Riffs Hifi 30.06.2012

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Riffs Hifi 30.06.2012
LE JOURNAL DU JURA SAMEDI 30 JUIN 2012
26 RIFFS HIFI
ANGE 42 ans après, ils battent nettement les mousquetaires
Le bon Dieu par
devant et Satan par derrière...
PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER
D’abord, d’abord, y a l’Emile.
Mais y a surtout le respect. Total.
Tenez! 42 ans que l’Ange plane
au-dessusdenosmédiocrités.Six
millions d’albums vendus plus
tard, ainsi que six disques d’or et
plus de 3200 concerts, la bande
au vieux druide goguenard
Christian Décamps arpente toujours la France profonde. Forcément celle qui travaille. Celle qui
a de la mémoire, aussi. Or, sans
mémoire, pas de culture. Heureusement, celle d’Ange n’est jamais en friche.
Bien sûr, les vieux ont crié
pouce. Opté pour le jardinage, la
nostalgie ou la rancune. Seul rescapé de «La fantastique épopée
du général Machin», Christian
Décamps a décidé de considérer
son bébé comme un patrimoine.
Celui qu’il voudrait léguer à son
fils Tristan, promu claviériste en
lieu et place de l’oncle Francis
passé chez Gens de la lune après
une longue errance éthylique.
Preuve que les voies de l’Ange,
parfois impénétrables, n’ont pas
toujours été parsemées de roses.
Etonneparlepasdesautrespetits
jeunes brillants qui entourent
l’ancêtre.
Donc, si on parlait du présent?
Pour Ange, il s’appelle «MoyenAge» (distribution Disques Of-
Asia en prend pour 30 ans
Amis des refrains faciles et des mélodies aussi lisses que convenues,
réjouissez-vous, Asia est de retour! Avec la sortie de «XXX» (Frontier
Records), les grands maîtres du rock FM pompeux fêtent joyeusement
leur trentenaire. Eh oui, 30 ans déjà depuis «Heat of the moment»,
depuis 1982 et le succès de leur premier album sobrement intitulé
«Asia», objet quand même écoulé à plus de 10 millions
d’exemplaires. Trente ans que les Anglais luttent à contre-courant,
élaborant au fil des «line-up» les plus improbables de la pop-rock
d’ascenseur alors que la mode est à l’émotion technologique
alambiquée. Réunis en format originel en 2006, Steve Howe (guitare),
Geoff Downes (claviers), Carl Palmer (batterie) et John Wetton (basse
et voix), quatre stratèges de leur instrument, livrent avec «XXX» leur
meilleur produit depuis.., 1982! Au point que certains phrasés sonnent
le déjà entendu. «Si vous avez aimé l’album d’il y a 30 ans, vous
aimerez celui-ci», a récemment déclaré John Wetton. On ne peut que
lui donner raison... W LK
PRÉHISTOIRE (BIS)
Saga reçu 20 sur 20
Alors que les Anglais d’Asia glissent joyeusement sur la vague du
rock FM depuis trois décennies sans jamais changer de recette, leurs
contemporains canadiens de Saga retrouvent leur format original avec
le retour au bercail du chanteur historique Michael Sadler. Le gars
n’aura tenu que quatre ans loin du groupe de Toronto. Ainsi, avec la
sortie de «20/20» (Ear Music) – c’est leur 20e album… –, la boucle est
bouclée. Le prog-rock médiéval de Saga restent uniques, les
gémissements de la guitare de Ian Crichton également. Saga fait du
Saga et le fait très bien. Après, on aime ou on n’aime pas. On aurait
tendance à l’oublier, c’est presque dans l’anonymat que Saga a vendu
8 millions de disques depuis son premier enregistrement, «Saga»,
paru en 1978. L’année prochaine, ils nous feront bien le coup de la
tournée du 35e anniversaire? W LK
Et si «Le vieux de la montagne» n’était autre que Christian Décamps? LDD
fice), énième galette jouissive
surfant sur les vagues du prog, de
lavariétoche,duceltiquesanstoc
sans oublier un zeste de metal
plus lourd.
A ce qu’il paraît, nous serions
revenus au Moyen-Age. Allusion
aux mœurs politiciennes, à la misère, à une décadence généralisée. Bon, là, on les arrête tout de
suite, les Ange. En bons médiévistes qu’ils ont toujours été, Dé-
« Faut toujours savoir faire le
●
beau, les amuser quand ils sont
seuls. Jamais bouger pour la photo
et surtout pas faire la gueule...»
ANGE «VU D’UN CHIEN»
camps & Cie devrait savoir que
cette époque épique a été calomniée à tort. Les cathédrales, les
écrivains, la structure sociale, le
respect de la parole donnée,
c’était pas si horrible que ça.
Après tout, ce n’est pas au
Moyen-Age qu’on a tourmenté
Galiléeetbrûlélaplupartdessorcières. Quant aux conflits de
l’époque, ils font figure d’aimables querelles entre voisins si on
les compare à nos guerres à nous.
Passons...
A part ça, la verve est toujours
intacte, les textes franchement
allumés même s’ils fleurent bon
la province franc-comtoise. Chez
nous, on appelle ça puer des
pieds. Magnifique terroir.
Hormis quelques menus défauts, «Moyen-Age» se révèle
comme un album de fort bonne
facture. Et puisqu’un bonheur
n’arrive jamais seul, nos archanges proposent encore «Escale à
Ch’tiland» (distribution Disques
Office, itou), double CD live flanqué d’un DVD qui l’est tout autant. Enregistré à Lille en 2010 à
l’occasion de la tournée des 40
ans, idéalement baptisée «La
quarantième rugissante», ce document constitue aussi un fulgurant best of, le gang ayant choisi
de marquer ce passage en puisant dans son vaste répertoire débordant d’hymnes et de tubes.
L’occasion de se (re)plonger dans
des climats uniques, entre claviers un brin rétro et guitares
plus hendrixiennes. De redécouvrircesensaigudelathéâtralitéet
de la mise en scène qui n’appartient qu’au père Décamps.
A acquérir d’urgence, avant de
rejoindre le «Cimetière des Arlequins». W
MAINSTREAM Muse et Radiohead, les anti Coldplay
La volonté perpétuelle de se réinventer
Coldplay, la magie de la complaisance érigée en modèle économique. Loin de la masse informe de groupes talentueux qui
cherchent à s’offrir une toute petite place au soleil, Chris Martin
et son boysband voguent à un
autre niveau, tout en bas, là où la
musique n’est qu’un bouillon
d’inculture, un aimable amusement qui a pour seul objectif de
toucher le plus grand nombre.
Muse et Radiohead, eux aussi,
ratissent large, écoulant leurs
créations par millions. Et
comme Coldplay, ils voguent à
un autre niveau, mais tout en
PRÉHISTOIRE
haut, là où la musique se réinvente à chaque accord.
Radiohead fait table rase à chaque fois qu’il touche au succès.
Condensés de rock pour teenagers réfléchis, «Pablo Honey»
(1993) et «The Bends» (1995)
devaient construire les bases
d’une carrière mainstream, sur
les traces de U2 et de leur bienveillante arrogance. Le single de
référence, «Creep», se muait en
hymne de la jeunesse des 90.
«Creep»? Un titre que Thom
York, le chanteur et leader difforme de Radiohead, ne peut
plus voir en peinture. En réaction
Au-delà du succès commercial qu’elle génère, la démarche artistique de
Radiohead a le mérite de la sincérité. DR
à cette popularité soudaine, les
Anglaisbifurquent.Unchoixradical, courageux. EMI, leur maison
de disques d’alors, s’inquiète et
revoit les prévisions de ventes du
bébé en gestation de 1,5 million à
500 000 exemplaires. Finalement, «OK Computer» (1997)
s’écoulera à 5 millions de copies.
Pop,electro,prog,rock,cetterévolution magistrale fête ses 15 ans
cette année. Aujourd’hui, ils sont
tellement nombreux les Muse,
Coldplay et autres Pineapple
Thief à tenter de s’approcher de
l’héritage du maître.
Tenant encore un bon filon,
Radiohead casse sciemment son
jouet. Albums siamois, «Kid A»
(2000) et «Amnesiac» (2001)
sont un nouveau pied de nez à
l’industrie du disque. De la grandiloquence quasi mystique de
«Ok Computer», il ne reste rien.
Les ambiances sont ouatées, intimistes et électroniques.
Muse a parfaitement saisi le
message. Avec Radiohead, les
Anglais dominent d’abord la
scène du rock par leur approche
artistique. Les ventes, les stades,
les fans n’en sont que l’évidente
émanation. Muse se trouve aujourd’hui dans la peau de Radiohead en 1997. Groupe enraciné dans le mainstream depuis de
quelques années, il doit donner
un successeur à «The Resistance» (2009), son fils préféré,
dont plus de 5 millions de copies
ont été écoulées, soit autant que
les quatre premiers albums du
groupe. Le leader Matthew Bellamy a tranché: il vote Radiohead plutôt que Coldplay. Annoncé pour septembre, «The
second law», dont un trailer circule sur internet, devrait prendre une dimension plus atmosphérique, plus electro. «Nous
avons l’impression d’avoir tiré un
trait sur ce qu’on a fait durant notre
carrière», déclarait en décembre
Chris Wolstenholme, bassiste de
Muse. «Nous avons le sentiment
qu’il est temps d’aller de l’avant et
de faire quelque chose de radicalement différent.»
Au fait, Coldplay, c’est quoi
déjà? W LAURENT KLEISL
TEMPS MODERNES
Kscope en pleine frénésie
Branche post-prog du label londonien Snapper Music, Kscope nourrit
avec bonheur une ébullition presque frénétique. Depuis la parution
l’automne dernier du merveilleux «Grace for drowing» de Steven
Wilson, un double album monumental, aux mélopées exquises
baignant dans une atmosphère à la King Crimson, Kscope livre des
perles à un rythme régulier. Entre autres: «March of ghosts» des
Norvégiens de Gazpacho, «Fog electric» de North Atlantic Oscillation,
«Not the weapon but the hand» du duo Steve Hogarth/Richard
Barbieri. Du rock généralement tranquille, presque éthéré, qui détend.
La palme revient au très atmosphérique «Weather systems», petit
bijou d’Anathema, inventeur du doom au début des années 90. Le
metal lourd et lent aux chants gutturaux, c’est désormais de l’histoire
ancienne. Cerise sur le gâteau, «All the wars» de The Pineapple Thief
est annoncé pour septembre prochain. Chic! W LK
LA PLAYLIST DE...
Julien Graf
[email protected]
BEASTIE BOYS Licensed to Ill (1986)
L’ensemble de la discographie de la bande aurait pu être ici mentionné. Mais parce
qu’il ne faut en retenir qu’un seul ce sera celui-là, le tout premier succès, le
monument: «Licensed to Ill». Un mélange d’énergie punk et de tempérament hiphop. Mais aussi parce que la voix d’Adam Yauch (MCA) s’est tue à tout jamais en mai
dernier. Et que faire tourner sur la platine cette œuvre à la fois adolescente et
terriblement jouissive est un bon moyen de rendre hommage à sa mémoire.
BABY HUEY The Baby Huey Story : The Living Legend (1971)
«I’m Big Baby Huey, and I’m 400 pounds of soul.» Voilà comment le soulman se
présentait lors de ses shows. Le Chicagoan, un homme qui pèse donc. Une voix aussi:
à la fois douce, juvénile et rocailleuse. Et un destin anéanti par une crise cardiaque à
l’âge de 26 ans. Le protégé de Curtis Mayfield laissera un seul album solo posthume
en guise de testament. Un opus incontournable pour tout amateur de soul.
DE LA SOUL 3 Feet High & Rising (1989)
De la Soul encore. Mais cette fois avec le groupe. A leurs débuts ambassadeurs d’un
rap festif et décomplexé, les New-Yorkais ont ensuite voulu se débarrasser de cette
étiquette de néohippies qui leur collait aux basques. Ils ont balancé un disque au
nom évocateur: «De la Soul is Dead». Qu’à cela ne tienne, leur premier essai reste
quand même le meilleur grâce à ses sonorités empruntées au jazz, à la musique
psychédélique, au folk et bien sûr au funk. Les trois compères auront eux aussi
contribué à écrire les lettres de noblesse d’un genre musical bien plus complexe et
protéiforme qu’il n’y paraît…
BOBBY WOMACK The Bravest Man in the Universe (2012)
Rescapé de l’âge d’or de la «Great Black Music», Bobby Womack refait curieusement
surface en cette année 2012. Ressuscité par le génie de Blur et de Gorillaz Damon
Albarn, il surfe avec aisance sur des productions électroniques taillées à sa mesure. Il
balade même sa vieille voix rauque aux côtés d’une certaine Lana Del Rey…Bien sûr,
ce disque ne fera pas oublier le monument «Accross 110th Street» sorti au beau
milieu des années 70, mais il a le mérite de nous faire regretter l’annulation de son
concert à Montreux la semaine prochaine.