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CULTURES - POLITIQUE - VIVRE ENSEMBLE WWW.FUMIGENE.ORG NUMERO 04 / ETE 2016 / GRATUIT LITTERATURE DE RUE - NUMERO 04 - ETE 2016 LITTERATURE DE RUE Nous avons eu du mal à boucler le budget nécessaire à la publication de ce numéro, qui comporte un dossier dérangeant sur les violences policières. Média indé sans subventions, nous n’avons trouvé aucun sponsor pour nous permettre de le publier. Nous avons donc organisé un crowDfunding, auprès de nos lecteurs engagés, et avons réuni grâce aux gens que nous avons plaisir à citer ci-dessous, 2000 euros, en 48h. EDITO Lyrics RAPHÄL YEM Photo JULIEN PITINOME Merci à celles et ceux qui n’ont pas laissé leurs mains dans leurs poches, mais qui ont mis la main à la poche. Un grand républicain en mission officielle, appelons le Jean-Pierre, suggérait à certains Français de se faire “discrets”. Scred n'est pas la connexion : il nous paraissait donc pertinent, à nous aussi, de nous interroger sur celles et ceux qui ont choisi par devoir de tous nous protéger. Sans faire de différences. Notre “Big Ride” est de fait consacrée à la police française, et plus particulièrement son rapport aux habitants des quartiers populaires. Benharrat Abbes, Sami Adili, Heïdi Aït Belkacem Truong, Blade Alimbaye, Pedro Alves, Malika Amagroud, Rose Ameziane, Anaïs, Anna, Andrée Antolini, Appolaire, Noëlle Arnould, Margault Aubry, Aya, Leïla Azarhooshang, Emma Balayn, Marwan Barghouti, Bedredine, Marwan Belaid, Nassima Belal, Benchehida, Omar Benlaala, Soraya Ben Yedder, Assia Benziane, Constance Berne, Bertout, Ramdan Bezine, Stéphanie Binet, Anne Bocande, Agathe Bohand, Boulomrak, Cado, Tay Calenda, Captain, Dejdiga Chalal, Fariza Chalal, Leila Chalal, Marie Chamouard, Elise Chassaing, Sofiane Cherkaoui, Cathy Clavel, Anne-Claire Colleville, Sophie Costa, Nathalie Coste, Saul D, Dalila, Laurence De Cock, Dego, Agathe Deleau, Bénédicte Desforges, Diawara, Moussa Diop, Mounir Djamaï, Anissa Djebbari, Duarte, Juliette DV, Edwige, Karima Essabbak, Marie Estelle, eStiA, Ezzine, Fadiga, Farid, Fellah, Fiks, Chloé François, Frede, Alexe Gaillard, Delphine Gancel, Gbezera, Julie Gentien, Sonia Gharbi, Gidon, Glorieux, Kathleen Godillon, Carlotta Gracci, Tarik Habachou, Dounia Habbouz, Hadded, Hadjar,François Haller, Gamal Hamada, Hocine Hamadi, Harnish, Hatab, Louise Herault, Hernandez, Delhia Ikhlef, I’m Batman, Steph Islas, Jauberthie, Louis Jesu, Joachim, Jouannetaud, Juliette, JuliettevIgnes, Yabome Kamara, Sophie Kang, Dj Kefran (La Meute), Kenya, Kiddam, Isabelle Kokabi, Laetitia Lallemand, Nadia Lamarkbi, Hélène Lam Trong, Faouzia Laoubi, Rajae Laqbaqbi, Caroline Lasseron, Lisa Lebahar, Sarah Lebailly, Anthony Lebossé, Camille Lechien, Véronique Le Clec’h, Benoit Lecolley, Catherine Léger, Ophélie Lemaître, Paul Leroux, Kares Le Roy, Karin Levitre, Pierre Léziart, Madjid Lhocine, Linda, Sylvain Lopera, Kayz Loum, Agathe Lunel, Loïc M, Youness M, Fatimata Magassa, Sophie Marchand, Alexandre Marie, Marie & Simon, Marina, Marion, Louise Marteau Rehaz, Vero Martins, Emilie Massemin, Mercedes, Meryem, Nadia Metallaoui, Michel, Mickey, Mill, Monira Moon, Morgane, Youssef Moussaoui, Nadia, Nardone, Anthony Nezondet, Noémie, Alexis Onestas, Ana Opp, Elvira Ordas, Mag Osaki, Aïcha Ourais, Peggy, Pheng, Michel Philippe, Thomas Planut, Amandine Pointel, Oriane Polack, Anthony Rio, Hasna Riss, Louis Rochelle, Rosalie, Saadi, Celia Sadai, Pierre Saint-Gal, Samara Samaki, Santana, Nicolas Sebille, Nadia Sefane, Jean Segura, Séverine, Imane Sewgobind, Siberfeld, Silya Sid Ahmed, Su-Bouy, Boulomsouk Svadphalphane, Dirty Swift, Sylvie, Nastasia Tennant, Lya Terki, Thiboust, Fatou Michoko Touré, Léa Treize, Laetitia Tura, Patrice Vallade, Florent Vannier, Camille Varet, Vaubien, Agnès Verdurand, Vincent Verzat, Coralie Wawrzyniak, Lamia Younsi, Nadia Z, Zahia, Sylvia Zappi. À l'heure où les cas de violences policières, voire de bavures, à l'encontre des fragilisés, des discriminés, des précarisés et/ou en lutte, s'additionnent de plus en plus vite ces dernières années, dans une toute autre sorte de “discrétion”, il était urgent de se faire le porte-voix des familles qui souffrent. Surtout quand la justice laisse un arrière-goût d'impunité policière. Ils s'appe- Bravo, on l’a fait, ensemble ! laient Ali, Lamine, Rémi, Fethi, Wissam, Larami, Mushin, Bouna, Zyed… La liste est tristement longue. Le dernier d'entre eux : Adama, décédé des suites d'une arrestation musclée par les gendarmes à Persan (95), le jour de son 24e anniversaire. Contrairement à Seney, Elijah, Isao et Idris, des kids issus eux aussi des quartiers populaires, que nous avons fait symboliquement poser pour notre couverture, ils n'ont pas eu le temps de lever les bras. Nous en avons assez de voir nos petits frères, nos petites sœurs, nos enfants, courir quand ils croisent la police, même quand ils n'ont rien à se reprocher. Alors il est temps de calmer le jeu. Sauf que dans un jeu, pour de vrai, personne ne meurt. Nous dédions ce numéro à une grande amie de la rédaction, Fadia Dimerdji, qui nous a brusquement quitté au mois d'août. Pilier de la Radio Nova, cette pionnière des radios libres, passée par Radio Ivre à ses débuts, était une connexionneuse hédoniste, généreuse et engagée. Avec elle, nous avions produit une émission événementielle sur les 30 ans de la Marche pour l'égalité et contre le racisme, sur Radio Nova. Un symbole fort pour celle qui y avait promené son micro trente ans plus tôt place de la Bastille. Elle voulait que nous adaptions notre magazine Fumigène en pastilles vidéos et sonores, rêvait de bricoler une radio de la paix au Proche-Orient, depuis Jérusalem. Ces dernières années, elle avait accompagné des Syriens dans la création d'une radio à la frontière turque, elle s'occupait de redonner vie aux archives de la radio de Jean-François Bizot, de copiner avec les Chibanis, menacés d'expulsion dans son quartier, de fouiner du côté des graffeurs de la Tour 13, de militer inlassablement pour le droit des femmes et contre toutes les discriminations. Nous envoyons tout notre amour et toute notre force à celles et ceux qui ont eu la chance de la côtoyer, qui ont été touché par sa grâce, son rire, ses idées, ses idéaux, sa voie, sa voix. Qu'elle repose en paix. SEUM LIST Bigflo & Oli Lyrics RAPHAL YEM Photo GUSTAVO LOPEZ MANAS Avec leur album La Cour des grands, ils ont définitivement fini par y rentrer. Les deux frangins made in Toulouse, âgés de 23 et 20 ans, racontent avec délice des histoires de leur âge, de leur ville, toujours avec le sourire. Mais qu’est-ce qui pourrait bien finir par leur enlever ce sourire ? Fumigène est allé leur mettre le seum. Le pire truc dans la célébrité ? Les mecs bourrés qui te parlent pendant deux heures à l’oreille, alors que tous tes potes s’amusent à côté. Votre pire souvenir de galère en tant que rappeurs débutants ? Quand on se faisait recaler de notre propre concert par la sécu, ha ha ha ! Un classique ! La rime dont vous êtes pas fiers ? “Marcher au marché”, j’avais 11 ans, dans le clip “Fier d’être toulousain”. Une journée ratée pour vous ? Le pire pour moi, c’est quand on avait prévu plein de choses et qu’on fait… rien ! Votre insulte préférée ? Putain (Toulousains obligent) Le plat qui vous met la gerbe ? Les huîtres. Le pire truc qui peut vous arriver avant de monter sur scène ? Extinction de voix. Une vraie phobie ! Le sport qui n’est pas fait pour vous ? Le sport. La chanson que vous détruisez à chaque fois que vous essayez de la chanter ? Without Me, de Eminem, car on connaît pas les vrais paroles en anglais. Qu’est ce qui vous met vraiment le seum ? Comme tout le monde, beaucoup de choses, mais le pire c’est : la négativité ambiante en ce moment ! En tout cas, plein de bonnes choses à tous ! 6 7 L’ŒIL OLD DEHLI Lyrics + Photo CEBOS « Après avoir passé la soirée dans le quartier musulman de Old Delhi, c’est à bord du taxi en rentrant à l’hôtel que j’ai réalisé cette photo. Des familles comme celle-ci, sur une moto, on en voit partout dans la capitale. Ce daron à bien raison de fixer la route, et non mon objectif, car il y a beaucoup d’accidents sur les routes en Inde. » 8 9 L’ŒIL FOOT FOR FREEDOM Lyrics + Photo Eros Sana « Elger Nakamba est zambienne. Elle est réfugiée en Suède, elle a dû quitter son pays natal à cause de son orientation sexuelle. Comme Elger, de nombreuses autres réfugiées membres de la communauté LGBTQ (pour lesbiennes, gays, bisexuels, trans et queer), elle a participé à un tournoi international de football appelé « Foot For Freedom » (FFF). Organisé par Les Dégommeuses, une association française montée en équipe de foot, certes, mais qui lutte avant tout contre les discriminations et les « LGBT-phobies ». Cet événement avait pour but de soutenir les réfugié(e)s, et particulièrement celles et ceux issus de la communauté LGBTQ ». 10 11 GO BANLIEUE CODE POSTAL 93 300 POPULATION 77 452 habitants NOM Albertivillariens PERSONNALITÉS Yasmine Belmadi (acteur), Samy Seghir (acteur), Mc Tyer (rappeur), Myriam Lamare (championne de boxe française et de boxe anglaise), Didier Daeninckx (écrivain) BANLIEUSARD IS THE FUTUR Lyrics NAÏMA AMIRI + RAPHÄL YEM + CONAN + ALEXIS DENOUS ADNANE TRAGHA 2spee Gonzales REALISATEUR RAPPEUR AUBERVILLIERS (93) 3 bonnes raisons + 1 grand témoin, et vous prouver qu’on peut kiffer dans sa ville. Lyrics CONAN COQUEREL + RAPHÄL YEM Photo NNOMAN LE THÉÂTRE DE LA COMMUNE Parfois, j’ai, comme tout le monde, des questions existentielles. Alors je cours vite m’acheter un livre de philo et un pot de crème glacée de 1,5 kg. Un jour, par hasard j’ai découvert qu’au Théâtre de la Commune, Alain Badiou proposait (presque) chaque mois des séminaires gratuits. Le rêve. Le philosophe parle d’actualité et aide à penser et comprendre de manière ludique. Un vrai spot pour têtes d’ampoule. Bien entendu, si tu n’es pas trop philo, tu peux aussi trouver des pièces courtes et des classiques du théâtre. Il y en a pour tout le monde. LE CIRQUE BORMANN MORENO Le cirque de la porte d’Aubervilliers, on passe souvent devant, mais peu sont ceux qui s’y arrêtent. Pourtant, il est l’un des cirques parisiens les moins chers. Avec une entrée à 10 euros et des spectacles les mercredis, samedis et dimanches, il a tout du bon plan. Tu peux aussi prendre des cours de cirque pour voir quel genre de clown tu es. Inoubliable. D.R. ZINGARO Zingaro est un théâtre équestre. Bartabas, le metteur en scène amoureux des chevaux, y propose des moments magiques et au-delà du temps. On achève bien les anges, dernier spectacle de la troupe, t'envoie directement en orbite. Danse, voltige, musique du monde, on décolle sans jamais retomber. Si tu te sens naître une vocation après le spectacle, tu pourras toujours demander s’il y a des cours de poney. ABEL JAFRI • Il fait la fierté de ses concitoyens Albertivillariens. Homme de cinéma vu dans Timbuktu, mais aussi homme de lettres : il vient de publier le roman Les Dattes d’Aoulef pour « rendre hommage aux parents émigrés, changer le regard et le vivre ensemble ». Pourquoi es-tu si attaché à cette ville ? « Auber » est la ville d’une partie de ma vie, de mes amis, de 12 ma famille. J’aime ma ville, sa mixité, la culture, le sport, les gens d’Auber ! Tes lieux préférés ? Le square d’Auber, le théâtre, la place de la mairie, et ma rue, la rue des cités. Ton succès sur les écrans a-t-il changé le regard des Albertivillariens sur toi ? Oui le regard n’est plus le même, je deviens leur ambassadeur. Il y a une fierté chez eux d’être représenté par un enfant de la ville. On te revoit bientôt au cinéma ? Dans le prochain film de Rachid Bouchareb [le réalisateur d’Indigènes (2006)], Sur la route d’Istanbul. Et je prépare actuellement un tournage avec Uma Thurman. C’EST QUI ? Père de deux garçons, Adnane a d’abord suivi des études poussées en économie. Puis avec Hicham, son frère jumeau passionné de cinéma comme lui, il a décidé de créer une structure pour permettre aux jeunes, en manque de réseaux dans le milieu du cinéma de réaliser leurs propres projets. Ils se font remarquer sur MySpace (le Facebook des années 2000) avec Pass Pass la Cam. Ils s’impliquent dans la lutte contre les discriminations avec par exemple Cohérence Zéro en 2004 contre le racisme ordinaire. D’OÙ ? Ivry-sur-Seine, dans le 94, la ville où il est né et où il vit toujours. C’est d’ailleurs le lieu de tournage de son premier film intitulé 600 euros, s’inspirant de situations qu’il a vécues. POURQUOI ? Après avoir été repéré par Besson et avoir réalisé des courts métrages et des web séries, 600 euros est le premier long métrage d’Adnane, qu’il a tourné ces dernières années en bas de chez lui. Un film situé dans le contexte de la présidentielle de 2012, mettant en scène des personnages de la vie de tous les jours. La bande originale a été composée par le chanteur Ridan, avec lequel il n’est pas à sa première collaboration, rejoint par la talentueuse rappeuse Casey. DEMAIN ? Adnane compte faire vivre 600 euros autant que possible et surtout ouvrir des débats à travers toute la France en vue des élections de 2017 avec le film comme support. Sortie le 8 juin 2016. http://www.passpasslacam.com http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=24 5261.html D.R. C’EST QUI ? Dès l’âge de 14 ans, 2spee Gonzales commence à noircir des cahiers et à raturer ses feuilles de brouillon. Plus que le texte, le rythme et le débit de ses mots sont très vite repérés par ses amis, particulièrement par Demo qui le baptise donc du nom de cette souris mexicaine cartoonesque que le méchant chat n’arrive jamais à attraper parce que trop rapide. D’OÙ ? Il est à Saint-Denis depuis toujours, connu de ses concitoyens tant il a arpenté les rues de la ville avec ses freestyles, mais surtout la ligne 13 du métro parisien où, avec son collectif Ursa Major, ils ont écoulé plus de 15 000 albums. POURQUOI ? C’est avec son groupe que 2spee va sortir trois albums intitulés Ursa Major, De Gré ou de Force et La Vérité en face, en association avec le groupe KillaBizz. Il est sorti invaincu de tous les clashs de l’émission présentée par Jacky des NegMarrons « Couvre Feu » de 1996 à 2006 sur Skyrock. Prolifique et passionné, il est un des cadors de la scène indépendante. Après avoir tourné dans le film Brooklyn, de Pascal Tessaud (2014) où il crève l’écran, il se reconcentre sur sa carrière avec la mixtape « Ah Souhait volume 1 » sortie en mai, sorte d’anthologie de ses sons de 1995 à aujourd’hui, comprenant aussi de nombreux inédits. Le volume 2 est prévu pour cet été. DEMAIN ? Refaire du cinéma, why not ? Il prépare un album dont la sortie est prévue pour la rentrée, innovant et swinguant. En plus du rap, 2spee réserve des surprises musicales au goût du jour. 13 BANLIEUSARD IS THE FUTUR KDYBOOCREA DYCOSH EDDY DURTESTE ODILON NGONDA ILLUSTRATRICE ENTERTAINER ASSOCIATIF STYLISTE D.R. C’EST QUI ? Une as de la tablette graphique de 26 ans, qui va piocher dans la pop culture et qui se fait reposter par des stars internationales comme Chris Brown. À cause d’elle, par exemple, San Goku porte des Jordan. D’OÙ ? De Nanterre, dans le 92 : « J’y ai grandi et j’y vis toujours ». POURQUOI ? Elle ne vit pas encore de son travail, allant bosser de 5h du mat’ à midi, avant de rentrer chez elle et de foncer sur ses dessins : « Je suis passionnée depuis toute petite. Je crois qu’à force de regarder des dessins animés j’avais envie d’en faire un moi-même ! De là, j’ai commencé à redessiner mes personnages de BD et à vouloir faire mes propres histoires. Ce que j’aime particulièrement dans le dessin, c’est cette liberté de pouvoir tout transformer à ma guise et donc de mélanger le fantastique à notre réalité, donner ce côté urbain aux personnages, leur donner vie en les habillant comme nous, et les incorporer dans des lieux existants ». Sa punchline préférée ? Une citation de Ernesto Che Guevara : « Soyez réalistes, demandez l’impossible ». DEMAIN ? « J’aimerais beaucoup travailler avec différents artistes, que ce soit dans la musique ou même dans un autre domaine artistique pour la réalisation d’une pochette de CD, un visuel de publicité… Publier ma propre BD, oui, ce serait génial… J’y pense depuis longtemps, mais ça demande du temps. Et bien sûr, j’adorerais avoir ma propre expo, une sorte de galerie Kdyboocrea… » 14 D.R. C’EST QUI ? Christian Nsankete alias Dycosh. YouTubeur à succès. Sorte de Dave Chapelle français, il commence en écumant les salles de stand-up parisiennes et très vite s’oriente vers la production vidéo avec son acolyte Florin Defrance. Côté télé, il a prêté son talent au Claudy Show, de Claudy Siar, sur France Ô et officie aujourd’hui sur FlashTalk, la street émission de débats, diffusée sur LCP, et encore sur France Ô. D’OÙ ? Dycosh viens du 77. Il porte un amour inconsidéré pour sa Seine-et-Marne natale et BrieComte-Robert en particulier. Il est aussi beaucoup attaché à ses racines congolaises. POURQUOI ? En comptabilisant le nombre de vues sur les seuls sketchs de la Sapologie #1 et #2, il a atteint plus de 2 millions de vues. Son personnage d’Eli Kitengué, le plus grand sapeur du monde de la sape, l’a rendu célèbre partout dans le monde. « Equilibre » : comme un emblème, le gimmick a été repris partout et par tous, beaucoup dans le milieu du sport, de Gaël Monfils à Emmanuel Adebayor en passant par Alex Song, le joueur du Barça. Mais aussi les fans, se prenant en photo devant tous les monuments du monde. Comme pour finaliser le package, l’entertainer (comme il se définit) enregistrera un titre, Equilibre avec Jessy Matador et FaraOne. DEMAIN ? Dycosh continue d’alimenter sa chaîne vidéo DycoshTV et ambitionne de pousser un jour les portes qui mènent au grand écran. D.R. C’EST QUI ? Médiateur à Bordeaux et Fondateur de l’Urban Vibration School (UVS), une association qui se veut être le porte-étendard de la plus grosse cité bordelaise : les Aubiers. D’OÙ ? Franco-algérien, originaire de Lille. À 20 ans, il parcourt l’Europe puis décide de s’installer à Bordeaux définitivement. POURQUOI ? Derrière l’association, un visage, et pas des moindres. Son adolescence oscille entre artisanat de la rime – à 17 ans il parcourt les scènes d’été françaises – et violence au quartier. Incarcéré jeune majeur, il sort en liberté conditionnelle à 18 ans et plonge dans les stups. C’est par un détour à Amsterdam que le déclic s’opère : il rencontre une jeune femme et se cogne à une réalité bien plus difficile que la sienne. Il finit par trouver un poste de médiateur à Bordeaux et, en 2007, fonde l’UVS avec un ami du quartier. Mac Tyer, Despo, MZ... autant d’artistes que l’associatif a su faire intervenir aux quartiers, en plus de la professionnalisation de la trentaine de jeunes qu’il forme en service civique. DEMAIN ? A 38 ans il est toujours médiateur, son titre de directeur n’étant qu’honorifique, et a été intervenant pour l’édition 2015 du TedX Event à Bordeaux. Son expérience et ses nombreux succès avec la « School » lui ont donné l’envie de se lancer dans le consulting à destination des associations. Il travaille à l’écriture d’un guide du galérien à son image, support pour ses futures activités. D.R. C’EST QUI ? Un créateur autodidacte de vêtements sur mesures, qui a lancé sa propre maison de prêtà-porter parisienne : « CrabeDesign ». D’OÙ ? D’Hérouville-Saint-Clair, ville ouvrière, en banlieue de Caen. Petite pépinière de talents urbains. Aujourd’hui, il a fait du concept store parisien Creativ Labo son atelier. POURQUOI ? Parce que de sa barre d’immeubles, on ne voyait que les joueurs de foot et de basket, et que lui avait eu le premier dans son quartier l’idée de lancer une marque de tee-shirts originaux. Et parce que ses différentes expériences entre Paris, Londres et New York, en tant qu’assistant designer pour les marques Sophia Kokosalaki, Elie Tahari ou encore Chromat, la styliste de Beyoncé, lui ont ouvert de nouveaux horizons et lui ont permis de voir la mode comme une forme d’art, accessible à tous. Son concept mêle la mode, l’art et le design. C’est la rencontre entre la complexité des lignes graphiques et la simplicité des formes contemporaines, c’est made in France, et parfois même sur mesure : classe. On retrouve ses créations dans un concept store parisien où on peut souvent le croiser, Creativ Labo. DEMAIN ? Odilon bosse sur deux nouvelles collections, qu’il présentera en défilé. Des collaborations sont à l’étude, comme des tee-shirts en série limitée avec le chocolatier parisien Edwart, ou une collection à New York. 15 FACE 2 FACE Nekfeu, Framal, Mekra, 2zer : Ensemble, ils forment le $-Crew, un groupe qui a les crocs et a su s’imposer dans un rap-game saturé jusqu’à l’os. Entre deux projets persos, ils présentent leur second album, Destins Liés, et les combats qui les animent. Votre nouvel album s’appelle Destins Liés. Pourquoi ce titre ? 2zer : Cet album nous permet d’expliquer d’où on vient, comment on s’est rencontrés, et ce qui nous a amenés à être là aujourd’hui. Tout cela n’est pas un hasard ou une coïncidence : nos destins sont liés. Nekfeu : Ce titre a une autre dimension : c’est aussi une promesse pour l’avenir. Une promesse entre nous et notre public, entre nous et notre collectif. On est tous dans le même bateau et on n’est pas prêts de se lâcher. $-Crew $-Crew x Team Fumigène Lyrics ALEXIS DENOUS Photo ALEXANDRE-REZA KOKABI Dans vos morceaux, vous décrivez votre quotidien. Bien que vous soyez de jeunes Parisiens, comment expliquez-vous que même à Tourcoing, des gens parviennent à s’identifier à vous ? 2zer : Paris est un peu à l’image de la France : que ce soit en termes de représentation politique, de production musicale ou de divertissement, beaucoup de choses émanent de la capitale et influencent forcément la province. Nekfeu : On décrit notre environnement et, même si on est Parisiens, le quotidien, les galères, nos activités ne sont pas si différentes, que l’on vive à Paris ou en province. Nos auditeurs s’identifient juste à la parole de jeunes comme eux. Dans quelles circonstances le S-Crew a-t-il vu le jour ? Mekra : Avec Framal et Nekfeu, on était une bande de potes venus du 15e arrondissement, des amis d’enfance et 2zer, qui vient du 20e, nous a rejoints un peu plus tard. Nekfeu : Au départ, on voulait juste graffer, partager les mêmes kiffs : des mangas au rap, en passant par les films de bandits… Le $-Crew était juste un nom de bande qu’on écrivait sur les murs. Puis c’est devenu un groupe de rap. FACE 2 FACE Vous touchez un public assez large. Ne craignez-vous pas de passer pour des artistes « mainstream » ? Nekfeu : Plus les gens kiffent notre musique, plus on est contents. Cette musique nous ressemble, c’est celle qu’on aime. On ne se soucie pas de l’image qu’on a à travers elle. Vous développez vos projets persos, mais vous arrivez tout de même à faire vivre votre groupe. C’est important, le collectif ? 2zer : Ce n’est pas forcément « important » en soi, mais c’est plaisant de pouvoir développer des sons en famille. Framal : À l’image de Nekfeu et de son dernier album, on récolte chacun un peu de lumière de notre côté à travers nos différentes productions individuelles. Cette notoriété qu’on peut avoir, on peut se la partager aussi en travaillant ensemble. Nekfeu : On a une vision assez collective du rap. Pour nous, c’est clairement quelque chose qui se partage. Après, c’est une question d’humeur : parfois, on veut être avec les potes, et parfois on veut se retrouver seuls. Votre morceau « On va le faire » sonne comme un aveu de votre penchant pour la procrastination. N’est-ce pas un peu paradoxal avec la vie bien remplie que vous menez aujourd’hui ? 2zer : La procrastination, elle touche tout le monde. Même quand tu vis la Fast Life, il y a plein de moments où tu as la flemme. Tu es préoccupé par autre chose, tu veux faire autre chose, mais pourtant il faut bosser. Nekfeu : C’est très subjectif. Malgré tout ce que l’on fait, même si on est occupés du matin au soir, on considérera toujours que ce n’est pas assez. Ce son, c’est aussi une manière de lutter contre nos mauvais penchants, nos vices, nos inquiétudes. Pour le coup, c’est la paresse, et on se bat contre elle. Dans ce même son, Mekra dit « J’suis dans mon wagon, j’attends de conquérir le train ». C’est une référence au film Snowpiercer, où les riches vivent confortablement à l’avant du train tandis que les pauvres vivent au fond, tous serrés Mekra : Ah, j’avoue que je ne l’ai pas vu. C’est exactement ça le délire, l’image à laquelle j’avais pensé. C’était pour dire qu’on était tous dans le même train, et que je devais me motiver pour arriver à l’avant. Nekfeu, tu as donné un concert à Nuit Debout. Une manière de soutenir le mouvement ? Nekfeu : J’aimais bien l’idée : des gens de toutes les origines, de tous les milieux sociaux, de toutes les opinions se posent pour parler et proposer un autre modèle de société que celui, impitoyable, dans lequel on vit. Je trouvais ça bien de venir ambiancer Paname dans ce contexte. Lors des dernières Victoires de la musique, tu as lancé : « prenez Marine Le Pen et libérez Moussa », un humanitaire français détenu au Bangladesh. Pourquoi avoir choisi de t’engager à ce point dans une émission somme toute assez policée ? Nekfeu : Ça me semblait important de lancer une petite piqûre de rappel : il ne faut pas oublier Moussa. J’ai couplé ça avec une petite blague sur Marine, qu’on embrasse très fort. Au fond, faire le révolutionnaire quand personne ne t’écoute, ça a peu d’écho. À une heure de grande écoute, dans ce genre d’émission, ça prend tout de suite une plus grande dimension. LIL RIDE FACE 2 FACE Le mouvement social contre la loi travail a débuté en mars 2016 et se poursuit depuis cinq mois en France. Des centaines de milliers de personnes se donnent rendez-vous dans la rue, presque toutes les semaines, aux quatre coins du pays. Cette contestation sociale subit une répression particulière, au nom de l’état d’urgence ; des passages en force, avec le 49-3 qui a fait adopter la loi. Loi qui vise à instituer des libertés et des protections nouvelles pour les entreprises et les actifs, plus que pour les employés et les syndicats. L’été impose un repos salutaire aux personnes engagées dans ce combat, et pour la rentrée, des rendez-vous sont déjà pris. Photo JULIEN PITINOME + DANIEL MAUNOURY Tu en as profité aussi pour parler de l’association SOS Méditerranée et du Captain Phil, sauveteur de migrants en Méditerranée. Cette crise vous touche-t-elle particulièrement ? Nekfeu : Là, c’est de l’honneur de la France et de l’Europe dont on parle. C’est un fait important, selon moi, dans notre histoire. Si on ne fait rien, c’est la honte. Les réfugiés, on les traite sans même avoir un minimum de respect et de compassion pour ce qu’ils ont traversé et ce qu’ils vivent maintenant. Je suis fier, pour plein de raisons, de vivre en France, mais là je ne me reconnais pas dans ces choix. Comme dit Captain Phil « arrêtez tout, l’urgence c’est ça ». Des gens meurent. Justement, tu as ensuite fini par un : « Ce n’est pas à moi de vous dire ça, je ne suis personne, mais voilà ». Si ce n’est pas à toi de dire ça, qui doit le faire ? 2zer : Nekfeu, quand il dit ça, c’est qu’il estime qu’il ne doit pas avoir à parler de ces sujets : ils devraient être évidents, on devrait tous être au courant. Dans la rue, des gens sont en galère. Ils ont besoin de notre solidarité. Nekfeu : Parfois, les politiques sont complètement déconnectés de la réalité de la vie du peuple. Nous, on est issus du peuple, et ce même si on a la chance de faire un métier qui nous permet de voyager. Au quotidien, on est confrontés aux problèmes des gens qui se lèvent le matin, qui galèrent. Aujourd’hui, les gens qui sont dans la rue, au chômage, ce sont de vrais sujets. Contre la loi travail, la rue se soulève et le pouvoir s’effrite On parle beaucoup de violences policières en ce moment… Mekra : … mais les violences policières et les bavures, c’est vieux comme le monde. Nekfeu : Cette question-là est constante. Ce qui est bien d’un côté c’est que les gens commencent à s’en apercevoir. Je sais que dans les quartiers ça se fait dans l’ombre tout ça, c’est le quotidien de beaucoup de gens. Maintenant la merde remonte, c’est tout. Orelsan a sorti un film avec Gringe, Comment c’est loin. Nekfeu, tu es actuellement en tournage avec Catherine Deneuve. Le $-Crew au cinéma dans son propre film, c’est possible ? Nekfeu : On y a pensé, oui. 2zer : Les gens, franchement, ils ne nous croiraient pas. Ils se diraient que notre histoire est trop romancée, hollywoodienne, alors que ce ne serait que du vrai. Ce serait quoi, votre titre ? 2zer : Destins liés. Mais ça reste de l’ordre du fantasme. Nekfeu : On n’est qu’au début de notre histoire, à la première saison. À nous de finir la série et nous pourrons penser à faire un film. 21 LIL RIDE 22 23 LIL RIDE 24 25 DYNAMIQUES Aneta Szynkiel La danse comme un cri Lyrics SIMON HATAB Photo JEAN-MICHEL SICOT T rois femmes s’avancent sur scène. C’est le début du spectacle, mais elles semblent déjà essoufflées, lasses, comme si elles traînaient derrière elles des siècles d’oppression. Chacune leur tour, elles vont prononcer ces mots : « Je suis une femme. » Une affirmation qui résonne pour certains comme une évidence, comme un simple constat biologique. Vraiment ? Non. Dans notre vieux monde chargé d’inégalités, ce cri à trois voix est un manifeste. Ainsi commence À quoi rêventelles ?, conçu par la metteure en scène Aneta Szynkiel : un spectacle cathartique qui entend libérer la parole et faire acte d’empowerment [principe d’émancipation, de gain de pouvoir par rapport à un groupe dominant]. Le virus du théâtre, Aneta l’a contracté très jeune : « Je ne saurais pas dire à quand ça remonte. C’était là. C’est tout. » Elle dit qu’elle est née en Pologne, à Czestochowa. Je lui demande d’épeler le nom de sa ville natale. Elle hésite. Elle ne sait plus : « Ça remonte à si loin. » Si vous ouvrez un guide touristique sur la Pologne à la page Czestochowa, on vous vantera sans doute sa célèbre Vierge noire. Depuis le Xe siècle, la ville est un lieu de pèlerinage mondialement connu : chaque année, elle attire quelques centaines de milliers de pèlerins qui viennent à pieds ou à genoux pour les plus masochistes. Mais ce n’est pas à ça que rêve Aneta. Elle dit : « Cette ville, c’était un cloître. Imaginez Lourdes, en pire. » Son bac en poche, elle met les voiles : « Je voulais partir. Où ? Je ne savais pas. Loin. » Ce sera la France. Par hasard, elle tombe sur une petite annonce : « Famille cherche jeune fille au pair. » Elle se fait écrire une lettre dans un français impeccable, pour faire croire qu’elle maîtrise parfaitement la langue de Molière et, quelque quarante heures de bus plus tard, débarque dans le sud de la France, à Tarbes. Sa famille d’accueil ne tarde pas à s’apercevoir de la supercherie et la met à la porte. La voici à la rue. Sans papiers. Mais il en faut plus pour décourager Aneta. Elle apprend à parler français en écoutant la radio, « la radio sans pub parce que, quand on ne comprend pas la langue, les publicités sont trop agressives », explique-t-elle. Elle fait des ménages, travaille comme serveuse dans un bar et décide de s’inscrire à la fac, où elle se rend chaque jour en faisant du stop : d’abord en FLE (français langue étrangère), à Pau, puis en arts du spectacle, à Bordeaux. Elle y rencontre une bande d’étudiants avec qui elle monte sa première compagnie et ses premiers spectacles : « Il y avait comme une urgence à jouer. Nous jouions par passion, pour rien. Il m’a fallu presque quinze ans avant de pouvoir vivre du théâtre. » On la retrouve en Seine-Saint-Denis, à la tête de la compagnie Jeden, qu’elle a fondée en 2003 : « Je n’avais toujours pas de papiers, mais je salariais des comédiens. » En plus de la douzaine de spectacles qu’elle monte, elle anime des stages et des ateliers amateurs. C’est ainsi que naît le projet « À quoi rêvent-elles ? ». Tout est parti d’un atelier au centre social Couleurs du Monde, à La Courneuve, « la fameuse cité que Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, voulait nettoyer au karcher », rappellet-elle : un atelier qui avait lieu une fois par semaine, le matin. Étrangement, ce sont surtout des femmes qui s’y inscrivent : « Lors d’improvisations, je me suis rendu compte que ces femmes parlaient d’elles : des régimes qu’on leur imposait, des gaines qu’elles devaient porter, de leur frustration de ne pas pouvoir aller au café, de leurs colères ordinaires… Beaucoup se sentaient limitées dans leur couple. En 2013, lors des débats sur le Mariage pour tous, elles criaient : “Divorce pour toutes !” ». Ces cris, Aneta les a fait grandir, puis les a agrégés pour en faire un spectacle jouissif, défouloir et jubilatoire. Le spectacle À quoi rêventelles ? tourne actuellement dans les centres sociaux de Seine-Saint-Denis. Et tant pis si, malgré le succès, la compagnie n’a pas encore décroché de subvention : « On fait des spectacles parce qu’on a une parole à porter. » Après s’être échappée de sa Pologne natale, cette metteure en scène s’est battue pour vivre de son art et continue à se battre pour libérer la parole. DYNAMIQUES Rouge Basilic Le food truck, le cœur sur la main avait le cœur sur la main, toujours à aider son prochain. J’ai pris conscience de l’héritage qu’elle m’a laissé après son décès en 2008. Je souhaite faire un bon usage de son éducation et transmettre sa vive énergie à mon entourage ». Quand un jeune des quartiers en échec scolaire se pré- Lyrics ARTIN DILUKEBA Photo JEAN-MICHEL SICOT A u volant du camion, il y a Brahim Hennana. Sa générosité est contagieuse et il la transmet dans ses plats, qu’il élabore avec authenticité pour « rapporter le gout dans les assiettes » . De l’Algérie à l’Italie, ce sont ses voyages éthiques qui lui ont permis d’avoir la curiosité nécessaire pour monter son projet, alors qu’il était encore chef de projet dans l’automobile. La première mission de Rouge Basilic est de démocratiser « le goût et les bonnes choses ». Les préparations culinaires intègrent en priorité des ingrédients sains et frais a un prix accessibles. Les plats phares sont bien sûr les bagels, burgers et pizzas, concoctés avec des produits frais et de saison. Sa devise : le « fait maison ». Et pour ça, il se fournit auprès des producteurs de la région. « Je n’utilise pas forcément de produits bio, je préfère cuisiner local plutôt qu’en provenance d’Amérique du sud par exemple », précise-t-il. Le circuit court permet aussi à Brahim de s’associer à des maraîchers pour faire de la sensibilisation des produits de la ferme auprès des jeunes. « Certains ne savent même pas à quoi ressemble une courgette, il y a un vrai apprentissage à faire à ce niveau-la ». ÉPICURIEN ENGAGÉ Lauréat de l’appel d’offres de l’Économie Sociale et Solidaire en 2013, Brahim n’a pas fini de surprendre. Il met un point d’honneur à accompagner, et à embaucher des profils qui d’habitude, sont directement mis de côté avant même l’entretien d’embauche : « Le côté social est primordial pour moi, j’ai beaucoup travaillé dans le milieu associatif, notamment dans un foyer de femmes battues, et je trouve important d’embaucher des femmes recherchant l’autonomie, mais aussi des jeunes en difficulté ou encore des seniors qui rencontrent des soucis, après des licenciements économiques ». Ces valeurs lui ont été inculquées par sa mère : « Elle Installé à Colombes, le food truck Rouge Basilic a un concept différent des autres. Porté par son fondateur Brahim Hennana et son associé Mohammed Fatmi, il se distingue par une cuisine de qualité élaborée avec des produits locaux, et un coté solidaire, par l’insertion de personnes en difficultés.attre pour libérer la parole. sente à lui, son but et d’en faire un futur chef d’entreprise, dans les trois années passées en sa compagnie. « Ce qui est dommage, c’est que certains jeunes des quartiers ont grandi avec un sentiment d’infériorité, ce qui les freine dans leurs ambitions. Je veux leurs montrer que même en partant de rien, on est capable de devenir un chef d’entreprise », explique-t-il. Avec ses différents partenaires, Brahim donne des conseils juridiques. Pour les plus introvertis d’entre eux, les troupes de théâtre Trottoir Express et Compagnie d’Ailleurs à Colombe, leur enseignent l’art de l’expression verbale et corporelle. Le théâtre est un recours pour vaincre une timidité qui les empêchent de s’exprimer correctement face à un futur employeur, ou un banquier. « J’ai envie que Rouge Basilic soit pour eux une formation qualifiante, pour apprendre la discipline du travail en équipe et d’un rythme de travail soutenu », raconte-t-il. Brahim est aussi conscient que son investissement peut prendre du temps, mais il ne se décourage pas. « S’il y en a un seul d’entre eux qui réussi, je serai super fier ». Acteur de terrain, Brahim est aussi parrain et bénévole de l’association « Frères et sœurs de cœur », qui fait des maraudes solidaires, et voue une lutte acharnée contre le gaspillage alimentaire. En ça, il collecte les invendus de différents restaurants pour en faire la distribution aux sans-abris. « C’est difficile de voir les gens dans la rue. Il y a quelques mois, nous faisions une maraude à Calais, dans un camps de réfugiés. La vue de cette souffrance m’a fait pleurer. Ça devient insoutenable toute cette misère… », dit l’homme de 41 ans, dont les parents occupaient les bidonvilles de Nanterre dans les années 1960. Pour l’avenir, Brahim souhaite étendre son concept atypique, en faire une franchise solidaire, afin de pouvoir répandre ses valeurs à travers toute la France. Son objectif est d’avoir 5 camions et une trentaine d’employés d’ici à 2018. « À terme, l’idée est de créer un réseau de food truck Rouge Basilic, et de faire des salariés des auto-entrepreneurs autonomes », conclut-il. Un objectif qui hume bon. DYNAMIQUES Nadia Rabhi Donner des forces Lyrics JALAL KAHLIOUI Photo AÏT BELKACEM N adia Rabhi est militante. De longue date. Elle vit depuis toujours dans la Nièvre, à trois heures de Paris, à Nevers, plus exactement, la ville de feu Pierre Bérégovoy, l’ancien Premier ministre où il s’est donné la mort un 1er mai 1993. En 1995, alors qu’elle n’a que 20 ans, elle s’engage dans le milieu associatif en donnant des cours de chant pour permettre à une jeunesse « oubliée », celle de Nevers, de s’exprimer et de trouver dans l’art une nouvelle façon d’exister. On la retrouve en 2007, quelques temps après avoir suivi une formation au Conseil de l’Europe sur les droits humains, désireuse d’offrir d’autres outils à « ses jeunes » pour qu’ils soient mieux armés. « J’étais convaincue qu’en passant par la connaissance des droits humains fondamentaux, on pouvait être en mesure de donner à ces jeunes l’opportunité de changer la société. Moi-même, étant issue de l’immigration et ayant grandi dans un quartier populaire, j’ai été confrontée à différentes difficultés et notamment à des inégalités de traitement du fait de mon origine sociale ou de mon sexe », explique Nadia, qui a elle-même dû se battre pour pouvoir suivre des études universitaires. Dès 2007 donc, Nadia enchaîne les projets éducatifs avec ces jeunes : une pièce de théâtre reproduisant un procès entre le gouvernement sud-africain et un géant pharmaceutique, la production d’un reportage sur les Rroms et leur stigmatisation en 2011 Pleine de projets, d’idées, d’envies de dialoguer, de faire dialoguer une société qui peut paraître lointaine avec « ses » jeunes pour qui elle se dévoue à Nevers, Nadia Rabhi la militante raconte son parcours, ce qui l’anime et ce pour quoi elle (se) bouge. (diffusé la même année au festival des droits humains à Paris) puis la création d’une radio, Droits humains en Action, où les jeunes animateurs en herbe ont interviewé le regretté Stéphane Hessel, l’ancien garde de Sceaux, Robert Badinter, ou encore le journaliste Edwy Plenel. Après ces réussites successives, Nadia participe à la création du Festival des Droits Humains en 2013, où elle prend la tête du pôle éducation. Un événement qui a lieu depuis chaque année à Nevers en avril. « L’idée était d’inviter physiquement les gens que l’on a pu croiser au cours de nos projets. C’était aussi l’occasion de donner la possibilité aux jeunes de créer un événement. Ils ont dû ainsi organiser une conférence, analyser les sujets traités et faire évoluer le débat », confie Nadia. « Je veux montrer qu’il sont capables de proposer un autre projet de société que celui qui est le nôtre. Plus que les entendre, il faut les écouter ! La politique jeunesse n’existe pas dans notre pays. La jeunesse est une force qu’il faut soutenir et pas cadenasser », conclut la militante. BIG UP M H D Petit prince deviendra grand Lyrics NORA HAMADI Photo NNOMAN MHD, de son vrai nom Mohamed Sylla, est un rappeur français de 22 ans. Il a grandi dans le 19e arrondissement de Paris. Il est précurseur de « l’afro trap », un mélange de musiques aux sonorités africaines et de trap, un courant musical issu du sud des Etats-Unis. Fumigène l’a rencontré. E t soudain, des cris. Des hurlements. Ce soir-là, à l’EMB, mythique salle de Sannois, dans le Vald’Oise, ils sont près de cinq cents enfants, de préados, et d’ados qui attendent en trépignant celui qu’ils ont découvert il y a à peine quelques mois, via la plate-forme YouTube. Des dizaines de millions de vues plus tard, il est là. MHD. Mohamed Sylla. 21 ans. Le petit prince de l’Afro Trap. « Franchement je ne m’attendais pas à ça en postant mes délires sur YouTube et Facebook. Je ne pensais pas un jour que ça prendrait cette ampleur ». que je suis tout jeune. Qu’il me propose d’assurer sa première partie alors que ma musique n’a rien à voir avec son univers, c’est qu’il a kiffé. » La tournée de Booba, en première partie ; celle de Black M, en Afrique, le petit prince côtoie les déjà rois, et tente de garder la tête froide : « contrairement à ce que les gens pensent, rien n’a changé. J’habite toujours chez mes parents, dans mon quartier du 19e, et je vis tout ce qui m’arrive assez normalement. Booba, je ne m’y attendais pas. C’est un artiste que j’écoute depuis À l’instar de Booba, depuis des mois, toute la France kiffe s’enjailler sur les rythmes de MHD. Son public ? De 7 à 77 ans, issu de zones rurales ou urbaines, des quartiers périphériques, comme de centre-ville. « Je n’ai pas encore réussi à vraiment bien cerner mon public. Mais je constate qu’il y a de tout, des enfants, des ados, des familles. C’est le côté ‘Champions BIG UP League’. Si j’arrive à toucher tout le monde comme Stromae et son album Racine carrée que j’ai vraiment aimé, c’est cool. » Son public : une « Champions League » ? Une manière pour MHD de faire fi des différences entre les mondes, entre les identités, les appartenances. Une volonté de rassembler tous les territoires de Paris et de sa banlieue sous une même bannière : « ça me rend fier de venir du 19e arrondissement de Paris, de Colonel Fabien. Mais ‘Paname’, c’est aussi la banlieue. C’est pour ça que tous les départements pour moi, dans mon album sont ‘Champions League’. Il n’y a pas de banlieue ni de Paris centre, ni de périph’, on est tous pareil, il n’y a aucune différence. » Gommer les spécificités et donner à entendre la même chose aux gamins des quartiers huppés comme des plus pauvres, un vœu que MHD est en passe de réussir, même si la réalité sociale des quartiers populaires le rattrape. « Si on voulait arranger la situation entre le centre, la banlieue et les périphéries, ce serait déjà fait. On se laisse ‘matrixer’ par les découpages entre départements, entre les quartiers, les différences qu’on crée. Paris, Paname, c’est pareil. Il n’y a pas de couleurs non plus. Et finalement, on porte tous le même maillot, celui du PSG ». MHD, UNE HISTOIRE DE FAMILLE Du quartier à la scène, ils sont plusieurs amis d’enfance à partager l’aventure MHD. « Mes potes, c’est ma famille. » Une famille étendue qui a été de tous les moments : « ils étaient là pour les premiers délires sur le Net, pour l’album, maintenant la scène ». Une bande qui lui a donné l’énergie et la force d’imaginer construire une carrière alors que les premières vidéos YouTube comptaient déjà plusieurs milliers de vues. « MHD, c’est une aventure collective. À chaque showcase, à chaque concert, ils sont là, ce sont mes Backeurs. Ce sont des frères, pas juste des potes. On a tout fait ensemble : maternelle, primaire, collège, premiers boulots, vacances… Puis les vidéos, l’album, maintenant la scène. » Un esprit de famille qui appelle un esprit de clan, parfois. Depuis le début de l’ascension, au gré des millions de visionnages de ses clips sur les plateformes, il a fallu consolider les acquis quand la réussite peut attirer force convoitises, voire tracas. « La confiance est là. On n’a pas besoin de se parler, on se comprend. Il ne faut pas se confier à tout le monde, c’est la règle dans ce métier, et dans la vie. En quartiers, comme ailleurs, il y a toujours des petites histoires de confiance trahie, d’amitié gâchée. Je fais attention, j’évite de faire trop ‘ami-ami’. Je crois qu’on ne se fait pas de futurs nouveaux amis… C’est triste, mais c’est comme ça ». La confiance et la fidélité, des valeurs cardinales chez les Sylla. Un socle qu’il doit, selon lui, à sa culture africaine et qui lui a évité bien des écueils : « Je n’aurais pas pu mal tourner par exemple, parce que j’étais bien entouré. Ma famille, mes frères, mes sœurs… Tous me faisaient confiance, donc il n’y a pas eu d’inquiétudes à ce niveau ». « FAIS LE MOUV’ ! » Après un BEP restauration, il fait ses classes quelques mois en tant que livreur de pizzas, après des temps de galères – qu’il raconte sans ambages dans son album –, sans formation, et sans emploi, tout en posant quelques rimes : « Au début j’étais parti dans le rap conscient, mais très vite, je suis retombée dans l’Afro Trap. J’ai grandi dans cette musique africaine, dans cette ambiance de fête, dans la danse… Ma double culture guinéenne et sénégalaise m’a vraiment inspiré, il fallait que ce soit festif ! » Festif, les morceaux de Mohamed le sont. Énergiques. Positifs. Contagieux. Ils distillent de la bonne humeur. Ses grandes lunettes à la Malcolm X dissimulent à peine un regard fier. « J’aime trop l’Afrique, c’est un truc de ouf ! Je parle le diakhanké et le soussou chez moi. C’est une force. Je voudrais que mes en- fants parlent ces langues, je voudrais leur transmettre les valeurs que m’ont inculquées mes parents ». soir-là, à l’EMB, ils étaient cinq cents spectateurs exaltés à la chanter a capella. Une assise qui lui permet de voir plus loin que sa simple réussite musicale et de préparer la suite, en niant l’idée que l’Afro Trap puisse n’être qu’un simple feu de paille. « On essaye de faire en sorte de durer. C’est pour ça qu’on travaille tous les jours. Mais il faut sécuriser, alors pourquoi pas la restauration, le cinéma. Je me verrais bien jouer dans un biopic, qui raconte la vie d’une personnalité. » Sécuriser, pour mieux durer, et pour pallier les chutes, si fréquentes dans l’artistique, une question de volonté, et de persévérance. « Je crois que ce qui nous arrive n’est pas une question de chance. Seul le travail paye, quel que soit le milieu. Je n’aurais jamais cru faire de la scène il y a encore quelques mois. Pourtant, je n’ai pas lâché, j’ai continué. » Roger Milla. MHD. Ismaël. « Tous en place sur le Corner ». La lignée persiste. Sa Moula (l’argent, la force) a même traversé l’Atlantique et conquis les États-Unis. Mama Africa ! Une trajectoire qu’il espère exemplaire pour les plus jeunes qui suivent son parcours. « Oui, je peux être un exemple pour des gamins qui me suivent. Je leur démontre qu’en faisant ce qu’on aime, on peut réussir si on s’en donne les moyens. S’ils peuvent s’identifier, c’est bien ». Ce soir-là, à Sannois, MHD a partagé la scène avec Ismaël, 5 ans, fils de l’un de ses proches. Tous deux ont chanté Roger Milla, morceau en l’honneur du lion camerounais qui disputa sa dernière Coupe du monde en 1994 à l’âge de 42 ans. Un mythe. Une figure du football africain qui rythma les terrains par des danses endiablées au poteau de corner. Et ce MHD EN CHIFFRES • 21 ans • Né à la Roche-sur-Yon, dans le 85 (Vendée) • A débuté le rap avec le collectif 1-9 réseau dans le 19e arrondissement de Paris • 8 clips • 130 millions de vues sur YouTube • Un premier album sorti le 15 avril 2016 • 15 titres • Le 13 février, son concert avec Black M à Conakry en Guinée a réuni 60 000 personnes AFRO TRAP Mélange de trap (son originaire de Chicago, aux États-Unis) et de sonorités africaines sur lesquels on rappe. BIG UP avec la fille au joli minois. Mais il aura eu une révélation : « j’ai compris que je pouvais exister en étant le mec marrant. Le stand-up m’a été salutaire. » «J e sais ce que vous vous dites : un Chinois, un micro... C’est une soirée karaoké ? » Il est comme ça Bun Hay Mean : sans filtre, la punchline facile, débitée dans un flow aussi vif qu’incisif. Ses cheveux longs sont frisés, mais ses yeux ne sont pas bridés : non, ce sont les autres qui ont les yeux ronds. Question de point de vue. « Le monde est peuplé de hiboux », philosophe-t-il. Vous avez rigolé ? Très bien. Mais ne l’applaudissez pas, il n’a pas le temps. La légende de Bun Hay Mean débute à Lormont, à quelques encablures de Bordeaux. Ses parents, sino-cambodgiens, ont fui les Khmers rouges en 1970. « Ils n’ont quasiment jamais évoqué leur histoire, alors je me suis inventé une vie où mon père était roi du Cambodge. Quand on a commencé à en parler vraiment, j’ai vu à quel point ça leur faisait mal. Ils ont vu des proches mourir... » Adolescent, Bun Hay Mean n’arrivait pas à trouver sa place parmi ses camarades. Avant d’être Chinois Marrant, il était surtout Chinois Triste. « On ne m’a jamais mis de côté, mais j’avais l’impression d’être différent. Mon père me disait toujours “Fais comme les Français” ». Il commence à fumer et à boire. « C’était convivial ... ». Mais un beau jour, pour se « rapprocher d’une fille », il décide de suivre un cours d’impro. À la fin de l’histoire, il ne sortira pas À 24 ans, Chinois Marrant monte sur Paname, de canapé en canapé, ou dans un 6m². Un temps, il est même à la rue. Il fait ses armes dans un garage, avec ses « frères de galère », Kheiron, Kyan Khojandi et Novo, futurs créateurs de la série Bref. Puis, il rejoint la première promotion du Jamel Comedy Club. « C’est une idée de génie ! Jamel met en lumière des artistes qui vont passer leur vie à lui être reconnaissants : Fabrice Eboué, Thomas Ngijol (...). Il a changé le visage culturel français (…). » Bun Hay Mean passe du RSA à 2 000 € par mois. Bien trop vite. Il déchante. Il « pète les plombs », quitte la troupe, rompt avec sa copine, loue un appart en banlieue, et ne sort plus de chez lui. Quand ses indemnités chômage se terminent, il fait sa valise et file pour six mois en Asie. « J’étais en quête d’une partie de moi-même, je me suis rendu compte que je n’étais pas entier. J’ai été confronté à la misère, et me suis surtout rendu compte à quel point j’étais un faignant. J’ai appris la résilience, me suis intéressé au génocide et j’ai même appris la langue de mes parents. » De retour à Paris, il trouve son pote Kyan Khojandi en couverture de GQ. Il se met au travail, concocte un nouveau spectacle. En 2014, il lance Chinois Marrant : la légende de Bun Hay Mean. Un oneman-show tordant dans lequel il révèle pourquoi le Chinois est l’avenir de l’homme. Le bouche à oreille fonctionne à merveille, et il affiche systématique- Bun Hay Mean, Chinois Marrant Stand-up thérapie Lyrics + Photo ALEXANDRE-REZA KOKABI ment complet depuis trois ans. « J’aime partir d’idées préconçues pour les mettre à l’épreuve sur scène, explique-t-il. Je ne fais pas de politique, mais je suis un citoyen qui cherche un moyen de mieux vivre ensemble. Mon spectacle change tout le temps, car je parle de choses qui me font vibrer dans l’actualité : le 13 novembre, Nuit Debout, les sondages sur le viol... » La suite ? Il souhaite pousser l’interactivité avec le public à son paroxysme dans un spectacle Patate prévu pour février 2017. On devrait aussi le retrou- Comme un chef, il se joue des étiquettes et amène son public à se questionner sur la tolérance. Bun Hay Mean est un peu chinois, mais il est surtout très marrant. Portrait d’un Parisien bordelais sino-cambodgien qui n’a pas rigolé toute sa vie. ver dans deux films la même année. « Je sens que je suis passé dans une autre dimension. Mais il faut que je reste cool, ce n’est pas le moment de péter un câble. » Régulièrement, Bun Hay Mean se bouge pour son prochain. Durant le mouvement des intermittents, il montre son soutien en leur fournissant de temps à autre des repas. Il aide aussi, avec ses spectacles, des associations de maraude, de soutien aux autistes ou encore de personnes atteintes de psoriasis, une maladie inflammatoire chronique de la peau. Chinois Engagé. BIG UP Nadia Hathroubi-Safsaf La mémoire dans la peau Lyrics + Photo EROS SANA N adia Hathroubi-Safsaf pratique la plongée. Elle n’explore pas les profondeurs des océans, loin de là. À 39 ans, cette femme, qui rayonne d’une énergie débordante, a passé des années à s’immerger dans la complexité de notre société. Sa curiosité est presque insatiable. D’abord en tant que journaliste, elle a arpenté avec patience et passion le béton et l’asphalte qui encerclent les grands ensembles, les tragédies et les dynamiques qui frappent ou illuminent les habitants des quartiers populaires. Là où beaucoup se contentent de voir le résultat de politiques nationales qui se sont succédées sans succès dans les quartiers, Nadia voit au-delà. Elle perçoit l’importance des relations interpersonnelles, ainsi que le poids de l’histoire et de la mémoire. Dans son métier, comme journaliste ou comme rédactrice en chef, Nadia s’assure de raconter l’humanité des personnes, quelle que soit la situation dans laquelle elles se trouvent. Mais l’agenda médiatique est bien trop erratique, les articles de presse sont souvent trop courts et peu enclins aux narrations complexes. La littérature offre davantage de liberté. Depuis quelques années, elle investit ce champ avec avidité. La preuve, elle a déjà quatre œuvres à son actif. Sorti à l’époque où Sarkozy parlait « immigration choisie » contre « immigration subie », son premier essai Immigrations plurielles, témoignages singuliers redonne un visage à « ces immigrés dont on ne parle qu’à travers des chiffres et des préjugés ». En dix témoignages, ceux d’Anna, Maria, Lakhdar, Mona, Guido ou Fatéma, elle rend hommage à celles et ceux qui « ont choisi Nadia HathroubiSafsaf est rédactrice en chef au magazine Le Courrier de l’Atlas. Depuis quelques années, elle explore à travers la littérature la société française et particulièrement la mémoire de l’immigration. Avec son dernier ouvrage. Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants, elle révèle un fait peu connu : des résistants algériens et musulmans ont sauvé des juifs durant l’occupation nazie. la France et fait la France ». Le deuxième essai qu’écrit Nadia, 1983-2013 La longue marche pour l’égalité traite d’un sujet matriciel pour les quartiers populaires et ceux que l’on qualifie d’«issus de l’immigration » : les origines et les conséquences de ce que l’on appelle trop souvent La Marche des Beurs. Et puis, son troisième bouquin, La Seule Chose à briser, c’est le silence, est un ouvrage collectif qu’elle a dirigé et qui traite des violences faites aux femmes, en liant fiction et faits documentés. Enfin, pour son dernier livre Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants, Nadia a pris du temps. Dix ans de maturation. gration maghrébine, africaine, qui vit une situation inédite, car une partie de nos parents ne voulaient pas demeurer en France. Et nous devons nous ancrer quelque part. Pour cela nous devons connaître notre histoire, savoir qui on est pour être bien dans notre histoire. » Ce livre explore encore une fois un angle mort de notre société. C’est un sujet quasi-inconnu de l’histoire de France. Alors que le gouvernement de Vichy envoie des juifs à la déportation et à la mort, des musulmans, originaires d’Algérie, ont sauvé des juifs. Ainsi, Nadia évoque avec justesse la mémoire de l’immigration, la place des enfants issus de cette immigration et… le conflit israélo-palestinien. « À nos enfants, il faut raconter cette histoire, cette mémoire. Nous sommes des enfants issus de l’immi- Nadia tente à la fois d’explorer l’histoire coloniale, comme de remettre en partage la mémoire de la Shoah et de la lutte contre le nazisme. « Il est important que l’on parle des Justes [terme employé pour désigner ceux qui sont venus en aide à des personnes juives durant le second guerre mondiale] musulmans, des résistants algériens, des résistants tunisiens, des tirailleurs sénégalais. Tous ont contribué à sauver la France. Dire c’est remettre l’histoire en partage, en faire une histoire collective ». BIG UP Marvin Gofin Lucky star Lyrics RAPHÄL YEM Photo ALEXANDRE-REZA KOKABI A près avoir été sacré champion du monde de danse hip hop avec le groupe qu’il a créé, R.A.F Crew, la nouvelle égérie Mennen, a aussi dirigé Rihanna dans la campagne 2015 de Dior. Avant de partir une nouvelle fois en tournée avec Madonna en qualité de chorégraphe-danseur. Tout ça, pendant que ses films, I-Art et La Preuve par 4, continuent de récolter les prix dans de prestigieux festivals de courts-métrage. En quelques années, celui qui a monté la compagnie Enfants Prodiges vit une success story à la française, qui inspire toute une jeunesse en manque de héros. RIEN D’UN ARTISTE Marvin est né en 1989, d’un père guadeloupéen et d’une mère franco-espagnole. Il a grandi dans 30m² pour 4, dans le quartier de Montparnasse, avant d’emménager en famille, treize ans plus tard, à Gentilly (94). Ce qu’il voulait faire plus tard ? « Du foot, je crois… Mais ce qui était sûr, c’est que je ne voulais ni faire de la musique, ni de la danse », répond-il. En fait, pas comme ses parents, artistes eux-mêmes. Réaction typique, épidermique. Ils sont cependant ceux qui lui insuffleront la curiosité : « Mon inspiration première, c’est ma famille, ma tribu : voir à quel point ils sont engagés, ils ne lâchent pas depuis des années… Mes parents sont des puristes dans leur art. » Et surtout des références : son père est musicien dans des groupes de jazz, de jazz caribéen. Sa mère est danseuse, chorégraphe, metteure en scène, elle dessine, peint et sculpte. Le grand public loue surtout son travail en tant que première chorégraphe de la mythique compagnie Black-Blanc-Beur. Elle est aujourd’hui directrice de formation au Studio Harmonic et a traîné son fils dans quelques stages qu’elle encadrait. « C’est très tard que je me suis rendu compte de ma passion pour la danse », avoue-t-il. Le déclic, ce n’est pas par ses parents, mais par un autre danseur, « Je suis un artiste, parce que je n’ai pas de limites ». Marvin Gofin est ainsi, pluridisciplinaire : danseur, chorégraphe, modèle, comédien, scénariste, réalisateur. Son travail est recommandé, et sollicité aux quatre coins de la planète. qui se baladait tout le temps avec un essaim de girls derrière lui : « Du coup, j’avais des étoiles dans les yeux quand je traînais avec lui ». Il se souvient : « C’est ce gars qui m’a poussé à danser dans un cours de Hip Hop Street Jazz, où il n’y avait que des nanas. Je me rappelle : je me suis mis dans le fond, et on me disait : “Lève ton bras droit”, je levais mon bras gauche. À 5, je partais à 7 : manque de coordination totale ! Mais après cet été-là, je me suis mis à danser partout : à l’école, dans le bus, dans les boutiques, chez moi… Quand mes potes footeux venaient chez moi, je jetais leur ballon, j’appuyais sur Play et je les mettais à la danse. J’ai pas lâché pendant trois ans ». Résultat, l’ado qui rejetait en bloc le monde artistique se révèle être un prodige du mouvement, métissant les danses et les univers, et gravit vite les échelons. Il dévalise ces fameux battles partout dans le monde, une tournée est produite par l’institution Chaillot, il produit et poste des vidéos qui dérèglent les compteurs de vues, il est repéré par la superstar mondiale Madonna, qui lui apportera son soutien, tout comme le légendaire producteur Dr Dre. « Pour moi, le but d’une vie, c’est de partager des émotions », aime répéter Marvin, qui a pris l’habitude, à chaque nouvelle aventure, de demander quelques minutes de solitude avant de se mettre à la tâche. Non pas pour faire sa star – « Je ne m’autorise pas à me la raconter. Parce que l’éducation que j’ai eue me l’empêchera toujours » – mais pour profiter… du sublime de l’instant. Se rappeler d’où il vient, rendre fière sa tribu, faire rimer pluralité et humanité, et se dire, tel un gamin qu’il a envie de rester : « C’est quand même dingue ce que je vis ». BIG UP Aya Cissoko D’un ring à l’autre Lyrics KHADIJA TIGHANIMINE Photo NNOMAN A ya a choisi la boxe un peu par hasard. A huit ans et demi il fallait trouver une activité extra-scolaire. C’est en arrivant dans le quartier de Ménilmontant que le choix est à faire. La maman d’Aya prévient alors son professeur : « tout sauf de la boxe ». Le ton est donné, mais c’est le moment pour Aya de commencer à s’opposer à sa mère. Aya ressent alors le besoin de faire son propre choix. « Après la disparition de mon père, c’était vital pour moi de décider seule de ce que je voulais, j’avais envie de m’affirmer, de respirer.» Bien que son choix ne paraisse pas évident à l’époque et malgré la difficulté des combats de boxe, Aya veut aller jusqu’au bout parce que c’est son tempérament, tout simplement. Elle évolue à son rythme et devient championne du monde de boxe française à deux reprises. Son chemin est tracé malgré les réticences de sa mère. Rien ne l’arrêtera jusqu’à ce que le sort en décide autrement… UN PROFIL TROP ATYPIQUE POUR SCIENCES PO Après sa blessure en 2006 qui ne lui permet plus de boxer, Aya décide de retourner sur les bancs de l’école. C’est à Sciences Po qu’elle choisit d’aller étudier, à l’âge de 29 ans, en tant que sportive de haut niveau. Une fois admise, elle s’aperçoit, à son grand désarroi, que l’école est en fait une fabrique à élites formatées. « Ce sont des buvards », contrairement à elle qui est déjà conscientisée et a développé, avec son expérience, un certain sens critique. La boxeuse est déçue, mais ne perd pas de vue son objectif : réussir. Et c’est l’écriture de son premier livre, Danbé, Aya Cissoko arrive élégante, la silhouette élancée. On ne supposerait pas comme ça qu’elle a été championne de France de boxe amateur, tant son visage est intact et resplendissant. On s’installe à une table, elle nous parle de ses combats, de Sciences Po, de son sens critique et de sa mère, cette féministe sans le savoir qui est le personnage principal de son deuxième roman, N'ba (chez Calmann-Lévy). qui va plus que jamais aiguiser sa plume et son regard sur sa propre histoire. N’ba est la mère d’Aya mais c’est aussi le titre de son second livre qui vient de paraître, celui « de la maturité ». C’est avant tout le besoin de raconter ces parcours de femmes qui ont un destin français parce qu’elles suivent un mari, « des femmes dont on ne parle pas ». Des femmes dont Aya veut réhabiliter l’image, car « ce sont des féministes qui s’ignorent, des féministes avant l’heure ! » N’ba est une femme avant-gardiste qui a dû travailler pour assumer son foyer et ses enfants, seule. Un choix qu’elle a dû imposer aux membres de son clan, elle l’aînée du groupe, en tenant tête aux anciens, en refusant notamment de rentrer au Mali après le décès de son époux. N’ba est une femme réaliste, qui sait combien le devoir de rester en France est important, car si son défunt mari avait pris le risque de tout quitter pour s’y installer, elle se doit de lui faire honneur et de parachever ce qu’il a commencé à construire. En assumant une telle responsabilité, N’ba inversait les rôles. « Sa vie est une réussite sociale ! Elle a dépassé son rôle de femme au foyer », souligne Aya et cela dans les années 1980… Un parcours inédit et inconnu que notre boxeuse a voulu raconter aussi bien en français qu’en bambara, un véritable choix éditorial qui n’a pas été facile à imposer. N’ba a un rôle de transmission auprès des jeunes qu’Aya rencontre régulièrement dans les collèges et lycées. Afin qu’ils puissent s’inscrire dans une histoire, celle de leurs parents, pour qu’ils s’en emparent et s’en enrichissent. « Ils ont le sentiment de faire partie des dominés, alors que leurs parents sont des héros. Je leur dis qu’ils doivent changer la manière dont ils lisent l’histoire ! » Si Aya interpelle les jeunes sur le mérite de leurs parents, de leur parcours héroïque, c’est parce que ces-derniers ne se racontent pas. Par honte. Par pudeur. Or, Aya défend l’idée qu’il faut sortir de sa zone de confort : « les gens sont paresseux, ils veulent des résultats, sans prendre le moindre risque. J’écris pour que l’on ait une autre grille de lecture. » Aya se bat toujours aujourd’hui, mais sur un tout autre ring : elle mène combat un contre l’ignorance. AILLEURS Saul Williams « Acting, rapping, dancing », devise d’un artiste hors normes Créativité, réflexion : tels sont les deux traits qui nous apparaissent lorsqu’on rencontre Saul Williams. Ni dispersé, ni bridé, il est la juste représentation d’un artiste à la fois constant dans ses engagements et sans cesse à la recherche de nouveaux horizons. Lyrics ALYA KHABTHANI Photo CAMILLE MILLERAND N é à Newburgh dans la banlieue new-yorkaise, il est confronté très jeune à ce qui deviendra l’essence de sa carrière. Son père l’initie au chant et au théâtre, sa mère le sensibilise très jeune à la « question de la police ». Dès l’âge de 7 ans, il se mettra à chanter à l’église aux côtés de son père et à faire ses premiers spectacles. Tout s’enchaînera alors : découverte de la « hip-hop culture », et en particulier du breakdance. Cela déclenche chez lui « la vocation de devenir acteur », qui se concrétisera avec le film Slam, de Marc Levin (1998,), où il tiendra le rôle principal. Williams nous fait comprendre que la créativité ne peut se développer que dans l’univers familial. Ce qui l’a aidé, c’est le fait de grandir « dans une ville qui ressent le créatif », mais aussi d’être parti en voyage d’échange au Brésil à l’âge de 16 ans. Il dit toucher alors « une réalité complètement différente de celle d’un Américain ». Le séjour se déroule pendant une grève d’instituteurs, ce qui lui permettra de voyager, mais aussi de se confronter au préjugé du « riche puisque Américain ». En intégrant toutes ces réalités, il s’est ouvert à différents styles musicaux bien au-delà du hip hop, comme par exemple le punk, et a fini par composer son premier scénario « hip-hop opéra ». Toujours dans une démarche hip-hop, il va poursuivre des études de théâtre à l’Université et surtout s’initier au slam dans des soirées open mic. Son but est de rendre accessible la musique à chacun : pour donner une histoire au hip hop, « on doit passer par la simplicité », en sachant que le hip hop est teinté, à l’origine, « d’underground », censé refléter le milieu défavorisé, les quartiers, la communauté noire. À travers cela, ce qui était l’œuvre d’une minorité devient alors une fierté, et a rendu, notamment, la communauté noire assumée dans ce qu’elle est. Il parle d’une sorte d’opposition sociale avec le hip hop produit par certains artistes, tels que Drake ou Kanye West, avec « une image liée au capitalisme » aux grandes marques de couture, ce qui aurait été antinomique aux débuts du mouvement musical. Sur les jeunes, les violences policières, voire les élections américaines, Saul Williams est clair : ce qui se déroule sous nos yeux correspond simplement à un rejet du système et de l’ordre établi tel qu’il est aujourd’hui, dénoncé avec tout l’appui des réseaux sociaux. Il relève un « lien entre la démocratie et les connexions technologiques ». Sans mâcher ses mots, il dénonce la part de responsabilité de l’État dans le climat après les attentats, qu’il accuse d’« utiliser la peur » et d’« effrayer la population ». Il parle aussi d’une volonté de rupture de la part de la communauté afro-américaine envers « l’oligarchie Bush/Clinton/Obama » d’où un récent positionnement pour Bernie Sanders [candidat opposant à Hillary Clinton à la primaire démocrate, situé plus à gauche sur l’échiquier politique]. Il admet cependant qu’il est « nécessaire de vivre avec son temps » et que l’univers médiatique et artistique est marqué de « dynamiques et de cycles ». Malgré un manque de progression dans le fond musical, il retient une évolution sur le style et l’image plus que sur le texte, en parlant d’« une ère de l’art visuel ». Dans son nouvel album Martyr Loser King, sorti il y a quelques mois, il poursuit sa démarche musicale avec, surtout, une volonté de transmission. Le slam permet une montée en culture, estimant qu’il est primordial pour la jeunesse de créer, de lire, de publier : le projet est la culture, et son album le reflète à la perfection. A écouter absolument. BIG RIDE VIOLENCES POLICIÈRES, ÉTAT DES LIEUX Lyrics THOMAS HUET Photo JEAN-MICHEL SICOT + NNOMAN E n ce printemps 2016, on n’a jamais autant parlé de violences policières. Les manifestations anti « loi Travail » et celles de Nuit Debout ont donné lieu à des confrontations violentes entre forces de l’ordre et opposants. Des images qui ont souvent fait la une des médias et inondé les réseaux sociaux. Longtemps, seuls les habitants des quartiers populaires étaient touchés par ce fléau. Depuis quelques temps, la donne a changé : tout le monde est concerné, ouvriers en tête, mais aussi toutes celles et ceux qui s’opposent à l’Etat. On se souvient de la mort de Rémi Fraisse, militant « zadiste » de 21 ans tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, après avoir été atteint par une grenade offensive lancée par un gendarme. Plus récemment, les violences commises à l’égard des réfugiés en plein Paris, ou dans d’autres grandes villes de France, à Calais ou ailleurs. 46 BIG RIDE le monde savait : un homme perçu comme « Noir » par la police a onze fois plus de « chance » de se faire contrôler qu’un « Blanc ». Celui perçu comme « Arabe », a été sept fois plus contrôlé qu’un « Blanc ». Les mots « manquements », « dérapages », « bavures » sont souvent utilisés pour évoquer ces violences policières. Ne pas mettre les bons mots sur l’innommable, c’est avant tout ne pas reconnaître la réalité. Parfois, la police n’a pas besoin d’armes pour tuer. Comme le prouve le cas d’Ali Ziri, ce retraité de 69 ans décédé dans un commissariat à Argenteuil (95), à cause de la technique dite du « pliage », pourtant interdite. Ou celui de Lamine Dieng. Dans ces pages, sa sœur, Ramata témoigne de la disparition de son frère. En 2007, après une interpellation musclée, il meurt asphyxié par cinq policiers qui le maintiennent face contre terre. Toutes les ONG de défense des droits de l’Homme ou les collectifs de victimes de violences policières comme « Vies volées » ou « Urgence : notre police assassine » demandent depuis longtemps à l’Etat français d’abandonner l’usage du Flash-Ball, du Taser, et de la technique du pliage. Pour l’instant, en vain. Souvent, ces familles issues des quartiers populaires peinent à faire entendre leur colère. Des évacuations forcées, des coups de matraques… Tous ces ouvriers qui subissent les violences policières à chaque rassemblement. Etc., etc.. Pour ce qui semble assez nouveau pour certains, les classes populaires, particulièrement celles issues de l’immigration, en pâtissent depuis fort longtemps. Ça ne fait aucun doute. Et ce n’est pas Fumigène qui l’affirme. Ce sont des organisations internationales reconnues, telles Amnesty international, ou des instances européennes comme la Cour européenne des droits de l’Homme. L’Acat (Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) dresse un état des lieux alarmant des violences policières dans un rapport rendu public en 2016 : L’ordre et la force. Enquête sur l’usage de la force par les représentants de la loi en France. Elle y déplore « l’opacité profonde et le manque de transparence flagrant à tous les niveaux des services de police et gendarmerie » quant aux violences de leurs forces. Puisque les services de police détournent le regard de leurs actes, les chercheurs et les collectifs de victimes font le décompte. L’historien Maurice Rajsfus a ainsi dénombré 196 homicides entre 1977 et 2001 dans son ouvrage La police et la peine de mort paru 48 en 2002. Durant cette période, il montre que la moyenne annuelle des homicides est en constante augmentation : 6 morts par an entre 1977 et 1987, 8 morts par an entre 1987 et 1997, 10 morts par an entre 1997 et 2001. L’Acat constate que cette moyenne progresse toujours. D’après elle, entre 2005 et 2015, les opérations de police ou de gendarmerie ont provoqué « un décès par mois ». Ces chiffres tragiques sont sans appel. Plus encore, lorsque le rapport en vient à montrer que les « minorités visibles constituent les catégories surreprésentées parmi les victimes de violences policières ». Le grand public est généralement moins sensible aux violences commises à l’encontre des habitants des quartiers populaires. Les hommes ou les femmes politiques français sont souvent dans le déni. Ils sont très peu à s’indigner publiquement quand un habitant des quartiers meure sous les coups de la police. Des habitants qui portent leur culpabilité sur leurs visages… En 2009, le sociologue Fabien Jobard, a mené une enquête sur les contrôles d’identité, dans le quartier des Halles à Paris. Ses conclusions confirment ce que tout À défaut de changer de cibles, les violences policières changent de forme au fil du temps. Alors qu’à une époque, le huis-clos de la garde à vue permettait tous les abus, « les violences policières semblent plutôt aujourd’hui se perpétrer davantage dans l’espace public », comme le souligne le rapport de l’Acat. Cela nous ramène à la problématique connue du rapport des journalistes aux quartiers populaires. Peu d’entre eux en sont issus. La distance sociale et géographique des médias avec les banlieues creuse aussi la distance médiatique. Les proches des disparus sous les coups des forces de l’ordre déplorent systématiquement le peu d’entrain des journalistes des grands médias à couvrir ces drames. Sont-ils plus suspects parce qu’issus de quartiers populaires ? Elles évoluent également à mesure que l’équipement des policiers se diversifie. En 1995, Claude Guéant, alors Directeur général de la police nationale équipe ses troupes avec le Flash-Ball. Toujours selon l’Acat, cette arme a provoqué depuis 2005 au moins un mort et en a blessé gravement trente-neuf autres. Les récentes violences policières commises à l’encontre des manifestants anti-loi travail et de ceux de Nuit Debout pourraient faire naître un nouveau front de résistance. Habitants des quartiers populaires, ouvriers, classes moyennes, toutes celles et tous ceux, qui remettent en cause l’impunité policière pourraient s’unir enfin. Le rapport note également que son usage a connu une « augmentation exponentielle » au cours des révoltes sociales de 2005, parties de Clichy-sous-Bois, prouvant une nouvelle fois que les quartiers populaires sont le théâtre privilégié de son utilisation. Tous unis donc pour que cessent les violences policières qui minent un peu plus une confiance déjà très égratignée de la population envers une institution : la police, censée pourtant, protéger l’ensemble des citoyens de ce pays. 49 BIG RIDE ils étaient face à King-Kong…Lamine était grand et carré, mais tout de même, ils étaient huit contre lui. C’est ridicule…», témoigne Ramata. C Par amour de son frère Aujourd’hui, Lamine Dieng aurait eu 35 ans. On l’imagine bien dans les rues de Paname sur sa moto en sortant de son travail. Un boulot dans l’événementiel, lui quiavait commencé une formation dans ce sens. Lyrics THOMAS HUET Photo JEAN-MICHEL SICOT + EROS SANA 50 ette vie de trentenaire parisien, Ramata Dieng, la grande sœur de Lamine ne peut que l’imaginer. Car cette vie lui a été volée il y a sept ans par huit policiers. Ceux-là, libres, continuent à aller chercher leurs enfants après le travail. Lorsqu’elle imagine la vie de ces fonctionnaires et celle de son frère, volée par ces derniers, les pensées de Ramata se noient dans les larmes qui perlent sur ses joues. Allongé sur le ventre, le bras droit de Lamine est ramené derrière son épaule puis menotté à son bras gauche replié dans le dos. Pendant ce temps, deux fonctionnaires lui plient les jambes sur son fessier. Après avoir été sanglé dans cette position de supplicié, Lamine est traîné dans le camion de police qui deviendra vingt longues minutes plus tard son sarcophage. Il expire, asphyxié par le poids de 5 policiers l’ayant placé dans cette position de « pliage » à laquelle même le plus souple des contorsionnistes n’aurait pas survécu. Neuf ans plus tard, Ramata et le reste de sa famille restent inconsolables. La vie de Lamine s’est terminée dans un fourgon de police autour de 4h du matin, le 17 juin 2007. Cette nuit là, la police est appelée pour un tapage nocturne dans un hôtel du 20e arrondissement de Paris, le quartier où vit Lamine depuis sa naissance. Ils interpellent le jeune homme qu’ils trouvent à terre devant l’hôtel. «D’après les policiers placés sous le statut de témoins assistés durant l’instruction, Lamine était incontrôlable et ils ont eu peur de lui. À les écouter, Jusqu’à cette nuit de juin 2007, Ramata, la plus âgée des sept frères et sœurs de la famille Dieng était « dans sa petite bulle » comme elle le décrit. Sa carrière de webmaster occupait tout son esprit. Ce drame a marqué pour Ramata et sa famille le début d’une autre vie, une vie de lutte : « Je suis devenue une lutteuse. C’est une part de moi-même que j’ignorais. » Dès leur visite dans les locaux de la police des polices, puis à l’institut médico-légal pour voir une dernière fois son frère, les versions incohérentes des policiers puis les traces de coups remarqués 51 BIG RIDE sur le visage de Lamine persuadent la famille soudée : il faut porter plainte pour en savoir plus. La famille Dieng n’est pourtant pas familière des procédures judiciaires. Elle ressemble à beaucoup de familles habitant les quartiers populaires. Les parents, arrivés du Sénégal dans les années 1970 font partie de cette France qui se lève très tôt pour faire le ménage dans les hôpitaux pour la maman, et dans les trains SNCF pour le papa. Les deux se démènent pour faire vivre leur famille. Comme beaucoup d’aînées, Ramata occupe dès le plus jeune âge un rôle primordial dans la fratrie. Les parents comptent sur elle pour aider les plus petits à l’école, à lire et à parler une langue qu’ils maîtrisent mal. Naturellement, c’est elle aussi qui prend les rênes de la lutte pour faire reconnaître Lamine en tant que victime de violences policières disproportionnées et illégales. Comme elle le constate : « dans toutes les familles de victimes de violences policières, un membre endosse le rôle de locomotive pour tirer le reste de la famille, travailler sur le dossier judiciaire, être le référent des avocats, organiser les actions militantes ... ». Depuis que son frère est mort, hormis son travail de gestionnaire en assurance, «plus rien d’autre n’existe » pour Ramata. Déterminée, elle l’est. Forte aussi. Mais ses dernières forces s’effon52 drent lorsqu’elle apprend la décision des juges. En juin 2014, le juge d’instruction classe l’affaire en ordonnant un « non lieu » : il n’y aura donc pas de procès, « indispensable pour faire le deuil », répète Ramata. « Ma mère croyait encore en la justice de son pays d’adoption », déplore-t-elle. Dès la fin de l’année 2007 pourtant, une expertise médicale ordonnée par le juge d’instruction reconnaît que « la position dans laquelle a été maintenue Lamine est à l’origine de la mort ». En 2010, un autre rapport de la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité, rattachée aujourd’hui au Défenseur des droits) dénonce le caractère illégal et abusif de la technique de « pliage » exercée sur Lamine par les policiers. Ramata et sa famille ont toute confiance en la justice à ce moment-là. Cette confiance s’effrite aux rythmes des humiliations comme cette reconstitution de la scène du crime organisée… dans le bureau du juge d’instruction. Des chaises font office de véhicules et de fourgon de police. « Ce jour-là, nous avons eu affaire à des policiers bourrés d’arrogance, comme s’ils savaient qu’ils allaient être blanchis », se souvient Ramata. Les policiers avaient vu juste… Au final, l’affaire repose essentiellement sur les témoignages des huit policiers, comme l’atteste l’ordonnance que nous avons pu consulter. Les années ont passé, la soif de justice ne s’est pas éteinte pour autant. « Après le non-lieu, nous avons fait appel. En vain. Aujourd’hui, nous attendons la décision de la Cour de Cassation. S’il le faut, nous irons devant le Cour européenne des droits de l’homme», explique la jeune femme. «Mais je vous promets que nous ne lâcherons pas », jure Ramata. 53 BIG RIDE Du MIB au DIP-Social-Klub « Le policier est condamné seulement s’il est lâché par ses syndicats ». Lyrics ARNAUD BAUR Photo JULIEN PITINOME par la police de Vichy, le massacre du 17 octobre 1961, le drame de Charonne, les ratonnades de l’été 1973 à Marseille avec plus de 50 morts... etc. Je suis choqué qu’on frappe sur des lycéens ou des manifestants, le peuple a le droit de se révolter, mais qui mieux que nous, dans les quartiers populaires, peut comprendre les violences qu’ils subissent aujourd’hui ? Car nous, la violence, les contrôles abusifs, les matraques, le Flash-Ball, on les subit et on les vit depuis toujours. Ça détruit des familles et criminalise des quartiers entiers. Ne pas oublier que derrière les violences policières, il y a un système et une volonté politiques. Y a t-il des raisons d’espérer quant à la lutte contre les violences policières ? Il faut rester optimiste, parce qu’on obtient des victoires politiques. Aujourd’hui, on arrive à montrer que la police peut mentir, et ce qu’elle est capable de faire. Et puis, d’autres ont repris le relais, comme au Petit Bard, à Montpellier, où des militants font de l’éducation populaire, du soutien scolaire, du relogement. Si on n’espérait pas, on aurait arrêté de militer. Que faudrait-il faire selon vous pour en finir avec les violences policières ? Nous n’en finirons jamais. Mais si nous voulons changer la donne, et c’est moi Samir, qui vous le dis, bien Qu’est-ce que le Mouvement Immigration Banlieue (MIB) ? Elyes Samir Baaloudj. Le MIB a été fondé en 1984. Il prônait l’auto-organisation dans les quartiers afin de porter nous-mêmes nos problématiques. Sa particularité a été de se pencher sur les violences policières. Des violences qui ont existé de tout temps. Le but de ce mouvement était de rendre visible la version des familles trop souvent occultée, afin que les enquêtes judiciaires ne soient pas étouffées. Au-delà des violences policières, le MIB a permis de se prendre en main et c’est dommage qu’il n’existe plus aujourd’hui. Quelles sont les affaires emblématiques récentes en matière de violences policières ? Lamine Dieng, mort d’une crise cardiaque dans un fourgon de police à Paris en 2007. Abdoulaye Camara, touché mortellement par 10 balles (sur 24 tirées par la police) au Havre en 2014. Hakim Ajimi, en 2008 à Grasse, mort asphyxié lors de son interpellation par la BAC… Et je pourrai continuer cette macabre liste. Mais parlons de celles où il y a eu des « victoires politiques ». Comme celle de Youcef Khaïf, tué d’une balle dans la tête en 1991 à Mantes-La-Jolie par le policier Pascal Hiblot, qui a été acquitté par la justice, malgré le fait qu’il n’a pas agi en état de légitime défense. C’est toujours la même méthode. On sort un communiqué de la préfecture de police criminalisant au maximum la victime. Il est repris en masse par les médias dominants. Et si les militants et la famille ne se battent pas, l’affaire est vite étouffée. La victoire politique après dix ans de lutte a été de voir que les grands médias ont titré : « Un coupable acquitté ». Plus récemment, même exemple avec l’affaire 54 d’Amine Bentounsi, tué d’une balle dans le dos en 2012, à Noisy-le-Sec. Le policier, responsable de sa mort à été acquitté aux assises, mais la police a été humiliée, grâce au formidable travail du collectif Urgence Notre Police Assassine, et notamment de la sœur de la victime, Amal Bentounsi. Pourtant, on a l’impression de découvrir les violences policières avec les manifestations récentes de lycéens ou avec Nuit Debout… Effectivement. Ce qui me choque, c’est que les gens s’aperçoivent maintenant de cette violence. On connaît l’histoire de la police française. On sait leurs méthodes et de quoi elle est capable. Ces milliers de Juifs déportés Avez-vous des exemples de policiers condamnés par la justice ? Oui. Il y en a eu deux. Makomé, tué à Paris en 1996 par Pascal Compain, alors qu’il était attaché. Compain a pris huit ans de prison. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que si les syndicats n’avaient pas lâché ce policier, il aurait pu être acquitté. Même chose avec le cas Fabrice Fernandez, abattu menotté par l’îlotier Jean Carvalho d’un tir de fusil à pompe ; il a pris douze ans ferme. Les syndicats l’ont lâché parce que Carvalho était un ripou. En fait, peu importe le juge, le jury, ce sont les syndicats qui décident : c’est eux qui ont le pouvoir. que le MIB nous ait toujours appris à nous organiser politiquement et non pas par la violence, je pense qu’on n’a pas le choix et qu’il faudrait recommencer les révoltes sociales de 2005 en convergence avec celles d’aujourd’hui. Pour que cesse l’impunité policière. Un optimisme assez sombre... J’aurais aimé vous dire autre chose. Désolé, mais, après vingt-deux ans de lutte, je n’ai pas d’autre choix que de vous répondre que sans la révolte, on ne pourra jamais avoir une nouvelle police, respectueuse des droits de chacun. On peut aussi faire en sorte que les policiers soient formés autrement. Qu’il y ait enfin des remises en question... 55 BIG RIDE Bénédicte Desforges Parole de flic Bénédicte Desforges est une ex-flic. Agent dans une unité anticrim à Gennevilliers (92), puis lieutenant de police dans le 18e arrondissement parisien, elle est l’auteure de : Flic, et de Police mon amour (le premier a été adapté en BD et tous deux sont désormais dispos en poche aux éditions J’ai lu). Elle tient aussi un blog, à la fois profond et jubilatoire : http://police.etc.overblog.net. De sa grosse expérience sur le terrain, elle a gardé l’habitude d’aller droit au but. Tu ajoutes à ça son esprit critique, et tu comprends pourquoi Fumigène a absolument voulu la rencontrer. Lyrics PEGGY DERDER Photo CAMILLE MILLERAND Entre police et population, la rupture est-elle désormais définitive ? Les Français aiment à détester leur police. Cela a toujours été plus ou moins le cas. Il n’y a pas un jour où perso, je ne suis pas confrontée à une discussion sur la détestation de la police. Je pourrais y passer mes 56 Mais on s’en éloigne, car la police se résume de plus en plus au maintien de l’ordre pour être de moins en moins un service public de proximité. journées ! Mais il y a plusieurs facteurs qui creusent le fossé. Aujourd’hui on « envoie » la police. C’est une police d’intervention. Ce n’est plus une police de présence. Avec des policiers qui connaissent parfaitement leur secteur et les habitants, et peuvent ainsi répondre efficacement aux problèmes. Et puis, les mots sont importants. Moi, je préfère le terme « agent de police » : responsable de la paix, de la sécurité de la population ; pour cela il peut prévenir et il peut recourir à la force. Aujourd’hui, l’usage du terme « gardien de la paix » a quasiment disparu au profit de « force de l’ordre » ou « force de sécurité ». La force incite au bras de fer, à l’affrontement, et le mot sécurité induit mécaniquement une crainte de l’insécurité, qui suinte la peur et la violence. Or, la police, c’est étymologiquement l’art de gouverner la cité. Donc, la police c’est par définition la proximité. grossissant. Les études ne sont généralement pas assez fiables ou représentatives pour mesurer réellement et scientifiquement ces violences. Si les violences policières augmentent en ce moment, c’est à la fois parce qu’elles sont proportionnelles au nombre de manifs, d’incidents et d’événements de plus en plus nombreux, et parce que les ordres reçus par les flics sont toujours plus contradictoires. De plus, il y a un vrai problème d’armement : il faut impérativement interdire le flashball, très dangereux parce que souvent inapproprié au contexte. Mais n’est-ce pas aussi parce que la « sécurité » est devenue un thème politique de premier plan, un argument électoral ? Oui ! D’ailleurs on le voit actuellement avec la prolongation de l’état d’urgence pour d’autres objectifs que le but premier de lutte contre le terrorisme. Et puis, il y a un avant et un après Sarko. La politique du chiffre a engendré une pression très codifiée sur le travail quotidien des policiers. Le flic doit intervenir, on ne lui demande pas de faire du terrain, de la surveillance, du recueil d’infos, il n’en a plus le temps. C’est du maintien de l’ordre. Cette course aux résultats est absurde. S’il doit y avoir une politique du chiffre, elle doit porter sur les moyens et sur des primes pour les quartiers difficiles où sont affectés des jeunes qui sortent de l’école et qui touchent la même chose qu’un agent dans un quartier plus tranquille. En zone sensible, la moyenne d’âge des brigades est de 2223 ans, et ça a forcément une influence sur leur travail et le rapport aux habitants. Mais vous ne croyez pas que l’impression de l’impunité policière renforce la haine de la police ? Justement vous parlez d’impression. Mais en fait le nombre de flics sanctionnés est très important. Cela va du blâme à la révocation. Mais on n’en parle pas, on oublie, ce n’est pas très médiatique. D’ailleurs, à propos de politique du chiffre, l’IGPN (NDLR : la police des polices) est soumise à la même pression, leur clientèle de délinquants étant faite de flics. Pour parler d’une affaire récente, le flic qui a violenté le lycéen devant le lycée Bergson à Paris sera sans doute sévèrement sanctionné. Les violences policières sont-elles en forte augmentation ? La police est la seule dépositaire de la violence d’État. Une fois qu’on a dit ça, souvent la réponse est simple, mais la question est en fait difficile. Si on se fie aux médias et aux réseaux sociaux, les violences policières sont omniprésentes. Mais on sait que c’est un miroir La réconciliation est-elle impossible ? Il n’y aucune initiative intéressante en ce sens. La rupture est entretenue. Il n’y pas de volonté que la police se rapproche de la population. Personne n’a d’intérêt à une réconciliation. Et il ne faut surtout pas prendre le risque que le flic, qui est un prolo comme un autre, passe éventuellement de l’autre côté de la barricade. 57 BIG RIDE pas: elle reçoit entre trois et dix signalements par jour pour des fautes présumées ; tantôt saisie par les autorités administratives ou judiciaires, tantôt par des citoyens. Une formalité sur le papier – en trois clics via Internet – de saisir l’IGPN, alors que dans la réalité, il en est tout autrement comme l’explique Aline Daillère, auteure du rapport de l’Acat : « Moins de 1 % des plaintes déposées sont examinées. Pour se justifier, l’IGPN explique que très souvent les saisines ne sont pas de son ressort, mais franchement, je m’interroge. Est-ce un manque cruel de personnel pour traiter les demandes ? Une volonté politique ? » Police des polices : en progrès mais peut (beaucoup) mieux faire En 10 ans, la police a blessé gravement ou tué 89 citoyens. Seulement 6 policiers ont été condamnés à la suite d’enquêtes souvent menées par la seule Inspection générale de la police nationale, la police des polices. Lyrics DELPHINE THEBAULT Photo JULIEN PITINOME + NNOMAN I l paraît qu’ils cuisinent leurs suspects comme on prépare un bœuf-carottes, d’où leur surnom… Longuement, à feu doux, en les laissant baigner dans leur jus avant finalement de les faire passer aux aveux. À leur tableau de chasse, on retrouve beau58 coup de policiers ripoux épinglés pour des faits de corruption, mais pas seulement. La police des polices traque aussi les incompétences, bavures et violences des flics. Et sur ce dernier volet, L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ne chôme La question se pose d’autant plus que l’IGPN est composée de policiers qui enquêtent sur d’autres policiers. Des collègues… On lui reproche donc souvent sa partialité. Le dernier rapport d’Amnesty International publié sur le sujet en 2009 évoque le cas de Pierre qui a perdu l’usage de son œil après un tir de Flash-Ball. Il a le sentiment que l’enquête menée par l’IGPN a étrangement omis de donner des précisions décisives : on ne sait pas quelles armes ont été utilisées ce jour-là, ni combien de balles il restait dedans. Amal Bentounsi qui a perdu son frère, Amine, tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012, est plus nuancée: «dans notre affaire, l’IGPN a été d’une exemplarité sans faille. Ils ont interrogé le policier qui a tiré sur mon frère comme s’il était un citoyen lambda.» Côté chiffres, le bilan n’est pas clair. Dans le dernier rapport daté de 2014, que tout le monde peut consulter, on apprend que 68 enquêtes ont été ouvertes suite à un usage d’armes de service ou armes de force... Dans 40 % des cas, elles ont été classées. « C’est plutôt bien fait, on a l’impression d’être noyé sous les chiffres, on se sent informé, mais en réalité aucune analyse n’est possible », lâche Aline Daillère, responsable des programmes France à L’Acat. Avant de concéder un bon point : « il faut quand même dire que l’IGPN est la plus bavarde sur le sujet... Du côté du ministère de l’Intérieur par exemple, c’est black-out total ! » Et force est de constater que c’est vrai ; depuis quelques années maintenant, le mot d’ordre est : transparence. La patronne de l’IGPN, Marie-France Moneger Guyomarc’h (nommée par Manuel Valls en 2012), s’y attelle et se plaît à répéter aux médias cette petite formule : « quand on cherche on trouve plus que quand on ne cherche pas ». Elle joint a priori le geste à la parole puisqu’à son arrivée, un comité d’orientation du contrôle interne de la police nationale a été mis en place. Il s’agit de réunions organisées deux à trois fois par an, auxquelles sont conviés quelques acteurs de la société civile tels qu’un magistrat, un professeur des universités, un journaliste, etc. Reda Didi, délégué général du think-tank Graines de France, en a été. Pour lui, cela ne fait aucun doute, la volonté d’être plus transparent est bien là. A-t-il été écouté lors de ces réunions ? « Oui, j’ai pu m’exprimer sur les problématiques qui me tenaient à cœur, évoquer par exemple le délitement des relations police/citoyens, sans aucune barrière. » Les lignes bougent prudemment. Il y a quelques semaines, on apprenait la création d’un outil pour recenser les violences policières. Les associations semblaient bien accueillir la nouvelle, avec curiosité et impatience. La patronne des bœuf-carottes a très rapidement coupé court : « il s’agit d’une initiative désirée, mais balbutiante. Il n’y aura pas de rapport annuel public sur le sujet, c’est à la justice de dire si oui ou non la violence était légitime. » Sollicitée pour répondre à nos questions, elle n’a pas donné suite à notre demande. Affaire classée. 59 BIG RIDE « La violence de la police est produite par un système encadré, régulé » Mathieu Rigouste a 36 ans ans. Il est chercheur en sciences sociales. Nous l’avons interrogé sur les récentes violences commises par les forces de l’ordre. Lyrics ABDELKRIM BRANINE Photo JEAN-MICHEL SICOT + NNOMAN Les guerres coloniales menées par la France, selon vous, ont servi de laboratoire à une politique sécuritaire appliquée à l’échelle de la métropole. Quel est le cheminement d’un tel processus ? Toutes les sociétés impérialistes ont importé, depuis les colonies, leurs pratiques sécuritaires au sein des métropoles. Ces pratiques sont le fait de l’État, de l’armée, de la police et des colons. C’est en instaurant une terreur d’État que la France s’est imposée en Algérie, au Cameroun ou en Indochine. Et c’est dans ce « répertoire » que l’État a puisé pour restructurer son système policier afin de gérer plusieurs événements par la suite : en 1968, 1990, 2005, 2016, par exemple. Pour le journaliste et historien spécialiste de la police, Maurice Rajsfus, les violences policières contemporaines constituent le prolongement de certaines pratiques du régime de Vichy. Faites-vous également ce lien ? Bien sûr. Les personnes qui ont élaboré ces grilles idéologiques, ces doctrines sécuritaires, ont traversé les époques. Maurice Papon [condamné pour complicité de crime contre l’humanité concernant des actes commis quand il était secrétaire général de la 60 à balles réelles sur des ouvriers à l’occasion de manifestations massives, comme on le faisait, au même moment et à plusieurs reprises, sur des colonisés. Le fascisme est la continuité de la démocratie bourgeoise en temps de crise. Ce n’est pas son opposé. préfecture de Gironde entre 1942 et 1944] en est un bon exemple. Il a occupé des postes clés sous Vichy, puis lors des massacres du 17 octobre 1961 [préfet de police] alors que le Général de Gaulle était président de la République. Le régime de Vichy a inauguré le concept d’ennemi intérieur qu’on retrouve aujourd’hui dans la bouche de plusieurs politiques, au sein même du gouvernement. Vichy (avec le nazisme dans sa globalité) représente également un tournant historique en Europe, car il a appliqué à des Blancs certains protocoles expérimentés jusqu’ici seulement sur des esclaves et des colonisés. Tout récemment, Nuit Debout a donné lieu à de nombreuses violences policières à l’égard de militants, majoritairement composés de personnes issues de la classe moyenne. S’agit-il d’une pratique inédite pour la police ? Pas vraiment. Lorsque les risques de soulèvement deviennent sérieux, l’État va toujours puiser dans ses répertoires répressifs pour mater les concernés. Pour Nuit Debout, ils ont donc utilisé contre les classes moyennes et la petite bourgeoisie précarisée les méthodes expérimentées habituellement dans les quartiers populaires. À la fin du XIXe siècle, on faisait tirer Ce qu’on appelle «bavures » ou « dérapages » ne seraient donc pas des accidents, ils s’inscrivent dans une politique selon vous ? La violence de la police est produite par un système encadré, régulé. L’impunité des forces de l’ordre est répétitive. On retrouve toujours les mêmes éléments : les clés d’étranglement, des balles dans le dos, des tirs de Flash-Ball qui éborgnent… Lorsque l’on utilise les sciences sociales pour étudier ces méthodes, on se rend bien compte qu’il ne s’agit pas d’une forme accidentelle, mais bel et bien d’une industrie de la violence. Ce que nous voyons lors de Nuit Debout ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. La police tue en moyenne 10 à 15 personnes par an en France. Et les policiers, malgré leur impunité, réclament encore plus de protections et d’armements… Le terme de « bavure » masque le fait que nous avons affaire à un système et que l’on peut s’organiser collectivement pour faire cesser tout ça. 61 BIG RIDE Syndicats de flics tout puissant Des plateaux de télévision au cabinet des ministres de l’intérieur, voire premier ministre, les syndicats de police donnent souvent de la voix pour porter la parole et garantir les intérêts des représentants des forces de l’ordre. Pourquoi ce poids considérable dans la vie politico-médiatique ? Décryptage. Lyrics + Photo EROS SANA U nité SGP, Alliance, Synergie Officier, SCPNUNSA… Ils sont partout, omniprésents, presque dotés du don d’ubiquité, tant ils semblent envahir tous les studios de télévision, accaparer les micros des radios, ou truster les pages des journaux. Eux? ce sont les représentants des syndicats de fonctionnaires de police. A peine un policier est-il mêlé à une affaire, quelle que soit l’ampleur, et aussitôt apparaissent les syndicats de police pour donner « leur » version des faits. De manière quasi systématique, avant même que ne se prononce le ministère de l’Intérieur ou les représentants de la magistrature quand des policiers sont impliqués dans une procédure judiciaire, ce sont les syndicalistes que l’on entend, ce sont eux qui donnent le la aux médias, eux qui, toujours défendent les policiers. Qu’il s’agisse du jugement des policiers liés à la mort de Zyed et Bouna, du procès de Damien Saboundjian, à l’origine de la mort d’Amine Bentounsi (tué d’une balle dans le dos à Noisy-Le-Sec en 2012) ou des violences policières qui caractérisent la répression du mouvement contre « la loi travail », la plupart des syndicats de police ne se contentent pas de squatter les médias, on les retrouve dans chaque tribunal, 62 dans chaque procès où un policier est mis en cause. Ils usent de tout leur poids pour que ne soit jamais mise en cause la responsabilité des forces de l’ordre. Et souvent, avec succès. Leur poids est considérable. Aussi bien à « l’extérieur », qu’au sein même de leur profession. Les policiers présentent le plus haut taux de syndicalisation : près de trois policiers sur quatre sont syndiqués. Ce niveau de syndicalisation entraîne d’importants taux de participation aux votes : en 2014, 68 % des flics participaient aux élections professionnels au niveau national, dans certains départements ce taux flirte avec les 90 %. Ce taux de syndicalisation fait la force des syndicats de police qui se battent entre eux de manière féroce pour capter la plus grande partie des hommes en bleu. Ainsi entre les syndicats Alliance et Unité SGP, ce n’est plus ni moins que la guerre ; chacun accusant l’autre de ne pas défendre suffisamment les policiers et d’être trop « maqués » avec l’administration de la police. Car pour les syndicats de police, la principale source de pouvoir est fonction de la représentation syndicale ; chaque syndicat siègeant au sein des commissions paritaires avec les représentants de l’état. Ces commissions décident des affectations, de l’avancement, des décisions disciplinaires, des salaires… Les syndicats de police ont un tel pouvoir sur le corps de la police que l’on parle de cogestion entre l’administration et eux. « Tu vois, quand un flic est dans la police, qu’il soit gradé ou pas, s’il veut assurer son avancement, ou s’il a été muté de sa province vers une grande ville et qu’il veut retourner chez lui, il doit se syndiquer. Pas de syndicat, presque aucune chance d’avancement, de retour dans sa ville natale », annonce tranquillement un policier qui préfère préserver l’anonymat. Comme le dit le sociologue Jean-Louis Loubet del Bayle, « L’adhésion à un syndicat policier est souvent liée à des considérations consuméristes ». A ce consumérisme, les syndicats répondent par le clientélisme, qui renforce leur pouvoir et leur attractivité et vice-versa. Mais il n’y a pas que des questions consuméristes qui motivent les policiers à adhérer à tel ou tel syndicat. « La police est un corps extrêmement hiérarchisé et disparate quant aux considérations sociales d’un commissaire de police ou d’un gardien de la paix », poursuit le fonctionnaire anonyme. En plus de ces considérations de grade, viennent s’ajouter des considérations politiques. Même au sein des syndicats les équilibres droite, extrême-droite, gauche et extrême-gauche jouent un rôle non négligeable. Pour preuve deux éléments probants. D’un côté, rappelons que les deux syndicats clairement classés à gauche, Sud-Intérieur et la CGT-police, sont très minoritaires parmi les policiers ; de l’autre, il faut garder en mémoire que lors de la manifestation des policiers « contre la haine des flic, du 18 mai, Eric Ciotti du parti Les Républicains, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, du Rassemblement Bleu Marine et du Front National, ont été accueillis par les policiers à coups de grands sourires et de selfies. Trop souvent, le bleu de l’uniforme prend des têtes de brun. 63 BIG RIDE Vous êtes de la police ? Être journaliste peut mener parfois sur le terrain à être confondu avec ces messieurs-dames de la maréchaussée. Or, bien souvent le plumitif doit se positionner pour ou contre. Raconter sans endosser, voire contester tout restant neutre. Remuons la plume dans l’encrier pour faire le point. Lyrics WILLY LE DEVIN Photo JEAN-MICHEL SICOT + NNOMAN «H ey, hey, vous êtes des keufs ? » Combien de fois les journalistes ont-ils entendu cette rengaine en reportage ? Cela tient-il simplement à l’accoutrement souvent négligé des plumitifs, où ya-t-il une collusion manifeste entre les médias et le pouvoir répressif ? Pour certains, nul besoin d’en débattre, journalistes, flics, même combat ! Au risque d’être manichéen et simpliste, n’en jetez plus… Toutefois, quand on y regarde de plus près, la réalité est, comme toujours, bien plus complexe. Les médias sont peuplés de pitbulls et de caniches. Les traitements éditoriaux des divers journaux doivent 64 donc se lire en premier lieu au degré d’inféodation consenti par chacun de ses ressortissants. À ceci près, tout de même, que traiter des questions de police et de sécurité est une rubrique « à part ». Ecrire sur la police, c’est accepter, endosser ou contester le pouvoir, le rôle, la responsabilité des autorités dans tel ou tel événement. Des événements qui comportent, la plupart du temps, une extrême gravité – mort de Malik Oussekine (Paris), d’Amine Bentounsi (Noisy-leSec), de Rémi Fraisse (Sivens), de Zyed et Bouna (Clichy-sous-Bois), de Moushin et Laramy (Villiers-le-Bel). Or, pour remettre en cause la version officielle, il faut du « biscuit » comme on dit dans le jargon, des preuves, et c’est là que les affaires se corsent. La police étant un pouvoir, elle a toute latitude d’orchestrer elle-même sa propre défense. Si le bruit des bottes suffit à éteindre une première vague de journa- listes peu perspicaces, la dissimulation voire le mensonge sont ensuite convoqués pour troubler les plus endurants. C’est là qu’être une institution omnipotente prend tout son sens : faire corps pour se dégager d’une situation embarrassante. Et éteindre de façon opportune les querelles de clochers les plus fratricides. Dans le dossier d’Amine Bentounsi, tué d’une balle dans le dos par le gardien de la paix Damien Saboundjian, un policier ayant participé à la course poursuite n’a pas hésité à mentir à l’IGPN pour couvrir son collègue prévenu. Cela s’appelle un faux témoignage, passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Pourtant, ledit collègue n’eut même pas le désagrément d’une simple sanction disciplinaire... D’enfumages en contre-feux, tous les coups sont permis. Et lorsque le politique s’en mêle, l’intox n’a aucune limite. On se souvient tous de la sortie de Nicolas Sarkozy expliquant que, selon ses remontées d’informations, la police n’était pour rien dans l’électrocution de Zyed et Bouna... Une déclaration grossière et erronée, qui fit pourtant l’ouverture des JT. On se rappelle également que Bernard Cazeneuve mit de longues heures avant de reconnaître que Rémi Fraisse avait été tué par une grenade offensive tirée par un gendarme. Au départ, donc, c’est souvent la seule version de la police qui fait les gros titres des médias. Les hiérarchies le savent : c’est à cet ins- tant, quand les familles sont abasourdies, en deuil, que les avocats de la défense s’organisent, que l’opinion publique est divisée, que l’instrumentalisation est la plus aisée. Il faut souvent attendre l’accès aux pièces de l’instruction pour que la version policière se trouve contredite, voire vilipendée par les médias. Malheureusement, des semaines ont passé et le mal est fait. Le temps médiatique n’étant pas le temps judiciaire, comment faire pour ne pas sombrer ? Beaucoup l’oublient mais le conditionnel et la prudence n’ont jamais tué personne. Surtout, le salut réside dans la prise de parole immédiate des avocats ou des familles. Le 29 décembre, Libération racontait l’histoire de Zahra Kraiker, une mère de famille de Pantin victime d’une agression policière. Là ou d’ordinaire les médias sont accueillis fraîchement – pour ne pas dire plus -, la famille a cette fois-ci décidé de s’exprimer longuement. Mise en confiance et conseillée par un fondateur du MIB, Nordine Iznasni, Zahra Kraiker a permis d’emblée aux médias d’accéder à des éléments accablants pour le policier à la main leste. Une attitude bien plus efficiente que les cailloux ou les insultes moult fois recueillis par les journalistes dans certains territoires, et qui sont involontairement complices des policiers par le silence qu’ils instaurent. 65 WORD UP FAIR-PLAY KADER BOUDAOUD Journaliste sportif à France Télévisions ON LEUR A DEMANDÉ CE QUE CE MOT LEUR ÉVOQUAIT MAMEDY DOUCARA D.R. Champion du monde de taekwondo en 2001. L’ancien sportif français est aujourd’hui photographe, depuis 2005 D.R. Le fair-play, c’est... Le respect des règles, même lorsqu’elles sont contournées. C’est valider une bonne action, le bon geste, le beau jeu chez l’adversaire. C’est admettre ses fautes, « surtout » lorsqu’elles ne sont pas signalées. Être fair-play c’est également un combat intérieur dans la maîtrise de ses émotions, c’est être constamment dans le self contrôle pour ne pas sortir de ses gonds. Être fair-play c’est un état d’esprit, une attitude, c’est être juste dans ses actes et exemplaire dans les règles. A l’origine du football, il n’y avait pas d’arbitres. C’était l’esprit du jeu, le fameux fair-play qui présidait. Aujourd’hui, on a multiplié les hommes en noir sur les terrains. On minimise la marge d’erreur. L’enjeu est énorme. Normal, il est économique. Le sport n’est plus un jeu, il est une entreprise aux bénéfices à plusieurs zéro. Comment parler de fair-play ? Comme si on exigeait des sportifs qu’ils gagnent avec panache et esprit. Faux, en fait, on leur demande juste de gagner. Comme si le business avait tout à coup une morale. Dans le sport comme ailleurs, il n’y en a pas. Il n’y en a plus. Le fair-play n’existe même plus dans les cours de récréation. L’exemple vient d’en haut. ANTOINETTE GOMIS Chorégraphe Le fair-play, selon moi, c’est accepter ses défaites, comme une victoire. Sinon tu ne peux pas réussir et t’épanouir dans ta carrière. Et c’est valable dans la danse comme ailleurs. SARAH OURAHMOUNE Boxeuse, vice-championne olympique D.R. La boxe m’a transmis ses valeurs de respect, de détermination et de rigueur. J’y appris à me connaître, à dépasser mes limites et à maîtriser mes émotions. Sur un ring, la colère et la haine n’ont pas leur place. Être fair-play, c’est faire preuve d’humilité, de tolérance, de loyauté et de respect. En boxe, le fair-play ce n’est pas seulement accepter les règles du combat. C’est aussi être capable d’accepter de perdre face à meilleur que soi. Le fair-play est primordial pour que le sport garde ses valeurs d’éducation, d’insertion et de bien-être. D.R. WILLIAM GALLAS Footballeur. Finaliste avec l’équipe de France de la Coupe du monde 2006 Pour moi, il faut qu’à la fin du match : tout se passe bien. Que les joueurs se respectent. Que les fans se respectent. Il faut se dire qu’il y a des enfants qui viennent au stade ; donc qu’il y ait une bonne ambiance. On peut se chambrer, mais s’il vous plaît, pas de bagarre à la fin. JULIAN JAPPERT Directeur du Think Tank Sport et Citoyenneté D.R. D.R. ISMAEL SY SAVANÉ Le fair-play est une valeur immatérielle prônant le respect des règles du jeu et de l’adversaire. Alliée au sport, c’est une attitude élégante, ayant l’ambition de vaincre sans mépriser l’adversaire pour laquelle il faut un minimum d’éducation. C’est avoir un sport loyal, où tous les acteurs s’engagent socialement, une gouvernance transparente, ouverte, démocratique et mixte. La solidarité entre les acteurs passe par un fair-play financier, et l’investissement sur le long terme pour la jeunesse. On peut l’étendre à tous les sports. La solidarité est elle aussi une valeur intrinsèque du monde sportif. Acteur, rappeur, scénariste Le fair-play, c’est quand tu as envie de faire le rageux et que tu ne le fais pas. Et l’ultime fair-play, c’est quand tu n’as même pas envie de faire le rageux. D.R. OMAR BENLAALA WALY DIA Ecrivain, auteur de La Barbe et de L'Effraction D.R. 66 Aux armes, citoyens ! Match à haut risque. L’honneur de la nation est en jeu : « éliminez l’adversaire ». Formez vos bataillons ! Discipline. Rigueur défensive. Marchons, marchons ! Première action : mauvais contrôle, contre-attaque, tir canon ; gardien fusillé à bout portant ! But ! Refuser la défaite. Le capitaine rameute ses troupes : percée dans l’axe, balle au pied, jusqu’au tacle assassin. Faute ! Carton rouge ! Coup franc dangereux. Placer le mur. Prendre sa revanche… Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! Comédien, humoriste Le fair-play, c’est quand les autres te laissent gagner ! Laissez-moi gagner les mecs, putain ! D.R. 67