Cour administrative d`appel de Nancy, 4 juin 2012, n

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Cour administrative d`appel de Nancy, 4 juin 2012, n
Cour Administrative d’Appel de Nancy
N° 11NC02036
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre - formation à 3
M. JOB, président
Mme Pascale ROUSSELLE, rapporteur
M. WIERNASZ, rapporteur public
JACOB SALHI ASSOCIES, avocat(s)
lecture du lundi 4 juin 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 23 décembre 2011 sous le n° 11NC2036, complétée le 2 mai 2012, présentée pour la
société SCREG EST, dont le siège est 44 Boulevard de la Mothe Immeuble Echangeur à Nancy (54000), représentée
par son président directeur général, par la SCP d’avocats Uettwiller Grelon Gout Canat et Associes ; la société SCREG
EST demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0902459 du 25 octobre 2011 par lequel le Tribunal Administratif de Nancy a rejeté sa
demande tendant à la condamnation du Centre hospitalier général Saint-Charles de Saint-Dié-des-Vosges à lui verser la
somme de 174 017 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires à compter de la date de réception de sa demande
préalable, avec capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière du marché
public conclu en vue de la réalisation de travaux de voirie et réseaux divers afférents à l’opération de restructuration et
d’extension du centre hospitalier ;
2°) de condamner le Centre hospitalier général Saint-Charles de Saint-Dié-des-Vosges à lui verser la somme de 174
017 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires à compter de la date de réception de sa demande préalable, avec
capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du Centre hospitalier général Saint-Charles de Saint-Dié-des-Vosges une somme de 5 000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La société soutient que :
- le jugement est irrégulier car il n’est pas signé par le magistrat rapporteur ni le président de la formation de jugement
en méconnaissance des dispositions de l’article R. 741-7 du code de justice administrative et, n’analyse pas les
conclusions et moyens exposés dans plusieurs mémoires en méconnaissance des dispositions de l’article R. 741-2 du
même code ;
- les premiers juges ont dénaturé ses écritures ;
- le tribunal a commis une erreur dans la qualification juridique des faits s’agissant de la pondération du critère
technique, qui a été sous-évalué, ce qui a abouti à écarter son offre ;
- il a commis une erreur de droit en méconnaissant les règles gouvernant l’administration de la preuve devant le juge
administratif car il appartenait au pouvoir adjudicateur, qui seul dispose de ces documents, de produire les éléments
démontrant que tous les candidats avaient intégré les modifications de quantités ; cette irrégularité de procédure n’a
donc pas permis de constater que son offre était en réalité économiquement la plus avantageuse et elle aurait du être
déclarée attributaire du marché ;
- il ne pouvait prendre en considération les capacités professionnelles, techniques et financières d’une entreprise ;
- il s’est mépris sur les conséquences de l’irrégularité tenant au processus de sélection des candidatures, la preuve du
caractère suffisant des capacités de l’attributaire n’ayant jamais été apportée ;
- il a méconnu l’autorité de la chose jugée en ne considérant pas comme acquise l’irrégularité, sanctionnée par un
jugement devenu définitif, résultant de l’incompétence de la commission d’appel d’offres ;
- il s’est mépris sur les conséquences de cette irrégularité car le choix fait par une autorité incompétente, en l’occurrence
la commission d’appel d’offres, a eu une incidence ;
- il a commis une erreur de droit et de fait en substituant son appréciation à celle du pouvoir adjudicateur s’agissant de la
prise en compte des variantes ; si les variantes proposées n’avaient pas été irrégulièrement écartées, son offre aurait
été déclarée économiquement la plus avantageuse ;
- le montant du bénéfice escompté correspond à la somme de 174 017 € HT ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2012, présenté pour le Centre hospitalier général Saint-Charles de
Saint-Dié-des-Vosges, dont le siège social est 26 rue du nouvel hôpital à Saint-Dié-des-Vosges (88100) par Me Sahli,
avocat ; il conclut au rejet de la requête et à ce que la société SCREG EST soit condamnée à lui verser la somme de 5
000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative; subsidiairement à ce que le groupement
SEV/CITADIS le garantisse des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au profit de
SCREG-EST, ainsi que la somme de 5 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Le Centre hospitalier Saint-Charles de Saint-Dié-des-Vosges fait valoir que :
- l’absence de signature du rapporteur et du président sur les expéditions du jugement adressées aux parties n’affecte
pas la régularité du jugement si la minute est elle-même signée ;
- le défaut de visa ou d’analyse d’un mémoire n’entache pas la procédure d’irrégularité si ces écritures n’apportent
aucun élément nouveau auquel il n’aurait pas été répondu dans les motifs ;
- le juge n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur la pondération des critères ; au surplus,
l’opération en cause est une opération de travaux classiques et non complexes et la pondération du critère de la valeur
technique n’était pas manifestement sous-évaluée ;
- si les quantités supplémentaires n’avaient pas été prises en compte, l’offre de la société attributaire restait
économiquement la plus avantageuse ;
Vu le mémoire enregistré le 4 mai 2012 présenté pour la Société d’Equipement Vosgienne, dont le siège est 9, rue
Jeandon, à Saint-Dié-des-Vosges par Me Leparoux, avocat ; elle conclut à titre principal au rejet de la requête et à ce
que la société SCREG EST soit condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L.
761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire, au rejet de l’appel en garantie formé par le CHG
Saint-Charles, à ce que ce dernier soit condamné à prendre seul en charge les éventuels dommages et intérêts à verser
à la société SCREG EST et à ce que le CHG Saint-Charles soit condamné à lui verser la somme de 5 000 euros au titre
des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- la Société fait valoir que le défaut de signature des magistrats sur l’expédition du jugement est sans incidence sur sa
régularité ; le défaut de visa d’un mémoire produit avant la clôture d’instruction est sans incidence dès lors qu’il
n’apportait aucun élément nouveau ; les irrégularités commises n’ont pas fait perdre à la société SCREG EST une
chance sérieuse d’emporter le marché ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 14 mai 2012 :
- le rapport de Mme Rousselle, président,
- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,
- et les observations de Me Caupert, avocat de la société SCREG EST et Me Andreini, avocat de la société
d’équipement vosgienne ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier, soit de la minute du jugement que celle-ci comporte les
signatures du rapporteur et du président, ainsi que le visa et l’analyse de tous les mémoires produits par les parties à
l’instance ; que, par suite, le moyen tiré de l’irrégularité du jugement au regard des dispositions des articles R. 741-2 et
R. 741-7 du code de justice administrative manque en fait ;
Considérant, d’autre part, que, contrairement à ce que soutient la société SCREG EST, il ne ressort pas de ses écritures
de première instance qu’elle aurait seulement allégué que l’attributaire du marché ne présentait pas l’expérience et les
capacités professionnelles, techniques et financières ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges
auraient dénaturé ses écritures doit être écarté ;
Sur les conclusions indemnitaires :
Considérant que lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice
né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue
de toute chance de remporter ce marché ; que, dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la
négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient
ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, dans un tel cas,
l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans
ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat,
d’une indemnisation spécifique ;
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 53 du code des marchés publics : “ I.-Pour attribuer le marché au
candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde: 1° Soit sur une
pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le
caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l’environnement, les performances en
matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, les performances en matière
d’insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d’utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la
rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison, le délai de
livraison ou d’exécution, la sécurité d’approvisionnement, l’interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles.
D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché ; 2° Soit, compte tenu de l’objet du
marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. II.-Pour les marchés passés selon une procédure formalisée autre que
le concours et lorsque plusieurs critères sont prévus, le pouvoir adjudicateur précise leur pondération. Le poids de
chaque critère peut être exprimé par une fourchette dont l’écart maximal est approprié. Le pouvoir adjudicateur qui
estime pouvoir démontrer que la pondération n’est pas possible notamment du fait de la complexité du marché, indique
les critères par ordre décroissant d’importance “ ;
Considérant que si le pouvoir adjudicateur est libre de déterminer la pondération des critères lorsqu’elle est mise en
oeuvre, cette pondération doit être déterminée en fonction de l’objet du marché dans le but de déterminer l’offre
économiquement la plus avantageuse ; qu’en l’espèce, s’agissant du lot n° 1, voirie et réseaux divers, qui ne présente
aucune difficulté particulière et porte sur des travaux de terrassement, de voirie, d’assainissement, de réseaux humides,
d’éclairage et de réalisation d’ouvrages divers, tels des gabions, dallages en béton, signalétique, etc, le pouvoir
adjudicateur n’a pas manifestement sous-évalué le critère technique en le pondérant à 30 %, le critère du prix étant pour
sa part, pondéré à 70 % ;
Considérant, en deuxième lieu, que la société SCREG EST soutient avoir élaboré son offre sur la base de quantités plus
importantes révélées par des plans communiqués par le CHG Saint-Charles, que ces nouvelles quantités on eu pour
effet d’augmenter de 75 551.42 € le prix de son offre, alors qu’il ne serait pas établi que cette majoration aurait été
imposée aux autres concurrents ; qu’elle fait valoir que, déduction faite de cette somme, son offre devenait
économiquement la plus avantageuse ; que, toutefois, il résulte de l’instruction que les quantités mentionnées dans son
offre sont conformes à celles indiquées dans l’avis de marché publié par le Centre hospitalier et, au demeurant, la
société n’établit même pas, par les documents qu’elle produit, avoir effectivement modifié son offre pour intégrer des
quantités plus importantes que ses concurrents ;
Considérant, en troisième lieu, qu’en vertu des règles gouvernant la charge de la preuve devant le juge administratif,
applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa
prétention ; que si la société requérante fait valoir pour la première fois à hauteur d’appel que la société attributaire du
marché ne présentait pas les capacités professionnelles, techniques et financières requises, elle n’assortit son moyen
d’aucun élément de nature à permettre au juge, qui n’a pas à mettre en oeuvre une mesure d’instruction sur ce point,
d’en apprécier la pertinence ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes de l’article 53 du code des marchés publics : “ III.-Les offres
inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L’offre
la mieux classée est retenue “ ; que l’article 59 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur prévoit que “ Après
classement des offres (...) l’offre économiquement la plus avantageuse est choisie (...) après avis de la commission
d’appel d’offres pour l’Etat, les établissements publics de santé et les établissements publics sociaux ou médico-sociaux
(...) “ ; qu’il suit de là que le choix de l’attributaire du marché est effectué par la commission d’appel d’offres qui formule
une proposition au pouvoir adjudicateur ; que la personne responsable du marché est alors en situation de compétence
liée pour procéder à la signature de l’acte d’engagement et ne peut remettre en cause les choix ainsi opérés ;
Considérant qu’ainsi, et en tout état de cause, la circonstance que le tribunal administratif de Nancy ait, par un
précédent jugement, considéré que l’attribution du marché était illégale dès lors que la commission d’appel d’offres avait
été, dans les circonstances de l’espèce, l’autorité ayant choisi l’attributaire du marché, n’a pas privé la société SCREG
EST d’une chance sérieuse d’obtenir le marché, son offre n’ayant pas été considérée comme la plus avantageuse par la
commission d’appel d’offres ; qu’elle ne peut, par suite, utilement soutenir, à l’appui de ses conclusions indemnitaires,
que le tribunal a méconnu l’autorité de la chose jugée ;
Considérant, en dernier lieu, que si la société SCREG EST est fondée à soutenir que le tribunal administratif ne pouvait,
ainsi qu’il l’a fait, se livrer à une analyse des offres et considérer que les solutions qu’elle avait proposées en variante
étaient d’une moindre valeur technique que son offre de base, et que son prix restait supérieur à celui de l’attributaire du
marché, il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’analyse des offres, que les variantes impliquaient à la place
de la réalisation de gabions celle de murs en béton préfabriqués, éléments vieillissant rapidement dans le temps et
générant l’apparition de fissures et coulures ; que, dès lors, ces variantes ne pouvaient manifestement être considérées
par la commission d’appel d’offres comme correspondant, sur le plan technique, aux caractéristiques attendues par le
maitre d’ouvrage; qu’ainsi, la société SCREG EST n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal a considéré que
l’irrégularité résultant de la prise en compte d’un critère esthétique a privé la société requérante d’une chance sérieuse
d’obtenir le marché ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société SCREG EST n’a pas été privée d’une chance sérieuse
d’obtenir le contrat conclu en vue de la réalisation de travaux de voirie et réseaux divers afférents à l’opération de
restructuration et d’extension du CHG Saint-Charles et n’est, par suite pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le
jugement attaqué, le Tribunal administratif de NANCY a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre
hospitalier à l’indemniser de son préjudice ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions susvisées ;
DECIDE
Article 1er : La requête de la société SCREG EST est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du Centre hospitalier général Saint-Charles tendant au bénéfice des dispositions de l’article L.
761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société SCREG EST, au Centre hospitalier général Saint-Charles et à la
Société d’Equipement Vosgienne.