utilisation d`un processus de changement en profondeur d`une

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utilisation d`un processus de changement en profondeur d`une
UTILISATION D'UN PROCESSUS DE CHANGEMENT EN
PROFONDEUR D'UNE ENTREPRISE POUR MODIFIER LA DIMENSION
SOCIOCOGNITIVE DU DIALOGUE SOCIAL POUR OBTENIR UNE
NOUVELLE RELATION DE POUVOIR
Gilles Brun
De Boeck Supérieur | Projectics / Proyéctica / Projectique
2009/3 - n° 3
pages 5 à 28
ISSN 2031-9703
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Brun Gilles, « Utilisation d'un processus de changement en profondeur d'une entreprise pour modifier la dimension
sociocognitive du dialogue social pour obtenir une nouvelle relation de pouvoir »,
Projectics / Proyéctica / Projectique, 2009/3 n° 3, p. 5-28. DOI : 10.3917/proj.003.0005
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Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
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Use of a deep change process to help modify
the socio-cognitive dimension of the social
dialogue in order to obtain a new relationship
of power in an enterprise
Utilizando un proceso de cambio profundo
para modificar la dimensión socio-cognitiva
del dialogo social y generar nuevas
relaciones de poder
Gilles Brun
Directeur du développement France
Doctorant ESTIA RECHERCHE, CREG-UPPA
[email protected]
des conditions d’efficience
organisationnelle, un nouvel environnement légisL’étude de la bibliogra- latif, des aptitudes à l’aniphie confirme qu’il existe mation du dialogue social,
Ré sum é
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des conditions nécessaires pour réussir à bâtir
un processus de changement « transformateur »
et mener avec succès sa
DOI: 10.3917/proj.003.0005
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Utilisation d’un processus
de changement en
profondeur d’une entreprise
pour modifier la dimension
sociocognitive du dialogue
social pour obtenir une
nouvelle relation de pouvoir
Gilles Brun
mise en œuvre collective.
La confrontation de ces
enseignements bibliographiques aux réalités opérationnelles de la négociation sociale souligne toute
l’importance à accorder à
l’effort réflexif face à l’inévitabilité des crises, au rôle
primordial du leader avec
sa vision et son empathie,
à la rapidité d’adaptation
aux nouvelles règles juridiques du dialogue social,
à la sélection et la préparation des acteurs du changement, aux processus
d’acquisition des connaissances et d’apprentissage,
dans la quête d’une nouvelle relation de pouvoir.
Abstract
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The study of literature
shows that in order to manage change processes
within a company three
dimensions needs to be
taken into consideration
namely,
organisational
efficiency, new legislative
environments and aptitudes for social dialogue.
These dimensions need to
be incorporated in order to
develop successful change
processes and for carrying
out their collective implementation in practice. The
comparative study of literature with the operational
realities of social negotiation’s within the enterprise stresses the importance for reflexive efforts
of the crises. The leader
plays a central role in
dealing with the crises:
vision and empathy, ability
to adapt to the new legal
rules of social dialogue,
ability to select and prepare the actors of change.
In particular, knowledge
acquisition and training
are basic aspects in such
challenges for building of
new relationship of power.
Keywords: Leadership, change, direction, vision, conflict, social dialogue, training,
power relation.
Re sumen
El estudio de la bibliografía confirma que existen
condiciones de eficiencia organizativa, un nuevo
marco legislativo, aptitudes a la animación del diálogo social, condiciones
necesarias para conseguir
construir un proceso de
cambio “transformador” y
llevar con éxito a su aplicación colectiva.
La confrontación de estas
enseñanzas bibliográficas
a las realidades operativas
de la negociación social
destaca toda la importancia que debe concederse al
esfuerzo reflexivo ante la
inevitabilidad de las crisis,
al papel primordial del líder
con su visión y su empatía,
a la rapidez de adaptación
a las nuevas normas jurídicas del diálogo social, a
la selección y a la preparación de los protagonistas
del cambio, a los procesos
de adquisición de conocimientos y del aprendizaje
especialmente en la base a
la búsqueda de una nueva
relación de poder.
Palabras claves : Liderazgo, cambio, sentido, visión, conflicto, diálogo social, aprendizaje, relación de poder.
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Mots-clés : Leadership, changement, sens, vision, conflit, dialogue social, apprentissage, relation de pouvoir.
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
Introduction
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En raison du passage progressif de son organisation en modèle hiérarchique vers un modèle matriciel, le souci de souplesse du Groupe PAPUROS 1
est de rechercher progressivement quelques salariés accompagnateurs
internes du changement ayant la double compétence de consultant-expert
et de consultant-coach, mobiles sur l’ensemble de ses sites et susceptibles d’être DRH multi-sites. L’auteur est donc à la fois en posture « méta »
comme consultant-expert et consultant-coach au sein du groupe et « le nez
dans le guidon » comme DRH opérationnel. Il enrichit sa recherche par une
mise en perspective des évolutions réformatrices du droit du travail et des
modalités des négociations qu’il a déjà menées au sein du Groupe PAPUROS en France dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE),
d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) locale
et groupe, d’une modification d’un accord d’aménagement et de réduction
du temps de travail.
Nous avons pleinement conscience que, dans le cadre de cette rechercheaction, ce double statut ne préserve pas la totale indépendance (illusoire) du
chercheur car il ne peut être considéré comme un tiers extérieur et neutre.
Toutefois il bénéficie à la fois de :
–– la plus forte capacité d’observation des processus psychosociaux du champ social étant constamment au plus
près de l’action et des acteurs ;
–– « d’une temporalité d’intervention longue », laquelle
dépasse le point médian d’une année estimé par Uhalde
(2001, p. 93-94).
Dans cette communication, qui s’inscrit dans un travail doctoral de recherche-action, nous proposons d’analyser comment utiliser le processus de changement en profondeur d’une entreprise pour modifier la dimension sociocognitive du dialogue social pour générer une nouvelle relation de pouvoir.
1. Les noms du groupe et des sites sont modifiés par respect de la confidentialité contractuelle exigée.
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L’industrie papetière rassemble 1.223 entreprises, emploie 83.000 salariés
et génère un chiffre d’affaires d’environ 19,3 milliards d’euros. Elle regroupe
deux types d’activités, la fabrication de pâtes, papier et carton et la fabrication
d’articles finis en papier et en carton. Les différents papiers et cartons constituent quatre catégories principales de produits : les papiers à usage graphique, ceux d’emballage, les papiers domestiques et sanitaires, les papiers
industriels et spéciaux. Cette industrie est concentrée (les 85 entreprises
employant 250 salariés et plus regroupent près de 55 % des effectifs et réalisent 2/3 de l’ensemble du chiffre d’affaires du secteur) et très largement
organisée autour de grands groupes. C’est une industrie de process au personnel très qualifié. L’industrie papetière française peine à garder sa place en
Europe mais conserve ses parts de marché dans le commerce mondial. C’est
une industrie en pointe pour le respect de l’environnement et très innovante.
Gilles Brun
Notre raisonnement initial basé sur nos précédentes expériences professionnelles nous conduit :
–– à vouloir créer une rupture, donc à utiliser le processus
de changement pour générer « l’aléa aussi bien dans son
caractère d’imprévisibilité que dans son caractère d’événementialité » et « casser le caractère absolu des alternatives classiques » selon Morin (2005, p. 71-72) ;
–– à mettre en œuvre un dialogue social qui permette à
l’employeur de reprendre l’initiative, dans un climat politique très réformiste propice aux postures guerrières.
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Les difficultés rencontrées nous font prendre progressivement conscience
de l’originalité de cette démarche et nous interroger sur les problèmes théoriques, la portée et les impacts que ce choix soulève. D’autant que nous bénéficions d’une longue durée d’intervention qui permet d’obtenir des résultats
concrets sur deux périodes :
–– la première de juin 2008 à septembre 2009 en l’absence
d’investissement, riche en actions managériales pour
obtenir ces évolutions comportementales ;
–– la seconde à partir d’octobre 2009, attestant d’un certain succès quant au changement du dialogue social sur
le site de la cartonnerie Cartone, car récompensé par
un investissement significatif, laquelle associe les effets
du changement du dialogue social avec la conduite d’un
changement technologique.
Cette recherche-action est basée sur une observation participante en
immersion de longue durée au plus près de l’action auprès d’un nombre
important d’acteurs (environ cent quatre-vingt) de différents niveaux hiérarchiques à la cartonnerie Cartone et au plus près du directeur d’exploitation, et
mise en œuvre à l’aide de :
–– multiples interviews permettant de récolter des informations « intimes » (Legardeur, 2003, p. 56) quant aux
représentations et à leur évolution provenant des différents acteurs ;
–– une étude chronologique et factuelle des différents supports (lettres d’informations, tracts syndicaux, réunions
des délégués du personnel, réunions du comité d’entreprise, réunions du CHSCT, réunions du personnel, réunions de négociation...) du dialogue social ;
–– multiples actions de changement, opérées par des consultants experts extérieurs.
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Nous percevons que notre décision de briser la logique homéostatique présente dans l’entreprise est un pari d’une ampleur importante voire radicale,
mais nous ressentons la nécessité de devoir créer de l’agitation, de l’aléatoire, de l’incertitude, du risque, propices aux prises de conscience et aux initiatives, somme toute de bousculer la relation ordre/désordre, organisation
chère à Morin.
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
Le terrain : l’industrie papetière
et les cartonneries du Groupe
PAPUROS
L’industrie papetière et les cartonneries
En 2007, dans un environnement marqué par un double choc financier et bancaire consécutif à la crise des subprimes américains, le marché français du
carton ondulé reste atone.
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Sur le premier semestre 2009, cette tendance à la baisse s’accentue
(- 12 %) car la surcapacité de production de carton ondulé augmente en raison du nombre très faible de fermeture de cartonneries (quatre depuis 2004),
des gains constants de productivité du fait des investissements, de l’ouverture
récente de nouvelles unités modernes. Cette surcapacité représente l’équivalent de la production d’environ quatre cartonneries sur la base de 2008 et de
sept cartonneries sur la base du premier semestre 2009.
Parallèlement, la situation économique des papeteries est catastrophique,
dans un environnement concurrentiel très vif et propice aux concentrations et
restructurations accompagnées d’une réduction drastique de l’intérim, d’une
baisse du nombre d’équipes (nous passons du 3*8 au travail en 2*8), du chômage partiel, de plans sociaux car « l’industrie papetière poursuit ses réductions d’effectif » 2.
Le Groupe PAPUROS France
Pour le Groupe PAPUROS France, l’activité prépondérante est de loin le carton ondulé comparativement à celles du papier et de la transformation.
Sur le marché du carton ondulé, le Groupe PAPUROS France continue
d’être plus performant que ses concurrents et sa part de marché se stabilise
à 10-11 %. Les investissements dans les cartonneries sont soutenus : de 9 à
13 M€ selon les années.
Le site industriel de la cartonnerie Cartone
En 2002, ce site fait partie des quatre cartonneries les plus performantes du
Groupe PAPUROS. Par contre, à fin décembre 2006, une dégradation continue
2. « L’industrie papetière poursuit ses réductions d’effectif », Les Échos, 24 juillet 2009.
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En 2008, le marché du carton ondulé recule sévèrement (- 8,8 % en vente)
alors même que le prix du carton ondulé plafonne et que des coûts augmentent (travaux des bureaux d’études intégrés, investissements en adaptation
technique des onduleuses et des matériels de transformation).
Gilles Brun
du cash-flow et un écart très important des résultats vis-à-vis des trois autres
cartonneries sont constatés. En 2006, le montant de son cash-flow n’est pas
arrivé à couvrir ses propres investissements.
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–– la revendication principale de la FILPAC-CGT dans le
Sud-Ouest est de « mobiliser le monde du travail au plus
tôt pour mettre en échec la politique antisociale du gouvernement […] de stopper ce génocide social et imposer une autre logique de progrès social » (FILPAC-CGT,
2009, p. 3) ;
–– le constant rapport de forces développé par l’organisation syndicale locale ;
–– l’absence réelle de mise en œuvre d’un processus de
changement depuis des années, rendant ses salariés
peu préparés à une telle action ;
–– les fortes réticences du Groupe PAPUROS quant à investir dans cette unité industrielle en raison du dogmatisme
syndical régnant depuis des années, lequel a engendré
un important passif relationnel ;
–– la volonté du nouveau directeur d’exploitation d’instaurer rapidement une valorisation de la performance semicollective voire individuelle allant à l’encontre de la très
présente logique collective (voire collectiviste) et égalitaire locale.
Notre posture utilitariste
d’un processus de changement
pour créer une rupture
Notre sujet de recherche s’intéresse à la façon d’utiliser l’outil qu’est un
processus de changement en profondeur d’une entreprise pour modifier la
dimension sociocognitive du dialogue social afin d’obtenir une nouvelle relation de pouvoir car « obstacles à tout changement, les relations de pouvoir
existantes doivent donc constituer en même temps la première cible de l’effort de changement » pour Crozier et Friedberg (1977, p. 436).
Le concept de « cognitif » recouvre essentiellement, selon Larrasquet
(2003, p. 7), deux ensembles d’éléments :
–– tous les aspects qui s’intéressent aux représentations
mentales que se construisent les personnes ainsi qu’à
la façon dont les personnes comprennent le groupe, y
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L’enjeu est le suivant : obtenir des évolutions comportementales, préalablement à tout futur investissement, lequel permettrait d’assurer la pérennisation de l’emploi, au sein d’un bastion dogmatique de la FILPAC-CGT où
s’est développé un constant rapport de forces avec l’employeur, à partir des
constats suivants :
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
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1. Nous voulons identifier les conditions d’efficience organisationnelle et
les processus optimaux de la cohésion collective et de l’identification sociale
pour créer une véritable rupture. Parmi les différentes formes organisationnelles existantes :
–– certaines opèrent-elles la destruction des systèmes à
la capacité d’action insuffisante et aux construits sclérosants ?
–– certaines favorisent-elles l’invention (c’est-à-dire la découverte et l’élaboration par essais-erreurs d’un ensemble de
nouveaux rapports interrelationnels qui permettent plus
aisément de rompre avec les habitudes) et la fixation de
nouveaux modèles de jeux de pouvoir ?
Des différents éléments constitutifs de la cohésion collective et de l’identification sociale, quel est celui qui initie des ruptures, qui provoque l’action du
changement vécu comme une crise par ceux qui le vivent, qui donne le courage de prendre le risque d’ouvrir une voie aléatoire ? En d’autres termes, s’il
nous faut accepter « l’inévitabilité des crises et en même temps accepter le
caractère tout aussi indispensable du choix et de l’arbitraire humains sans
lesquels on ne peut maîtriser et surmonter ces crises » (Crozier et Friedberg,
1977, p. 401), quelle est l’organisation qui nous prépare le mieux à l’inévitabilité des crises et quelle est la personne qui serait susceptible de mieux faire
les choix ?
2. Nous voulons identifier, parmi toutes les récentes et multiples négociations collectives donnant naissance à des accords nationaux interprofessionnels, à des lois et des décrets, celles qui peuvent favoriser une telle rupture,
sachant que le paysage syndical français avec son pluralisme catégoriel, professionnel et idéologique peut s’avérer être un frein au changement.
3. Nous voulons identifier les aptitudes à l’animation du dialogue social
dans le cadre d’un changement « transformateur » et non dans le cadre d’un
changement « adaptatif ». À la cartonnerie Cartone, la décision managériale :
–– n’est pas de produire des ajustements permanents ou
des adaptations ne remettant pas en cause l’équilibre
fondamental de l’ordre social ;
–– mais elle est de conduire, selon Uhalde (2001, p. 452453), un « changement systémique et multidimensionnel,
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compris tout ce qui concerne l’implication, la motivation des personnes face aux changements, sachant que
« la dynamique des représentations est certainement le
moteur voire l’essence de l’apprentissage » ;
–– les aspects liés aux connaissances et compétences, à leur
transfert, leur diffusion et leur apprentissage, en relation
aux processus de transformation organisationnelle et à
leur conduite, l’apprentissage étant au cœur de cette problématique complexe.
Cette posture très utilitariste d’un processus de changement visant à créer
une rupture nous incite à nous poser plusieurs questions pragmatiques :
Gilles Brun
où les processus de recomposition des régulations l’emportent sur les forces de reproduction » et où « ce qui
résiste finalement au plus profond est la difficulté de
recomposer des compromis sociaux sur de nouvelles
bases, de trouver des voies, même minimales, d’articuler des projets et des régulations hétérogènes, ellesmêmes en mouvement ».
Conséquemment, nous percevons toutes les difficultés précisées par Thévenet (2009, p. 40), « sur le clivage social, du repérage subtil à tous niveaux
des futurs généraux de guerre si différents des généraux de paix » capables
d’animer un dialogue social qui peut s’avérer parfois guerrier.
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Quant au bâti de ce processus de changement :
–– quel est le meilleur constructeur et pilote du processus
de changement, au pilotage partiel et au résultat incertain ?
–– existe-t-il une trousse à outils pour élaborer un processus de changement performant ?
Quant aux conditions de succès de mise en œuvre collective du processus
de changement :
–– comment allons-nous apporter de nouvelles capacités collectives pour l’apprentissage collectif de nouveaux modes de raisonnement – donnant davantage de
place à l’aléa – et de nouveaux modèles relationnels ? Un
apprentissage qui génère de multiples boucles d’actions
et de réactions, de négociations et de coopérations.
–– serons-nous confrontés à une éventuelle résistance au
changement, à un possible attachement des salariés à
leur routine – même si nous sommes capables de leur
montrer leur intérêt dans le nouveau système d’actions
que nous leur proposons –, à une éventuelle rébellion
syndicale remettant en cause les conditions de jeu de la
FILPAC-CGT, ses sources de pouvoir et sa liberté d’action revendicatrice en faisant évoluer ou disparaître la
zone d’incertitude que le syndicat contrôle et sur laquelle
il tente de prospérer ?
L’étude de l’Évangile selon saint Marc (6, 30-34) est fructueuse en ce qui
concerne le processus de changement :
–– elle confirme un double aspect du processus de changement : faire (chasser les démons, guérir les malades) et
enseigner (proclamer la conversion) : « après leur premier envoi en mission, deux par deux, les apôtres se réunissent auprès de Jésus et lui rapportent tout ce qu’ils
ont fait et enseigné » ;
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4. Nous voulons identifier les conditions nécessaires pour réussir à bâtir
un processus de changement et mener avec succès sa mise en œuvre collective.
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5. À ces quatre premiers objectifs de la recherche s’ajoute une réflexion
conclusive quant à l’incertitude à obtenir une réelle innovation sociale, incertitude générée par la complexité de la mise en œuvre d’un processus de changement. Pour atténuer ce caractère incertain, nous décidons de mettre en
œuvre un changement transformateur, donc systémique et multidimensionnel. Ainsi plusieurs formations-actions (au management avancé de la sécurité, au fonctionnement en mode projet, aux entretiens annuels d’évaluation et
aux entretiens professionnels, au lean management...) sont lancées au sein de
la cartonnerie Cartone pour obtenir cette nouvelle relation avec les membres
du comité de direction, l’encadrement intermédiaire, les autres salariés dont
les seniors, et aussi les élus dont ceux de la FILPAC-CGT. Nous allons tenter
d’identifier à quel moment les différents collectifs ont trouvé leur intérêt dans
le changement, alors qu’en partie inconsciemment et peut être légitimement,
ils y faisaient obstacle par souci de maintenir leur autonomie. Comme le dit
Tannery, « la partie essentielle de la question se jouant autour de l’organisation de la réflexivité, et des capacités de questionner, voire remettre en cause
les schémas d’action […] de l’organisation emportée par une inertie cognitive » (Tannery, 2009, p. 24-25).
6. Enfin, une seconde réflexion conclusive concerne les finalités d’un processus de changement, de rupture et leur aspect de pouvoir et sociocognitif.
Après l’étude des contraintes et opportunités du contexte (questions 1 et 2)
et des ressources des acteurs (questions 3 et 4), vient la réflexion sur le sens
de l’action de changement et sa perception par les différents acteurs. Selon
Tannery, « paradoxalement la crise devient presque une source d’espoir en
invitant à reconstruire les doctrines et critères de l’action. Loin de toute précipitation, il importe de savoir attendre en retrouvant les voies de la pensée
stratégique tout en agissant pour recréer des futurs désirables et acceptables », voies qu’il appelle « voies de redéploiement ».
La finalité recherchée par la direction de Cartone consiste en une transformation de l’inévitable relation de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977, p. 434) :
« cela veut dire concrètement que nous devons continuer à vivre dans le monde
du conflit, de la manipulation et de l’ambigüité » et que l’on « ne contient pas
le pouvoir en essayant de le supprimer, en refusant de le reconnaître ou simplement en le rejetant, mais au contraire en acceptant l’existence du phénomène et en permettant à un nombre de plus en plus grand de personnes d’entrer dans le jeu des relations de pouvoir avec plus d’autonomie, de liberté et
de choix possibles ». Cette approche étaie notre décision de mettre en œuvre
de multiples actions auprès de nombreux salariés pour obtenir cette nouvelle
relation de pouvoir. En rendant les fonctions plus ouvertes et attrayantes,
en les valorisant et en les récompensant, nous tentons de réveiller le corps
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–– elle révèle un troisième aspect, très fréquemment masqué, c’est-à-dire l’affection dont est porteur celui qui met
en œuvre un processus de changement avec une ferme
volonté de réussir : « il fut saisi de pitié envers eux […]
alors, il se mit à les instruire longuement ». Il est saisi de
« pitié », mot à mot il est « pris aux entrailles » (le mot
hébreu correspondant vient de « matrice » qui évoque
les sentiments d’une mère).
Gilles Brun
social, d’émanciper les salariés par l’apprentissage de l’aléatoire et de multiplier les prises d’initiatives. Ceci afin de briser le leadership de certains groupes ayant créé autour d’eux des relations de dépendance en bloquant toute
fluidité transformationnelle.
La question essentielle est de savoir en quoi cette nouvelle relation de
pouvoir prépare l’entreprise à rebondir. Et ce concrètement, de façon « simpliste » 3, au niveau de chacun des postes de travail des salariés, car ce n’est
pas au sommet que les finalités prendront leur sens :
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Les conditions DE L’efficience
organisationnelle,
de la cohésion collective et
de l’identification sociale pour
créer une véritable rupture
L’étude des différentes formes organisationnelles des entreprises au travers
de la bibliographie permet d’identifier un des éléments constitutifs de la cohésion collective et de l’identification sociale dans le cadre d’une rupture : le leadership du dirigeant.
Recherchant celui qui initie les ruptures, provoque l’action du changement,
donne le courage de prendre le risque d’ouvrir une voie aléatoire, l’étude des
représentations sociales du leadership conclut à la distinction entre le leader
(celui qui est porteur du changement et associé à une performance exceptionnelle) et le manager, avec pour caractéristiques essentielles :
–– sa capacité à apprendre dans l’action et particulièrement
dans l’adversité, « à rompre avec un schéma de comportement acquis depuis longtemps, en faisant appel à l’intelligence collective des salariés à tous les niveaux de
l’organisation, en mettant au jour les raisons des conflits,
3. « Des simples d’esprit, vraiment : simplistes même. Oui, simpliste peut avoir une connotation négative, mais les
gens qui dirigent les meilleures entreprises sont un peu simplistes… Et leurs entreprises restent très prospères »
(Peters et Waterman, 1982, p. 318-319).
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–– conformément à l’approche de Crozier et Friedberg (1977,
p. 436 et 440), qui précise que « la finalité du processus
est le plus clairement perçue là où elle est vécue », et
que « c’est à la base que peuvent le mieux s’effectuer
les arbitrages indispensables entre les diverses finalités
qui doivent être concurremment poursuivies dans toute
société » ;
–– et à celle de Morin (2005, p. 124), « là où les initiatives et
les solidarités sont vécues ».
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Les récentes évolutions du droit
du travail en France qui peuvent
favoriser une telle rupture
La forme du dialogue social français, « modèle social coûteux » selon Jacquier
(2008, p. 151), est très dissemblable de celle de nos voisins européens et provient de l’entremêlement entre des règles trop peu contraignantes, un État
très interventionniste et « des acteurs sociaux à la représentativité la plus faible, à la contestation la plus forte et aux subventions les plus élevées ».
Dans un contexte juridique à la fois générateur de tensions en raison de
l’européanisation des règlements et d’un déplacement de la négociation collective vers l’entreprise, avec ses 22.115 accords signés en 2008 4,l’essor de
la négociation collective se poursuit alors que nous assistons à une forte et
grandissante diversité des politiques sociales des entreprises et à une implosion syndicale persistante, caractérisée par son pluralisme catégoriel, professionnel et idéologique.
Malgré les revendications d’autonomie des partenaires sociaux, le financement public qui se substitue au manque de cotisations apporte à la fois aux
syndicats une illusion de pouvoir, et à l’État un réel pouvoir d’agrément des
accords et d’injonction des thèmes à négocier.
Durant cette période de crise économique en raison de la combinaison persistante d’une faible durée du travail, d’un faible taux d’emploi des jeunes, d’un
4. « Le nombre d’accords d’entreprise a progressé de 7 % en 2008 ». Bilan annuel de la négociation collective soumis à la Commission nationale de la négociation collective par le ministère du Travail, Entreprises et Carrières,
n° 960, 23 juin 2009, p. 9.
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en remettant en cause certaines valeurs et méthodes de
travail » (Heifez et Laurie, 1999) ;
–– sa vision car, selon Den Hartog et Koopman (2005), « la
survalorisation de la composante vision » est présente
chez les cadres dirigeants en charge de la stratégie de
l’entreprise ;
–– son charisme « venant donner corps et âme au leadership », qui, selon Petit (2009), renvoie les dirigeants à
« leurs défaillances, leurs doutes, les remises en cause
personnelles » et à « des pratiques de pouvoir, de conflit
et de domination ».
Ainsi, pour paraphraser Crozier et Friedberg (1997), les entreprises qui
nous préparent le mieux à « l’inévitabilité des crises » sont celles qui alliant
l’innovation organisationnelle et les potentiels offerts par les NTIC. Notre
« acceptation du caractère tout aussi indispensable du choix et de l’arbitraire
humains » dépend du leadership de son dirigeant, « sans lequel on ne peut
maîtriser et surmonter ces crises ».
Gilles Brun
nombre trop important de seniors au chômage, l’omniprésence de l’État s’intensifie et nous assistons à une multiplication des interventions législatives.
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Ce « rebattage » des cartes syndicales du dialogue social est perçu comme
un « séisme sur l’échiquier syndical qui remet à plat les règles de représentativité et va bouleverser un paysage figé depuis quarante ans. Des syndicats
vont disparaître dans les entreprises et les branches. D’autres vont voir le
jour » 5 ; ce bouleversement « devrait être porteur de mutations profondes
des pratiques syndicales » 6. Bien que, pour d’autres, « il ne paraît pas certain
que cette nouvelle loi parvienne à résoudre le paradoxe français d’un syndicalisme puissant mais sans syndiqués » (Amosse et Wolff, 2009).
Les aptitudes à l’animation
du dialogue social dans
le cadre d’un changement
« transformateur »
Les « relations de pouvoir constituant la trame même de toute vie sociale », le
conflit est un phénomène naturel et « cela veut dire concrètement que nous
devons continuer à vivre dans le monde du conflit, de la manipulation et de
l’ambigüité » (Crozier et Friedberg, 1977). La source de ce conflit provient de
la difficulté de « l’intégration de la multiplicité des rationalités et des logiques, chacune légitime, mais qui ne se rencontrent pas » pour Bernoux (2004,
p. 253). Soit nous acceptons le conflit, soit nous le refusons :
–– l’acceptation du conflit nous pousse à trouver un terrain
d’entente, à écouter, à apprendre, à réfléchir, à progresser.
5. « Séisme sur l’échiquier syndical », Liaisons sociales, décembre 2008, p. 16-20.
6. « Le choix d’une démocratie élective », Semaine Sociale Lamy, n° 1370, 13 octobre 2008, p. 23-27.
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Au niveau de la négociation collective, la loi du 20 août 2008 bouleverserait les règles du jeu, créerait une rupture susceptible de permettre à certains
syndicats comme la FILPAC-CGT de sortir de la logique des exclusions, divisions, rapports de force pour travailler à proposer des solutions valides pour
toutes les catégories de salariés :
–– alors qu’auparavant seuls les syndicats dits représentatifs étaient autorisés à présenter des candidats dès le
premier tour des élections, épargnant ces derniers des
épreuves de vérité quant à leur réelle représentativité et
à l’évolution du nombre de leurs adhérents,
–– dorénavant, la nécessité d’une majorité de construction
d’un accord élimine les accords minoritaires, et la possibilité pour les non-signataires de s’opposer à un accord
s’ils ont obtenu plus de 50 % des voix responsabilise les
syndicats non signataires.
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
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Dans le cadre de notre recherche bibliographique pour identifier les aptitudes à l’animation du dialogue social lors d’un changement « transformateur », il nous paraît opportun de rappeler que :
–– le dialogue « est une communication réciproque entre
deux ou plusieurs créatures vivantes. Il implique le partage des pensées, des sensations physiques, des idées,
des idéaux, des espoirs et des émotions. En somme, le
dialogue n’est rien d’autre que le partage de toutes les
expériences de vie » (Lynch, 1985, p. 10) ;
–– le dialogue social est la consécration de notre exercice
préparatoire (a) en termes de contrôle 7 de notre cerveau
limbique (Servan-Schreiber, 2003, p. 38), plus précisément de notre amygdale, afin d’être en mesure de décider de nouer des liens, d’opter pour un état d’esprit positif au pouvoir autoproductif important et de bâtir la vision
de notre devenir pour combattre nos réactions émotionnelles et nos conversations négatives avec nous-mêmes ;
(b) et en termes de construction de notre base de sécurité
(Bowlby, 1998, p. 11), nous apportant une faculté importante de résilience qui est, pour Garmezy 8, « le processus, la capacité ou le résultat d’une bonne adaptation en
dépit des circonstances, des défis ou des menaces » et,
pour Rutter, « la capacité de bien fonctionner malgré le
stress, l’adversité, les situations défavorables » (Rutter,
1993). Ceci afin que notre coping, c’est-à-dire « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux toujours
7. En l’absence de son contrôle, nous succombons alors à ce que Goleman (1998, p. 376-376) appelle « un détournement par l’amygdale ».
8. Norman Garmezy a mené des études sur la résilience et le développement dans des environnements à haut
niveau de stress (Garmezy, 1993).
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L’affrontement (des idées) est salutaire car il purge la
situation ; affronter la vérité nue permet de résoudre la
divergence, de trouver une solution ;
–– la fuite du conflit répond à une caractéristique de notre
cerveau reptilien (responsable de nos pulsions élémentaires : la lutte, la fuite, la faim ou la peur) qui nous transforme en otage de nos relations émotionnelles. Le désir
de préserver l’harmonie nous amène progressivement
à une impasse générant une frustration dont les effets
invisibles et cumulés sont potentiellement volcaniques.
Pour résoudre ce conflit, « la construction des identités n’est plus censée se faire sur la base simple de l’opposition à l’autre, dans la traditionnelle
confrontation dichotomique des acteurs qui a fondé la science politique des
organisations » (Courpasson et Golsorkhi, 2009, p. 67). Elle peut aussi se faire
dans le dialogue social, l’interrelation et l’interaction quotidienne, sachant
que « les individus orientent leurs comportements les uns envers les autres
par communauté et par compromis d’intérêt » (Bernoux, 2004, p. 173).
Gilles Brun
changeants que déploie une personne pour répondre à
des demandes internes et/ou externes spécifiques, évaluées comme très fortes et dépassant ses ressources
adaptatives » (Bruchon-Sweitzer et Quintard, 2001), nous
permette de surmonter l’adversité, renforce notre adaptabilité et limite les conflits organisationnels.
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Les conditions nécessaires
pour réussir à bâtir un
processus de changement
et mener avec succès
sa mise en œuvre collective
Les précédents chapitres nous ont signalé le rôle du leader dans l’acceptation par chacun de nous du caractère indispensable du choix et de l’arbitraire
humains pour maîtriser et surmonter les crises, et dans l’animation du dialogue social en étant capable de tisser des liens et d’instaurer la confiance. Estil vraiment le meilleur constructeur et pilote du processus de changement ?
Notre recherche bibliographique concernant les acteurs d’un processus
de changement souligne l’importance de certains concepts :
–– le sens : « pour un salarié, le sens correspond à un projet, à une émergence de nouvelles représentations, à un
nouveau lien entre identité sociale et reconnaissance
sociale » (Barrand, 2009, p. 30-31) ;
–– la reconnaissance sociale : « c’est autour de ce qui se
passe dans les relations du triple point de vue de la structure sociale des pouvoirs, de l’affrontement dans les rencontres et de la possibilité d’être reconnu que l’on peut
situer la recherche d’un modèle psychosociologique de
la construction des identités individuelles » (Sainsaulieu,
1977).
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Notre recherche bibliographique nous permet aussi d’identifier celui qui
serait apte à conduire le changement systémique et multidimensionnel, à
recomposer des compromis sociaux sur de nouvelles bases, elles-mêmes
en mouvement, car la capacité à tisser des relations durables et à être proche des autres semble être une des marques du leader. Aux difficultés énoncées par Thévenet à propos du repérage subtil à tous niveaux des futurs
généraux de guerre si différents des généraux de paix capables d’animer un
dialogue social qui peut s’avérer parfois guerrier, l’approche de George (2003)
apporte une réponse car les dirigeants qui créent des liens et comprennent
leur importance sont capables d’instaurer la confiance et d’assurer leur leadership, d’autant qu’ils sont moins enclins à devenir otages de leurs réactions
émotionnelles.
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
Analysant les différences entre le management et le leadership, Kotter
(1999) précise que le leader « gère le changement, définit une vision, aligne
les troupes, motive et inspire (reconnaît et récompense les réussites) ». Il
fournit même au leader la trousse à outils pour mener efficacement un processus de changement. Dans le cadre de notre thèse, nous la complétons par
une étude comparative des « Huit causes d’échec » de Kotter, des « Huit principales tâches » de Duck (2000), des « Cinq conseils » de Goss, Pascale et
Athos (2000), des « Onze conseils » d’Augustine (2000).
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–– une vision et un sens de l’action afin de guider la dynamique organisationnelle et d’obtenir la convergence des
intérêts des différents acteurs ;
–– un leadership d’acteur du changement ;
–– une capacité de régulation interrelationnelle et de résilience, adaptée à la culture d’entreprise, afin de développer et de maintenir les liens ;
–– une méthode de travail permettant aux acteurs de se
situer, de s’orienter, de créer de la valeur d’analyse et
d’action concernant les différents chantiers du projet, de
modéliser les différents processus… et d’être reconnus.
Et nous pouvons en déduire :
–– la quasi-obligation qu’a une entreprise d’avoir des
salariés détenteurs de ces précédentes compétences,
acteurs clés d’un processus de changement ;
–– la quasi-obligation qu’a une entreprise de devenir apprenante, d’avoir la conviction qu’un changement pérenne
ne peut s’appuyer que sur des modifications en profondeur des pratiques et des représentations mentales de
ses salariés, se réalisant progressivement dans l’action.
Cet apprentissage est un processus cognitif personnel
qui se déroule dans des conditions concrètes et affectivement variables d’interactions, selon une vitesse propre à chacun, générant une construction de sens ;
–– le besoin d’apprentissage, tant individuel que collectif ;
–– l’importance des liens qui s’instaurent entre différents
concepts étudiés dans ces premiers chapitres :
Selon le sociologue Zarifian (2001), « l’élément qui unifie toutes les dimensions d’une organisation apprenante peut s’exprimer ainsi : apprendre de
l’instabilité et des mutations et donc devenir actif face à cette instabilité,
apprendre à s’affronter positivement au devenir qui par définition est incertain et le faire ensemble dans des démarches de communication active… ». La
communication réflexive commune est alors un élément incontournable de la
production car il s’agit de réfléchir pour agir. L’organisation apprenante doit
essayer d’apprendre à apprendre de son expérience.
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En synthèse de nos précédents chapitres, pour tenter de maîtriser ce pilotage partiel et au résultat incertain, des compétences liées au changement
organisationnel et à sa conduite sont nécessaires :
Gilles Brun
vision
résilience
culture
d’entreprise
leadership
mode projet
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L’intérêt pour les salariés de la mobilisation de ces compétences multiples et dynamiques réside dans la préservation et le développement de celles-ci, substrat de leur employabilité. Au travers d’un processus de changement organisationnel, ces apprentissages et ces compétences :
–– évoluent dans l’action, dans un environnement de terrain concret et complexe, donnant davantage de place à
l’aléa ;
–– s’enrichissent de nouveaux savoirs, capitalisent en quelque sorte ;
–– individuellement se sédimentent de façon spécifique
chez chacun d’entre nous et nous poussent à modeler
tacitement ou non notre propre représentation du processus de changement ;
–– collectivement se partagent afin de progressivement
constituer pour les membres de l’organisation une représentation commune du processus du changement (source
de valeurs partagées et de règles communes) et se nourrissent de nombreuses boucles récursives d’actions-réactions, suscitant une évolution continue des représentations
mentales.
Pour combattre nos routines cognitives, la représentation groupale qui
consiste à concevoir le groupe comme une somme dynamique d’interrelations individuelles, où chaque personne apporte ses propres représentations,
son sens de l’action, ses valeurs, sa quête d’identité, ses connaissances... est
à privilégier. La dynamique collective :
–– étant le produit cognitif des actions et réactions des personnes concernées, s’appuyant sur la perception de
signes de leur environnement concret, lesquels déclenchent un processus progressif et spécifique de réflexion,
d’interprétation, de valorisation, d’estimation, d’implication et d’action ;
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régulation
interrelationnelle
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
–– forgeant progressivement et spécifiquement chez chacun des membres du groupe des savoirs et des convictions, modifie des façons de penser, fait évoluer son système de valeurs et son identité, génère un processus
d’acquisition de connaissances.
réflexion,
interprétation,
valorisation,
implication, action
actions /
réactions
actions /
réactions
perception de signes
de notre
environnement
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actions /
réactions
forge des savoirs et des convictions,
modifie des façons de penser,
fait évoluer son système de valeurs et son identité,
génère un processus d’acquisition de connaissances.
La mise en perspective des
négociations sociales déjà
menées au sein du Groupe
PAPUROS
Nos précédentes recherches bibliographiques mettent en évidence :
–– l’existence d’organisations préparant mieux à faire face
à l’inévitabilité des crises ;
–– le rôle primordial du leader qui définit une vision, initie et gère le changement, aligne les troupes, reconnaît,
motive et inspire ;
–– le bouleversement des règles juridiques du dialogue
social, donnant l’occasion à certains syndicats comme la
FILPAC-CGT de sortir de la logique du rapport de forces
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actions /
réactions
réflexion,
interprétation,
valorisation,
implication, action
Gilles Brun
pour travailler à proposer des solutions valides pour toutes les catégories de salariés ;
–– l’obligation pour l’entreprise de bénéficier des compétences de salariés formés comme acteurs de processus
de changement, et de devenir apprenante ;
–– l’importance du groupe dans le processus d’acquisition de connaissances et d’apprentissage afin d’obtenir
réflexion, interprétation, valorisation, estimation, implication et action.
Nous allons donc maintenant confronter nos enseignements bibliographiques aux réalités opérationnelles du terrain.
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–– résultat d’un processus évolutif du droit du travail depuis
plus de cinquante ans, la GPEC incite à des changements
de comportement de la part des salariés, de l’encadrement intermédiaire, des organisations syndicales et des
employeurs, afin de gérer et animer le parcours individuel des salariés, le maintien et le développement de
leur employabilité, de donner du sens à leur travail ;
–– les évolutions de précédents accords d’aménagement
et de réduction du temps de travail (ARTT) nécessitent
de réaliser un constat de l’application de l’accord actuel,
d’identifier les attentes des salariés et des besoins de
l’entreprise et de présenter les opportunités issues
de l’évolution législative récente ; ces négociations se
concrétisent par la signature d’avenants voire de nouveaux accords d’entreprise ;
–– afin d’atténuer l’aspect très procédurier par respect
des fortes contraintes légales de la mise en œuvre d’un
PSE, la négociation en parallèle d’un accord est de plus
en plus fréquente. Le niveau important de tension, tension générée par certaines organisations syndicales et
par certains acteurs politiques locaux pour peser sur les
négociations en cours afin de faire monter les enchères,
crée une forte agressivité : une agressivité telle que les
difficultés apparaissent dès l’émission de la première
information délivrée au comité d’entreprise.
Notons que ces trois modalités liées à la mise en œuvre d’un changement
organisationnel s’inscrivent à dessein dans un gradient croissant d’implication individuelle des salariés et de leurs représentants syndicaux (d’une certaine employabilité à moyen terme, aux conditions de travail, jusqu’à la perte
d’emploi à très court terme) et des potentielles difficultés rencontrées par les
employeurs.
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Au sein du Groupe PAPUROS, les changements organisationnels induisent
la négociation d’accords de gestion prévisionnelle et des compétences (GPEC)
pour une papeterie et le groupe, la négociation d’une évolution de précédents
accords sur l’aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) pour
une cartonnerie, la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE)
pour la papeterie Papyrus :
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
À la lumière de nos quatre expériences de terrain, quelle est notre perception de l’état de préparation de l’organisation du Groupe PAPUROS à l’inévitabilité des crises ?
1. La relecture du plan stratégique du groupe, daté de juin 2006, pour préparer le PSE de la papeterie Papyrus montre l’évolution des investissements et
de la capacité de production jusqu’en 2012 et n’inclut aucun scénario alternatif. Apparemment, car nous ne savons pas si différents scenarii furent préalablement étudiés par les membres du conseil d’administration du groupe. Dans
le cas d’un éventuel oubli, un effort réflexif devrait être mené par les administrateurs pour rouvrir le champ des possibles incluant l’avènement de crises.
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À la lumière de nos quatre expériences de terrain, quelle est notre perception de l’état du rôle primordial du leader qui définit une vision, initie et gère le
changement, aligne les troupes, reconnaît, motive et inspire ?
1. Alors que les relations de pouvoir sont consubstantielles à l’action
humaine et que nous devons vivre dans le monde du conflit, de la manipulation et de l’ambiguïté, le Groupe PAPUROS nous semble minimiser l’importance du leadership. Alors que selon Crozier et Friedberg (1977, p. 435),
« c’est le développement du leadership » managérial « qui peut seul combattre les abus du leadership » syndical, le groupe semblerait accepter de
manager certains construits sociaux qui permettraient à des organisations
syndicales d’accaparer des fonctions de leadership, comme ce fut le cas à la
papeterie Papyrus où cinq ordonnances du tribunal de Grande Instance furent
nécessaires pour mener à bien le projet de PSE. Cette monopolisation de la
relation de pouvoir rend donc difficile l’accès au leadership managérial et bloque toute transformation.
2. L’engagement et l’initiative, deux des valeurs institutionnelles du groupe,
minimisent peut-être les caractéristiques de « provocateur d’émotions » et
de partage d’une vision, « fruit d’un désir qui oriente », qu’a un leader selon
l’approche de Zaleznik (1999). Pourtant, seul le leader peut « nous défaire de
notre conduite d’autrefois, de l’homme ancien qui est en nous […] nous laisser guider intérieurement par un esprit renouvelé, adopter le comportement
de l’homme nouveau » 9. Inconsciemment, le groupe privilégierait-il le manager et « son manque d’empathie » ?
À la lumière de nos quatre expériences de terrain, quelle est notre perception de l’effet du bouleversement des règles juridiques du dialogue social,
donnant l’occasion à certains syndicats comme la FILPAC-CGT de sortir de la
9. Saint Paul, Lettre aux Éphésiens, 4, 17-24.
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2. La naturelle tendance à s’enfermer dans un schéma d’action considéré comme permanent et établi conduit à instituer un construit stratégique
et organisationnel, comme ses pratiques répandues de sous-traitance de la
maintenance, de la réalisation des formes, de l’absence de responsable local
des ressources humaines... Cette apparente homéostasie organisationnelle
n’occulte-t-elle pas la capacité d’action délibérément volontariste issue d’une
vision et d’un projet portée par un leader en cas de crise ? Ne sommes-nous
pas vulnérables ?
Gilles Brun
logique du rapport de forces pour travailler à proposer des solutions valides
pour toutes les catégories de salariés ?
1. Les évolutions légales provoquent une nécessaire dynamique d’adaptation comportementale de l’employeur comme des organisations syndicales,
et instaure une concurrence quant à la rapidité d’adaptation parmi chacun
des partenaires sociaux. Si la position dominante de la FILPAC-CGT au sein
du Groupe PAPUROS atténue largement la portée de la loi du 20 août 2008,
d’autres modifications légales comme la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale et son décret du 20 mai 2009 relatif au contenu et à
la validation des accords et des plans d’action en faveur de l’emploi des salariés âgés devraient participer à cette dynamique.
À la lumière de nos quatre expériences de terrain, quelle est notre perception de l’obligation pour l’entreprise de bénéficier de l’expertise de salariés
formés comme acteurs du processus de changement ?
1. Au niveau des ressources humaines, la recherche de quelques salariés
accompagnateurs internes du changement ayant la double compétence de
consultant-expert et de consultant-coach, mobiles sur l’ensemble des sites
et susceptibles d’être DRH multi-sites, semble répondre à cette démarche.
Constatons que la pratique de judiciarisation des différentes étapes d’un PSE
et le développement du rôle parfois ambigu de l’inspection du travail, rendent
cette démarche nécessaire et mettent à rude épreuve les capacités de leadership, de maintien du lien et de résilience des DRH.
2. Toutefois, les conflits collectifs au niveau des sites étant « le produit
quasi mécanique du changement sur l’ordre social » (Dubet, 2009, p. 184), les
directeurs d’exploitation sont aussi en première ligne comme acteurs du changement. Ces conflits « sont des tentatives de réduire les dissonances et les
frustrations issues de la tension entre des positions et des opportunités, des
conditions et des modèles culturels intériorisés » par les salariés, leurs organisations syndicales et la direction. Face aux revendications et par le dialogue
social, c’est le rôle de la direction de nous conduire vers un nouvel équilibre.
Le Groupe PAPUROS prend-il suffisamment le temps pour sélectionner,
préparer, former et entraîner ces futurs/actuels directeurs d’exploitation en
tant qu’acteurs du changement « transformateur » en quête d’une nouvelle
relation de pouvoir ?
À la lumière de nos quatre expériences de terrain, quelle est notre perception de l’importance accordée par le groupe au processus d’acquisition
de connaissances et d’apprentissage afin d’obtenir réflexion, interprétation,
valorisation, estimation, implication et action ?
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2. La dynamique d’adaptation mise en œuvre par l’employeur participerait à la reconquête de la relation de pouvoir. « La crise peut être l’occasion
de soutenir le dialogue social entre les acteurs », selon l’Anact (2009, p. 2-3)
et être l’occasion pour l’employeur d’un « infléchissement de certaines pratiques : repenser la flexibilité pour mieux construire les parcours, revisiter
l’utilisation systématique du flux tendu, réfléchir à une meilleure conciliation
entre les vies professionnelle et privée... ». Un infléchissement qui donne de
la matière à la principale finalité d’une rupture : gagner du pouvoir.
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
1. L’autre valeur institutionnelle du Groupe PAPUROS, le « souci de favoriser la délégation et la participation », l’un des objectifs stratégiques corporatifs consistant à « faciliter le développement professionnel et humain du
personnel » 10 et le montant des budgets annuels de formation attestent de la
ferme volonté du groupe d’être une entreprise apprenante.
Notre recherche devrait davantage porter sur l’intensité du respect des
différentes caractéristiques des entreprises apprenantes, regroupées par
Cavanagh, Wood et Wood-Harper (2006) dans trois principaux domaines :
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À titre d’exemples, dans le cadre de la négociation des accords de GPEC
dans une papeterie et au niveau du groupe, les coordinateurs syndicaux bénéficient d’une formation menée par un organisme extérieur ; dans le cadre de la
négociation de la modification d’un ARTT, les coordinateurs syndicaux bénéficient de plusieurs journées d’explication concernant les nouvelles modalités du droit du travail et leurs potentielles conséquences animées par nousmêmes ; dans le cadre du PSE, les membres du comité d’entreprise et les
délégués syndicaux ont bénéficié de l’assistance de leur cabinet conseil tout
au long de la procédure y compris pendant la phase de négociation de l’accord atypique. Notons que toutes ces formations sont collectives et menées
en groupe afin de donner aux représentants du personnel la capacité à résoudre des problèmes et l’autonomie professionnelle produites par deux processus, l’appropriation commune des informations et du problème, l’accompagnement du conseiller, selon l’approche de Ruault & Claire (1994).
2. Alors que c’est à la base que peuvent s’apprécier les possibilités réelles de changement (Crozier et Friedberg, 1977), le terrain nous suggère deux
questions :
–– Notre organisation serait-elle trop focalisée sur les institutions représentatives du personnel par souci prioritaire de répondre aux exigences légales au détriment
des autres salariés, hormis les actions relatives aux
conditions de sécurité ?
–– Laissons-nous assez de liberté aux salariés à leur poste
de travail et au management de proximité en termes de
capacités de questionnement, de réflexivité et d’action au
niveau de l’organisation du Groupe PAPUROS ? En effet,
« au-delà de la structure, c’est le management lui-même
qu’il faut reconfigurer vers une plus grande considération
10. PAPUROS Group, Plan stratégique 2006-2012, confidentiel.
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–– l’apprentissage est rendu possible : une allocation de
facilités et de temps est accordée pour apprendre et partager les expériences, incluant les nouvelles technologies de communication ;
–– l’apprentissage est apprécié, car le partage de la connaissance et de l’expérience est une pratique habituelle ;
–– l’apprentissage est souhaité par le management, lequel
est ouvert aux nouvelles idées ou pratiques et veut améliorer son actuel fonctionnement.
Gilles Brun
de l’importance des ressources humaines » (Champy,
1995, p. 236) et « le taux d’échec dans la transition d’une
gestion traditionnelle à une gestion de la qualité est le
résultat d’une mauvaise gestion du personnel plutôt que
le fruit d’un problème technique » (Snell et Dean, 2008).
3. Nous constatons que l’acquisition des compétences via la formation
ne suffit plus à l’entreprise, d’autant plus lorsque celle-ci met en œuvre un
changement « transformateur » en quête de la relation de pouvoir. L’entreprise attend dorénavant le transfert, la diffusion et l’apprentissage des
connaissances dans l’organisation pour mener le processus de transformation organisationnelle.
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Le Groupe PAPUROS doit-il progressivement davantage orienter ses efforts
budgétaires d’acquisition des compétences vers l’apprentissage ? Celui-ci
étant « très lié au changement organisationnel, dans la mesure où le changement va avec l’évolution des manières de travailler, mais aussi à la façon de
considérer et de se positionner par rapport au milieu de travail, aux groupes
et aux missions auxquelles chacun se dédie. Une dimension forte, et importante de l’apprentissage consiste donc bien dans l’évolution des représentations mentales. » Ne serait-ce pas une première voie de redéploiement que
Tannery appelle de ses souhaits car la crise invite, selon lui, à reconstruire les
doctrines et les critères de l’action.
Conclusion
Dans cette communication, nous avons discerné les principaux enseignements bibliographiques relatifs à notre posture « utilitariste » d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise pour modifier la dimension sociocognitive du dialogue social afin d’obtenir une nouvelle relation de
pouvoir.
Pour tenter de maîtriser le pilotage partiel et au résultat incertain d’un processus de changement, nous avons confronté ces enseignements bibliographiques au terrain de quatre négociations sociales que nous avons déjà menées
au sein du Groupe PAPUROS de 2006 à mi-2009.
Ainsi, pour piloter un processus de changement, l’entreprise devrait bénéficier d’une organisation préparée à l’inévitabilité des crises, intéressée à profiter du bouleversement des règles juridiques du dialogue social, dotée de leaders-acteurs du changement, et imprégnée de l’importance grandissante de
l’apprentissage collectif.
La communication présentée ne constitue qu’une première étape, celle de
la compréhension des concepts et du contexte groupe. Nous allons poursuivre
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Selon l’approche de Larrasquet (2003, p. 8) et des laboratoires Graphos
et Lipsi (2003, p. 25-45), « un processus de changement exige non pas une
somme de connaissances intériorisées, non transmissibles, accumulées via
des formations, mais des compétences, complexités cognitives dynamiques
générant la morphogénèse des représentations, orientées vers l’action et la
production ».
Utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
notre recherche-action principalement sur un site, la cartonnerie Cartone.
Démarrant en octobre 2009, la seconde période atteste d’un certain succès
quant au changement du dialogue social sur le site car récompensé par un
investissement significatif, associant les effets du changement du dialogue
social avec la conduite d’un changement technologique.
Nous continuerons ainsi à analyser, dans une perspective constructiviste,
l’utilisation d’un processus de changement en profondeur d’une entreprise
pour modifier la dimension sociocognitive du dialogue social afin d’obtenir
une nouvelle relation de pouvoir. D’autant que de multiples actions sont mises
en œuvre auprès de nombreux salariés pour obtenir cette nouvelle relation de
pouvoir.
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Au Groupe PAPUROS et à sa direction des ressources humaines pour les multiples
opportunités d’apprentissage.
Au directeur d’exploitation et aux membres du comité de direction de la cartonnerie
Cartone.
Aux élus de la FILPAC-CGT qui ont contribué à cette recherche-action, auxquels je porte
une certaine affection.
À l’équipe du laboratoire ESTIA RECHERCHE, CREG-UPPA, qui éclaire mes réflexions.
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