Ducos

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Ducos
Ducos :
demi-victoire contre des conditions
de détention indignes
Sept mesures pour améliorer les conditions matérielles de détention
à Ducos : le juge administratif ordonne au ministère de la Justice de
remédier aux graves atteintes portées à la dignité des personnes
détenues. Mais il refuse d’intervenir sur la forte sur-occupation qui
affecte cet établissement, limitant ainsi la portée de sa décision.
URPOPULATION ENDÉMIQUE, LOCAUX INSALUBRES INFESTÉS DE
S
rats et d’insectes, cellules de 9 m² pouvant accueillir
jusqu’à cinq personnes, carence d’activités et de travail, violences exacerbées… Prenant acte de graves atteintes
portées aux droits fondamentaux des personnes détenues
au centre pénitentiaire de Ducos, le tribunal administratif a
ordonné sept mesures d’urgence, le 17 octobre 2014. Saisie
par l’OIP de la situation de la seule prison martiniquaise, la justice reconnaît les conditions de vie « plus qu’insupportables »
dénoncées par les détenus. Une pétition avait été adressée à
l’administration pénitentiaire par 136 d’entre eux en 2012. Un
nouvel appel au secours était parvenu à l’OIP le 7 janvier 2014,
signé de 53 détenus. Devant le tribunal administratif de Fortde-France, l’OIP demande alors la mise en œuvre d’un plan
d’urgence relatif tant à l’état matériel du CP qu’à la politique
d’aménagement des peines en Martinique.
Sept mesures d’urgence
Sur le volet des conditions matérielles, la démarche est couronnée de succès. Le juge ordonne une opération de dératisation et de désinsectisation de l’ensemble des locaux, dans un
délai de dix jours. Et il enjoint à l’administration de « conclure
dans les meilleurs délais un nouveau contrat de dératisation
assurant un passage plus fréquent de l’entreprise, de nature
à apporter une réponse efficace à l’ampleur des difficultés
rencontrées ». S’attachant aux graves problèmes d’hygiène,
le juge ordonne de fournir aux détenus des produits de nettoyage, des poubelles et des sacs poubelles « en nombre suffisant », ainsi que de faire procéder à un lessivage complet des
cellules au moins une fois par an. Il prescrit de renouveler régulièrement le kit de produits d’hygiène corporelle, jusqu’à présent remis aux détenus seulement à leur arrivée dans l’établissement. Insuffisamment entretenues, les cours de promenade
Dedans Dehors N°86 Décembre 2014
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Scolopendre trouvé par un détenu dans sa cellule du centre pénitentiaire de Ducos, 2014
ACTU
« Seule une politique pénale raisonnée
et une redynamisation de la politique
d’application des peines sont de nature à
décompresser la situation »
Isabelle Gorce, 2013
doivent faire l’objet des travaux nécessaires « avant la fin de
l’année 2014 » : il s’agit de remédier à la présence d’eaux stagnantes, qui les rend impraticables en temps de pluie et prive
les détenus, en cas d’intempéries, de leur droit de bénéficier
d’une sortie quotidienne à l’air libre. Enfin, le juge entend
répondre aux graves carences de la prise en charge médicale, et prescrit à la ministre de la Justice de prendre « dans
les plus brefs délais » les mesures nécessaires pour que l’établissement bénéficie d’un « médecin généraliste supplémentaire à plein temps » et pour « qu’un médecin puisse intervenir la nuit et week-end en tant que de besoin ». Le ministère
a aussitôt assuré que ces mesures « seront immédiatement
appliquées » et que « des efforts continueront à être faits
en faveur des conditions de détention ». Dommage que le
recours au juge ait été nécessaire pour que ces dispositions
essentielles au respect élémentaire de la dignité humaine
soient adoptées. D’autant que la gravité de la situation n’était
un mystère pour personne : au moins cinq rapports adressés
aux différents ministres de la Justice 1 entre 2009 et 2014 en
avaient dressé un tableau précis et formulé des propositions
très concrètes.
La surpopulation dans l’angle mort
Le juge a toutefois refusé de contraindre la Chancellerie à
agir sur l’origine des difficultés constatées : la surpopulation,
qui atteint 124 % au centre de détention et 210 % au quartier maison d’arrêt, au 1er octobre 2014. Tout en reconnaissant
une situation « indéniablement préoccupante », le juge administratif considère qu’il convient de « prendre en compte les
efforts entrepris par l’administration sur ce point », en particulier l’ouverture de 160 places supplémentaires à l’horizon
2015. Une perspective peu satisfaisante, alors que la capacité
opérationnelle de l’établissement est aujourd’hui dépassée
de plus de 360 personnes.
« Seule une politique pénale raisonnée et une redynamisation de la politique d’application des peines sont de nature à
décompresser la situation » affirmait Isabelle Gorce, devenue
depuis Directrice de l’administration pénitentiaire, dans un
rapport de 2013 consacré à la situation du centre pénitentiaire
1 Notamment : Rapport sur les problématiques pénitentiaires en outremer, mai 2014 ; CGLPL, rapport de visite, novembre 2009 ; Rapport sur les
difficultés de prises en charge de la population pénale au CP de Ducos,
juin 2013 ; CHU de Martinique, pôle MSM, unité sanitaire bilan rapport
d’activité 2013 ; Rapport d’information de MM. Christian Cointat et Bernard Frimat, 6 avril 2011.
de Ducos. Une circulaire du 2 janvier 2014 traduit cette orientation et appelle les autorités judiciaires locales à « dynamiser les aménagements de peine » afin de désengorger Ducos.
L’ambition se heurte toutefois à un manque de moyens financiers et humains pour le milieu ouvert. Elle risque de demeurer lettre morte, face à l’incapacité du juge administratif à
contraindre le ministère de la Justice à adopter des mesures
à la hauteur de ses orientations de politique pénale. Et le juge
judiciaire ne se trouve pas plus outillé pour mettre fin aux
mauvais traitements résultant de la sur-occupation des établissements pénitentiaires français. Le mouvement viendra
peut-être du juge européen, qui pourrait rappeler à la France,
comme il l’a fait pour l’Italie 2, ses obligations au regard de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme : celle-ci exige que les détenus puissent engager des
recours leur permettant effectivement « d’obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention ». En
attendant ce souffle européen, les détenus de Ducos continueront la chasse aux scolopendres.
Maxime Gouache et Barbara Liaras
2 Cour EDH, 2e Sect. 8 janvier 2013, Torreggiani et autres c. Italie, Req.
n° 43517/09
« Un véritable enfer »
« Les cellules pour deux abritent quatre [personnes].
Ceux qui dorment à terre cohabitent avec des cafards,
des souris, des scolopendres avec les risques de piqûres
mortelles que cela peut entraîner. Les douches sont
dans un état lamentable. Les produits de nettoyage de
nos cellules sont donnés au compte-goutte. Les rendezvous chez le médecin sont donnés après trois semaines
d’attente, voire des mois. C’est bien le surpeuplement
de cette prison qui engendre des problèmes de violence
et de rackets. La promenade et les activités sportives ne
respectent aucune régularité de durée et de fréquence.
Ceux qui sont enfermés 23 heures sur 24 souffrent énormément de la forte chaleur (32 degrés) car non seulement il y a un manque de ventilateurs, mais il y a des
coupures de courant. Il faut aussi parler des nombreux
rats morts qui tardent à être enlevés et qui dégagent des
odeurs insupportables jour et nuit, pendant plusieurs
semaines. Nous pensons aussi à la difficulté des détenus
venant de Guyane et d’ailleurs qui ne peuvent bénéficier
de parloir. Vu l’absence de conditions de rapprochement
de leur famille/billets d’avions hébergement en hôtel.
Tout cela fait que la prison de Ducos est vécue pour la
plupart comme un véritable enfer. »
Extrait d’une pétition adressée le 7 janvier 2014
à l’OIP-SF
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