PLUS BELLE LA VIE

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PLUS BELLE LA VIE
Mélina FRANGIADAKIS
5A « CIN »
Note de réflexion personnelle
06/10/2008
COMMENT LE FEUILLETON « PLUS BELLE LA VIE » EST-IL DEVENU
DE LA GRILLE DE PROGRAMMATION DE FRANCE 3 ?
LE PIVOT
Qui se souvient aujourd’hui que « Plus Belle La Vie », le feuilleton de
tous les records (audimat, part de marché, nombre d’épisodes
tournés…), a bien failli être déprogrammé 3 mois à peine après son
lancement, en raison de la faiblesse des audiences de l’époque ?
A la rentrée 2004 en effet, personne ne donnait cher de la tentative de France 3 de diffuser un soap
« à la Française » face aux sacro-saints Journaux Télévisés des chaînes généralistes concurrentes et
après, de surcroît, les plats échecs qu’ont essuyé les « Cap des Pins » et autres « Château Vallon »
qui s’inscrivaient dans la même veine…
Première décision prise alors chez France 3 pour sauver le projet : placer Olivier Szulzynger à la
direction littéraire de la série pour véritablement la transformer, fidéliser le maigre million de
téléspectateurs qui lui restait et (re)conquérir le public. Toutefois, face à l’ampleur du succès que
connaît le feuilleton aujourd’hui, on peut s’interroger : un remaniement au sein de l’équipe
artistique a-t-il pu suffire à séduire 4 millions supplémentaires de téléspectateurs en mois de 4
ans ? Quels sont les secrets de fabrication d’Olivier Szulzynger, qui ont donné à la série son
nouveau souffle ? Et quels procédés extralinguistiques les équipes de France 3 ont-elles mis en
œuvre pour attirer et fidéliser ces téléspectateurs toujours plus nombreux?
Nous tenterons dans un premier temps d’analyser les éléments qui font le succès de « Plus Belle La
Vie », en nous interrogeant d’abord sur le profil des téléspectateurs ; dans un second temps, nous
verrons comment France 3 et Telfrance, la société de production du feuilleton, ont relevé le défi de
la fidélisation des 5 ou 6 millions de téléspectateurs qui allument leur téléviseur chaque soir à 20H20
pour suivre les aventures des habitants du quartier (fictif) du Mistral à Marseille.
La recette du succès ?
Depuis plusieurs mois, France 3 avoue sans complexes faire travailler des analystes sur
l’engouement suscité par « Plus Belle La Vie » (PBLV dans le langage des initiés). Quelle est la
réalité du phénomène que certains ont nommé « révolution » dans le paysage audiovisuel français ?
Qui sont les millions de téléspectateurs conquis par la série et comment sont-ils devenus « accros » à
l’heure où on dit que le zapping s’installe ?
Le phénomène « PBLV »
Les chiffres ne manquent pas pour illustrer l’irréductible succès de la série quotidienne de France 3.
Avec une part de marché moyenne de plus de 21%, supérieure à la moyenne de la chaîne, PBLV
bat régulièrement ses propres records d’audiences. Le record le plus significatif reste celui du 12
décembre 2007, date à laquelle Médiamétrie a comptabilisé 6,3 millions de téléspectateurs à 20h20
sur France 3. L’audience du site Internet de la série n’est pas moins spectaculaire avec 350 000
pages consultées par jour. 1
Le 11 juillet 2008, France 3 a diffusé le 1000ème épisode de « Plus Belle La Vie », une grande
première pour une série française qui fait des jaloux : TF1, France 2 et M6 se sont également lancées
dans la production d’une quotidienne (respectivement : « Seconde Chance », « Cinq Sœurs », « Pas
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Informations communiquées par la société de production Telfrance.
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de secret entre nous ») dans l’espoir de réussir, elles aussi, à créer un vrai rendez-vous avec les
téléspectateurs…
Records en termes d’audience donc, de nombres d’épisodes tournés, mais pas seulement : d’après
une étude de la société Yacast2, PBLV détient également le record de France 3 en matière de
vente d’espaces publicitaires : en 2008, la série représenterait 17% en effet des recettes
publicitaires de France 3 selon le magazine Challenges.
Un profil d’audience atypique
C’est peut-être là le véritable tour de force de PBLV : parvenir à réunir un public où tous les âges
et toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentés.
Si les études de Médiamétrie révèlent que les femmes en général et les jeunes de 15-24 ans
apprécient particulièrement la série, Hubert Besson, créateur de l’idée originale et producteur chez
Telfrance, souligne que le public de PBLV est globalement « très varié et transgénérationnel : Il y a
aussi bien des ouvriers que des chercheurs au CNRS, des lycéens que des retraités ».3
Un cocktail spécifiquement français hyper-fédérateur
Pour savoir ce qui plaît tant au public de PBLV, on a procédé à une étude qualitative guidée par la
question suivante : comment la série est-elle vue par ses téléspectateurs? Cette étude, menée par la
société Séquence Marketing pour France 3 et France Télévisions Publicité4, montre que PBLV est
perçue comme étant :
1) une fiction optimiste, en raison, d’une part, du cadre méditerranéen, évoquant aux
téléspectateurs interrogés « la vie, la chaleur, le bien-être », et d’autre part des intrigues
qui voient triompher « le bien et la justice » ;
2) une fiction réaliste et proche du public : représentation de scènes de la vie courante et
de toutes les générations ;
3) une fiction consensuelle : absence de violence, humour, rotation des personnages sans
« starification » de personnages principaux.
Deux spécificités scénaristiques de PBLV peuvent expliquer la réussite de ce soap en particulier :
Tout d’abord, PBLV suit le quotidien de personnages issus de la classe moyenne (barman,
couturière, médecin…) et de toutes origines sociales et ethniques, ce qui vient renforcer le sentiment
de proximité et le processus d’identification aux personnages (« proximité » et « identification »
étant en outre des valeurs fortes de France 3). Par ailleurs, il est bon de souligner que 6 à 10
semaines seulement séparent la phase d’écriture du tournage, qui intervient, lui, 4 à 5 semaines avant
la diffusion5. Aussi, les références à l’actualité sont nombreuses et permettent un parallèle entre le
quotidien des personnages et celui des téléspectateurs.
***
Les 22 scénaristes et dialoguistes de PBLV ont donc créé des personnages qui nous ressemblent ; ils
relatent des histoires qui font écho aux grandes questions de société (homoparentalité, drogue,
rapports intergénérationnels…) sans tabou et qui se veulent inciter au dialogue entre générations.
2
Source : www.tele7.fr , brève du 09/10/07.
Interview publiée sur www.01men.com dans un article d’Amélie Charnay daté du 26/02/08.
4
Extrait publié dans le dossier de la Direction du Marketing de FTV Publicité conçu le 31/01/08, disponible en
ligne sur www.ftv-publicite.fr
5
Source : magazine Mozaïk n°26 (été 2005), en ligne sur www.ftv-publicite.fr
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Nous allons voir cependant que France 3 a dû mettre en œuvre un dispositif de communication hors
normes pour faire de ce feuilleton rentable et efficace, un programme-phare.
Le défi relevé de la fidélisation du public
Selon Vincent Meslet, directeur des programmes de France 3, « en choisissant de diffuser ‘Plus belle
la vie’, France 3 était guidée par 3 objectifs : installer un programme quotidien performant à un
horaire très stratégique ; véhiculer une image valorisante, en s’appuyant sur des personnages
attachants devenant des figures emblématiques de la chaîne ; enfin, reconquérir une partie du jeune
public en optant pour un feuilleton familial et transgénérationnel »6. Quatre ans plus tard, on peut
affirmer sans peine que ces objectifs sont atteints grâce à la capacité de France 3 et de Telfrance
d’avoir su créer un rendez-vous auprès de cibles enclines à « un certain nomadisme entre les
chaînes et à résister […] à la fiction française »7.
Connaître son public et créer un rendez-vous
D’après Laurent Fonnet, ancien directeur de l’Antenne de TF1 et spécialiste de la programmation, il
est indispensable de fonder sa programmation sur l’activité de son public-cible et donc de bien
connaître le mode de vie de ses téléspectateurs8. Dans le cas particulier de l’Access prime time ou du
Prime time, « il ne faut pas oublier que les gens doivent pouvoir prendre l’épisode en cours de route
et faire autre chose en même temps, comme préparer le dîner ou faire la vaisselle »9. Les auteurs de
PBLV semblent bien l’avoir compris : la série se distingue tout particulièrement des autres
productions de fiction française sur un point : le soin apporté à la structure du scénario. Chaque
épisode, qui comporte 22 minutes, obéit à une mécanique scénaristique très précise (entrelacement
de 3 intrigues, dont la durée, les personnages et le ton sont calibrés en fonction de cette contrainte) et
adaptée aux attentes de différents types de publics (assidu ou occasionnel, etc.).
En outre, la difficulté est de tenir le téléspectateur en haleine de sorte qu’il soit au rendez-vous tous
les soirs, pour découvrir la suite d’une, au moins, de ces trois intrigues qui alimentent le feuilleton
simultanément. « Notre premier objectif, afin de susciter l’adhésion, explique encore Vincent
Meslet, était donc de travailler la psychologie des habitants du Mistral […]. Dans un second temps,
et dans une logique de renouvellement permanent, PBLV a évolué vers une dramaturgie plus intense,
l’introduction progressive de personnages secondaires renforçant le suspense et le rythme de la
narration. » Mais le pari aurait-il été réussi sans l’accompagnement d’une politique de
promotion du programme novatrice et « cross media » ?
Promouvoir une émission avant, pendant et après sa diffusion…
…En développant l’interactivité (Popularité)
Les équipes de France Télévisions ont montré, lorsqu’elles ont créé France Télévisions Interactive
(filiale de FTV regroupant 80 personnes consacrée à la communication en ligne du Groupe), qu’elles
avaient compris comment « créer du buzz » au lancement d’une série et autour de sa diffusion.
« Plus Belle la vie » en a indéniablement bénéficié à son lancement : dès l’été 2004, www.plus6
Magazine Mozaïk n°26 (été 2005), en ligne sur www.ftv-publicite.fr
Allocution de Vincent Meslet lors du point presse de PBLV le 05/0608, propos relatés sur www.nouvelobs.com
8
Laurent Fonnet, La programmation d’une chaîne de télévision, éditions Dixit.
9
Marjolaine Boutet, historienne et co-auteur de L’Année des Séries 2008.
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belle-la-vie.france3.fr, mini-site dédié au feuilleton mis en ligne avant la diffusion du premier
épisode « a favorisé la constitution d’une communauté de téléspectateurs internautes, grâce
notamment à son forum »10. Depuis, une newsletter dédiée à la série a fait son apparition (20 000
abonnés moins d’un an après la mise à l’antenne de PBLV), des rendez-vous sont donnés sur le
forum par des personnages, un jeu-concours participatif a été instauré, et il est également possible de
visionner un épisode que l’on a manqué, d’envoyer des e-cards, d’accéder à des photos/ interviews
des personnages, et d’accéder à une boutique en ligne.
Innovation la plus étonnante : à l’occasion du 1000ème épisode, PBLV a ouvert son monde virtuel en
3D baptisé « Plus belle la life » : les spectateurs peuvent grâce à leur avatar rencontrer d’autres fans
dans le quartier fictif de Marseille, recréé en ligne, et « chatter » en direct avec les acteurs.
…En commercialisant des produits dérivés (Visibilité)
Du CD du générique (150 000 exemplaires vendus en 2005), aux coffrets DVD, en passant par le
linge de maison, les bijoux ou le magazine mensuel… il y avait bien de quoi ouvrir une boutique !
C’est désormais chose faite : 2008 a vu l’inauguration d’une boutique de produits dérivés à
Marseille, devant laquelle les fans font la queue… une heure avant l’ouverture du magasin11. Les
recettes, que France 3 et Telfrance se partagent, sont réinjectées intégralement, à en croire les
producteurs, au budget de la série et permettent en outre l’augmentation des cachets des comédiens.
…En communiquant localement (Proximité)
La stratégie de communication sur PBLV, menée de concert par les producteurs et le service de
presse de France 3, est résolument tournée vers le local : c’est le 3ème pilier de la politique
promotionnelle du feuilleton, le rendant encore plus accessible à tous. La tournée promotionnelle
organisée pour célébrer le 1000ème épisode en est un bon exemple : les comédiens, jonglant avec le
planning de tournage en flux tendu de la production, se sont rendus aux quatre coins de la France
pour faire la promotion en avant-première de cet épisode et participer à des séances dédicaces. Dans
la même perspective, une journée « portes ouvertes » a eu lieu dans les studios de tournage de la
Belle de Mai à Marseille.
Conclusion
Depuis quatre ans, France 3 et Telfrance combinent leurs savoir-faire dans la production d’un soapopéra « à la française » dont on ne peut objectivement que reconnaître le succès auprès du grand
public. Cette réussite que rien ne laissait présager, dans un contexte de crise de la fiction
française, tient tant au contenu du feuilleton lui-même, qu’au dispositif de communication qui
l’a fait connaître et qui continue de renforcer les liens qui unissent les personnages de PBLV et
leurs téléspectateurs. Grâce aux outils interactifs développés par France Télévisions, la série ne
s’arrête pas avec le générique de fin et conquiert toujours plus de jeunes, téléspectateurs d’ordinaire
« zappeurs », mais particulièrement friands de ces nouveaux modes de communication. Un groupe
« Je regarde Plus Belle La Vie, j’aime et j’assume » s’est même créé sur le site communautaire
Facebook rassemblant près de 3000 fans.
Une inconnue demeure toutefois : le décalage de l’heure de diffusion de Plus Belle La Vie dix
minutes plus tôt, en raison de la suppression de la publicité sur l’audiovisuel public après 20 heures
dès janvier 2009, aura-t-il un impact sur l’audience du programme ?
10
Voir l’article « Le Web donne du souffle aux programmes de France Télévisions » du 11/05/2005 sur
www.journaldunet.com
11
Voir l’article daté du 07/08/08 sur www.lepost.fr
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