reve eveille - Le Proscenium

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reve eveille - Le Proscenium
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1
RÊVE ÉVEILLÉ
de Jean-Pierre DURU
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PERSONNAGES :
4 hommes, 3 femmes
Pedro
Elle : sa conscience
A : personnage masculin
B : personnage féminin
C : Personnage masculin
D : personnage féminin
Public : personnage masculin
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SCÈNE I
(On entend les derniers vers d’une tragédie suivis d’applaudissements, puis les
bruits de sortie du public. Pedro dort dans un coin devant la scène. Une fois que les
voix s’estompent il commence à se réveiller)
Pedro : Mmm…Ils ont fini par me réveiller… (réfléchissant tout en se levant) me
réveiller, mais suis je bien éveillé ? Et si j’étais encore dans mon rêve en étant
éveillé. Allons, allons place à la réalité. Plus question de rêver.
Elle ( voix off) : Quelle réalité ?
Pedro : ( s’adressant à la coulisse) Hein ? Quelqu’un a parlé ? Non, je rêve j’entends
des voix. Eh bien, maintenant à mon tour d’entrer en scène ou plutôt…d’entrer en
salle pour le grand nettoyage. (Il va chercher son aspirateur et le présente au public)
Mr Ventilo et moi-même allons aspirer toutes les poussières qui se sont envolées du
spectacle. Il met en marche l’aspirateur) Poussières de mots, poussières de pas,
poussières d’images, poussières de sentiments. Toutes ces poussières Mr Ventilo
les garde précieusement dans son sac à malices. Mais, un jour peut-être, je libèrerai
toutes ces poussières d’étoiles qui deviendront des mots arc en ciels pour le théâtre
que j’offrirai à mon peuple.
Elle : ( voix en coulisse) Et quel jour ce sera ?
Pedro : Le jour de mon retour chez moi. (S’apercevant qu’il répond à quelqu’un, Il
demande paniqué) Qui…qui a parlé ?
Elle : C’est moi
Pedro : Qui… moi ?
Elle : Moi… Ton amie…ta conscience
Pedro : ( paniqué) Qu’est ce que ça veut dire ? Ce n’est pas possible, je n’ai pas
d’amie. Je suis en train de rêver tout éveillé.
Elle : C’est fort possible. Car dans un théâtre on construit du rêve. Et comme je sais
bien que tu voudrais bien rêver de vivre une autre vie sur une scène...
Pedro : ( s’exclamant) Non, non, non. Pas question, c’est fini. Je ne tiens pas à me
faire remarquer. J’ai un travail maintenant. Je fais équipe avec Monsieur Ventilo.
( s’adressant poliment à la salle) Je tiens à remercier sincèrement toutes les
autorités qui sont intervenues pour me procurer un emploi et m’accorder fort
obligeamment un permis de séjour…( montrant son aspirateur) Désormais j’aspire .
Elle : A quoi ?
Pedro : Comment à quoi ?
Elle : Tu aspires à quoi ?
Pedro : (criant) J’aspire à ce que tu me laisses tranquille, espèce de sale
cauchemar ! (Silence. Puis Pedro se reprend) Mais je deviens fou. Voilà que je me
mets à parler tout seul.
Elle : Et si tu venais me rejoindre sur scène ?
Pedro : (Apeuré, il parle doucement) Ah, la voix est toujours là ! On dirait qu’il y a
quelqu’un… pour de vrai. ( se bouchant les oreilles et parlant fort ) Je ne vous
entends pas. Je ne vous connais pas. J’ai du travail, je suis un bon immigrant, je n’ai
pas d’opinions politiques. (Un temps. Il attend que la voix se manifeste, puis
s’apercevant que la voix s’est tue) Voilà que je me mets à monologuer. La voix ne se
manifeste plus. Je divague complètement. Je deviens fou dans ce pays.
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Elle : Mais non tu n’es pas fou, puisque tu es en train de me parler. Veux tu me
voir ?
Pedro : (paniqué) Vous êtes de la police ? Tous mes papiers sont en règle, Madame
la commissaire, vous pouvez vérifier... (Il commence à sortir son portefeuille)
Elle : Ne t’inquiète pas, je ne suis pas flic. Je t’ai dit que j’étais ta conscience.
Pedro : Peu importe qui vous êtes. Je ne veux pas vous connaître. Ma
conscience !…J’aurai tout entendu ! (à lui même) C’est encore mon imagination qui
continue à me jouer de vilains tours. (criant) Laissez moi tranquille à la fin !
Elle : Tu peux me tutoyer.
Pedro : (criant) Alors, fous moi la paix !
Elle : Eh bien tant pis, homme de peu de foi, je te laisse à tes doutes.
Pedro : C’est ça. Adieu, espèce de plaisantin. (Il recommence à faire fonctionner
son aspirateur puis s’interrompt et il se parle à lui même) Et si c’était vraiment ma
conscience qui me parlait et qu’elle se soit personnifiée. Imagine ça, mon alter ego
au féminin, mon altera égoïne … (souriant) Je commence à délirer. (Il recommence
à aspirer)
Elle : Ah, ah…tu vois…tu commences à y croire…
Pedro : Non ! Non ! Non !
Elle : Veux tu me rejoindre sur scène ?
Pedro : (Un temps, réfléchissant) Et pourquoi pas ? (se reprenant) Euh, attendez !
(à lui-même) C’est peut-être dangereux de monter sur scène…car si les démons du
théâtre se réveillaient en moi…Bah, qu’est ce que je peux bien risquer après tout ce
que j’ai vécu ? (S’adressant à la voix) D’accord !
(Pedro monte sur scène)
Elle : Alors tu trouves ça comment ?
Pedro : Il faut que je m’y fasse. Avec Monsieur Ventilo nous avons toujours
l’habitude de traverser la scène sans nous attarder. Surtout moi…j’ai peur que des
voix ne m’appellent comme aujourd’hui. Alors on aspire vite les derniers rires qui se
baladent, les répliques qui traînent encore, les mégots qui jonchent les coulisses. Et
adieu !
Elle : Eh bien, aujourd’hui vas y. Tu as tout l’espace pour te balader comme tu le
souhaites.
Pedro : (hésitant) C’est difficile de faire le premier pas. (S’adressant à la voix)
Vous…vous ne pourriez pas m’aider ? Vous avez l’air de bien la connaître cette
scène.
Elle : Voudrais-tu que je t’apparaisse... maintenant ?
Pedro : Je crains le pire. Car si vous êtes ma conscience, comme vous le prétendez,
elle ne doit pas être bien jolie. Elle a vécu tant d’épreuves…
(Entrée en scène d’Elle)
SCÈNE II : La conscience et Pedro
Pedro : (tout étonné qu’elle soit jolie) Ah ça alors ! Ce n’est pas possible que j’ai une
si belle conscience. (reprenant ses esprits) Mais que je suis bête ! Je me suis fait
avoir. Je suis tombé en plein dans le panneau. En fait vous êtes une comédienne qui
joue ma conscience. Evidemment vous m’attendiez pour me faire une farce. Je dois
dire que vous avez presque réussi à me faire croire à votre réalité. Allez, adieu.
Merci. (Il veut descendre de la scène)
Elle : Et pourtant c’est vrai.
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Pedro : Qu’est ce qui est vrai …surtout sur une scène de théâtre?
Elle : Que je suis ta conscience et que je ne suis pas une comédienne. Je
t’attendais… ou plutôt j’attendais le moment propice pour t’apparaître. Donne moi la
main.
Pedro : (s’exclamant) Oh, ça y est j’ai trouvé ! (Montrant Elle) C’est un hologramme.
Dès que j’essaierai de lui prendre la main, je saisirai du vide.
Elle : Essaie.
Pedro : ( il lui prend la main et s’écrie apeuré en retirant sa main ) Ah, c’est une vraie
main !
Elle : Bien sûr. Tu n’as pas encore cru que j’étais ta réalité ? Viens. Je vais t’aider à
avancer dans cet espace comme le font les hommes de scène. ( le faisant avancer
pas à pas en le tenant par la main et en lui signalant les repères sur scène )
Attention, regarde bien ! D’ici à là pour commencer tu dois te montrer prudent avec
ton souffle. Car il faut d’abord que tu apprennes à respirer dans cet espace clos.
Ferme doucement les yeux. (Pedro ferme les yeux) Que vois tu ?
Pedro : (Un temps) Rien.
Elle : Très bien.
Pedro : Si votre jeu consiste à me faire avancer pour que je me casse la figure ce
n’est pas drôle.
Elle : Ne t’inquiète pas. Les yeux fermés tu vas aller chercher en toi ton souffle afin
de faire respirer ton personnage. Tu lui feras du bouche à bouche, du mot à mot, du
b.a-ba… Allez respire un bon coup.
Pedro : ( il tousse) Il y a trop de poussière ici, je n’arrive pas à respirer…là bas, chez
moi, j’avais l’habitude de jouer en plein air.
Elle : Ah, ne fais pas le difficile ! Il faut que tu inhales toutes les poussières du temps
qui passe pour pouvoir les restituer au public. Tu dois lui rappeler toutes les
sensations oubliées de sa propre existence : une étincelle de couleur en été, l’éclat
d’un sourire dans la nuit, le frôlement d’un parfum rue du Chemin Vert à Paris en
France profonde au milieu du printemps...
(Exercices de respiration) Allez …doucement… Tu respires…tu souffles…tu
respires…tu souffles
(Pedro se met à tousser) Tu t’essouffles parce que tu te précipites. Prends ton
temps. Il faut que tu prennes le temps d’installer ton personnage dans son espace.
Il faut que le personnage découvre l’espace, qu’il le hume, qu’il en prenne les
dimensions, qu’il en prenne le rythme. ( poursuivant en lui montrant les repères) D’ici
à là tu vas commencer à t’enhardir. Puis sur cette distance là ton souffle deviendra
plus régulier. Et pour terminer ton trajet tu auras pris de l’assurance. Tu éviteras de
faire un pas de travers. Et ensuite… je suis sûre que tu pourras marcher tout seul
comme un grand.
Pedro : Non, je ne pourrai pas.
Elle : Mais pourquoi ?
Pedro : Ici, sur les planches de ce pays, je manque de confiance en moi. Je n’ai pas
mes propres repères. Nos scènes, chez nous, là-bas étaient des estrades en bois
brut, pas de ces parquets réguliers… nettoyés et cirés…( s’inclinant) par votre
serviteur et …( s’adressant à l’aspirateur) Monsieur Ventilo, ne l’oublions pas…
Elle : Tu dois faire un effort pour t’adapter. Tiens, imagine qu’il y a un public devant
toi et que tu vas lui parler de là-bas…de chez toi.
Pedro : Ah, non, ce sera pire. Je ne pourrai plus du tout avancer. Je serai
complètement bloqué.
Elle : (s’énervant) Je te dis d’avancer !
(Pedro avance sur la scène en regardant intensément le public)
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Alors ?
Pedro : Je me sens plus léger tout à coup… et plus fragile... ( montrant la salle) Ils
m’attirent et me foutent le trac…même quand ils sont absents.
Elle : Mon petit Pedro, si tu veux réapprendre à vivre sur les scènes des théâtres
d’ici il va falloir que tu apprennes à te mouvoir, à respirer, à parler, à aimer , à mourir
dans cette cage à illusions ( montrant le cadre de scène) comme si tu te sentais
libre.
Pedro : Je dois reconnaître qu’enfermé ici je me sens plus libre qu’ailleurs. Mais ça
ne vaudra jamais le plein air où les poèmes s’envolent à plein cœur .
Elle : Je t’apprendrai à vivre dans leurs théâtres.
Pedro : Oh, là, doucement, doucement ! J’ai déjà connu de ces âmes bien
intentionnées qui voulaient m’apprendre à vivre en décrétant mon bonheur à coup de
bottes. Alors, non merci. Si la vie sur scène est pire que la réalité je préfère retourner
dans la salle à aspirer…(il veut redescendre dans la salle, elle le retient)
Elle : Ce que je veux te dire c’est que dans ces théâtres tu peux représenter la vie
qui bouillonne autour de toi. Car il ne s’agit pas seulement de jouer un personnage
mais aussi les arbres, les rues, les maisons et l’ombre sous les arbres, et la chaleur
dans les rues et la couleur des maisons au soleil couchant.
Pedro : Tu parles d’une responsabilité !
Elle : Il faut jouer tout cela pour procurer du plaisir au public qui est venu pour te
voir.
SCÈNE III : LA conscience, PEDRO et PUBLIC
Public (s’exprimant de la salle) : Ça c’est une bonne idée.
Pedro : (affolé) Qui c’est ?
Elle : Je ne sais pas. (Criant vers la salle) Qui êtes vous ? Montrez vous !
Pedro : Vous savez qu’il est formellement interdit à qui que ce soit d’entrer dans la
salle en dehors des heures de représentations. Si vous voulez réserver une place
pour les prochains spectacles vous pouvez venir tous les matins à partir de neuf
heures trente.
Elle : (S’adressant à Pedro) Laisse tomber. Tu es pénible avec ton rappel du
règlement.
Pedro : (S »adressant à Elle sur le ton de la confidence) Je préfère me protéger, car
imagine que ce soit un flic.
Elle :( s’adressant à la salle) Qui êtes vous ? Montrez vous !
Public : Je m’appelle Public…Populaire de son prénom
Elle : (ravie) Ah, ah, un connaisseur ! Mais venez donc nous rejoindre sur scène,
cher public que nous aimons tant.
Public : Vous ne me connaissez même pas. Alors cessez vos flagorneries.
Elle : Mais nous avons beaucoup entendu parler de vous. Votre réputation vous a
précédé.
Public : (flatté. Public monte sur scène) Ah, oui ? Moi, voyez vous, ce qui me fait
plaisir au théâtre c’est quand ça rigole
Elle : Oh, mais ça va rigoler, faîtes nous confiance. (S’adressant à Pedro) Pas vrai ?
Pedro : Je ne sais pas, moi.
Elle : (insistant) Mais, si tu sais. Bien sûr que tu sais ! (en a parte et en montrant
public ) Fais lui croire que tu sais.( haut à Pedro) Tu es un rigolo, toi !
Pedro : Depuis quand je suis un rigolo, moi ?
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Elle : (minaudant auprès de Public) Mais depuis que le public nous le demande,
voyons. Nous devons toujours satisfaire notre commanditaire.
(Un projecteur de poursuite se fixe sur Pedro. Les autres personnages sont dans
l’obscurité)
Pedro : Rigolo… Rigolo… c’est bien un mot réservé au public d’ici. Un public repu
et aisé qui a besoin de se relâcher l’estomac et de rigoler à gorge déployée quitte à
chier dans son froc. Chez moi, là-bas, le peuple a faim. Il est prêt à dévorer la lune. Il
a faim d’espoirs… souvent déçus. Notre théâtre, à nous, c’est la farce ou la tragédie.
La farce ce sont les pleurs du désespoir qui éclatent de rire. Dans une farce on peut
brûler l’effigie en papier mâché du dictateur en dansant autour, on peut lâcher des
gros mots par le cul, on peut dégueuler sa haine à grands cris. La tragédie c’est
notre passé qui revient à gros flots de sang. La violence y est retenue et la parole
détenue. La mort y tend ses filets et les héros s’emmêlent dans ses mailles jusqu’à
s’étouffer.
(Retour lumière normale)
Public: Moi, ce que j’aime au théâtre c’est quand ça bouge, quand les portes
claquent…
Elle : Vos désirs sont des ordres, cher public (on entend des portes qui s’ouvrent et
se ferment en claquant)
Public : Très bien, très bien. Mais il faut qu’il y ait des personnages derrière ces
portes.
SCENE IV :
(Les personnages apportent des portes, les ouvrent les ferment, se cognent, font
des culbutes)
Public : Il faut aussi qu’ils causent.
Pedro : (s’adressant à Elle) C’est vraiment obligatoire ?
Public : Evidemment. D’où sortez vous ? Au théâtre ça cause toujours.
Pedro : Pour dire quoi ? On peut tout autant rester coi.
Public : Rester quoi ?
Elle : Il dit qu’au théâtre on peut aussi rester coi. Se la fermer en quelque sorte !
Public : Mais, c’est du mime !
Elle : Non, Monsieur, ( elle crie) C’est du silence ! Et on a besoin de silence de
temps en temps.
Public : Ah bon. ( long silence)
Elle : Ah, ça fait quand même du bien quand ça s’arrête de causer. Bon.
(haussant le ton) Et maintenant, à la demande générale - et plus particulièrement de
notre public- je souhaiterais que les personnages qui s’agitaient inutilement viennent
jusqu’ici pour rencontrer notre héros.
Personnages A, B, C, D : Il y a un héros ? Qui est ce ? Où est il ? Tu le connais,
toi ?
Elle : (montrant Pedro) : C’est lui.
Pedro : Non, non il y a erreur. Je ne faisais que passer, j’aspirais…
Elle : (interrompant Pedro) …à devenir un héros
Pedro : Mais non !
A : (s’adressant à Public) Alors, si ce n’est pas lui, c’est vous le héros ?
Public : Ah, non, moi, je suis le public
C : Le public…tout seul ? C’est nouveau, ça.
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B : Ah, s’il y a moins de public dans la salle que de personnages sur scène, moi je
refuse de jouer. Il ne faut quand même pas exagérer !
D : Tu as tout à fait raison.
Public : Excusez-moi, mais je suis le public à moi tout seul. Je suis bien obligé. Tous
les autres sont partis. Je vais vous expliquer. Ma femme m’avait traîné jusqu’ici. Elle
aime se faire chavirer l’émotion en venant s’extasier devant des tragédies
classiques. Elle appelle ça son supplément d’âme. Moi, je me suis tellement
emmerdé pendant le spectacle que je me suis endormi. Et elle a dû oublier de me
réveiller. Peut-être qu’elle en a profité pour rejoindre son amant comme on a
l’habitude de le voir dans les pièces de comédie adultérine. Après tout, je m’en fous !
Je ferme les yeux… je m’endors tellement facilement ( sur le ton de la confidence à
la Conscience ) c’est parce que je digère difficilement. Chacun ses problèmes, pas
vrai ? Aussi lorsque je suis forcé d’assister à une tragédie…qu’est ce que je peux
roupiller! C’est un somnifère. Car, moi, entre nous, je préfère quand ça rigole.
Elle : (avec impatience) Oui, oui. On sait.
A : (S’adressant à Public) Allez, ne nous raconte pas d’histoire tu es un personnage,
toi aussi. C’est la distribution qui t’a demandé de jouer le public. Tu es public
intermittent, pas vrai ?
Public : Ah, non, pas du tout. Je suis public payant.
A, B, C, D : ( étonnés) Ah ça alors !
Elle : Bon, maintenant tout le monde en place. Vous, le public, vous allez jouer …
votre rôle. (S’adressant à A, B, C, D) Quant à vous…
A : Ah, pas question de jouer le public !
B : Ah non pas question !
C : Moi, une fois j’ai joué le public.
A, B, D : Ah bon ?
C : Mais j’étais invité.
A, B, D : Ah c’est tout à fait différent !
Public : (S’adressant à Pedro) Mais, dîtes moi, pourquoi tenez vous tant à faire du
théâtre ?
(Les autres se précipitent pour répondre à sa place)
A : C’est pour pouvoir tenir entre mes bras de superbes nanas
B : Pour pouvoir donner mon corps à l’art dramatique
C : Pour pouvoir surprendre le public au coin d’un mot.
D : Pour pouvoir parler de moi aux autres afin de trouver l’âme sœur.
Pedro : (S’adressant à Elle) Bon, puisqu’ils répondent à ma place, je n’ai plus qu’à
me tirer. ( il veut descendre de la scène, Elle le retient)
Elle : Mais non, reste. (S’adressant aux personnages) Dîtes donc, les personnages,
qui est ce qui vous a demandé de parler à la place du héros !
A : (Ricanant) Au théâtre le personnage parle toujours à la place de quelqu’un.
C : (S’adressant à A) C’est faux au théâtre le personnage dit je
A : Allons, tu sais bien qu’il n’y a que Môssieu l’auteur qui peut dire je. Toi, tu joues
avec son je. Son je est multiplié par le jeu de 2, 3, 4, 50 personnages.
C : Et de quel droit l’auteur me prendrait il à mon propre je?
A : Mais voyons, parce que c’est lui qui a écrit le texte, gros malin.
C : Ah oui ? Et si on improvisait…? A ce moment là ce serait nous qui dirions je.
Vous allez voir, je vais faire - et dire - ce que je veux
A : Impossible.
C : Et pourquoi donc ?
A : Tu joues toujours le texte d’un auteur.
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C : (s’énervant) Je vous ai dit que ce soir ( il épèle) on décidait d’im-pro-vi-ser ! Pas
besoin d’auteur. ( il se met à crier et épèle) Je vais dire n’im-porte-quoi.
B : Ça ne changera guère de ce que tu dis d’habitude.
C : Sauf que d’habitude, ce sont des mots d’au-teur, chère amie… (Montrant A)
d’après ce qu’il m’a dit. (Il crie) Je dis : « N’importe quoi ! N’importe quoi !
N’importe quoi ! »
B : Et alors ?
C : Tu as entendu ? Je l’ai dit. Je me suis libéré du texte.
Public : Moi, je ne suis pas convaincu. Je crois que votre texte était déjà écrit.
C : Ah, oui ? Alors, d’après le… public, nous - les personnages - nous n’aurions
aucune liberté de création ? Nous serions soumis à la dictature du texte ? Soumis à
l’imprimatur de cet auteur que je ne connais d’ailleurs même pas! Je ne vous crois
pas. Je suis sûr qu’actuellement je suis porteur de mes propres paroles.
Public : Allons soyez raisonnable. Reconnaissez que vous n’êtes qu’un personnage.
C : ( en colère) Pas du tout. Je suis …je suis un …( fier d’avoir trouvé une idée) je
suis un improvisateur. Mais, vous, vous parlez d’après le texte d’un auteur.
Public : Ah, non, non, pas du tout. Moi, c’est différent. Je suis le public et le public
est autonome. Je m’exprime avec mes propres références.
C : Pas du tout vous n’êtes, vous aussi, qu’un personnage
Public : (s’adressant à C) Ah, je voudrais bien voir ça Monsieur…ou Madame…on
ne sait pas exactement…un personnage, c’est asexué. Moi, je suis viril de bout en
bout. Je me connais.
C : Non, mais dîtes donc. Ce n’est pas parce que vous avez payé que vous devez
nous injurier.
Public : Excusez-moi. Mais, ne vous en déplaise, j’ai mon existence propre. Par
contre vous, vous ne prenez réellement existence que lorsque je suis spectateur.
Sinon vous n’êtes que des pattes de mouche pleines d’encre. C’est sur scène que
l’encre devient du sang, que les pattes de mouche se mettent à trotter dans votre
mémoire. C’est sur scène que les lettres prennent corps, que les mots prennent des
attitudes et que les points de suspension deviennent des soupirs. C’est alors que le
texte prend possession de l’espace.
A (aux autres) : Eh bien, dites donc, voilà que le public se met à s’intéresser à ce
nous faisons. On aura tout vu…
Elle : (s’adressant à A) Toi, ça suffit. Tu veux tout gâcher? Tu sais très bien qu’on a
besoin du public.( montrant Pedro) Cher public, je vous présente Pedro, le héros.
Public : Pedro ? C’est un prénom plutôt…
Elle : (tranchante) C’est un prénom de théâtre.
Public : Peut-être…mais c’est pourtant un prénom venu tout droit de l’étrange.
(montrant les coulisses) De par là-bas…
Elle : (l’interrompant) Vous vous appelez bien Public, non ? Populaire de son
prénom ?
Public : Euh oui...
Elle : Eh bien sachez que Pedro est de par ici par sa mère et de par là-bas par son
père.
Public : Ah, alors tout s’explique. C’est bien un prénom de théâtre.
Elle : Eh, bien, Pedro va vous montrer comment on joue chez lui.
Pedro : (s’adressant à Elle désemparé) Mais je ne peux pas…..
Elle : (en confidence) Il n’y a pas de mais…Il faut que tu t’affirmes face à eux. Va
revêtir le costume qui t’attend en coulisses.
Pedro : Mais …
Elle : Fais ce que je te dis. (Pedro sort)
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Les personnages : Et qu’est ce que nous allons jouer ?
Public : (s’adressant à Elle) Comment ? Ils ne savent pas ce qu’ils vont jouer ? C’est
incroyable ! Ils n’ont pas répété ?
Elle : Ecoutez, cher public, vous jouez votre rôle. Parfait ! Mais il ne s’agit tout de
même pas que vous inversiez les rôles. Je vous rappelle que vous êtes le Pu-blic et
que jusqu’à preuve du contraire ce sont les per-so-nna-ges qui s’expriment sur
scène.
A , B, C, D : Evidemment. Bien sûr. Non, mais.
Public : Bon, d’accord. Mais qu’est ce qu’ils vont jouer ? Le public pourrait quand
même en être informé, si ça ne vous dérange pas. Sinon, adieu.
Elle : Eh, bien les personnages vont jouer… (ennuyée) vont jouer… leurs
personnages évidemment…
A : Et quels sont nos personnages ?
Elle : Eh, bien (les désignant au hasard) 1, 2, 3, 4 dans l’ordre que vous voudrez.
B : Comment ça 1, 2, 3, 4 ? Vous nous prenez pour des numéros.
(s’adressant à Elle) D’abord qui est le numéro Un ?
A : C’est moi, évidemment.
C : Eh, pardon, on m’a dit que j’étais le numéro Un.
B : Qui t’a dit ça ?
C : La distribution.
B : A moi aussi la distribution m’a dit que j’étais le Number One.
D : A moi aussi.
Elle : Ça suffit. Faîtes votre numéro, c’est tout ce qu’on vous demande.
A : Eh, doucement, Madame. La distribution nous a fait croire que nous allions jouer
les numéros Un et en fait nous ne devons jouer que des seconds rôles. C’est
malhonnête et outrageant ! (grandiloquent) Nos personnages sont faits de chair et
de sang. Ne l’oubliez pas, chère Madame. Nous sommes des vies humaines qui
viennent offrir sur un plateau leur cœur qui palpite.
B, C, D : Bravo. Bien dit. Tu as raison. Tout à fait
Voix en coulisses : Quelle réplique ! Mais quelle réplique !
Elle : ( s’adressant à la coulisse) Suffit la bande son !
A : Je propose que nous jouions les frères Marxistes : Groucho, Chico, Harpo,
Zeppo qui s’opposent au monopole hégémonique de la distribution.
B : Ou bien jouons les sosies des quatre mousquetaires. Tous pour un, un pour tous
pour nous opposer au pouvoir quasi monarchique du casting.
C : Et si nous jouions les 4 personnages d’une famille modèle : le père, la mère, la
fille, le fils
A, B, D : Ah, oui, bonne idée !
Public : je crois que ça me plairait mieux.
C : Le père…une brave homme de père. Un peu Goriot sans pour autant être
Grandet. Un peu Noël sans être Fouettard qui a travaillé du chapeau toute sa vie
durant.
Public : Du chapeau…claque ?
C : Non, du chapeau cloche…sonnant mâtines, angelus et complies qui était
spécialement porté par les moines cisterciens qui avaient le bourdon. Le père est un
bourreau de travail qui force le respect. On peut dire qu’il en a bavé des ronds de
chapeau. On ne lui connaît qu’un seul défaut : il pratique avec acharnement et
frénésie la religion catholique tous les dimanches matins au lieu de faire son jogging
comme tout un chacun.
B : (accent méridional) La mère…la pauvre mère... Elle a tout sacrifié pour l’amour
du père, alors qu’elle était une groupie fanatique de Johnny Halliday qui l’abandonna
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lâchement en lui laissant entre les mains un pauvre autographe qu’elle a toujours
gardé cloué contre son cœur.
Public : C’est honteux !
B : Et, pour l’amour du père, elle devint petite chanteuse à la croix de buis. Pour
l’amour du père encore, alors qu’elle était diplômée d’Harvard, elle devint
analphabète. Et enfin alors qu’elle était une écuyère émérite, elle finit par ne plus
porter que sa culotte de cheval.
D : La fille…la fille a toujours aimé son père d’un amour coupable. Pour l’oublier elle
a dû entrer très jeune chez les chasseurs alpins. Ce n’est que bien plus tard, ayant
acquis une renommée internationale en escaladant les Monts D’Arrée par la face
Nord et en ayant laissé sous elle six sherpas, qu’elle revînt dans sa famille pour
finalement épouser le chien. Depuis elle garde sa niche propre et prépare la pâtée
familiale avec abnégation.
Public : Oh, la, la c’est très… très oedipien !
A : (fataliste) C’est la vie, que voulez vous.
C : Le fils…Le fils, lui, n’aime personne.
Public : Ah, le salaud !
C : Et personne ne l’aime.
B : (se tournant vers C apitoyée) Mais si, mon petit.
C : (à B) Trop tard. Le fils a voulu se suicider. Il tenta de s’empoisonner la vie avec
une mégère. Il se rata.
Il tenta de s’égorger avec une extinction de voix. Il se rata-t-encore.
Il se pendit au cou de sa maîtresse…qui de guerre lasse l’épousa.
Public : Ah, tant mieux, je préfère quand ça finit bien. ( s’adressant à Elle) Car il ne
faut pas se fier aux apparences, chère Madame, en réalité je suis un gros sensible…
Ce dont j’ai besoin, quand je suis spectateur, c’est d’un accélérateur de testicules,
d’un fortifiant de spermatozoïdes, d’un durcisseur de glandes afin de redonner du
sourire à mes rides, de la chaleur à mes bras et… de l’émotion pour que palpite mon
petit engin. En un mot j’ai besoin d’aimer… et d’être aimé
Voix off : Quel public ! Mais quel public !
Elle : (s’adressant à la coulisse) Ça suffit la bande son, vous en faîtes trop.
(s’adressant à Public) Mais, vous savez bien que nous vous apprécions tous ici, cher
public audimateur. (en a parte) Bien obligé… (aux personnages ) Quant à vous, vos
revendications ne me concernent pas. Je vous rappelle que Monsieur l’auteur vous a
confié à moi pour que je vous mette en scène dans ses basses œuvres et qu’il vous
est demandé de suivre son texte à la ligne près.
A : Nous refusons d’être des numéros de loterie interchangeables !
B : Tout à fait.
C : Bien dit.
D : Exactement.
A : Pourquoi ne serions nous pas des lettres, au lieu d’être des numéros, puisque
nous avons notre mot à dire dans cette pièce d’après ce qui est stipulé dans nos
contrats de personnages ?
B : Bien sûr.
C: Tu as raison.
D : Tout à fait.
A, B, C, D : (s’écriant) Nous serons des lettres ou rien !
Elle : Très bien, très bien. Je vous prends au mot. Si vous ne voulez pas être des
numéros, soyez donc des lettres.
(Les personnages revêtent des tee-shirts blancs sur lesquels sont imprimées les
lettres noires A, B, C, D)
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A : Bon, alors moi je suis A.
C : Ah, c’est incroyable tu en profites toujours pour te mettre en avant.
B : Et moi je serai B. (minaudant) Et même B.B. Nous pourrons faire des choses
ensemble, grand A. Qu’en penses-tu ? Nous serons le B.A ba de l’a + b.
A : Et notre première B.A sera d’apprendre au public l’abc de l’amour.
C : (Attirant B) Avec moi ! Avec moi ! Le C de l’abc c’est moi.
D : (Revêtant son tee-shirt) Et moi je serai le dé du hasard…
B : (Attirant C dans ses bras) : Et si B et C baissaient l’abat jour pour avoir un peu
d’intimité. Qu’en penses tu ?
D (Attirant C dans ses bras ): Tous les deux nous pourrons être réunis sur le même
CD. Qu’en dis-tu ?
A (se plaçant auprès de C et D) : Ensemble nous serons plus forts avec notre D C A.
(Entrée de Pedro en costume d’Arlequin. Mais ce costume d’Arlequin est composé
de bouts d’étoffe cousus hâtivement, il porte un masque en carton bouilli, un
chapeau melon et des chaussures de clown. )
Pedro : Bien le bonjour aux hommes et aux femmes de lettres.
Pedro : Vous me semblez bien tristounets tous les quatre engoncés dans vos teeshirts. On dirait des lettres anonymes alignées noir sur blanc avant d’être torturées
par une machine à traitement de texte ?
A, B, C, D : : Ah, ça non !
Pedro : Ne voudriez vous pas plutôt cracher votre flamme en lettres de feu pour
enluminer notre imaginaire.
A, B, C, D : Ah, oui !
Pedro : Les lettres doivent vivre en pleine lumière pour servir la parole ! Elles doivent
avoir du corps et du caractère. Allez, tous en piste pour la parade des lettres !
(s’adressant à Public) Public, vous allez découvrir devant vos yeux ébahis les lettres
qui se mettent en fête pour que les mots deviennent des feux d’artifice. (Musique de
parade pendant la description de Pedro, un défilé des personnages déguisés en
fonction du texte))
Regardez ! Les lettres avec deux L s’envolent comme des hirondelles et se posent
sur le fil orthographique.
Les lettres mammifères à jambages gambadent de lignes en lignes à la recherche
d’un bon mot.
Les lettres papillons butinent le vocabulaire pour en tirer le nectar.
Les lettres de plumes ont des becs de coqs
Les lettres de poils bombent le torse.
Les lettres d’écaille glissent et serpentent.
Les lettres d’émail avancent fièrement leurs blasons.
Les lettres de corail nagent entre les points virgules.
Les lettres de plomb frappent le silence de la page.
Les lettres bâtons demeurent droites comme des ifs
Les lettres de roseau émergent sur la feuille blanche.
Les lettres perles s’enfilent une à une en un collier de syllabes.
Les lettres fleuries s’étalent en pétales dans les livres d’heures.
Les lettres de pluie descendent sans bruit sur la nuit.
Les lettres du vent orientent la rose du temps.
Les lettres à la queue leu leu laissent sur le papier la trace de leurs mille pattes.
Les lettres minuscules se poursuivent et se bousculent pour devenir capitales.
(Sortie de B)
Pedro : Et, regardez, regardez les belles lettres étrangères. L’elvézir… un p’tit peu
ronde
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D : Je ne comprends pas, je fais pourtant un régime.
Pedro : La gothique…un peu teutonne…
D : Mieux vaut avoir des tétons que des E sur le plat.
Pedro : La romaine…un peu italique
D : C’est mon côté tour de Pise
Pedro : L’anglaise…légèrement bâtarde
D : Oh, you’re shocking !
Pedro : Et la lettre arabesque qui nous charme tant… (D danse sur une musique
orientale)
Voix off des coulisses : Oh, la, la…moi, je vais me jeter au pied de cette lettre
Pedro : Silence, bande son !
(Pedro s’adressant à Public) Mais vous devez légitimement vous demander que
deviennent toutes ces lettres ?
A : Les lettres circulaires tournent en rond rond dans des bureaux crateux
C : Les lettres ouvertes sont obligées de se la fermer
A : Les lettres calligrammes doivent passer au pèse lettre !
D: Les lettres d’amour finissent tristement au tri
C : Les lettres de faire part finissent en lettres mortes
Pedro : Et maintenant toutes les lettres vont se mettre en gammes pour chanter Sire
le MOT
( Les personnages se placent comme des choristes. Pedro bat la mesure)
Pedro : Un… deux.
( les personnages chantent la chanson des 4 Barbus sur l’alphabet : A, B, C, D, E,
F,….A la fin de la chanson B entre en scène portant un uniforme militaire et
interrompt le chœur)
B : Excusez-moi de vous interrompre, Mesdames Messieurs, mais je dois procéder
au contrôle culturel de la République des belles lettres. Que chacun reste à sa place.
Le Ministère des affaires cultureuses, donc coûteuses, souhaite savoir où vont
s’échouer les impôts des spectateurs avertis et il m’a chargée d’enquêter à ce sujet.
Qui parmi vous produit ce spectacle ?
Elle : Eh bien, on peut dire que c’est moi.
B : Et vous produisez quel genre de spectacle ? Spectacle réaliste ? Reality show si
vous préférez -mais nous devons éviter de parler le franglais dans notre ministèrevous comprenez ? Ou bien tragédie bourgeoise ? Drame prolétaire ? Comédie de
nurses ? Autres.
Elle : Autres
B : Mouais. ( B note) Autres. Nombre de personnages pour votre spectacle
Autres ?
Elle : C’est… c’est variable. C’est en fonction des intermittences… il y a des
personnages à temps partiel, d’autres qui sont à trois quarts de temps, la plupart ne
passent qu’une saison ; ce sont des migrateurs qui vont de nuages en nuages,
comprenez vous ?
B : Mouais, y feraient mieux de rester sur terre. Respectez vous le quota
d’occupation des sols?
Elle : … (étonnée ne répond pas)
B : Un personnage pour 5 mètres carrés de cour ou de jardin…afin d’éviter une trop
grande prolifération d’intermittents…notamment migrateurs … étrangers.
(d’un air entendu) Vous me comprenez ? Tiens au fait quelle est leur origine
géographique à tous ceux là ?
Elle : Euh…Européenne pur sucre
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B : Bien. (B note sur un calepin) Européen. Quels sont vos moyens de subsistance ?
Vous avez une subvention…patronale ? Un financement occulte ? Des subsides
subtilisés au fisc ?
Elle : La mairie de quartier nous accorde une obole, celle d’arrondissement une
aumône et nous faisons la manche pour joindre les deux bouts.
B : Veinards ! Vous pouvez dire que vous n’avez pas à vous plaindre. Vous êtes de
vrais saltimbanques, vous. Quel est le niveau de compétences de vos zigotos ? Je
veux dire quels sont les personnages qu’il ont déjà interprétés dans le domaine des
Arts et Lettres.
C : J’ai joué en tournée le personnage 3 et aussi un personnage principal
(Bombant le torse) Et aujourd’hui le C, c’est moi.
B : Mais quel rôle avez vous interprété ?
C (S’adressant à Elle) : Je peux ?
Elle : Bien sûr puisque les autorités vous le demandent.
C : J’ai interprété le hallebardier dans le « Roi se meurt » et l’haltérophile dans le
poids se meurt.
B : Et vous ?
D : J’ai joué la jeune première coquette ingénue dans la « Surprise de l’amour » et la
jeune seconde ingénue coquette dans la « Seconde surprise de l’amour. »
B : Bien. Et vous ?
A : Second rôle dans le 3 e homme et troisième couteau dans la boucherie héroïque.
( B se dirige vers Pedro qui évite de se montrer) Eh toi, approche ! Viens ici !
Pedro : ( paniqué) Je…je suis en règle, Madame.
B : Mon adjudant !
Pedro : Madame mon adjudant
B : Mon adjudant ! Sans Madame
Pedro : Sans Madame mon adjudant.
B : Tu le fais exprès ?!
Pedro : Non, Ma…mon…J’ai tous mes papiers sur moi : carte de bon séjour, visa à
viser tous les trois mois, permission de stationner non loin d’un commissariat,
autorisation de circuler sur scène…
B : M’en fous. Qui cherches tu à cacher derrière ce masque ?
Pedro : (bégayant) Je ne suis qu’un per…qu’un per…
B : Un père de famille ? Un perméable ? Un perceptible ? Un percepteur ?
Pedro : (toujours bégayant) Non, non. Un per…un per..
B : Un perroquet ? Un père Fouettard ? Un per…..Impertinent, peut-être ?
Pedro : Non, non, je suis un personnage de théâtre, c’est à dire que je ne suis personne.
B : Ouais, ouais, ouais. Voyez vous ça. Personne se cache derrière un masque ?
Enlève-moi ce masque pour que je voie à quoi tu ressembles.
Pedro : Je ne peux pas. Le masque conditionne mon personnage.
B : Personne ou personnage ? Tu vas me dire qui tu es réellement, sinon…
Pedro : Je suis…je suis… le petit fils d’Arlequin, le petit frère de Scapin, le petit
cousin de Charlot. Je suis né sur le trottoir. Je suis né pour tourner en gaudrioles
tous les tracas d’une vie de chien.
Je suis toujours à la recherche d’un emploi et l’on ne m’accorde souvent que des
utilités. Je peux être balayeur de scène ou balayeur de rue. Serviteur de deux
maîtres ou valet de deux gérontes.
B : Bon, ça va, ça va. Attends moi là. Je crois que j’ai quelque chose pour toi.
Pedro ( à Elle) : Je suis foutu.
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Elle : Mais non, il ne t’arrivera rien. Tu sais bien que je suis près de toi et que l’on est
en train de jouer.
Pedro : Mais on joue à quoi ?
Elle : (d’un geste autoritaire) Je t’expliquerai.
B : (S’adressant à Public) Et vous ? Qui êtes vous ? Déclinez votre identité !
Public : Je m’appelle Public
B : Quel public ? Sévices publics ? Voilettes publiques ? Danger public ?
Public : (fiérot et se rengorgeant) Public… et Populaire de surcroît.
B : Ouais, ouais, ouais. Populaire ! Pourquoi pas public communiste ou public
marxiste-léniniste ou encore public trotskiste pendant que vous y êtes. Le public
populaire ne se rend pas au théâtre. Qu’est ce que vous foutez là ? Le public
populaire a la chance de pouvoir se régaler chez lui avec sa Star Academy et ses
matchs de foot. (S’écriant) Votre place n’est pas ici. Compris ? Déguerpissez.
Public : Eh, bien, bravo, c’est bien la dernière fois que je viens au théâtre, quand on
voit comment ils reçoivent le public ! (Public se dirige vers les coulisses. Elle
l’arrête.)
Elle : Allons, cher public, c’était pour rire. Ce n’est que du théâtre, voyons.
Public : Eh, bien, moi ça ne me fait pas rigoler qu’on me prenne pour un
communiste…et pourtant j’aime bien rigoler
Elle : On sait, on sait. (S’adressant aux personnages) Apportez donc une collation à
notre cher public. Allons pressons.
Public : C’est ça une pression et vite. C’est qu’on s’assèche la glotte à palabrer sur
scène. Je n’aurais jamais cru.
B : ( à Pedro) Toi, tu passeras au poste du service culturel pour nous montrer tes
talents comiques. ( à Elle) Je dois organiser le Noël des enfants des forces de l’ordre
culturel où nos mômes pourront s’amuser à cogner sur des intermittents
protestataires. Alors je recrute, vous comprenez ?
Elle : Tout à fait.
B : Et toi, tu as compris ce que je t’ai dit ?
Pedro : Oui, mon adjudant.
B : Contrôle terminé ! Et à l’avenir évitez de réclamer des subventions. Car l’art doit
rester libre de toute contrainte financière. (s’adressant à Elle) Pas vrai ?
Elle : (prise au dépourvu) Euh, oui, bien sûr…
B : Tant mieux. A plus tard. (Sortie de B)
Pedro : (à Elle) Ouf, j’ai eu chaud, Regarde je suis tout en sueur. Tu me fais jouer
un drôle de jeu.
Elle : Calme toi, ce n’était qu’un vilain cauchemar. Il faut que tu réussisses à
retrouver confiance en toi. Néanmoins ces émotions ont l’air de t’avoir perturbé. Je
vais appeler un toubib. (Elle appelle vers les coulisses) Y-a-t-il un médecin en
coulisses ?
(entrée du Docteur joué par A portant un masque de la commedia dell’Arte)
Doc : Voilà, voilà ! Service spécial funambulance. Alors c’est vous l’Arlequin
faiblard ? Je me présente Doc Gastro, Doc Encéphalo, Doc Gynéco et Doc OttoRhino. Je suis préposé aux agonisants. Alors, qu’est ce qui vous arrive dans ce
monde merveilleux où vous traînez piteusement votre existence vagabonde ?
Pedro : (surpris) Eh bien, je ressens parfois comme une espèce de boule qui
m’empêche de respirer. (Il montre son abdomen)
Doc : Donnez moi votre pouls. (Lui prenant la main puis tapant sur sa main) Allons,
que ce pouls là batte comme il faut. (Triomphant) Evidemment vous avez un pouls
qui poulpe !
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Je suppose que vous avez arrêté de fumer et que vous vous en trouvez bien ?
Pedro : Euh, oui, Docteur
Doc : Qu’est ce que je disais. C’est le pouls ! Je parie que vous ne mangez pas au
petit déjeuner de bons hamburgers baignant dans du ketchup sanguinolent?
Pedro : Euh, non, Docteur.
Doc : Evidemment. C’est le pouls ! Je suppute que vous devez être essoufflé après
avoir couru deux lièvres à la fois ?
Pedro : Euh, oui, Docteur
Doc : M’en doutais. C’est le pouls, le pouls, le pouls, vous dis-je. Vous faîtes preuve
de trop d’impulsion. Il faut calmer tout ça et cesser vos arliquonneries.
Pedro : (montrant sa conscience d’un geste de la tête) Ma conscience me dit que ce
serait peut-être le stress, la nostalgie de mon pays …
Doc : Ignoranta
Pedro : Elle dit que ce pourrait-être mes souvenirs qui m’empoussièrent…
Doc : Ignorantissima
Pedro : Elle dit que ce pourrait être l’angoisse concernant mon avenir qui …
Doc : Ignorantissimaxima! C’est le pouls qui vous poulpe avec ses tentacules, voilà
tout. Vous avez toujours vécu jusqu’à maintenant avec ce pouls ?
Pedro : Je crois bien.
Doc : Et ça ne vous a pas perturbé outre mesure ?
Pedro : Non, pas vraiment.
Doc : Et vous allez mourir… comme tout le monde avec ce pouls.
Pedro : Effectivement on m’a dit que c’est ce qui risquait de m’arriver dans un
certain laps de temps.
Doc : Vous n’avez pas à vous inquiéter, c’est une opération tout à fait banale.
Pedro : Et vous avez une petite idée du moment où ça peut advenir ?
Doc : Ça arrive toujours plus tôt qu’on ne le pense.
Pedro : Merci du renseignement. Et vous, qu’est ce que vous en pensez, Docteur ?
Doc : Je ne suis pas un sorcier, mon cher, je suis un scientifique. S’il n’y avait pas ce
pouls qui bat, je vous dirais que vous n’en avez plus pour très longtemps…Mais tant
que le pouls bat…tout va. Marchez vous normalement ?
Pedro : Je crois. Mais je dois avouer que sur vos scènes c’est plus difficile que chez
moi. Nous avions davantage d’espace. La rue nous appartenait et…
Doc : Ça vous passera, vous réussirez à trouver le bon tempo sur nos scènes. Vous
n’avez pas les pieds plats ?
Pedro : Euh, non.
Doc : Alors pas de problème.
Doc : (désignant la braguette de Pedro) Montrez moi votre objet.
Pedro : (étonné) Mais c’est…c’est obligatoire ?
Doc : Oui, mon ami, au théâtre c’est obligatoire. Baissez votre culotte. ( Pedro
baisse sa culotte, il est de dos) Voyons voir ça (Doc lui touche le sexe) Parfait. Bel
étalon ! Bon pour le service !
Pedro : Pour…pour quel service ?
Doc : Mais pour le service du public, voyons ! Avec un objet comme celui-là vous
allez pouvoir leur jouer les Dom Juan, mon gaillard. Vous savez que le public
s’identifie à ses héros. Il faut que vous fassiez bander le public mâle de joie virile.
Public : Oh, oui, il y a intérêt !
Doc : Et il faut que le public féminin en mouille sa petite culotte d’émotion. Ils ont
besoin de rencontres hormonales réussies pour que leur envie de fornication
atteigne son paroxysme. Ils ont envie de s’identifier aux couples légendaires de la
scène : Rambo et Ginette, Tictus et Bari - Nice, Péléraste et Malissandre, Dindon et
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l’Aîné, le Père Fouettard et la Mère Teresa, le fils prodigue et la fille de joie, les
frères jacques et les petites sœurs siamoises.
Public : Tintin et Milou…
Doc : Tout à fait, public ami du genre humain, tout à fait. (en a parte) Qu’il est con,
ce public ce soir. (à Pedro) Montrez moi votre langue. (surpris) Mais c’est une langue
étrangère ça.
Pedro : Euh…espagnole.
Doc : Ah la la ! Une langue castagnettes et rouflaquettes ! Une langue
tauromachique qui peut en éclair enfoncer sa corne dans le public.
Public : Eh, stop! Doucement ! Si le texte est trop dangereux je préfère me retirer.
Je ne viendrai jamais assister à un spectacle toréadeur.
Doc : Ah ça…vous savez, cher Public, quand on vient au théâtre on prend des
risques. Car une fois que vous avez des mots plein la bouche ça peut devenir
violent. Il faut choisir ses mots avec la plus grande circonspection. Tenez dans la
tragédie classique par exemple…
Public : (avec dégoût) Pouah !
Doc : (poursuivant) Les héros peuvent se faire des plaies horribles en n’ayant pour
seule arme que leur parole. Fort heureusement leur passion est mesurée à la syllabe
près pour éviter tout excès déplaisant pouvant choquer le jeune public des matinées
classiques. Mais il vaut mieux qu’un membre du corps médical soit présent dans la
salle. (Sortie de Doc)
(Lumière flash back sur Pedro qui enlève son masque).
Pedro : « Il faut se mettre le texte en bouche » qu’ils disent dans leurs cours de
théâtre… Moi, là-bas, c’était des mots de sang que nous avions en bouche.
(Projecteur sur la conscience et Pedro)
Elle : J’entends un cri qui se déchire dans la nuit comme le vent sur les rochers
Pedro : C’est la plainte de la nuit qui appelle ses enfants.
Elle : J’entends un chœur de femmes chantant une mélopée…
Pedro : C’est ma terre qui pleure ses enfants
Elle : J’entends des jurons et des hurlements de douleur
Pedro : C’est le rire des bourreaux
Elle : J’entends des ordres vociférés et le bruit de bottes
Pedro : C’est la musique du pouvoir.
La nuit je me réveille en sursaut. J’erre dans les rues de mon enfance aujourd’hui
désertes. J’avance au milieu des ruines.
Sur la place il ne reste que des vieillards surveillant des enfants qui jouent entre eux
à la guerre.
Leurs mères sont parties toujours plus à l’Ouest pour se vendre.
Leurs pères sont partis offrir à l’étranger leur seul trésor : leurs mains.
Les mots qui me viennent en mémoire aujourd’hui sont si lourds…et si violents…Ils
portent la tristesse et la misère de mon pays. Dire qu’avant la guerre civile je jouais
avec des mots arcs en ciel. Pourrais je les retrouver ?
(Retour d’une lumière normale sur scène)
(Entrée des personnages poussant une petite charrette de marchande de quatresaisons)
A : Alors, Mesdames, Messieurs, à ce qu’il paraît vous seriez en peine de mots ?
Vous avez de la chance que nous soyons arrivés avec notre magasin ambulant ! Car
aujourd’hui c’est la grande braderie de mots en tous genres, à tous les prix et pour
toutes les bourses pour mieux répondre à tous vos maux.
B : Maux de tête, maux d’estomac et maux du cœur ….
A : Approchez ! Approchez ! Vous pourrez aussi vous procurer des mots d’elle
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B : Et des mots de lui
C : Des mots laids
D : Et des mollettes
A : Des mots qui graphent
B : Démographe !
C : Des mots qui cratent
D : Démocrate !
A et C : Et des mots qui niaquent
B et D : Démoniaque !
A : Le matin vous aurez des mots tôt
B : Et le soir des mots tard
C : Un ani-mot !
D : Et des animales !
A, B et C : (Tous la regardent et demandent ) Ah bon ?
D : (sûr de son fait) Si, si
C : Un jus de mot !
D : Et deux jus de melle !
C (regardant D) : Tu es sûre?
D : Oui, oui
A : Un marmot
B : Et une marmotte
C : Un bergamot
D : Et une bergamote
A : Un mot de beur
B : Et une motte de beurrette
C : Vous pourrez aussi acquérir pour une somme modique le mot du maître.
D : Ou un mot d’un mètre cinquante
B : Vous pourrez nous laisser un p’tit mot.
A : Ou en lâcher un gros. (Rires)
C : Vous pourrez vous rassasier avec le mot de la faim pour ceux qui bouffent la moitié des mots.
D : Et vous pourrez briller auprès de votre entourage en nous achetant un mot d’esprit…
B : Si vous êtes un amoureux transi nous tenons à votre disposition des formulaires de lettres
types n’ayant recours qu’à des termes soigneusement choisis faisant appel à la bienséance, à la
discrétion et à l’amour courtois.
A : Vous pourrez apprécier la pureté du style et la noblesse des sentiments très distingués. Alors
ce jeune homme que voici que voilà s’approche de notre échoppe pour nous acheter de beaux
mots d’amour ? (Il chantonne) Je lui dirai les mots bleus, la la la…Il dispose de combien de
menue monnoie, le jeune homme que voici que voilà ? (Pedro montre ses poches vides)
A : (A courroucé donne à Pedro les mots « amour » et « toujours »)) Tiens, c’est tout ce qui me
reste. Débrouilles toi avec ça. Dis, tu n’as pas honte de sortir dans la société sans la moindre
menue monnoie à donner aux commerçants.
Pedro : (offrant les mots à D) Tiens… c’est pour toi. Excuse moi, je n’ai que ces pauvres rimes à
te donner.
D : Oh, merci. Quel joli cadeau. Il faut que je t’embrasse. (Elle l’embrasse)
Pedro : J’irai chercher des mots qui brillent comme des pierres colorées. Et ils viendront orner le
sonnet que je t’offrirai.
Elle : (jalouse que Pedro ait embrassé D) Pour moi les mots sont vivants. Je les touche, je les
palpe, je les renifle, je les suce, je les mords avant de les placer dans leurs étuis que sont mes
poèmes.
Pedro : (colérique) Faudra-t-il toujours que tu te mêles de ce qui ne te regarde pas ?
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(à D, puis aux autres) Quand j’étais enfant, ma mère m’avait offert des cubes avec
des lettres de couleur. Et, avec son aide, j’apprenais à composer des mots arcs en
ciel. J’en voyais de toutes les couleurs.
Pour moi, par exemple l’I est vert comme le sont les sapins l’hiver …
D : (rayonnante) Ah, oui j’ai compris l’I-vert, comme l’hiver.
A : (ironique) Oh, bravo… (aux autres) elle pige vite. (à Pedro) Ce n’est pas
nouveau. Un dénommé Rimbaud, marchand d’armes de son état, voyait déjà les
voyelles en couleurs, lorsqu’il avait abusé de l’opium.
Pedro : Une ta-bleu restera pour moi toujours bleue.
D: Ah, oui une ta-bleue… (réfléchissant) mais le sa-bleu est pourtant blanc ?
A : (aux autres) Oh, oh, Madame commence à se poser des questions
existentielles… (A et C rigoleront tout en parlant pendant cette courte scène) mais,
tu sais, on trouve aussi des pères blancs et des mères noires…
C : Et même des pères verts et des mères rouges…
A : Qui se grisent au rosé…
C : Ils ont confondu le verre tendre avec le vert bouteille…
A : Et ils se prennent des coups de blues…
C : Evidemment. Avant d’aller broyer du noir…Ah, ah, ah, … (au public) rire jaune
B : Je vous entends parler de pères et mères, mais avez vous des nouvelles du fils
de notre histoire de tout à l’heure ?
C : Quand sa mère décéda il décida de se mettre au vert. Il entra dans les cols bleus
pour naviguer sur la mer morte.
B : Alors la mère est morte ?
C : Eh oui, d’une fièvre jaune…
B : Je l’ai bien connue la mère, une grande bleue outremer tirant sur le bleu nuit
surtout le soir. Je me souviens qu’elle s’était amourachée d’un dingo indigo.
A : Elle avait la main verte… et lourde disait-on…
C : La cuisse de Nymphe rose… et légère…disait-on
A : Et le pied bot.
B : La mère veille des mères veillait au grain pour nourrir sa fille une oie blanche qui
était devenue la bête noire de son chien.
A : C’est vrai qu’elle a mené une vie de chien avec son berger allemand qui refusait
de parler notre langue.
B : Oui, je m’en souviens c’était un jeune berger allemand, un bleu de Prusse,
acariâtre.
A : Je ne veux pas noircir le tableau, mais elle le craignait tant qu’elle était souvent
blanche de peur….
B : Attends, on dit verte de peur…
C : Ou avoir une peur bleue…
A : (afin d’avoir raison) Elle était daltonienne.
C : (vexée) Il faut toujours qu’il ait réponse à tout !
B : Elle décida de se chercher un amant par le téléphone rose. Elle rencontra un
black, plutôt déca que kawa, portant l’uniforme kaki d’oie de l’armée du salut et la
rosette de la légion nationale.
C : Un gars qui n’avait pas sa langue verte dans sa poche à ce qu’il paraît
B : Il lui plut un jour d’averses et il tua le chien par un temps …de chien.
Moralité : Plus le mot est haut en couleur, bleu azur par exemple, moins le texte est
à l’eau de rose. Et plus le mot s’éclate en écarlate, moins le texte risque de
s’engriser.
C : Je crois qu’il vaut mieux que tu t’arrêtes là. Tu vas finir par t’attraper un
encéphalocoque doré et voir des éléphants roses écrasés par des souris vertes…
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Pedro : (en a parte) Pendant qu’ici nous en voyons de toutes les couleurs, là-bas ils
continuent à jouer leur vie en rouge sang sous des ciels intensément bleus. Jusqu’à
quand ? …
C : Bien, revenons à nos moutons …blancs, Mesdames, Messieurs. Si vous souhaitez avoir notre
dernier mot coloré ou non il faudra que vous y mettiez le prix.
(C tient dans sa main le mot FIN.)
B : C’est moi qui aurai le dernier mot. C’est moi qui aurai le dernier mot. Je vais…Je…
Je… ( un silence. B essaie de reprendre sans succès)
C : Eh bien, quoi ? Qu’est ce que tu attends ? Vas y. Donne ta réplique.
B : La…laquelle ?
C : Je ne sais pas moi. C’était bien à toi de répliquer ?
D : Ça m’est sorti de la tête d’un seul coup. Ma réplique était pourtant écrite noir sur
blanc et je ne l’ai pas imprimé. J’ai comme une page blanche dans la tronche. Tous
mes mots sont en vrac, je ne réussis plus à les remettre en ordre. Mon texte est
resté coincé dans ma glotte.
C : Mais, bon sang, essaie de faire un effort de mémoire.
D : Nous parlions de quoi au juste?
C : Euh, je ne sais plus moi. Je disais mon texte et ensuite c’était à toi de jouer. C’est
toujours comme ça que ça se passe d’habitude.
D : Rappelle moi ce que tu me disais ça m’aidera peut-être
C : Eh bien je te disais…je te disais … Ah, mot de Cambronne en cinq lettres, j’ai un
trou dans le cigare ! Je n’arrive plus à me souvenir de mes propres propos.
Tu te rends compte s’il faut que nous retrouvions la mémoire de nos personnages.
C’est mission impossible.
D : Dis donc ça commence à être sérieux…ça ressemble à un début de contagion
amnésique. (Il crie) Sauve qui peut ! Y a-t-il un auteur dans la salle ?
Je suis stupide, il n’y a personne ce soir. Comment allons nous faire ?
C : Puisqu’il n’y a pas d’auteur et que nous avons oublié notre texte profitons en
pour improviser. (S’adressant à la salle) Monsieur l’auteur, ce soir on improvise sans
votre autorisation ! Ah, ah, ah !
(Entrée de A en facteur)
A : S’cusez, M’ssieurs dames, je vous apporte des lettres recommandées de la part
de Monsieur l’Auteur. A qui que j’dois les remettre ?
D : Donnez j’espère que ses lettres forment bien des mots et que ces mots
assemblés constituent réellement des phrases qui vont nous permettre de retrouver
le fil de l’histoire.
C : Alors ?
D : Ah le salaud ! Ecoute ça. Excusez moi, mais ce soir je suis tombé en panne
d’inspiration juste à la fin d’une phrase. Je n’ai pas réussi à aller jusqu’à la ligne
suivante et à trouver la suite de votre texte. Excusez moi encore. A vous de faire
pour le mieux…improvisez. Ah, on est bien. On n’a pas de lettres à se mettre sous la
dent.
C : Mais c’est formidable au contraire ! Voilà que c’est lui qui nous laisse la
possibilité d’improviser
D : Doucement, doucement. Je connais ce genre de loustic. Je suis sûr qu’il est
capable de réclamer des droits d’auteur sur nos improvisations
C : Tu crois ?
D : Et sur quel thème voudrais-tu improviser ?
C : Par exemple sur le conflit socio-cognitif dans la zone maximale de proximité.
D : Bof, ça déjà été joué par Schwartzonegger.
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C : Sur la dégénérescence des cellules lexicales dans le processus de déperdition
du vocabulaire…
D : L’incommunicabilité ? C’est un thème rebattu. Il faudrait une histoire comment
dire ? Une histoire…Je ne sais pas comment te dire…
Pedro : Si ça peut vous être utile je pourrais vous proposer une histoire…
C : Ah, oui. (s’adressant à D) Tu entends ça ? Un estranger qui veut nous proposer
une histoire. Un estranger qui sait mieux que nous comment on raconte une histoire
sur nos scènes. Et qu’est ce qu’elle raconterait ton histoire ?
Pedro : C’est l’histoire d’un homme…
C : Ah, non merci, on connaît.
D : (à C) Attends. (à Pedro) C’est une histoire…sexuelle ?
Pedro : (embarrassé) Eh bien…
C : Ils couchent ensemble au bout de combien de temps ?
Pedro : Qui couche avec qui ?
C : Ton homme couche bien avec une femme ?
Pedro : Euh, oui, sans doute.
D : Aucun intérêt
C : (à D) : Et s’il couchait avec deux femmes ?
(Entrée de B)
B : Ah, oui, pourquoi pas.
D : Bof, encore une histoire d’adultère BC-BG : Beau Cul, Belle Gueule. C’est trop
classique. (réfléchissant). Et s’il tirelipotait avec un homme ?
C : Ah, ce serait déjà plus intéressant…
B : Avec deux hommes…
C : Ah, ah, on commence à frôler l’innovation esthétique.
B : Et avec leurs chiens…
C : Et bien voilà. On y arrive quand même à cette création originale que nous
cherchons tant. Ça n’a pas été sans mal . (Tirant le nez de Pedro) Il faut lui tirer les
vers du nez pour qu’il nous la raconte son histoire, celui-ci.
Public : Ce pourrait être l’histoire de Tintin et Milou forniquant avec les Dupont
Dupond.
C : Superbe idée, public voyeur en diable ! Et il faut que la partouze commence dès
le début de la pièce. Au bout de quatre minutes cinquante le client doit savoir ce que
tu veux lui vendre, sinon il zappe sur une autre scène. N’oubliez pas que la durée de
nos nouveaux formats théâtraux ne doit pas dépasser 53 minutes. ( au public)
Qu’en pensez vous, cher client ?
Public : Ça rapporte combien ?
C : Une belle pièce avec un beau cul - je vous parle de ce que l’on appelle le beau
cul bien exposé en pleine scène - ça peut vous amener jusqu’à 2500 spectateurs.
Avec une bonne pub à la clé, évidemment.
Public : Et ils…ils s’aiment, j’espère ?
C : Mais, bien sûr qu’ils s’aiment. (à Pedro) Note bien ça : le client veut que ça
s’aime ! Dis-moi, est ce que tu as mis un peu de violence dans ton histoire ?
Pedro : Ah, non. Je déteste la violence
C : Alors c’est une histoire pour bercer les enfants de moins de six mois ? (rires)
Pedro : Non, c’est une histoire qui s’adresse aux adultes.
C : Et il n’y a pas de violence ? Sache que sans violence, mon gars, tu ne pourras
pas vendre ton produit. Un bon caillot de sang bien tragique peut te rapporter de l’or.
Pedro : Là-bas d’où je viens la violence est partout : violence de la misère, violence
des rapports sociaux, violence du pouvoir, violence de l’oppression. La violence ne
rapporte que des coups et blessures.
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C : Oui, oui, peut-être bien. Mais ici sache que la violence nous la spectacularisons
pour que public ait la trouille et réclame du sécuritaire. (en confidence à Pedro) Et le
sécuritaire ça se vend bien.
Public : C’est vrai qu’on a besoin d’être sécurisé. Moi, il y a des jours où je viens
armé au spectacle pour éviter d’être agressé par certains textes sulfureux à ne pas
mettre entre toutes les oreilles. (à Pedro) Et est ce que ça rigole, dans votre
histoire ?
Pedro : Euh, oui…parfois
C : Sais tu combien peut rapporter un éclat de rire cristallin?
(Pedro fait un signe de dénégation) É-nor-mé-ment ! Tu sais quand on est un pro du
rire on sait exactement à quel moment il faut placer le gag qui déclenchera la mise
en action des muscles zygomatiques… Tu sais quand ?
(Pedro fait un signe de dénégation)
C : De préférence juste avant la pub. Ton sketch ne doit pas durer plus de 4 minutes
cinquante. D’abord une réplique désopilante qui entraîne immanquablement les rires
du public. Puis une seconde réplique à mourir de rire qui déclenche l’applaudimètre.
Quatre minutes cinquante. Pas plus.
D : Et pub de cinq minutes
C : Evidemment, il faut réserver la place qui revient à nos sponsors. Même
procédure pour l’action drrrâmatique. Un : exposition des motifs…je veux dire de la
situation. Deux : mise à jour du conflit interpersonnel. Trois : Montée crescendo de
l’émotion. Quatre : Drame avec déclenchement du système lacrymal. La scène
drrrâmatique doit durer environ quatre minutes cinquante.
D : Et pub de cinq minutes.
C : (à Pedro) Connais-tu le coût d’une perle de larme ? (Pedro fait des signes de
dénégation)Eh bien, figure toi qu’une perle de larme d’un carat en prime time ça vaut
dans les…dans les… ( il fait de grands gestes) Pfff…C’est faramineux !
B : Tout à fait ! Dans sa pièce lacrymale « J’ai fait pleurer Margot » Delarue qu’est
ce qu’il a touché…
Public : (l’interrompant) Le public ?
B : Si l’on veut… Mais il a surtout touché le jack pot. Ah, il connaît bien le prix des
larmes, celui-là.
C : Il faut reconnaître qu’il a l’art de faire venir la larme à l’œil. Et il ne les vend pas à
l’œil ses larmes (rires)
B : Ah, ça non ! Quel commercial !…et quel artiste ! Je l’adore.
C : Et vous, qu’en pensez vous, cher client préféré ?
Public : Oh, vous savez, les drames c’est plutôt l’affaire de mon épouse. Elle aime
bien chialer dans sa graisse. Elle dit que ça lui fait perdre des kilos superflus… Mais
question rapport qualité- prix je suis d’accord avec vous. Il faut que ça baise tout en
rigolant avec ce qu’il faut d’émotion bien mesurée et aussi un peu de ketchup
répandu sur scène… (parlant un ton plus bas) ça m’excite l’appétit sexuel.
C : (à Pedro) Alors, tu as entendu ce que désire le public ? C’est pourtant simple.
Pedro : Et le peuple ?
C : Le peuple ? Quel peuple ? Nous, nous ne connaissons qu’un peuple : c’est notre
public. ( les autres personnages approuvent bruyamment)
Pedro : Je veux parler de ceux qui ne franchissent jamais la porte d’une salle de
théâtre
C : Mais, on te l’a déjà dit, ils ne nous intéressent pas puisque ce n’est pas le public.
(Geste méprisant) Ce sont les gens.
B : Ils sont trop incultes pour venir jusqu’à nous. D’ailleurs le peuple c’est gros et
gras. Il arrive avec ses gros sabots, ses gros bras et son kil de gros rouge.
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C : Il n’apprécie que les grosses blagues et les plaisanteries grasses entraînant des
rires… gras.
B : Et les gens du peuple ce n’est pas dans leurs habitudes de sortir le soir en
semaine…
C : Surtout pour aller au théâtre. Nous savons bien qu’ils craignent de gêner ceux se
rendent régulièrement au théâtre. Ils se sentiraient déplacés.
B : Et puis nous n’avons pas les mêmes valeurs.
C : Par contre voici notre public ( montrant Public) Un public averti, choisi, trié sur le
volet …
Public : (s’enorgueillissant tout en faisant le timide) Oh, je vous en prie
C : Ce qui n’empêche pas notre public d’être critique quand il le faut et de le faire à
bon escient. N’est ce pas ?
Public : C’est en effet ce à quoi je m’entraîne…modestement…
C : Entre nous, comment trouvez vous notre spectacle ?
Public : Ah, c’est réussi. Vraiment réussi.
Pedro : Evidemment puisqu’il y participe, il ne peut pas être objectif
C : Mais bien sûr qu’il peut être objectif. Quand un spectacle est bon comme le nôtre
le public ne s’y trompe pas et il vient en foule.
Elle : Soyons raisonnables. Aujourd’hui (montrant public) le public est quelque peu
isolé …et ce n’est que la première représentation.
C : Vous n’êtes pas objective. Le public n’est peut-être pas venu en masse comme
nous l’aurions souhaité, mais il est là néanmoins et sa présence aujourd’hui se saura
et cela fera boule de neige. Demain …
Public : Demain j’amènerai Mamame mon épouse (en a parte) J’espère qu’elle ne
viendra pas avec son amant.
C : Et vos enfants et vos ascendants et votre famille et vos amis et les amis de la
familles de vos amis et les familles des amis de vos amis…
Public : Eh, bien c’est à dire que nous n’avons plus de famille, nous n’avons pas
d’enfant et comme ami nous n’avons que notre perroquet. Nous l’aimons bien car il
répète les phrases intelligentes que nous lui apprenons.
B à C : Dis donc il n’a pas été trié sur le volet ton public, comme tu le prétendais. Il
ne nous ramènera personne ce public là.
(Entrée de A en machiniste) Ah, regardez quelqu’un. C’est un miracle. Nous avons
été entendus. Un second public entre en scène pour assister au spectacle.
A : Bonjour. Je viens pour l’annonce. Alors vous cherchez quelqu’un qui travaille
dans le décor à ce qu’il paraît ? Vous ne pouviez pas mieux tomber. Avant j’étais
ouvrier paysagiste. Mais en vieillissant je supportais de moins en moins les
intempéries. Alors je me suis reconverti dans le paysage d’intérieur. Vous n’avez
qu’à demander et je réalise tous vos décors sur mesure. Je peux vous peindre sur
carton pâte un grand ciel « Mon Mari ! » ou un ciel d’ « Ô rage… ô désespoir ! » Si
vous désirez un ciel de nuit, pas de problèmes. Je vous l’obscurcit et vous le
parsème d’étoiles cirées ou d’étoiles d’araignées. C’est au choix. Si vous voulez un
ciel bleu horizon je peux vous faire échouer à ses pieds une mer bleu pétrole sur de
belles plages bien goudronnées…
C : Des plages goudronnées ?
A : (expliquant) C’est pour que les voitures puissent accéder plus facilement à la
grande bleue, vous comprenez ?
Je peux vous clouer des fleurs dans les parterres côté jardin et vous cimenter
quelques arbres dans le plancher côté cour de récréation pour jouer aux quatre
coins.
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Une fois que le décor sera planté ; il faudra m’aider à aller chercher le mobilier et les
accessoires. C’est nécessaire pour donner de la vraie vie au théâtre.
Dans le théâtre classique question mobilier et accessoire ils se la faisaient plutôt
minimaliste. Seule indication scénique : une table et un siège.
(Les personnages miment l’action d’apporter des meubles)
C : Et un siège classique! Un !
D : Ou un trône…
B : Un trône de la foire. Un !
C : Un fauteuil Louis 14
B : Un fauteuil Louis 15
C: Un fauteuil Louis 16
D : Un fauteuil Louis 17
B: Un fauteuil Louis 18
C :Un fauteuil Louis 19
D :Un fauteuil Louis 20
A : Stop. Stop !
B et C : Eh, ce n’est pas fini on a encore un tas de mobilier en réserve si on veut se
le jouer naturaliste : Un buffet Henri 2 pour la cuisine
B : un gai ridon Henri 3 pour l’antichambre
C: Un gai luron Henri 4 pour l’antisalon
B : Des canapés saumonnés
C : Des canapés caviardés
D: Des canapés foiegrassés
B: Un tableau de maître
C : Moi, je dirai plutôt deux mètres vingt vingt cinq.
D : Un piano droit …devant !
B : Un piano à queue…et à poils
C : Un piano à plumes léger, léger, léger
Elle : (montrant les meubles imaginaires) Mais avec tout ça où allez vous pouvoir
jouer ?
A : Ne vous en faîtes pas, j’ai l’expérience. Dans le théâtre de chambre les
personnages jouent la plupart du temps assis ou couchés. ( il montre sa tête)
L’action est toute …cérébrale, vous comprenez ?
Et n’oublions pas les accessoires ! Ce sont, au théâtre, des objets d’illusion comme
chez le presdigiti, tirigiti…, le magicien, quoi.
B : Le collier de la reine !
C : Le masque de fer
D : La botte de sept lieues
B : L’épée de Damoclès,
C : La couronne de lauriers d’Appoléon
D : Le sac à Alice
B : La bouteille à la mer
C : La cassette – vidéo- de l’Avare
Pedro : Il vous faut donc tous ces accessoires, tous ces bibelots, tous ces meubles
pour raconter une histoire…
Là-bas, seuls notre corps et notre voix étaient les instruments dont nous nous
servions pour donner du sens à nos rêves. Nous n’avions pas le temps de nous
prélasser dans un canapé en conversant aimablement avec l’amant de sa maîtresse
pour échanger des niaiseries.
Nous parlions debout devant notre peuple et aussi …pour pouvoir nous enfuir
rapidement dès l’arrivée des forces de l’ombre.
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Si nous portions des masques comme vous le faîtes dans la commedia dell’Ar c’était
tant pour créer des personnages typiques que pour ne pas être reconnus par les
mouchards. Notre théâtre avait une parole rebelle et était dangereux pour le pouvoir.
Mais ici le théâtre peut-il encore déranger ?
B : (réfléchissant) Le théâtre qui dérange… ça me rappelle quelque chose…mes
aïeux évoquaient parfois une période où le théâtre aurait été secoué par une lame
de fond culturelle. Je crois que ce devait être au printemps 68 à Paris 75 en France
métropolitaine.
C : D’après ce que m’ont dit mes ancêtres les artistes à cette époque souhaitaient
apporter au peuple la grande culture.
D : Moi, j’ai entendu dire que les artistes souhaitaient plutôt que le peuple
s’approprie notre culture.
A : Il paraît que certains souhaitaient même que le peuple crée lui-même sa propre
expression culturelle. Je ne sais plus exactement. Je m’embrouille.
B : Moi aussi. C’était complètement utopique en tous cas.
C : Tu as raison. Et les vieux enjolivent toujours le passé.
A : Il paraît même qu’ils voulaient faire sauter l’Odéon… les cons. (Rires des
personnages)
( projecteurs. Flash back)
C : Camarades le théâtre bourgeois a vécu. L’idéologie dominante de la classe
possédante doit être radicalement éradiquée et remplacée sur scène par la dictature
du prolétariat. Ouvrons les théâtres à la classe ouvrière pour qu’ils s’en emparent et
les transforment en usine de production du savoir révolutionnaire.
B : Camarades, la bourgeoisie vous trompe en vous faisant croire que le théâtre
serait le lieu du grand rassemblement populaire au dessus des conflits de classe.
Ils vous font croire que vous partagerez avec eux le supplément d’âme culturel en
découvrant les chefs d’œuvre de l’humanité dans une communion d’esprit au dessus
des différences sociales. Mais ce sont eux qui détiennent les clés des coffres où ils
gardent précieusement leurs fameux chefs d’œuvre. Ils vous bourrent le crâne en
vous soumettant à leur idéologie où vous serez toujours leurs valets dans n’importe
quelle comédie. Molière n’est qu’un social traître et Marivaux un laquais du grand
capital.
D : Camarades de la 4 e Internationale, de la 7 e République et de la 3e dimension
révolutionnaire, nous devons mettre en œuvre un théâtre de combat, un théâtre de
barricades, un théâtre de rue prenant en compte la vie quotidienne des travailleurs
manuels. Détruisons la réalité du monde du capital pour reconstruire celle de la
révolution socialiste. Donnons du rêve à cette révolution. Et que les salles de théâtre
deviennent des tribunaux pour juger les spectacles de la vie des bourgeois
présentés sur scène ! Mort aux classiques et au drame bourgeois !
(Fin du flash back)
Pedro : Et que reste-t-il aujourd’hui de cette époque ?
B : Les vestes avec le col mao, c’est très seyant (s’adressant à C) N’est ce pas ?…
A : Le trafic de havanes castristes en provenance de Cuba. Ah, un san…, quel
délice !
D : La mini jupe et la liberté sexuelle. Comme disait ma grand-mère : 69 fut une
année érotique !
Pedro : Et le théâtre de rue ?
B : Oh, dis donc tu fais une fixation, toi.
C : Entre nous, mon gars, le théâtre de rue est ce réellement du théâtre ? Comment
veux-tu qu’un public réussisse à se concentrer sur un spectacle de rue ? Il est
constamment perturbé par le hurlement des sirènes, le concert des klaxons, les
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aboiements de chiens, les bruits de la foule. Le public a besoin de se retrouver au
calme dans un lieu culturel prévu pour son confort intellectuel où il peut assister en
toute quiétude au spectacle de la vie reconstituée.
Public : Ah, je suis totalement d’accord avec vous. Je préfère être installé bien au
chaud dans un endroit cultureux que de me les geler en pleine rue
A : Au lieu de laisser le théâtre à la rue, nous devons au contraire réinvestir tous les
endroits qui peuvent devenir des sites culturels : les garages, les hangars, les caves,
les cafés…
B : Nous allons recréer de nouveaux cafés théâtre, mais décaféinés pour que ça
excite moins le public.
D : Nous ouvrirons des thés théâtres pour les bourgeoises oisives qui s’ennuient
l’après- midi dans leur salon du 16 e arrondissement parisien.
C : Sache que nous sommes des adeptes du théâtre off…
Pedro : Le théâtre off ? Qu’est ce que c’est ? Le théâtre off iciel ?
C : Non, Monsieur, ne confondons pas. Aujourd’hui c’est le théâtre officieux…
B : Mais demain nous espérons bien que nous jouerons dans la cour des grands.
D : Dans la cour du Palais des Papes où nous serons officiellement reconnus
Tous : Bien sûr. Evidemment. Ils reconnaîtront notre art.
A : De toute façon nous jouons dans des théâtres de rues… et même d’avenues ou
encore de boulevards… et nous vieillissons. Est ce que tu me vois jouer dans la rue
à mon âge ? On croirait que je suis un SDF qui fait la manche. Et dans la rue tu es
exposé au gel ou à la canicule. Ça te tue un artiste en un rien de temps.
B : Il faut reconnaître que pour un artiste interprète reconnu le théâtre de
boulevard est beaucoup plus confortable. On a sa petite loge à soi, son habilleuse,
sa maquilleuse… c’est notre seconde maison.
C : Moi, je sais que si je jouais dans la rue je ne saurais pas à qui m’adresser. C’est
complètement impersonnel. Tandis que dans un théâtre normal je peux jouer devant des gens dont je connais la vie - la vie des gens que je connais. Car nous
sommes des gens …comme nous qui nous adressons à des gens
(s’adressant à Public) …comme vous
Public : Je vous remercie sincèrement de penser à moi.
Pedro : (constatant) Vous êtes des petits bourgeois.
C : (s’énervant) Des petits bourgeois, des petit bourgeois ! Non, mais dis donc, ça
commence à suffire. Un peu de respect, l’estranger ! N’oublie pas que c’est grâce à
nous que tu exerces chez nous tes talents de technicien de surface. ( un ton plus
haut) Nous sommes des gens comme tout le monde. Nous nous colletons à la
réalité, nous, et nous foutons nos mains dans le cambouis de la vie..
Pedro : Oui, je sais, vous allez magnifier la vie sublime et mouvementée des
commerçants venus se culturiser dans les espaces intellectuels qui leur sont
réservés. Vous allez les faire frémir en leur narrant les aventures périlleuses de
Monsieur Perrichon pour qu’ils puissent mieux apprécier le bonheur de vivre en toute
quiétude dans leur résidence sécurisée. Vous allez les faire larmoyer à grosses
gouttes pendant quelques secondes sur les sentiments bien respectueux de l’ordre
établi.
Et ils pourront se mirer dans leur propre image réconfortante du confort bourgeois et
de la réussite sociale. Vite, fermez hermétiquement les portes de vos maisons
closes culturelles pour éviter que la vie de la rue n’y pénètre.
(Il crie) Le public est prié de laisser ses différences de classe au vestiaire !
A : Oh, il commence à m’énerver sérieusement le balayeur avec ses grandes
considérations. (S’adressant à la conscience) Comment voulez vous qu’il s’intègre à
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notre culture s’il la critique constamment. Il n’avait qu’à rester chez lui. On ne lui a
jamais demandé de venir.
C : C’est vrai à la fin. Nous avons un modèle culturel qui doit être en règle avec les
unités théâtrales.
B : ( récitant une leçon) Je dois jouer sur le même lieu au même moment pour
pouvoir être contrôlé culturellement.
Public : ( s’adressant à Pedro) Chez nous, apprenez que l’histrion a des règles à
suivre et ( épelant) des de-voirs, Monsieur. Et parmi ces devoirs il doit respecter le
public.
Tous les personnages : Bien sûr. Tout à fait. D’accord avec vous. Ça va de soi.
Public : Je n’ai pas envie de passer mes matinées ou mes soirées à dormir dans une baignoire
ou à sommeiller au balcon. Si je paye ma place - assez chère d’ailleurs - il faut que le spectacle
me touche.
A : Cela va sans dire.
B : Evidemment.
Public : Tenez, par exemple, l’autre jour, Mamame mon épouse et moi-même nous avons été
nous émoustiller les sentiments au musée de la Comédie Française où était revisité un auteur
contemporain - Jean Bap’Poquelin- par un réalisateur de fiction faisant preuve d’une imagination
débridée. Sur scène l’action se déroulait sur un lit gigantesque entouré de miroirs qui couvrait
toute la scène. Ces miroirs réfléchissaient les corps nus des acteurs qui proféraient des
alexandrins vautrés sur le plumard. Nous avons assisté aux aventures érotiques d’Alpestre, un
quadrabilaire amoureux d’une certaine Cyclamen qui était fréquemment sollicitée par des petits
harkis obsédés sexuellement. Les protagonistes s’engueulaient, puis se réconciliaient avant de
baiser un coup. Ensuite ils se tabassaient sévèrement, ils se rabibochaient avant de rebaiser
furieusement. Mais, comme il n’y avait pas de morale à ce genre d’histoire, ils finissaient par se
quitter. Une musique assourdissante couvrait la voix des malheureux imprécateurs et l’on
entendait parfois quelques bribes du texte. Fort heureusement les scènes de stupre et de
fornication retenaient l’attention du spectateur connaisseur que je suis. Ce fut une ovation ! Nous
avons applaudi à tout rompre, Mamame, mon épouse et moi. Je me suis même cassé deux
phalanges.
Puis rentré dans ma tanière encore tout excité par le spectacle auquel je venais
d’assister, je me suis vautré bestialement sur mon babiroussa chéri…C’est ainsi que
j’appelle Mamame mon épouse. Et en trois minutes tout fut dit. Telle est, chers amis,
la vie privée de votre public ! Mais, croyez moi, il y a des jours où j’en ai ma claque.
Voix off : Bravo ! Quel public ! Mais quel public ! (Applaudissements enregistrés)
A : Ça suffit on n’a rien demandé à la bande son. (S’adressant à Public) Cher public,
comme nous commençons à connaître vos goûts z’artistiques, nous vous avons
préparé, mes camarades et moi-même, un petit intermède dont vous nous direz des
nouvelles. Nous avons décidé de vous présenter de la passion à l’état pur… car
nous savons que vous aimez bien ça.
Public : Ah, quel dommage que mon babiroussa soit parti, je suis sûre qu’elle aurait
apprécié.
A : Mesdames, Messieurs…, cher public apprivoisé, nous sommes actuellement en
direct de la scène du théâtre (nom du théâtre où se joue la pièce) … où nous allons
assister en direct à une grande cérémonie sacrificielle.
(Entrée de C)
(Voix de A en sourdine comme celle d’un commentateur d’une cérémonie religieuse)
Voici qu’apparaît, Mesdames, Messieurs, cher public, l’élu -l’artiste dramatique -,
je dois dire que nous le sentons particulièrement pénétré par son rôle. Il avance pas
à pas vers le sanctuaire, le lieu d’exhibition, le lieu d’expression, le lieu d’expiation…
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j’ai nommé le centre de la scène. Notre artiste vient jusque là pour brûler de passion
devant son public… prêt à s’immoler.
Public : Ah, c’est pour ça qu’on dit qu’il brûle les planches.
A : On le sent possédé par son personnage qui, petit à petit, Mesdames, Messieurs,
cher public, va prendre possession de son âme comme Méphisto s’empara de celle
de Faust. Il a le diable au corps !
Public : Il faut qu’il se méfie, l’artiste, car le personnage pourrait bien lui faire la
peau. J’ai déjà vu ça. C’est monstrueux.
A : Regardez comme il grimace, comme il se meurtrit le visage, comme il sue,
comme il pleure. Oh, oui, Mesdames, Messieurs, il en pleure pour de vrai.
C (jouant de façon dramatique) : Tenez, prenez mon sang, prenez ma sueur, prenez
mes larmes. Dévorez moi des yeux et buvez mes paroles. Je suis tout à vous.
A : Ah, quelle scène, Mesdames, Messieurs. Quelle Cène !
L’artiste est en train de se donner à son public. Ah, on peut dire qu’il se sort les
tripes, le gaillard.
Public : Moi, j’aime bien quand il y a de la passion bien visible avec des larmes qui
suintent, de la salive qui dégouline et de la sueur qui coule.
A : Le sacrifice est réussi, Mesdames, Messieurs. L’artiste s’est identifié réellement
à son personnage.
(C vient saluer)
Voix des coulisses : Quel comédien ! Mais quel comédien !
A : Si tu continues on va te couper, bande son. (à C) Alors tes premières
impressions à chaud pour notre public ?
C : Eh bien, croyez moi, ce n’était pas facile.
A : On s’en est aperçu.
C : Vivre avec le personnage en soi, avec son sang, son poids, sa voix, c’est pas
évident. On attrape ses maladies, ses tics, ses habitudes. Ça te fout un de ces
tracs !
A : Je te crois. Moi, pourtant, j’aime bien voyager d’un personnage à l’autre. Ca vous
dépayse, chaque personnage est une nouvelle rencontre…
C : C’est vrai. Mais, figure toi qu’un jour je me suis rencontré.
A : Comment ça ?
C : Sur scène ! J’ai rencontré sur scène mon propre personnage joué par un autre.
Tu parles d’une surprise !
A : Et alors. ?
C : Oh, c’était tout à fait ressemblant. J’ai failli me laisser prendre à son propre je.
A : Moi, une fois je devais venir mourir sur scène …
C : Non ?
A : Si, si. Et ce n’est pas évident quand tu es un personnage comique comme moi.
C : Alors qu’est ce que tu as fait ?
A : Je me suis fait porter pâle et agonisant. J’ai pris un arrêt maladie. Pas si bête. Je
ne voulais foutre en l’air ma carrière de comique.
C : Ah, dis donc, toi, on peut dire que tu es un sacré personnage, toi.
Public : Et si on allait se boire un coup ? Moi la passion ça me donne soif.
A : Ça c’est une bonne idée. J’ai tellement sué.
C : Á force de jouer on se déshydrate. Pour moi, ce sera un demi.
(Ils sortent)
(Projecteur sur Pedro)
Pedro : Je ne me reconnais ni dans ce public, ni dans ces acteurs. Je me demande
où est ma place ? Ici ? Là-bas ? Ici je me sens enfermé dans ce cadre de scène
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comme je l’étais là-bas… dans une cellule. Ici je me retrouve face à un public que je
ne connais pas et qui ne peut guère s’intéresser aux souffrances de mon peuple.
(S’adressant à la conscience) Tu voudrais que je m’intègre à cette société qui m’est
étrangère. Et quel y serait mon rôle ? Une utilité tiers-mondiste proposant, dans un
théâtre de banlieue, aux lecteurs du Monde, de Libé et du Nouvel Obs un spectacle
militant exporté. Oh, je sais bien que tu voudrais te donner bonne conscience.
Elle : Oh, je t’en prie ! Je suis moi aussi fatiguée à tenter de t’aider à prendre ta
place. Et je commence à capituler. Tu es trop exigeant avec tes problèmes de …
conscience.
Pedro : Je n’ai plus de repères, comprends-tu ? La tragédie que nous vivons là-bas
est devenue ici leur spectacle quotidien. Ils regardent sur les chaînes libres de leurs
télévisions nos peuples se faire massacrer en live tout en sirotant leur apéro. Les
présentateurs des Journaux télévisés qui commentent ( prenant le ton d’un
commentateur de télévision ) –« ces évènements tragiques qui peuvent choquer
les personnes sensibles à cette heure de grande écoute »- sont leurs coryphées.
Et leurs hommes politiques jouent le chœur des pleureuses en donnant urbi et orbi
des leçons de morale
Tout est différent ici. Tiens, les saisons par exemple. Elles ressemblent aux affiches
des agences de voyage. Leur automne porte des couleurs ocres et fauves comme
les vêtements confortables des gentlemen-farmers des magazines « Maisons et
jardins ».
Elle : Leur printemps se revêt des robes colorées des grands couturiers et dans l’air léger on
hume les fragrances des parfumeurs de renom.
Pedro : Leur été imprime sur les murs son ciel bleu intense avec son soleil jaune de
rigueur afin de faire vendre des maillots de bain. Des paquets de seins siliconés
s’affichent dans des paysages érotiques. Des femmes jeunes et hygiéniques vous
regardent avec des sourires figés. Nous, nous ne connaissons ni la douceur du
printemps, ni le spleen de l’automne. Chez nous, là-bas, l’été est violence :
déchirures d’orage, morsures du vent, brûlures du soleil.
Elle : Le soleil se plante en plein midi pendant que le ciel coule son bleu acier sur les montagnes
nues.
Pedro : Notre peuple est à l’image de ce climat. Il éprouve des colères rentrées, des joies
farouches, des rires féroces et des espoirs sanglants.
L’hiver, des squelettes d’arbres luttent contre le vent glacial. Les crocs de la montagne enneigée
saignent le mur du ciel. La pluie tel un fouet barre l’horizon à grands traits.
Elle : Regarde une écharpe d’oiseaux passe dans le ciel et nous quitte… pour émigrer vers
l’Ouest.
Pedro : Tu sais bien que chez nous il est interdit de rêver de voyages. Le rêve est
interdit car il peut être porteur de révolte et il ne s’inscrit pas dans la réalité décrétée
par le pouvoir. Je vais partir les rejoindre sur les ailes du rêve puisque je ne peux
pas franchir les frontières de mon pays.
Mais quand je reviendrai réellement je leur apporterai ma parole encore toute neuve
de leurs espoirs.
Je voudrais que ma parole galope comme un cheval fou dans leurs prairies
Je voudrais que ma parole se désaltère à leurs fontaines
Je voudrais que ma parole coure par les rues à leur rencontre
Je voudrais que ma parole s’ensoleille à leurs rires
Elle : Oui, bien sûr. Calme toi et repose toi. Endors toi. Nous allons partir ensemble.
Pedro : Ils m’écouteront n’est ce pas ?
Elle : Bien sûr …
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Pedro : (déçu) Non, je sais très bien que le jour où je pourrai revenir chez moi, ils ne
me reconnaîtront plus comme l’un des leurs. Leur réalité ne sera plus la mienne car
tout aura changé et nous n’aurons plus les mêmes références. Je serai devenu
étranger à moi même… (désabusé) Puisque la vie est paraît-il un songe, je vais
m’endormir pour oublier ce rêve d’une soirée théâtrale dans un pays libre.
(Pedro s’allonge et se recroqueville sur lui-même. Un temps puis Elle sort. Entrée
des 4 personnages sur la pointe des pieds)
A : Je crois qu’il dort et que celle qui se prenait pour notre bonne conscience est
enfin partie.
B : On va enfin pouvoir jouer.
C : Qui est le héros ?
D : Ou l’héroïne ?
A : Ah, attention pas de droguée sur scène ! Si jamais il y avait encore un contrôle,
on perdrait notre autorisation de jouer.
B : Au fait qu’est ce qu’on va jouer ?
C : Et si on improvisait ?
D : Encore. Tu ne pourrais pas proposer autre chose ; ça devient lassant.
B : Et si on … (réfléchissant) non ça n’irait pas…
A : A moins qu’on… (réfléchissant) non c’est con.
(Public entre en scène prêt à partir)
B : Ah, le public ! Il va nous dire, lui, ce que nous devons jouer.
Public : Il est l’heure d’aller se coucher les enfants. Fini de jouer. Demain le public
doit aller travailler. Allez, bonne nuit à tous !
B : Ah, bravo le public ! (Il applaudit) Voilà qu’il se tire maintenant. Il ne prend même
pas ses responsabilités. (Criant vers la coulisse) Eh, dîtes c’est quand même pour
vous qu’on nous a fait venir.
A : Ce n’est pas la peine que tu cries si fort. Il est parti.
C : Mais pourquoi nous ont-ils fait venir ? Si j’avais su j’aurais été faire le personnage
ailleurs.
D : (réagissant soudainement) Eh, dîtes, est ce qu’ils vous ont payé ce soir ?
Les autres : Ben, non. Non. Non.
A : Ah, les escrocs, ils sont tous partis et ils ne nous ont même pas versé un seul
kopeck.
B : Ah, mais, ça ne va pas se passer comme ça. Moi, je vous le dis. Demain…
demain…je propose qu’on occupe les bureaux de la distribution.
D : Bravo. Bonne idée.
C : Et dès la première heure.
D : Entièrement d’accord avec toi.
A : Moi, je voudrais bien…mais j’ai un casting justement demain matin. Et j’ai peutêtre une chance de ressembler à un personnage.
D : Ah, demain…Zut, j’avais oublié. J’ai une répétition importante pour une pièce
pour enfants.
C : Ah, merde, demain ? Je ne peux pas. Je dois rencontrer l’ami du metteur en
scène d’un télé film pour jouer un rôle de personnage.
B : Moi, je ne me souviens plus, mais je dois avoir aussi quelque chose … (aux
autres) Alors… après demain ?
A : Oui, c’est ça, après demain.
C : Après demain, ça sera parfait.
D : Après demain ? Pas de problème. Allez Ciao
C : Ciao
A : Bonne nuit à tous.
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D : Bonne nuit (Ils s’embrassent et commencent à sortir)
B : (Il est le dernier à sortir et lance à la cantonade sur un ton un peu désabusé)
Alors à après demain…
(Les autres sortent par des sorties différentes et parlent depuis les coulisses))
Les autres : Oui, oui à après demain.
(Un temps puis voix off venant des coulisses)
Voix de la conscience en coulisses : Eh, l’auteur, réveille toi !
Voix de Pedro : Hein qu’est ce qu’il y a ?
Voix de la conscience en coulisses : On s’en va, Pedro. Tout le monde est déjà
parti. (Elle entre sur scène suivie de Pedro) Les copains ont vraiment apprécié que
tu t’endormes pendant la répétition.
Voix Off de Pedro : J’étais crevé. (Un temps) Tu sais j’ai fait un drôle de rêve. En
fait je me demandais pourquoi j’écrivais des pièces de théâtre et à qui je
m’adressais…
Elle : Ouh, la, la. Je suis trop fatiguée ce soir pour écouter tes élucubrations.
Heureusement que je ne suis pas ta conscience. Allez on rentre . (S’adressant à
l’électricien au fond de la salle) Tu peux éteindre Philippe, il n’y a plus personne.
(Elle et Pedro sortent pendant que le noir se fait lentement sur scène)
FIN
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