Dossier - Supply Chain Magazine
Transcription
Dossier - Supply Chain Magazine
DOSSIER Les chariots élévateurs jouent les prolongations A situation inédite, réaction inédite. Face à la chute du marché des chariots élévateurs en 2009 et au manque de visibilité des entreprises utilisatrices, tant en termes opérationnels que de financements bancaires, les constructeurs et les loueurs sont contraints d’adapter leur offre et leur discours. Les mots d’ordre ? Economie et souplesse. Tous les leviers imaginables sont mis à contribution : les contrats de location longue durée sont prolongés de quelques années, des machines d’occasion sont proposées en complément de véhicules neufs, la location longue durée gagne en flexibilité, celle en courte durée expérimente la tarification horaire. Certains vont jusqu’au rachat de parc, reloué ensuite au même client. Petit tour d’horizon des nouvelles approches Low Cost de la profession. R obustesse, ergonomie, compacité, capacité des batteries pour les modèles électriques, sobriété pour les modèles thermiques… la course à l’innovation technologique est toujours bel et bien perceptible dans le discours officiel des constructeurs de chariots N°43 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - AVRIL 2010 Jungheinrich élévateurs et autres engins de préparation de commandes. Mais fait nouveau depuis 18 mois, les acteurs de la profession, fabricants ou loueurs, cherchent les moyens de rendre leurs offres plus flexibles, plus adaptées à un marché en crise et à la soudaine croissance de leur parc de machines d’occasion. Aucun d’entre eux n’est prêt à l’avouer ouvertement, mais les baisses d’activité, notamment dans le monde automobile, ont entraîné de nombreux retours en stock de chariots avant le terme de leur contrat de location longue durée (en général ©Jungheinrich 72 Jocelyn Lechevallier, Chef de produits financiers, Jungheinrich Financial Services France : « Le fait que nous soyons la seule filiale de financement 100 % intégrée à un constructeur nous permet une approche plus en souplesse en termes de gestion de la durée de vie du contrat ». Philippe Rivoallan, Directeur Général d’Aprolis : « Un matériel plus vieux a une partie financière amortie, mais demande plus d’entretien. Sur un an ou deux, cela permet de baisser les loyers mensuels d’environ 10 % ». du chiffre d’affaires de la plupart des constructeurs. cinq ans). Du matériel dit « sur parc », dont les échéances courent toujours. La solution ? Les reconditionner et les proposer en location à des prix intéressants (de 15 à 25 % moins cher que le neuf) ou sur des durées plus ou moins longues, dans le cadre d’offre mixant appareils neufs et d’occasion. Des offres mixtes que l’on trouve par exemple chez des loueurs comme Aprolis ou Manuloc, mais également chez des constructeurs, pour qui la location est devenue au fil des ans le mode le plus courant. En effet, elle représente entre 55 et 70 % L’occasion fait le larron matériel d’occasion », explique Philippe Rivoallan, Directeur Général d’Aprolis, qui possède un centre de préparation d’engins reconditionnés (sous le label « Certified Rebuilt ») à Calais. Cette distinction justifie bien une visite d’analyse technique préalable chez le client. « Le mix neuf-occasion que nous proposons est basé sur le niveau d’engagement du matériel, même si chez nous, nous avons une conception haut de gamme de l’occasion, avec pas moins de 84 points de contrôle sur nos chariots », précise Jocelyn Lechevallier, Chef de Frédéric Hazan, Directeur occasion/location chez Jungheinrich : « Payer le prix de la longue durée avec la flexibilité de la courte durée, ce n’est pas viable économiquement ». ©Still ©Jungheinrich « La volonté de nos clients de faire des économies nous pousse à intensifier ce principe de proposer un mix de matériels neufs ou d’occasion. Pour 500 heures d’utilisation par an, il n’y a par exemple aucune espèce d’obligation technique de faire appel à du matériel neuf, même pendant plusieurs années. En revanche, pour 1.500 heures par an, on approche un peu plus des limites techniques d’utilisation d’un ©Manuloc Johann Peyroulet, Directeur Général de Manuloc « Du fait de la crise, il nous a fallu tenir compte des contraintes budgétaires de nos clients... » ©Aprolis ©Jungheinrich ©Fenwick Christian Sauzin, Directeur Marketing de Fenwick-Linde : « Nos forces de vente étaient auparavant séparées entre neuf et occasion. L’unification complète date du 1er janvier 2010 ». Jacques Gibert, Directeur marketing de Still France : « les clients achètent de l’occasion pour en être propriétaire sur une durée de vie plus longue que celle du financement. Il est possible de coupler ou non cette offre avec un service de maintenance ». AVRIL 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°43 73 Les services se renforcent Exemple de chariot frontal gaz d’occasion avant et après reconditionnement via le centre de préparation d’Aprolis, à Calais. « En général, poursuit-il, les clients achètent de l’occasion pour en être propriétaire sur une durée de vie plus longue que celle du financement. Il est possible de coupler ou non cette offre avec un service de maintenance, de la plus simple à la plus complète (formules d’entretien forfaitaire, maintenance curative et préventive, Aprolis etc.). » Rien de plus logique : dès lors que le parc d’engins devient de plus en plus hétérogène, mélangeant les chariots neufs et d’occasion, sa gestion technique, réglementaire et administrative se fait d’autant plus complexe. Rien d’anormal non plus que les constructeurs cherchent à se positionner sur ce besoin nouveau de visibilité pour compenser la baisse d’activité dans les ventes ou la location de chariots neufs. « Chez nous, le nombre de matériels neufs mis en service n’est plus un objectif en soi. Notre principal souci est de répondre techniquement et économiquement au besoin de nos clients. C’est un avantage considérable par rapport aux concurrents qui sont des émanations de cons- Après ©Aprolis tion, au Mans et à Besançon, dans lesquels est également proposé du matériel d’occasion. « Nous en ouvrons un par semestre, le prochain sera annoncé en juin 2010, puis un autre à la fin de l’année », précise Jacques Gibert, Directeur marketing de Still France. Avant N°43 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - AVRIL 2010 ©Aprolis Still ©Aprolis 74 produits financiers, Jungheinrich Financial Services France. Chez Fenwick, l’offre mixte existait depuis cinq ans, en tout cas au niveau « back-office ». Elle est nettement plus récente en ce qui concerne la partie commerciale. « Nos forces de vente étaient auparavant séparées entre neuf et occasion. L’unification complète date du 1er janvier 2010. Chaque attaché commercial a désormais à sa disposition le catalogue des chariots neufs et d’occasions », nous confie Christian Sauzin, Directeur Marketing de Fenwick-Linde. « L’occasion n’est pas la solution à tout, mais lorsque le client exige un contrat de trois ans, avec possibilité d’en sortir chaque année, c’est plus facile à réaliser avec du matériel d’occasion qu’en finançant du matériel neuf », fait par ailleurs remarquer Paul Hervé Deydier, Responsable des ventes et du développement réseau chez Nissan Forklift. De son côté, Still propose une offre de crédit bail spécialement adaptée à la vente d’appareils d’occasion reconditionnés (à environ 60 % de la valeur d’un matériel neuf), avec des durées de 36 à 60 mois. Le constructeur allemand possède en France deux centres de loca- ©Still DOSSIER ©Fenwick tructeurs et qui ont le devoir impérieux de faire tourner les usines et de générer des commandes », rappelle Philippe Rivoallan (Aprolis). D’où la floraison d’outils chez les uns et les autres, offrant un suivi complet de la flotte de matériel utilisé, avec un Reporting des coûts préventifs et curatifs, de la casse et des interventions effectuées, voire même des pré- Fenwick conisations d’optimisation de la flotte et d’amélioration de la productivité, à partir d’une multitude de données techniques (performances des machines, hauteurs moyennes de gerbage, présence du cariste sur la machine, capteurs de chocs, analyse de flux, etc.). Les constructeurs y apportent leur expertise…et y voient leur avantage, certains conseils pou- vant déboucher sur des changements de type de chariots combinant deux fonctions en une. « L’apparition des chariots tracteurs pour alimenter les lignes de montage depuis quelques années dans l’automobile peut par exemple être déclinée dans d’autres industries », reconnaît Benjamin Bourguet, Responsable support produit chez Jungheinrich France. 75 AVRIL 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°43 DOSSIER 76 L’autre grande tendance de l’année 2009, c’est la prolongation des durées de contrats de location. Avant, il était considéré comme tout à fait normal de se poser la question du changement de parc au bout de cinq ans, à l’échéance du contrat. Mais depuis 18 mois, bon nombre de contrats de longue durée ont été prolongés d’un à deux ans, voire plus, au-delà de l’engagement initial. « C’est sans doute une évolution liée à la crise, mais c’est aussi une sorte de phénomène de rattrapage », concède Paul Hervé Deydier (Nissan Forklift), en expliquant que les machines, en particulier les chariots de manu tention frontaux, ont aujourd’hui statistiquement une vie plus longue que la durée classique des contrats signés jusqu’à présent. « La vie statistique d’un chariot thermique se situe entre 10.000 et 15.000 heures, selon les conditions de travail, celle d’un modèle frontal électrique est entre 8.000 et 10.000 heures selon l’usage. Or dans un contrat moyen de cinq ans, avec une utilisation de 1.000 heures à 1.200 heures par an, l’équipement finit à 5.000 ou 7.000 heures au compteur. Le client aurait pu le ©Fenwick Des contrats à rallonge Fenwick louer plus longtemps (en changeant sa batterie pour les chariots électriques), mais ce n’était pas dans l’air du temps, ni la demande de la majorité des clients », précise-t-il. Cela est sans doute moins vrai pour les engins de magasinage, dont les durées de vie moyennes, toujours selon Paul Hervé Deydier, sont plus courtes : 8.000 à 9.000 heures pour un chariot à mât rétractable, 7.000 heures pour un gerbeur, 5.000 heures pour un préparateur de commandes et 4.000 heures pour un transpalette électrique. Le constat est identique chez Johann Peyroulet, Directeur du développement de Manuloc : « Le changement majeur, c’est que les clients ont pris cons- Un argument de moins pour la location L a suppression « juridique » de la taxe professionnelle (TP), en vigueur depuis le 1er janvier 2010, rend moins intéressante qu’avant l’option de location d’engins de manutention par rapport à l’achat. En effet, le remplacement de la TP par la CET (Contribution Economique Territoriale) a pour conséquence de supprimer une des trois composantes de l’assiette de la taxe professionnelle, en l’occurrence celle reposant sur les équipements et biens mobiliers (EBM). Jusqu’à présent, l’impôt concernant un chariot élévateur était basé sur une assiette égale soit à 16 % du prix nominal du chariot, en cas d’achat, soit à 16 % de la base locative (soit 12 fois le loyer de financement, ce qui est bien inférieur au prix d’achat) en cas de contrat de location. Cet argument au profit de la location va donc disparaître. Selon certains observateurs, cela pourrait inciter les PME à passer de la location à l’achat de leur parc. Cela dit, l’argument principal en faveur de la location reste toujours la possibilité pour les entreprises de ne pas mobiliser leur trésorerie et d’alléger leur bilan comptable (le chariot est considéré comme une charge de fonctionnement et non comme un investissement). N°43 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - AVRIL 2010 cience que la durée de contrat de location correspondait jusqu’alors à une logique financière et non opérationnelle. En effet, les organismes financiers savent très bien financer sur quatre ou cinq ans, période sur laquelle ils disposent d’une visibilité claire. Du fait de la crise, il nous a fallu tenir compte des contraintes budgétaires de nos clients, qui nous ont alors demandé de faire correspondre le temps d’amortissement de leurs investissements avec la durée de vie réelle des matériels. Il devenait donc impossible d’étaler leur budget sur une période aussi courte que celle prônée par les financiers ». Des loyers réduits… en principe En amortissant le capital sur une durée plus longue, le loyer mensuel doit être réduit. Du moins en théorie, car les coûts de maintenance, s’ils ne sont pas lissés dans le temps, peuvent augmenter. « Nous examinons systématiquement avec nos clients s’il est possible de prolonger d’un à deux ans au-delà de l’engagement initial. Un matériel plus vieux a une partie financière amortie, mais demande plus d’entretien. Sur un an ou deux, cela permet de baisser les loyers mensuels d’environ 10 % », affirme par exemple Philippe Rivoallan (Aprolis). Chez Jungheinrich, la proposition de prolongement d’un an est faite ©Still Still aux mêmes conditions financières, à iso-loyer, avec un contrat full service. « Le fait que nous soyons la seule filiale de financement 100 % intégrée à un constructeur nous permet une approche plus en souplesse en termes de gestion de la durée de vie du contrat, que ce soit sur le refinancement sur une durée plus longue ou sur la possibilité de négocier un arrêt en cours de route », avance Jocelyn Lechevallier (Jungheinrich Financial Services). Généralement, le prolongement ne concerne pas toutes les machines du parc, il s’assortit d’un contrat de renouvellement progressif, qui peut faire également appel à des chariots d’occasion dans certains cas. La flexibilité en point de mire Les choses se compliquent si les clients demandent davantage de flexibilité dans leurs contrats de location longue durée. Avec par exemple la possibilité de réduire leurs engagements en cas de baisse d’activité, sans avoir à payer de lourdes pénalités. Les contrats de certains grands don- 77 AVRIL 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°43 78 neurs d’ordre prévoient déjà des options de sortie à plusieurs échéances, mais ce n’est pas la norme. Jusqu’à présent, la réponse à ce besoin de flexibilité était de proposer un contrat longue durée pour un parc dimensionné a minima et des contrats de courte durée (de moins d’un an), pour un certain nombre de chariots en plus. Mais les clients sont moins enclins à payer des loyers courte durée de deux à cinq fois plus chers que ceux de la location longue durée. C’est d’ailleurs le segment courte durée qui a été le premier à subir les conséquences de la crise. « Payer le prix de la longue durée avec la flexibilité de la courte durée n’est pas viable économiquement. Tout est différent, les coûts d’entretien, les coûts de transport, les périodes de location et de non location financière. Ce que nous proposons à présent, c’est entre autre l’offre Vario, une location longue durée avec une prime de flexibilité sur tout ou partie du parc », note Frédéric Hazan, Directeur occasion/location chez Jungheinrich. « Nous avons des solutions de contrat de location longue durée avec possibilité de sortie anticipée, mais avec des périodes minimales bloquées », complète son collègue Jocelyn Lechevallier, qui met l’accent sur une autre manière d’atteindre la flexibilité : la vente crédit-bail (Sale & Leaseback). Le principe est simple : le constructeur propose de racheter au client son parc de chariots (pas forcément de sa marque) et de lui en relouer tout ou partie sur des durées variables, en fonction de ses besoins. L’avantage pour le client : un gain de trésorerie immédiat et un allègement de son bilan comptable. Dans la même démarche d’alléger la trésorerie de ses clients, Fenwick, via Fenwick Lease, propose des formules où le client ne commence à payer ses mensualités qu’au bout de six mois. « On peut aussi tenir compte de la saisonnalité, comme par exemple pour un maraîcher qui a besoin d’un chariot maintenant mais dont la rentrée d’argent n’est prévue que dans trois mois », illustre Christian Sauzin. ©Still DOSSIER Le chariot à la demande ? L’évolution ultime de la flexibilité, appelée de leurs voeux par certains logisticiens, serait une offre de moyens de manutention facturée à l’heure d’utilisation. Cette option existe déjà sur de la location courte durée Le marché mondial réduit de moitié S elon le Cisma, le marché français des chariots industriels a baissé de 27 % en 2009, passant de 1,817 Md€ à 1,328 Md€. Ces chiffres englobent les ventes de véhicules neufs, la location, l’occasion et les services de maintenance. Du fait du niveau élevé des stocks, la production de chariots a chuté dans des proportions encore plus importantes. En unités, les ventes de chariots thermiques ont été divisées par plus de deux, alors que les chariots électriques et de magasinage ont comparativement moins souffert (entre -18 % et -27 % selon les produits). Tout confondu, il s’est vendu en France environ 39.000 unités, contre 57.000 en 2008, soit une baisse de 31 %. Au niveau mondial, le marché a été divisé par deux en deux ans, sans pour l’instant de signe tangible de reprise à l’horizon. Certains observateurs pensent qu’il faudra attendre au moins jusqu’en 2014 pour espérer retrouver un niveau comparable à celui de 2007. La France aurait relativement mieux résisté du fait de la prépondérance sur le marché français des chariots de magasinage (75 % du marché en 2008), moins fortement touchés par la crise que les chariots frontaux. N°43 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - AVRIL 2010 Still (notamment Tempo chez Still et Just’Loc chez Jungheinrich, toutes deux lancées en 2009). En revanche, pour la longue durée, c’est une autre paire de manches. « L’engin doit bien être financé par quelqu’un, qu’il s’agisse d’une banque, le client ou le loueur. Or, il s’avère q u e c e fi n a n c e m e n t , q u i entraîne une immobilisation de trésorerie, n’est pas compatible avec un système de paiement à la consommation, estime Johann Peyroulet (Manuloc). A moins que le contrat ne soit limité dans le temps. A présent, on ne signe plus un contrat de cinq ans mais plutôt un contrat de 8.000 heures, à consommer de façon échelonnée sur une durée de cinq ans, par exemple. C’est ce que nous proposons avec notre nouvelle offre Optiloc. » Paul-Hervé Deydier (Nissan Forklift) est du même avis : « La location longue durée intègre le full service. Il faut les borner dans le temps : à 700 h par an, c’est tel prix horaire, à 1.000 heures par an, tel autre prix, car il y a des frais fixes incompressibles ». Aucun acteur ne propose d’ailleurs ce fameux contrat idéal, flexible, facturé à l’heure sans durée de contrat. Mais cela ne les empêche pas de continuer à réfléchir sur la meilleure manière de s’en approcher, en combinant chariot neuf, occasion, location courte durée, longue durée, etc. Jean-Luc Rognon