« Qui suis-je ? » Quelques spécificités du discours sur soi à l
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« Qui suis-je ? » Quelques spécificités du discours sur soi à l
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 101–107 Article original « Qui suis-je ? » Quelques spécificités du discours sur soi à l’adolescence chez les sujets à haut potentiel intellectuel “Who am I?” Some characteristics of the discourse of self among gifted teenagers A. Villatte ∗ , M. de Léonardis EA 1687, équipe « psychologie de l’éducation familiale et scolaire et contextes culturels », laboratoire psychologie du développement et processus de socialisation, université de Toulouse (UTM), 5, allée Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 09, France Résumé But de l’étude. – Cette recherche appréhende quelques spécificités du discours sur soi de lycéen(ne)s à haut potentiel intellectuel (HPI) français scolarisés dans des classes ordinaires. Échantillon et méthode. – Quatre vingt-quatre lycéens HPI (quotient intellectuel [QI] supérieur ou égal à 130) âgés de 13 à 18 ans (âge moyen : 15,5 ; ET = 1,05) ont été appariés à 84 adolescents non HPI (dont le QI n’a jamais été identifié comme étant supérieur ou égal à 130 et qui n’ont pas sauté de classe) présentant les mêmes caractéristiques de genre, familiales (milieu socioculturel, composition de la fratrie) et scolaires (classe fréquentée, moyenne scolaire, présence/absence de redoublement). Chacun de ces adolescents a rédigé un texte en réponse à la question « Qui suis-je ? ». Résultats et conclusion. – Nous présentons ici les résultats de l’analyse lexicométrique (logiciel Alceste, version 4.7) réalisée sur l’ensemble des données textuelles recueillies. Le discours sur soi des adolescents HPI apparaît particulièrement réflexif. Au-delà des spécificités liées au statut d’adolescent HPI versus non HPI, le discours sur soi est lié au genre, à l’âge, au milieu socioculturel et au niveau de réussite scolaire des adolescents. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Analyse lexicométrique ; Approche comparative ; Discours sur soi ; Haut potentiel intellectuel ; Lycéens Abstract Objective. – Students are considered intellectually gifted when their intellectual quotient (IQ) scores on scales such as the Wechsler Intelligence Scale for Children (e.g., WISC IV) are 130 or higher. The socio-emotional development of these intellectually gifted students and, more specifically, the development of their self-concept, are of growing interest among today’s parents, teachers, practicing psychologists and directors of institutions. This research apprehends some characteristics of the discourse of self among French gifted high school teenagers who have spent their scholarship in heterogeneous classes (i.e. in “ordinary” classes). Methods. – Our sample include 84 gifted high school students (Intelligence Quotient more or equal to 130), whose age ranges from 13 to 18 years old (M = 15.5; = 1.0). These high school students are compared with 84 “mainstream” high school students (who have never been identified as gifted from an Intelligence Quotient greater than or equal to 130 and who have never skipped classes) on various criteria: gender, family (sociocultural background and information about siblings) and scholarship situation (the class they are in, if they have already repeated a class or not, average school marks). Each of these teenagers has produced a text in response to the question “Who am I?”. Results. – We present here the results of the lexicometric analysis (Alceste software, version 4.7) performed on all the collected textual data. The lexicometric analysis of the corpus made up of texts written by gifted and non-gifted adolescents in response to the question “Who am I?” made it possible to identify a discourse specific to gifted adolescents. Gifted adolescents adopted a reflexive discourse by which they questioned their own identity and the general construction of identity as well as other wider themes such as happiness, difference, relations with others, etc. The existential questions frequently attributed to gifted adolescents were thus found here. The atypical intelligence of a gifted adolescent, with its extreme richness and complexity, gave the young person an incredible lucidity, a sharp analysis of things, people and himself. This intelligence enabled a fine analysis of all environmental elements. This way of being in the world, constantly in search of meaning, seemed to create a permanent and diffuse anxiety, one which could not be calmed by certitudes: the beginning of every answer appeared to indefatigably lead to new questions, ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Villatte). 0222-9617/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2011.09.002 102 A. Villatte, M. de Léonardis / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 101–107 new interrogations, new anxieties. None of the three classes, however, was significantly associated with non-gifted adolescents. These results lead us to moderate the idea that the representations of self of gifted adolescents are very different from those of non-gifted young people. Beyond the characteristics related to the status of gifted versus mainstream teenagers, the speech of self is linked to gender, age, sociocultural background and educational attainment of adolescents. Conclusion. – Taking account of gifted teenagers’ speech of self allows understanding more accurately their experiences and how they integrate or not giftedness to their identity. In addition, the comparison of results obtained on samples of gifted adolescents to those obtained with non-gifted adolescents with similar sociobiographical sheds light on the characteristics of self-representations of gifted adolescents. Finally, the recognition of the heterogeneity of this population (and the identification of variables that might explain it) encourages to take them into account and to adapt solutions to their teenagers’ profiles. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Lexicometric analysis; Comparative approach; Discourse of self; Intellectual giftedness; High school students 1. Introduction Les recherches réalisées auprès d’adolescents à Haut Potentiel Intellectuel (HPI), identifiés sur la base d’un score de Quotient Intellectuel (QI) supérieur ou égal à 1301 , se sont tout particulièrement attachées à qualifier leur fonctionnement cognitif. Toutefois, le développement socio-affectif des sujets HPI, et plus particulièrement leur concept de soi, suscite aujourd’hui un intérêt grandissant chez les parents, les enseignants, les psychologues praticiens et les responsables institutionnels [2,3]. La quasi-totalité des études réalisées sur le concept de soi des adolescents HPI se centrent sur sa dimension évaluative, autrement dit sur l’estime de soi2 , à partir d’échelles telles que le Self-Perception Profile for Adolescents (SPPA) [4] et le SelfDescription Questionnaire II (SDQII) [5]. Certains travaux montrent que les adolescents HPI ont une estime de soi plus positive que celle des adolescents non HPI [6,7]. Les dimensions telles que le soi scolaire [8,9] et le soi social [10,11] seraient plus particulièrement concernées. À l’inverse, des études ont montré que ces adolescents ont une estime de soi plus négative que celle des adolescents non HPI, en particulier dans le domaine des relations avec les pairs [12]. D’autres études enfin montrent que l’estime de soi des adolescents HPI ne diffère pas de celle des adolescents non HPI [13,14]. Plusieurs éléments concourent à expliquer l’hétérogénéité de ces résultats. Il existe d’importantes divergences quant à la façon de conceptualiser et de mesurer, d’une part, l’estime de soi [15], d’autre part, le haut potentiel [16]. En outre, les comparaisons sont souvent réalisées entre groupes d’adolescents relativement homogènes concernant les sujets à haut potentiel et hétérogènes pour les adolescents non HPI. Enfin, de nombreuses variables entrent en jeu dans ces études, telles que le type de placement éducatif, le niveau de développement ou le genre des sujets [17,18]. 1 Le critère le plus communément admis pour identifier le haut potentiel intellectuel est un score de QI supérieur ou égal à 130 sur des échelles telles que la Wechsler Intelligence Scale for Children (WISC IV). 2 Nous définissons l’estime de soi comme la valeur que la personne s’accorde – de façon générale et/ou sur une dimension particulière – et le sentiment afférent à cette évaluation. Le concept de soi serait un construit générique, possédant à la fois une dimension descriptive et évaluative. Il inclurait mais ne se limiterait pas à l’estime de soi [1]. Afin d’enrichir les informations apportées par ces recherches qui recourent à des instruments dont l’univers de réponse est limité parce qu’il est prédéterminé par les concepteurs, l’autodescription libre paraît intéressante [19]. Cette technique présente, même de façon déformée, la représentation que l’individu a de lui-même en termes à la fois descriptif et évaluatif [20], donnant ainsi accès au « concept de soi spontané » [19]. À notre connaissance, une seule étude s’est attachée à comparer les réponses apportées par des adolescents HPI à celles formulées par des sujets tout-venant à la question « Qui suis-je ? » afin de dégager les spécificités du discours sur soi chez des sujets HPI. Delcourt et al. [21] ont demandé à 95 sujets non HPI (dont 40 garçons) et 100 sujets HPI (dont 45 garçons), scolarisés dans une commune rurale en Jamaïque et âgés de 15 ans en moyenne, de répondre par écrit à la question suivante : « Comment est-ce que je me vois et qu’est-ce que je pense de moi ? ». Trois différences significatives sont mises en évidence : les garçons HPI évoquent plus souvent leurs compétences scolaires et leur sentiment d’être attrayant pour l’autre sexe que les garçons non HPI ; les filles HPI semblent accorder plus d’importance au soutien de leurs parents que les filles non HPI ; les capacités sportives sont plus souvent évoquées par les garçons non HPI que par leurs homologues féminins. Dans la lignée de l’étude réalisée par Delcourt et al. [21], nous souhaitons appréhender les spécificités du discours sur soi de lycéen(ne)s HPI français(es) scolarisé(e)s dans des classes ordinaires. 2. Méthode 2.1. Population Nous avons rencontré 84 lycéens HPI (score de QI supérieur ou égal 130) âgés de 13 à 18 ans (âge moyen : 15,5 ; ET = 1,05) au sein de divers établissements généraux français. Parmi ces 84 adolescents, 56 % sont des garçons, 44 % sont des filles. Près de 60 % des sujets appartiennent à un milieu socioculturel3 favorisé ou très favorisé, 32 % à un milieu intermédiaire et 8 % à un milieu « populaire ». 3 Afin de déterminer l’appartenance socioculturelle des familles, nous avons utilisé, en référence aux travaux de [22], une cote sociale combinant les professions et les niveaux d’études du père et de la mère. A. Villatte, M. de Léonardis / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 101–107 Ces sujets se différencient en termes de parcours scolaire : 32 % ont sauté une (voire deux) classe(s), 11 % en ont redoublé une ; les moyennes obtenues au cours du premier trimestre de l’année scolaire en cours s’échelonnaient entre 7 et 17 sur 20. La distribution de l’échantillon en termes de genre, de parcours scolaire (redoublement, saut de classe), d’appartenance socioculturelle est comparable à celle que l’on retrouve dans les études réalisées habituellement sur cette population [23,24]. Chaque adolescent HPI a été apparié à un adolescent non HPI (c’est-à-dire dont le score de QI n’a jamais été identifié comme étant supérieur ou égal à 130 et qui n’a pas sauté de classe) en fonction des critères suivants : le genre, le milieu socioculturel, le statut familial (présence/absence de fratrie), la classe fréquentée, la moyenne scolaire obtenue sur un empan temporel d’un an et demi (année scolaire antérieure et premier trimestre de l’année en cours) et la présence/absence de redoublement. La constitution de ce groupe « témoin4 » nous semblait essentielle pour pouvoir répondre à nos objectifs de recherche, seule la comparaison entre sous-groupes permettant d’identifier les spécificités de l’échantillon des sujets HPI [25,26]. 2.2. Procédure Les coordonnées des sujets HPI ont été obtenues par le biais de forums Internet, d’un groupe de recherche sur le haut potentiel composé d’enseignants toulousains (le GARSEP5 ), d’associations et de professionnels travaillant auprès de cette population spécifique (psychologues ayant réalisé un bilan psychologique mais n’effectuant pas de suivi). Dans tous les cas, les sujets nous ont fourni les indicateurs permettant de nous assurer de la validité de l’identification du haut potentiel6 . Les lycéens non HPI ont été contactés au sein de leurs établissements scolaires de la région Midi-Pyrénées. Tous les sujets ont été informés qu’ils étaient absolument libres de participer ou non à la recherche. L’anonymat leur a été assuré. Nous avons fourni une feuille informative aux adolescents et à leurs parents. Un formulaire de consentement a également été distribué aux participants. 2.3. Techniques de recueil et d’analyse des données La technique Genèse des perceptions de soi (GPS) [20] permet d’explorer la façon dont la personne se perçoit, sans suggérer 4 Nous utilisons préférentiellement le terme de « groupe d’adolescents non HPI » à celui de « groupe témoin » dans ce travail car nous ne nous situons pas dans une démarche expérimentale dans laquelle les analyses menées sur le « groupe témoin » ne serviraient qu’à vérifier la présence et/ou l’absence de caractéristiques ou de processus analogues au sein des deux groupes. Nous avons en effet le souci d’exposer aussi bien les résultats obtenus chez les adolescents en général que les spécificités de chaque sous-échantillon. 5 Groupe académique de recherche sur la scolarité des enfants précoces. 6 Il s’agissait de la photocopie du bilan psychologique laissant apparaître le plus souvent le score de QI total (entre 130 et 147) obtenu à partir d’un test de Wechsler (WISCIII-R ou WISCIV selon la date à laquelle les sujets ont été identifiés, certains l’ayant été il y a plus de neuf ans). Quand le score de QI n’était pas fourni (dans environ 15 % des cas), le compte-rendu du bilan était suffisamment explicite pour permettre d’identifier le haut potentiel. 103 de zones à explorer7 . À partir de la question « Qui suis-je ? », la personne se décrit aussi complètement qu’elle le désire, par écrit, sans limite de temps. On lui demande ensuite de choisir ce qui lui paraît le plus important dans son autodescription, afin de déterminer les perceptions centrales et secondaires caractéristiques du concept de soi. Le corpus constitué a donné lieu à une première analyse de contenu de type « papier-crayon » [27] à partir d’une adaptation de la grille proposée par l’Ecuyer [20]. La première partie de notre grille regroupe les énoncés relatifs à la description et à l’évaluation de soi dans les domaines scolaire et intellectuel, moral, physique, émotionnel, social et artistique. Les énoncés renvoyant à une description et/ou à une évaluation globale de soi sont également codés ici. La seconde partie de la grille rassemble les énoncés qui correspondent à des informations sur soi plus descriptives et/ou à des catégories plus transversales (e.g., statuts du sujet, style de vie, goûts et activités). Pour faciliter l’exploitation transversale de ce volumineux corpus de données et pour corroborer la validité des conclusions obtenues à partir de cette analyse, nous avons choisi une technique d’analyse des données textuelles informatisée8 (logiciel Alceste version 4.7) [28] apportant des indicateurs d’une autre nature, indépendants de la subjectivité du chercheur. Ce logiciel constitue un outil original qui propose une aide à l’interprétation (qu’il ne remplace en aucun cas) en offrant la possibilité d’étayer les interprétations sur une série de marques textuelles significatives pour le sujet. Plus précisément, l’objectif d’Alceste consiste à construire des classes d’unités de contexte regroupées sur la base de la distribution différenciée et de la cooccurrence des mots qui les composent [29]. Les énoncés d’une même classe sont similaires entre eux et aussi différents que possible des énoncés d’une autre classe [30]. Le logiciel offre la possibilité de décrire ces classes à partir de différentes informations, telles que le relevé du vocabulaire le plus spécifique ou encore la sélection des Unités de contexte élémentaires (UCE) les plus représentatives du vocabulaire caractéristique de la classe. Chaque classe de discours, ou « monde lexical », constitue un sujet épistémique synthétisant de manière homogène une part des discours de un ou plusieurs sujets réels. Chaque classe renverrait à la représentation que ce sujet épistémique se fait d’un objet en fonction de sa propre identité et de son intention et traduirait le point de vue du sujet au sens linguistique de l’énonciation [31]. Il est également possible, dans un second temps, de vérifier, à partir d’une analyse factorielle des correspondances, si ces catégories homogènes du point de vue de leur vocabulaire sont corrélées à certaines « variables illustratives » intéressantes pour le chercheur (caractéristiques socio-biographiques des participants par exemple). 7 La fidélité et la validité de cette technique sont présentées par L’Ecuyer [20]. Les textes rédigés par les adolescents ont été intégralement retranscrits sous Word pour pouvoir donner lieu à une analyse du discours informatisée. Seules les fautes d’orthographe ont été corrigées (les erreurs de ponctuation et de construction grammaticale ont été conservées) pour permettre au logiciel Alceste de repérer les occurrences des vocables utilisés. 8 104 A. Villatte, M. de Léonardis / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 101–107 Cl. 1 (690 UCE ; 81 %) |------------------------------------------------+ |--846 UCE Cl. 2 (73 UCE ; 9 %) |------------------+ Cl. 3 (83 UCE ; 10 %) |------------------+ | |----------------------------+ Fig. 1. Dendrogramme des classes issues de l’analyse lexicométrique des réponses apportées à la technique Genèse des perceptions de soi. Nous présentons les résultats obtenus à partir de l’analyse du discours informatisée réalisée à l’aide de ce logiciel. 3. Résultats Nous avons effectué une analyse lexicométrique du corpus global (qui rassemble les productions des sujets HPI et non HPI). Neuf « variables illustratives » ont été prises en compte dans l’analyse : le statut d’adolescent HPI versus non HPI, le genre, l’âge, la classe fréquentée, le niveau de réussite scolaire, l’avance scolaire, le retard scolaire, le milieu socioculturel et la composition de la fratrie. À l’issue d’une CHD, le logiciel a réparti 75,67 % du corpus en trois classes dont le découpage suit l’arbre suivant (Fig. 1). L’arborescence indique que la classe 1 diffère fortement des classes 2 et 3. Pour chacune de ces classes, nous présentons l’analyse sémantique des UCE caractéristiques ainsi que les variables illustratives qui s’y rapportent. 3.1. Analyse de la classe 1 : se décrire à partir de réflexions autour de l’identité Les adolescents dont le discours est caractéristique de la classe 1 (Tableau 1) soulignent la difficulté qu’ils ont à se définir, a fortiori par écrit. De façon générale, la connaissance parfaite de soi est décrite comme une illusion. L’individu serait toujours obscur à lui-même ; sa subjectivité l’empêcherait d’accéder à une connaissance « objective » de lui-même. L’adolescence, parce qu’elle représente une période de bouleversements intenses, apparaît comme un temps au cours duquel il serait tout particulièrement difficile de se définir. Les sujets évoquent par ailleurs les oppositions et inconsistances qu’ils relèvent entre leur personnalité et l’image qu’ils donnent à voir à leur entourage, entre leur apparence physique et leur psychisme, entre les divers états émotionnels qu’ils traversent. L’adolescent prototypique de ce profil souligne la grande réflexivité dont il fait preuve et qui se manifeste dans son texte en réponse à la question « Qui suis-je ? ». Il se présente ainsi comme un sujet en quête de sens, qui s’interroge sur lui-même et sur le monde qui l’entoure. Cette classe est caractéristique des textes produits par les adolescents HPI (Khi2 = 5,30). Elle est par ailleurs représentative du discours des adolescents âgés de 17 ans (Khi2 = 4,37), scolarisés en terminale (Khi2 = 4,03) et des filles (Khi2 = 4,30). Tableau 1 Exemples d’unités de contexte élémentaires caractéristiques de la classe 1. Difficulté de se définir Connais-toi toi-même disait Socrate à ses élèves, mais un seul d’entre eux a-t’il jamais réussi à satisfaire sa demande ? À mon avis, une vie entière ne suffit pas à répondre à une telle question (UCE 681, sujet 82, HP ; Khi2 = 19) Voilà une question bien difficile, surtout à notre âge, parce qu’on est à un moment de notre vie où on cherche justement la réponse à cette question (UCE 752, sujet 92, non HP ; Khi2 = 15) Réflexions sur la consistance/inconsistance de soi Magnifique don de la nature, il (le corps) demeure tout de même du domaine de l’apparence et ne reflète en rien ma réalité intérieure. Malgré tout, il fait partie de moi et mon esprit ne pourrait exister sans lui (UCE 36, sujet 6, HP ; Khi2 = 12) J’oscille souvent entre gaîté et mélancolie, entre réalité et illusion de mes sentiments vrais (UCE 285, sujet 36, HP ; Khi2 = 14) Grande réflexivité Ce qui me tient le plus à cœur ? C’est essayer de ne pas me perdre dans mes pensées, quand je débats intérieurement à propos de tout ça. Cette question, « qui suis-je ? », je me la suis posée des dizaines de fois (UCE 441, sujet 53, HP ; Khi2 = 30) Je me pose aussi souvent des questions du genre : « comment pourrait-on créer un champ magnétique pouvant être traversé que dans un sens ? ». Mais aussi des questions plus complexes (UCE 140, sujet 19, HP ; Khi2 = 12) Les vocables en gras sont les énoncés caractéristique de la classe concernée. L’ensemble des scores de Khi2 qui figurent dans ce tableau et dans la suite de l’article sont significatifs à p < ,05. 3.2. Analyse de la classe 2 : se décrire à travers les goûts et les activités pratiquées Les énoncés contenus au sein de la classe 2 (Tableau 2) sont relatifs aux goûts et activités pratiquées par les sujets. Tableau 2 Exemples d’unités de contexte élémentaires caractéristiques de la classe 2. Goûts et intérêts – loisirs J’adore lire, jouer à l’ordinateur ou sortir en ville. J’aime bien promener mon chien. Je fais parfois des parties d’échec avec mon grand-père (UCE 551, sujet 66, HP ; Khi2 = 32) Je suis passionnée de littérature, de poésie et de cinéma. J’écris d’ailleurs beaucoup de poèmes et aussi des romans. Je joue aussi du piano et de la guitare (UCE 247, sujet 31, HP ; Khi2 = 27) Goûts et intérêts – scolaires Au niveau scolaire, je suis très littéraire. J’adore le français et les langues. J’étudie l’anglais, l’allemand, l’italien et le latin (UCE 250, sujet 31, HP ; Khi2 = 32) Bien que je suis en 1e S, je prends beaucoup de plaisir à étudier les matières littéraires (UCE 148, sujet 20, HP ; Khi2 = 27) Les vocables en gras sont les énoncés caractéristique de la classe concernée. A. Villatte, M. de Léonardis / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 101–107 Ceux-ci concernent le domaine des loisirs, qu’il s’agisse de sports, d’activités artistiques ou culturelles. La lecture semble avoir une importance toute particulière pour les sujets dont le discours est caractéristique de cette classe. Les goûts et activités évoqués par les adolescents peuvent également concerner les sphères intellectuelle et scolaire (hors loisirs). Les adolescents dont le discours est rattaché à ce profil soulignent ainsi leur désir de savoir et leur plaisir d’apprendre, général ou focalisé sur quelques matières scolaires. Cette classe est caractéristique des élèves issus de milieu favorisé (Khi2 = 15,47), témoignant d’un niveau de réussite scolaire qualifié de « plutôt élevé » (Khi2 = 9,77). Cette classe n’est pas reliée à un statut spécifique (HPI versus non HPI). 3.3. Analyse de la classe 3 : se décrire à partir d’éléments socio-biographiques et liés à l’apparence physique Les adolescents dont le discours est caractéristique de la classe 3 (Tableau 3) insistent tout particulièrement sur des données d’ordre socio-biographique, sur les statuts et rôles qu’ils endossent et sur leurs conditions de vie. La description du cadre familial dans lequel ils évoluent regroupe une grande part des énoncés contenus dans cette classe. Les autres énoncés renvoient aux descriptions que les sujets font de leur apparence physique. Cette classe est caractéristique des élèves scolarisés en seconde (Khi2 = 6,29) et dont le niveau scolaire est qualifié de « plutôt faible » (Khi2 = 4,47). Cette classe n’est pas associée à un statut spécifique (HPI versus non HPI). 4. Discussion – conclusion L’objectif de notre étude était d’appréhender les spécificités du discours sur soi de lycéen(ne)s HPI français(es) scolarisé (e)s dans des classes ordinaires. L’analyse lexicométrique du corpus constitué des textes rédigés par les adolescents HPI et non HPI en réponse à la question « Qui suis-je ? » permet de repérer une posture spécifique aux adolescents HPI. Ces derniers adoptent un discours réflexif, au travers duquel ils se questionnent sur leur propre identité et la construction identitaire en général ainsi que sur d’autres sujets plus larges tels que le bonheur, la différence, Tableau 3 Exemples d’unités de contexte élémentaires caractéristiques de la classe 3. Statuts et conditions de vie Je suis une adolescente âgée de 16 ans, élève au lycée xxx. Je vis à xxx depuis ma naissance au côté de ma famille (UCE 948, sujet 126, non HP ; Khi2 = 60) Je suis un garçon de 16 ans, issu d’une famille composée d’un père ingénieur en aérospatial, d’une mère médecin anesthésiste à l’hôpital, et deux sœurs plus âgées (UCE 786, sujet 98, non HP ; Khi2 = 37) Apparence physique J’ai les cheveux châtains et les yeux marron. J’ai aussi des lunettes mais je vais avoir des lentilles, je préfère (UCE 235, sujet 29, HP ; Khi2 = 25) Je suis un adolescent de 15 ans qui mesure 1 m 70 environ, qui a les yeux bleus et les cheveux un peu gras (UCE 641, sujet 78, HP ; Khi2 = 30) Les vocables en gras sont les énoncés caractéristique de la classe concernée. 105 les relations aux autres, etc. Les questionnements existentiels fréquemment attribués aux adolescents HPI se retrouvent donc ici [32]. Aucune classe n’est en revanche associée de façon significative à l’échantillon des adolescents non HPI. Nos résultats nous conduisent donc à nuancer l’idée selon laquelle les représentations de soi des adolescents HPI diffèrent massivement de celles des sujets non HPI. Parallèlement et/ou en interaction avec cette variable « HPI/non HPI », le genre, l’âge, le milieu socioculturel, la composition de la fratrie et le niveau de réussite scolaire sont liés aux différents profils dégagés. Nos résultats confirment le fait que les filles adoptent une posture plus réflexive que les garçons vis-à-vis d’elles-mêmes, du monde, etc., résultat souligné à plusieurs reprises sur des populations non HPI [33]. Nos résultats rejoignent également les résultats obtenus par Wigfield et Karpathian [34] selon lesquels les représentations de soi passeraient d’observations de soi plutôt concrètes (e.g., différents comportements ou apparence physique) pour devenir plus abstraites (e.g., croyances ou valeurs morales). En effet, ici ce sont les adolescents scolarisés en terminale qui insistent le plus sur leurs prises de position idéologiques, leurs opinions personnelles, leurs aspirations et le sentiment d’être ou non parvenus à s’affirmer et à devenir soi, négligeant par là-même les énoncés plus descriptifs qui renvoient notamment à leurs conditions de vie. La maturité acquise au fur et à mesure du développement contribue sans doute à expliquer que des adolescents âgés de 17 ou 18 ans fassent davantage appel à ce type de dimensions pour se décrire que les adolescents âgés de 14 ou 15 ans. Les sujets issus d’un milieu favorisé se décrivent davantage via leurs goûts et les activités qu’ils pratiquent, notamment dans le domaine artistique et culturel. Ce résultat pourrait être lié au fait que l’occupation du temps libre des élèves est très liée au milieu familial [35]. Les élèves issus d’un milieu socioculturel favorisé sont plus souvent orientés vers des activités à contenu culturel, comparativement aux adolescents issus de milieux populaires dont les loisirs s’organisent davantage autour de la télévision. De façon plus générale, les classes favorisées ont tendance à « scolariser » la vie quotidienne des enfants, tout au moins à leur proposer des activités qu’ils pourront réinvestir directement dans le processus d’apprentissage et de socialisation scolaire [36]. L’accent que les adolescents en réussite mettent sur leur goût pour les activités intellectuelles de loisirs et les matières scolaires pourrait expliquer leurs performances scolaires élevées, le fait de valoriser le savoir pour lui-même et les contenus dispensés par l’institution scolaire amenant à de meilleures performances scolaires [37,38]. À moins que leur statut de « bons élèves » ne les amène davantage à structurer leurs représentations de soi autour de la sphère intellectuelle et scolaire, comparativement à leurs pairs plus en difficulté. La méthode d’analyse proposée par le logiciel Alceste (calcul de Khi2 ) ne nous permet cependant pas de tirer de conclusions claires sur le statut explicatif des variables socio-biographiques et scolaires introduites. Des régressions logistiques permettront, ultérieurement, de vérifier l’effet du statut d’adolescent HPI (versus non HPI) mais aussi du genre, de l’âge, du 106 A. Villatte, M. de Léonardis / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 60 (2012) 101–107 niveau de réussite scolaire et du milieu socioculturel sur le type de discours sur soi formulé par les sujets. Une étude plus approfondie et plus qualitative sur le sous-échantillon d’adolescents HPI issus de milieux socioculturels populaires et sur les élèves HPI en grandes difficultés scolaires pourra également permettre d’éclairer leur construction identitaire particulière. D’autres limites sont également à souligner, notamment un échantillon de taille relativement restreinte et un mode de recrutement ne permettant pas de généraliser nos résultats. En effet, les adolescents qui ont été identifiés HPI et qui fréquentent des forums destinés à cette population ne sont sans doute pas représentatifs de la population des sujets HPI dans son ensemble. Ces derniers savent probablement davantage parler d’eux que les sujets non familiers de ce type de pratique. Le fait de ne pas avoir eu systématiquement accès aux différents scores constituant le QI total limite également la portée de nos résultats. Derrière une même valeur de QI existent d’importantes différences de profil [39]. Il est possible que les élèves HPI dont le profil est harmonique ne produisent pas le même discours sur eux comparativement aux adolescents HPI dysharmoniques. Le fait de ne pas avoir toujours eu connaissance du score de QI total exact ne nous permet pas non plus de vérifier les résultats fréquemment avancés selon lesquels le développement socio-affectif des adolescents HPI diffère en fonction de leur score de QI plus ou moins élevé (130, 140, 150) [40]. Enfin, la référence au QI comme seul critère d’identification appelle un certain nombre de réserves [41]. L’identification d’une population à partir d’un indicateur quantitatif unique ne peut être que réductrice [39]. Une approche multivariée de l’identification du haut potentiel ou du talent est aujourd’hui préconisée [42]. La plupart des auteurs encouragent donc à ne pas isoler le seul score de QI et à le confronter à la mesure d’autres tests abordant la sphère psychoaffective notamment [43]. Rappelons pour finir que le groupe de comparaison est constitué d’adolescents non identifiés HPI, dont certains se révèleraient peut-être HPI à la suite d’une évaluation psychologique. Notre étude appréhende donc davantage l’effet d’avoir été identifié comme étant HPI (et non l’effet d’être HPI en tant que tel) sur la construction identitaire. Cela étant, notre étude tend à répondre aux trois propositions énoncées par VanTassel-Baska [44] pour enrichir les travaux réalisés jusqu’à maintenant sur le haut potentiel. La prise en compte du discours sur soi des adolescents HPI permet d’appréhender plus finement leur expérience et la façon dont ils intègrent ou non le haut potentiel à leur identité. De plus, la confrontation des résultats obtenus sur des échantillons d’adolescents HPI à ceux obtenus auprès d’adolescents non HPI présentant les mêmes caractéristiques socio-biographiques nous éclaire sur les spécificités des représentations de soi des adolescents HPI. Enfin, la reconnaissance de l’hétérogénéité de cette population (et la mise en évidence des variables susceptibles d’expliquer cette dernière) encourage à les prendre en compte et à adapter les solutions proposées aux adolescents HPI à leurs profils spécifiques. Ainsi, il apparaît nécessaire de repérer la façon dont s’organise l’expérience des adolescents HP pour leur proposer des solutions pédagogiques susceptibles de répondre à leurs attentes et à leurs besoins. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Brunot S. Contextes sociaux, conations liées au soi et performances scolaires. In: Florin A, Vrignaud P, editors. Réussir à l’école, les effets des dimensions conatives en éducation. Rennes: Presses Universitaires de Rennes; 2007. p. 132–54. [2] Delaubier J-P. La scolarisation des élèves « intellectuellement précoces ». Paris: Ministère de l’Éducation Nationale; 2002. [3] Mouchiroud C. 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