Pierre de Coubertin au VIIIe Congrès Olympique à Prague.

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Pierre de Coubertin au VIIIe Congrès Olympique à Prague.
Pierre de Coubertin
au VIIIe Congrès Olympique
à Prague
par le Dr Frantisek Kroutil
membre du CIO pour la Tchécoslovaquie
Cinquante ans se sont écoulés depuis le VIIIe
Congrès Olympique, le dernier convoqué par
le Baron Pierre de Coubertin et tenu à
Prague du 29 mai au 4 juin 1925. En réalité,
il s’agissait de deux assemblées distinctes: le
Congrès Olympique Technique, présidé par
M. J. Sigfrid Edström, membre de la Commission Exécutive du CIO, et le Congrès
Olympique Pédagogique‚ présidé par le Dr.
K. Weigner, professeur à la Faculté de
Médecine de l’Université de Prague. L’ouverture solennelle fut commune pour les deux
assemblées. Pierre de Coubertin y prononça
une allocution remarquable, son dernier
discours devant une telle assemblée olympique, car à la veille des Congrès, il avait démissionné de la Présidence du CIO, fonction
qu’il détenait depuis trente ans.
Deux procès-verbaux furent rédigés, celui du
Congrès Olympique Technique en français et
en anglais, et celui du Congrès Olympique
Pédagogique en français et en tchèque. Seul
le dernier procès-verbal contient l’allocution
de Pierre de Coubertin prononcée à
l’ouverture. Elle représente un véritable legs
aux successeurs olympiques du Rénovateur.
Pierre de Coubertin y traça la voie pour
assurer le développement du sport de masse:
« Les diverses formes du sport — de tous les
sports, placées aussi gratuitement que
possible à la disposition de tous les citoyens,
ce sera un des devoirs du municipalisme moderne. Et c’est pourquoi j’ai réclamé le rétablissement du Gymnase municipal de l’antiquité, rendu accessible à tous sans distinction
d’opinions, de croyances ou de rang social et
placé sous l’autorité directe et unique de la
Cité. De la sorte et de la sorte seulement on
développera une génération saine et sportive.
» Une utopie est de s’imaginer que le sport
peut être au nom de la science uni d’office à
la modération et obligé de vivre avec elle. Ce
serait là un monstreux mariage. Le sport ne
peut être rendu craintif et prudent sans que
sa vitalité s’en trouve compromise... Ce n’est
pas à dire que le contrôle scientifique doive
être écarté, mais il lui faut se manifester en
conseiller‚ non en despote. Aussi bien est-il
lui-même susceptible de réforme car il
délaisse toute une portion de son domaine en
s’obstinant à n’être que physiologique et en
oubliant d’être psychologique...
» Je n’ai pas l’impression qu’on doive
attendre du présent congrès une définition
unique de l’amateur applicable à tous les
sports. Mais, que dans chaque Fédération, le
règlement actuel soit honnêtement appliqué,
voilà ce à quoi il faut avant tout s’efforcer
d’aboutir. Il n’en est pas ainsi. On triche et on
ment beaucoup. C’est la répercussion dans le
domaine sportif d’une morale qui s’abaisse.
Les sports se sont développés au sein d’une
société que la passion de l’argent menace de
pourrir jusqu’à la moelle. Aux sociétés
sportives de donner maintenant le bon
exemple d’un retour au culte de l’honneur et
de la sincérité!
» Cette entreprise d’épuration, l’Olympisme
rénové en sera le plus efficace artisan à la
condition qu’on cesse de vouloir assimiler les
Jeux Olympiques à des championnats du
monde. C’est parce qu’ils sont imbus de cette
idée que certains techniciens cherchent à
détruire la constitution olympique pour s’emparer d’un pouvoir qu’ils se croient aptes à
exercer dans sa totalité... Que l’harmonie
règne entre les trois pouvoirs: Comité International, Comités Nationaux Olympiques,
Fédérations Internationales, ce sera le bon
moyen de maintenir les Jeux Olympiques au
niveau désirable.
» Est-il besoin de rappeler que les Jeux
Olympiques ne sont la propriété d’aucun pays
ni d’aucune race en particulier et qu’ils ne
peuvent être monopolisés par des groupements quelconques. Ils sont mondiaux, tous
les peuples y doivent être admis sans discussion, de même que tous les sports y doivent
être traités sur pied d’égalité...
» Les Jeux ont été créés pour la glorification
du Champion individuel dont l’exploit est
nécessaire à entretenir l’ardeur et l’ambition
générales. Les circonstances se prêtent mal à
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Les membres du CIO à Prague. Sur ce document apparaissent à partir de la gauche:
le Comte Alberto Bonacossa (Italie), le Marquis Melchior de Polignac (France), The Earl
Cadogan (Grande-Bretagne), le Baron Pierre de Coubertin (France), X..., Comte de Penha
Garcia (Portugal), le Baron Godefroy de Blonay (Suisse), sénateur Jules de Muzsa (Hongrie), Ivar Nyholm (Danemark), Angelo C. Bolanaki (Egypte), Baron A. Schimmelpenninck
van der Oye (Hollande), Baron de Laveleye (Belgique), Ernst Krogius (Finlande) et le
conseiller Jiri Guth-Jarkovsky (Tchécoslovaquie).
y adjoindre trop de rencontres d’équipes, car
on a généralement reconnu la nécessité de
restreindre la durée des Jeux et par là les
dépenses qu’ils occasionnent.
» Des grandes économies seront réalisées
dans la célébration d’une olympiade, si cette
célébration est préparée assez à l’avance et
avec beaucoup de méthode, de discipline et
de désintéressement...
» Je veux pouvoir consacrer le temps qui me
reste à hâter, dans la mesure où je le pourrai,
une urgente entreprise: l’avènement d’une
pédagogie productrice de clarté mentale et de
calme critique. A mon avis, l’avenir de la civilisation dépend uniquement de l’orientation
éducative qui va se dessiner. La question
sociale elle-même ne saurait trouver de
solutions durables en dehors de ce domaine.
tue l’instinct conservateur. Mais je devais à
mes collaborateurs, à mes amis fidèles, une
franche explication sur mes projets. Je
voulais leur dire que j’aborde l’œuvre nouvelle dans l’esprit sportif qu’ensemble nous
avons cultivé, c’est-à-dire avec la joie de
l’effort, le goût du risque et le culte de l’idéal
désintéressé. »
Dans les « Mémoires olympiques » (p. 9)
Pierre de Coubertin écrit sur le Congrès de
1892 à Paris où il annonça le projet de
rétablir les Jeux Olympiques: « ... personne
n’avait compris. C’était l’incompréhension
totale, absolue, qui commençait. Elle devait
durer longtemps. »
Malgré les acclamations et les approbations!
» L’heure est venue d’élever un édifice pédagogique dont l’architecture soit mieux appropriée aux besoins du jour.
Il en fut de même, je pense, après l’allocution
de Pierre de Coubertin à Prague. Beaucoup
d’auditeurs ne comprenaient pas ou tâchaient
de ne pas comprendre la force des idées exprimées par Coubertin. Même ses amis ne
semblaient pas partager ses idées sur le but
pédagogique élevé des Jeux Olympiques, la
connection entre la pédagogie et l’Olympisme
et sa conviction qu’une réforme totale du
système pédagogique existant était inévitable,
si celui-ci voulait survivre.
» Ce serait transgresser les limites imposées
par le caractère de cette assemblée que de
m’étendre davantage sur ce point. Sans doute
ai-je déjà surpris sinon choqué quelques auditeurs en faisant montre de tendances révolutionnaires, à un âge où, d’ordinaire, s’accen-
On s’attendrait à ce qu’une telle allocution
ait été suivie d’échos et de reflets dans les
discussions des deux Congrès. Que les participants se seraient efforcés de développer les
points relevés par Coubertin, de chercher les
moyens de les mettre en pratique ou bien
» C’est la pédagogie présente qui, par son
erreur obstinée, a égaré les générations actuelles dans l’impasse d’une spécialisation outrancière où celles-ci ne trouveront finalement qu’obscurité et désunion.
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qu’ils les auraient analysés, même de façon
critique. Que quelqu’un se soit levé et souhaité officiellement à Coubertin beaucoup de
chance et succès dans son nouveau travail
dans le domaine de la pédagogie mondiale.
Rien de pareil. Nous pouvons feuilleter les
rapports des deux Congrès. Aucune allusion
à de tels faits.
Tout de même‚ nous trouvons dans le procèsverbal du Congrès technique deux notices intéressantes. Dans son discours le Colonel R.
M. Thompson (USA) prononça des mots qui
méritent d’être retenus:
« Le sport sans la grande idée Olympique
n’est rien. L’idée Olympique est la cause
directe de l’importance prise par les sports en
ces dernières années. L’on peut constater
d’une Olympiade à l’autre des progrès dans
toutes les branches, dans toutes les épreuves.
La qualité grandit constamment grâce à cette
inspiration et à cette compréhension que
l’organisation olympique généralise, que le
ton moral est ce qu’il faut soutenir... Si le
sport échappait à la haute direction du CIO,
l’ère de prospérité atteinte ou entrevue par
certaines fédérations s’éteindrait comme un
feu de paille. »
Et dans le rapport de la Commission du Congrès technique sur l’éducation sportive, présidée par le membre du CIO pour la GrandeBretagne, R. S. de Courcy-Laffan, nous
lisons:
« La Commission estime que pour arriver à
des conclusions fructueuses, il est nécessaire
de définir les termes dont on fait usage. Elle
entend par « le sport » non pas la concurrence seule dans les jeux et exercices physiques,
mais cette concurrence réglée, inspirée par la
loyauté tant envers l’adversaire comme
envers le camarade, par l’abnégation du
« moi » et par l’idée du service à rendre par
l’individu au groupe dont il fait partie, équipe
- patrie - humanité. »
Le Congrès Olympique Technique, auquel
participèrent 29 membres du CIO, 39
délégués des CNO, et 26 représentants des FI,
enregistra un résultat très positif. Il approuva
la décision de la session du CIO d’instituer
les Jeux Olympiques d’hiver. Pierre de Coubertin écrit dans ses « Mémoires Olympiques »: « Les Jeux d’Hiver avaient victoire
complète. J’en étais heureux, ayant toujours
souhaité voir cette annexe hivernale dûment
légalisée... »
La commission exécutive du CNO de Tchécoslovaquie en 1925.
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— instituer des épreuves sans concours, mais
basées sur des minima à dépasser et ouvertes à tous.
La médaille commémorative du VIIIe Congrès Olympique.
Tout de même la question de l’Amateurisme
occupa la majeure partie des discussions du
Congrès Technique. Il y fut décidé:
« Ne pourra être qualifié pour participer aux
Jeux:
1. celui qui est ou aura été en connaissance
de cause professionnel dans son sport ou
dans un autre sport;
2 . celui qui aurait reçu des remboursements
pour compensation du salaire perdu. »
Cette décision, victoire des partisans du « pur
amateurisme », rendit le problème encore
plus aigu et ne fit qu’approfondir l’abîme des
différences sociales entre les athlètes. Ce salaire perdu! Ce n’est que cinquante ans plus
tard que ces discussions (combien de temps
perdu!) ont amené un changement de principe au Xe Congrès Olympique à Varna en
1973 et à la session de Vienne en 1974.
Le Congrès Olympique Pédagogique fut
convoqué pour étudier la voie à suivre dans
quelques secteurs spéciaux du sport, d’ordre
psycho-psysiologique, proposés par Pierre de
Coubertin:
— en finir avec les excès d’exhibitions aux
concours sportifs,
— rétablir la valeur éducative des combats
de boxe,
— limiter les efforts sportifs pendant l’adolescence pour ne pas hâter l’évolution
virile des jeunes gens,
— désigner les sports qui peuvent être pratiqués par les femmes sans inconvénient
pour leur santé,
— réaliser la propagande pour le développement du franc-jeu et de l’esprit chevaleresque,
— élargir la collaboration des universités
dans les sports,
— organiser la cure préventive de sport pour
les différentes catégories d’âge,
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La composition des délégations fut très variée.
A côté des représentants des ministères de
l’Instruction publique et ceux de l’Hygiène, il
y avait des médecins, professeurs de culture
physique, membres des Comités olympiques
nationaux, etc. Parmi les 82 membres annoncés, il y eut 16 Tchèques. En ce qui concerne
les membres du CIO, seul Pierre de
Coubertin assista à toutes les réunions et
trois autres, de Baillet-Latour, de Blonay et
de Courcy-Laffan, à une seule.
Le Président du Congrès Pédagogique
Weigner était professeur de médecine à l’Université. En Tchécoslovaquie, à cette époque,
la santé publique et la culture physique relevaient du même ministère. Il en était de
même dans beaucoup d’autres pays. En général l’organisation de la médecine sportive, en
ce temps-là, était supérieure à l’organisation
de la pédagogie. C’est ainsi qu’au Congrès
Pédagogique de Prague, le côté médical prévalait parfois en comparaison avec le côté
pédagogique.
Même si le Congrès Pédagogique n’a pas
apporté tout ce que Pierre de Coubertin en
espérait — retenons que c’était la première
assemblée olympique de ce genre — les
résultats des discussions, parfois désordonnées,
ne sont pas négligeables.
Au banquet d’après Congrès, M. RösslerOrovsky, depuis plus de vingt ans secrétaire
général du Comité Olympique Tchécoslovaque, prit la parole pour remercier Pierre de
Coubertin:
« Il a été pendant de longues années le seul
qui a protégé les expéditions sportives tchèques à l’étranger. Il y a 25 ans le sport était
pour nous Tchèques, le seul moyen — à côté
de notre art — par lequel nous avons pu
manifester notre existence nationale. C’est à
M. de Coubertin que revient le grand mérite
que nous ayons pu aux Olympiades marcher
dans la file des nations, sous le drapeau de
Bohême. » S’adressant à Pierre de Coubertin:
« Monsieur le Président, cher ami! Permettez-moi de vous exprimer notre profonde gratitude pour tout ce que vous avez fait pour
nous. Nous ne vous oublierons jamais! »
F. K.