en 1613, ne quittant la ville qu’après la
mort du prince, et se consacre aussi bien à l’écriture de madrigaux qu’à la musique religieuse ou au tout nouveau genre de l’opéra. Sa première œuvre lyrique, l’Orfeo, composée
en 1607, connaît un immense succès. Son oeuvre sacrée la plus importante au cours de
ses années mantouannes. En 1613 Monteverdi, dont la situation s’était dégradée à Mantoue, obtient le poste convoité de maître de chapelle à la basilique San Marco de Venise.
Éloigné dans un premier temps de la musique théâtrale, il réalise de nombreuses œuvres
religieuses. A la mort de son fils, Monteverdi entre dans les ordres et est ordonné prêtre
en 1632. Il continue à écrire, tant dans la veine amoureuse et poétique du madrigal, que
pour l’opéra, dont le développement prend une ampleur considérable à Venise, dans les
années 1630, avec l’ouverture des premiers théâtres lyriques publics. Il meurt à Venise en
1643 célébré dans l’Europe entière.
La basse continue du Zefiro Torna rappelle celle du canon de Pachelbel. Au-dessus
de la basse, deux voix récitent le texte, seules ou en duo. Le poème commence par la phrase
"le printemps revient", en italien "tourne", ce qui a donné à Monteverdi l’idée géniale de
faire jouer les deux ténors ensemble, de leur faire tourner et retourner les mélodies ensemble, tandis que la basse continue répète indéfiniment la même chose. Si l’on suit les
paroles attentivement, on s’aperçoit qu’il n’y a pas seulement un sentiment de printemps
qui bourgeonne, mais que des mots individuels sont illustrés. Il y a un mouvement rapide
pour "discoglie a l’onde", un doux mouvement pour "mormorando", des notes qui montes
et descendent pour "da monti e da valle". Après 45 apparitions de la basse continue se
produit un changement abrupt dans l’harmonie, le rythme, le tempo, le style mélodique.
Le poète nous dit qu’en dépit de la joie du printemps, il est misérable, et ce changement
d’humeur imprévu est reflété par la musique. Le style classique du madrigal est ici malmené : la manière exagérée avec laquelle les lignes 12, 13 et 14 sont récitées (certains mots
sur des notes très longues et d’autres sur des plus rapides) traduit l’influence du type de
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récitation dramatique développée par les Florentins et préfigure l’opéra.
Ecoute commentée n˚4. Monteverdi–Orfeo
Les premiers opéras florentins étaient des divertissements de cour, composés pour
célébrer des mariages royaux. Un pas important est franchi en 1637 avec l’ouverture de la
première maison d’opéra à Venise. L’opéra devient bientôt une forme majeure de divertissement en Italie. A la fin du siècle, il y a sept maisons d’opéra à Venise.
Le sujet de Monteverdi est une magnifique légende grecque qui touche à la musique,
puisqu’elle concerne un grand chanteur qui, avec se lyre et sa voix, adoucit les pierres et
les bêtes sauvages. Lorsque sa femme Euridice meurt, Orphée arrive à charmer Hades et
persuade Pluton de la ramener sur terre. Mais il manque de patience et ne remplit pas
l’unique condition de Pluton : ne pas se retourner et regarder sa femme en traversant les
enfers. Submergé par l’émotion, il la regarde et elle meurt. Orphée renonce aux femmes et
est mis en pièces par des nymphes qui célèbrent les rites de Dionysys (la fin sordide de son
histoire n’est pas racontée dans l’opéra de Monteverdi).
L’opéra est caractérisé par une grande intensité dramatique et par une instrumentation vivante, transmises grâce à deux éditions luxueuses successives, fait rarissime à
l’époque, et dont ne bénéficièrent aucun des ouvrages dramatiques suivants de Monteverdi. Pour la première fois, un compositeur indique précisément la place de chaque instrument, et dans certains cas la réalisation instrumentale de chaque partie. Il s’agit de la
première composition de grande ampleur dont l’instrumentation requise pour la création
nous soit parvenue. L’intrigue y est dépeinte au moyen de tableaux musicaux contrastés.
Avec cet opéra, Monteverdi a, sinon créé, du moins donné ses lettres de noblesse à un style
de musique entièrement nouveau qui fut appelé le dramma per musica.
Orfeo consiste en un prologue musical et cinq actes courts. Il ne dure qu’une petite
heure et demi. L’acte 1 montre Euridice et ses amis qui célèbrent ses fiançailles (rappel
du mariage ducal à Mantoue). A l’acte II, Orphée apprend d’un messager qu’Euridice est
morte, mordue par un serpent, et il se résout à aller voir Hades pour la ramener. A l’acte
III, sur les rives de l’Acheron, il chante un air très élaboré qui endort Charon, le passeur.
Ca lui permet de passer alors qu’il n’est pas mort. Orphée n’apparaît pas au début de
l’acte IV, mais on sait sa présence car Proserpine, la reine des Enfers, convainc Pluton de
relâcher Euridice. Pluton acquiesce, à une seule condition : qu’Orphée ne se retourne pas
en traversant les enfers.
A la scène 2 de l’acte IV, un bref chœur des Esprits de la Mort hèle l’action de Pluton.
Les esprits sont accompagnés par les trombones, qui caractérisent les régions infernales
tout le long de l’opéra. Le monde d’en bas est illustré par des violons et des recorders. Les
différents personnages sont caractérisés par des instruments de musique : Orphée l’orgue,
Euridice une harpe ou un luth. La première réaction d’Orphée à l’annonce du chœur est
de chanter un air joyeux en l’honneur de son art qui lui a permis de récupérer Euridice.
C’est un chant simple et vivant avec des interludes de violon et une basse continue. Après
avoir exprimé sa joie, Orphée s’arrête de penser et commence à décrire ses pensés sous la
forme d’un récitatif. Le récitatif dépend étroitement des paroles. Il dépeint son excitation
et ses inquiétudes (Ohime signifie "oh moi", prononcé "oy may", c’est un mot essentiel de
l’opéra baroque). Puis son imagination commence à s’emballer : le rythme s’accélère. Dans
la troisième partie, le rythme devient plus ferme alors qu’il proclame sa décision d’obéir à
la dictature de l’amour. Au moment fatal. Il se retourne vers son Euridice adorée, mais il
ne voit personne et entend le continuo au clavecin. Succède le poignant récitatif d’Euridice
qui meurt définitivement.
A l’acte V, de retour sur terre, Orphée se lamente, jusqu’à ce qu’il soit arrêté par
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Apollon, le dieu de la musique, qui est aussi son père. Apollon le conduit au ciel, tel un
demi dieu, afin qu’il puisse contempler Euridice qui repose tranquille. Puis il y a une danse
finale, à laquelle se joignaient traditionnellement les spectateurs.
Ecoute commentée n˚5. Rameau, Les Indes galantes
Jean-Philippe Rameau (1683–1764) est né à Dijon. A l’âge de 18 ans, suivant l’exemple
de son père, Rameau, décide de devenir musicien et part pour l’Italie. Mais il n’y reste que
quelques mois et, à partir de 1702, tient l’orgue successivement aux cathédrales d’Avignon,
de Clermont, à Notre-Dame de Dijon, à l’église des Jacobine de Lyon, au Noviciat des Jésuites et à Sainte-Croix de la Bretonnerie à Paris, où il finit par s’établir en 1722. C’est là
qu’il fait la connaissance du fermier général Le Riche de la Pouplinière, qui devient son
mécène pour un quart de siècle, le loge et lui confie l’orchestre qu’il a créé et qu’il entretient. Et c’est chez celui-ci qu’il rencontre ses premiers librettistes. A partir de ce moment
et jusqu’en 1757, tragédies lyriques, opéras-ballets et pastorales se succèdent, parfois au
rythme de deux ou trois par an (Les Indes galantes, Platée, Zoroastre). Rameau est aussi l’auteur de nombreuses pièces pour clavecin et d’une importante œuvre théorique qui le verra
s’engager à la fin de sa vie, dans une polémique de plus en plue âpre avec Rousseau et
d’Alembert.
Les Indes galantes ont été créées à l’Académie royale de musique le 23 août 1735
dans une version comprenant 3 entrées. une quatrième fut rajoutée l’année suivante. C’est
un immense succès durant tout le xviiie siècle.
Le genre avait été inventé par André Campra (L’Europe galante) et Rameau, malgré
la pauvreté et les invraisemblances du livret, le porte à son apogée grâce à une musique
admirable. Alors que Campra racontait des histoires galantes dans différents pays européens, Rameau exploite la même veine à succès mais recherche un peu plus d’exotisme
dans des Indes très approximatives qui se trouvent en fait en Turquie, en Perse, au Pérou
ou chez les Indiens d’Amérique du Nord. L’intrigue ténue de ces petits drames sert surtout
à introduire un "grand spectacle" où les costumes somptueux, les décors, les machineries,
et surtout la danse tiennent un rôle essentiel. Les Indes Galantes symbolisent l’époque insouciante, raffinée, vouée aux plaisirs et à la galanterie de Louis XV et de sa cour.
L’entrée des Sauvages se passe dans une forêt d’Amérique, après une bataille perdue par les Indiens face aux troupes franco-espagnoles, menées par le Français Damon et
l’Espagnol Don Alvaro. L’entrée débute par un monologue d’Adario, le chef des guerriers
indiens, qui se réjouit de la paix retrouvée mais s’inquiète de ne parvenir à conquérir le
c ?ur de Zima, la fille d’un chef indien, courtisée par les deux officiers européens. Adario
se cache afin d’observer ses rivaux. Alvar et Damon font alors la cour à Zima ; l’Espagnol
tente de la séduire en lui promettant la fidélité alors que le Français prône l’inconstance
amoureuse. Zima rejette cependant les avances des deux militaires et s’offre à Adario qui
sort à ce moment de sa cache. La scène finale montre la danse du Grand Calumet de la Paix
qui marque la paix retrouvée entre les Sauvages et les armées colonisatrices. Cette dernière
scène est également l’occasion de sceller l’union entre Zima et Adario.
Danse du Grand Calumet de la Paix, exécutée par les Sauvages.
Rondeau (forme AB/AC/AD, etc.)
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ZIMA, ADARIO.
Forêts paisibles,
Jamais un vain désir ne trouble ici nos coeurs.
S’ils sont sensibles, Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.
CHOEUR DES SAUVAGES.
Forêts paisibles,
Jamais un vain désir ne trouble ici nos coeurs.
S’ils sont sensibles,
Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.
ZIMA, ADARIO.
Dans nos retraites,
Grandeur, ne viens jamais
Offrir tes faux attraits !
Ciel, tu les as faites
Pour l’innocence et pour la paix.
CHOEUR DES SAUVAGES.
Dans nos retraites,
Grandeur, ne viens jamais
Offrir tes faux attraits !
Ciel, tu les as faites
Pour l’innocence et pour la paix.
ZIMA, ADARIO.
Jouissons dans nos asiles,
Jouissons des biens tranquilles !
Ah ! peut-on être heureux,
Quand on forme d’autres voeux ?
CHOEUR DES SAUVAGES.
Forêts paisibles,
Jamais un vain désir ne trouble ici nos coeurs.
S’ils sont sensibles,
Fortune, ce n’est pas au prix de tes faveurs.
Ecoute commentée n˚5. Bach–Concerto brandebourgeois
Jean-Sébastien Bach (1685–1750) est né à Eisenach, dans une famille de musiciens
dont il est le huitième enfant. Il reçoit sa première éducation musicale de son père, violoniste de talent et apprend l’orgue avec un cousin de son père. Johann Sebastian se montre
très doué pour la musique. En 1703, Bach devient organiste dans une église de la ville, puis,
en 1707, à Mühlhausen. Il y écrit sa première cantate. En 1708 il est organiste et violon solo
à la chapelle du duc de Weimar. Il y compose ses plus grandes œuvres pour luth, flûte,
violon , clavecin, violoncelle. Il se rend ensuite à Leipzig, où il compose la Passion selon
Saint Jean. Il mène une vie riche en connaissances, constituant une bibliothèque spécialisée
en bibliologie, théologie et mystique. C’est à Leipzig qu’il compose ses œuvres les plus
abouties. Il commence à perdre la vue en 1745 et meurt en 1750, affaibli par des opérations
de la cataracte.
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Les concertos brandebourgeois sont une œuvre de commande. Au début de 1719,
Bach se rend à Berlin afin d’acquérir, au nom de l’orchestre un grand clavecin auprès
du facteur Mietke. À cette occasion, il rencontre l’oncle du roi de Prusse et margrave de
Brandebourg, devant lequel, si nous en croyons l’épître dédicatoire, il se produit.
Les six concertos sont d’une diversité étonnante, tant du point de vue de la structure
formelle que de l’appareil instrumental. Aucun ne se rattache strictement à aucun style
alors en vigueur : concerto grosso ou soliste, style français ou italien, contrepoint austère
ou virtuosité pure. Au contraire, les six concertos semblent faire une synthèse de l’art
musical de leur temps.
Sans doute serait-il excessif de faire de ce recueil le pendant "concertant" d’autres
œuvres théoriques ("l’art de la fugue" du même Bach, par exemple). Toutefois, il n’est pas
improbable que la motivation de Bach ait été de présenter "son art du concerto", d’autant
que le dédicataire n’est pas peu puissant (le margrave de Brandebourg est Prince-Électeur,
l’un des sept princes allemands qui élisaient l’Empereur romain germanique). Une intention didactique du maître du genre ne saurait être écartée. Cette impression est renforcée
par le fait que le margrave ne disposait pas de l’orchestre adéquat (tout juste ses six musiciens auraient-ils pu interpréter les concertos 5 et 6, à condition bien sûr qu’il en eussent
été capables), et le manuscrit ne porte aucune trace d’utilisation.
1721 est également l’année du second mariage du prince Léopold d’Anhalt-Cöthen,
ami et protecteur du compositeur, avec une nouvelle princesse que Bach nomma "eine
Amusa" (sous-entendant par là qu’elle aurait été insensible aux arts en général). Peut-être
Bach, alors en quête d’un nouvel emploi, s’est-il souvenu avec une pointe d’opportunisme
de l’intérêt que le puissant margrave lui avait porté deux ans auparavant, et se rappelle-t-il
donc à ses bons souvenirs en lui dédiant le meilleur de son art concertant dans l’espoir
d’un poste.
En dépit de la variété de la forme, de l’ensemble instrumental et du style qui sont à
chaque fois différents, ces œuvres constituent un groupe unitaire. Elles forment une sorte
de petite encyclopédie, qui démontre les possibilités ouverts au genre du concerto, dans
son acception pour ainsi dire globale et universelle . des styles et des modes s’y côtoient
qui, souvent, contrastent les uns avec les autres et tirent leur origine tantôt du style italien,
tantôt du style français, tantôt du style allemand. Ainsi, les concerti 2 à 6 respectent-ils
le schéma typique du concerto italien vif-lent-vif ; les instruments à archet tiennent une
place prépondérante, autant dans le ripieno que dans le concertino ; l’écriture est toujours
virtuose (redoutable partie de clavecin du cinquième).
Le concerto commence par une ritournelle forte et rigoureuse. La mélodie est facilement reconnaissable, mais, comme pour beaucoup d’autres mélodies baroques, se complique au fur et à mesure. Il n’y a pas de rupture claire entre b et c et la mélodie commence
à tourner autour d’elle de manière intriquée et décorative. Une fois la ritournelle terminée,
par une cadence très solide, les trois instruments solistes font leur entrée par un contrepoint rapide. Ils dominent le reste du mouvement, introduisant de nouveaux thèmes et
échangeant des fragments. Occasionnellement l’orchestre s’interrompt avec des parties de
ritournelle (a, b, ou a et b). Pour le reste, l’orchestre accompagne les solistes dans le contrepoint. Progressivement le clavecin surpasse les autres solistes jusqu’à aboutir à un passage
extrêmement virtuose (inusuel dans ce type de concerto).
Après le premier mouvement haut en couleur, le deuxième mouvement plus calme,
plus apaisant. L’effet est renforcé par le fait que la moitié des instruments de l’orchestre ne
jouent pas : sont utilisés uniquement la flûte, le violon, le clavecin, et un violoncelle pour
renforcer le clavecin, qui joue la basse continue. Ce mouvement fait penser à une morceau
de musique de chambre, à une sonate en trio.
Dans le troisième mouvement, qui est le plus réussi, l’orchestre au complet revient.
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Le rythme ternaire (6/8) apporte un changement bienvenu après le binaire des deux autres
mouvements. Les manières que Bach a trouvées de mettre en relief les solistes du reste
de l’orchestre sont variées et intéressantes. Tout le mouvement s’épanouit autour d’un
thème simple, qui est introduit dès le tout début par les solistes, traité parfois comme une
fugue ou développé de manière plus libre. Une mélodie émerge du thème. La structure de
ce mouvement est complexe. Une grande partie de la musique du début du mouvement
revient à la fin, comme une ritournelle.
Ecoute commentée n˚6. Purcell – Didon et Enée
Henry Purcell (1659–1695) avait un père gentilhomme de la Chapelle Royale, qui
avait chanté à l’occasion du couronnement du roi Charles II d’Angleterre. A la mort de
celui-ci, le jeune Henry Purcell fut placé sous la garde de son oncle Thomas Purcell, qui
lui montra une grande affection. Thomas était aussi un gentilhomme de la chapelle de Sa
Majesté, et s’arrangea pour qu’Henry soit reçu comme choriste. On dit que Purcell composa
dès l’âge de 9 ans ; mais l’œuvre la plus précoce qui peut lui être attribuée est une ode pour
l’anniversaire du Roi, écrite en 1670. Purcell fréquenta la prestigieuse école Westminster
School et fut nommé organiste à l’Abbaye de Westminster en 1676. Purcell se consacra alors
entièrement à la composition de musique sacrée et pendant six ans, rompit ses liens avec
le théâtre. Aussitôt après son mariage, en 1682, Purcell fut nommé organiste de la Chapelle
Royale, un office qu’il lui fut possible de tenir simultanément avec celui qu’il occupait
déjà à l’Abbaye de Westminster. Pendant plusieurs années après cela, il fut occupé par la
composition de musique sacrée, d’odes adressées au roi et à la famille royale. En 1687, il
renoua avec le théâtre. Ce compositeur prolixe mourut à Londres en 1695 (empoisonnement
au chocolat ou coup de froid en rentrant du théâtre ?).
La partition a été écrite pour quatuor à cordes (violon I, violon II, alto et basse
continue) et clavecin. L’accent est plutôt mis sur les parties vocales, doublées la plupart du
temps par les instruments.
L’opéra de Purcell est tiré de l’Enéide de Virgile, le plus noble de tous les poèmes
latins, bien connu dans toutes les écoles de filles du xviie siècle. Ecrit pour célébrer la gloire
de Rome et de son Empire, l’Enéide raconte l’histoire de la fondation de la cille par le troyen
Enée, qui s’est échappé de Troyes assiégée par les Grecs au moyen du cheval en bois. Après
nombre de péripéties et de voyages (incluant une visite aux Enfers où il voit Orphée et
Euridice et a des petits soucis avec Charon), il atteint finalement l’Italie, guidé par la main
du roi des Dieux Jupiter.
Au port de Carthage, sur la côte nord africaine, Enée et Didon tombent profondément amoureux. Mais Jupiter apparaît dans une vision et ordonne au prince de poursuivre
son voyage. Avec regret, Enee s’en va et Didon meurt de chagrin.
L’acte I se passe à Carthage, au palais de la reine Didon. Belinda, la confidente de
la reine Didon, l’exhorte à retrouver le sourire. En effet, cette dernière est accablée car
elle aime en secret Énée, prince de Troie et ne peut avouer son tourment sous crainte de
décevoir son peuple. Belinda suggère alors à Didon d’épouser Énée, ce dernier n’étant pas
insensible à ses charmes, d’autant plus qu’une telle alliance assurerait la prospérité et la
paix pour l’empire. Les courtisans reprennent en chœ les propos de Belinda, et Didon,
comblée, accepte la proposition d’Énée et succombe à l’amour.
A l’acte II, la Magicienne, reine des sorcières (influence de Shakespeare), lance un
appel à ses sujets, êtres malfaisants, afin d’élaborer un plan pour faire tomber Didon. Elle
décide de faire passer un de ses sujets pour Mercure, l’envoyé des Dieux, afin qu’Énée
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quitte Didon pour aller accomplir sa destinée, bâtir une nouvelle cité en Italie. Les sorcières
se réjouissent de ce plan machiavélique. Didon, Énée et leur cour se promènent et vantent
les beautés de la nature environnante jusqu’au moment où un orage éclate, créé par les
maléfiques sorcières. Tous se dépêchent de rentrer au château. Énée, resté seul, voit apparaître le leurre de la Magicienne qui le presse de quitter Carthage. Il est alors tiraillé entre
son amour pour Didon et l’ordre divin.
A l’acte III, dans le port de Carthage, Les marins préparent le départ. Énée annonce
à Didon qu’il doit la quitter par devoir. Elle le rejette, il décide alors de braver la colère des
dieux pour rester avec elle. Outrée qu’il ait songé à la quitter, elle le repousse à nouveau
et lui ordonne de s’en aller. Une fois Enée parti, elle se donne la mort dans le poignant
lamento "When I am laid", où elle demande à Belinda de se souvenir d’elle mais d’oublier
son destin.
La tragédie finale commence par un récitatif furieux de Didon et d’Enee, qui vient
lui faire des excuses. Dans la première partie du récitatif, Enee est totalement abattu : on
le voit au moyen des notes lentes et qui s’effondrent. Didon s’adresse à lui avec des notes
aigues et des rythmes rapides. Dans sa colère elle mange des mots, s’arrête, sa voix monte,
comme lorsqu’elle l’accuse de verser des larmes de crocodile.
Dans la deuxième partie du récitatif, Enée tente de parler, mais Didon lui enlève les
mots de la bouche, un octave au-dessus, tout en restant très emphatique. e.
Toujours plus faible, Enee dit qu’il va rester dans la troisième partie, mais cela exaspère Didon encore plus. Lorsqu’il réessaye, elle l’en empêche. Ils chantent en duo, en style
d’arioso, style entre le récitatif et l’air. Le calme majestueux après la tempête est aussi
baroque que la fureur de l’altercation.
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