Forum 2011 - Rudolf Steiner Schulen der Schweiz
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Forum 2011 - Rudolf Steiner Schulen der Schweiz
forum 2011 « Devenir enseignant (e) » Editorial Chère lectrice, cher lecteur, Voici la traduction française du forum dans sa 11ème édition. En choisissant pour thème central : « Devenir enseignant, devenir enseignante », nous plaçons au cœur de nos réflexions une profession que nous connaissons tous de façon très personnelle. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’entre nous se ressentent dans le domaine scolaire quelque peu experts à différents niveaux. Par ailleurs, on ne s’étonnera pas outre mesure que les remarques concernant cette profession soient rarement positives tandis qu’abondent plutôt doléances et critiques. Les exigences croissantes de la société font grossir le volume du cahier de charges de l’école dans une mesure telle que nombreux sont les enseignants qui se sentent débordés par leurs tâches quotidiennes. C’est ainsi que dans son édition du 11 décembre 2010 le Thurgauer Zeitung pouvait formuler la question suivante : « Beaucoup de professeurs des écoles publiques se plaignent des nombreuses réformes. Dans les écoles Rudolf Steiner on n’entend aucune réclamation dans ce sens. Est-ce à dire que ces écoles n’évoluent pas ? Kurt Bräutigam, enseignant à l’école Rudolf Steiner de Kreuzlingen répond ainsi : « La différence essentielle tient au fait que chez nous ce sont les enseignants eux-mêmes qui sont à la direction de l’école. Ainsi les réformes ne viennent pas dictées d’en haut mais se développent et sont mises en application à partir de la base elle-même. Lorsque les enseignants découvrent un point faible, ils essaient d’initier un changement sur une base collégiale. » De la même façon, la formation anthroposophique des enseignants se réfère à la base et par suite elle s’avère très axée sur la pratique pédagogique. Ici l’on ne pose d’abord ni exigences ni programme mais on cherche à développer des aptitudes spécifiques pour apprendre à saisir le caractère et les besoins des enfants et des jeunes. Robert Thomas décrit dans son article sept qualités qu’il place au cœur de cette formation. Dans ce forum, nous présentons l’Académie pour une Pédagogie Anthroposophique (AfaP) ainsi que la Formation pédagogique anthroposophique de Suisse Romande (FPAS). Ces deux institutions proposent des cursus de formation spécifiques pour les enseignants des écoles Waldorf/Steiner. Une possibilité nouvelle existe pour les étudiants ayant achevé une formation à plein temps et pour ceux qui ont fait une formation en cours d’emploi à l’ AfaP : ils peuvent avoir accès directement à la Haute Ecole de pédagogie de l’Ecole Supérieure Spécialisée de la Nordwestschweiz (Institut pour le niveau primaire) et ce, par le biais de la Passerelle. Astrid Eichenberger, directrice de l’Institut pour le niveau primaire, décrit brièvement ce qui l’a motivée à créer cette Passerelle. Par ailleurs, il nous est donné d’acquérir une impression pleine de vie de ce qui se fait dans la formation pratique des enseignants à travers un entretien avec un de ses étudiants. L’image professionnelle classique d’un enseignant d’une école Rudolf Steiner s’est tout à fait diversifiée comme le montre la contribution de Beatrice Maulaz avec son article sur le Jobscharing. La relation entre jeunes enseignants et enseignants plus expérimentés peut naturellement être sujette à des tensions et s’avérer un terrain fort glissant : c’est ce que révèle clairement l’article de Sybille Naito : Trouver l’équilibre … entre « Prometteurs» et « Transmetteurs ». Afin de pouvoir introduire des changements réellement efficaces en ce qui concerne la base, à savoir la vie scolaire au quotidien, la méthode élaborée par la recherche par la pratique pédagogique s’avère précieuse. Thomas Stöckli décrit cette approche de la recherche qui se propose d’améliorer sa propre façon d’agir sur le plan professionnel. A travers l’exemple d’un projet théâtral, Joseph Aschwanden décrit, sur la base d’une telle approche, ce que furent ses expériences personnelles. Roland Muff 1 Sept piliers de la profession d’enseignant Il dépend de chaque enseignant, de chaque enseignante, qu’une pédagogie soit ou non couronnée de succès. A côté de nombreuses compétences sur différents plans, ce qui est la signature d’une vocation épanouie et épanouissante s’appuie bel et bien sur des caractéristiques tant psychiques que spirituelles. S’il est impossible de mesurer de tels critères purement qualitatifs, on peut en revanche en décrire les traits distinctifs. Une formation anthroposophique des enseignants montre comment ces qualités doivent être également exercées et développées. A la fin du 19e siècle, Frédéric Nietzsche déclare : « Dieu est mort » (Le gai Savoir, 1886); vers la fin du 20e siècle, Michel Foucault constate que l’homme de l’âge des Lumières se meurt (Archéologie du savoir, 1969). En 1919, Rudolf Steiner façonne le concept de « l’être humain en devenir ». Ces trois philosophes nous laissent entendre par là qu’une nouvelle pensée est requise si nous voulons véritablement rencontrer le présent et structurer l’avenir. Il s’ensuit pour nous que la conscience se trouve actuellement devant un seuil. L’intérêt pour le présent unit tous les êtres humains, indépendamment de leur origine culturelle, sociale et politique. Les éducateurs et éducatrices, les enseignant(e)s, les jardinières et jardiniers d’enfants s’intéressent tout particulièrement aux germes d’avenir dans l’être humain en devenir et c’est celà qui les motive à accompagner enfants et adolescents. Afin d’être à la hauteur de cette tâche exigeante, ces personnalités ont besoin d’une formation pédagogique à la fois vaste et stimulante. L’enfant porte en lui l’avenir. Le devoir des éducatrices et des éducateurs consiste à créer pour l’enfant un environnement qui lui permette de déployer ce qui vit en lui. En quoi consiste une formation d’enseignant Waldorf ? Qu’est-ce qu’un professeur Waldorf ? Qu’est-ce qui fait l’attrait d’une telle formation ? Pourquoi y a-t-il aujourd’hui des personnes qui désirent la suivre (une telle formation? Que propose la démarche anthroposophique et ses applications sociales dans une école Rudolf Steiner? Qu’est-ce qui relie la théorie et la pratique? Peut-on « enseigner » cette profession? Les développements qui suivent vont tenter de cerner ce que représente une telle formation et évoquer les sens qu’elle propose de développer. Le sens de ce qui est en devenir La déclaration bien connue d’Héraclite « Panta rhei/ tout s’écoule » constitue, selon moi, le fondement même d’une formation pédagogique. Lorsqu’on observe les étapes du développement de l’enfant, il nous faut patience et méthode pour percevoir les changements qui s’opèrent en lui, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. C’est lorsque la faculté d’attention aux phénomènes de la nature a été assez longtemps formée qu’apparaît ensuite une compréhension pour les passages, les métamorphoses, les changements et toutes les transformations possibles au sein des formes visibles. Rudolf Steiner incite à renforcer cet intérêt spécifique par des exercices afin de développer une capacité de perception acérée. Dans la conférence « Formation pratique de la pensée », il expose explicitement comment développer par de nombreux exercices pratiques une confiance profonde (fondamentale) entre pensée et réalité. (Karlsruhe 18 janvier 1909, édition spéciale GA 108). Ce qui peut être perçu aujourd’hui dans la nature et l’être humain porte, caché en lui, le germe de la forme future. Afin de rendre ceci plus concret : il est toujours passionnant et stimulant d’observer par exemple un enfant de sept ans – à condition d’en connaître la famille - et d’essayer de se représenter en esprit le visage ou l’allure qu’il aura vingt ans plus tard. Au début, c’est difficile, naturellement, mais, avec le temps et des exercices fréquents, il est possible de parvenir à une certaine image. Il ne s’agit en aucun cas d’établir des pronostics mais bien d’éduquer son sens pour saisir ce qui se transforme. A l’inverse, on peut aussi observer une personne de soixante ans et essayer d’imaginer son apparence extérieure lorsqu’elle était enfant. Pour cet exercice, il est évidemment possible d’évaluer après coup au moyen d’une photographie dans quelle mesure on était proche ou non de la réalité. A chaque fois, il ne s’agit pas de rechercher une utilité mais d’atteindre un équilibre entre exactitude et imagination. C’est cela qui constitue la réalité de la vie. Des enseignants attentifs ont besoin de cette dimension, de ce sens du devenir afin d’accompagner leurs élèves des années durant dans leur croissance physique et psychique ainsi que leur évolution spirituelle. 2 Le sens des polarités Dans l’être humain, les changements s’accomplissent au long des jours, des mois, des années et de la vie dans le cadre de processus contrôlables : la naissance et la mort, la veille et le sommeil, l’oubli et le souvenir, l’activité et le repos, la sympathie et l’antipathie, l’inspiration et l’expiration. L’évolution de tous les êtres vivants se fonde sur un rythme. Selon Rudolf Steiner, les éducateurs doivent prendre en considération ces polarités : « Pendant que nous enseignons, notre attitude globale serait insuffisante si nous n’avions pas en conscience la pensée suivante : l’être humain est né ; par ce fait même, la possibilité lui a été offerte de faire ici ce qu’il ne pouvait pas faire dans le monde spirituel. Il nous faut éduquer, enseigner et tout d’abord établir par la respiration un rapport harmonieux avec le monde spirituel. Dans le monde spirituel en effet, l’être humain ne pouvait pas vivre l’alternance rythmée entre la veille et le sommeil comme il le fait dans le monde physique. Ce rythme, nous devons le régler de façon juste par l’éducation et par l’enseignement… » (Anthropologie générale, 21 août 1919). On peut dire ainsi que l’éducation est toujours un processus de respiration. Il y a des enfants qui sont enclins à rêver, d’autres qui sont bien éveillés et curieux; il y en a qui sont maladroits, d’autres qui sont sont très habiles de leurs dix doigts. Il y a en outre des phases au cours desquelles les enfants sont portés au jeu et à l’imagination, d’autres en revanche où ils recherchent l’attention soutenue, l’effort de concentration. Certains adolescents ont un rapport déficient avec leur corps tandis que d’autres l’investissent au point d’être potentiellement violents. Le devenir biographique se situe en plein milieu de ces tendances inhérentes à la nature humaine; il nécessite un entourage social porteur afin de neutraliser les tendances extrêmes. La formation d’une communauté de classe (parents, élèves et enseignants) au cours des années scolaires permet de construire des relations fiables et de confiance réciproque. La classe, l’école et les familles élaborent ensemble un réseau social, dans lequel les enfants et les adolescents acquièrent de l’expérience dans un climat de confiance; il y a bien entendu des hauts et des bas mais il existe une communauté qui est là pour porter ces expériences. L’empathie consciente des adultes peut pallier les déficits et apporter des correctifs lorsque c’est nécessaire. Enseignants et parents peuvent acquérir cette compétence sociale; c’est pourquoi l’école Waldorf est aussi une école de parents. Une didactique appropriée permettra aussi d’harmoniser les tendances polarisantes. Nous en parlerons plus loin. Le sens de l’art L’étude de la Théorie des couleurs de Goethe appartient certainement aux prémisses d’un art moderne de l’éducation car cette approche des couleurs se construit sur l’acte de perception et non sur une hypothèse. Georges Braque a écrit: « L’art a pour mission de jeter le trouble; la science offre la sécurité ». Cette phrase peut s’appliquer également au travail des pédagogues : ils doivent toujours reconsidérer leur méthode, leur pratique; inlassablement se poser toujours de nouvelles questions et chercher de nouveaux points de départ; les progrès comme les reculs dans le processus d’apprentissage des élèves sont toujours des indices sur la façon dont les prochaines phases de l’enseignement devront être structurées. L’enseignant peut travailler avec cette inquiétude, cette « agitation » permanente; elle l’incite à mieux se saisir de la situation pédagogique lorsqu’elle se présentera la prochaine fois. Dans cette profession, la mauvaise expérience c’est de découvrir qu’on a glissé dans une routine. Habitudes, automatismes, standardisations dans la méthode d’enseignement comme dans la transmission de savoirs sont le 3 signal qu’un burn-out est proche ou même qu’il est temps de changer de métier. Seuls des enseignants actifs et en recherche peuvent satisfaire les besoins des élèves et redécouvrir et retransmettre de façon toujours nouvelle la matière de leur enseignement. Un processus vivant se crée, décrit également par de nombreux artistes: une relation étroite avec l’activité que l’on est en train d’exercer et dans le même temps une grande distance. Dans la vie, proximité et distance ne se contredisent pas. Ce processus ne peut être enseigné dans aucun séminaire ni aucune haute école pédagogique. On ne peut qu’attirer inlassablement l’attention sur sa réalité. Ce n’est que dans et par la pratique que l’on peut expérimenter la pédagogie en tant qu’art. Pour cette raison, la formation anthroposophique des enseignants est toujours axée sur la pratique. L’« inquiétude » des enseignants au sujet de la paresse et de la négligence des élèves est souvent la meilleure source de renouvellement de la méthode afin d’améliorer l’enseignement lui-même. Et cela pour le profit de tous les élèves. Le sens de la connaissance de soi Le célèbre psychologue Howard Gardner (Université d’Harvard) connu pour ses travaux sur les intelligences multiples a étudié « le cas Mahatma Gandhi ». Il en arrive à la conclusion que Gandhi possédait une intelligence particulière: une intelligence de la connaissance de soi qui lui conférait une authentique maîtrise de soi. De même qu’une intelligence mathématique permet des performances intellectuelles complexes tout à fait déterminées, de même il existe une forme d’intelligence qui peut conduire à une connaissance de soi, claire, compétente et sans concessions. Le pouvoir particulier que Gandhi exerçait sur ses semblables - qui reposait, au demeurant, sur une pure abnégation - est le contre-exemple de l’abus de pouvoir et des prétentions politiques usuelles. Gandhi nous dit : «Sois toi-même le changement que tu veux voir en ce monde». Une connaissance de soi authentique requiert patience, travail, méthode et discipline. Rudolf Steiner considère les enseignants comme des êtres humains qui cheminent sur un long chemin d’autodiscipline. Par suite, il n’y a pas de contradiction entre ce qu’ils disent et font d’une part et ce qu’ils pensent, ressentent et sont eux-mêmes d’autre part. Le sens de cette discipline est individuel et peut laisser son empreinte par le travail sur sa propre biographie, par des exercices de concentration, la contemplation artistique, la proximité avec la nature, l’étude de personnalités exemplaires, des méditations, l’attention portée sur soi-même et sur les effets de sa personnalité sur les autres. Dans cette optique, celui qui travaille sur lui-même, fut-ce de façon très modeste, sera à même de servir ses semblables de manière plus judicieuse. Dans la conférence « Nervosité et Moi » (Munich, 11 janvier 1912, édition spéciale dans GA 143), Rudolf Steiner montre que l’éducation de l’attention à ce que l’on fait représente une guérison de l’être humain tout entier. Seul un enseignant qui s’efforce continuellement de préserver son équilibre intérieur peut véritablement accompagner des enfants et des adolescents. Le sens de la créativité didactique Ceux qui enseignent ont besoin d’un bon flair quand il s’agit de transmettre des connaissances. Ils ont à leur disposition toutes sortes de méthodes d’enseignement qui ont été systématiquement étudiées ces dernières années par la neuro-psychologie et les sciences de l’éducation. Une connaissance approfondie de ces différentes méthodes constitue la condition préalable pour, au moment voulu, faire le choix de la méthode appropriée pour aider les élèves à progresser. Une formation anthroposophique des enseignants tient compte de la valeur pratique des méthodes. Dans la salle de classe, les étudiants seront confrontés à des problèmes qu’il leur faudra résoudre peu à peu. Des praticiens accompagnent en tant que mentors ces expériences importantes et créent la distance critique qui sert à approfondir ce vécu. Cette activité et le reflet (feed-back) collégial qui la complète font l’intérêt de la formation des enseignants. En effet, ce qui aide les enseignants, ce n’est pas la seule théorie mais c’est l’expérience accompagnée et, plus tard, le soutien du collège. Une didactique est créative lorsqu’elle repose sur un échange intense, dans le collège des professeurs, quant aux étapes d’apprentissage que 4 franchissent les élèves (ce que l’on nomme Kinderbesprechung). Elle n’est pas normative mais elle correspond aux besoins et aux aptitudes des élèves. La matière enseignée elle-même devient facteur d’évolution et pas seulement un savoir à acquérir ou un entraînement à des techniques de civilisation. Cette didactique sert en priorité le développement sain de l’enfant et tente de soutenir en fonction de son âge (Jean Piaget, L’éveil de l’intelligence chez l’enfant, 1973) son évolution individuelle, psychique et motrice. De par un équilibre maintenu entre le physique et le psychique ainsi que par un rythme sain dans les matières enseignées, la didactique a qualité de salutogenèse. La façon de transmettre les connaissances doit agir sur les élèves en leur apportant harmonie, équilibre et force. Quel est l’impact des différentes matières scolaires sur les élèves? Comment les processus d’apprentissage (récits, calcul, gymnastique, dessin, grammaire, musique, langues étrangères ou histoire) agissent-ils sur les élèves du point de vue de l’incarnation (permettant au corps de se faire le véritable instrument de l’âme)? Cette question capitale est abordée dans l’étude de la nature humaine et dans la pratique; elle constitue le domaine de recherche privilégié de tout enseignant. Le sens de la relation pédagogique L’éducation est relation. Une éducation qui vise à l’aptitude relationnelle est un objectif généralement reconnu que se fixe l’école aujourd’hui et les psychologues, médecins et autres experts sont unanimes sur ce point. Mais la question décisive est bien de savoir comment cette capacité peut être formée et développée chez les élèves, de façon libre, individuelle et sans préjugés. Une fois de plus, ce n’est pas le Quoi mais le Comment qui est essentiel. L’aptitude relationnelle ne peut être enseignée ni inscrite dans l’horaire scolaire, par exemple le mercredi à 11h ! Elle peut, par le biais de moyens interdisciplinaires et de façon globale, favoriser l’action conjointe de différentes disciplines comme par exemple la biologie, l’allemand, la peinture et le modelage. « Veux-tu un enfant capable de relation, alors offre-lui un environnement qui lui donne protection, enveloppe et une large expérience sensorielle. Construis ta relation à l’enfant - mais aussi aux autres adultes - de sorte qu’elles valent la peine d’être imitées. » (Christian Breme/Joseph Aschwanden, Schulkreis 4/09). Cela veut dire que l’attitude intérieure de l’enseignant est capitale. Martin Buber confirme avec la profondeur qu’on lui connaît que la pédagogie Waldorf en explorant la qualité de cette relation du JE à TU génère le développement individuel. Bien entendu, ce processus relationnel sera accompagné autant par les parents que par les enseignants; c’est pourquoi il sera fiable et objectif. Le sens des besoins de la société L’héritage génétique, les qualités dues à l’influence du milieu et l’identité propre sont des réalités difficiles à distinguer les unes des autres et à percer à jour. C’est depuis relativement peu de temps que l’humanité commence à comprendre et à devenir consciente de ce que des valeurs communes ne sont pas négociables (sur les plans du droit, de la philosophie, de la religion et de la science): la dignité de l’être humain est inaliénable; les droits à la vie, à la liberté, à l’égalité, à la liberté d’opinion et d’expression forment un espace où l’humanité veut pouvoir se déployer à l’avenir. Au fond, il ne s’agit pas d’élaborer une nouvelle pédagogie alternative ou intéressante mais de donner force à un avenir qui respecte la dignité de l’homme ! Et un tel avenir verra le jour non pas si une idéologie ou si la collectivité s’impose mais si la réalité individuelle s’y épanouit. Et pour cela, il faut respecter l’autonomie de la pensée. „Ce qui importe aujourd’hui, c’est d’ancrer l’école dans une vie spirituelle libre. Ce qui sera enseigné et éduqué doit être issu de la connaissance de l’être humain en devenir et de ses dispositions individuelles. Il ne faut pas demander: Quelles sont les connaissances et les facultés dont l’homme a besoin dans le contexte social existant mais plutôt quelles sont les facultés latentes qui peuvent être éveillées en l’être humain? Il sera ainsi possible d‘insuffler de nouvelles forces provenant de la génération montante à cet ordre social. Et il deviendra ce que feront de lui les êtres pleinement réalisés qui s‘y insèreront. Dans ce cas là, la génération montante ne se soumettra pas à ce que veut faire d’elle “l’organisation sociale en place”. (Rudolf Steiner: Articles sur la tripartition de l‘organisme social et sur la situation contemporaine. 1915-1921) Ce qui caractérise les enseignants, c’est le désir d’exercer une responsabilité particulière. Ils s’engagent à connaître et à prendre en compte, de façon fondamentale, globale et systématique les dispositions individuelles de l’enfant et de l’adolescent, à étudier une anthropologie élargie incluant l’esprit et à encourager par des moyens didactiques et appropriés la réalisation de soi de l’enfant (mise en pratique de l’anthropologie). Cet engagement envers l’individualité des élèves anime la collaboration avec les parents et les collègues. A dire vrai, les enseignants sont 5 hautement engagés politiquement; ils ont à structurer ce qui, de façon décisive, donnera son empreinte à la société civile de demain. Ceci s’accomplit sans prétention extérieure de puissance; seules sont concernées la dignité humaine et la liberté. Les enseignants Waldorf s’efforcent consciemment d’inclure la dimension spirituelle et essentielle dans leur travail quotidien parce que cette dimension fait partie intégrante de la conscience humaine. Si nos représentations de Dieu ont fait leur temps (Frédéric Nietzsche) ou sont devenues fondamentalistes lorsque l’image de l’homme raisonnable et éclairé ne correspond plus aux exigences de l’universellement humain (Michel Foucault) alors les enfants et les adolescents se doivent de devenir adultes par eux-mêmes. Des enseignants formés sont là pour les encourager et les accompagner afin que l’avenir puisse toujours apparaître avec ce qu’il apporte de neuf, des enseignants qui doivent franchir une étape de conscience et connaître l’homme et Dieu d’une manière nouvelle. En guise de bilan En quoi consiste une formation d’enseignant Waldorf ? Vérifier l’anthropologie anthroposophique dans et par la pratique, exercer une culture de la rétrospective et acquérir une compétence sociale Qu’est-ce qu’un professeur Waldorf? Un apprenant, un praticien de l’éducation vécue comme une respiration. Qu’est-ce qui fait l’attrait d’une telle formation? La possibilité d’assumer de façon autonome une responsabilité réelle face à l’avenir; d’apprendre à connaître les interactions entre les matières enseignées et à découvrir les perspectives du devenir de l’être humain. Pourquoi y a-t-il des personnes qui désirent suivre une telle formation? Parce qu’elle offre la satisfaction de pouvoir exercer avec compétence sa liberté de décision quant à l’aide spécifique dont chaque élève a besoin afin de se réaliser lui-même. Que propose la démarche anthroposophique et ses applications sociales dans une école Rudolf Steiner? Un travail d’équipe, un travail collégial, des rencontres avec les parents d’élèves, un accompagnement de destinées et la création d’espaces de liberté pour de nouvelles initiatives. Comment relier théorie et pratique? L’anthroposophie n’est féconde que dans la pratique; seul celui qui vit en situation de recherche peut faire ce lien et en tirer un apprentissage. Robert Thomas, né en 1949, a grandi en France. Etudes en sciences sociales et psychologie. Actif en tant qu’enseignant à Zurich depuis 1976 et plus spécialement dès 2003 à l’école-atelier, pour les cours d’histoire et d’histoire de l’art dans les classes de la 10ème à la 12ème. Responsable du poste de Coordination des écoles Rudolf Steiner en Suisse. Co-fondateur et professeur à la Formation pédagogique anthroposophique de Suisse romande. Ce texte est un extrait d’une contribution qui paraîtra en été 2011 dans la publication de la Communauté de travail, sur le thème de la formation des enseignants. 6 L’Académie pour une pédagogie anthroposophique (AfaP) La formation d’enseignant dans une école Rudolf Steiner est une formation spécialisée, reconnue et que l’on peut acquérir par un cursus spécifique sur plusieurs années. L’institution de référence pour la Suisse de langue allemande est située près de la Haute Ecole de Science spirituelle à Dornach. Regard vers le passé La formation d’enseignant a commencé avec la fondation des deux premières écoles à Bâle et à Zurich dans les années 1926-1927. A côté de Willi Aeppli, de l’école de Bâle, ce sont avant tout des enseignants de Zurich qui furent déterminants lors du premier Séminaire pédagogique à Zurich. La formation des enseignants se consolida en 1952 lors de la fondation du Séminaire pédagogique de Dornach sous la direction de Annie Heuser. En 1974, des enseignants des écoles de Bâle et de Zurich fondèrent une association dans le but d’assurer au séminaire sa nécessaire indépendance sur les plans juridique et économique. Cette association érigea les bâtiments du séminaire toujours en activité aujourd’hui. En conséquence, le séminaire acquit une forte implantation dans le Mouvement des Ecoles en Suisse. En 1997, le séminaire, sous la direction de Marcus Schneider et de Thomas Stöckli se positionna comme Haute Ecole Spécialisée et développa un nouveau concept de formation, fort et directement relié à la pratique pédagogique. C’est sur cette base que fut fondée en 2007 l’Académie pour une pédagogie anthroposophique (AfaP) qui propose un profil de formation clair ainsi qu’une offre élargie. L’AfaP aujourd’hui La qualité et la valeur durable du travail pédagogique qui se fait dans les écoles Rudolf Steiner dépendent de façon déterminante de la capacité dont font preuve les enseignants à mettre en pratique, tant avec imagination qu’avec compétence, les fondements de cette pédagogie. Cet « art de l’éducation » requiert des qualités précises indispensables qui seront transmises dans le cadre des études à l’AfaP : l’acquisition des connaissances de base de la pédagogie anthroposophique et de ses fondements anthropologiques, une conscience des méthodes et moyens didactiques, une réflexion sur son propre travail dans le contexte de ses propres ressources et compétences, une discipline pour développer une conscience artistique, des aptitudes quant à la réalisation de la vie quotidienne scolaire globale et la perception de la réalité scolaire vécue par les enfants. Aujourd’hui, l’AfaP avec ses 80 étudiants est la plus grande institution de formation pour la pédagogie anthroposophique en Suisse. Au cours des 14 dernières années, environ 140 étudiants ont été formés dont les deux tiers sont en activité actuellement dans des écoles Rudolf Steiner ou d’autres établissements pédagogiques en Suisse ou en Allemagne. Une partie des enseignants formés travaille également dans des institutions de l’Etat. Les programmes d’études de l’AfaP A l’AfaP, les étudiants sont préparés selon quatre filières possibles à la pratique professionnelle du métier d’enseignant ou à une activité dans le domaine pré-scolaire. Le choix de la filière appropriée se fait en tenant compte des acquis personnels et des points forts de chaque étudiant. Les offres de formation de l’AfaP s’adressent à de jeunes étudiants, à des enseignants formés des écoles d’état, à des enseignants des écoles Rudolf Steiner sans formation anthroposophique et à des parents intéressés qui souhaiteraient apporter leur contribution au travail pédagogique des écoles. 7 Programme du cycle élémentaire (3 ans) La filière pour le cycle élémentaire s’adresse à des professionnels qui apportent avec eux des expériences pédagogiques dans le domaine social ou le domaine de l’éducation et qui aspirent à une activité en tant qu’éducateur (éducatrice) pour la petite enfance (domaine pré-scolaire des 4 à 7 ans). Les cours et séminaires à l’AfaP ont lieu principalement pendant les week-end de sorte que la participation à ces cours est compatible avec sa propre activité professionnelle. Programme à plein temps (2 ans) Le cursus d’études à plein temps s’adresse à des personnes intéressées à participer dans le cadre de leurs études à la pratique pédagogique d’une école Rudolf Steiner. Ce cursus est conçu de façon à ce que, en plus des cours de week-end et séminaires (en temps bloqué) communs avec les autres filières, des cours et autres travaux prévus aient lieu pendant les cours de la semaine à l’AfaP. Programme d’accompagnement de stages (3 ans) Le programme d’accompagnement de stages s’adresse à ceux qui sont déjà actifs dans une école Rudolf Steiner en tant qu’enseignant mais n’ont pas accompli une formation pédagogique anthroposophique. Ce programme est également ouvert aux enseignants des écoles d’Etat qui souhaitent se former en pédagogie anthroposophique. Cette étude est conçue de façon telle que l’activité régulière d’enseignement puisse être intégrée à la partie pratique du programme. Les cours à l’AfaP ont lieu principalement en week-end de sorte que la participation à ces cours est compatible avec sa propre activité professionnelle. Programme en cours d’emploi (4ans) Le programme d’études en cours d’emploi s’adresse aux intéressés qui, parallèlement à leur activité professionnelle, qui peut s’avérer être l’enseignement dans une école d’Etat, souhaitent accomplir leur formation à l’AfaP. Ce programme est conçu de sorte que les étudiants puissent d’une part, être amenés progressivement à la pratique pédagogique dans une école Rudolf Steiner et, d’autre part, suivre les cours donnés à l’AfaP, cours ayant lieu principalement en fin de semaine , ce qui permet de concilier son activité professionnelle personnelle et la participation aux cours. Les concepts de formation en rapport avec la pratique pédagogique Une caractéristique importante de toutes ces filières est le rapport entre la pratique et l’étude. Ceci permet à l’étudiant une confrontation intensive avec les tâches du métier d’enseignant et place l’enfant au centre des intérêts. A travers l’activité de chercheur-praticien, ces expériences sont reliées aux contenus des études de façon telle qu’une relation riche et réciproque puisse exister entre la théorie et la pratique. L’étude pratique comprend quatre domaines : des stages d’observation auprès d’un enseignant expérimenté, des expériences personnelles d’enseignement , la participation aux réunions hebdomadaires pédagogiques et la réalisation d’un projet individuel de chercheur-praticien. Afin que cette étude devienne un enrichissement précieux tant pour les écoles que pour les étudiants, l’AfaP collabore directement avec les écoles, leurs mentors et la Communauté de Travail des écoles Rudolf Steiner. Les trois piliers des études à l’AfaP Les études à l’AfaP s’édifient sur trois piliers : une anthropologie anthroposophique reliée en permanence à un travail d’approfondissement des méthodes et de la didactique ainsi qu’à un travail artistique dans les différentes disciplines. Au-delà, les étudiants élargissent leurs compétences particulières à travers le choix de modules spécialisés et peuvent acquérir des qualifications ciblées en vue de l’activité professionnelle envisagée. Actuellement, voici les modules spécialisés qui peuvent être choisis, également d’ailleurs indépendamment d’un cursus particulier : peinture et histoire de l’art, éducation physique, langues étrangères et musique. Accueil et admission à l’AfaP L’admission à un programme d’études de l’AfaP se fait après un entretien avec la direction d’études. Au premier plan sont prises en considération la biographie individuelle et l’aptitude personnelle. Voir critères spécifiques d’admission sous : www.paedagogik-akademie.ch 8 Le cursus d’études pour le cycle élémentaire (niveau jardin d’enfants) commence chaque année en janvier (inscription jusque mi-décembre), les autres filières d’études commencent selon l’entretien individuel avec la direction d’études. Diplômes d’études Tous les programmes d’études conduisent à un diplôme en pédagogie anthroposophique qui autorise à enseigner dans les écoles Rudolf Steiner (ou écoles Waldorf) du monde entier. La qualification selon les disciplines d’enseignement et l’âge spécifique des élèves concernés repose sur les justificatifs de compétence individuelle présentés par les diplômés. Du nouveau : une Passerelle Depuis l’automne 2010, une passerelle permet aux diplômés des programmes d’études à temps complet ainsi qu’à ceux des stages accompagnés de l’AfaP l’accès direct à la Haute Ecole de Pédagogie FHNW (institut du primaire). Ces études, au moyen de cette passerelle, sont sanctionnées par un diplôme d’enseignement suisse pour les classes primaires de 1 à 6 et par l’obtention du titre d’ « enseignant diplômé pour le degré primaire » (CDIP) ainsi que le « Bachelors of Primary Education ». La Passerelle de l’AfaP est conçue pour une durée d’études sur trois semestres. Thomas Stöckli, Marcus Schneider, Directeurs d’études –AfaP D’autres informations concernant les études à l’AfaP se trouvent sur notre site : www.paedagogik-akademie.ch Passerelle AfaP—Haute Ecole Pédagogique FHNW Chemins professionnels et développements individuels s’influencent positivement, dans le meilleur des cas. Les jeunes gens d’aujourd’hui relient le choix de la profession à l’espoir que ce chemin professionnel individuel puisse s’associer à un projet de vie également individuel et porteur d’avenir. La maîtrise de nouveaux défis et de nouvelles qualifications à acquérir ainsi que de nouvelles possibilités de promotion s’avèrent, à juste titre, occuper le centre des préoccupations. La passerelle pour les diplômés de l’AfaP est une perspective commune de développement : Les étudiants hautement motivés acquièrent un diplôme d’Etat. Les étudiants et les professeurs de la Haute Ecole Pédagogique de l’Ecole Spécialisée(FHNW), du fait de leur participation à un autre chemin de formation, s’en trouvent enrichis sur les plans humain et pédagogique. Les échanges dans les salles de professeurs des écoles Rudolf Steiner et des écoles d’Etat reflètent de nouveau l’hétérogénéité sociale. Les racines de la Passerelle toute nouvellement créée sont aussi à retrouver dans les journées de formation continue de Dornach qui furent conçues et vécues en collaboration. Astrid Eichenberger, directrice de l’Institut du niveau primaire, Haute Ecole Pédagogique FHNW, Liestal 9 « J’ai ressenti comment je peux personnellement me développer. » Un étudiant à l’Académie de Pédagogie Anthroposophique (AfaP) raconte comment il s’est décidé pour le programme d’accompagnement de stages, comment se sont passées ses premières expériences pratiques dans une classe et comment il se trouve dès lors en apprentissage permanent. Comment as-tu été éduqué ? J’ai vécu une enfance en contact avec la nature. Après l’école primaire, j’ai fréquenté l’école cantonale de Kreuzlingen. A côté de l’école, le sport a toujours été important pour moi et j’ai pratiqué l’athlétisme léger. Après la maturité, je me suis décidé pour des études d’ingénieur du bâtiment. C’était évident du fait que ma famille, depuis quatre générations, s’est occupée de construction routière. Pourtant, après une année, j’ai constaté que c’était trop théorique pour moi. J’ai fait une pause et, à l’occasion du service civil, j’ai pu jeter un regard sur le travail avec les gens. Je travaillais dans un centre de traitement des dépendances. Ensuite, j’ai fait un stage dans un foyer pour les sans-abris et j’ai commencé une formation en pédagogie sociale à Zurich. Le pas vers une profession sociale s’est fait parce que je ne m’étais moi-même pas encore trouvé. C’était un processus me permettant de mieux me connaître moi-même car travailler avec d’autres personnes, c’était comme être en face d’un miroir. Là, j’ai acquis une grande confiance en moi et j’ai commencé à m’engager politiquement avec des projets comme par exemple jouer au foot avec les enfants dans les rues. C’est à travers cet engagement que j’en suis arrivé à mon activité actuelle. A côté des études, je travaille avec de jeunes demandeurs d’emploi et je les accompagne jusqu’à ce qu’ils aient repris pied sur le plan professionnel. Est-ce que c’était clair depuis toujours que tu voulais faire une formation pour devenir enseignant dans une école Waldorf ? J’avais en arrière-pensée une certaine recherche, je voulais trouver une approche pour mieux transmettre aux jeunes sans emploi la joie d’apprendre. C’est comme ça que je me suis décidé à commencer la formation pour la pédagogie anthroposophique à l’AfaP. Au début de la formation, je n’avais pas trop l’idée de devenir enseignant. Ce désir n’est devenu vraiment concret qu’ici à Wetzikon, lorsque j’ai commencé le stage et constaté que le métier d’enseignant me plaît particulièrement. J’ai suivi mon sentiment intérieur. Peux-tu te souvenir d’un (e) enseignant(e) qui t’a particulièrement impressionné ? Mon professeur de géographie à l’école cantonale. Il était tout près de la retraite. Sa salle de préparation était pleine de livres du monde entier. C’était un magnifique conteur d’histoires. Nous autres, les élèves, nous l’encouragions toujours à nous raconter une histoire. Il était très érudit et, de par ses nombreux voyages, il connaissait toutes sortes d’anecdotes sur les différentes cultures et les régions. A travers ses histoires, il pouvait me donner une compréhension du monde. Je n’en suis devenu conscient que lorsque j’ai commencé à me confronter avec la pédagogie anthroposophique. Car il s’agit exactement de cela quand on enseigne. Tu as commencé ta formation à l’AfaP en septembre dernier. Quelles sont tes premières impressions ? Je suis plein d’impressions ! Au début, je ne savais pas vraiment à quoi je devais m’attendre. Apprendre à travers des entretiens et des discussions me convient bien. Il y a beaucoup de nouveaux thèmes comme par exemple l’anthropologie qui peut être très passionnante à travers les entretiens en groupe. Je trouve très précieuses les disciplines artistiques comme la peinture, l’eurythmie ou l’art de la parole. J’ai ressenti comment je pouvais personnellement me développer. Il y a des domaines dans lesquels j’ai toujours connu des difficultés à l’école. Très tôt, on m’a renvoyé l’image de quelqu’un qui dessine mal. Maintenant c’est avec joie et enthousiasme que je pratique le dessin. 10 En ce moment, nous sommes 35 participants, répartis dans les différents programmes, le cours à temps complet sur deux ans, le programme d’accompagnement de stages de trois ans ou le programme en cours d’emploi sur quatre ans. Les études sont conçues de façon telle que si possible, tous aient pu traiter tous les thèmes à la fin de leur cours. Je participe au cours d’accompagnement de stages. Actuellement tu es en stage à Wetzikon. Peux-tu raconter comment cela se passe ? Avant les vacances de Noël, chaque jeudi j’ai fait un stage dans différentes classes. J’ai eu la chance que dès la première fois, on m’a demandé si je voulais bien assumer, en tant que remplaçant, un cours de deux heures de travail manuel en 6ème classe. J’étais reconnaissant pour ce défi. Ainsi, en plus du jeudi, j’étais aussi à l’école pour deux heures le mercredi. Comment c’était de se tenir pour la première fois en face d’une classe ? J’étais excité, j’étais tendu, me demandant quel effet je ferais aux enfants. Du côté de l’enseignante, j’ai été bien préparé du fait qu’elle m’a conseillé de ne pas commencer avec l’aiguille et le fil comme dans le travail manuel classique mais plutôt avec du papier. Je me suis décidé à transmettre aux enfants l’art du pliage de papier japonais, l’origami, et ça s’est très bien passé. Au début, les enfants ont essayé de tester les limites. Un enfant m’a directement demandé si je pouvais être sévère. Jusqu’à Noël, tout est très bien allé. Ensuite nous avons commencé avec un nouveau travail, le tissage sur petit métier. Là, par deux fois, j’ai eu des difficultés. La classe était agitée et bruyante. Une enseignante de travail manuel m’a donné quelques tuyaux, comment, au commencement de l’heure, je pouvais discuter avec les élèves afin de convenir avec eux de certains arrangements. Après cela, nous avons connu deux bonnes heures de cours où ils étaient appliqués. Après les vacances de Noël jusqu’aux vacances de sport, j’ai été en stage et j’ai enseigné dans la 5ème classe de Michèle Truog. Comment cela s’est-il passé? C’était très passionnant pour moi. Tout était nouveau. J’ai remarqué qu’il me fallait acquérir les compétences nécessaires seulement par la pratique. Au début, c’était difficile d’évaluer où en sont les enfants, à quel rythme je peux avancer et comment je peux préparer le cours pour qu’ils puissent suivre et se sentir concernés par le contenu. J’étais tendu et surtout concentré sur mon travail de préparation, comment j’en voyais le déroulement. Ainsi je ne pouvais pas bien m’impliquer dans la classe et j’étais parfois dépassé par les réponses inattendues venant des enfants. Plus j’étais devant la classe, plus je me sentais assuré. Maintenant, pendant la leçon, je me déplace plus librement, je peux mieux recevoir les questions et les remarques des enfants et les intégrer. C’est beau de remarquer que je suis maintenant une partie du tout. Pendant les dernières leçons, je pouvais vraiment me réjouir de l’enseignement et ressentir à quel point c’est passionnant et instructif de rencontrer des enfants et d’apprendre à mieux les connaître. Bien sûr, ça ne réussit pas toujours. Dans ce cas, le cours me paraît pénible et après je me sens fatigué. Ce que je trouve difficile c’est lorsque je perds le fil et ne sais plus dans l’instant comment je vais continuer et trouver le passage d’un thème à un autre de façon harmonieuse. Aussi lorsque, pendant des travaux à faire tout seuls, quelques enfants ne font pas ce qui leur est demandé, je suis encore débordé quand il s’agit d’avoir une vue d’ensemble sur les 25 élèves et de réagir en même temps à toutes leurs questions. Alors je remarque que je n’ai pas suffisamment expliqué. En ce moment, je ressens comme un stress lorsque trop de choses inattendues arrivent. En tant que jeune professeur, tu bénéficies sûrement d’un plus ? Par exemple, pour les cours de travail manuel, je remarque que les élèves se réjouissent d’avoir un professeur jeune. Ils ont pensé que je suis sûrement plus souple et que je vais être plus tolérant que d’autres. En 5 ème classe, ça fait plaisir quand quelques élèves demandent quand je viendrai pour la prochaine leçon et s’en réjouissent. Quand je vois la manière dont les enfants participent pendant le cours, je pense qu’ils doivent être contents avec moi. Cependant, ce qui a sûrement une grande influence sur la classe c’est le fait que leur enseignante soit assise derrière eux. Tu as déjà assisté aux conférences des maîtres. Quelle fut ton impression ? Aux conférences des maîtres, je trouve la première partie, avec son temps consacré aux arts, la présentation d’un cours par un enseignant, les entretiens sur l’anthropologie, tout cela très enrichissant. Pendant les conférences des classes primaires, du fait que les classes fonctionnent 11 en auto-gestion, il faut parfois de longues discussions pour qu’une solution acceptable soit trouvée ; de plus il y a des points sensibles qui sont difficiles à comprendre pour quelqu’un de l’extérieur comme moi. Je pense que tout cela s’exprime de façon particulièrement forte parce que tous sont indépendants tout en étant une partie de l’école. Lorsque je parle avec d’autres étudiants, j’entends dire que ce serait plus facile pour les jeunes de déléguer certains domaines de responsabilité. Que penses-tu de l’anthroposophie ? Il y a une année, j’ai entendu parler pour la première fois d’anthroposophie dans une ferme Déméter lors de la récolte des olives ; depuis, je suis en train de découvrir. Steiner a dit dans les conférences que nous devions en tant qu’enseignants continuer de nourrir l’âme des enfants en leur offrant du lait. Ainsi, leur donner non pas quelque chose d’abstrait mais quelque chose qui les touche, cela les nourrit et rend possible l’imagination. Lorsque je lis Steiner, je trouve toujours des passages que j’ai l’impression de connaître déjà et qui me parlent. Il arrive que je ressente une émotion profonde et une grande joie lorsque je trouve dans ses textes des réponses à des questions qui m’accompagnent depuis longtemps. Bien sûr, il arrive aussi que cela suscite des questions.Parfois, j’ai le sentiment que les nouvelles questions foisonnent. Je trouve la confrontation avec Steiner très passionnante et je ne me laisse pas déconcerter par ce qu’il dit mais j’y vois plutôt comme une provocation qui donne à réfléchir. Merci de tout cœur pour cet entretien. Cet entretien avec Pascal Pauli, étudiant à l’Académie pour une Pédagogie anthroposophique et stagiaire à l’école Rudolf Steiner de Wetzikon, a été mené par Michèle Truog et Christian Labhart Article (légèrement raccourci ) paru dans les Mitteilungen der Rudolf Steiner Schule Zürcher Oberland, Printemps 2011 Pourquoi une recherche-par-la-pratique dans la formation des enseignants? De façon générale et au sens large du terme un enseignant devrait être un enseignant purement et simplement. Un vaste champ d’études sur de nombreux thèmes et disciplines s’ouvre et l’on peut étudier et s’informer sans fin. Pourtant le domaine le plus important de la recherche c’est la pratique et l’action qu’on exerce sur les élèves eux-mêmes. A l’Académie pour une pédagogie anthroposophique (l’AfaP) c’est maintenant avec une expérience de plus de 15 ans que la recherche orientée vers la pratique en pédagogie et tout particulièrement en pédagogie Waldorf occupe une place centrale. Ainsi la recherche par la pratique offre une base fondée scientifiquement pour établir des synergies précieuses entre théorie et pratique et intégrer directement dans leur relation ces deux domaines essentiels dans la formation des enseignants. De cette façon, les étudiants accompagnés dans leurs études, peuvent être conduits vers la pratique pédagogique et se développer progressivement en fonction des exigences requises par le métier d’enseignant. L’implication conséquente de la recherche orientée vers la pratique dans le cadre de la formation apporte une contribution essentielle de sorte que les enseignants concernés accordent également une signification importante à cette compréhension du processus d’apprentissage et d’acquisition de compétences 12 aussi dans leur pratique professionnelle immédiate. Rudolf Steiner soutient lui aussi une conception similaire quant à la relation entre théorie et pratique : « Cela n’a pas de sens, dans la connaissance de l’être humain, de parler de différence entre théorie et pratique. Car une connaissance de l’homme qui ne peut devenir essentiellement active dans la pratique de la vie, est une somme de représentations qui planent comme des ombres dans les entendements mais ne parviennent pas jusqu’à l’homme lui-même. Une pratique de vie qui n’est pas éclairée par la connaissance de l’homme tâtonne, incertaine, dans l’obscurité. » (1) Car Steiner attendait des enseignants qu’ils puissent accomplir eux-mêmes pour leurs tâches quotidiennes d’enseignement la transformation nécessaire, à partir des forces intérieures d’imagination, d’une conscience pédagogique qualifiée, orientée par une psychologie du développement étendue et une compréhension globale de l’être humain. Parallèllement, il mit en place des conférences hebdomadaires pour les enseignants comprises comme formation continue permanente : « Ces conférences pour les enseignants ne sont pas destinées à la préparation des bulletins pour les élèves , à l’examen des situations administratives de l’école ou autres points de ce genre (…) mais ces conférences constituent en réalité l’école supérieure vivante et persistante pour le collège des professeurs. Elles sont le séminaire permanent. Et elles le sont en ce sens que pour l’enseignant chaque expérience singulière qu’il fait à l’école devient objet de sa propre éducation. » (2) Les conférences hebdomadaires des maîtres dans les écoles se raccordent ainsi dans le concept même directement à la formation des enseignants et relient de cette façon une recherche orientée par la pratique à la formation continue collégiale. A dire vrai, la réalité des conférences ne correspond qu’avec certaines réserves à cette exigence et cela même constitue pour les écoles une tâche actuelle dans le cadre du développement de leur organisation. C’est pourquoi disposer en conscience d’une méthode de recherche est particulièrement essentiel afin que les écoles Waldorf ne se limitent pas exclusivement aux « indications données » par Steiner mais qu’elles les comprennent comme instigation dans le contexte des développements et besoins actuels des élèves. En pensant à la configuration du plan scolaire, Tobias Richter formule cet aspect de la façon suivante : « La pédagogie Waldorf est une pédagogie de renouvellement permanent, aussi bien vers l’intérieur que vers l’extérieur. Cela signifie que chaque enseignant, à partir de la perception de la situation de développement de l’enfant et de ce qui change avec l’époque que nous vivons, est appelé à exercer une recherche pédagogique. Le résultat de cette recherche crée le plan scolaire. » (3) Par là, les enseignants sont invités à s’adonner à un travail permanent de recherche, fondement qui leur permet d’évaluer eux-mêmes leur propre enseignement et de le développer. Et, ils sont amenés de cette façon, à exercer la recherche par la pratique dans leur salle de classe. Thomas Stöckli Littérature : (1) Steiner, Rudolf : Pédagogie et art (2) Steiner, Rudolf : Vie spirituelle actuelle et éducation (3) Richter,Tobias : Pädagogischer Auftrag und UnterrichtszieleVom Lehrplan der Waldorfschule, Stuttgart, 2003 (non traduit) 13 Que veut dire recherche-par-la-pratique? La recherche par la pratique représente une tendance de recherche selon laquelle les praticiens par l’exploration de leur propre pratique créent de nouvelles théories lesquelles ont à leur tour une influence sur la pratique. Ainsi la recherche par la pratique peut être comprise comme processus cyclique par lequel un échange se fait entre théorie et pratique. La recherche par la pratique poursuit l’objectif de voir les praticiens examiner des problèmes concrets de leur activité professionnelle afin d’analyser leur propre façon d’agir et de l’améliorer. La recherche par la pratique se propose ainsi de surmonter le clivage entre théorie et pratique. L’objet de la recherche est exploré en tenant compte des théorie et méthodes scientifiques existantes. La recherche par la pratique repose sur la réflexion que produire de nouvelles théories n’a de sens que lorsque celles-ci se révèlent praticables. En comparaison avec la recherche empirique qui cherche à objectiver les résultats de la recherche, la recherche par la pratique poursuit le but d’offrir une solution adéquate à un problème concret. De plus, la recherche par la pratique se comprend comme une invitation faite aux praticiens d’exercer une réflexion critique quant à leurs propres valeurs et théories. Le processus de recherche peut alors être considéré comme une occasion de poursuivre son développement personnel. Sur le site de l’AfaP vous trouverez des exemples de travaux de recherche d’étudiants pour concrétiser cet article: www.afap.ch Info Pour Adresses lors de Réunion de classes Prière d’envoyer tout changement d’adresse à : Doris Blösch, Schützengasse 134 2502-Biel E-mail : [email protected] Recherche-par-la-pratique - un projet de théâtre Même des enseignants de longue date continuent d’apprendre et sont en recherche quotidienne en ce sens.Des formations complémentaires spécifiques apportent toujours encore de nouvelles inspirations et de nouveaux points de vue à ce sujet. Dans le cadre d’un module de master, j’ai mené une enquête il y a trois ans sur un projet de théâtre dans une 10ème classe. L’investigation portait sur les questions suivantes : -- Jusqu’à quel point les élèves sont-ils interpellés dans leur personnalité globale par un tel projet de théâtre ? -- Comment la motivation scolaire en est-elle influencée, en général ? -- Quels effets ce projet a-t-il eu sur le climat de la classe ? Pour moi personnellement, ce genre de travail à portée scientifique était nouveau. Nouveau en ce sens que, même si dans le passé je réfléchissais plus ou moins de façon critique à ma pratique d’enseignement, ici je me sentais contraint, à travers la méthode de recherche, de procéder de 14 façon systématique. La méthode scientifique que je perçus tout d’abord comme un véritable corset se révéla au fil du temps une approche à la mesure de la vie, approche à laquelle je confère aujourd’hui un caractère de questionnement et d’investigation. Ce qui fut fascinant dans tout ce projet de recherche auquel je consacrai environ une centaine d’heures, ce fut le résultat. Par exemple, mes thèses du début comme : « le théâtre améliore le climat de la classe » ou encore « le théâtre favorise la motivation scolaire », furent bonnes à jeter aux orties. Quelque peu déstabilisé, ce n’est pas sans peur que je me posai la question : « Qu’ai-je donc fait de faux ou alors est-ce que ce sont mes thèses élaborées sur un espace de temps d’une bien plus longue expérience qui sont fausses ? » Cependant je vis clairement que les résultats de mon enquête sur la pratique devaient être justes car ils reposaient sur de nombreux interviews, questionnaires, entretiens de groupes et observations, réalisés avant, pendant et après le projet de théâtre. Que mes thèses ne puissent pas être jugées comme complètement à côté de la plaque, c’est ce que je pouvais ressentir sur la base de mes expériences des années précédentes mais , du point de vue de la recherche par la pratique, je n’avais aucune preuve solide à apporter. La question se posait : « A quoi, dans le passé, ai-je accordé trop peu d’attention puisque justement un projet de théâtre n’améliore pas purement et simplement le climat (l’ambiance) d’une classe ? « Quand un projet de théâtre améliore visiblement le climat d’une classe et qu’ensuite aussi la reprise de la vie quotidienne scolaire se fait au mieux, je m’en réjouis sans toutefois être d’avis que le théâtre en tant que tel se doit d’améliorer l’ambiance d’une classe car il est tout aussi possible que des processus soient déclenchés qui, par exemple, amènent au grand jour des conflits larvés. Ma recherche par la pratique m’a en tous cas appris que les processus sociaux lorsqu’on prépare une pièce de théâtre exigent une régie au même titre que la pièce elle-même. La « régie sociale » peut déjà être en activité avant l’étude à proprement parler et thématiser par exemple de quelle sorte de culture sociale la classe est empreinte et à quoi il faut particulièrement prêter attention dans le cadre d’un projet théâtral. La « régie sociale » et la régie du théâtre sont devenues pour moi, entre temps, inséparables, elles se conditionnent réciproquement car le théâtre est une sorte de discipline sociale et artistique pour groupes. C’est précisément ici, à travers le travail intense de la recherche par la pratique qu’il m’est venu à l’esprit que la régie ne peut pas être simplement une instance en dehors de la réalité vécue. Dans l’espace de recherche, le chercheur est partie prenante de la recherche. De même, dans l’espace pédagogique, le pédagogue fait partie de l’activité pédagogique et il est déterminé par cette réalité au même titre qu’il la détermine. Exprimé en d’autres termes, voici ce que cela signifie pour moi : Il me faut passer avec les élèves par le chas de l’aiguille. Je ne peux pas diriger du dehors les événements mais j’ai le droit de rire, souffrir et me réjouir avec eux. C’est de cette façon que naît une immense force créatrice. Par cela j’entends aussi un autre rôle peut-être, voire un nouveau rôle pour l’enseignant. On parle aujourd’hui très volontiers de professionnalité et l’on suppose ainsi donner une garantie que tout se passe de façon claire, réglée et prévisible. Tant de professionnalité, n’est-ce pas pour les jeunes totalement ennuyeux ? Ne devons-nous pas développer beaucoup plus le courage de l’inhabituel, de ce qui n’a encore jamais été fait, de ce qui n’est pas planifiable afin de nous diriger, ensemble avec les jeunes, vers de nouveaux rivages ? Joseph Aschwanden (1959), enseignant dans les Grandes Classes à l’école Rudolf Steiner de Soleure, marié et père de 4 enfants 15 Trouver l’équilibre - un exercice plus que saisonnier Cet article est paru dans «Entr’écoles», Journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse romande. Au fil des jours, je vois beaucoup d'équilibristes à l'école: les enfants du groupe des petits qui grimpent sur un tronc d'arbre couché, les petites classes qui dansent au son de l'accordéon dans la cour, grands élèves et parents qui repeignent les pavillons sur des échafaudages de fortune. Sans oublier la mémorable journée de janvier quand tout, cour, prés et chemins, était transformé en patinoire - tout était recouvert d'une belle glace épaisse, lisse, scintillante et impraticable sans patins! Malgré les gravillons et les attaques courageuses au pic, la glace a imposé des exercices d'équilibre à tous pendant plus d'une semaine. Observons notre recherche d'équilibre: nous avançons et posons un pied après l'autre avec précaution, en tâtant le sol, nos bras se lèvent, se transforment en balancier, notre cou se dresse, nos doigts prennent appui sur l'air . . . La conscience de la périphérie de notre corps augmente (bien avant la chute!!), il s'agit de tout relier au centre immobile, au point qui ne vacille pas. Chercher le centre sans oublier la périphérie: cet exercice se fait ailleurs que sur des patinoires et des cordes raides - dans des endroits apparemment aussi stables que des salles de classe, le cercle des chaises du collège des maîtres . . . ! Parlons du collège de l'école de Lausanne! Il y a une année, nous avons pris conscience du fait que notre collège se composait essentiellement de deux types de personnes: les éléments "prometteurs" et les éléments "transmetteurs" comme l'a joliment formulé une collègue. Les "prometteurs" sont bien sûr les jeunes collègues pleins d'enthousiasme et de questions, les "transmetteurs" les (plus ou moins) vieux collègues expérimentés. Si le plaisir des découvertes réciproques est certain ("J'admire ton entrain!" "Je n'avais jamais réfléchi à ça - maintenant que tu le dis - !") les divergences d'opinion, l'opposition entre habitude et besoin d'innover ne manquent pas non plus. Quel défi pour le collège! Comment trouver l'équilibre entre ces deux forces archétypiques, celle qui se projette dans l'avenir et celle qui sauvegarde les acquis du passé? Les notions de centre et de périphérie nous aident: en réalité, les deux positions sont périphériques et il nous incombe de chercher le centre qui les relie (en évitant le danger de considérer l'autre comme périphérique). Lors de l'exercice pernicieux sur la glace, il s'agissait de droiture et de souplesse physique - qu'en est-il du travail commun? Sur quel pivot prendre appui? Quelques idées pour orienter la recherche: - mettre en commun toutes les questions, soucis et préoccupations - rendre conscient, formuler ce vers quoi nous nous orientons tous - notre idéal pédagogique et de collaboration (cf. champ 1 des Chemins vers la qualité, la tâche que nous nous donnons) - s'exercer à cultiver l'attitude opposée à la sienne: je fais partie des collègues expérimentés, où se situent donc les domaines d'apprentissages nécessaires pour moi? Si, au contraire, je suis encore nouveau/nouvelle dans l'école, je me demande ce qui fait la force et le charactère unique de l'école. - saisir le moment présent - dans quelle mesure sommes-nous capables de nous y investir pleinement? Cette recherche du centre rejoint les préoccupations de base da la pédagogie Steiner: équilibrer les forces de la pensée avec celles de l'action, du faire (Steiner parle de volonté) veut dire soigner les forces du milieu - les perceptions du coeur, l'élan créateur. Une pédagogie du saltimbanque en quelque sorte! Mais revenons à l'actualité concrète, voyons un autre terrain de recherche d'équilibre de l'ERS de 16 Lausanne: l'initiative du pédibus. Le pédibus est entré en activité grâce à l'engagement des élèves de la 11ème classe 2007/08. Leur éveil aux questions concernant l'écologie et la santé les a motivés à proposer ce service d'accompagnement des plus petits sur le(s) chemin(s) de l'école. Marcher pour préserver la nature, pour renforcer sa santé, pour créer l'occasion de rencontres entre petits et grands! Certains, dans leur enthousiasme, auraient été prêts à abolir le service des bus mais se sont rendus à l'évidence: pour les parents, les choses ne sont pas si simples. Que faire le jour du violoncelle? Et le petit frère doit de toute façon être amené au groupe des petits . . . et quand il pleut des cordes ?! Encore une fois, l'opposition entre l'élan innovateur et le poids des contraintes de la vie pratique. Là aussi, des attitudes opposés au premier élan à cultiver: persévérance, patience du côté des jeunes (ne pas céder à l'envie de tout plaquer les jours où les "chauffeurs" sont plus nombreux que les usagers); du côté des adultes, le courage de changer d'habitude, de point de vue - donc d'envisager le trajet jusqu'à l'école non pas comme moyen d'atteindre un but mais comme une expérience à vivre, comme un moment pédagogique dans la mesure où il y a rencontre, défi, occasion d'apprentissage. Tous des équilibristes donc, enseignants, parents et élèves confondus! Et nous en devenons plus droits, plus souples, tel le saltimbanque sur sa corde raide entre deux abîmes, prêts à affronter préaux glacés et autres catastrophes plus ou moins naturelles! Sibylle Naito, professeur de l’école Rudolf Steiner de Lausanne « Travailler à deux pour une même classe » Conduire la même classe de la première à la huitième: c’est la représentation classique qu’on se fait de la tâche d’un enseignant d’une école Steiner – et qui correspond encore en beaucoup d’endroits à la réalité. Mais en fait, l’image professionnelle s’est transformée; elle s’est diversifiée et se définit à chaque fois de nouveau en situation. Comme le montre l’exemple de Beatrice Maulaz qui a conduit les 5 et 6ème classes de l’école Steiner de Berne en Jobsharing (partage de poste d’enseignant) et qui reprend avec joie seule une première classe, assistée par un professeur spécialisé. Beatrice Maulaz est arrivée à l’automne 2008 à l’école Rudolf Steiner de Berne pour donner des cours de langues étrangères et des cours principaux. En été 2009, elle a pris la responsabilité d’une classe en compagnie de la professeur de classe attitrée comme cela avait été annoncé sans éclat dans le périodique de l’école Rudolf Steiner de Berne Ittigen Langnau. L’innovation de partager la responsabilité d’une classe sur deux enseignantes avait été décidée par le collège en fonction d’une situation concrète; on demanda à Beatrice Maulaz d’assumer cette tâche nouvellement définie. « Une solution optimale pour ménager ses forces durablement » L’allègement occasionné par le Jobsharing arriva à point pour Beatrice Maulaz. Cela lui permit de prendre la responsabilité d’une classe sans devoir d’emblée assumer un emploi à temps complet. «Conduire une classe avec un emploi à 100% et en même temps gérer une famille avec des enfants, ce n’est pratiquement pas possible“ dit cette mère de trois enfants. Deux de mes enfants sont à l’école à Berne et à Ittigen; le plus âgé fait déjà un apprentissage. Le Jobsharing était pour moi la solution idéale pour investir au mieux mes forces et les ménager durablement. » Comme les deux partenaires pouvaient toutes les deux donner les cours de langues un poste supérieur à 100% pour ce Johsharing était disponible. Beatrice Maulaz put prendre 55% et sa partenaire 75%. Elles ont fait avec cette répartition les meilleures expériences. « Il est très enrichissant de mener une classe en commun » c’est le bilan inconditionellement positif que tire 17 Beatrice Maulaz. Il n’y a certainement pas moins à faire, la tâche ne se laisse pas couper en deux car beaucoup de choses doivent être concertées. Mais le grand avantage est que la responsabilité est partagée et les charges sont réparties. Et surtout: « il y a nécessairement davantage de retour d’une autre personne – cela m’aide à me remettre en question et à regarder certaines situations plus à fond. » « Les compte-rendus d’enfant en petit cercle » „Des comptes rendus sur les enfants en petit cercle“ découleraient en quelque sorte du Jobsharing. Ce ne fut pas un inconvénient pour les comptes rendus dans le grand cercle du collège – et il ne s’agissait pas non plus d’un substitut. Peut-être y avait-il la tendance à considérer à deux les questions et problèmes qui surgissaient et de ne pas les porter aussitôt dans la réunion des enseignants. Mais en revanche les comptes rendus de la réunion plénière devinrent plus conscients et préparés d’une autre manière: justement à deux. « Le regard est plus complet. » Beatrice Maulaz voit des avantages similaires pour les entretiens de bilan avec les parents qui sont préparés et effectués à deux. « Il y a davantage de points de vue; une image plus diversifiée se forme.» Ce qui est décisif pour la conduite commune d’une classe c’est la collaboration des deux personnes. Elles doivent être ouvertes aux critiques, souples, tolérantes et sans préjugés, dit Beatrice Maulaz: « Ce sont justement deux personnes différentes avec des facultés et des préférences différentes qui travaillent à deux pour la même chose, la même classe. » Pour les enfants ils ont l’occasion de ne pas devoir se fixer sur un enseignant. Ils ont une marge de manoeuvre, une deuxième personne. « Le Jobsharing: sensible à l’esprit de la classe, soutenu par les parents » Naturellement les élèves testent à l’occasion si et comment la collaboration des deux enseignantes fonctionne – comme avec le père et la mère à la maison. Les effets du modèle quotidien qui peut émaner du Jobsharing est sûrement capital: « La collaboration, la tolérance, l’ouverture envers l’autre qui est différent: tout cela nous pouvons le vivre quotidiennement » dit Beatrice Maulaz et constate l’effet correspondant dans la classe: « les élèves se perçoivent comme ils sont. » Aux deux enseignantes qui se partagent la responsabilité de la classe le Jobsharing apporte « davantage de soutien, de force, de feu intérieur. Nous pouvons nous stimuler réciproquement et mobiliser des forces pour des projets qu’une personne seule n’aurait oser entreprendre. » Ceci est très important à une époque où l’on parle d’enseignants épuisés. Même si l’expérience positive du Jobsharing dans la conduite d’une classe tranche avec l’image classique de l’enseignant dans une école Rudolf Steiner, il ne fut jamais remis en question ni par les parents ni par le collège. « En tous cas, ce ne me fut jamais communiqué » dit Beatrice Maulaz, «notre Jobsharing a été souhaité par le collège et accompagné avec empathie et un esprit d’ouverture de la part des parents». Rester souple pour des solutions en situation Il est vrai que le cliché du professeur de classe qui assume seul les huit années de conduite de classe dans une école Steiner ne correspond plus à la réalité. Dans de nombreux endroits les classes de 1 à 8 ne sont plus conduites automatiquement par le même enseignant; de plus en plus d’enseignants spécialisés assument un soutien et permettent un allègement. Et pour cause: « Il n’est presque plus possible d’assumer tout ce qu’un professeur de classe devrait faire. » Avec une conduite de classe en Jobsharing ou aussi le soutien d’enseignants spécialisés il est possible de couvrir davantage de disciplines et de proposer davantage aux élèves. Du fait de toutes ses bonnes expériences avec le Jobsharing, Beatrice Maulaz n’est cependant pas fixée sur cette forme d’enseignement. Justement à l’époque où il est difficile de trouver des enseignants, il est important de chercher en situation des solutions optimales et ce, en partant de la question: Quels sont les enseignants disponibles et qu’est-ce qui est opportun pour cette classe. Avec cette attitude de flexibilité, madame Maulaz a pris seule entre temps, la responsabilité de la sixième classe, soutenue en effet par un enseignant qui la décharge au niveau des périodes de cours principal. Et, pour cette nouvelle année scolaire, elle assume 18 maintenant seule la responsabilité de la première classe: « Je me réjouis de prendre une première classe avec un enseignant spécialisé. » Bruno Vanoni a mené cet entretien avec Beatrice Maulaz. Il est journaliste BR, travaille comme chargé d’informations et est engagé comme co-président (représentant des parents) de l’école Rudolf Steiner Berne Ittigen Langnau. La formation d’enseignant dans une école Steiner (Waldorf) en Romandie Il existe une pièce de théâtre de Luigi Pirandello « Six personnages en quête d’auteur », (1920), qui peut être considérée comme signe précurseur du drame moderne. Ainsi, lors d’une répétition théâtrale, six personnages font soudain irruption et exigent du directeur de théâtre que celui-ci les « mette en scène ». Leur auteur les a créés comme personnages de théâtre mais il n’a pas achevé son œuvre. Quant à eux, ils veulent absolument voir leur pièce jouée sur scène, ils veulent « vivre ». Le directeur de théâtre : maintenant je suis en répétition ! Et vous savez parfaitement que pendant la répétition personne n’est autorisé à entrer. Qui sont ces Messieurs, ces Dames ? Que voulez-vous ? Le père : Nous sommes en quête d’un auteur. Le directeur de théâtre : Mais il n’y a pas d’auteur ici, nous ne répétons pas une nouvelle pièce. La belle-fille : Raison de plus, Monsieur le Directeur ! Nous pourrions justement devenir votre nouvelle pièce. Avec réticence, le directeur finit par accepter de montrer leur histoire. C’est un peu de cette façon que le Séminaire anthroposophique de Suisse Romande a commencé en 1984, séminaire qui depuis 1999 a pris l’appellation de Formation pédagogique anthroposophique de Suisse romande (FPAS). Une quinzaine d’enseignant(e) s, déjà engagés dans les écoles Rudolf Steiner de Genève et de Lausanne sans toutefois avoir suivi une formation spécifique pour les écoles Waldorf, s’adressèrent à trois personnes - auxquelles se joignirent par la suite dix autres pédagogues intéressés - afin que soit créée en langue française une formation d’enseignants pour personnes en cours d’emploi. Les étudiant(e)s demandaient à ce que leur soient transmises les connaissances essentielles dont un enseignant Waldorf doit pouvoir disposer et ce, au moyen d’une formation régulière : un défi intéressant à relever ! A ce moment-là, tous étaient déjà ancrés dans une pratique de l’enseignement et en quête de fondements. Après quelques hésitations puis finalement de manière toujours plus intense, un dialogue étroit s’engagea entre les professeurs (formateurs) et les étudiant(e) s. En l’espace de trois ans et demi, un cours avec différents points forts, se constitua pour répondre aux besoins spécifiques de ces personnes. La flexibilité des participants était très grande, ce qui correspondait à la situation de pionniers. Le financement était très simple pour ne pas dire primitif : les étudiants déposaient dans une caisse verte, de façon anonyme, ce qu’ils voulaient ou pouvaient ; les responsables subvenaient ainsi aux dépenses courantes. Après cette expérience qui jusqu’à ce jour a donné son empreinte à la formation pédagogique en cours d’emploi, c’est bien dans l’esprit de Luigi Pirandello que la formation anthroposophique des enseignants a continué d’être conduite. Environ 180 personnes ont suivi cette formation et les 2/3 sont devenus enseignant(e)s dans les écoles Rudolf Steiner de Romandie, de France ou du Québec. Une partie de ces anciens étudiants est également active dans des institutions d’Etat. Deux fois par semaine, on se rencontre pour travailler dans les domaines artistiques ou manuels (eurythmie, art de la parole, peinture, travail du bois, modelage etc…). L’étude des œuvres fondamentales de Rudolf Steiner dans le contexte de la recherche contemporaine représente un élément important de la formation. Pendant l’année, au cours de dix week-ends (fins de semaine), le travail se concentre sur des thèmes 19 spécifiques. Ce qui semble préoccuper toujours davantage les étudiants, c’est le contact avec la classe : en ce sens des stages d’observation ou des stages supervisés s’avèrent bénéfiques et d’une grande utilité. Les futur(e)s enseignant(e)s font preuve d’un intérêt toujours grandissant pour les méthodes qui leur permettent de s’en sortir le mieux possible dans le domaine social. Comment fait-on pour structurer la vie d’une école autogérée ? Il n’est pas juste de consacrer trop d’énergie pour cette autogestion; au premier plan se trouve l’exercice de la pédagogie en tant qu’art. Le concept d’artiste rattaché à l’activité de l’enseignant(e) peut paraître au premier abord assez surprenant. Pourtant n’y a-t-il pas là un processus tout à fait comparable à celui du peintre ou du sculpteur. « Le sens artistique de l’éducateur et de l’enseignant apporte de l’âme dans l’école. Il fait naître la joie au cœur du sérieux et dans la joie un je ne sais quoi qui éveille. Au moyen de la raison, on ne fait que comprendre la nature; à travers le sentiment artistique, on peut enfin en faire l’expérience. L’enfant qui est conduit à la compréhension mûrit jusqu’à acquérir des « aptitudes » lorsque la compréhension s’avère vivante ; mais l’enfant qui mûrit grâce à l’art, mûrit pour « créer ». Dans l’activité qui se révèle par une « aptitude » l’être humain s’exprime ; lorsqu’il « crée », son « aptitude » entre en croissance. (Pédagogie et art, avril 1923, GA 36). Voici comment Rudolf Steiner caractérise une attitude pédagogique qui engage les enseignants à élargir leur connaissance de l’être humain de sorte que processus d’apprentissage, éducation et enseignement au sens strict se réunissent en une réalité globale afin de porter des fruits de façon durable. De futur(e)s enseignant(e)s Waldorf sont-ils en quête d’auteur et d’un parcours formateur afin de structurer une démarche artistique qui puisse renforcer leurs motivations pédagogiques? Si c’est le cas, c’est ainsi que pourra s’écrire le prochain chapitre de l’histoire des écoles Steiner-Waldorf en Romandie. Robert Thomas, responsable de la formation pédagogique anthroposophique de Suisse romande. www.fpas.ch 20