SÉANCE 5 (04/10/2012) – Éric Thouvenel : Initials MM (Marilyn chez

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SÉANCE 5 (04/10/2012) – Éric Thouvenel : Initials MM (Marilyn chez
LABORATOIRE ALEF – S ÉMINAIRE INTERDISCIPLINAIRE
« DE L’ŒUVRE À L’ARCHIVE, DE L’ARCHIVE À L’ ŒUVRE »
SÉANCE 5 (04/10/2012) – COMPTE- RENDU
DETOURNEMENT, FALSIFICATION, REEMPLOI
Éric Thouvenel : Initials MM (Marilyn che z les autres)
Éric Thouvenel est maître de conférences en Études cinématographiques à l’université
Rennes 2, spécialiste des pratiques de réemploi dans le cinéma expérimental et les arts visuels
contemporains.
Résumé :
Vue, revue, reprise, caricaturée, rêvée, réinventée… Les comparutions post mortem de
l’actrice Norma Jean Mortenson (1926-1962), mieux connue sous le nom de Marilyn Monroe,
dépassent de loin le nombre des rôles qu’elle a effectivement interprétés au long de sa
fulgurante carrière. Cette communication se propose de traiter des réappropriations de
Marilyn Monroe à titre de motif iconographique, de la fin des années 1950 à nos jours et chez
des cinéastes aussi différents que Pier Paolo Pasolini, Robert Zemeckis, Bruce Conner ou
Paolo Gioli. Qu’il s’agisse pour eux de faire de l’actrice le support d’une critique des images
dont elle aura été l’une des plus célèbres victimes, ou bien, à l’instar des Mémoires
imaginaires de Marilyn de Norman Mailer, de redonner voix à celle qui entre toutes en fut
privé, emprisonnée qu’elle était dans sa propre iconicité, c’est bien toujours d’un enfer de la
représentation que traitent ces films, et dont on aimerait ici parcourir les cercles.
Communication :
Les cinéastes du Found footage travaillent avec un matériau préexistant ou des images
déjà produites et ont donc recours à du document et à de l’archive, visuels ou audiovisuels.
Est-ce que ces cinéastes considèrent les documents réutilisés comme des archives ou comme
de simples matériaux ? La majorité considère plutôt ces images
comme des matériaux
(sémiotiques, politiques, plastiques, etc.) avec un rapport très immédiat aux images. Ces
cinéastes travaillent sur des images très utilisées mais au fond très peu ou très rarement
pensées, y compris par les cinéastes eux- mêmes. D’autres cinéastes, plus rares, les
considèrent véritablement comme des archives. Une des caractéristiques de ces cinéastes est
qu’ils travaillent quasiment tous à partir d’images de fiction, dont la fonction originelle n’est
pas de devenir une archive, ou qui n’ont pas été pensées comme telles. Que serait alors une
archive issue de la fiction, si ce n’est un oxymore ?
Nous possédons de nombreuses images d’archive de Marilyn Monroe mais à une
exception près, cela ne sera pas le cas du corpus analysé aujourd’hui. Dans ce corpus, nous
avons à la fois une œuvre de fiction qui devient archive quand elle est reprise par d’autres
cinéastes et des images d’archive qui sont antérieures aux films du corpus donc des images
qui font forcément archive dans ce travail : il y a un double mouvement, de l’œuvre à
l’archive et de l’archive à l’œuvre.
Sur le registre des images, Marilyn Monroe (1926-1962) est victime d’une saturation
iconographique avec des apparitions très fréquentes de ses images post-mortem : 33 longs
métrages entre 47 et 62, dont 6 où elle ne figure pas au générique. Ses images par contre se
déploient largement au-delà de cette filmographie. Monroe est très célèbre aujourd’hui, très à
la mode (multiplication des essais comme Marilyn dernière séance de Michel Schneider, des
romans comme Blonde de Joyce Carol Oates, des expositions, des ouvrages photographiques,
la publication de ses journaux intimes, etc.) avec la même idée commune que l’on serait passé
à côté du génie de Monroe, alors qu’elle n’était ni un génie ni une « très » bonne actrice. De
son vivant, elle avait beaucoup de mal à accepter d’appartenir au registre des images alors que
c’est ce qu’elle est au premier abord et dès le début où elle se fait connaitre (voir : Mémoire
imaginaire de Marilyn Monroe de Norman Mailer, 1982).
Les réappropriations cinématographiques de Monroe à titre de motif iconographique de la fin
de 1963 jusqu’à nos jours : MM figure l’emblème d’une époque et devient un réservoir
d’imaginaire (narration et forme) exploité pendant toute la seconde moitié du 20ème siècle. On
retrouve particulièrement cette question dans le cinéma expérimental, et dans le found
footage. Les cinéastes font de l’actrice le support d’une critique des images où ils lui
redonnent une voix (critique ou élégie). Au-delà de l’actrice ou de ses personnages, c’est la
question de l’image qui frappe les cinéastes. Comment ce motif iconographique permet une
réflexion sur une sorte « d’enfer de la représentation » ? On peut distinguer environ six
cercles auxquels sont attachés à chaque fois un ou plusieurs films (sans exhaustivité) :
- Le cercle de la reconnaissance (le degré zéro) : faire un film dans lequel on invite le
spectateur à reconnaitre MM en tant qu’actrice ou personnage. Par exemple, Teaching the
Alphabet de Volker Schreiner (2007). Il construit à partir de films préexistants des listes
(figuration des lettres de l’alphabet, de manière littérale ou de façon plus métaphorique) : c’est
le cas pour l’apparition de MM pour la lettre M.
- Le cercle de l’évocation : en dehors de la présence de l’actrice. Par exemple : Atomic park
de Dominique Gonzalez-Foerster. Il n’est pas question de MM dans ce film de 2003 qui
capture l’errance d’une poignée de touristes dans le désert. C’est la voix de MM qui va être
utilisée (le film convoque la voix de MM par la bande son, dans un monologue très célèbre
qui se situe à la fin des Désaxés de John Huston).
- Le cercle de la falsification : comment fabriquer de la ressemblance (assumée ou fortuite) à
partir de rien ? Dans ce cercle on retrouve presque tous les films sur MM dans le registre de la
fiction, dans lesquels une actrice joue le rôle de Marilyn. Deux exemples : Mister lonely
d’Harmony Korine (2007) dans lequel un sosie de Michael Jackson rencontre à Paris ce qu’il
croit être le sosie de MM. C’est l’archive anachronique avec deux personnages qui n’ont pas
vécu au même moment. Une nuit de réflexion de Nicolas Roeg (1985) : la rencontre
imaginaire entre MM et Einstein dans une chambre d’hôtel. On se situe plutôt dans l’archive
paradoxale (une recréation).
- Celui de l’élégie : Breath death de Stan van der Beek (1963) est un film critique sur la
société de consommation des années 1960 dans lequel on trouve un passage sur MM, qui
vient de mourir. On passe d’une critique frontale à une vision plutôt attendrie. Pier Paolo
Pasolini, La Rage (1963) : film de montage sur l’état du monde commandé par Gastone
Ferranti. La partie de Pasolini est très politique, beaucoup trop à gauche pour Ferranti qui
confiera la seconde partie du film à Giovanni Guareschi (à l’opposé de Pasolini). Avec
Pasolini, on est dans le registre de l’élégie voire de l’oraison funèbre.
- L’entre deux (entre l’élégie et la critique des images) : Piccolo film decomposto de Paolo
Gioli (1986) : il anime image par image les sérigraphies que Warhol a fait de MM (variation
de teintes de gris et alternance d’images en positif et en négatif). Cela provoque un « devenir
crâne » de l’image de MM. C’est une persécution des images pour leur faire dire ce qu’elles
ne disent pas. Filmarilyn (1992) : travail à partir de planches contacts d’une séance de photos
faites par Bert Stern (séance avec MM). C’est un travail entre cinéma et images
photographiques et non un travail entre cinéma et cinéma (donner du mouvement à de l’image
fixe, essayer de passer de la fixité au mouvement : il réincarne le corps). Passage entre
hystérie et mélancolie.
- Dernier cercle : celui de la critique des images. Marilyn times five de Bruce Conner (1973).
10 ans après la mort de MM, il reprend une bande d’un film érotique avec un sosie de MM en
y rajoutant une chanson de Marilyn Monroe. Travail sur la répétition (chanson répétée 5 fois
avec une répétition des images). On a beau savoir qu’il ne s’agit pas de Marilyn Monroe, pour
le spectateur, c’est elle et non Arline Hunter. Ce film insiste sur l’aspect mortifère de l’image.
Que dit ce film sur l’archive ? Conner ne cherche pas à sublimer le matériau mais à mettre en
lumière la misère de l’actrice (bien plus que celle de son sosie).
Conclusion : MM est une image avant d’être un personnage. On a d’ailleurs du mal à parler
des images de MM au pluriel. Infiniment reprise, la question est de savoir ce que cette image
multiple raconte de notre présent mais également de l’histoire des images.
Chloé Tazartez : Construire l'événement, manipuler les traces : l'élaboration du 11
septembre dans The Zero de Jess Walter
Doctorante en Littérature générale et comparée à l’université Rennes 2, spécialiste de
littératures américaine et arabe contemporaines et de la représentation du terrorisme dans
ces littératures.
Résumé : Les attentats du 11 septembre 2001 représentent un « événement-monstre » pour
reprendre la terminologie de François Dosse, un événement qui dans sa réalisation cherche à
construire également son histoire. Cette torsion de l’événement parasite le processus
mémoriel censé aboutir à l’élaboration d’archives. À travers une lecture du roman de Jess
Walter, The Zero, je propose d’examiner la mise en scène et la manipulation des traces de
l’événement dans la construction d’archives collectives d’un côté, individuelles de l’autre. Ce
roman me permet d’interroger la possibilité d’archives « immédiates » que produiraient des
événements de type terroriste, mais aussi le statut de la fiction face à ces archives
potentielles : sommes- nous face à des fictions d’archive ou bien à une forme d’archives
fictionnelles ?
Communication :
Les archives du 11 septembre montrent l’importance de l’événement : le monde entier
a diffusé les images de l’effondrement des tours jumelles et il existe des docufictions à
outrance diffusés à chaque date anniversaire. Les cérémonies de commémoration des 10 ans
ont été l’occasion de produire encore plus de documents. Peut-on considérer ces documents
comme des archives ? Est- il possible de parler d’archivage pour cet événement ? La notion
d’archive implique une dimension collective, institutionnelle et se caractérise par sa fixité : il
s’agit de conserver une mémoire en se basant sur les traces de l’événement. Les archives
tentent de mettre un point final à un événement mais permettent aussi la possibilité d’aller audelà de ce même événement. Face aux événements du 11 septembre (événement « monstre »),
l’archivage conserve-t-il une valeur de lieu de mémoire ? Quel rôle peut-on attribuer à la
fiction dans ce processus ? Les romans américains sur le 11 septembre sont nombreux et
témoignent de l’intensité de l’événement. The Zero, de Jess Walter, arrive assez rapidement
après l’événement. Le protagoniste, Brian Remy, est à la retraite mais on apprend qu’il est
chargé d’une mission secrète (par le département de la documentation). Il est chargé de
recruter des « terroristes » qui seront finalement arrêtés par le gouvernement (dans le but de
récupérer la confiance du peuple américain). Un élément perturbe Remy dans son enquête et
dans sa vie : ses trous de mémoire, qui rythment la narration.
La combinaison des termes « événement » et « monstre » crée une catégorie
particulière d’événements marquée par l’importance des médias ainsi que par notre régime
d’historicité présentiste. Un événement n’existe que s’il est perçu comme tel. Il apparait
toujours comme une césure ou une rupture. Il transforme l’homme et son rapport au monde.
Selon François Dosse, l’événement comporte deux aspects : la réalisation (le moment où il se
produit) et sa mise en intrigue. Il est toujours passé et laisse des traces (objet ou personne).
L’événement « monstre » ou « monde » (Dosse) est une sous-catégorie de l’événement qui
possède ses propres critères, liés au nombre d’images produites. L’événement « monstre »
tend à mêler les deux phases de l’événement : l’émergence et sa mise en récit. L’événement
effectue sa propre mise en récit sans aucune distance temporelle : « Le 11 septembre pousse à
la limite la logique de l’événement contemporain, qui se donnant à voir en train de se faire,
s’historicise aussitôt et est déjà en lui- même sa propre commémoration sous l’œil des
caméras. En ce sens, il est absolument présentiste ». (Hartog)
L’attentat terroriste possède toutes les caractéristiques de l’événement poussé
l’extrême. Mettre en fiction l’attentat permettrait de mettre à distance l’événement. Il est
insaisissable mais laisse des traces, ce qui permet une construction du récit. La fiction donne
corps aux traces. Elle pourrait alors être considérée comme une trace de l’événement, un outil
pour l’archive. Elle est mise en mot de l’événement mais aussi questionnement.
Au sein d’une série d’articles, Louise Lachapelle définit un processus qu’elle nomme
« muséologie de la guerre » : le déblayage du site de Ground zero devait être rapide pour
sauver les éventuels survivants, pour effacer symboliquement l’événement mais aussi pour
reconstruire au plus vite. Elle explique que les restes du World Trade Center ont été traités
comme des déchets (domestication des restes). Les restes triés pouvaient alors servir
d’archives (muséification). Les traces de l’événement sont un enjeu majeur, à la fois politique
et collectif.
L’instrumentalisation des traces est au cœur de The Zero. Brian Remy travaille pour une
agence mystérieuse et le roman n’aborde que très ponctuellement la collecte et l’archivage. Le
roman s’ouvre sur une pluie de papier. Il y a une réelle importance accordée au papier comme
forme d’archivage du langage. Cet aspect de l’événement (collecte des morceaux de papiers
brûlés) construit l’intrigue. Cette pluie de papier est un élément majeur de beaucoup de roman
sur le 11 septembre. Cette obsession de la collecte, du contrôle du papier est une façon de
contrôler les hommes. Le papier et les gens sont des traces de l’événement sur lesquels il faut
avoir le dessus si on ne veut pas que la société implose.
La pression sur les individus est représentée par deux aspects de la personnalité de Remy : ses
trous de mémoire et l’incompréhension dont il est victime. Les trous de mémoire ponctuent la
narration, notamment par des passages amputés dans le roman. Il est privé de sa mémoire,
marqué par le trauma mais aussi métaphoriquement spolier par les institutions qui le dirigent
et pour lesquelles il travaille. Il ne parvient jamais à expliquer son état à son entourage. Edgar,
le fils de Remy, prétend que son père est mort dans les attentats. Rémy se retrouve effacé du
monde (apogée de l’effacement de l’individu). Le roman de Jess Walter travaille la
dialectique entre l’individuel et le collectif, en redonnant de l’importance à l’expérience
individuelle. Edgar explique qu’il est impossible de faire un vrai deuil collectif et que seul le
deuil individuel existe, représente la vraie expérience de la perte : il faut un retour à
l’individuel selon lui. C’est le seul moyen de se rapprocher de l’événement.
La fiction vient permettre le dépassement de l’événement. Bien que l’attentat du 11
septembre ne soit jamais vraiment raconté dans le roman (toute l’intrigue se situe après les
attentats), la fiction se fait à la fois récit de l’événement et trace de l’événement. La nonnarration de l’événement montre bien la nécessité pour la fiction de le raconter de biais. Quel
rapport à l’archivage la fiction propose-t-elle ? Par la représentation de la collecte, du tri, la
fiction prend de la distance par rapport au processus d’archivage réel. La fiction se propose
comme trace de l’événement et comme récit de l’événement, récit uniquement considéré
comme une étape dans le processus de saisissement de l’événement. Elle rappelle la nécessité
de prendre de la distance avec l’événement et de repenser une nouvelle forme d’archive,
source de questionnements.

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