Penser le totalitarisme, par Anthony Guyon

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Penser le totalitarisme, par Anthony Guyon
Penser le totalitarisme, par Anthony Guyon À propos de Bernard BRUNETEAU, >ĞdŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞ͘KƌŝŐŝŶĞƐĚ͛ƵŶĐŽŶĐĞƉƚ͕ŐĞŶğƐĞĚ͛ƵŶĚĠďĂƚ͘ϭϵϯϬ-­‐1942, Cerf, 2010. ƉƌğƐ ůĂ ĚĞƐƚƌƵĐƚŝŽŶ ĚĞ ů͛ĞŵƉŝƌĞ ƌŽŵĂŝŶ Ğƚ ůĂ ZĠǀŽůƵƚŝŽŶ ĨƌĂŶĕĂŝƐĞ͕ Guglielmo Ferrero définit ů͛ĂǀğŶĞŵĞŶƚĚƵƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞcomme la troisième grande crise de la civilisation occidentale (Les origines du totalitarisme, 1940). À ů͛ŝŵĂŐĞ ĚĞ ů͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶ ŝƚĂůŝĞŶ ďĂŶŶŝ ƉĂƌ ůĞƐ ĨĂƐĐŝƐƚĞƐ ĞŶ ϭϵϮϵ͕ ŶŽŵďƌĞƵdž ƐŽŶƚ ůĞƐ
penseurs à avoir réfléchi sur le phénomènĞƚŽƚĂůŝƚĂŝƌĞƐ͛ĠƉĂŶŽƵŝƐƐĂŶƚĚĞǀĂŶƚĞƵdž͘WƌğƐĚĞϴϬĂŶƐƉůƵƐƚĂƌĚ͕
Bernard Bruneteau entend revenir sur les origines de ce débat intellectuel. >͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶ ƌĞŶŶĂŝƐ Ă ŝĐŝ ĚĞƵdž ŽďũĞĐƚŝĨƐ : faire découvrir au lecteur une cinquantaine de textes Ě͛ĂƵƚĞƵƌƐ ƌĠĚŝŐés entre 1930 et 1942 pour montrer à quel point ů͛ŚŝƐƚŽƌŝŽŐƌĂƉŚŝĞ ĚĞ ĐĞƚƚĞ ƋƵĞƐƚŝŽŶ
demeure ƐƵũĞƚƚĞ ă ŶŽŵďƌĞ ĚĞ ƉŽůĠŵŝƋƵĞƐ Ğƚ Ě͛ŝŶƚĞƌĚŝƚƐ ƋƵ͛ŝů ƐĞƌĂŝƚ ƚĞŵƉƐ ĚĞ ĚĠƉĂƐƐĞƌ. La collection au sein de laquelle paraît cet ouvrage est dirigée par Stéphane Courtois, ůĞůĞĐƚĞƵƌŶĞƐ͛ĠƚŽŶŶĞƌĂĚŽŶĐƉĂƐƐŝ
ů͛ĂƵƚĞƵƌƌĞǀŝĞŶƚĂǀĂŶƚƚŽƵƚsur le tabou de la comparaison des totalitarismes bolchévique et nazi. Force est dĞ ĐŽŶƐƚĂƚĞƌ ƋƵ͛ĞŶ &ƌĂŶĐĞ͕ ŝů ƌĞƐƚĞ difficile de comparer ces deux régimes sans être accusé Ě͛ĂŶƚŝĐŽŵŵƵŶŝƐŵĞ ŽƵĚĞǀŽůŽŶƚĠĚĞƉƌŝǀĞƌůĂ^ŚŽĂŚĚĞƐŽŶƵŶŝĐŝƚĠ͘ĞƌŶĂƌĚƌƵŶĞƚĞĂƵƐ͛ŝŶƐĐƌŝƚŝĐŝdans la ĚLJŶĂŵŝƋƵĞ Ě͛une « école » née la publication du Livre noir du communisme en 1997 et qui se poursuit avec le colloque organisé en 2009 pour les 20 ans de la chute du mur de Berlin (Stéphane Courtois (dir.), ^ŽƌƚŝƌĚƵĐŽŵŵƵŶŝƐŵĞ͘ŚĂŶŐĞƌĚ͛ĠƉŽƋƵĞ, PUF, 2011). Les historiens rassemblés dans ces deux ouvrages ƉƌŽĨŝƚĞŶƚ ĚĞ ů͛ŽƵǀĞƌƚƵƌĞĚĞƐ ĂƌĐŚŝǀĞƐ ƐŽǀŝĠƚŝƋƵĞƐ ĚĞƉƵŝƐϭϵϵϭƉŽƵƌ ĠƚĂďůŝƌ ƵŶ ďŝůĂŶĚƵ ĐŽŵŵƵŶŝƐŵĞ͘ ^ĞƐ
principes, sa nature, son eschatologie amènent en toute logique à une comparaison avec le nazisme afin de comprendre ce qui les rapproche mais aussi ce qui les sépare. Cet exercice, naturel pour tout historien, demeure sujet à maintes critiques plus souvent politiqueƐƋƵ͛ŚŝƐƚŽƌŝƋƵĞƐ. Bernard Bruneteau fait ici le point sur ce débat, il ne cache pas sa position et se sert de ces auteurs pour interpeller le lecteur : cette comparaison, légitime dans les années 30 alors que les deux régimes étaient solidement en place, serait devenue inappropriĠĞĂƵũŽƵƌĚ͛ŚƵŝ͘ Cet ouvrage ambitieux, et certes compliqué, relève avec talent le défi. Par une introduction de 90 ƉĂŐĞƐ Ğƚ ƵŶĞ ĐŝŶƋƵĂŶƚĂŝŶĞ ĚĞ ƚĞdžƚĞƐ ;ĚŽŶƚ ĐĞƌƚĂŝŶƐ ŽŶƚ ĠƚĠ ƚƌĂĚƵŝƚƐ ƉĂƌ ů͛ĂƵƚĞƵƌ lui-­‐même), Bernard Bruneteau amène à une réflexion sur les origines du totalitarisme, sa nature, son rapport à la démocratie et met en avant les points communs et différences partagés par les totalitarismes fasciste, nazi et bolchévique. Trois réflexions se dégagent de ces quelques 500 pages : ͻces totalitarismes, tous trois ŝƐƐƵƐĚ͛ƵŶĞĚLJŶĂŵŝƋƵĞŚŝƐƚŽƌŝƋƵĞ, conservent un certain nombre de points communs malgré une adaptation à chaque pays, ͻnazisme et bolchévisme apparaissent comme les deux formes les plus abouties de ce phénomène, ͻ80 ans plus tard, cet idéal-­‐type tarde à devenir un objet historiographique froid. 1 I. Du totalitarisme aux totalitarismes À ůĂ ůĞĐƚƵƌĞ ĚĞ ů͛ĞŶƐĞŵďůĞ ĚĞƐ ĂƵƚĞƵƌƐ ƉƌŽƉŽƐĠƐ͕ ůĞ ƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞ Ɛ͛ŝŶƐĐƌŝƚ ĚĂŶƐ ůĂ ĐŽŶƚŝŶƵŝƚĠ ĚĞ
ů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĞƵƌŽƉĠĞŶŶĞ͘^ŝƉŽƵƌůĞƉŚŝůŽƐŽƉŚĞĂůůĞŵĂŶĚŝĞƚƌŝĐŚǀŽŶ,ŝůĚĞďƌĂŶĚŝůĞƐƚůĂĚĞƌŶŝğƌĞĠƚĂƉĞĚ͛ƵŶ
ƉƌŽĐĞƐƐƵƐ ĚĞ ĚĠŐĠŶĠƌĞƐĐĞŶĐĞ ŝŶĂƵŐƵƌĠĞ ƉĂƌ ů͛ŝŶĚŝǀŝĚualisme, le matérialisme et le positivisme (pp 105-­‐
110), beaucoup distinguent dans la Révolution française les germes de ce phénomène. Alfred Cobban y voit le moment fondateur (Dictatures, 1939) dans le sens où elle fut la première tentative visant à mettre en pratique la souveraineté absolue. KŶ ůŝƌĂ ĂǀĞĐ ĂƚƚĞŶƚŝŽŶ ů͛ĂƌƚŝĐůĞ ĚĞ :ĂŵĞƐ ĂŐĂŶ ;Maximilien Robespierre, dictateur nationaliste, 1938) ĚĂŶƐůĞƋƵĞůŝůŵŽŶƚƌĞƋƵĞů͛/ŶĐŽƌƌƵƉƚŝďůĞƐĞƌĂŝƚůĞƉƌŽƚŽƚLJƉĞĚĞƐ
dictateurs rouge, noir et brun. Mussolini, Staline, Hitler, tout comme Robespierre, imaginaient que la totalité de la nation était derrière eux. Ces hommes voient dans la dictature le stade ultime de la ĚĠŵŽĐƌĂƚŝĞ͘>ĞƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞŶ͛ĞƐƚƉĂƐƵŶĞĂŶƚŝƚŚğƐĞĚĞůĂĚĠŵŽĐƌĂƚŝĞŵĂŝƐƐĞŶŽƵƌƌŝƚĚ͛ĞůůĞ et repose sur des principes similaires dont il donne une interprétation absolue. La tyrannie est justifiée au nom du peuple. Au fil des pages, nous retrouvons Hobbes et Rousseau. La Révolution française, la démocratie libérale apparaissent come les prémisses du totalitarisme, ĐŽŶƐĠƋƵĞŶĐĞ Ě͛ƵŶĞ ůĞŶƚĞ ĠǀŽůƵƚŝŽŶ ĚĞ
ů͛KĐĐŝĚĞŶƚ͘ ^ŝůĞƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞƐ͛ŝŶƐĐƌŝƚƉůƵƐŽƵŵŽŝŶƐĚĂŶƐůĂĐŽŶƚŝŶƵŝƚĠĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞŽccidentale ŝůŶ͛ĞŶĞƐƚƉĂƐ
moins une forme inédite de dictature. Le spécialiste de la France du XIXème à Columbia, Carlton J.H. Hayes (>Ă EŽƵǀĞĂƵƚĠ ĚƵ ƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞ ĚĂŶƐ ů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ de la civilisation occidentale, 1939) retient sept éléments novateurs dans le phénomène totalitaire : -­‐ le système Ɛ͛ĞŵƉĂƌĞ ĚĞ ƚŽƵƐ ůĞƐ ƉŽƵǀŽŝƌƐ͕ ƉƵŝƐ ƐƵƌƚŽƵƚ ĚŝƌŝŐĞ ů͛ĞŶƐĞŵďůĞ ĚĞƐ ĂĐƚŝǀŝƚĠƐ ĚĞ ƐĞƐ ĐŝƚŽLJĞŶƐ͕
Đ͛ĞƐƚĞŶĐĞƐĞŶƐƋƵ͛ŝůĞƐƚǀƌĂŝŵĞŶƚƚŽƚĂůŝƚĂŝƌĞ͕ -­‐ le régime dispose du soutien des masses et justifie ses décisions par ce soutien, -­‐ ůĂĚŝĐƚĂƚƵƌĞƐĞŵĂŝŶƚŝĞŶƚĞŶƵƚŝůŝƐĂŶƚĚĞƐĂŐĞŶĐĞƐĚ͛ĠĚƵĐĂƚŝŽŶet de propagande. Paradoxalement, tout le monde apprend à lire mais cet apport est orienté dans le sens où toutes les lectures sont contrôlées, -­‐ ůĞĚŝĐƚĂƚĞƵƌƐ͛ĂƉƉƵŝĞsƵƌĚĞŶŽƵǀĞůůĞƐŵLJƚŚŽůŽŐŝĞƐ͕ŝůƉƌŽĨŝƚĞĚ͛ƵŶĞƋƵġƚĞĚĞŶŽƵǀĞĂƵdžĚŝĞƵdžƉĂƌůĞƉĞƵƉůĞ pour proposer son propre modèle eschatologique, -­‐ ƵŶƐĞƵůƉĂƌƚŝĚŝƐƉŽƐĞĚĞƐŵŽLJĞŶƐŶĠĐĞƐƐĂŝƌĞƐƉŽƵƌŝŶĨůƵĞŶĐĞƌů͛ŽƉŝŶŝŽŶƉƵďůŝƋƵĞĐĞƋƵŝĞdžƉůŝƋƵĞůĞĨĂŝƚƋƵĞ
ĐĞƐƐLJƐƚğŵĞƐƐŽŝĞŶƚƐŝĚŝĨĨŝĐŝůĞƐăƌĞŶǀĞƌƐĞƌĚĞů͛ŝŶƚĠƌŝĞƵƌ͕ -­‐ la puissance et la force sont exaltées et présentéeƐĐŽŵŵĞĚĞƐŵŽLJĞŶƐĞĨĨŝĐĂĐĞƐƉĞƌŵĞƚƚĂŶƚĚ͛atteindre les objectifs fixés par le système. -­‐ ůĞƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞĞƐƚƵŶĞƌĠǀŽůƚĞĐŽŶƚƌĞů͛ĞŶƐĞŵďůĞĚĞů͛ŚĠƌŝƚĂŐĞĚĞůĂĐŝǀŝůŝƐĂƚŝŽŶŽĐĐŝĚĞŶƚĂůĞ͘^͛ŝůĞŶƵƚŝůŝƐĞ
certains principes, il les dénature et ceux-­‐ci ne deviennent que des moyens pour parvenir à la dictature absolue. Selon les auteurs, le totalitarisme constitue une rupture ou une continuité. La force de ce livre est de mettre à disposition des lecteurs une série de textes dont certains se contredisent afin que ceux-­‐là se fassent leur propre opinion. Certains reviennent sur la dimension religieuse de ces régimes. >͛ŐůŝƐĞĂƉƉĂƌĂŠƚen effet comme un autre héritage récupéré par les régimes totalitaires. Par le culte de la personnalité, le dictateur entend se substituer à Dieu. Pour Jacques Maritain, le communisme fonctionne comme une religion pour ses adeptes (Humanisme intégral͕ ϭϵϯϲͿ͘ >Ă ƌĠĨůĞdžŝŽŶ ĚĞ ů͛ĞŶƚƌĞ-­‐deux-­‐guerres sur ces systèmes doit beaucoup aux penseurs catholiques ou protestants qui ont souvent souffert ĚĞƐ ƉĞƌƐĠĐƵƚŝŽŶƐ ƐƵďŝĞƐ ƉĂƌ ů͛ŐůŝƐĞ ĞŶ
Allemagne et URSS. Ils voient dans le christianisme un moyen de sauver la démocratie européenne. Une fois les points communs établis entre les trois régimes, les auteurs proposés présentent de nombreuses différences. À la fin des années 20, le bolchévisme apparaît comme le totalitarisme le plus absolu. Luigi Sturzo lui-­‐ŵġŵĞƐŽƵůŝŐŶĞƋƵĞů͛/ƚĂůŝĞĨĂƐĐŝƐƚĞŶ͛ĂƌŝĞŶăǀŽŝƌĂǀĞĐůĞƐĂƚƌŽĐŝƚĠƐƉĞƌƉĠƚƌĠĞƐĞŶ
URSS par les dictatures de Lénine puis de Staline. Entre fascisme, communisme et nazisme, Bernard Bruneteau retient quatre différences : 2 -­‐ fascisme et nazisme se cantonnent au particulier de la nation ou de la race alors que le bolchévisme, dans la continuité de la Révolution, aspire à une dimension plus globale, bien que la notion de classe soit de plus en plus en forte, -­‐ nazis et bolcheviks ont mené une forte action antireligieuse alors que le fascisme a dû composer avec les ĐĂƚŚŽůŝƋƵĞƐ͕:ĂĐƋƵĞƐDĂƌŝƚĂŝŶƉĂƌůĞĚ͛ĂŝůůĞƵƌƐĚĞͨ semi-­‐totalitarisme » à propos du régime de Mussolini, -­‐ les fascismes conservent la structure sociale en place ĂůŽƌƐ ƋƵĞ ů͛hZ^^ ďĂůĂŝĞ ůĞƐ ĂŶĐŝĞŶŶĞƐ ĐůĂƐƐĞƐ
dirigeantes, -­‐ l͛ůůĞŵĂŐŶĞĞƐƚůĞƉĂLJƐŽƶĂĠƚĠƉŽƌƚĠůĞƉůƵƐŚĂƵƚůĂƚŽƵƚĞƉƵŝƐƐĂŶĐĞĚƵĐŚĞĨ ͗ů͛/ƚĂůŝĞĂĐŽŶƐĞƌǀĠson roi, la Russie a Kalinine comme Président de la République et Molotov en tant que Président du Conseil des ĐŽŵŵŝƐƐĂŝƌĞƐĚƵƉĞƵƉůĞ͘ů͛ŝŶǀĞƌƐĞ,ŝƚůĞƌŽĐĐƵƉĞůĞƐĨŽŶĐƚŝŽŶƐĚĞĐŚĞĨĚĞů͛ƚĂƚ͕ĐŚĞĨĚƵ'ŽƵǀĞƌŶĞŵĞŶƚĞƚ
chef du Parti. Il y a donc bien des convergences entre les trois systèmes, un héritage commun, des méthodes similaires, mais aussi des différences de formes et surtout eschatologiques. Cela a permis au juriste allemand Hermann Kantorowicz en exil à Londres de mettre en place un idéal-­‐type pour proposer une ƚLJƉŽůŽŐŝĞĚĞů͛ĞdžĞƌĐŝĐĞĚƵƉŽƵǀŽŝƌ dans les dictatures. Cet article (pp.206-­‐213 tiré de Dictatures, 1936) est incontestablement un des premiers que le futur lecteur devra lire. Peu importe leur origine, leurs convictions et leurs objectifs, la majorité des auteurs proposés voient dans les systèmes bolchévique et ŶĂnjŝůĞƐǀĞƌƐŝŽŶƐůĞƐƉůƵƐĂďŽƵƚŝĞƐĚƵƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞƋƵŝŵĂůŐƌĠƵŶĞŽƉƉŽƐŝƚŝŽŶƌĂĚŝĐĂůĞŶ͛ĞŶĚŝƐƉŽƐĞŶƚƉĂƐ
moins de nombreux points communs. II. « Bolchévisme brun » et « fascisme rouge » ? ;&ƌĂŶnjŽƌŬĞŶĂƵ͕>͛ŶŶĞŵŝƚŽƚĂůŝƚĂŝƌĞ͕ϭϵϰϬͿ ^ŝ ů͛ŽŶ ƐƵŝƚ ĞƌŶĂƌĚ ƌƵŶĞƚĞĂƵ͕ ůĂ ĐŽŵƉĂƌĂŝƐŽŶ Ă ƚŽƵũŽƵƌƐ ƐŽƵĨĨĞƌƚ Ě͛ƵŶ ĚĠƐĠƋƵŝůŝďƌĞ ĐĂƌ ĚğƐ ůĞƐ
années 1930 les pĂƌƚŝƐĐŽŵŵƵŶŝƐƚĞƐŽŶƚƐƵƐ͛ŝŶƐĠrer dans le combat antifasciste. Cela a permis de créer un front commun contre les fascismes. Ainsi, quand Staline entre à la SDN en 1934 ů͛ůůĞŵĂŐŶĞen sort. Les FƌĂŶĕĂŝƐƌĞĐŚĞƌĐŚĞŶƚƵŶĞĂůůŝĂŶĐĞĂǀĞĐů͛hZ^^, ce qui nuit à la réflexion sur la nature totalitaire des régimes de Lénine puiƐĚĞ^ƚĂůŝŶĞ͘^ŝĐĞƌƚĂŝŶƐƐŽŶƚĂǀĞƵŐůĠƐƉĂƌůĂůƵŵŝğƌĞǀĞŶĂŶƚĚĞůĂEŽƵǀĞůůĞ:ĠƌƵƐĂůĞŵĚ͛ĂƵƚƌĞƐ
sont conscients de la Terreur stalinienne mais préfèrent éviter la comparaison afin de ne pas nuire à la nécessaire alliance avec le Petit père des peuples contre Hitler. À ů͛ĞdžĞŵƉůĞĚĞ Raymond Aron qui en 1941 Ŷ͛ĂƉƉƌŽĨŽŶĚŝƚƉůƵƐůĂĐŽŵƉĂƌĂŝƐŽŶĂůŽƌƐƋƵ͛ŝůůĂĨĂŝƐĂŝƚĞŶϭϵϯϵ͘>ĞƐƚĠŵŽŝŐŶĂŐĞƐƐƵƌůa terreur stalinienne sont pourtant nombreux comme le montre les écrits de Victor Serge, Boris Souvarine, André Gide. Nous ƉŽƵƌƌŝŽŶƐĠŐĂůĞŵĞŶƚĐŝƚĞƌůĞŵĂŐŶŝĨŝƋƵĞƌŽŵĂŶĚ͛ƌƚŚƵƌ<ŽĞƐƚůĞƌ͕>ĞĠƌŽĞƚů͛ŝŶĨŝŶŝ, paru pour la première fois en 1941. >͛ĂƵƚĞƵƌ ƌĞǀŝĞŶƚ ŝĐŝ ƐƵƌ ƵŶĞ ŵŝŶŽƌŝƚĠ Ě͛ŚŽŵŵĞƐ ƋƵŝ ĚĠŶŽŶĐĞnt à la fois le fascisme et le ƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞ͘ ŚĞnj ĐĞƐ ƉĞŶƐĞƵƌƐ͕ ă ů͛ŝŵĂŐĞ Ě͛ƵŶ ĞŶŝƐ ĚĞ ZŽƵŐĞŵŽŶƚ ŽƵ Ě͛ƵŶ ŵŵĂŶƵĞů DŽƵŶŝĞƌ͕ ŽŶ
recherche une troisième voie entre fascismes et communisme qui permettra de défendre les idées démocratiques. Pour ĐĞƐ ƉĞŶƐĞƵƌƐ͕ ůĞ ƌĞŶŽƵǀĞĂƵ Ğƚ ůĂ ĚĠĨĞŶƐĞ ĚĞ ůĂ ĚĠŵŽĐƌĂƚŝĞ Ɛ͛ĂƉƉƵŝĞƌĂ ƐƵƌ ĚĞƵdž
piliers ͗ů͛Ƶrope et les valeurs chrétiennes, toutes deux objets des foudres nazies et communistes. Jacques Maritain dans Humanisme intégral (1936) montrait à quel point le communisme se présentait comme une religion pour ses adeptes. Sur ce dernier, nous renvŽLJŽŶƐ ĂƵdž ŶŽŵďƌĞƵdž ƚƌĂǀĂƵdž ĚĞ ů͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶ DŝĐŚĞů
Fourcade. Outre-­‐Atlantique, le penseur qui semble porter cette comparaison à son sommet sans tenir compte des rapprochements de Staline avec la démocratie est William Henry Chamberlin. Cet historien américain ƐLJŵƉĂƚŚŝƐĂŶƚĚĞůĂƉƌĞŵŝğƌĞŚĞƵƌĞĚĞůĂƌĠǀŽůƵƚŝŽŶďŽůĐŚĠǀŝƋƵĞĨŝŶŝƚƉĂƌĐŽŶĚĂŵŶĞƌů͛hZ^^ĞŶϭϵϯϬ͕ŝůĂ
été le correspondant à Moscou du Christian Science Monitor de 1922 à 1934 ĐĞƋƵŝůƵŝĂƉĞƌŵŝƐĚ͛ŽďƐĞƌǀĞƌ
de près le bolchévisme. Après une visite de ů͛hŬƌĂŝŶĞĞŶϭϵϯϮ-­‐1933, il témoigne de la famine et réfléchit à la nature totalitaire du stalinisme puis le rapproche peu à peu du nazisme. Le foyer totalitaire se trouve ďŝĞŶ ĞŶ ZƵƐƐŝĞ͘ Ŷ ϭϵϯϱ͕ ŝů ĂĨĨŝƌŵĞ ă ũƵƐƚĞ ƚŝƌĞ ƋƵĞ ĐŽŶƚƌĂŝƌĞŵĞŶƚ ă ĐĞ ƋƵĞ ů͛ŽŶ ƌĞƐƐĞŶƚ ĚĞ ů͛ĠƚƌĂŶŐĞƌ͕ ůĞ
3 ŶŝǀĞĂƵĚĞƚĞƌƌĞƵƌĞƐƚďŝĞŶƉůƵƐĨŽƌƚĞŶhZ^^ƋƵ͛ĞŶůůĞŵĂŐŶĞ͘ Ŷϭϵϰϭ͕ŝůĂƉƉƌŽƵǀĂů͛ĂůůŝĂŶĐĞĂǀĞĐů͛hZ^^͕
ĐĞƋƵŝŶĞů͛ĞŵƉġĐŚĂŝƚŶƵůůĞŵĞŶƚĚ͛ĞŶĚĠŶŽŶĐĞƌůĞƐLJƐƚğŵĞƚŽƚĂůŝƚĂŝƌĞ͘ Waldemar Gurian pousse la réflexion encore plus loin. Ce catholique né en Russie en 1902 a fait des ĠƚƵĚĞƐĚ͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĞƚĚĞƉŚŝůŽƐŽƉŚŝĞĞŶůůĞŵĂŐŶĞ͘WŽƵƌůƵŝ͕ĐĞƐŽŶƚĚĞƵdžŵŽƵǀĞŵĞŶƚƐŶŝŚŝůŝƐƚĞƐĂŶƚŝůŝďĠƌĂƵdž
et anticatholiques. Afin de souligner les similitudes, il parle du national-­‐ƐŽĐŝĂůŝƐŵĞ ĐŽŵŵĞ Ě͛ƵŶ
« bolchévisme brun ». On peut y voir certes de nombreuses dichotomies : classe contre race, universalisme contre nationalisme, mais les deux ont le même objectif : le pouvoir social absolu. Le nazisme est issu du bolchévisme et apparaît comme une réaction contre ce dernier (on pourrait retrouver ici certaines idées Ě͛ƌŶƐƚEŽůƚĞͿŵĂŝƐŝůĨŝŶŝƚƉĂƌůĞĚĠƉĂƐƐĞƌƉŽƵƌĚĞǀĞŶŝƌƉůƵƐĚĂŶŐĞƌĞƵdž, voire plus absolue. Il montre à quel point le nazisme est plus efficace ƉĂƌƐŽŶƌĂƉƉŽƌƚăů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ et son eschatologie. On ne sera guère étonné Ě͛ĂƉƉƌĞŶĚƌĞƋue lors de son exil américain, Gurian eut des contacts avec Jacques Maritain. Bernard Bruneteau nous présente aussi plusieurs économistes car les deux États par les nationalisations ont pris le conƚƌƀůĞ ƚŽƚĂů ĚĞ ů͛ĠĐŽŶŽŵŝĞ ĚĞ ůĞƵƌ ƉĂLJƐ͘ WŽƵƌ ů͛ĠĐŽŶŽŵŝƐƚĞ ƐƚƌĂƐďŽƵƌŐĞŽŝƐ
,ĞŶƌLJ >ĂƵĨĞŶďƵƌŐĞƌ͕ Đ͛ĞƐƚ ĐĞƚƚĞ ŵĂŝŶŵŝƐĞ ƋƵŝ ĐŽŶƐƚŝƚƵĞƌĂ ƵŶ ƐŽĐůĞ ƉĞƌŵĞƚƚĂŶƚ ĂƵdž ĚĞƵdž ƚĂƚƐ ĚĞ ƐĞ
rapprocher. Les juristes retrouvent dans les deux systèmes une négation totale des drŽŝƚƐĚĞů͛ŚŽŵŵĞĂƵdžƋƵĞůƐ
ils substituent les droits de la classe ou de la race. Tous deux mettent fin aux valeurs égalitaires et universalistes issues des Lumières. >Ğ ĚƌŽŝƚ Ŷ͛ĞƐƚ ƉůƵƐ pensé comme une finalité, mais comme un instrument qui une fois accaparĠƉĂƌůĞWĂƌƚŝƉĞƌŵĞƚĚ͛ĂĐĐĠĚĞƌĂƵƉŽƵǀŽŝƌĂďƐŽůƵ͘ III. La comparaison : une méthode historique difficile à appliquer La comparaison existait donc déjà dès les années 1930. Elle semblait logique du fait des similitudes entre les trois régimes et surtout entre le bolchévisme et le nazisme tout juste arrivé au pouvoir. Or ce ƉƌŽĐĠĚĠ ŚŝƐƚŽƌŝƋƵĞ ƐƵƐĐŝƚĞ ĂƵũŽƵƌĚ͛ŚƵŝ ƵŶĞ ůĞǀĠĞ ĚĞ ďŽƵĐůiers. Parmi les arguments opposés à cette ĐŽŵƉĂƌĂŝƐŽŶ͕ĐĞƌƚĂŝŶƐƐ͛ĂǀğƌĞŶƚ convaincants comme le fait que le nazisme soit un hitlérisme alors que le communisme ne peut se résumer à la personne de ^ƚĂůŝŶĞ͘ DĂŝƐ ĞƌŶĂƌĚ ƌƵŶĞƚĞĂƵ Ɛ͛ĂƚƚĂƋƵĞ ŝĐŝ ă ĚĞƐ
ĂƌŐƵŵĞŶƚƐƌĞůĞǀĂŶƚƉůƵƐƐŽƵǀĞŶƚĚĞůĂƉŽůŝƚŝƋƵĞƋƵĞĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ͘&ƌĂŶĕŽŝƐ&ƵƌĞƚ;>ĞWĂƐƐĠĚ͛ƵŶĞŝůůƵƐŝŽŶ, 1995) et Stéphane Courtois (Le Livre noir du communisme͕ϭϵϵϳͿŽŶƚĂŝŶƐŝĠƚĠĂĐĐƵƐĠƐĚ͛ĂŶƚŝĐŽŵŵƵŶŝƐŵĞ͘
Ce qualificatif peut paraître surprenant pour jƵŐĞƌ ĚĞƐ ƚƌĂǀĂƵdž Ě͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶƐ͘ Ŷ ĞĨĨĞƚ͕ Žn imagine difficilement Philippe Burrin ou Ian Kershaw être accusés Ě͛ĂŶƚŝŶĂnjŝƐŵĞ͘YƵĞƐ͛ĞƐƚ-­‐il passé depuis les textes de Maritain ou Chamberlin suscitant de telles passions ? La réponse évidente demeure la Seconde Guerre mondiale : les nazis ont légué au monde Auschwitz alors que les bolcheviks laissent Stalingrad et 20 millions de morts soviétiques au cour de ůĂŐƌĂŶĚĞŐƵĞƌƌĞƉĂƚƌŝŽƚŝƋƵĞ͘ĐĞůĂ͕ŝůĐŽŶǀŝĞŶƚĚ͛ĂũŽƵƚĞƌůĞƌƀůĞ
joué par les communistes au sein de la Résistance. ƵƚƌĞ ĂƌŐƵŵĞŶƚ ƐƵƌ ůĞƋƵĞů ƌĞǀŝĞŶƚ ů͛ĂƵƚĞƵƌ ĞƐƚ ůĂ ƉƌŽdžŝŵŝƚĠ ĚĞƐ ĐƌŝŵĞƐ ŶĂnjŝƐ ƋƵŝ ŽŶƚ ƚŽƵĐŚĠ ĚĂŶƐ
leur chair les EuƌŽƉĠĞŶƐĚĞů͛KƵĞƐƚĂůŽƌƐƋƵĞůĞƐĐƌŝŵĞƐŶĂnjŝƐŽŶƚĠƚĠĐŽŵŵŝƐĚĞů͛ĂƵƚƌĞĐƀƚĠĚĞů͛ƵƌŽƉĞ͘ Beaucoup voienƚĚĂŶƐůĂƌĠǀĠůĂƚŝŽŶĚĞƐĐƌŝŵĞƐŶĂnjŝƐƵŶĞĨŽƌŵĞĚ͛ĂƚƚĠŶƵĂƚŝŽŶĚĞůĂ^ŚŽĂŚ͘^͛ŝůĞƐƚ
ǀƌĂŝƋƵĞů͛ĂĚĚŝƚŝŽŶmacabre des différentes parties du Livre noir paƌ^ƚĠƉŚĂŶĞŽƵƌƚŽŝƐŶ͛ĠƚĂŝƚƉĂƐĚĞƐƉůƵƐ
ƉĞƌƚŝŶĞŶƚĞƐ͕ŽŶŶĞƉĞƵƚĐŽŶƚĞƐƚĞƌůĞƐƉĂƌƚŝĞƐĚĞEŝĐŽůĂƐtĞƌƚŚƐƵƌů͛hZ^^ŽƵĚĞ:ĞĂŶ-­‐Louis Margolin sur la ŚŝŶĞ͘>ĂŵĠŵŽŝƌĞĚĞůĂ^ŚŽĂŚĂĂƚƚĞŝŶƚƵŶĞƚĞůůĞƐĞŶƐŝďŝůŝƚĠ;ŝůŶ͛LJƋƵ͛ăǀŽŝƌůĂƌĠĂĐƚŝŽŶƌĠĐĞŶƚĞĚĞůĂƵĚe Lanzmann par rapport à une utilisation moindre de ce terme dans les manuels scolaires : http://blog.passion-­‐histoire.net/?p=10379Ϳ ƋƵĞ ů͛ĂƵƚĞƵƌ ƉĂƌůĞ ĚĞ ͨ fétichisation » de la Shoah (p32). Évoquer le Rwanda, le génocide arménien ou la famine ukrainienne fait craindre à certains le 4 déboulonnement du génocide juif en tant que crime absolu. Les deux totalitarismes ont connu un déséquilibre dans leur étude du fait de la non-­‐ouverture des archives soviétiques mais le problème est résolu depuis 1991. Et pourtant le déficit de recherche en défaveur des crimes communistes persiste. ůĂƉĂŐĞϳϱ͕ů͛ĂƵƚĞƵƌĠĐƌŝƚĞŶƐĞƌĞŵĞƚƚĂŶƚĚĂŶƐůĞĐŽŶƚĞdžƚĞĚĞƐĂŶŶĠĞƐϭϵϯϬ : « à une date où le système stalinien a déjà anéanti, depuis 1930, 6 à 8 millions de vie contre 7 à 9 ϬϬϬ ƉŽƵƌ ů͛ůůĞŵĂŐŶĞ
hitlérienne, et où le goulag accueille environ deux millions de prisonniers contre 21 000 dans les camps nazis-­‐ 150 000 Allemands ont été internés à un moment ou à un autre entre 1933 et 1939 contre huit millions de Soviétiques au cours de la même période ͩ͘ ĞƐ ƉƌŽƉŽƐ Ŷ͛ŽŶƚ ƌŝĞŶ ĚĞ ĐŚŽƋƵĂŶƚ Ğƚ ƉŽƵƌƚĂŶƚ͘
EŽƵƐŶĞƐŽŵŵĞƐƉĂƐŚĂďŝƚƵĠƐăůĞƐůŝƌĞ͘>͛ĠƚƵĚĞĚƵƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞƐŽƵĨĨƌĞĚ͛ƵŶĞĂƉƉƌŽĐŚĞƚĠůĠŽůŽŐŝƋƵĞĐĂƌ
une approche historique ne Ɛ͛ŽƉƉŽƐĞŶƵůůĞŵĞŶƚĂƵĨĂŝƚĚ͛ĂĨĨŝƌŵĞƌ ƋƵ͛ĞŶϭϵϯϱůĂƚĞƌƌĞƵƌďŽůĐŚĠǀŝƋƵĞĠƚĂŝƚà un stade supérieur à la terreur nazie comme pouvait le faire sans susciter la moindre polémique à cette époque William Henry Chamberlin. Pour certains opposants à la comparaison, les nazis ont perpétré des crimes là où les communistes Ŷ͛ŽŶƚĐŽŵŵŝƐque des erreurs car ce dernier était inspiré de bonnes intentions. La comparaison légitime à ů͛ƐƚĚĞů͛ƵƌŽƉĞƉŽƐĞƉƌŽďůğŵĞăů͛KƵĞƐƚĞƚƉůƵƐƉĂƌƚŝĐƵůŝğƌĞŵĞŶƚĞŶ&ƌĂŶĐĞ͘ Or toutes les historiographies gagneraient à cette comparaison : une meilleure compréhension de ces trente années, du bolchévisme, de la Grande Guerre, de la confrontation nazisme/communisme permettrait de mieux appréhender ůĂ ^ŚŽĂŚ͘ >͛ĂƵƚĞƵƌ Ŷ͛ŚĠƐŝƚĠ ƉĂƐ ă ĠŐƌĂƚŝŐŶĞƌ certains historiens tels Dominique Losurdo et Enzo Traverso. PŽƵƌůĞƉƌĞŵŝĞƌůĞƐƚĂůŝŶŝƐŵĞƐ͛ŝůůƵƐƚƌĞĐŽŵŵĞ ů͛ŚĠƌŝƚŝĞƌĚĞƐ>ƵŵŝğƌĞƐ
alors que le nazisme en est le fossoyeur. >Ğ ĐŽŵŵƵŶŝƐŵĞ ŵĂůŐƌĠ ƵŶ ĐŽŶƚĞdžƚĞ ĚĠƐŽƌŵĂŝƐ ƉůƵƐ ĨĂǀŽƌĂďůĞ ă ůĂ ĐŽŵƉĂƌĂŝƐŽŶ ƋƵ͛ĞŶ ϭ997 ĚĞŵĞƵƌĞƵŶĞƉĂƐƐŝŽŶĨƌĂŶĕĂŝƐĞĐŽŵŵĞĂƉƵů͛ĠĐƌŝƌĞDĂƌĐ>ĂnjĂƌ͘DĂŝƐĞŶƌĠǀĠůĞƌůĂĚŝŵĞŶƐŝŽŶĐƌŝŵŝŶĞůůĞŶĞ
ƐŝŐŶŝĨŝĞ ƉĂƐ ŵŝŶŽƌĞƌ ůĞ ƐĂĐƌŝĨŝĐĞ ĚĞƐ ƌĠƐŝƐƚĂŶƚƐ ĐŽŵŵƵŶŝƐƚĞƐ͘ >͛ŽƵǀƌĂŐĞ ŶŽƵƐ ŝŶǀŝƚĞ ŝŵƉůŝĐŝƚĞŵĞŶƚ ă
historiciser le totalitarisme, à le dépassionner et à utiliser toutes les méthodes ĐůĂƐƐŝƋƵĞƐĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞƉŽƵƌ mieux le comprendre. ůĂƐŽƌƚŝĞĚĞů͛ŽƵǀƌĂŐĞ͕ŝůĞƐƚĚŝĨĨŝĐŝůĞĚĞŶĞƉĂƐƐƵŝǀƌĞů͛ĂƵƚĞƵƌ͘YƵĞůƋƵĞƉĂƌƚ͕ŝůƌĠǀğůĞƵŶĐĞƌƚĂŝŶ
pessimisme : la recherche sur le totalitarisme tellement bien laŶĐĠĞ ĚĂŶƐ ůĞƐ ĂŶŶĠĞƐ ϭϵϯϬ Ŷ͛Ă-­‐t-­‐elle pas connu un recul depuis 1945 ? Les barrières sont plus nombreuses maintenant que le nazisme est enterré et ƋƵĞůĞĐŽŵŵƵŶŝƐŵĞĞƐƚĞŶǀŽŝĞĚ͛ĞdžƚŝŶĐƚŝŽŶƋƵ͛ĞůůĞƐŶĞů͛ĠƚĂŝĞŶƚƋƵĂnd les deux étaient à leur acmé. Fascisme, communisme et nazisme ont de nombreux points communs : -­‐ les trois sont ŝƐƐƵƐĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĞƵƌŽƉĠĞŶŶĞ͘ntre rupture et continuité, ils sont héritiers par une certaine forme de cette histoire, -­‐ ůĞĐƵůƚĞĚƵĐŚĞĨ͕ů͛ƚĂƚ-­‐parti͕ů͛ƵƚŝůŝƐĂƚŝŽŶĚĞůĂǀŝŽůĞŶĐĞĐŽŵŵĞŵŽLJĞŶƉĞƌŵĞƚƚĂŶƚĚ͛ĂƌƌŝǀĞƌăƐĞƐ fins se retrouvent en Italie, URSS et Allemagne, -­‐ ůĂĚŝƌĞĐƚŝŽŶĚĞů͛ĠĐŽŶŽŵŝĞĞƚůĂĚĞƐƚƌƵĐƚŝŽŶĚƵĚƌŽŝƚ sont utilisés comme des moyens par ces régimes pour accaparer la totalité du pouvoir. ĞƌŶĂƌĚƌƵŶĞƚĞĂƵůŝǀƌĞŝĐŝƵŶŽƵǀƌĂŐĞƋƵŝĨĞƌĂĚĂƚĞŵĂůŐƌĠƵŶĞĐĞƌƚĂŝŶĞĐŽŵƉůĞdžŝƚĠ͘/ůŶ͛ĂĐĠĚĠă
aucun raccourci et livre une introduction à ces textes affirmant ses convictions mais révélant aussi une ĐĞƌƚĂŝŶĞ ĐŽůğƌĞ Ě͛ƵŶ ĐŚĞƌĐŚĞƵƌ ƋƵŝ ŶĞ ƉĞƵƚ Ăůůer au bout de son sujet du faŝƚ Ě͛ŽďƐƚĂĐůĞƐ ŝŶƚĞůůĞĐƚƵĞůƐ͕
politiques, voire idéologiques. En utilisant des textes écrits entre 1930 et 1942, il ne cherche pas à amener ů͛ĂƵƚĞƵƌ ǀĞƌƐ ƐĞs idées, puisque nombre de ces textes révèlent des idées contradictoires. Bernard 5 Bruneteau en appelle au débat, à faire tomber les mémoires vives pour connaître une effervescence aussi ƌŝĐŚĞƋƵ͛elle ĂƉƵů͛ġƚƌĞĂƵĐŽƵƌƐdĞů͛ĞŶƚƌĞ-­‐deux-­‐guerres. Au-­‐delà de son introduction, le point fort de son essai demeure les textes proposés. Si certains sont parfaitement connus ĐŽŵŵĞĐĞůƵŝĚ͛KƌƚĞŐĂLJ'ĂƐƐĞƚsur la révolte des masses Ě͛ĂƵƚƌĞƐůĞƐŽŶƚďĞĂƵĐŽƵƉ moins͕ŶŽƚĂŵŵĞŶƚ ĐĞƵdž ƋƵĞ ů͛ĂƵƚĞƵƌ Ă ůƵŝ-­‐même traduit. À titre personnel, nous avons particulièrement apprécié ceux de Carlton J.H. Hayes, William Henry Chamberlin, Guglielmo Ferrero, Hermann Kantorowicz et Waldemar Gurian. LĞƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞĂƉƉĂƌĂŠƚĐŽŵŵĞůĞƉŚĠŶŽŵğŶĞůĞƉůƵƐŶŝŚŝůŝƐƚĞĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĚƵĐŽŶƚŝŶĞŶƚĞƵƌŽƉĠĞŶ. Tout comme François Furet appelait en 1978 à faire de la Révolution française un objet froid (Penser la Révolution française) en recourant à Tocqueville et Cochin, Bernard Bruneteau appelle d͛ƵŶĞ ĐĞƌƚĂŝŶĞ
manière à faire de même avec le totalitarisme, le dégager de toutes ses scories en recourant à des auteurs ayant observé ou subi les méfaits de ces systèmes destructeurs de la condition humaine. Nous laisserons le mot de la fin ăů͛ƵŶĚĞĐĞƐĂƵƚĞƵƌƐ : « ŶƌĠƐƵŵĠ͕ůĞƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞĚŝĐƚĂƚŽƌŝĂůĚ͛ĂƵũŽƵƌĚ͛ŚƵŝĞƐƚƵŶĞƌĠĂĐƚŝŽŶʹ non, bien plus, une révolte-­‐ contre ů͛ŚŝƐƚŽƌŝƋƵĞĐŝǀŝůŝƐĂƚŝŽŶĚĞů͛KĐĐŝĚĞŶƚƚŽƵƚĞŶƚŝğƌĞ͛͘ĞƐƚƵŶĞƌĠǀŽůƚĞĐŽŶƚƌĞůĂŵŽĚĠƌĂƚŝŽŶĞƚůĞƐĞŶƐĚĞůĂ
ƉƌŽƉŽƌƚŝŽŶĚĞůĂ'ƌğĐĞĐůĂƐƐŝƋƵĞ͕ĐŽŶƚƌĞů͛ŽƌĚƌĞĞƚůĂůĠŐĂůŝƚĠĚĞů͛ĂŶĐŝĞŶŶĞZŽŵĞ͕ĐŽŶƚƌĞůĂĚƌŽŝƚƵƌĞĞƚůĂ
justice des prophètes juifs, contre la charitĠ͕ůĂŵŝƐĠƌŝĐŽƌĚĞĞƚůĂƉĂŝdžĚƵŚƌŝƐƚ͕ĐŽŶƚƌĞů͛ĞŶƐĞŵďůĞĚƵŐƌĂŶĚ
ƉĂƚƌŝŵŽŝŶĞ ĐƵůƚƵƌĞů ĚĞ ů͛ŐůŝƐĞ ĐŚƌĠƚŝĞŶŶĞ ĂƵ DŽLJĞŶ ŐĞ Ğƚ ă ů͛ĠƉŽƋƵĞ ĚĞƐ >ƵŵŝğƌĞƐ͕ ůĂ ƌĂŝƐŽŶ Ğƚ
ů͛ŚƵŵĂŶŝƚĂƌŝƐŵĞ ĚƵ ys///ğŵĞ ƐŝğĐůĞ͕ ĐŽŶƚƌĞ ůĂ ĚĠŵŽĐƌĂƚŝĞ ůŝďĠƌĂůĞ ĚƵ y/yğŵĞ ». Carlton J.H. Hayes (La EŽƵǀĞĂƵƚĠĚƵƚŽƚĂůŝƚĂƌŝƐŵĞĚĂŶƐů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĚĞůĂĐŝǀŝůŝƐĂƚŝŽŶŽĐĐŝĚĞŶƚĂůĞ, 1939. Ici aux pages 148-­‐154). Anthony Guyon est enseignant et doctorant au sein du groupe CRISES de Montpellier. Il prépare une thèse sur les tirailleurs sénégalais en &ƌĂŶĐĞĚƵƌĂŶƚů͛ĞŶƚƌĞ-­‐deux-­‐guerres. Ξ>ĞůŽŐĚĞů͛,ŝƐƚŽŝƌĞʹ http://www.passion-­‐histoire.net ʹ Janvier 2012 6