le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes

Transcription

le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes
LE COMBAT LIBRE : QUEL(S) EFFET(S) SUR LES JEUNES ?
BEATRICE CARNEL, FSSEP, LILLE2, LABORATOIRE EDUCATION ET INTERVENTION
VINCENT MASSCHELEIN, CENTRE D’ACTIVITES SPORTIVES DE ROUBAIX (CAS)
OLIVIER BOUTOILLE, CENTRE D’ACTIVITES SPORTIVES DE ROUBAIX (CAS)
RESUME :
Le Centre d’Activités Sportives de Roubaix propose des pratiques sportives
dites « à risque » pour favoriser l’insertion de jeunes en difficulté. Cet article
tente de restituer l’utilisation paradoxale du combat libre comme outil de
formation, en particulier sur le contrôle des émotions et sur l’apprentissage
des éléments suivants : code du fair-play, respect de l’adversaire, règles de vie
en groupe, régularité. Il présente les débuts d’une démarche d’évaluation de ces
actions à l’aide d’un questionnaire.
MOTS CLEFS :
Combat- Gestion – Violence
Le Centre d’Activités Sportives de Roubaix propose depuis une trentaine
d’années des pratiques sportives dites « à risque », ceci dans le but d’insérer
des jeunes en difficulté. Nous restituerons l’utilisation paradoxale du combat
libre comme outil de formation, en particulier sur le contrôle des émotions, sur
l’apprentissage des éléments suivants: code du fair-play, respect de
l’adversaire, règles de vie en groupe, régularité. Nous rendrons également
compte d’une proposition d’évaluation des effets de ces pratiques. Pour décrire
cette démarche nous nous attacherons à respecter une chronologie réelle, celle
de la pratique, première venue, de ses usages avant de proposer un outil,
second dans l’ordre des choses, visant à rationaliser les effets de ceux-ci sur le
public visé. Dans ce cadre la théorie emboîte le pas à la pratique.
Dans un premier point nous restituerons ce que fut l’activité du centre
d’Activités Sportives de Roubaix (CAS), fondé par Y. Sihrener, la méthode
pédagogique initiée dans ses différents sites, les rituels mis en place. Dans un
second point, nous tenterons de rationaliser cette démarche d’intervention et la
Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?
5
méthode de construction d’un questionnaire d’évaluation dont nous
présenterons les ébauches.
LE CENTRE D’ACTIVITES SPORTIVES DE ROUBAIX
L’HISTOIRE DU CAS
La création du CAS remonte à 1976. Impulsée par Yves Sihrener, l’idée
d’utiliser les Sports de Combat pour canaliser la violence des jeunes était
fortement contestée à l’époque. S’intéresser plutôt aux effets que pouvaient
apporter ces pratiques, a vite amené le fondateur de l’association à défendre la
notion d’outil et de support sportif à visée éducative. Association reconnue
d’Intérêt Général et agréée Jeunesse et Sports, le Centre d’Activités Sportives,
mène des actions préventives par l’utilisation des sports de combat. Parti de la
MJC de Mons en Baroeul, le CAS s’est ensuite implanté dans la ville de
Roubaix. Puis d’autres centres virent le jour dans la région lilloise.
L’originalité des activités sportives proposées sur le site de Roubaix réside
dans le fait qu’elles constituent un moyen privilégié permettant d’entrer en
relation avec les jeunes difficiles. Elles ne visent pas des finalités de pratiques
sportives en elles mêmes. En effet, l’association n’est affiliée à aucune
fédération sportive, elle assure plutôt une mission de tremplin vers les clubs
(Masschelein, 2006). Aussi, le projet du centre vise l’inclusion sociale de
garçons âgés de 15 à 25 ans par la pratique de sports à risque : l’escalade et les
sports de combat. Participer à l’éducation des jeunes, participer à la prévention
des conduites à risque, à la lutte contre l’exclusion et contribuer à
l’amélioration du climat dans les quartiers et dans le monde scolaire tels sont
les objectifs affichés.
Le CAS a ainsi pu développer une méthode spécifique, la pratique sportive ne
suffisant pas, à elle seule, à modifier des comportements à risque (Pfister. R,
Sabatier. C, 1998), l’accompagnement éducatif est déterminant. Le moniteur
doit non seulement être capable de mettre en place des situations pédagogiques,
en traitant des aspects didactiques de la pratique mais aussi d’adopter une
attitude enseignante éducative.
SPECIFICITES DE LA METHODE UTILISEE
Construite au fil du temps et de l’expérience, la méthode utilisée par les
moniteurs du CAS procède des éléments suivants.
International Journal of Violence and School – 5 – April 2008
6
Aller chercher les jeunes
La première spécificité, concerne d’abord le travail sur le terrain. Les
animateurs vont chercher les jeunes dans les quartiers. Il ne s’agit pas d’une
« médiation », mais plus d’une approche de « recrutement », une prise de
contact avec le public ciblé. Le fait de chercher à drainer et accrocher un public
en marge des structures normatives, vers une pratique régulière et constructive
des Sports de Combat, nous a amenés à soulever deux points importants : l’un
lié aux attentes du public et l’autre aux modes de fonctionnement :
● prendre en compte les réalités des demandes et des attentes
(motivations pour les pratiques de combat, fascination du mythe des
combattants, exigences physiques,…), mais également satisfaire un
besoin d’écoute, d’attention et de reconnaissance, pas forcément
exprimé dans les échanges relationnels,
● développer des aménagements pédagogiques innovants autour de la
pratique des Sports de Combat : la structuration des entraînements
permettant de travailler sur les repères et les règles de fonctionnement
du groupe.
Lieu et type d’entraînement : un local
« marginal », ambiance et atmosphère…
volontairement
Pour atteindre des jeunes en rupture sociale, rejetant les structures normatives
(clubs sportifs, centres sociaux), la démarche a été d’inventer un type
d’approche différent touchant à l’imaginaire, apportant une dimension
mystérieuse, inquiétante, voire magique. Sur le secteur de Douai, des activités
ont pu démarrer dans une ancienne friche abandonnée, où les jeunes faisaient le
guet pour surveiller les entraînements « illégaux »... Bien entendu, la
municipalité et la police averties de nos fonctionnements jouaient le jeu afin de
rendre plus crédible notre action. La deuxième étape a consisté à leur faire
prendre conscience de l’intérêt de se mobiliser pour solliciter un local « légal »
pour maintenir l’activité. Le groupe a pu obtenir un local désaffecté et le
réaménager par lui-même. Devenues sources de fierté, l’ensemble des
réalisations s’enracine dans l’histoire du C.A.S., laissant des traces pour les
nouveaux. Ainsi se tissent des liens, une histoire entre les jeunes et les lieux de
fonctionnement, lieux de vie partagés et respectés où chacun approuve les
règles communes.
L’entraînement démarre par un cercle, où les nouveaux participants sont
présentés. Se déroulent ensuite l’échauffement (relativement physique) et le
corps de séance. Un retour au calme permet d’atténuer les tensions, le cercle
final clôt le travail par un bilan de la séance et la communication des
informations. L’entraînement est rigide, engagé physiquement, le moniteur
Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?
7
« référent » affirme avec fermeté son autorité (non son autoritarisme). La
rigueur des entraînements concerne autant les participants que les moniteurs.
Les rituels et les codes du groupe
La démarche se réfère à une méthode dite « clanique », qui définit les codes
régissant les règles de fonctionnement du groupe. Créant un sentiment
d’appartenance, les rituels et les codes offrent une mise en acte des traditions et
des valeurs (respect, rigueur, solidarité). Les repères identifiés permettent une
forme de socialisation. Des processus d’identification aux membres du groupe
s’activent aussi. Cet espace et ce microcosme social vont renforcer un
sentiment de sécurisation, non négligeable à la prévention de la violence.
Le début et la fin des entraînement se font en cercle : celui-ci détermine un
espace-temps commun pour débuter et terminer chaque séance. La position :
attitude mains dans le dos, jambes légèrement écartées est un rite institutionnel
adopté par chacun quel que soit son statut. Par la poignée de main, les membres
du groupe se saisissent les avants bras de façon sincère et énergique. L’entrée
au C.A.S. se fait par parrainage: le « parrain », est chargé de faciliter et
d’accompagner l’intégration du nouvel adhérent au sein du groupe et le
responsabilise. Chacun dispose d’un statut hiérarchique affiché rendu visible
par les tee-shirts. Ceci facilite les repères pour les jeunes et permet de situer
clairement les étapes d’intégration. Le « nouveau » a un tee-shirt bleu, tant
qu’il n’a pas réussi les « tests d’entrée », alors il aura un tee-shirt blanc. Les
« moniteurs » et les « anciens » portent du noir. Leur niveau de responsabilités
les amène à diriger et à mener des groupes. Ils ont un rôle fondamental dans les
processus de modélisation auprès des jeunes. Ce sont des éléments acteurs de
la structuration du groupe dans l’esprit du CAS. Les tests, rite d’intronisation
obligatoire, signent l’entrée définitive dans le groupe. Ils consistent à mesurer
les progrès physiques et l’engagement psychologique des participants sous la
forme de rencontres en combat debout et au sol. Ces épreuves volontairement
mystérieuses, restent un véritable enjeu pour les jeunes qui doivent gagner
l’accès à un nouveau statut. Cela permet également de renforcer le phénomène
d’appartenance, de les positionner dans un défi sur eux-mêmes et les faire
accéder à un sentiment de réussite.
DES EFFETS OBSERVES A UNE FORME D’EVALUATION
COMPLEMENTAIRE
UNE EVALUATION DE TERRAIN
En ayant touché plus de 8000 jeunes, (Sihrener, 2007), les moniteurs et cadres
de l’association ont pu en mesurer de visu les effets. Certains sont devenus
moniteurs ou initiateurs sportifs, d’autres ont connu des insertions
International Journal of Violence and School – 5 – April 2008
8
professionnelles diverses dans le privé ou la fonction publique. Au-delà des
anecdotes personnelles, des critères d’évaluation simples rendent compte du
suivi et du développement des jeunes. Le simple fait de participer
régulièrement aux activités sportives pendant une période minimale de 3 mois
est le premier élément objectif d’appréciation d’un effet positif. Il existe
d’autres critères comme : la fréquentation des activités, la régularité aux
entraînements, le suivi des participants et la mise en place d’un rapport
d’activités trimestriel. Au-delà de ces effets notables, il nous semblait qu’il
manquait une dimension celle des acteurs eux-mêmes : comment ressentaientils sur eux-mêmes les effets des pratiques de combat libre. Dès lors naquit
l’idée d’élaborer un autre type d’instrument d’objectivation de la
transformation des conduites des jeunes dont nous présentons ici les premiers
pas.
UN CADRE D’ANALYSE RECONSTRUIT A POSTERIORI
Cette démarche résulte d’une collaboration « praticiens – chercheurs » entre le
CAS de Roubaix et le laboratoire éducation et intervention (LEI) de Lille2.
Elle procède d’une recherche d’évaluation des pratiques et se veut plus visée
d’intervention (analyse et réinvestissement dans les pratiques) que démarche
sociologisante de description des faits sociaux. La construction du cadre de
référence est empruntée à la psychosociologie et à la sociologie interactionniste
prenant en compte le point de vue des acteurs in situ. Les individus sont
victimes et auteurs de violence. Ce rapport à la violence et aux coups reçus ou
échangés va constituer un arrière plan cognitif et culturel : les représentations.
Celles-ci sont influencées (Carra, 2006) par les films ou les vidéos, par les
formes de civilités de l’environnement social. Il est d’usage chez les éducateurs
sportifs de s’appuyer sur ces représentations afin de les transformer.
L’utilisation de vocabulaire spécifique (le terme d’assaut remplace celui de
combat), l’introduction de règles de sécurité «ne pas frapper à la tête … », ou
encore le respect des rites des sports de combat sont censés réduire les
conduites agressives tout en canalisant les énergies (fonction catharsis attribuée
à la pratique sportive). Le sport offre donc la mise en scène d’un rapport
original à la loi, celle du jeu, de la compétition réglées par des rites et des codes
(Queval, 2004). Les éducateurs sportifs, les enseignants d’éducation physique
s’emparent de cet objet, affirment et montrent tel René Acquaviva (Cf.
L’esquive film de Patrice Rolet sur la Boxe éducative en EPS) que la
confrontation aux règles sportives va rendre les élèves plus responsables,
moins violents et plus « citoyens ». Les travaux de nos collègues P. A Méard et
S. Bertone (98) ont prouvé dès la fin dès années 90, la contribution de
l’éducation physique à ces finalités au travers du rapport à la règle, quelle
qu’elle soit, qu’elle met en jeu (les règles des jeux sportifs, règles de
l’apprentissage, règles de sécurité, règles groupales ou règles institutionnelles).
Le fait de modifier le rapport de l’individu à un seul type de ces règles
(attribution de sens) modifierait le rapport à toutes. Cela permet à l’individu de
Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?
9
les intérioriser, de passer d’un stade de l’anomie ou de l’hétéronomie à un stade
d’autorégulation voire d’autonomie. Le rôle de l’éducateur, de l’enseignant
dans les transactions avec le public apparaît donc comme déterminant pour
influer sur les représentations par rapport au contrôle de soi, à la violence Les
publics fréquentant le CAS sont des individus en mal être et en souffrance,
dont l’agressivité reste le seul moyen d’expression. Souvent sans repères, ils
sont fascinés par les nouvelles pratiques de combat sans les connaître
véritablement. L’une de leurs motivations premières pour pratiquer le combat
libre est la recherche d’un moyen de défense « efficace » dans un climat
d’insécurité permanent (Masschelein, id). A ces êtres sans repères, la
confrontation aux règles codifiées de l’affrontement, aux règles de
l’entraînement et de l’hygiène sportive, aux règles de fonctionnement constitue
autant d’occasions offertes de construire du sens. Qui plus est, les ateliers de
paroles vont leur apporter une forme de considération et d’écoute dont ils ont
besoin (Sihrener, id). Le cadre permet également d’échanger avec des adultes
et de construire du lien social. Cette forme d’intégration nous renvoie à une
forme de socialisation (Duret, 2001) par l’intériorisation des normes, des règles
par les jeunes, l’autorité et le savoir restant l’apanage de l’entraîneur. La
pratique du Combat libre permet donc de répondre aux déficits de
réglementation, d’interdiction, de filiation et d’intégration.
UN OUTIL
EN VOIE D’ELABORATION
Progressivement, par une pratique régulière et un accompagnement éducatif,
les comportements et les représentations des jeunes sont modifiés pour trouver
un équilibre personnel et social. Nous présentons ici les éléments de
construction d’un outil d’évaluation visant à rendre compte des effets de la
pratique et de l’évolution des représentations des pratiquants sur l’ensemble
des sites
Finalités
Les objectifs consistent à assurer un suivi plus précis des derniers arrivants
dans le groupe, tout en aidant à peaufiner les critères d’évaluation par rapport
aux indicateurs suivants (motivation, santé, contrôle des émotions, sécurité,
respect des règles).
Le premier volet quantitatif consiste en un questionnaire, qui devrait être
généralisable à l’ensemble de la population fréquentant les activités du CAS
dans différentes villes du département. La difficulté est pour nous de parvenir à
obtenir des informations vraies, sans perturber, par un questionnaire trop ardu
et trop direct une population en difficulté au plan de l’écriture, ni de la faire
fuir par des entretiens par trop « inquisiteurs ».
Aussi le second volet de cette démarche d’évaluation, sera certes qualitatif,
mais ne consistera pas en entretiens à visée d’approfondissement mais plutôt en
International Journal of Violence and School – 5 – April 2008
10
une analyse du contenu des suivis des rencontres du Vendredi réalisés par les
moniteurs sportifs lors des suivis hebdomadaires. L’observation s’attachera
plus particulièrement à suivre l’évolution des derniers arrivants dans le groupe.
Basée sur des traces écrites (carnet de bord du moniteur sportif), proche des
démarches ethnologiques par rapport à l’expérience professionnelle de
l’éducateur. En effet celui –ci tient un carnet de bord journalier rendant
compte de son travail, de son vécu et de son ressenti par rapport aux rencontres
et aux nouveaux membres du groupe.
Le Questionnaire
Le questionnaire vise à une meilleure connaissance du public, et à évaluer les
effets de l’entraînement sur les aspects suivants: les conduites à risques
(différentes addictions), les attitudes (persévérance, goût de l’effort, assiduité),
les valeurs (respect des autres, de soi) ; la gestion de la santé physique
(hygiène, rapport au corps). Il se découpe en cinq thèmes : la rencontre avec la
structure, les motifs de la pratique, le règlement, (connaissance et adhésion),
l’entraînement (effets sur soi), les relations à l’environnement social.
PREMIERS ELEMENTS
Dans ce passage nous développerons les réponses obtenues avec un premier
groupe pratiquant le Combat Libre (passé en février 2007). Ils n’auront certes
qu’une valeur indicative – la population testée étant trop faible pour mettre en
évidence des liaisons entre différentes variables – mais devrait permettre de
dégager quelques tendances et d’affiner l’outil en lui même avant la passation
finale. Dans ce premier dépouillement, il nous est apparu pertinent de proposer
une étude comparée des réponses en fonction de l’ancienneté du temps de
pratique (moins et plus de six mois) et des indicateurs tels que la connaissance
et le rapport à la règle, l’hygiène de vie. En effet, ce choix est justifié par le
critère de la sortie (considérée comme positive du dispositif) au-delà de trois
mois de fréquentation » dans ce type d’action.
LE PUBLIC ET SES MOTIVATIONS
Le public
Trente et une personnes ont répondu à ce questionnaire préliminaire. Vingtcinq sont des tee-shirts bleus. Treize sont des nouveaux (moins de trois mois
de fréquentation), douze ont entre six mois et un an de pratique. La classe
d’âge moyenne se situe dans la tranche des 15 – 16ans (13/19) pour les
derniers venus, ils sont encore scolarisés (3ème - 2nde) mais trois accusent un
retard scolaire. La moitié du groupe habite dans la ville de Roubaix, cependant
aucun des tee-shirts blancs (anciens) ne demeure dans cette localité. Les
nouveaux vivent plus dans le cadre de familles mono parentales (surtout avec
Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?
11
la mère). Le niveau socioprofessionnel déclaré des parents se situe plutôt dans
les professions intermédiaires, employés et ouvriers.
La rencontre avec le combat libre et les motivations pour
pratiquer
C’est surtout par un parrain (20/31) que l’on vient au Combat libre. Le
parrainage semble remplir ses fonctions car la majorité des néo pratiquants
(16/25) déclarent avoir amené quelqu’un (intégration par un pair).
Sur les trois premiers motifs de fréquentation déclarés, les nouveaux avancent
comme première raison le fait de venir pour se défouler avant d’apprendre de
nouvelles choses, puis se défendre. Chez les plus anciens c’est d’abord pour
apprendre que l’on vient puis pour se défendre avant se défouler. En effet ce
qu’ils aiment le plus dans le combat, c’est le combat en lui-même, le fait
d’apprendre des techniques de combat. Ils aiment « le corps à corps », le
« contact » ou frapper : « donner des coups, en recevoir ».
Au niveau du climat relationnel l’entente entre les membres du groupe est
plutôt « très bonne » (29/31) et le groupe (29/31) semble plutôt bien
s’entendre avec le moniteur
Au niveau du climat d’apprentissage les proportions sont identiques : 20/31
déclarent préférer s’entraîner avec des tee-shirts bleus et des tee-shirts blanc
pour des raisons liés aux bénéfices escomptés : apprendre des nouvelles choses
avec les blancs et les mettre en application avec des partenaires de même
niveau, « Car les tee-shirts blancs ont plus d'expérience et ce que j'apprends
avec eux, je peux le tester sur les bleus qui sont de mon niveau » ; mais cela
peut servir également à les aider: « Avec le bleus on peut leur mettre plus
aisément en pratique et leur apprendre et augmenter le niveau » . Ainsi la
pratique rituelle des jeux sportifs réglés produit un dépassement de la rivalité
interpersonnelle, l’abandon de l’idée « (…) que l’on va gagner du terrain si
l’adversaire en perd, on peut entrer dans la fertilité nouvelle des jeux gagnant gagnant où l’on partage un bien commun en l’accroissant pour soi et pour
l’autre. » (Martinez, 2005, 61)
LE RAPPORT A LA REGLE
Les rites avec leurs interdits et leurs contraintes permettent l’émergence du
sujet et de la personne. Nous avons abordé la question des rites à travers le
rapport à la règle.
Nous avons questionné les jeunes sur deux dimensions du rapport à la règle :
la connaissance et l’adhésion aux règles ainsi que sur la sanction et le rappel
en cas de manquement. Nous avons distingué les règles de fonctionnement du
groupe des règles sportives du Combat libre. Toutefois la différence n’apparaît
pas très nettement pour eux. Le respect de l’autre ressort comme étant une
International Journal of Violence and School – 5 – April 2008
12
règle de fonctionnement. Toutefois les réponses se ressemblent quand il s’agit
d’énoncer une règle pour le combat libre: la notion de respect de l’adversaire se
superpose avec celle de l’interdiction de la frapper à certains endroits du corps.
Les règles de fonctionnement
La majorité des néo pratiquants et des pratiquant déclarent « bien ou très bien
connaître » les règles de fonctionnement (29/31).
Nous leur avons demandé de citer au moins une règle essentielle pour eux : la
notion de respect domine (10 citations) : « Le respect entre nous toute la
salle », de même la position : main dans le dos ou en garde avec les gants (8
citations). Trois ont déjà été sanctionnés, dont deux nouveaux pour un
manquement au règlement (retard) mais reconnaissent le bien fondé de la
sanction sur leur comportement.
Les règles du Combat libre
La majorité des néo pratiquants (15/19) et des anciens (8/12) déclarent « bien
ou très bien connaître » les règles de la pratique : 30/31 citent au moins une
règle du Combat libre. Les coups interdits sur les parties fragiles du corps
« Aucun coup à la tête ni de coups dans les parties génitales » arrivent à
égalité avec le respect (9 citations) : le respect de l’autre, le respect de
l’adversaire sans trop savoir s’il s’agit d’un respect global ou comme le dit ce
jeune « on n’est pas là pour casser les autres ». L’adhésion est forte : 27/31.
Le respect des règles et le rappel à la règle
Les avis sont légèrement plus nuancés pour le respect des règles lors de
l’entraînement : 5/31 dont trois nouveaux déclarent les respecter de temps en
temps. Si on est toujours respectueux des règles, on veille scrupuleusement à
faire appliquer les règles par les autres, ainsi 9/19 des néo pratiquants déclarent
avoir rappelé à l’ordre quelqu’un, tout comme 10/12 des plus anciens. Ce
rappel à l’ordre portait sur la garde ou la position : « Oublier de saluer son
adversaire » - « oublie souvent la position » - « parle de trop. Le pratiquant
doit rester impassible, le sourire est assimilé à une forme de provocation : « Il
parle, sourit ». Seize membres du groupe reconnaissent également un
manquement dont dix parmi ceux ayant le moins d’ancienneté sur des motifs
identiques: non écoute, position etc. L’effet d’une autorité véritable, favorise
une émergence du processus éducatif, voire co-éducatif en légitimant une
discipline faite de rites. La discipline est respectée (aveu de non respect mais
aussi déclaration d’adhésion et souci de rappeler l’autre à respecter la loi) y
compris à travers l’application d’une sanction effective à l’égard du
manquement à la loi, les sanctionnés eux-mêmes étant d’accord avec la
sanction, ceci marque la participation sociale au groupe avec la ratification de
ses valeurs (Martinez, id).
Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?
13
Les effets sur soi de la pratique
Sur la perception d’un changement d’attitude sur soi
L’auto évaluation nécessite une prise de distance critique ou tout simplement
le vécu de la pratique n’était-il pas suffisant important pour percevoir et /ou
produire un effet notable ? Seules neuf personnes détectent un changement
positif d’attitude (dont six nouveaux). Les effets exprimés portent sur le
comportement plus calme : « J'ai appris à ne pas me battre avec n'importe
qui » et plus confiant : « Ma manière de combattre et je me sens moins
énervé ».
Sur les conduites à risque
Le rapport aux conduites licites et illicites
La question était délicate à poser dans un questionnaire mais incontournable
pour évaluer les effets de la fréquentation du centre et de l’entraînement.
Sur la consommation de tabac (27/31) et d’alcool (24/31) disent qu’ils ne
fument ni ne boivent ; un seul déclare boire moins et un autre affirme que cela
ne change rien. Pour d’autres substances (28/31)
se déclarent non
consommateurs. Toutefois ces résultats sur l’abstinence déclarée peut-être
induite par des pratiques culturelles et/ou religieuses liées à l’environnement
social et géographique local.
L’agressivité et la violence
A la question « Cette année, t'es-t-il arrivé de te faire agresser (verbalement
et/ou physiquement » : trois nouveaux et quatre des plus anciens répondent
« Oui ». A la question portant sur le fait d’être soi même auteur de violences,
cinq nouveaux déclarent avoir agressé quelqu’un. Le plus souvent il s’agit de
jeunes rencontrés dans la rue: « Des mecs que j'aime pas ». Pour la majorité ils
disent n’en parler à personne. Ils ne se reconnaissent pas « agresseurs », mais
racontent leurs violences dans la réponse à une autre question. L’insécurité et
l’univers de la bagarre sont présents, souvent pour le manque de respect
« j'étais au lycée et un mec m'emmerder car je pratiquais. Je lui ai cassé le
nez », mais aussi pour se défendre : « ils m'ont tapé, je les ai tapés ».
Sur les effets de l’entraînement sportif et la confiance
En ce qui concerne la persévérance, 30/31 déclarent faire « souvent » et
« toujours » : des efforts, écouter les consignes, tenir physiquement et de
manière constante l’entraînement. 5/31 déclarent avoir « maigri ». L’image du
corps semble avoir changé : 20/31 se sentent plus « musclés », encore plus
pour chez les débutants (13/19).
Du point de vue de l’hygiène sportive, ils sont plus nombreux (18/31) à oublier
de prendre leur bouteille d’eau qu’à l’amener (chaque pratiquant doit avoir une
International Journal of Violence and School – 5 – April 2008
14
bouteille pour l’entraînement). Par contre en début de séance, ils sont une
majorité à s’échauffer tout en discutant, une minorité (quatre personnes) attend
qu’on les prenne en charge. A la fin de l’entraînement, ils sont autant à rester à
discuter avec l’entraîneur (12) qu’à rentrer au vestiaire (11), ceci n’étant pas
incompatible avec le fait de s’étirer (9). A la question te sens tu : « plus fort
depuis que tu viens au combat libre ? », 22/31 disent « Oui », dont 14
nouveaux, 5/31 déclarent le contraire dont 3 pratiquants avérés ; 24/31
déclarent se sentir plus sûrs d’eux, dont quinze nouveaux. Cependant les
nouveaux sont plus nombreux que les anciens (14/19 contre 7/12) à déclarer
mieux contrôler leurs émotions, à être plus calmes.
CONCLUSION
Etant au début d’un projet de recherche, nous avons bien conscience du côté
parcellaire et descriptif des quelques données présentées et de l’absence de
conclusion sur laquelle nous débouchons immanquablement. Néanmoins elles
nous confortent dans les éléments d’appréciation pour mieux évaluer les effets
des pratiques sportives de Combat Libre sur l’apprentissage du code du fair
play, le respect de l’adversaire et des règles du groupe. Toutefois les effets sur
soi semblent moins marquer les esprits des jeunes, notamment sur la santé,
l’estime de soi, bien que les règles de l’hygiène sportive semblent assimilées.
Toutefois la collecte de ces données, restreintes à un questionnaire, est à
compléter. Comme nous l’avons cité en introduction de la démarche, celles-ci
doivent être confrontées à une analyse de contenus des carnets des moniteurs.
Si les premiers éléments de réponses au questionnaire corroborent les
observations du responsable du groupe testé, s’agit-il d’un effet boomerang lié
à la construction du questionnaire ? Les items sont tirés des faits perçus sur le
terrain. Au-delà des améliorations de forme de certaines questions ceci nous
amène à poser la pertinence et de la validité de la validité de l’instrumentation
pour évaluer les effets. Avant de généraliser le questionnaire à d’autres
groupes, une rencontre pour discuter des faits observés avec les responsables
s’avère nécessaire avant de déboucher sur un projet de recherche. La procédure
d’enquête pourrait gagner en profondeur en y incluant le point de vue des
anciens sortis du dispositif au travers d’entretiens, de même pour les moniteurs.
Ceci nous permettrait encore plus de rentrer dans une perspective d’évaluation
des effets de l’intervention du point de vue des dispositifs pédagogiques et
didactiques.
BIBLIOGRAPHIE
CARRA C., GARNIER A., COL C., CARNEL B., MAS M., (2006), Les
violences à l’école primaire vues par les élèves, une face peu connue du
phénomène, Spirale 37, Lille3,
Le combat libre : quel(s) effet(s) sur les jeunes ?
15
DERVAUX
Matrice.
S., (2000). Traiter la déviance par le combat, Editions
JODELET D., (1984). Représentations sociales : phénomènes, concepts et
théorie. Psychologie sociale. Paris, PUF, 357-378
DURET P., (2001). Sociologie du Sport. Paris. A. Colin/VUEF
MASSCHELEIN V., (1996). Prévention des conduites déviantes à
l’adolescence : A propos d’une expérience régionale,in Les adolescents face à
la violence, 344-351. Paris : Editions Syros.
MASSCHELEIN V., (2007). Violences et Pratiques de Combats
Codifiées l’exemple du Centre d’Activités Sportives, Colloque Pratiques de
Combats Codifiées : quelles médiations, Lille2, (in press)
MARTINEZ ML., (2005). Approche anthropologique de la violence à l’école et
dans le sport. in B. Gaillard (Ed.), Les violences en milieu scolaire et éducatif.
Connaître, prévenir, intervenir. PURennes. Didact Education, 33-64.
MEARD J.A., BERTONE S., (1998). L'autonomie de l'élève et
l'intégration des règles en éducation physique. Paris : PUF
PAGONI M., (1999). Le développement socio moral Des théories à
l’Education Civique, Coll. Education, Presses Universitaires du Septentrion
QUEVAL I., (2004). Les Valeurs éducatives du Sport : Mythe et Réalité, in G.
Vigarello (Ed.), L’esprit sportif aujourd’hui, La tour du sujet, UNIVERSALIS, 2535.
SIHRENER Y., (2007) « La considération » comme réponse à la violence des
jeunes, Non - Violence -Actualité, 290, 16-18
PFISTER R., SABATIER C., (1998). « Pratiques sportives, agressivité,
intervention », Actes électroniques du
Colloque : Identifier les effets de
l’intervention en motricité humaine, AFRAPS-EPDM, Université Catholique de
Louvain
International Journal of Violence and School – 5 – April 2008
16