C`est écrit sur mon visage

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C`est écrit sur mon visage
C’est écrit sur mon visage
J’attire les marginaux comme le vinaigre attire les mouches. Je suis un aimant à
pervers.
Prenons un exemple. La semaine dernière, alors que je passais par Pigalle pour
rejoindre des amis, l’ouvreuse d’un peep show m’attrape par le bras puis me dit avec un
sourire condescendant :
« Monsieur ça vous intéresse ? Allons mon bon monsieur, laissez vous faire ! »
Je continue mon chemin sans me laisser perturber et à peine ai-je le dos tourné que je
l’entends dire de façon éhontée à sa collègue :
« Avec sa tête il reviendra ce soir avec un casque de moto pour pas être reconnu »
Et oui, c’est malheureux mais j’ai la tête du bon client, celui qui paye pour mater des
cochonneries puis s’en va transpirant sans faire d’histoire. Vous allez dire que ça arrive à tout
le monde ? Et bien détrompez-vous car à force de me faire racoler par ces filles de joies sans
hygiène, j’ai fini par m’asseoir pour observer les coutumes locales.
Sur cent individus qui passent devant un peep show, seulement dix entrent en contact
avec l’établissement. Sur ces dix personnes, huit sont des clients réguliers qui ont entamé des
démarches volontaires et directes. Un seul se fait racoler et accepte par curiosité. La
statistique est cruelle mais elle me remontait le moral à une époque : 1% de la population se
fait aborder contre son gré. Je n’étais donc pas un cas isolé.
Mais tout a dégénéré en même temps que cette société, que cette ville. Ces racolages
inopportuns m’arrivent tous les jours. Que je sois seul ou avec des amis, rien n’arrête les
déviants.
Homme ou femme, jeune ou vieux, à chaque coin de rue un individu déviant
m’attend. Forcément, un jour il y aurait un accident. Pourtant, je vous assure que je suis un
homme sain et avec une bonne situation pour ne rien gâcher, mais c’est écrit sur mon visage.
J’attire à moi les adolescents bisexuels, les marins nostalgiques du bon vieux temps
des submersibles, les vieilles défraîchies à gigolos, les prostituées de bas étages, les hommes
d’affaires qui veulent soumettre ou être soumis. La liste est encore longue….
Ah, ça n’arrive pas à tout le monde hein ? J’ai observé longuement et mené mon étude.
La statistique est cette fois assassine : 1 individu sur 3,7 millions. Il y a de grandes chances
que je sois le seul à Paris d’ailleurs. Du coup, l’accident, il commençait à me rendre nerveux.
Un vieux schnock suintant et humide me fait des avances dans le métro. Je le classerai
dans la catégorie : « cadre stressé qui a besoin d’un exutoire pour assouvir ses pulsions
dominatrices ». Il me tient le bras, me regarde en souriant, me propose d’aller à l’hôtel.
Comme si c’était évident ! Je descends à mon arrêt sans trop me laisser perturber car jusque là
c’est la routine. Seulement une fois descendu il se montre agressif. Je me défends comme je
peux mais il essaye de défaire ma braguette. Son sexe est déjà sorti et il le tient comme une
arme menaçante. Ce genre de situation est très embarrassante. Je le repousse alors avec force
et il tombe sur les rails.
L’accident tant redouté arriva, l’homme étourdi se fit écraser et une bonne douzaine de
rames se chargèrent de le déchiqueter et de l’éparpiller.
La suite de mon histoire ? Les témoins ont vu un pervers agresser un homme de bonne
famille et le pousser sur les rails. Ses proches ont témoigné avec conviction et ont sorti la
carte du pathos avec grandiloquence. Ma famille a témoigné mais au fond ils avaient un doute
car c’est écrit sur mon visage. Les vicieux n’ont pas des têtes de vicieux. Je l’ai dit et répété
au jugement mais que voulez-vous faire.
Maintenant que je suis condamné pour homicide volontaire je sais ce qui va
m’attendre en cellule.
Comment je tiens le coup, me demanderez-vous ? Je me dis que vu la force expressive
de mon faciès, j’aurais pu être brûlé ou crucifié à d’autres époques. J’ai peut-être pas si mal
vécu alors autant prendre les choses comme elles viennent.
L’humanité a ses prophètes véreux, ses truands au bon cœur et ses dirigeants malintentionnés.
A ma façon aussi j’étais un charlatan – un pervers à la morale irréprochable.

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