Clubbing : la purgation du futur

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Clubbing : la purgation du futur
Clubbing : la purgation du
futur
Le clubbeur est un tueur. Le clubbeur n’a pas peur. C’est un
jedi des temps modernes. Il ne fait pas dans la dentelle. Il a
Michael Jackson dans le sang. C’est une machine, il peut tenir
toute la nuit.
Face à la montée fulgurante des sonorités électroniques dans
le monde de la musique, des festivals mais également dans les
Beats flambant neufs, ce qu’on appelle le « clubbing » fait
partie intégrante de la vie des noctambules du monde entier.
Plus qu’un simple kiff temporaire, le clubbing semblerait être
un réel besoin pour certaines personnes en quête de grosses
basses et de transpiration. Il permettrait en réalité de
canaliser certaines frustrations et de purger les idées noires
de la semaine. Pratique individualiste et collective, cette
activité est selon le sociologue et anthropologue Christophe
Apprill « un divertissement qui permet de donner du sens à la
vie ».
Le meeting du peuple
Clubber est une expérience collective. Tout d’abord, c’est une
activité qu’on partage la plupart du temps entre amis.
L’endroit étant plus ou moins clos, les clubbeurs sont
forcément poussés les uns vers les autres, et, l’alcool et/ou
les drogues aidant, un contact se fait naturellement. Que ce
soit une parole, un regard, un toucher. Les personnes écoutent
la même musique et donc sont quelque part sur la même longueur
d’onde à l’instant présent. Une sorte de connexion éphémère
renforcée par la répétitivité de la musique.
Le psychologue Gustave Le Bon ayant étudié les phénomènes de
foule parle de « groupe de l’instant ».
Ce conformisme n’exclut pas un caractère personnel. En effet,
chaque personne ne ressent pas la musique de la même manière.
Le chemin des décibels des oreilles au cerveau est propre à
chacun. Certains n’arrivent par exemple pas à s’abandonner à
100% au son. Certains ne dansent pas.
Ce narcissisme de la piste de danse semblerait être lié à
l’individualisme de la société dans laquelle nous vivons.
Génération selfie oblige, le danseur est la deuxième star,
juste après le DJ. Et il fait tout pour s’approcher le plus
possible du king à base de positionnement au premier rang et
de selfies flatteurs. L’exacerbation des consommations
désinhibitrices et la compétition des égos rendent presque
obligatoire pour l’intéressé de montrer qu’il est LÀ. Comme un
soldat pendant la guerre, le clubbeur se bat pour sa survie
dans l’enceinte du club, il se bat pour ne pas disparaître
derrière la fumée des spots. Certains souhaitent à tout prix
faire partie de cette fumée, d’où le kiff de former une sorte
de créature à mille têtes, en mode l’Hydre de Lerne, monstre
de la mythologie.
L’humain révèle toute sa primitivité quand il se retrouve
enfermé avec ses confrères. Les substances chimiques émises
par les corps engendrent l’excitation et donc forcément, la
drague. Le clubbing, c’est festoyer ensemble mais c’est aussi
imposer son être et délimiter son territoire et ses proies
potentielles.
Manon Schaefle au festival de Dour pour Manifesto XXI
Le club : canalisateur de violence
Ce n’est pas pour rien que Berlin est l’eldorado de cette
activité. Après la chute du Mur et la Réunification, un
sentiment de liberté et de joie flotta sur le pays pour
s’exprimer en club. Plus qu’un plaisir, le clubbing est une
nouvelle identité pour la plupart des Berlinois. Certains
disent même que chacun possède deux métiers : l’officiel et
celui de clubbeur.
Le clubbing, c’est le laisser-aller, la purgation des tracas.
Une sorte de cour de récré pour les grands. Selon Freud, la
fête est le seul péché permis, voire ordonné. Elle permettrait
de se libérer de nos pulsions physiques et de ne pas retourner
nos frustrations contre la société. Un défouloir donc, tout en
retenue.
Car les vigiles veillent (sélectionnant à l’entrée qui
accédera au club et observant dans la boîte à ce qu’il y ait
le minimum de morts possible). L’arène du dancefloor est libre
mais ne permet pas la violence physique.
En soi, le club est donc un exutoire pacifique.
Toute la violence psychologique subie par le sujet durant une
semaine de dur labeur s’échappe et s’élimine le temps d’une
nuit. Mais jeux de mains, jeux de vilains. On ne touche pas au
voisin. C’est la règle du dancefloor.
Clubber c’est s’échapper, lâcher prise. Je vois ça comme un
paradis artificiel. L’oasis du samedi. Vouloir retrouver de
manière régulière cette sensation d’instant suspendu et de
synchronisation totale rendrait de ce fait le clubbing
addictif.
Cette facette est clairement ressentie dans le film Human
Traffic de Justin Kerrigan, qui relate le quotidien chargé en
soirées de cinq joyeux fêtards anglais. Ces jeunes adultes qui
rencontrent des difficultés dans leurs jobs alimentaires comme
dans leurs vies amoureuses ne vivent que dans l’optique du
week-end. Leur cerise sur le gâteau ? Les pilules en tous
genres qui les font voyager tels des oiseaux migrateurs le
temps du tour d’une horloge.
Pour faire encore plus ressentir ce sentiment de déconnexion,
les organisateurs de soirées ne manquent pas d’idées. Jeux de
lumières, projections vidéos en tous genres, mapping (tel que
le propose par exemple Ruben, le projet commun du chanteur de
Success et de Florian Mona). De la décoration de fête foraine
féerique du festival Tomorrowland aux lieux incongrus tels que
les proposent les Rennais de Texture, ou bien les décors très
stylisés des nuits organisées par Decilab, le clubbing ne se
cantonne pas aux tristes usines désaffectées.
Texture Live #2 – Warehouse
Clubber sans drogues : les nouveaux clubbeurs healthy
Le clubbeur réalise son dada quand le soleil se couche. Il
faut qu’il soit « déter » comme on dit. Une soirée clubbing
commençant en général sur les coups de minuit et finissant au
petit matin, l’individu se doit d’être prêt à poncer le
dancefloor toute la night. Ici intervient donc la drogue. Le
combo drogues de synthèse et clubbing n’est pas un secret
gardé sous coffre-fort. Selon un rapport de l’OFDT datant de
2004-2005, 70 % des personnes interrogées dans des contextes
festifs liés au milieu techno (bars, clubs et discothèques)
confiaient en avoir déjà absorbé. Il est évident que ce
pourcentage a augmenté. Lors de la dernière édition du
festival techno belge de Dour, la saisie de stupéfiants lors
d’un contrôle de police fut de 100%. Cela donne le ton. Du
coup, est-ce possible de kiffer sans drogues ?
Welcome to the Club from Conscious Club on Vimeo.
Le clubbeur clubbe la nuit mais pas que. Ce qu’on appelle le «
conscious clubbing » impose son style dans les capitales
européennes. Au programme : yoga, gâteaux sans gluten et
smoothies aux légumes de 6h30 jusqu’à 8h. Tout alcool, drogue
ou cigarette est proscrit devant l’Éternel. Tout cela ambiancé
par de gros beats ou simplement par le plaisir de partager
quelque chose. Un concept auquel semblent adhérer les
étudiants comme leurs parents. En somme, du clubbing exfoliant
en after et énergisant avant le travail. Une manière de finir
la soirée en douceur pour l’étudiant avant d’aller en amphi
(ou pas) et de se relaxer pour les plus âgés avant d’aller
travailler. Pas de lendemains difficiles et une conscience
totale. Tout le monde y trouverait son compte. La raison de
cette nouvelle idée ? L’importance du bien-être et la volonté
de combattre le stress du quotidien, surtout à Paris, explique
Karima Boumediene, créatrice du Morning Gloryville.
Le clubbeur semble commencer à se lasser de tout ce qui
pouvait le stimuler jadis pour rejoindre un terrain neuf.
Un nouveau spécimen serait-il en train de voir le jour ?
Simple phénomène de mode ou le clubbing du futur ?
Le nouveau sport du XXIe siècle se pratique peut-être sur son
31.
Clara Nimpon