Running Wild
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Esthétique du chaos : Running Wild de J.G. Ballard Stephan Kraitsowits Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines L’écriture du chaos est pour James Graham Ballard un moyen d’échapper à l’ordre de l’écriture. Dans Running Wild [1988], un fait divers, surprenant par la violence et la rapidité de son exécution, devient l’occasion pour cet auteur d’explorer une communauté humaine spécifique et de découvrir les rouages socio-économiques et politiques d’une partie de la société britannique contemporaine. Mais cette transition abrupte, au cœ ur de ce que Ballard décrit comme un système ordonné, est également l’occasion d’une exploration du rôle fondamental que sont susceptibles de jouer, plus largement, le systématique et l’imprévisible, le déterminé et l’aléatoire, le simple et le complexe. Se saisissant des virtualités libératrices du chaos, Ballard met en œ uvre une véritable esthétique du chaos qui en applique le potentiel à sa propre écriture. Il évite alors toute entropie des formes grâce à un système de tensions et d’échanges qui donne de son œ uvre l’image d’un organisme en devenir. Traitement paroxystique de l’idéal urbain En premier lieu, Running Wild de James Graham Ballard apparaît comme un roman policier ordinaire, comme une fiction réaliste1 qui chercherait à décrire objectivement des événements qui se sont déroulés au sein d’un village résidentiel cossu de la périphérie ouest de Londres : le village de Pangbourne. Mais à force d’exacerber l’ordonnancement, la propreté et l’uniformité du village de Pangbourne, Ballard parvient à ériger celui-ci en véritable idéal-type de la civilisation urbaine. En effet, des images prises par une caméra de police, retranscrites dans les notes professionnelles d’un médecin légiste du nom de Richard Greville, donnent de la petite bourgade résidentielle, l’image d’une architecture urbaine raisonnée, particulièrement élégante et somptueuse : The camera leaves the gatehouse and sets off along The Avenue, the tree-lined central drive of the Estate. The handsome mansions sit above their ample front lawns, separated from each other by screens of ornamental shrubs and drystone walls. The light is flat but remarkably even, a consequence of the generous zoning densities (approx. two acres per house) and the absence of those cheap silver firs which cast their bleak shadows across the mock-Tudor façades of so many executive estates in the Thames Valley. (RW p. 6) 2 1 Le déploiement factuel du récit de Running Wild mobilise des documents froids et impartiaux où la présence d’une conscience humaine émotive et peu fiable est réduite au minimum. Documents, historiques, enquêtes et catalogues brisent constamment la linéarité du récit d’une enquête pour en faire un pseudo-documentaire, une reconstitution de faits restitués par le Dr Greville, médecin légiste, seule conscience narratrice du texte. 2 Les citations et numéros de page pour Running Wild renvoient à l’édition Flamingo, 1997, que j’abrège avec les lettres RW. © La Chouette, 2001 58 Pour le Docteur Greville, dont les notes forment l’ensemble du récit de Running Wild, l’espace habitable du Village de Pangbourne est parcellisé et mesurable (« approx. two acres per house »). Bien desservies, les résidences sont reliées par des voies de communication bien entretenues, rectilignes et anonymes (« The Avenue » ). Tous les éléments naturels ont été disposés, fabriqués ou modelés en fonction des exigences humaines : les arbres sont alignés (« tree-lined »), les pierres entassées pour former des murs solides (« dry-stone walls ») et l’herbe soigneusement apprivoisée. Dans la ville inventée de Ballard, l’homme, décrit par le Docteur Richard Greville, a su se bâtir un univers fonctionnel où la nature s’offre comme un outil d’esthétisation réfléchi. Les arbres ne sont pas autochtones, mais choisis pour leurs vertus décoratives qui ne font aucunement ombrage aux admirables bâtiments. Les jardins sont des écrins mettant en valeur (« ample front lawns ») et encadrant (« screens of ornamental shrubs ») les biens précieux que représentent les dix maisons individuelles du village. L’examen du Docteur Greville montre également que toute vie animale est maîtrisée et se voit attribuer une fonction précise par les résidents du village de Pangbourne. Aucun animal ne saurait nuire à l’ordre que l’homme s’impose à lui-même dès lors qu’il n’entre dans le périmètre du village que le soir pour aider à la surveillance du domaine : … (all pets are discouraged at Pangbourne Village : they foul the lawns and are a distracting focus of affection). (RW p. 90) Considérés par les résidents comme agents du chaos naturel à cause de leurs pulsions bien trop primitives et donc de leur absence de culture urbaine, les animaux, comme la présence de la nature dans son ensemble, ne sont tolérés dans l’enceinte du village qu’à condition d’être effectivement tenus en laisse. Cette hyper civilisation du village de Pangbourne, la volonté farouche des habitants d’ordonner, de maîtriser ou d’exclure tout ce que propose la nature et qui n’est pas issu de leur culture, se retrouve dans l’obsession des habitants du village pour l’hygiène. La propreté immaculée des lieux, leur agencement systématique par un personnel d’entretien qualifié, l’absence même de feuilles mortes ou de crottes de chien dans les allées, sont autant de marques de l’écart radical entre la civilisation urbaine et le monde naturel. Pour les résidents du village, l’hygiène apparaît comme le rempart privilégié contre le chaos de la nature. La propreté, les surfaces lisses des façades et les idées nettes caractérisent le village de Pangbourne ; tout doit y être immaculé. Au village de Pangbourne la saleté passe pour un mal qu’il faut exorciser car elle est une manifestation inquiétante du chaos. Afin de souligner et d’intensifier cette distance qui sépare la civilisation humaine de Pangbourne du milieu naturel, Ballard met en œ uvre dans le rapport d’enquête du docteur Greville, une imagerie d’une aridité toute symbolique qui mesure le degré d’artificialité du village. Par exemple, Greville rappellera que le village de Pangbourne n’est pas situé au bord d’un cours d’eau qui aurait pu y charrier la vie, mais doit son existence à des artères de béton, construites par l’homme, pour le seul bénéfice d’une classe privilégiée : The chief attraction for Camelot Holdings Ltd, the architects and property developers, was the proximity of the M4 motorway, and the ready access it offers to Heathrow Airport and central London, an ease of access that might well have benefited the assassins and kidnappers. All the residents of Pangbourne Village worked either in central London or in the silicon valle y of high-technology computer firms along the M4 corridor. Pangbourne Village is only the newest (completed 1985) and most expensive (the ten houses, all with Stephan Kraitsowits 59 swimming pools, projection theatres and optional stables, each sold for approx. 590, 000 pounds) of a number of similar estates in Berkshire which house thousands of senior professionals – lawyers, stockbrokers, bankers – and their families. Secure behind their high walls and surveillance cameras, these estates in effect constitute a chain of closed communities whose lifelines run directly along the M4. (RW p.12) Relié par un cordon tout ombilical (« whose lifelines run directly along the M4 ») à l’argent, au béton et au silicium, le village de Pangbourne est alors un village sans épaisseur historique. Il n’est pas le produit d’une communauté biologique mais le produit inhumain d’un monde aride et minéral. Ce n’est surtout pas un corps naturel, bouillonnant, qui par la dynamique d’une population connaîtrait une physionomie singulière et une tradition mouvementée mais une ville nouvelle, créée de toutes pièces (« completed in 1985 »), une ville instrumentale (« ready access it offers to Heathrow Airport and Central London »), purement fonctionnelle (« all the residents worked along the M4 corridor ») ; en bref, une ville clés en main. Le village imaginé par Ballard est, en outre, étroitement uniforme. Il est occupé par une classe sociale homogène (« senior professionals – lawyers, stockbrockers, bankers – and their families »). La seule faune susceptible d’être croisée est celle constituée par les membres des professions libérales supérieures (« worked either in central London or in the silicon valley ») ayant survécu à une sorte d’épuration du patrimoine social par les eaux des piscines privatives et chlorées. Là encore, Ballard abolit la variété essentielle de la nature. Soumise à la volonté de l’homme civilisé, la nature dénaturée, disciplinée par la culture urbaine de Pangbourne se réduit en autant de lots à vendre (« each sold for approx. 590,000 pounds »). L’imagerie de Running Wild réitère alors le fait que, pour Ballard, le microcosme apparemment idéal du village de Pangbourne est en fait le théâtre d’une stérilisation et d’une dessiccation de la vie au fur et à mesure que les hommes perdent de vue leur propre existence, une existence évaporée dans un univers culturellement aseptisé. Dans ce roman, on voit systématiquement s’effacer le thème de la nature foisonnante, moite et chaotique cher à Ballard3 pour laisser place au thème de l’organisation rationnelle, artificielle et stérile du monde. Dans l’imaginaire de Ballard, ce déplacement symbolique vers une cosmogonie minérale matérialise précisément l’ordre et l’antisepsie, la maîtrise de la nature et la menace de l’extinction de toute vie biologique. Pour Ballard, le village de Pangbourne n’a, en fin de compte, plus aucune existence naturelle et, d’une certaine manière, il ne peut vivre du tout. Ainsi qu’il le fait dire à son narrateur : At Pangbourne Village, I reflected, time could run backwards or forwards. The residents had eliminated both past and future, and for all their activity they existed in a civilised and eventless world. (RW p.62) Le village de Pangbourne, paroxysme d’une certaine vision de l’urbanisme, agit alors comme une sorte de « vanité », comme une composition durable mais dont l’observation rappelle avant tout la destinée mortelle de l’homme, son autosatisfaction et sa suffisance. Derrière la façade séduisante et dernier cri du village de Pangbourne 3 Cf. pp. 266 à 292 de ma thèse de doctorat pour une analyse de la symbolique aquatique de Ballard et son articulation au pouvoir onirique d’autres éléments matériels. Stephan Kraitsowits 60 se cache le visage grimaçant de la mort. La mort se dissimule dans les murs des bâtiments, dans les traits figés des portes et des fenêtres, dans l’absence de toute dynamique temporelle (« time could run backwards or forwards »). Pour Ballard, l’ordre imposé par le village de Pangbourne est en soi, un état létal et, dans ce lieu, civilisation (« civilised ») rime avant tout avec stagnation (« eventless »). Ainsi, malgré son caractère luxueux, le village de Pangbourne est surtout un univers entropique. Cette destinée fatale du village, que Ballard distille sans cesse entre les lignes de son texte, se concrétise de temps en temps dans la présence d’une espèce de pourriture sèche, discrète et insidieuse, dont l’existence mystérieuse se fait remarquer par le docteur Greville. Elle vient confirmer la symbolique toute bachelardienne que l’auteur met en œ uvre et l’impression du lecteur que le village de Pangbourne, malgré le confort moderne qu’il offre, est bien un endroit funeste. En voici une occurrence : I switched on the cupboard light. Around the skirting board and the interior panels of the door were a series of curious notches, apparently left by a gnawing mammal with powerful incisors. […] “What are they caused by? The forensic people must have some idea.” “Well … they haven’t been able to agree.” We had entered Dr Edwina’s bedroom. Payne pointed to the wooden frame of the headboard, where I saw a similar pattern of fretwork. “You’ll find them all over the place, a kind of dry ... rot.” (RW pp 39-39) Tout comme le sable est une forme dégradée, corrompue, du magma primordial, le résultat stérile d’une terre lessivée dont il ne resterait plus aucune biomasse, la pourriture sèche (« dry rot ») qui déjà commence à envahir le Village de Pangbourne est l’emblème ballardien du tarissement de la vie moderne. Cette matière singulière représente pour l’auteur l’avenir urbain de l’utopie technologique et sécuritaire de Pangbourne. Pour Ballard, la technologie et les valeurs que propose le village à ses résidents, assurent à l’homme une maîtrise de plus en plus complète de son environnement, mais le déloge peu à peu de sa niche écologique et le désolidarise de l’ensemble des vivants. Le village de Pangbourne est un lieu où le chrome, le métal et le verre, l’asphalte et le béton produits par l’homme moderne reflètent son esprit desséché et stérile. Paroxysme de l’ordre, de la stabilité et de l’inaltérable, les bâtiments du village de Pangbourne en deviennent les symboles même de la non-vie, du factice et donc d’une espèce de terminus éternel. Avec la réalisation du projet urbain de Pangbourne, un segment de la société britannique a atteint une certaine immortalité dans l’immuable. Mais, en tentant d’échapper aux affres de la mort, en pérennisant son environnement à force de gravillons et de goudron, en consommant toujours plus sa rupture avec la nature, en s’entourant d’objets de métal et de plastique, l’homme moderne s’est acclimaté définitivement et radicalement à un monde inhumain, acculé aujourd’hui à l’angoisse de l’éternité. L’aridité symbolique présente partout dans le village de Pangbourne est bien l’image de cette transcendance douteuse de la mort que propose la modernité urbaine. Elle est la marque d’un idéal que l’homme ne saurait véritablement atteindre à cause de sa propre corporéité, mais également l’image de la dissolution de l’être dans un environnement minéral où la société tout entière finira forcément par s’ensabler. Stephan Kraitsowits 61 Irruption soudaine du désordre Coincé entre un univers technico-scientifique et la société d’accumulation des biens, l’homme moderne se comporte alors comme s’il n’allait pas mourir, sa sécurité étant, en principe, parfaitement assurée par les institutions technocratiques, policières et sanitaires. Grâce à ses prouesses technologiques, la société moderne a réduit la mort à un objet réifié, en a fait un non-événement qu’elle est tout à fait capable de maîtriser. Cachée derrière les murs fortifiés de villas luxueuses, dans le Village de Pangbourne, la mort et le processus de vie qui l’accompagne n’existent pas. Dans un tel contexte, le chaos devient une nécessité, le moyen d’échapper à l’univers clos de cette société entropique. Il intervient comme la seule issue possible à ce que l’auteur semble considérer comme étant le cauchemar éternel que réserve l’idéal urbain. C’est ainsi que l’ordre chéri par les résidents et entretenu par leurs serviteurs soudain bascule : en l’espace de dix minutes, tous les résidents adultes, les gardes de sécurité et les employés de maison sont impitoyablement massacrés. Les moyens utilisés pour assassiner les trente-neuf adultes sont à la fois très sophistiqués et particulièrement barbares. Presque simultanément, une partie des habitants périssent exécutés à bout portant avec un revolver, d’autres sont électrocutés avec un sèche-cheveux dans une baignoire puis poignardés, d’autres encore sont étranglés par les filins d’une structure en bambou qui ressemble à un cerf-volant. Certains habitants sont drogués puis étouffés avec un oreiller ou encore abattus par la flèche d’une arbalète. Un couple est même retrouvé écrasé entre les portes de son garage et de sa propre voiture. Ce que Ballard nomme « le massacre de Pangbourne 4 » rompt alors brutalement et radicalement l’équilibre jalousement préservé du Village, son confort sécuritaire et sa sérénité apparente. Par une ironie du sort toute ballardienne, qui pousse jusque dans ses retranchements une logique acceptée, ce sont les enfants de Pangbourne qui ont tué. Comblés, saturés, au point d’atteindre une espèce de masse critique au-delà de laquelle tout bascule, ils se sont libérés de l’amour et de l’attention de cette civilisation qui leur était abondamment imposée. All testify that the murder victims were enlightened and loving parents, who shared liberal and humane values which they displayed almost to a fault. The children attended exclusive private day-schools near Reading, and their successful academic records reveal a complete absence of stress in their home lives. The parents (all of whom, untypically for their professional class, seem to have objected to boarding schools) devoted long hours to their offspring, even to the extent of sacrificing their own social lives. They joined the children in various activities at the recreation club, organised discotheques and bridge contests in which they took full part, and in the best sense were guiding their sons and daughters towards fulfilled and happy lives when they themselves were cut down so tragically.” (RW, p.16) Pour Ballard, plus que beau, logique ou cohérent, confortable ou pratique, l’univers urbain que propose Running Wild est un ensemble idéal-typique où la trace de la 4 Titre, d’ailleurs, de la traduction française de Running Wild aux éditions Belfond (1992) ou Mille et une Nuits (1995). Stephan Kraitsowits 62 sauvagerie et de la confusion de la nature a voulu être effacée. Les enfants ont donc assassiné leurs parents pour s’échapper de cette réalité technique et opérationnelle. Ils ne se sont pas rebellés contre la haine ou la tyrannie, mais contre l’excès de positivité même du système Pangbourne. Le texte de Ballard s’accorde alors avec la grille de lecture que Baudrillard5 propose de la société post-moderne. Le massacre de Pangbourne ne procède pas d’une violence anarchiste ou révolutionnaire justifiée par un discours ou un projet politique, mais d’une violence enfouie et cosmique, un temps endiguée mais désormais non maîtrisable parce qu’essentiellement caractérielle. La montée de la violence des enfants n’a pas pour but de régulariser le système ou de transformer le monde par une forme d’accouchement violent et historique. Elle prend pour objet le système lui-même, dont elle vise la déstabilisation systématique pour que les enfants puissent exister enfin. Le chaos qu’engendre la mort de leurs parents est avant tout l’occasion d’une rupture et intervient comme antidote au déclin. C’est donc au paroxysme du système Pangbourne que se produit brusquement la singularité parfaitement anomique d’un crime atroce. Dans le contexte hyper normé, luxueux, bien pensant et donc étouffant du Village de Pangbourne, des enfants ont dû réaliser physiquement le geste symbolique de leur émancipation. Par la même occasion, l’ordre matériel et culturel supérieur du Village de Pangbourne se retrouve profondément ébranlé et la Nature, avec son cortège de violences et de disgrâces, refait violemment surface. Ce coup porté à l’ordre, au cœ ur même d’une réserve de la culture bourgeoise, amène la façade artificielle de l’environnement des résidents de Pangbourne à se lézarder : The camera turns to show the delivery van of the local wine-merchants which the police have parked among the ornamental trees on the grass verge. The driver, a pallid young man in his early twenties, is staring in a despondent way at the deep ruts left in the finely trimmed grass, as if the costs of restoring this once immaculate surface will have to be met from his wages. (RW, p. 5) La parure synthétique du village (« ornamental trees », « grass verge », « finely trimmed grass », « immaculate surface ») n’a pu résister au chaos des meurtres qui l’ont marquée à vif telles des scarifications (« deep ruts »). Dans l’univers trop parfaitement synthétique du village, ces plaies visibles ne peuvent cependant s’effacer par le travail cicatrisant de la nature. Dans la mesure où le Village n’a rien d’un écosystème, ni même d’un éventuel écosystème urbain, mais tout d’une organisation humaine, c’est-à-dire d’une économie, chaque panne ou chaque crise ne peut trouver de solution que dans une contribution financière. Il va donc falloir acquitter la dette contractée (« met from his wages ») pour restaurer l’ordre abîmé. Ici, ce qui se présente comme une réparation monétaire indique, une fois de plus, l’implacable artificialité du monde que Ballard a cherché à mettre en mots. Ainsi, pour Ballard, le crime des enfants de Pangbourne est avant tout un crime mythique, œ uvre du chaos. Pour Ballard, penser que le monde moderne pourrait tendre vers un état d’équilibre est illusoire, et aucune stabilité sociale ne peut être définitive. La présence de fluctuations désordonnées, imprévisibles, erratiques, chaotiques – comme cela s’est produit avec le meurtre des trente-neuf adultes – est finalement inhérente au monde des hommes et en est même le dernier signe de santé. 5 Dans Le Paroxyste indifférent (1997, p.81) Baudrillard qualifie cette démarche de « stratégie fatale » et dans son article « Crash » (1984) il en explore l’application par Ballard dans son roman du même nom. Stephan Kraitsowits 63 La construction à l’excès d’un roman à énigme Au lieu de se laisser régir par une vision conventionnelle de la société britannique contemporaine et de laisser de la sorte son lecteur inconsciemment régi par elle, James Graham Ballard, en exacerbant un idéal urbain, en cherche et en offre la maîtrise par le biais de l’irruption subite de l’irrationnel. Cette force que Ballard confère au chaos pour lutter contre l’entropie des formes se retrouve à tous les niveaux de son texte y compris dans l’écriture normée adoptée par Ballard. En effet, au sein de Running Wild se retrouve un certain nombre de procédés reconnaissables qui témoignent d’une fidélité exaspérée à la tradition convenue des romans de détection et l’amorce de leur dépassement. En assemblant de façon conventionnelle la manière dont un crime en actes à été commis, Ballard mobilise une figure essentielle d’un genre fondé sur la rétrospection : le roman à énigme (crime novel). En effet, la structure de Running Wild est duelle : l’histoire de l’enquête est combinée avec l’histoire du crime. Elle est également régressive : la narration de l’enquête commence après que le crime a eu lieu et son déroulement s’efforce de reconstituer à rebours, ce qui a précédé le crime, à charge pour le lecteur de procéder à un assemblage cohérent. Comme pour tout crime novel canonique6 donc, l’élément thématique central et la motivation même du récit de Running Wild repose sur une violation grave de la loi ; l’ensemble du texte embrasse cette activité criminelle qui, mystérieuse au départ, exige d’être élucidée. Plus précisément, dans Running Wild, ce qui est de mise est l’assassinat de tous les résidents adultes du village de Pangbourne, ainsi que les gardes de sécurité, les chauffeurs, les femmes de ménage et autres personnels de service, et la disparition de treize enfants… le tout, en l’espace d’une trentaine de minutes. Entre la question posée par la présence des corps ainsi que l’absence des enfants et la réponse fournie par l’enquêteur, se trouvent tout le temps de la lecture et l’excuse pour dilater cet espace par des leurres, des blocages ou des réponses partielles. Ballard use de nombreux procédés de retardement habituellement présents dans les romans de détection qui visent à exciter la curiosité du lecteur ou à la maintenir en éveil. Par exemple, il s’ingénie à différer toute révélation certaine en mettant le lecteur – intrigué et pressé de savoir – « au supplice » avec toute une série d’hypothèses qui finalement n’apportent aucune certitude. Le catalogage dans les carnets de Greville des multiples hypothèses avancées par la presse ou par d’autres enquêteurs fait de celles-ci autant d’exemples d’artifices qui induisent le lecteur en erreur et alimentent son incertitude. Le crime a-til été commis par un assassin solitaire ? Par des terroristes ou un cartel de trafiquants de drogue s’étant trompé de cible ? Par une bande de psychopathes qui tuent pour le plaisir ? Par les agents secrets d’une opération militaire ayant commis une « bavure » ? Par des extraterrestres ? Toutes ses hypothèses sont avancées dans le texte, mais 6 SS van Dine, auteur de romans policiers, a énoncé en 1928, dans son article « Vingt règles du roman policier », qu’ « un roman policier sans cadavre, cela n’existe pas. » L’ensemble des 20 règles canoniques de Van Dine ont étés publiées dans « The Twenty Rules of the Detective Novel », American Magazine, Vol. 106, 3rd September 1928. Elles sont traduites dans Boileau et Narcejac. Une machine à lire : Le roman policier. Paris, Denöel/Gonthier, 1975. Dans sa « Typologie du roman policier » Tzvetan Todorov reprend les règles de Van Dine mais les résume à huit (Cf. Poétique de la prose. Paris, Seuil, 1971. p. 15). Stephan Kraitsowits 64 restent non fondées. Le jeu des hypothèses avec leurs implications est une exploration des possibles, mais sert également à brouiller les pistes, à rendre la situation encore plus énigmatique par la multiplication, presque à l’infini, des points d’interrogations. L’objectif essentiel du roman est donc de reconstituer la manière dont ce crime à été commis, par qui, pourquoi et enfin comment il a été dissimulé. Les informations distillées par l’enquêteur, le docteur Richard Greville, ainsi que sa démarche investigatrice constituent alors les seuls éléments sur lesquels le lecteur peut s’appuyer pour avancer dans la résolution du problème posé. Une telle narration par un enquêteur extérieur chargé de faire toute la lumière sur une affaire criminelle est d’ailleurs un autre procédé narratif propre à la tradition des récits à énigme. Running Wild, comme tout roman à énigme, repose sur un jeu intellectuel postulé entre l’auteur et le lecteur et figuré par l’affrontement intellectuel entre l’enquêteur et le criminel. Le problème qui se pose à cet enquêteur, qu’il soit policier, détective privé ou comme ici médecin légiste, est le même que celui qui se pose au lecteur : à partir de fragments disparates comment reconstituer le récit véridique d’un scénario caché ? Where to start ? So much has been written about the Pangbourne Massacre, as it is now known in the popular press throughout the world, that I find it difficult to see this tragic event with a clear eye. In the past two months there have been so many television programmes about the thirty-two murdered residents of this exclusive estate to the West of London, and so much speculation about the abduction of their thirteen children, that there scarcely seems room for even a single fresh hypothesis. However, as the Permanent Secretary impressed upon me at the Home Office this morning, virtually nothing is known about the motives and identity of the assassins. (RW, p. 1) Qui a tué ? Pour quel mobile ? Avec quelle arme ? sont les questions qui se posent dès les premières phrases du texte. Mais la toute première question et la première ligne du texte est bien « Where to start ? ». Comment donner une réponse à l’énigme posée est le problème fondamental de tout crime novel puisque dans ce genre de fiction le travail du lecteur est double – il doit suivre le déroulement de l’enquête et reconstruire en même temps les événements antérieurs qui ont amené le crime ? Le présent de l’enquête, dans une analepse explicative, doit reconstituer le passé qui a mené au crime pour clore le dossier définitivement. Le rattachement de Running Wild à la tradition du crime novel ne s’exprime donc pas seulement dans des choix purement thématiques, mais procède des mécanismes narratifs mis en œ uvre par l’auteur, mécanismes connus qui exigent la collaboration du lecteur. L’écriture de Ballard comporte sa propre grille de lecture dans les dispositifs interactifs mis en œ uvre. La vérité à déceler enfin révélée, le fait qu’il s’agisse d’un crime mystérieux et secret qui fascine le lecteur, rapprochent alors Running Wild du prototype même du roman à énigme. Tout se passe comme s’il y avait chez Ballard une inféodation volontaire à des conventions narratives qui lient le texte, l’auteur et le lecteur. Avec Running Wild Ballard se donne un genre : son roman adopte et enchaîne intentionnellement une tradition d’écriture identifiable par ses procédés et ses effets spécifiques, lesquels conditionnent le lecteur pour une certaine réception. Son texte est en quelque sorte « formaté » pour une lecture particulière qui amène le lecteur à partager les propriétés génériques du texte avec son auteur. Bien qu’il soit possible de lire ce texte autrement qu’à travers les « ficelles » qu’ils tirent, de repousser le Stephan Kraitsowits 65 « contrat » de lecture qui lui est inhérent, le lecteur n’est pas encouragé à procéder de la sorte. Ne pas répondre à l’appel du texte, revient à ignorer les seules véritables portes ouvertes par l’auteur pour que le lecteur accède à la signification du texte. Faire semblant d’ignorer la volonté du texte, c’est refuser qu’apparaisse le fait que Ballard, profitant de la mécanique romanesque et jouant de ses effets, a en fait amplifié à l’excès les virtualités du roman à énigme. Prenons pour exemple l’assassinat de Monsieur Garfield, un des parents assassinés. Pour Richard Greville, la mort a frappé ce résident un peu après 8 heures 27, à la suite d’une double série de balles tirées d’un pistolet automatique tenu par Alexandre Garfield, le fils du défunt. Pourtant, sa mort n’a pas lieu qu’une seule fois. Elle est réitérée au fil des carnets de Greville et reproduite à plusieurs reprises dans l’esprit du lecteur. La première fois que Mr Garfield « meurt », c’est lors de la retranscription par Greville de la vidéo filmée par les policiers de Reading CID. Ce document présente le contrecoup de la journée funeste pendant laquelle les enfants ont tué leurs parents. Bien que l’assassinat de Monsieur Garfield ait eu lieu hors scène, les deux blessures dans sa poitrine et les traces de sang qui mènent de la maison à sa voiture permettent d’imaginer l’agonie du banquier lors de sa tentative de fuite7 . Le Dr. Greville, comme le lecteur de ses carnets, peut donc déjà se figurer une première fois le meurtre de cet homme grâce à ce que révèle la bande de la vidéo filmée quelques heures seulement après le crime. Par la suite, le texte nous présente une série d’hypothèses au sujet du massacre qui sont en fin de compte autant de carnages supplémentaires8 . Les hypothèses des enquêtes précédentes, celles de Greville ou celles de la presse à sensation, sont l’occasion d’abattre Monsieur Garfield une seconde, une troisième fois et à plusieurs reprises encore. Dans une hypothèse, la cinquième parmi plus de treize, Garfield est assassiné par l’I.R.A. Bien que ce soit au lecteur d’imaginer les détails du meurtre que peut lui évoquer cette hypothèse, celle-ci a bien lieu virtuellement. D’ailleurs, aussitôt après, le lecteur aura à assassiner, virtuellement, Monsieur Garfield une fois encore, mais cette fois-ci par le biais d’un commando de mercenaires libyens. Selon d’autres hypothèses, Garfield sera exécuté par le K.G.B. puis par la C.I.A. et les Services Secrets britanniques ou encore par des psychopathes illuminés. Les digressions personnelles de Greville9 sur les circonstances exactes de l’assassinat de Mr Garfield permettent même au lecteur de revisiter et de visualiser une énième fois de plus le corps à moitié dénudé du banquier abattu dans sa voiture. Le récit répétitif est présent à bien d’autres endroits et vaut pour chacune des victimes du village de Pangbourne, mais il atteint son point culminant à la fin du récit, lors de la reconstitution finale du massacre par l’enquête minutieuse du médecin-légiste. Celle-ci nous fait revivre une dernière fois, dans le plus grand détail, les meurtres de toutes les victimes – dont bien sûr, celui, encore une fois, de Roger Garfield. En se gardant de narrer de la sorte le meurtre de Garfield « en direct », Ballard s’ouvre la possibilité de raconter l’événement non pas une seule fois mais autant de fois qu’il le désire. En laissant hors scène la mort de Garfield il donne au drame une dimension qui de loin le dépasse. Les meurtres, vingt fois reconstitués, sont un moyen d’amplification de la mort d’individus isolés. Ils permettent de rendre la mort bien plus présente sur la 7 RW, p. 7. 8 RW, pp. 18-25. 9 RW, p. 28. Stephan Kraitsowits 66 scène que ne l’aurait permis la narration de l’assassinat pur et simple des adultes du Village de Pangbourne. Pour Bernard Deforges10 , la trouvaille du meurtre hors scène est un moyen d’amplification de la mort tragique. Cependant, l’affichage ostentatoire de la mort et la violence énonciative de Ballard jettent surtout une lumière décisive sur le rôle du lecteur dans tout roman policier. Pour Ballard, cette démultiplication à l’excès de la mort est un levier qui exacerbe le voyeurisme du lecteur de crime novels et traduit la distance que l’auteur entretient avec les canons du genre. Ballard, lorsqu’il s’empare du roman policier exacerbe la raison d’être de ce genre de roman et s’attaque de manière virulente à la motivation profonde de ce type de récit. Il vient dénoncer l’obscénité voyeuriste des amateurs de crime, de sang et de mort ainsi que l’intense participation fantasmatique chez celui ou celle qui imagine la scène comme spectacle. D’après le Docteur Greville, ce qui motive la foule agglutinée autour du village de Pangbourne au lendemain du meurtre n’est pas tant le désir d’établir une quelconque vérité que le désir de jouir, toujours de façon perverse, d’un spectacle horrible 11 . Tous les spectateurs d’un crime, lecteurs y compris, deviennent alors pour partie complices du meurtre. En défaisant les mécanismes de l’incrimination – qu’il décrit comme des manifestations d’une perversité qui ne veut pas dire son nom – Ballard transforme ici le « respectable » roman de détection en temple du voyeurisme. Par ce procédé, la rhétorique de Ballard ne satisfait pas non plus l’attente chez le lecteur d’une vérité au bout du texte, d’une vérité susceptible de clore l’enquête et d’autoriser un retour à l’ordre moral12 . Dans Running Wild le retour à l’ordre traditionnellement promis et attendu n’en est pas un, mais au contraire l’occasion pour Ballard de bousculer, une fois de plus, les certitudes. La déstabilisation soudaine d’un ordre narratif Le post-scriptum publié dès la première édition du roman introduit à la fin du récit de Ballard une manipulation narrative surprenante qui brise totalement les conventions du roman policier. Il introduit un procédé hérité de la science fiction et même attendu dans ce genre narratif. Dans Running Wild publié en 1988, le post-scriptum daté du 8 décembre 1993 extrapole la situation dans les environs du village de Pangbourne cinq années plus tôt. Postscript, 8 December 1993 Five years have passed since the Pangbourne Massacre, and the first news has been heard of the thirteen children. […] All details of the affair have been hushed up, but it seems that an armoured truck was driven at speed through the gates of the house. The explosion that followed, on an exclusive estate in Dulwich, South-East London, has been attributed to a leak in a nearby gas main. The former Prime minister was unharmed, and was photographed handing out cups of tea to the police and firemen. As before, she continues to 10 Deforges, Bernard, 1996, p. 177 : « un nouveau champ a été ouvert à la praxis phthartiké, au pathos tragique, permettant d’apporter encore plus de mort et de meurtre sur la scène ; ce fut sans doute une révolution dans le spectacle tragique ». 11RW, pp. 26-27. 12 … comme il est d’usage – d’après Jacques Dubois (1992) – dans tout crime novel. Dubois, Jacques Le Roman policier ou la modernité. Paris, Nathan, 1992. Stephan Kraitsowits 67 enjoy respect, if not affection, as a leader now sometimes known as “the Mother of her Nation”, or “Mother England”. Pour le lecteur de 1988, Ballard évoque des événements qui n’ont pas encore eu lieu (« 8 December 1993 ») et raconte cette virtualité future du monde au passé (« Five years have passed »). Seul un saut de l’imagination ou une suspension volontaire d’incrédulité (pour reprendre une expression de Coleridge), peut permettre que la fin du récit puisse décrire des événements qui se déroulent dans le futur, tout en étant rapportés au temps passé. Cette présentation au present perfect d’un événement non encore actualisé nécessite une capacité à extrapoler à partir d’ingrédients existants et est, cette fois-ci, un des ressorts essentiels de la science-fiction13 . Plus qu’un simple roman policier, le récit de Running Wild devient donc soudain un roman de sciencefiction. Loin d’être un roman canonique c’est un monstre transgénérique qui rompt brutalement avec la tradition convenue des crime novels. Par un simple et soudain geste de dissonance, Ballard détruit brutalement, une fois de plus, l’ordre convenu apparemment acquis. Une activité chaotique apparaît alors consubstantielle au travail de Ballard et l’étendue, la radicalité volontaire de la remise en question perpétuelle qu’elle engendre en est la preuve. Pour l’auteur, plus qu’un thème de prédilection, le chaos est la possibilité d’une dynamique. Véritable moteur, le chaos vient fragiliser l’œ uvre, par trop convenue, de l’intérieur. En effet, il transforme en dynamique de création le désordre qu’enfante la présence surprenante d’une manipulation générique. Il permet l’assassinat d’une posture littéraire maîtrisée. Il saigne à blanc tout écrit antérieur… et fait jaillir une parole neuve. Grâce au désordre générique Ballard peut accomplir sa double démarche de destruction et de création et l’écriture du chaos peut devenir une manière de résister à l’inertie du roman. C’est donc contre les pouvoirs de destruction, mais aussi grâce à eux, que Ballard provoque une conversion du texte qui pousse l’auteur à créer et évite toute absorption par le néant. Pour le lecteur, l’intérêt de l’esthétique chaotique de Ballard est également tapi dans le coefficient d’irrationalité qu’elle engendre et qui libère le jeu fantasmatique. L’ébranlement émotionnel qui accompagne les récits ballardiens et le trouble intellectuel que génère l’irruption de l’irrationnel générique exigent du lecteur une accommodation différente, un changement de protocole. Grâce à l’approfondissement des mécanismes internes du roman et à l’intensification des formes du crime novel, Ballard en met à nu les procédés, les démonte et ébranle la crédulité de ses lecteurs, créant du neuf par la pratique hyper-esthétique d’une écriture au second degré. Parce que le chaos détruit, à coup sûr, la certitude de nos censures et refoulements habituels, l’œ uvre de Ballard déstabilise alors toute lecture dominante. Conclusion La distance que Ballard entretient avec les conventions de la société moderne, avec ce que représente pour lui l’establishment d’aujourd’hui, se retrouve donc aussi dans la structure narrative de Running Wild. L’irruption soudaine de l’irrationnel avec les 13Jacques Favier explore et explique très précisément ce procédé narratif dans son article « Les jeux de la temporalité ». Littérature, n°8, décembre, 1972, p. 55. Stephan Kraitsowits 68 meurtres de 35 adultes dans l’environnement de Pangbourne marque la distance ironique qu’il souhaite maintenir avec un certain idéal urbain. Le « cannibalisme » de Ballard (pour reprendre ici une expression de Frederic Jameson14 ) de catégories génériques existantes et l’irruption incongrue d’un procédé propre au roman de science-fiction à la fin d’un roman à énigme relève de cette même esthétique chaotique. Dans une véritable stratégie du chaos, la rhétorique ballardienne permet la réinvention d’une pensée qui, à dessein, fait éclater non pas la vérité d’un système, mais sa logique et ses limites. Le chaos est le moyen de lutte ballardien contre l’entropie de la société comme de la littérature ; il est totalement contenu dans son modèle théorique : dans son écriture, dans ses récits, dans sa fiction tout entière. Dès lors, Running Wild trouve toute son inspiration, sa dynamique, son originalité et sa vie dans le chaos ; dans l’état désordonné d’un système où le hasard, en théorie, n’intervient pas. Stephan Kraitsowits Bibliographie Bachelard, Gaston, L’Eau et les rêves : Essai sur l’imagination de la matière, Paris, Corti, 1942. Ballard, James Graham, Running Wild [1988], London, Flamingo, 1997. Baudrillard, Jean, Le Paroxyste indifférent, Paris, Grasset, 1997. Berque, Augustin, Les Raisons du paysage, CEE, Hazan, 1995. Deforge, Bernard, « La mort tragique », in Hetru, J-M et al., Créer avec la mort, Chambéry, Éditions du Pôle, 1996. Dubois, Jacques, Le Roman policier ou la modernité, Paris, Nathan, 1992. Favier, Jacques, « Les jeux de la temporalité », Littérature, n°8, décembre 1972. Jameson, Frederic, Postmodernism or, The Cultural Logic of Late Capitalism, London, Verso, 1991. Kraitsowits, Stephan, « Création de mondes et invention du lecteur dans l’œ uvre de James Graham Ballard », Thèse, Université de Paris 3, sous la dir. de Henri Quéré, mars 2001. Quéré, Henri, Récit, Fictions, Écritures, Paris, PUF, 1994. Sansot, Pierre, Poétique de la ville, Paris, Armand Colin, 1996. 14 Pour Frederic Jameson (1991, p. 21), le « cannibalisme » en littérature est l’art du simulacre d’un passé considéré comme stéréotypique. Stephan Kraitsowits