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Célébrer le monde
Documents
A – Victor Hugo, « L’araignée et l’ortie », Les Contemplations, III,
1856.
B – José Maria de Heredia, « Midi », Les Trophées, 1893.
C – Francis Ponge, « Ode inachevée à la boue » (extrait), Pièces,
1962.
D – Philippe Jaccottet, « Fruits » (extrait), Airs, 1961-1964.
m 1. Relevez dans chaque texte du corpus une comparaison
ou une métaphore, et montrez ce que ce recours à l’image
apporte à l’évocation du monde sensible. (3 points)
m 2. Quels rôle Hugo et Ponge accordent-ils au poète dans
les deux textes proposés ? (3 points)
Après avoir répondu à ces questions, les candidats devront traiter au choix
un des trois sujets nos 2, 3 ou 4.
Document A
L’araignée et l’ortie
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait ;
Et que rien n’exauce et que tout châtie1
Leur morne souhait ;
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Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;
Parce qu’elles sont prises dans leur œuvre :
Ô sort ! fatals nœuds !
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux2 ;
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Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.
Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal !
Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser,
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie.
De les écraser,
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Pour peu qu’on leur jette un œil moins superbe3,
Tout bas, loin du jour,
La mauvaise bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !
Hugo, « Les luttes et les rêves », XXVII,
Les Contemplations, III.
1. Punir sévèrement. 2. Mendiant. 3. Orgueilleux.
Document B
Midi
Pas un seul bruit d’insecte ou d’abeille en maraude1,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise2 un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d’émeraude3.
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Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil4
Qui s’allonge et se croise à travers l’ombre chaude.
Vers la gaze5 de feu que trament les rayons
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu’enivrent la lumière et le parfum des sèves ;
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Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d’or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j’emprisonne mes rêves.
José Maria de Heredia,
« La Nature et le Rêve », Les Trophées, 1893.
1. En quête de butin. 2. Laisser passer en adoucissant. 3. Pierre précieuse de couleur verte.
4. Rouge foncé. 5. Étoffe légère et transparente.
Document C
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Ode inachevée à la boue
La boue plaît aux cœurs nobles parce que constamment
méprisée.
Notre esprit la honnit1, nos pieds et nos roues l’écrasent. Elle rend
la marche difficile et elle salit : voilà ce qu’on ne lui pardonne pas.
C’est de la boue ! dit-on des gens qu’on abomine, ou d’injures
basses et intéressées. Sans souci de la honte qu’on lui inflige, du
tort à jamais qu’on lui fait. Cette constante humiliation, qui la
mériterait ? Cette atroce persévérance !
Boue si méprisée, je t’aime. Je t’aime à raison du mépris où l’on
te tient.
De mon écrit, boue au sens propre, jaillis à la face de tes
détracteurs !
Tu es si belle, après l’orage qui te fonde, avec tes ailes bleues !
Quand, plus que les lointains, le prochain devient sombre et
qu’après un long temps de songerie funèbre, la pluie battant
soudain jusqu’à meurtrir le sol fonde bientôt la boue, un regard
pur l’adore : c’est celui de l’azur ragenouillé déjà sur ce corps
limoneux2 trop roué de charrettes hostiles, – dans les longs intervalles desquelles, pourtant, d’une sarcelle3 à son gué opiniâtre la
constance et la liberté guident nos pas.
Ainsi devient un lieu sauvage le carrefour le plus amène, la
sente4 la mieux poudrée.
La plus fine fleur du sol fait la boue la meilleure, celle qui se
défend le mieux des atteintes du pied ; comme aussi de toute intention plasticienne. La plus alerte enfin à gicler au visage de ses
contempteurs5.
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Elle interdit elle-même l’approche de son centre, oblige à de
longs détours, voire à des échasses.
Ce n’est peut-être pas qu’elle soit inhospitalière ou jalouse ; car,
privée d’affection, si vous lui faites la moindre avance, elle s’attache
à vous.
Chienne de boue, qui agrippe mes chausses et qui me saute aux
yeux d’un élan importun !
Plus elle vieillit, plus elle devient collante et tenace. Si vous
empiétez son domaine, elle ne vous lâche plus. Il y a en elle comme
des lutteurs cachés, couchés par terre, qui agrippent vos jambes ;
comme des pièges élastiques ; comme des lassos.
Ah comme elle tient à vous ! Plus que vous ne le désirez, ditesvous. Non pas moi. Son attachement me touche, je le lui pardonne
volontiers.
Francis Ponge, « Ode inachevée à la boue », Pièces, 1962.
1. Couvrir publiquement de honte. 2. Plein de limon, de boue. 3. Canard sauvage. 4. Sentier.
5. Personne qui méprise, dénigre.
Document D
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Fruits
Dans les chambres des vergers
ce sont des globes suspendus
que la course du temps colore
des lampes que le temps allume
et dont la lumière est parfum
On respire sous chaque branche
le fouet odorant de la hâte
*
Ce sont des perles parmi l’herbe
de nacre à mesure plus rose
que les brumes sont moins lointaines
Des pendeloques1 plus pesantes
que moins de linge elles ornent
*
Comme ils dorment longtemps
Sous les mille paupières vertes !
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Et comme la chaleur
par la hâte avivée
leur fait le regard avide !
Philippe Jaccottet, « Fruits »,
Airs, 1961-1964.
1. Cristaux attachés à un lustre.
LES CLÉS DU SUJET
■ Question 1
Comprendre la question
• Il ne s’agit pas d’une question de synthèse sur les textes, mais d’un
repérage de faits d’écriture poétique, suivis de leur commentaire.
• En somme, votre réponse doit prendre la forme de quatre paragraphes qui pourraient figurer dans le commentaire de chacun de ces
textes et en constitueraient un court passage dans une partie consacrée aux images poétiques.
• Veillez par conséquent à respecter la structure de base de tout paragraphe de commentaire : « ce que […] l’image apporte à l’évocation du
monde sensible » = l’idée ; « relevez » = citation prise dans chaque
texte ; comparaison ou métaphore = qualification (qu’il faudra préciser).
• « évocation du monde sensible » fait référence à l’évocation des notations sensorielles ; vous devez donc montrer comment l’image que
vous avez choisie rend compte de ce que ressent le poète (ou le lecteur), en précisant quel(s) sens elle sollicite.
Composer un paragraphe de commentaire : voir guide méthodologique.
■ Question 2
Comprendre la question
• Vous devez vous demander : « À quoi, selon Hugo et Ponge, sert le
poète ? Quelle est sa fonction ? », et par conséquent : « Quelle est la
fonction de la poésie ? »
• Repérez dans les deux textes (de Hugo et de Ponge) les mots ou
expressions qui servent à désigner le poète (« je » et « on » chez Hugo ;
« je » chez Ponge) et observez les verbes dont ces pronoms sont le
sujet. Vous trouverez alors le « rôle » qu’ils assurent.
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m Dans un texte en prose, vous célébrerez un objet banal,
quotidien, de votre choix.
Vous utiliserez des images permettant de le découvrir sous
un angle nouveau.
Vous marquerez explicitement votre appréciation élogieuse.
Vous ne signerez pas votre texte.
Le candidat peut s’appuyer sur les textes du corpus reproduits dans le sujet n ° 1.
LES CLÉS DU SUJET
■ Comprendre le sujet
– Analysez chacun des mots de la consigne ; cela permet de faire la
« définition » (voir guide méthodologique) du texte à produire et de
cerner les contraintes.
– « célébrer » signifie « faire l’éloge de », montrer les qualités de…
• Objet d’étude : « célébrerez », « images », « sous un angle nouveau »
→ la poésie.
• Sujet/thème du texte : « un objet quotidien ».
• Genre du texte à produire : « texte en prose » (votre texte ne doit
pas être en vers). Vous devez éviter la prose « prosaïque » ; les
« images » rendront votre texte poétique → un poème « en prose ».
• Type de texte (ou forme de discours) : « faire découvrir » → texte
descriptif ; mais aussi : « célébrerez », « appréciation élogieuse » →
texte argumentatif. Vous devez faire un éloge.
• La thèse : il s’agit de défendre l’objet choisi. La thèse est précisément :
« (L’objet banal choisi) est en fait merveilleux, extraordinaire ».
• Le registre ne vous est pas indiqué explicitement, mais « célébrerez »
et « élogieuse » vous suggèrent le registre lyrique.
– Vous devez choisir un objet « banal », « quotidien ».
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– « sous un angle nouveau » signifie que votre description doit dépasser
la simple réalité, faire voir différemment cet objet que, par habitude, on
ne remarque plus.
■ Définition du texte
Poème en prose (genre) qui décrit (type de texte) un objet quotidien
(thème), lyrique (registre), imagé, surprenant (adjectifs) pour célébrer
cet objet, en faire l’éloge, en renouveler la vision (buts).
■ Chercher des idées
L’objet
– « de votre choix » : le sujet qui vous est proposé est fortement lié à
votre goût personnel : il est conseillé de choisir un « objet quotidien »
qui vous tient à cœur.
– Vous avez l’embarras du choix : livre, lunettes, fourchette, stylo, téléphone portable, radiateur, brosse à dents, mouchoir, réveil, souris
informatique, élastique à cheveux…
« Sous un angle nouveau »
– « Célébrer », faire un éloge suppose de rechercher les qualités de
l’objet. Cela sera plus aisé si vous choisissez un objet qui vous fait un
peu rêver ou provoque en vous des émotions.
– Pour trouver des idées, une fois l’objet choisi, posez-vous les
questions : à quoi est-il utile ? En quoi est-il agréable ? Que peut-il
symboliser (= représenter) ?
– Étudiez les sentiments qu’éveille en vous cet objet (joie, enthousiasme, impression de puissance…).
– Caractérisez l’objet pour constituer une banque de mots et d’expressions (forme, matière, couleur, texture, mouvement…). Penser aux cinq
sens qui peuvent entrer en jeu.
L’écriture poétique
Les « images »
– Cherchez la définition de l’objet dans le dictionnaire, créez des
« écarts » par rapport à la définition, cherchez à vous en éloigner.
– « Faites venir », « appelez » tout un monde autour de cet objet, laissez
se faire des associations d’idées poétiques avec d’autres réalités quotidiennes proches, n’hésitez pas devant des associations illogiques,
affectives… Pour cela, nous vous conseillons de tout simplement
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fermer les yeux et de laisser les images défiler dans votre tête, à la
manière des surréalistes.
– Cherchez des images qui permettent de rendre compte de ce que
vous fait ressentir cet objet. Pour cela, aidez-vous de déclencheurs :
« Si c’était une fleur, ce serait... Si c’était un pays/un lieu/un paysage,
ce serait... Si c’était une saison, ce serait ... Si c’était un être humain, ce
serait... Si c’était un personnage (historique, de roman, de théâtre…), ce
serait… Si c’était une couleur, ce serait… Si c’était un animal, ce
serait… », etc.
D’autres faits d’écriture poétique
– Vous devez jouer sur : les rythmes, les figures de l’amplification, les
sonorités, les jeux sur les mots qui doivent être en accord avec le sentiment ou l’émotion ressentis.
– Pensez à la mise en page et à la typographie : jouez sur les blancs et
l’écriture. Ménagez des sortes de « versets », par exemple (voir le texte
de Ponge).
– Pensez à l’expression de sensations (lexique des sens), d’émotions
(lexique affectif) et faites appel à votre sensibilité.
Avant de vous lancer…
– Lisez le plus possible de poèmes en prose qui « évoquent » des
objets quotidiens (textes de Baudelaire, Rimbaud, Ponge, Delerm…),
pour analyser comment ces poètes, par l’écriture poétique, ont transfiguré ces « objets » (présence d’images, associations entre des réalités
rarement rapprochées, lexique affectif).
– En corrigé nous vous proposons des textes d’auteurs que vous
pourrez analyser pour repérer la progression, les associations d’idées,
le travail sur le style.
– Mieux vaut un texte court et travaillé qu’un long texte qui « dilue » la
poésie.
Conseils de poètes… Une recette de poète
– L’écrivain et poète Jean Cocteau vous permettra de mieux comprendre ce que l’on vous demande : la poésie « montre nues, sous une
lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement […] Mettez un
lieu commun (= cliché) en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de
telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le
même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète » (Le
Secret professionnel).
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– Le poète Francis Ponge vous donne ici un mode d’emploi :
« Tout le reste du monde étant supposé connu, mais le verre d’eau ne
l’étant pas, comment l’évoquerez-vous ? Tel sera aujourd’hui mon
problème.
Ou en d’autres termes :
Le verre d’eau n’existant pas, créez-le aujourd’hui en paroles sur cette
page.
Ou en d’autres termes :
Tout verre d’eau ayant à jamais disparu du monde, remplacez-le : son
apparence, ses bienfaits, par la page que vous écrirez aujourd’hui.
Ce qui revient à dire :
Supposez que vous vous adressiez à des hommes qui n’ont jamais
connu un verre d’eau. Donnez-leur en l’idée.
Ou encore :
Vous êtes au Paradis, enchanté d’y être. Mais il y manque quelque chose
dont vous vous souvenez soudain avec attendrissement : cette erreur,
cette imperfection, le verre d’eau. Accomplissez ce péché de l’évoquer
pour vous-même, le plus précisément possible, en paroles. »
Francis Ponge, « Le Verre d’eau », Méthodes, Gallimard, coll. Idées, p.142.
Réussir l’écriture d’invention : voir guide méthodologique.
La poésie : voir lexique des notions.
L’éloge : voir lexique des notions.
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