Villes-mondes / La culture, arme d`attraction - IAU île-de
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Villes-mondes / La culture, arme d`attraction - IAU île-de
20 territoires / france territoires / france LA TRIBUNE VENDREDI 16 novembre 2012 VENDREDI 16 novembre 2012 LA TRIBUNE Villes-mondes / La culture, arme d’attraction massive Au xviiie siècle, déjà, la fonction du British Museum était de montrer l’interconnexion mondiale des cultures. [EURASIA PRESS/PHOTONONSTOP] M Culture Report, les 60 indicateurs renseignés par les villes concernent aussi bien les musées nationaux ou privés (Paris et New York se partagent le leadership) que les espaces verts (Londres écrase tout le monde), les restaurants étoilés (Tokyo est loin devant Paris), les night-clubs (São Paulo est hors concours), le nombre de librairies par habitant, de concerts, de bars (Paris est très loin de New York) ou d’étudiants en graphisme… aire de la plus grande ville d’Europe, aimant jouer les bouffons de la reine à ses heures perdues, possible successeur de David Cameron, grand spécialiste de la Rome antique, Boris Johnson, le très populaire premier édile de Londres, sait ce que la culture apporte à l’économie de sa ville : le 1er août dernier, pendant les Jeux olympiques, il a présidé un sommet Quelle place pour les consacré à la culture dans les « classes créatives » ? métropoles. À sa demande, douze La méthode est inspirée par « villes-mondes » avaient réuni Richard Florida. Ce docteur en toutes les données culturelles qu’il aménagement urbain de l’univerleur avait demandées. Au bout du sité Columbia a théorisé l’existence compte, un rapport, World Cities des « classes créatives » (2) regrouCulture Report (1), qui sera réactua- pant ceux qui, dans l’économie lisé et précisé dans trois ans. Le contemporaine, élaborent de noubut ? Comprendre, dans un monde velles idées, technologies et contede plus en plus concurrentiel, com- nus créatifs (de la haute technoloment la culture différencie les gie, du divertissement, du métropoles et devient un atout journalisme, de la finance ou de l’artisanat d’art) et favorisent le décisif dans la mondialisation. Boris Johnson en est convaincu : développement économique des « L’enjeu culturel va devenir de plus villes qui savent les garder ou les en plus essentiel », que ce soit pour attirer. Les thèses de cet enseignant attirer les entreprises et les per- star de Columbia sont parfois sonnes fortement qualifiées contestées, essentiellement sur la (Londres, Paris, New mobilité supposée de York, etc.) ou encore pour cette classe créative, mais permettre aux populatous ses présupposés sont tions locales de résister à peu près admis. aux chocs de la mondiali- milliards Le travail demandé par sation (Johannesburg, d’euros. Boris Johnson est la preBombay, Tokyo, etc.). Ou C’est le CA mière tentative pour annuel pour les deux raisons à la des industries décrypter ce mélange fois, comme à Shanghai. créatives extraordinairement comLes Anglo-Saxons et les de Londres. plexe de l’attractivité, où Asiatiques ont en effet « la main invisible du depuis longtemps intégré l’idée que marché » se mêle à l’héritage cultula culture est un levier essentiel de rel comme aux politiques volontadéveloppement économique et de ristes (logement ou patrimoine). Il s’agit de mesurer la « désirabicohésion sociale. Il n’est pas un classement d’at- lité » de ces villes-mondes qui, de tractivité des villes, régions ou pays hubs commerciaux ou d’affaires, sans ses items culture. Sauf que… sont devenues pour certaines Sauf que leur définition de la d’entre elles des « hubs culturels ». culture est extraordinairement Londres en premier lieu, avec ses extensive. Dans le World Cities 23,78 milliards d’euros de chiffre 23,8 La Seine-Saint-Denis, devenue un haut lieu de l’industrie cinématographique, accueille la toute nouvelle Cité du cinéma du réalisateur Luc Besson. [BERTRAND GUAY/AFP] Shanghai, « la » ville-monde du xxie siècle, multiplie les espaces culturels. Le parc Oriental Dreamworks ouvrira prochainement en plein cœur de la ville. [REN LONG/XINHUA] World Cities Culture Report Du Financial Times au Guardian, la presse britannique s’est emparée du rapport commandé par le maire de Londres, Boris Johnson. Elle adore les classements d’affaires pour les seules industries créatives. Les « foyers » culturels ne sont d’ailleurs pas une invention du xxie siècle. Neil MacGregor est fier d’expliquer que le British Museum, qu’il dirige, a été conçu au milieu du xviiie siècle en raison de la globalisation naissante de l’économie, afin de « montrer aux citoyens du monde, et en particulier aux immigrés, l’interconnexion des cultures au niveau mondial. Londres a toujours été une ville-monde ». La ville-monde du xxie siècle semble devoir être Shanghai, si l’on en croit la masse de données du rapport, bien plus que Pékin, Tokyo, Jakarta ou Hongkong. Non seulement l’Exposition universelle de 2010 était une manifestation destinée à supplanter Pékin et ses JO de 2008, mais Shanghai veut être la « Métropolis culturelle de 2020 ». et, d’ici à sa prochaine édition, ce rapport pourrait devenir un peu l’équivalent de celui de Shanghai pour les universités et les grandes écoles, dont les résultats sont si défavorables à la France. Une stratégie appelée « Initiative 1122 » et fondée sur un centre mondial du design, de la mode et des industries culturelles, la création d’un palais des arts chinois, d’un musée d’art contemporain, le développement de sa célèbre troupe de théâtre pour enfants, la reconstruction de la place du Peuple pour la consacrer aux arts de la scène avec, à côté de la ville, deux immenses clusters dont l’un pour la danse, etc. S’ajoute à cela tout l’existant (l’énorme cluster 1933 où se retrouvent artistes, galeristes, startup et chefs d’entreprise), les divers festivals, le futur Disneyland et le prochain parc Oriental Dreamworks, sorte de Broadway mâtiné de Champs-Élysées, en plein milieu de la ville. Les créatifs du monde entier et leurs enfants vont pouvoir s’implanter à Shanghai. Le risque existe toutefois d’une distorsion trop grande entre la culture traditionnelle chinoise et cette métropole culturelle. Si le mélange prend, Shanghai gagne. Sinon, malgré tous ses efforts, elle verra le nombre des étudiants étrangers continuer à stagner, les créatifs étrangers venir sans leur famille et les bars rester vides. Paris ne sait pas « penser transversal » Bien sûr, les Français rechignent à ce type de calculs. Les thèses de Richard Florida ont été disséquées et critiquées, en particulier par des chercheurs français en février 2012. Leur thèse est que, si les classes créatives existent bel et bien, elles sont beaucoup moins mobiles mondialement que ce que Richard Florida affirme. Mais ils sont bien obligés d’admettre que le « soft zoom 10 % de l’emploi industriel de l’Île-de-France Si les Anglo-Saxons ont depuis longtemps intégré l’idée que la culture était un outil essentiel du développement économique, la France, dont le potentiel est pourtant considérable en la matière, cherche son modèle. Jean-Pierre Gonguet 21 emplois créatifs En Île-de-France, dans les industries culturelles, on compte 160 500 emplois créatifs (dont 65 000 intermittents) et 202 500 postes non créatifs. Total : 363 000 emplois. power » est réel, même s’ils n’arrivent pas à le mettre en équations. C’est en effet l’un des vrais retards de la France sur les Anglo-Saxons en matière économique et statistique. Odile Soulard et Carine Camors, les deux économistes de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France qui ont beaucoup travaillé sur les industries créatives et collaboré au World Cities Culture Report, le reconnaissent : « En France, nous sommes dans une logique de filières, alors que dans les industries créatives tout est poreux. On y travaille sur des projets et les professions s’y mêlent constamment. C’est d’ailleurs pour cela que les industries retombées L’exemple de l’opéra de Lyon : 29 millions d’investissement et 80 millions de retours, la deuxième source de retombées médias en France et dans le monde pour Lyon, derrière l’OL. créatives germent et prospèrent dans les métropoles et dans les villes-mondes : les gens passent de projet en projet, c’est extraordinairement précaire, les revenus sont aléatoires, mais c’est totalement inexportable en dehors d’une métropole. Toute cette classe créative a besoin de la ville, de la grande ville, du “off ”, de l’underground ou des cafés. C’est pour cela qu’une ville comme Berlin attire aujourd’hui les graphistes ou les designers. Mais la ville n’a pas un kopeck et elle a beaucoup de mal à les garder. » Tous ces talents sont mobiles mais, pour qu’ils se fixent, il leur faut un environnement très favorable. Londres essaie d’attirer le monde entier à coups de cadeaux fiscaux mais surtout cherche à structurer l’implantation des talents dans Tech City. À Paris, c’est plus poétique : malgré le prix prohibitif du mètre carré, les créatifs arrivent à se retrouver dans un ou deux arrondissements en plein cœur de la ville, autour des mêmes bars, dans les mêmes espaces. Mais rien n’est vraiment fait pour organiser le développement de ces industries créatives. Le meilleur exemple en est donné par la mairie de Paris et par le conseil régional d’Île-de-France qui essaient de booster ce secteur. Mais dans l’un et l’autre cas, cela relève de directions administra- Environ 309 000 en Île-de-France, 376 000 en province : c’est le nombre d’emplois dans les industries créatives recensés, sur les bases de 2007, par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France et l’Insee à partir de la définition du ministère britannique de la Culture, des Médias et des Sports (« les secteurs industriels qui trouvent leur origine dans la créativité individuelle, la compétence et le talent et qui offrent des potentiels de création de richesses et d’emplois à travers le soutien et l’exploitation de la propriété intellectuelle »). En fait, si l’on tient compte des intermittents et de certains indépendants, ils sont à peu près 363 000 en Île-de-France (près de 10 % de l’emploi industriel de la région). Ces emplois sont ultramajoritairement métropolitains (51 % à Paris et 25 % dans les Hauts-de-Seine) et se répartissent entre le cinéma, l’audiovisuel et la musique (23 %), le spectacle vivant (22 %), l’édition (18 %), la publicité (16 %), les jeux vidéo (15 %) et l’architecture (6 %). Parmi ces employés, 53 % sont des créatifs purs et 41 % ont moins de 35 ans (beaucoup plus jeunes et plus diplômés que la moyenne nationale). Ce sont des gens qui travaillent très près de chez eux, sont proches géographiquement de leurs partenaires et des donneurs d’ordres. Mais ce qui frappe, c’est leur localisation : on ne les trouve que dans des territoires créatifs qui ont une histoire (l’édition dans le 5e arrondissement, la production de cinéma à Boulogne, les médias à Issy-lesMoulineaux, la publicité à Levallois-Perret) ou dans des zones high-tech (Évry, Cergy, Saint-Quentin). q tives éparpillées : une pour le film, une pour le design, une pour la créativité, une pour le digital, une pour le livre, une pour l’artisanat d’art, etc. Paris ne sait toujours pas « penser transversal ». Un immense éventail de lobbys disparates où chacun prêche pour sa chapelle, n’a la vision que de son seul secteur et fait parfois exactement la même chose que son voisin de palier sans même le savoir. Il arrive que le territoire lui-même en bénéficie très peu. Exemple : la Seine-Saint-Denis, devenue haut lieu des tournages et de l’industrie du cinéma, où tous les professionnels de la culture qui y travaillent rentrent bien vite le soir à Paris. Tout cela pourrait s’organiser. Quelques créatifs ont cru qu’Aurélie Filippetti avait été nommée à la tête d’un « ministère de la Culture et des Industries créatives », mais ils ont déchanté. Tout reste cloisonné, rien n’est vraiment articulé, et, cerise sur le gâteau, tout le monde veut son joujou. Dans la ville-monde qu’est Paris, la mairie d’un côté et le conseil régional de l’autre ont chacun leur structure design. Dans le premier cas elle est pensée en liaison avec la mode, dans le second, avec l’industrie… La question de l’élitisme au cœur du débat La question de l’élitisme est au centre de ce débat. Pour Boris Johnson et les Anglo-Saxons, les villes sont le moteur du développement économique et du progrès technique, la moitié de la population mondiale y vit, et la richesse s’y crée. Donc, il faut mettre toutes les forces politiques et économiques là où, de toute façon, la richesse doit inéluctablement se créer. Dans la culture française et européenne traditionnelle, les gens sont considérés comme peu mobiles, et il faut privilégier la qualité de la formation pour que la richesse reste sur le territoire dont ils viennent. Aurélie Filippetti va lancer avec Pierre Moscovici une mission sur l’impact économique de la culture. S’il s’agit d’évaluer, par exemple, les retombées financières d’un festival ou d’une manifestation touristicoculturelle, le rapport n’aura qu’un faible intérêt. S’il s’agit de comprendre et de réorganiser des industries créatives un peu déboussolées dans la compétition internationale, Londres pourrait avoir un concurrent au titre de capitale européenne de la créativité. q (1) Le rapport en anglais peut être télé chargé sur www.worldcitiesculturereport. com. Les 12 villes sont : Londres, Shang hai, Paris, New York, Berlin, São Paulo, Tokyo, Johannesburg, Istanbul, Sydney, Singapour et Bombay. (2) Lire « La classe créative au secours des villes ? », disponible sur www.laviedesidees. fr, rédigé à partir d’un programme conçu en 2006 et coordonné par l’université d’Amsterdam. Treize villes concernées : Amsterdam, Barcelone, Budapest, Dublin, Helsinki, Leipzig, Milan, Munich, Poznan, Riga, Toulouse, Birmingham et Sofia.