© CDDP de la Gironde / Festival du Film d`Histoire de Pessac / IA de
Transcription
© CDDP de la Gironde / Festival du Film d`Histoire de Pessac / IA de
© CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. Hymne Ils ont rendu l’homme à la terre Ils ont dit Vous mangerez tous Et vous mangerez tous Ils ont jeté le ciel à terre Ils ont dit Les dieux périront Et les dieux périront Ils ont mis en chantier la terre Ils ont dit le temps sera beau Et le temps sera beau Ils ont fait un trou dans la terre Ils ont dit le feu jaillira Et le feu jaillira Parlant aux maîtres de la terre Ils ont dit vous succomberez Et vous succomberez Ils ont pris dans leurs mains la terre Ils ont dit Le noir sera blanc Et le noir sera blanc […] Louis Aragon, Hourra l’Oural, 1934. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 1 © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 2 VIVRE ! (titre original : Huozhe) 1. Générique Réalisateur Production/ Distribution Scénario Photographie Musique Costumes Zhang Yimou ARP selection Wei Lu, Hua Yu Lu Yu Zhao Jiping Dong Huamiao Durée DVD : 2h 09 Comédiens Fugui Jiazhen Chunscheng Le chef du quartier Erxi Long Er Ge You Gong Li Guo Tao Nui Ben Wu Jiang Ni Da Hong 2. Synopsis Fugui, un jeune homme riche et désœuvré, passe ses nuits à jouer, au grand dam de son épouse Jiazhen, et perd ainsi beaucoup d’argent, jusqu’à épuiser toute la fortune familiale. Sa femme enceinte de leur deuxième enfant le quitte alors, accompagnée de leur fille Fengxia. Ruiné, accompagné de sa mère désespérée, Fugui doit apprendre à survivre. Mais quelques temps plus tard, son épouse revient avec leur fille et leur fils Youquin. Notre héros décide donc de demander à celui qui l’a ruiné de lui prêter de l’argent afin qu’il puisse faire subsister sa famille ; ce dernier préfère lui confier son théâtre d’ombre. Fugui part sur les routes avec sa troupe. Mais ils sont enrôlés de force dans l’armée du Guomindang, au service du président Chiang Kaï-shek…Les (més)aventures de Fugui et de sa famille ne font que commencer ; elles vont couvrir quarante ans d’histoire de la Chine, des années 40 à la Révolution culturelle, en passant par le Grand Bond en Avant… 3. Le réalisateur : Zhang Yimou Biographie Zhang Yimou est né à Xi’an, en Chine, le 14 novembre 1951. Il est contraint d’arrêter se études lors de la Révolution culturelle en 1966 et part travailler à la ferme puis dans un atelier de tissage. Passionné de photographie, il fait la section « Prise de vue » de l’Institut du cinéma de Pékin. Fraîchement diplômé, il participe en tant que directeur de la photographie à deux films de Chen Kaige. Il jouera aussi le rôle principal dans le film de Wu Tianming, Le vieux puits et obtient ainsi la première récompense de sa carrière : © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 3 prix du meilleur acteur au Festival de Tokyo en 1987. Il réalise sa première œuvre la même année, le Sorgho rouge et gagne l’Ours d’or de Berlin en 1988, ce qui lui donne aussitôt un rayonnement international. C’est aussi grâce à ce film qu’il rencontre celle qui deviendra non seulement sa muse mais aussi sa femme Gong Li. Après ce premier rôle, il fait jouer l'actrice dans Judou en 1989 et Epouses et Concubines en 1991 (Lion d'argent au Festival de Venise), où il exprime par ailleurs un grand raffinement formel dans la composition du cadre. Il la dirige à nouveau dans le plus spontané Qiu Ju une femme chinoise en 1992 (Lion d'or cette fois), puis dans Vivre! (Grand Prix du jury au Festival de Cannes 94) et dans Shanghai Triad en 1995. Yimou alterne dès lors une approche filmique âpre et réaliste qui remporte le Lion d'or au Festival de Venise 1999. En 2003, Zhang Yimou s'attaque au wu xian pian, le film de sabre traditionnel de Chine et de Hong Kong, avec Hero pour lequel il dirige Jet Li, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi et Donnie Yen, puis Le Secret des poignards volants avec Takeshi Kaneshiro et Andy Lau. Producteur de 2046 de Wong Kar-Wai, Zhang Yimou continue en parallèle d'alterner projets de grandes ampleurs et oeuvres un peu plus confidentielles. Il réalise ainsi La Cité interdite, plus gros budget de l'histoire du cinéma chinois, puis enchaîne avec Riding alone for thousands of miles au financement nettement plus modeste. Mis à l'honneur par le festival de Cannes lors de sa 60e édition, Zhang Yimou a été choisi pour être l'un des 60 signataires de la collection de courts-métrages Chacun son cinéma. Quelques mois plus tard, le cinéaste était président du jury de la Mostra de Venise, récompensant son compatriote Ang Lee pour le film Lust, Caution. C’est l’un des plus importants cinéastes chinois de la cinquième génération ; son œuvre révèle un grand souci esthétique, notamment dans l’usage de la couleur, mais aussi du cadre comme dans Adieu ma concubine, ou Hero. Il a su réaliser aussi des films réalistes comme Qiu Ju, une femme chinoise, ou Vivre ! Très connu en Occident, le public chinois le connaît mal, car nombreux sont ses films qui ont été interdits en Chine, comme Vivre ! (le réalisateur n’ayant même pas eu l’autorisation de se rendre à Cannes pour y recevoir le grand prix du Festival ) Filmographie 1987 : Le Sorgho rouge 1989 : Judou 1989 : Opération jaguar 1991 : Épouses et concubines 1992 : Qiu Ju, une femme chinoise 1994 : Vivre ! 1995 : Shanghai Triad 1997 : Keep Cool 1999 : The Road Home 1999 : Pas un de moins 2000 : Happy Times 2002 : Hero 2004 : Le Secret des poignards volants 2005 : Riding alone : Pour un fils 2007 : La Cité interdite 2007 : Chacun son cinéma (Pour les 60 ans du Festival de Cannes) Prochainement : The Qin assassination © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 4 Approches du film 1. Le découpage séquentiel Séquences Plans 1 44 2 26 3 79 4 13 5 58 6 24 7 2 8 16 9 23 Tableau des séquences Espaces Contenu La rue devant la salle de jeu; à l’intérieur, Fugui joue aux dés avec frénésie et perd encore. Il Ext./Int./ remplace un chanteur du théâtre d’ombre et met 1mn09s Ext. en scène une histoire scabreuse. Musique et théâtre d’ombre. Il sort et un porteur le ramène chez lui. A peine arrivé chez lui, son père le harcèle et l’insulte. Fugui l’insulte aussi puis rejoint sa 2mn45s Ext./Int. femme dans leur chambre ; Jiazhen le supplie d’arrêter de jouer comme il l’avait promis pour la venue de leur 2° enfant. Il s’endort. .Dans la salle de jeu, Fugui joue et commence à gagner, mais on lui annonce que sa femme est là : elle le supplie devant tout le monde de partir avec Int. elle. Il se met en colère et la chasse de 6mn14s l’établissement. Il se met à perdre et apprend qu’il a perdu toute sa fortune ainsi que la maison familiale. Il est anéanti. Jiazhen l’attend dans la rue pour lui dire qu’elle le 1mn42s Ext. quitte avec leur fille. Il est désespéré. Chez lui, une assemblée officielle calcule sa dette et confirme à son père la perte de tous les biens familiaux au profit de Long’er. Le père a un 3mn46s Int./Ext. malaise au moment où il veut corriger son fils pour son infamie. Ellipse : une succession de plans montre la déchéance financière de Fugui et de sa mère après le décès du père. Dans la rue, Fugui voit sa femme, sa fille et son fils. Elle est revenue vivre avec lui. Ils vont dans 2mn02s Ext./Int. la nouvelle misérable demeure de Fugui où la grand-mère s’éteint doucement. Moment de bonheur pour la famille réunie. Int. Dans le coin chambre, le couple se retrouve, 1mn02s Jiazhen ne veut qu’une vie simple. Fugui va voir Long’er pour lui emprunter de 1mn21s Int. l’argent, celui-ci refuse mais lui confie plutôt son théâtre d’ombre afin qu’il se fasse un revenu. Fugui a réuni une petite troupe avec laquelle il se 54mn54s Ext. déplace pour faire son spectacle. Un soir, lors d’une représentation, le drap se tend d’une drôle Durée © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 5 10 100 11 10 12 27 13 10 14 13 15 29 16 27 17 13 18 18 19 22 20 64 21 7 22 8 de façon… Ce sont les soldats de Chiang Kaï-shek qui enrôlent la troupe de force. Fugui et son compagnon Chunsheng voudraient bien repartir Ext. chez eux, mais ils n’ont pas le choix. Ils 11mn34s . apprennent à survivre dans les conditions hostiles de la guerre. Un matin, ils se rendent compte que leur camp a été abandonné et eux avec. L’armée de Libération les arrête. Ext. Ils font un spectacle aux soldats et puis finissent 1mn16s par être libérés. Fugui rentre chez lui. Dans la rue, il voit Fengxia sa petite fille, mais elle ne l’entend pas. Il voit 2mn41s Ext. aussi Jiazhen qui distribue de l’eau chaude. Ils se retrouvent, Jiazhen pleure. Une fois chez eux, Jiazhen lui apprend les dernières nouvelles : la mort de sa mère, la 2mn06s Int. maladie qui a rendu Fengxia muette et presque sourde, leur misère. 1mn51s Int. Vie de famille dans la cours de la maison Le délégué de district lui apprend le procès de Long’er comme ennemi de la Révolution. Fugui y Int./Ext./ assiste de loin et entend les cinq détonations qui 3mn13s Int. marquent son exécution. Fugui est bouleversé de l’ironie du sort : s’il n’avait pas perdu aux dés, ce serait lui que l’on aurait tué… (carton: les années 50) C’est le Grand Bon en Avant et tout le monde doit remettre son fer, la famille de Fugui aussi. Ext. 3mn30s Youquin, son fils veut même donner les clous et les attaches du théâtre d’ombre. Fugui persuade le délégué de district de ne rien en faire afin de pouvoir divertir les masses pendant leur efforts. Des garnements embêtent Fengxia. Youquin vient 1mn17s Ext. l’aider et se bat avec les trois enfants. Dans la cours de la cantine populaire, Youquin se sert copieusement de nouilles très pimentées et va 3mn18s Ext. renverser son plat sur la tête de l’enfant qui avait harcelé sa sœur. Cela crée un scandale et Fugui se sent obligé de corriger son fils en public. 2mn29s Int. Une fois à la maison, le couple s’explique. Fugui anime les efforts de la population avec le Ext. théâtre d’ombre. Jiazhen et son fils lui concoctent 5mn06s un thé vinaigré et pimenté pour lui faire une blague. Rires. Le district a réussi à fondre une belle masse de 1mn27s Ext. fer, et le délégué de district félicite en particulier la famille de Fugui. Les enfants dorment, épuisés par les nuits de 3mn14s Int./Ext. travail. Mais on vient chercher Youquin pour © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 6 23 24 24 47 25 17 26 27 27 26 28 36 29 17 30 22 31 28 32 8 33 61 continuer le travail. Sa mère refuse mais Fugui l’emmène malgré tout et lui parle de la vie qui progresse du poussin jusqu’au Communisme…. C’est la catastrophe ! Youquin a été tué dans 3mn17s Ext. l’éboulement d’un mur de pierre derrière lequel il dormait. Fugui et Jiazhen sont désespérés. 6mn08s Ext. .Enterrement de Youquin. On aprend que celui qui est à l’origine de l’écroulement du mur, c’est Chunsheng qui est devenu chef de district… Jiazhen lui dit qu’il leur doit une vie. 4mn07s Ext./Int. (carton : les années 60) C’est la Révolution culturelle. Le délégué de district vient annoncer à Fugui qu’il doit brûler son théâtre d’ombre. Ce qui est fait. Puis , il dit qu’il a trouvé un mari pour Fengxia… 3mn12s Ext. Erxi, le prétendant, vient rencontrer la famille de Int. Fengxia… 3mn04s Ext./Int. On dit à Fugui et à sa femme que des gardes rouges s’attaquent à leur toit ; ils vont voir et découvrent qu’Erxi est venu avec ses collègues de l’usine et qu’ils ont réparés leur toit et peint des portrait de Mao dans leur cours. Bonheur. Jiazhen fait promettre à Erxi de faire un beau mariage à Fengxia. 4mn34s Ext./Int./ Le mariage communiste. Ext. 2mn10s Int. Chunsheng est là pour les féliciter et leur offre un portrait de Mao, mais Jiazhen refuse toujours de le recevoir. 4mn Ext./Int. Fengxia et Erxi viennent annoncer que la jeune femme est enceinte. Joie. Erxi annonce aussi la disgrâce de Chunsheng, taxé de capitalisme. 4mn05s Int./Ext. Visite de Chunsheng désespéré qui veut absolument que le couple prenne l’argent qu’il a mis de côté pour la mort de Youquin. Sa femme s’est suicidée, et il est lui même sur le point de le faire. Fugui l’implore de tenir bon et de survivre. Jiazhen sort de sa chambre et l’invite à entrer chez eux. Il refuse et s’en va. Elle lui rappelle alors qu’il leur doit une vie et donc qu’il doit prendre soin de la sienne. 1mn51s Int./Ext. On apprend que le délégué du district a été destitué de ses fonctions et jugé réactionnaire. Il doit donc partir. Fugui et Jiazhen tentent de le rassurer. 13mn03s Int./Ext./ C’est l’accouchement de Fengxia. L’hôpital est Int./Ext./ au main des jeunes infirmières gardes rouges, les Int. docteurs, réactionnaires ayant tous été punis et envoyés en rééducation. Ca commence bien, mais Jiazhen est inquiète pour sa fille et demande à © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 7 34 29 5mn54s Erxi d’aller chercher un vrai obstétricien pour sa fille , ce qu’il fait en ramenant un homme affamé et portant une pancarte infamante. L’homme est dans un tel état d’inanition que Fugui va lui acheter des petits pains qu’il se met à engloutir frénétiquement. Pendant ce temps, l’enfant vient au monde et tout semble aller très bien quand tout à coup, c’est la panique : Fengxia fait un hémorragie que les jeunes infirmières ne savent pas juguler. Le médecin est inservable car il a mangé trop vite et est en train de s’étouffer. L’eau que lui donne Fugui ne fait qu’empirer les chose. Fengxia s’éteint dans les bras de se mère désespérée. Ext./Int./ (carton : quelques années plus tard) Ext./Int. Fugui et son petit fils « petit pain » rentrent chez les grands-parents. Jiazhen est alitée. Erxi arrive. Ensemble, ils se rendent sur la tombe de Fengxia. De retour, Fugui parle à son petit fil des poussins qui grandissent et qui permettent d’améliorer sa vie, car la vie de « petit pain » « sera de plus en plus belle ». (générique) 2. Eléments d’analyse cinématographique a) La structure Le film de Zhan Yimou semble suivre les aléas de la vie de son héros et de sa famille, au gré du destin, sans équilibre recherché, sans étape bien définie, si ce n’est les cartons indiquant la période historique traversée par la famille : les années 50’, ou les années 60’. A y regarder de plus près, on peut cependant déterminer trois grandes parties qui recouvrent effectivement trois périodes historiques distinctes mais dont les ruptures ne se font pas forcément aux cartons, car elles suivent un même rythme qui va d’une situation difficile en passant par des moments de bonheur, pour finir immanquablement par une tragédie. Les trois partie sont : ¾ Plans 1 à 11 : La vie de Fugui avant l’avènement de la République communiste chinoise (une vie de joueur, une vie de misère, une nouvelle vie grâce à Jiazhen et au théâtre d’ombre, une vie de soldat) ¾ Plans 12 à 24 : La chine communiste et le Grand Bon en Avant (le retour et la vie de masse populaire, l’effort collectif du GBA et le théâtre d’ombre, la mort de Youquin) ¾ Plans 25 à 33 : La Révolution culturelle (La fin de la culture réactionnaire et du théâtre d’ombre, le mariage de Fengxia, La déchéance des anciens responsables du Parti, l’accouchement et la mort de Fengxia) Le Plan 34 constituant une sorte d’épilogue. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 8 On peut souligner une séquence qui forme une sorte de film à l’intérieur du film, d’une part par sa longueur et, d’autre part, par son autonomie quant à la diégèse : c’est la séquence 10, celle de la guerre. On pourra l’étudier en tant que telle avec des élèves de 3°, intégrée dans une séquence sur la vision ironique de la guerre en parallèle avec l’extrait de Candide de Voltaire, (chapitre 3), ainsi que celui du roman de Stendhal La Chartreuse de Parme (Chapitre 3), où, à chaque fois, le héros se trouve sur un champ de bataille un peu malgré lui et en subissant les conséquence d’un conflit qui le dépasse et auquel il ne comprend rien. Le plan panoramique avec travelling au cours duquel on voit littéralement déferler les soldat de l’armée de Libération sur la plaine blanche de neige et fondre sur Fengui et son camarade Chunsheng est à ce titre une merveille : le contraste des couleurs, la petitesse des silhouettes, le bruit d’insecte en masse des soldats, tout concourt à donner à voir l’absurdité de la guerre. Une autre séquence a aussi cette dimension d’autonomie, bien que non coupée de la diégèse, c’est l’avant-dernière séquence, la n°33 : elle dure plus de 13 mn et touche à la fois une thématique universelle (l’attente inquiète des parents et du mari lors d’un premier accouchement), mais aussi un motif historique particulier (les conséquences cauchemardesques et tragiques d’une politique ubuesque : la Révolution culturelle). Le mélange d’un registre à la fois comique, voire burlesque (précipitation du docteur sur les petits pains, son étouffement, mécanisation des mouvements des infirmière au moment fatidique), et d’un registre tragique (le gros plan sur le sang qui coule inexorablement le long du pied de Fengxia, son visage exsangue en contre-champ de celui de sa mère désespérée qui ne cesse de répéter que « Maman est là ») fait de cette séquence un sommet d’émotion et de justesse, d’universalité : certes, la famille de Fugui est aux prises avec un moment historique fatidique, mais c’est de l’absurdité de la vie et de la mort dont il est question ici. C’est en cela que l’on peut dire que ce film est au delà d’une vision politique ; il ne s’agit pas ici de faire le procès de la Révolution culturelle et de ses excès tragiques, même si la critique est présente, mais bien plutôt de dire le pire, une deuxième fois dans le film : la perte de son enfant. On pourra aussi étudier avec bonheur certains motifs esthétiques récurrents dans le film : ¾ le travail sur les plans présentant des cadres à l’intérieur du cadre (portes cochères dans la rue, ou menant à la cours de la maison, portes d’entrée, fenêtres), ¾ mouvement de caméra allant de l’extérieur de la maison à l’intérieur, ou inversement ( on va le plus souvent dans le film de l’extérieur à l’intérieur, et quand le mouvement est inverse, il est souvent porteur de malheur : mort du père, exécution de Long’er, Youquin porté vers sa mort par son père, désespoir du Chunsheng, destitution du délégué). Tout se passe comme si Zhan Yimou nous invitait à entrer dans l’intimité de cette famille pour nous dire que c’est dans celle-ci , et uniquement là, que le bonheur est possible, l’extérieur étant une menace permanente et incontrôlable. Mais, c’est avec pudeur et de l’extérieur qu’il nous dit la force du couple : il nous montre la fenêtre illuminée de leur chambre qui se détache sur l’ombre de la cours et l’on entend alors Jiazhen qui dit à Fugui qu’elle ne désire qu’ « une vie simple, avec lui ». ¾ l’espace intermédiaire que représente la cours de la maison (sorte d’antichambre, entre-deux porteur de rencontre et de révélation, lieu de joie mais aussi du désespoir de Chunsheng par exemple…) ¾ Il faudra aussi s’attacher à la référence esthétique majeure qu’est la présence du théâtre d’ombre, et ce d’autant plus que c’est un élément que le réalisateur a rajouté © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 9 par rapport au roman de Yu Hua dont il a fait ici l’adaptation (voir l’analyse de la séquence dans le III de ce livret). b) L’adaptation du roman de Yu Hua, Vivre ! Vivre ! est au moins la 3° adaptation d’un roman par Zhang Yimou. Il adapte ici un roman de Yu Hua de manière assez fidèle, puisqu’il en reprend le titre, les noms des personnages, l’essentiel de la trame diégétique, ainsi que la structure et le registre tragique. Cependant, il apporte bien évidemment des modifications, notamment de trois ordres : diégétique, tonal et esthétique. Les modifications diégétiques sont les suivantes et seront présentées dans l’ordre roman/film : Fugui vit à la campagne et est un riche propriétaire, alors que, dans le film, il vit dans une bourgade de province et n’a pas de profession ; il perd toute sa famille, femme, gendre et petit-fils inclus et demeure seul avec un vieux buffle ; d’autres détails sont de moindre importance, mais portent la marque d’un traditionalisme étouffant .Par exemple, Jiazhen ne le quitte pas de son propre chef, mais c’est son père qui vient la chercher pour soustraire l’enfant à venir de l’influence néfaste de Fugui perdu par le jeu, ou encore, Youquin ne meurt pas écrasé derrière un mur à 5 ou 6 ans , mais à 13 ans parce qu’il se fait transfuser pour donner son sang à la femme du préfet qui a fait une hémorragie et on lui en prend trop. Les modifications concernant le registre, ou le ton de l’ensemble de l’œuvre sont importantes : Zhang Yimou a choisi de ne pas faire finir le héros seul, comme dans le roman. Il s’en explique comme suit dans une interview accordée au journal Le Monde (édition du 19 mai 1994), à Paris, juste avant le Festival de Cannes où il n’a pas eu l’autorisation de se rendre : « Il y a deux différences essentielles. D'abord le roman couvre une période beaucoup plus longue, j'ai dû n'en prendre qu'une partie. Ensuite, et surtout, dans le livre, tout le monde meurt, sauf le personnage masculin, et une vache. Cela m'a paru une fin trop lourde, une ambiance trop dramatique, que le spectateur aurait du mal à accepter. Je n'ai pas voulu faire un film tragique, mais montrer une famille chinoise tout à fait ordinaire. Ces gens n'ont pas de buts complexes dans la vie, ils sont courageux et se contentent de peu. Je crois que chaque famille en Chine, du moins celles qui ne sont pas intellectuelles, peuvent se retrouver dans ce portrait . » Plus loin, il insiste sur son choix pour un regard différent : « Dans les autres films, y compris les miens, on cherche à exprimer des choses profondes, toujours un peu grandioses. J'ai préféré partir du bas, montrer la toile de fond, avec plus d'humour que dans mes films précédents et que dans ceux qui traitent de cette période ». (remarque : les parties en gras l’ont été par mes soins). Il s’agit donc bien pour le réalisateur de faire une tragi-comédie, non pas à la Corneille, avec des héros nobles, mais à la Brecht, avec un homme ordinaire aux prises avec son quotidien et l’Histoire. L’ultime changement est important car il est esthétique et propose une sorte de mise en abyme, une autoréférentialité qu’aucun amateur de cinéma ne saurait ignorer : il s’agit du théâtre d’ombre. En effet, il n’en nullement question dans le roman, puisque Long’er l’heureux gagnant de Fugui, propose à ce dernier de l’aider en lui donnant en fermage 5 mu (1 mu = 0,065 ha) de bonne terre et non un théâtre d’ombre. Un drap, une source de lumière, des ombres projetées qui créent une histoire, de la musique et des chants pour assurer la compréhension, c’est un peu l’ancêtre du cinéma qui est convoqué par Zhang Yimou, et ce de manière insistante et presque tout au long du film. Nous reviendrons plus précisément sur ce motif esthétique dans le III du présent livret. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 10 3. L’accueil de la presse L’accueil de la presse fut dans son ensemble très positif, le réalisme de ce nouvel opus étant considérer de bon aloi par une critique cinématographique un peu hermétique à l’esthétisme du réalisateur. Je livre plus bas les critiques in extenso de Pierre Murat de Télérama et de l’édition du journal Le Monde du 19 mai 1994, ainsi que celle d’un site internet qui est loin d’être sans intérêt : CRITIQUE TELERAMA En gros, l'évolution de Zhang Yimou semblait logique et bénéfique. De l'esthétisme voyant de ses débuts (ah ! Ju Dou, avec sa palette de couleurs si soigneusement étudiées qu'elles en devenaient artificielles), il progressait, de film en film, vers la vertu. Et la simplicité. Dans Qiu Ju, une femme chinoise, il semblait se ficher comme d'une guigne de la beauté de ses images, il « volait » des plans approximativement cadrés de sa vedette, Gong Li, dans la faille d'une grande ville. Il s'humanisait. Et son oeuvre devenait émouvante. On avait donc quitté Zhang Yimou flirtant avec les joies du néo-réalisme et voilà qu'on le retrouve, dans les premières scènes de Vivre !, aux prises avec une sophistication que l'on croyait définitivement rejetée. Elles sont très réussies, au demeurant, ces séquences où, dans une maison de jeux à la Sternberg, un jeune homme riche et gâté, Fugui, ruine lentement mais sûrement sa famille, provoquant la mort de son vieux père et le chagrin de sa femme, Jiazhen (Gong Li, plus belle que jamais). Et puis, très vite, on s'aperçoit que non, ce n'est pas le baroque à la Sternberg que Zhang Yimou recherche, mais bien un humanisme à la De Sica. Dans Qiu Ju, c'était par le style de la mise en scène qu'il y parvenait. Ici, c'est par ses personnages. Quoi qu'il leur arrive, et Dieu sait qu'il leur en arrive la guerre civile entre nationalistes et communistes, le « Grand Bond en avant », les « Grandes Marmites communales », la Révolution culturelle , Fugui et Jiazhen ne perdent à aucun moment ni la force de vivre ni l'espoir. Leur dignité. Lui serait plutôt lâche, elle aurait plutôt tendance à la révolte. Mais lâche et révoltée semblent mus par une sorte de fatalisme énergique c'est paradoxal, mais c'est vrai qui les fait plier sans rompre. On ne peut rien contre eux, puisqu'ils sont éternels. Et comme Zhang Yimou les filme ni de trop haut (il ne les juge jamais) ni de trop bas (il n'en a jamais pitié), Vivre ! devient un film passionnant. Une fresque. Un mélo de la plus belle eau. On en retrouve tous les ingrédients : la famille ruinée, la guerre, des naissances, des mariages, des morts, les larmes d'une mère, et le meilleur ami qui provoque, sans le savoir, le malheur. Avec, bien sûr, quelques séquences spectaculaires (Fugui découvrant, dans une aube glacée, le carnage effectué par les partisans communistes : grandiose !). Et des moments d'humour noir, aussi, inattendus et presque incongrus. La fille de Fugui et Jiazhen va accoucher. Et là, soudain, la mécanique maoïste se détraque. Sûr d'elle l'instant d'avant, lorsque tout roulait comme sur des roulettes, les infirmières, qui ont remplacé tous les chirurgiens condamnés comme ennemis du peuple, redeviennent des jeunes filles affolées. Et le médecin, que l'on a sorti précipitamment de son camp, se trouve dans l'impossibilité d'aider qui que ce soit : il a mangé trop vite trop de petits pains parce qu'il avait trop faim. En ces instants, la tragédie et l'absurde se rejoignent. On dira que Vivre ! reprend à peu de chose près les thèmes déjà abordés dans Adieu ma concubine, de Chen Kaige, et Le Cerf-volant bleu, de Tian Zhuangzhuang. C'est vrai. Mais le premier film était plus prétentieux, et le second plus ambitieux, avec le parti pris, très réussi au demeurant, d'emprisonner le film dans un huis © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 11 clos : une cour et quelques maisons basses. Vivre !, lui, est un grand film populaire comme on les aime. Avec des sentiments simples et vrais. Des moments où le bonheur semble possible, avant que la fatalité ne frappe une fois de plus. Naïf et sentimental ? Moins novateur que Qiu Ju, une femme chinoise ? Peut-être. Mais nettement plus romanesque. Exemple : Jiazhen a toujours refusé de revoir l'assassin innocent de son fils même quand il lui a offert, bien des années après, un cadeau qu'on ne refuse pas : un portrait de Mao. Mais le voilà, l'assassin innocent, soupçonné, à son tour, d'être un contre-révolutionnaire. Désormais, il est traqué, proscrit. Lui pardonner, non, Jiazhen en est incapable. Mais à cette silhouette, brisée, qui s'éloigne, elle lance : « N'oublie pas que tu me dois une vie. Alors, prends bien soin de la tienne... » On dirait une réplique de ces grands mélos hollywoodiens de jadis. Du Leo McCarey. Du Douglas Sirk Pierre Murat Télérama, Samedi 21 mai 1994 CRITIQUE LE MONDE Article paru dans l'édition du 19 Mai 1994 oin des sages beautés d'Epouses et concubines ou de la force brute de Qiu Ju, Zhang Yimou, le cinéaste chinois le plus titré en Occident, entreprend de raconter, à son tour, les trente ans d'histoire de la Chine qui vont d'avant la prise du pouvoir par Mao jusqu'à la fin de la révolution culturelle. Il décrit le destin d'une famille habitant une bourgade de province malmenée par les bouleversements qu'a connus le pays. Le père, ancien fils de famille ruiné au jeu avant la révolution, devenu montreur de marionnettes, plus tard porteur d'eau, toujours brave type ayant une fâcheuse tendance à choisir la mauvaise solution, s'en sort pourtant grâce à un instinct de survie chevillé au corps. En retrait, la mère (Gong Li) est pourtant le personnage central. Porteuse des valeurs de la famille, elle en est l'imprenable place forte, grâce à un système modeste et efficac e de relations, fondées sur un solide pragmatisme. Enfants, cousins, voisins, proches et collatéraux composent une succession de cercles concentriques. Dans une indifférence totale aux déclamations idéologiques, ils observent les mêmes règles, celles de la survie obstinée. Zhang Yimou trouve chaque fois une façon nouvelle de raconter des situations déjà montrées (récemment par Adieu ma concubine et le Cerf-Volant bleu), sans dévier d'une chronologie d'instituteur buté, en évitant toutes les scènes convenues de foules en furie et de catastrophes. Le petit bout de la lorgnette est son unique point de vue. Mais une flaque de sang qui soudain s'écoule sur le drap d'une jeune accouchée dit toute l'horreur de la révolution culturelle avec une violence sans égale. Il y a, aussi, l'idée obsédante que cette histoire _ cette Histoire _ doit être redite et redite encore, car elle est la matière d'un mythe fondateur national, un peu comme les Américains ont éprouvé le besoin de filmer à l'infini leur conquête de l'Ouest, y compris de ma! nière pa rtielle ou truquée. Vivre !, surtout destiné au public chinois, paraîtra pécher par manque de rythme. Il tient un discours plus que discutable, celui de la permanence de la cellule familiale chinoise, indifférente aux tempêtes à la surface. Mais il suffit de le comparer avec le film de © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 12 Kontchalovski présenté à Cannes (le Monde du 17 mai), qui affirmait lui aussi l'immobilité de l'Histoire, pour voir ce qui les différencie : un regard à hauteur de ceux dont il est question, attentif aux petits moments, aux nuances, aux sons de la vie. Le film est toujours bloqué par la censure de Pékin. Il faut espérer que ses vrais destinataires, les Chinois, pourront le voir un jour, tel que son auteur l'a conçu. CRITIQUE OBJECTIF-CINEMA Zhang Yimou est retenu malgré lui en Chine parce que son film n'a pas encore reçu son visa d'exploitation de la censure ! L'histoire se passe pendant le Festival de Cannes en 1994 : son film, Vivre ! y est présenté en compétition officielle mais le cinéaste ne peut assister à la projection tant que le film ne bénéficie pas de cette autorisation officielle accordée par le régime de Pékin. Le cas n'est pas isolé et illustre bien la situation dans laquelle se trouvent les réalisateurs chinois qui doivent faire face à une main mise permanente exercée par la censure aux différentes étapes de la conception de projets cinématographiques (financement, distribution, etc.). Réalisateur emblématique de la « cinquième génération », Zhang Yimou est, avec Chen Kaige, le fer de lance du nouveau cinéma chinois, issu de la Révolution culturelle. Même si ses films connaissent actuellement un certain succès à l'étranger, le cinéaste n'est toutefois pas totalement accepté dans son pays. Il doit subir les critiques conjointes de l' « intelligentsia » chinoise et des autorités de Pékin qui lui reprochent de mettre en scène des projets davantage axés sur l'Occident. Avec Vivre !, il dresse le portrait d'une famille chinoise balayée par le malheur à travers quarante ans d'Histoire de la Chine, de la période nationaliste à l'avènement de Mao, en passant par la Révolution culturelle et la période du « grand bond en avant ». A l'instar de Fassbinder, Zhang revisite l'Histoire de son pays, non pas en amont mais en aval. Vivre ! constitue davantage un mélodrame familial qu'un simple film historique. On y retrouve, en effet, tous les ingrédients du genre : fatalité, drame, musique empathique, etc. Aux héros ou aux victimes de la guerre, il préfère l'option de la quotidienneté. L'Histoire, présente en arrière-fond dans le récit, s'efface alors au profit des personnages. Ceux-ci ne seraient ni des victimes (au sens passif du terme), ni des entités historiques mais des héros anonymes, des témoins du changement de régime qu'a connu le pays. Zhang ne porte aucune forme de jugement vis-à-vis de ses personnages et n'éprouve pas non plus de pitié à leur égard. C'est au spectateur qu'incombera cette tâche. Si, en chinois, « huozhe » possède la double signification de vivre et de survivre, ce terme s'applique aussi bien aux millions de Chinois qui ont dû « survivre » pendant près d'un demi-siècle pour éviter de s'attirer les foudres du régime maoïste qu'à la famille de Fugui. Accompagné de sa femme, Jiazhen, celui-ci traversera les époques et connaîtra tour à tour les désillusions de la faillite, de la guerre et le drame de perdre ses enfants. C'est là que le verbe chinois prend tout son sens. Malgré ses malheurs, le couple continuera à garder espoir en la vie et en l'avenir. L'usage du point d'exclamation dans la traduction française du titre indiquerait non seulement un ordre, un souhait, mais il représenterait également un exemple pour les nouvelles générations. Le message, suggéré par l'isotopie du titre, aurait davantage une portée universelle que proprement chinoise. La dernière réplique du film illustre parfaitement cet élan optimisme : « la vie sera de plus en plus belle ». Elle consacre le triomphe des valeurs humaines, individuelles sur les sentiments collectivistes prônés par le régime communiste. Le cinéaste parvient ainsi à engager la réflexion sur l'Histoire de son pays et les répercussions que les faits historiques ont pu avoir sur la cellule familiale. Par exemple, © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 13 Fengzia, la fille muette de Fugui, mourra en mettant son enfant au monde parce qu'elle n'a pu bénéficier de l'assistance d'un médecin expérimenté car ils ont tous été envoyés dans des camps de prisonniers lors de la Révolution culturelle. Même si cette fresque historique se veut avant tout critique, la responsabilité des drames ne vise en aucun cas les hommes mais bien le régime communiste dont le fanatisme des hommes dans leur dévotion à Mao illustre parfaitement. La culture ainsi que les disciplines artistiques apparaissent également comme les victimes de l'Histoire. Zhang ne se contente pas d'exposer la Culture, il la magnifie par une mise en scène flamboyante, la portant au rang de symbole déchu du passé. C'est de la Culture, avec majuscule qu'il s'agit : la musique, les marionnettes et surtout le théâtre d'ombres qui sera, pour Fugui, un moyen d'échapper à la tyrannie du régime. Art traditionnel et séculaire, le théâtre constituera, pour lui, un adjuvant. En effet, c'est grâce à cette forme artistique que Fugui parviendra à retrouver une identité, une nouvelle raison d'exister, une forme de rédemption après avoir tout perdu au jeu et avoir été abandonné par sa femme. Ce n'est certes pas un hasard si Zhang Yimou a remis à l'honneur cette forme théâtrale très ancienne qui avait été mise pendant longtemps « au placard » au moment de la Révolution culturelle. Il pousse plus loin le constat en faisant coexister dans un même plan la culture et la réalité historique ; lors d'une scène montrant Fugui manipuler des marionnettes derrière un drap, le cinéaste introduit un plan où une baïonnette transperce le voile blanc du théâtre d'ombres, l'écran devenant le symbole de la réalité historique combinée au fait culturel. Là où dans ses premiers films, Zhang Yimou faisait porter davantage sa mise en scène sur une esthétique proche de la calligraphie ou de la peinture (notamment par la beauté des couleurs de Ju Dou), le réalisateur se tourne, avec Vivre ! vers un cinéma plus réaliste. Sans atteindre le formalisme semi-documentaire de Qui Ju, une femme chinoise. Vivre ! apparaît comme une synthèse esthétique et narrative de ses films précédents. Le cinéaste chinois varie les effets esthétiques et stylistiques en fonction des changements de lieux et d'époque. Lors de la scène de la rupture entre les deux époux, Zhang oppose les plans qui s'appesantissent sur la détresse de Fugui, dans l'ombre rougeâtre d'une ruelle, et les images de Jiazhen, froide et légère, qui s'enfuit en calèche sous une arche grise, dans un ciel bleuté. Il reviendra à des préoccupations essentiellement esthétiques dans son dernier film, Hero. Malgré les drames et la tragédie racontés, Zhang ajoute également quelques touches d'humour grinçant qui n'enlèvent en rien la portée émotionnelle du drame vécu par cette famille chinoise. On retrouve cette part d'ironie aussi bien dans les séquences dites « heureuses » (mariage de Fengxia où les camarades communistes brandissent les portraits à la gloire du « Grand Timonier ») que dans les scènes dramatiques (mort de leurs enfants, délation, etc.). Ce serait presque du cinéma burlesque ! La tragédie se confond avec l'absurde, le pathétique côtoie le sensible, le risible. Vivre ! constitue l'inverse des films de propagande qui glorifiaient, déifiaient le régime maoïste en mettant en évidence la collectivité et les masses populaires. Zhang Yimou rejoint les préoccupations des cinéastes de la « cinquième génération » qui, à l'instar des westerns américains, éprouvent le besoin de revisiter l'Histoire de leur pays, non pas pour l'ériger au rang de mythe fondateur ou en tant que symbole de gloire nationale, comme ce fut trop souvent le cas aux Etats-Unis, mais simplement pour se souvenir de la vie telle qu'elle fut dans le passé. Malheureusement, l'aventure de Zhang Yimou à Cannes nous fait dire que la Chine n'a toujours pas tiré un trait sur ses vieux démons. La situation des réalisateurs chinois soumis à une nouvelle forme de dictature de la part du Bureau du cinéma semble le prouver. http://www.objectif-cinema.com/analyses/190a.php © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 14 BALZAC ET LA PETITE TAILLEUSE CHINOISE 1. Générique Un film de Dai Sijie, France 2002, 1h46 Scénario : Dai Sijie et Nathalie Perron, d’après Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, de Dai Sijie, Gallimard, 2000 avec Zhou Xun : la Petite Tailleuse Chen Kun : Luo Liu Ye : Ma Cong Zhijun : le Vieux Tailleur Wang Shuangbao : le Chef du Village Wang Hongwei : Le Binoclard 2. Synopsis Dans les années 70, deux jeunes garçons chinois sont envoyés en camp de rééducation, sous prétexte qu'ils sont les fils d'intellectuels bourgeois. Ma, le narrateur, et son ami Luo, fils d'un dentiste qui a observé de trop près les dents de Mao. Les paysans locaux sont chargés de les éduquer à la vie saine et rurale. Mais le Binoclard, un compagnon de la montagne du Phénix, bouleverse leur vie : il possède le bien le plus précieux dans ce village isolé, une valise remplie de romans occidentaux. Naît alors entre eux le plaisir de dérober ces romans interdits, de les lire et de s'en servir pour courtiser une jeune fille, la « Petite Tailleuse chinoise », fille d'un tailleur rencontrée dans la montagne. La traduction chinoise de Balzac va bouleverser leur vie, brisant la routine quotidienne et le désespoir de leur nouvelle condition. Dès lors, ils n'ont d'autre but que d'ouvrir, par le biais de la littérature et de leur violon, les portes d'un monde imaginaire. Luo s'éprend de la Petite Tailleuse. Ma et Luo vont lui apprendre à lire. 3. Le réalisateur Né le 2 mars 1954 à Putian en Chine dans la province de Fujian, Dai Sijie poursuit ses études jusqu’à l’âge de douze ans, ou plus véritablement jusqu’au début de la révolution culturelle, en 1966. De 1971 à 1974, ce fils de médecin est envoyé en camp de réeducation scolaire dans une montagne de Sichuan. Il est en effet perçu comme un « intellectuel bourgeois » et ses parents déclarés « ennemis du peuple » sont emprisonnés pendant la Révolution Culturelle. Il retourne au lycée jusqu’en 1976, puis s’engage dans des études d’art à l’Université avant de venir en France en 1984. il bénéficie d’une bourse d’étude, de cours de français intensifs et peut ainsi intégrer l’IDHEC, l’Institut des hautes études cinématographiques, à Bordeaux. L’occasion est venue pour lui de découvrir la littérature et le cinéma censurés dans son pays natal. Il passe alors derrière la caméra, et produit de multiples courts métrages, dont Le Temple de la montagne, en 1984, Le rouge et le blanc, en 1985, Le roi de toutes les douleurs, en 1985. Il retourne en Chine en 1989 et réalise Chine, ma douleur, salué par le prix Jean Vigo et présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Le tournage a lieu en France, dans les © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 15 Pyrénées; Sijie utilise ses souvenirs personnels pour raconter les aventures d'un garçon de treize ans envoyé dans un camp de rééducation. En 1994, Le Mangeur de Lune, conte asiatique et russe reçoit le prix spécial du jury au festival de Prague. En 1998, il réalise un conte asiatique, Tang le Onzième, troisième long-métrage. L'adaptation de son roman Balzac et la Petite Tailleuse chinoise est tournée dans les montagnes de Zhangjiajie, en Chine. Il réalise en 2005 Les Filles du Botaniste, une histoire d'amour entre deux femmes; le film a été tourné au Vietnam. Bibliographie : - Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, Gallimard, 2000. - Le Complexe de Di, Gallimard, 2003. - Par une nuit où la lune ne s’est pas levée, Gallimard, 2007. Filmographie : - Chine, ma douleur, 1989. - Le mangeur de Lune, 1994. - Tang, le Onzième, 1998. - Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, 2002. - Les Filles du Botaniste, 2005. Approches du film 1. Le découpage séquentiel Séquence Plans 1 6 2 3 52 18 Time code Espace Contenu 00mn25 à Ext. Générique. 1971. Arrivée des deux rééduqués 1mn55 par un escalier escarpé taillé dans le roc. Village en haut de la montagne du Phénix 1mn55 à Ext. Le chef interpelle Luo sur son père, dentiste 7mn31 réactionnaire. Int. Les contenus des malles. Le « livre de recette » ; Le chef met en garde les garçons. Int. Le violon. « Mozart pense au Président Mao ». 7mn31 à Ext. 10mn51 Int. Ext. Ext. Ext. Ma et Luo découvrent la cabane où ils vont séjourner, peut-être toute leur vie. Il y a une porcherie en-dessous. Le réveil va révolutionner le village. Ma et Luo transportent des seaux d’excréments. Voix off de Ma qui parle d’un missionnaire français et des mines de cuivre. Le chef réprimande les rééduqués. Luo demande à un homme où se trouve la source © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 16 des Trois Ciseaux. Il a appris que les filles vont s’y baigner. 4 25 10mn51 à Ext. 12mn57 5 32 12mn57 à Int. 15mn09 Int. 6 40 15mn09 à Int. 19mn26 7 33 19mn26 à Int. 21mn43 Ext. 8 12 21mn43 à Ext. 22mn50 Ext. 9 29 22mn50 Ext. à 26mn15 Ext. 10 110 26mn15 Ext. à 40mn27 Ext. Ext. Ext. Les garçons observent les filles qui se baignent. Luo glisse dans une cavité. Cortège du Vieux Tailleur. Au village. Le Tailleur dit au chef qu’il a déjà vu un violon. Sa petite-fille pose des questions sur le père de Luo et interroge Ma sur le coq dans le réveil. Luo dit à Ma qu’il n’a pas envie de connaître son vrai nom. Le réveil n’est plus là… Chez la Petite Tailleuse. Les filles ont démonté le réveil. Discussion sur la vie en ville, au-delà de la montagne. Elle dit ne pas savoir lire mais refuse des leçons. Elle offre un avion miniature à Luo. Salle du village. Fête du Comité directeur de la commune en l’honneur d’un rééduqué qui prend la parole. Le chef intervient pour souligner son exemplarité. Ma et Luo invitent la jeune fille à manger le dimanche. Elle refuse car va aux sources chaudes avec les filles. Le chef décide d’envoyer les rééduqués en ville pour y voir un film nord-coréen. Ils seront chargés de raconter l’histoire aux villageois. Rencontre avec le tailleur en chemin. Ils demandent d’avertir sa petite fille. Accès de délire du Tailleur « Le violon !…le violon ! » Ma et Luo arrivent en ville. Ils se ruent sur un plat de nourriture, puis vont au cinéma assister à la séance de cinéma. Au village, la veillée. Le récit avec effets spéciaux. Ma et Luo parlent de la Révolution culturelle avec la jeune fille. Elle veut entendre un récit étranger. Elle évoque la valise de livres du Binoclard. Le Binoclard aux champs. Il perd ses lunettes. Ma et Luo les lui retrouvent. Ils demandent s’il a des livres. Il répond qu’il a tout jeté. Ma, Luo et la Petite Tailleuse poursuivent leur balade, vers le petit cimetière. Ma préfère faire griller des patates douces. Arrivée de la mère du Binoclard. Son fils va repartir, engagé par une revue littéraire. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 17 Int. Le trio monte un plan pour avoir les livres avant le départ du Binoclard ; ils vont les voler. Ext. La fête en l’honneur du Binoclard. Il a bu du sang de buffle. Les filles font un spectacle de danse pour lui. Ma et Luo fouille son habitation et trouve la valise de livres. Le serment de « transformer la Petite Tailleuse ». Mais ce ne sont que des livres révolutionnaires… Le Binoclard est malade, il rentre chez lui avec sa mère. Elle voit la valise ouverte ; son fils lui dit qu’il a bien caché les romans étrangers. Les filles ont terminé le spectacle. On les applaudit. Int. Ext. Int. Ext. Int. Int. Ext. Int. 11 31 Int. Ext. Ma termine à l’aube la lecture d’Ursule Mirouët. 40mn27 Int. à 45mn08 Ext. Au travail dans la mine. Luo est malade. Le palu. Après l’avoir plongé dans les eaux du lac, le chef le fouette avec une branche. Arrivée de la Petite Tailleuse qui prend le relais. Travail à la mine. Luo va mieux. Int. 12 29 Pris de convulsions, le binoclard sort de chez lui, suivi de sa mère. Ma et Luo volent la valise de livres défendus. A la cabane. Ils regardent les livres avec la jeune fille. Balzac, Gogol, Stendhal, Dostoïevski, Kipling, Le rêve du Pavillon rouge. Ils vont cacher les livres dans une grotte. 45mn08 à 48m15 Ext. Au cinéma avec la jeune fille. C’est le même film qui passe. Ext. Le récit au village. L’invention : l’Albanie, Ursule Mirouët, Balzac. 13 1 48mn15 à Int. 48mn20 Travail épuisant à la mine. Astuce des aiguilles du réveil. Il sonne plus tôt. 14 56 48mn20 Int. à 57mn30 Chez elle, la Petite Tailleuse refuse d’essayer une veste confectionnée par son grand-père. Int. Luo, de mauvaise humeur, fume. Le Tailleur a brûlé Le Père Goriot qu’il lisait à la jeune fille. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 18 Ext. Corvée du matin, les seaux d’excréments. Un seau est renversé, ils ramassent tout à la main. Int. Luo et la jeune fille dans la grotte, ils lisent Balzac. Arrivée de Ma qui annonce la venue du Tailleur au village. Il s’installe chez les rééduqués, malgré l’inconfort. Confidence :sa petite-fille a changé. Flash back du soutien-gorge qu’elle s’est confectionnée. Le grand-père a peur qu’elle veuille changer de vie. Le chef revient de la ville où il a été soigné par un dentiste révolutionnaire qui ne lui a pas arraché la dent malade ! Il souffre. Le Tailleur demande aux rééduqués de lui raconter une histoire. Ce sera Le comte de Monte-Cristo. Il écoute pendant 9 nuits et taille des vêtements inspirés des histoires. Une nuit. Le chef survient et entend l’histoire. Il dit qu’il oubliera ce qu’il a entendu si Luo soigne sa dent. Le tailleur va chercher sa petite-fille pour qu’elle assiste Luo. Ext. Int. Ext. Int. 15 91 57mn30 à Int. 1h04mn15 Ext. Int. Ext. 16 3 17 76 1h04mn15 Ext. à 1h04mn 24 1h04mn24 Ext. à Int. 1h11mn45 Ext. Ext. Ext. L’épisode de la dent arrachée avec le mécanisme de la machine à coudre. La séance de « torture ». Luo coule de l’étain dans la dent. Le lendemain. « Docteur Luo ». Une foule de gens chargés de cadeaux attendent pour se faire soigner. Voix off de Ma. Il a copié des passages de livres dans sa veste de mouton. Eboulement à la mine. Le chef est blessé. La vie change pendant un mois. Ma rencontre un vieux meunier qui chante des chansons licencieuses, en jouant d’un instrument à cordes. Ma ne comprend pas l’énigme du chant et fait rire le meunier. Pendant ce temps, Luo et la Petite Tailleuse connaissent l’amour charnel. Scène du torrent. Luo annonce son départ pour deux mois car son père est malade. La jeune fille plonge pour trouver une tortue molle qui peut le guérir. Luo demande à Ma de veiller sur la jeune fille. Morsure de la tortue. Luo serre le garrot tandis que Ma aspire le venin. Le camion qui emporte Luo quitte le village. La Petite Tailleuse court derrière, et lui dit qu’elle a des problèmes. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 19 18 35 1h11mn45 Ext. à 1h16mn18 Ext. Int. 19 22 1h16mn18 Ext. à Int. 1h20mn06 20 34 1h20mn06 Int. à Ext. 1h24mn05 Ext. 21 7 1h24mn05 Ext. à Int. 1h25mn02 22 68 1h25mn02 Int. à 1h36mn20 Int. Int. Ext. Int. Ext. Ext. Int. Int. 23 22 1h36mn20 Ext. à 1h40mn58 Ma lit Madame Bovary à la jeune fille. Il de voit dans le rôle du mari, des amants. Ma se fait agresser verbalement et physiquement par des jeunes, jaloux. Ils lui prennent son livre, mais Ma s’en tire. La Petite Tailleuse annonce qu’elle est enceinte. La loi interdit l’avortement et le mariage avant 25 ans. En ville. A l’hôpital. Ma rencontre un gynécologue, ami de son père. Il lui promet un roman français. L’intervention se fera au village. Pendant l’intervention, pour camoufler les cris de douleur, Ma joue du violon à l’extérieur. « Le Lac des cygnes » quand le chef arrive. La Petite Tailleuse dit qu’elle est autre maintenant. Ils vont en ville. Ma a vendu son violon et lui donne de l’argent. Retour de Luo. Tous trois vont fêter l’anniversaire du Tailleur. Moment convivial. Ma et Luo discutent, sont fiers d’avoir sorti la jeune fille de son ignorance. Ma, en voix off. Prolepse. 15 ans après. Violoniste en France. Chez lui. Informations sur la Chine à la TV. Le barrage hydroélectrique qui va inonder les villages de la montagne du Phénix. Ma décide de partir pour la Chine. Il achète une bouteille de parfum à l’aéroport pour la Petite Tailleuse. Il retourne à la cabane où il a vécu de 1971 à 1974. Jour de la fête des Esprits. Cérémonie. Des centaines de petits bateaux en papier illuminés flottent sur le lac. Il cherche dans le lac une trace de la jeune fille. Ma rend visite à Luo, resté en Chine Rencontre avec sa femme et son fils. Luo est une sommité dans le pays. Les deux hommes regardent la vidéo tournée par Ma au village. Ils revoient le chef, le réveil, le vieux meunier. Emotion au moment de la grotte aux livres. Flash Back. Le Tailleur affolé arrive chez les rééduqués : sa petite-fille est partie tenter sa chance dans une grande ville. Les garçons la retrouvent sur le chemin escarpé. Elle justifie © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 20 son départ par les propos de Balzac sur la beauté des femmes. 24 14 1h40mn58 Int. à 1H46 Int. Retour dans le présent. Luo dit qu’il est parti à sa recherche en 1982. En vain. Evocation de leur amour à tous les deux pour la jeune fille. Générique. La cabane remplie d’eau. La Tailleuse, Luo et Ma flottent à l’intérieur. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 21 2. Quelques éléments d’analyse cinématographique a) la structure Elle est facile à repérer : 1. L’arrivée dans les montagnes. Le début de la rééducation. 2. La rencontre avec la jeune fille et les livres 3. Le départ de Luo. L’avortement 4. Le départ de la Petite Tailleuse 5. L’épilogue Ce sont les évènements venant perturber l’équilibre narratifs qui sont tout naturellement les articulations du film. On notera que les séquences du films sont ponctuées de courtes scènes qui montrent les corvées, la rudesse du travail (à la mine, dans les champs). Le parti pris du réalisateur consiste donc à faire figurer au premier plan les aventures romanesques du trio, reléguant à l’arrière-plan le réalisme du contexte historique et politique. N’oublions pas que Sijie est lui-même un rééduqué…Il a donc choisi d’utiliser la Révolution culturelle comme toile de fond. b) une adaptation de son propre roman . Balzac et la Petite Tailleuse chinoise est l'adaptation du roman du même nom. Dai Sijie a choisi d'écrire un roman semi-autobiographique, qu’il a adapté lui-même pour le cinéma. L’ensemble est globalement fidèle au livre, ce qui est prévisible dans la mesure où écrivain et réalisateur sont une seule et même personne. Néanmoins, les écarts sont nombreux, et, sans juger du bien fondé des choix opérés pour l’adaptation filmique, on soulignera surtout l’intérêt de proposer aux élèves le roman à lire. Très complémentaires l’un de l’autre, roman et film mettent à jour des questionnements intéressants tant du point de vue esthétiques que politiques. Les divergences sont nombreuses ; parmi celles-ci, on remarquera : - le contenu de la valise. Il varie dans le film. En effet, les autorités chinoises pont souhaité que le réalisateur valorise la littérature orientale et non la littérature occidentale. On voit ainsi apparaître un classique chinois, Le Rêve dans le Pavillon Rouge. - Les figures de l’autorité sont édulcorées. Là où, dans le roman, Sijie insiste sur le grotesque et le ridicule de l’application du communisme dans les faits, il adoucit le personnage du chef dans le film. - Le dénouement. Rappelons que les autorités chinoises ont censuré le roman, et que pour que le film se tourne dans le splendide site du nord ouest de la province du Hunan, les montagnes de Zhangjiajie, Sijie a dû faire quelques concessions. Ainsi la prolepse qui projette le spectateur vingt ans plus tard dans le film. L’épilogue se clôt sur lui-même dans un souci de cohérence : écho au violon du début avec l’itinéraire de Ma devenu violoniste pour l’orchestre de Lyon ; retrouvailles des garçons qui éprouvent le besoin de convoquer les souvenirs du passé dans la montagne du Phénix. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 22 DEUX FILMS POUR UN THEME 1. Les protagonistes et les lieux 1. Les personnages masculins Les personnages masculins des deux films n’ont pas grand chose en commun, si ce n’est leur origine sociale : ils sont tous les trois issus d’un milieu bourgeois. Cependant, Fugui se démarque de Ma et Luo par son manque de culture bourgeoise, il ne sait jouer que des dés et on ne le voit jamais faire référence à une culture quelconque, mis à part celle du théâtre d’ombres mais qui est, in fine, plutôt populaire. Alors que les deux jeunes rééduqués lisent de la littérature étrangère et jouent des grands classiques occidentaux au violon. Fugui, que l’on suit sur quarante ans de sa vie, est présenté d’abord comme un jeune homme désabusé et gâté par la vie d’opulence et d’ennui de l’enfant riche. Ayant perdu toute la fortune familiale aux dés et abandonné par sa femme, il va être obligé de changer radicalement d’attitude face à la vie. On passe alors d’un jeune homme imbus de lui-même et peu respectueux des autres (voir la manière dont il parle à sa femme et à son père), à un homme forcé de mûrir vite au contact des différents événements plus ou moins tragiques qui vont façonner sa vie. Il devient donc respectueux, à la limite de l’obséquiosité avec ceux qui lui semblent supérieurs à lui, comme avec Long’er quand il vient lui demander de l’argent, il se met à épauler sa femme et à la voir comme la chance de sa vie et il fait face avec courage et simplicité aux aléas de l’existence… Il n’y a aucune révolte chez ce personnage, juste un peu lorsqu’il apprend que c’est son ancien compagnon de guerre Chunsheng qui a tué son fils Youquin. Il prend sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive et va même jusqu’à s’accuser de tous les maux de sa famille : ainsi c’est de sa faute si Youquin est mort, car il avait insisté pour qu’il aille à l’école poursuivre l’effort pour produire l’acier, alors que l’enfant était épuisé ; et c’est aussi de sa faute si sa fille est morte car c’est lui qui avait donné trop de petits pains à l’obstétricien et trop d’eau, ce qui l’a rendu malade et l’a empêché de s’occuper de Fengxia… A aucun moment, il n’incrimine le gouvernement de Mao et ses décisions politiques insensées, comme faire travailler des enfants continuellement ou faire faire à de jeunes infirmières inexpérimentées le travail de spécialistes alors jugés pour trahison… Zhang Yimou laisse au spectateur le soin de départager les responsabilités de chacun, et l’on voit bien pourquoi le gouvernement chinois ne l’a pas laissé aller au Festival de Cannes pour recevoir son prix… Les deux lycéens de Dai Sijie nous sont « livrés » que pour une courte durée : quelques mois de leur existence, au moment de leur rééducation, et un peu de leur vie d’adulte, quinze ans plus tard, au moment des regrets et de l’épilogue. Ma (ou Dai), le joueur de violon, est facilement identifiable car il est souvent habillé en rouge (élément visuel facile à faire relever aux élèves) et il est moins joli garçon que son camarade Luo. Il est aussi un peu timide, plutôt introverti et secret. Cependant, c’est lui qui devra faire face à l’avortement de la petite tailleuse, en l’absence de Luo qui pourtant est responsable de cet état de fait. Pour elle, il vendra son violon et amadouera le grand-père de la jeune fille en lui racontant le Comte de Montecristo afin de permettre à ses amis de vivre leur amour paisiblement. C’est lui qui revient dans le petit village, avant que celui-ci ne soit noyé sous les eaux, pour chercher la jeune fille de leur jeunesse, mais en vain. C’est le fidèle, celui qui cache son amour pour l’amoureuse de son ami, celui qui aime différemment. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 23 Luo, c’est le beau gosse, beau parleur. Il est en bleu. C’est lui qui sauve le violon de son ami à leur arrivée dans le village, alors que le chef veut le brûler. C’est lui qui veut aller voir les filles qui se baignent dans les sources d’eau chaude, c’est lui qui raconte le film coréen aux villageois, c’est lui encore qui vole la mallette des livres au binoclard, c’est lui qui veut transformer la petite tailleuse en une femme cultivée… Il est à l’initiative du mouvement, de la vie (sic), il avance et profite même de ses faiblesses comme l’épisode de paludisme pour conquérir ouvertement la jolie tailleuse. On l’a vite compris (et c’est peut-être une des faiblesse du film, cette facilité à tomber dans le lieu commun alors que l’on traite d’un sujet précis et complexe comme la rééducation des jeunes bourgeois chinois lors de la Révolution culturelle), ces deux garçons sont complémentaires, et chacun pourra s’y reconnaître… Finalement, dans le film de Dai Sijie, l’amitié est renforcée par le contexte historique du communisme ; puisque l’on comprend à la fin du film, lors des retrouvailles des deux héros, que c’est la suite des événements qui les a séparés. Ma est parti en Europe comme violoniste et Luo est resté en Chine comme dentiste. Alors que dans Vivre ! , c’est le contraire qui a lieu pour Fugui et son compagnon de guerre Chunsheng : la guerre (forcée) aux côtés de l’armée nationaliste les a rapprochés, puis ils se sont retrouvés lors du Grand bon en avant, mais dans des circonstances tragiques (mort de Youquin) qui les éloignent l’un de l’autre, ce que confirmera la Révolution culturelle, des années plus tard, quand Chunsheng sera accusé de capitalisme et de trahison, et que Fugui devra marquer encore plus ses distances avec son ancien compagnon. On peut finir cette réflexion sur les personnages masculins par un regard sur les deux chefs de ces films. Que ce soit dans Vivre ! ou dans Balzac et la petite tailleuse chinoise, que ce soit le chef du quartier dans l’un ou le chef du village dans l’autre, ces deux personnages sont assez comparables. L’un comme l’autre sont plutôt des figures positives, même si celui de Luo et Ma est au départ un peu menaçant par son ignorance et la conscience de son importance de chef. Ils accompagnent les héros dans leur évolution et acquiert une dimension sympathique, surtout pour celui de Vivre ! puisqu’il sera à son tour victime de régime communiste. Ils incarnent certes le contrôle social et permanent mis en place par le régime de Mao, mais un contrôle à visage humain. 2. Les figures féminines a) Les figures principales : Elles sont porteuses de symboliques fortes, dans les deux films. Elles sont incarnées par des actrices connues de l'univers cinématographique chinois : Zhou Xun (la Petite Tailleuse), et Gong Li (l'épouse, la mère). Le personnage de Jiazhen (Gong Li) : Mère Courage Superbe épouse de Fugui, elle accompagne le héros tout au long des époques que traverse le film, soit une trentaine d’années. Autant d’épisodes douloureux : la faillite, la guerre, le Grand Bond en avant, le drame de la perte de leurs deux enfants. Jiazhen est un personnage à la fois fragile et d’une force incroyable. Sa décision de quitter son mari et d’emporter sa fille avec elle pour dire sa désapprobation des agissements de Fugui montre bien son autorité. Parée d’élégance et de détermination, elle quitte dignement le tripot à l’origine leur faillite. On va ensuite la suivre dans son destin de Mère Courage. Elle pardonne au père de ses enfants ses © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 24 erreurs, et vit le collectivisme prôné par le régime communiste sans se plaindre. Jusqu’au jour où tout bascule, où son fils, réquisitionné dès l’enfance pour travailler, meurt accidentellement. Si le personnage féminin plonge dans la douleur de la perte et le ressentiment, elle n’en garde pas moins une force qui saura lui permettre de jouer son rôle au sein de sa famille. Y compris après la mort de sa fille en couches…Elle sait encore trouver le désir de vivre pour élever son petit-fils, transmettre des valeurs individuelles. Unique dans son histoire d’amour et dans son destin de femme dans la Chine maoïste, elle défie les dérives du communisme chinois. Le personnage de La Petite Tailleuse (Zhou Xun) : Une héroïne shakespearienne La Petite Tailleuse chinoise fait figure de blason, de princesse de la montagne du Phénix du ciel. Elle est très belle. Elle incarne le joyau naturel, la pierre précieuse que l'on trouve dans la nature. Son grand-père, le Tailleur fait lui figure de roi dans cet univers rural. C’est lui qui habille les femmes de part et d’autre de la montagne et il est traité comme un seigneur. A ce titre, il semble normal que la Petite Tailleuse devienne la princesse du conte de nos deux héros… C’est cependant un personnage complexe, qui ne se laisse pas saisir facilement. Filmée très souvent en gros plan, l’actrice montre par un jeu expressif la curiosité qui caractérise le personnage. Sa rencontre avec les deux rééduqués est traversée par l’amitié, l’amour, la sensualité, l’éducation, l’éveil intellectuel, le plaisir. Elle avoue très tôt qu’elle ne sait pas lire, mais elle vient d’un milieu cultivé ; sa mère était la seule institutrice dans la montagne. La Petite Tailleuse, méfiante, a conscience des ses manques mais prend son temps pour rencontrer les deux garçons et accepter leur initiation. Elle prend une nouvelle dimension après le départ de Luo, et l’avortement organisé par Ma pour l’aider. Elle a choisi de renverser les barrières culturelles et de changer de vie. Lorsqu’elle quitte la montagne, sur le même sentier à flanc de falaise que dans la scène inaugurale, elle accomplit un rite de passage. A l’image de sa nouvelle apparence, ses cheveux coupés, et sa tenue occidentale, elle s’émancipe et laisse les deux garçons derrière elle. Elle a découvert la lecture, la littérature, la calligraphie. L’aventure prend les allures d’un drame lorsqu’on apprend que la jeune fille est enceinte, en raison des lois chinoises sur la natalité ; mais le personnage prend une toute autre dimension, tragique cette fois, en allant au bout de sa métamorphose, et en choisissant de mourir (de façon symbolique) à son ancienne vie. Les deux garçons n’avaient pas pris la mesure de sa détermination. Elle ira jouer son destin ailleurs, les laissant dans l’incompréhension de son départ. b) Les figures secondaires : Vivre! , des générations de femmes : - la mère du héros, la grand-mère : Elle représente les traditions, les rites en matière d’organisation familiale. Elle vivra avec ses enfants et ses petitsenfants qui s’occuperont d’elle jusqu’à la fin de sa vie. - la fille des protagonistes : Elle est une héroïne tragique. Muette depuis l’enfance, elle ressemble à sa mère dans le sens où elle accepte la fatalité de sa vie. Néanmoins, elle semble fragile et n’existera que protégée par ses parents, son petit frère, ou son époux par la suite. C’est une libération pour Fengui et Jiazhen lorsqu’un homme accepte de l’épouser, même si le mariage et le départ de la maison semble être une déchirure pour la jeune fille. Mère à son © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 25 tour, elle meurt sans pouvoir exprimer sa douleur, en mettant au monde son fils. - les femmes médecins : Elles représentent l’absurdité politique des décisions prises à la fin des années 60. Les intellectuels, les scientifiques, ont été écartés du pouvoir. Purges, goulags, exécutions. La Chine s’est vue ainsi privée de savoir-faire fondamentaux. Le film montre le résultat de l’absence d’expérience en même temps que le refus de la tradition, des anciens qualifiés de « réactionnaires ». Les jeunes femmes médecins de l’hôpital sont des soldats de Mao, directives et endoctrinées, mais totalement désemparées face à la complication médicale de Fengxia. Balzac : Il n’y pas grand-chose à dire sur le sujet tellement la présence de la Petite Tailleuse occupe le film. On notera cependant le groupe de jeunes filles qui accompagnent la petite Tailleuse. Coquettes, elles se réjouissent de profiter des créations du Vieux Tailleur inspirés du roman de Dumas. Elles sont gaies, naïves. Elles batifolent dans l’eau et se moquent des garçons. Elles aiment se laisser bercer par les histoires sans pour autant y placer une raison de vivre. Enfin, l'épouse de Luo, dans l'épilogue. Elle est une pâle figure comparée à la Petite Tailleuse. Emblème de la Chine du progrès, elle résume avec fierté en quelques mots la réussite sociale et professionnelle de Luo, devenu grand médecin à Shanghai. 3. Les lieux a) la campagne chinoise Vivre !place principalement son intrigue dans la ville, aussi a-t-on un très petit aperçu des campagnes. Ce que l’on en voit, ce sont des plans larges, des décors de champ de bataille, les longs convois militaires encadrés par l’armée nationaliste du Guomindang, filmés en plans d’ensemble. Paysages désertiques, grandes plaines sèches, montagnes au loin. Canons, fusils, camions. C’est l’hiver, rude, les soldats surveillent les manœuvres des hommes dans les tranchées. Yimou utilise le paysage comme un espace hors contexte par rapport à l’ensemble du film, un véritable hors-champ visuel, qui tire davantage du côté du décor de théâtre que de la reconstitution réaliste d’un épisode historique. On voit surtout dans cet extérieur beaucoup d’hommes, ils envahissent l’espace, saturent le cadre. L’horizon est totalement bouché par la machine de guerre. Cette séquence est marquée par l’horreur des combats, le très grand nombre de blessés, des conditions climatiques éprouvantes (neige, très basses températures). L’espace n’est que le prétexte à dire l’horreur et l’absurdité de la guerre. La séquence s’achève sur l’assaut des communistes en arrière plan, et la fuite du héros et de son ami dans un paysage hostile. Le décor est le prétexte à montrer la supériorité des communistes. Les seules images de la campagne que l’on verra par la suite mettent en scène les personnages © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 26 allant se recueillir sur les cendres de leurs deux enfants. Il s’agit d’un simple décor naturel, au climat aride, qui renvoie à la rudesse des conditions de vie en Chine. La campagne est en revanche omniprésente et joue un rôle narratif dans Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, à travers la vie dans les montagnes. Les deux rééduqués sont littéralement enfermés par la barrière des montagnes, les accès sont périlleux pour retourner dans les villes. On constatera que la photo est très belle dans le film de Dai Sijie. Les lieux sont chargés d’une dimension poétique, et paradoxalement, ils sont également le cadre du centre de rééducation maoïste. Ce qui paraît être pour Luo et Ma une nécropole, un lieu d’anéantissement moral, va devenir une source d’ivresse, le cadre de l’initiation à l’amour et à la culture. L’élément liquide est très présent dans le film. L’apparition de la jeune fille a lieu lors du bain, dans la source. La relation charnelle qui l’unit à Luo se passe dans le torrent. Les deux protagonistes sont enlacés dans l’eau, jouent avec les éléments naturels, comme la Petite Tailleuse chinoise qui se pare d’une tenue végétale pour cacher sa nudité au sortir de l’eau. Sijie utilise par ailleurs des symboles forts : la mine de cuivre, la dureté du labeur, les seaux d’excréments, sont filmés de façon à rendre l’atmosphère étouffante et inhumaine. Le spectateur prend conscience de la pauvreté des campagnes chinoises à travers l’aspect rudimentaire des maisons, du mobilier. Le choix du cadre est toujours significatif : plans très serrés quand il s’agit de montrer les visages, les émotions ; plans larges et plans d’ensemble pour ouvrir l’horizon, donner de la liberté aux héros, à l’imagination et à la pensée. Si donc la nature semble hostile au premier abord, elle deviendra pour les deux rééduqués l’espace de l’initiation amoureuse, culturelle ; le divertissement qui leur permet de se résigner à cet univers carcéral. Sijie joue de cette ambivalence : des lieux beaux et sacrés, tour à tour synonyme de prison ou d’exaltation. Dans l’épilogue du film, Sijie fait explicitement référence, par des images d’archives documentaires, au barrage hydroélectrique des Trois Gorges, construction pharaonique entreprise en 1994 et achevée en 2006. C’est en 2009 qu’il est totalement opérationnel ; il a nécessité de dévier le fleuve Chang Jiang et d’engloutir des villages entiers qui ont disparu sous les eaux. A travers les images de la vidéo de Ma, on assiste à la fin d’un paysage ancestral, à la réalisation pratique d’une idéologie gouvernementale. b) la ville et le quartier Les deux films ne donnent pas à voir la ville chinoise telle qu’un occidental peut se l’imaginer, immense, poussiéreuse et surtout grouillante de population à pied ou en vélo… On ne voit en effet que des bout de villes, et en plus ce sont des petites villes de province. Il y a quelques scènes de foule, comme celle de la projection du film coréen dans le film de Dai Sijie, ou encore celle du procès de Long’er dans celui de Zhang Yimou, mais elles sont fugaces, et pour le deuxième filmée en plan large, ou en plan moyen, ce qui en réduit la portée en tant que telle. La ville est plutôt symbolisée par des rues étroites, des constructions en pierres, par opposition de celles en bois dans les villages de campagne. Il y règne une activité commerciale et de propagande (visible surtout dans Vivre !). Autant les lieux sont végétaux et ouverts chez Dai Sijie, autant ils sont minéraux et fermés chez Zhang Yimou. Ce sont les éléments eau et air qui dominent chez l’un, alors que c’est la terre (avec la pierre, la poussière),le feu et le métal (cinquième élément dans la mythologie chinoise) qui sont présents dans l’autre. L’un est ainsi fluide et finalement ouvert (peut-être de manière un peu démonstrative) alors que l’autre est incandescent, tout en portant un message d’espoir mais pudique (ce qui en fait très certainement toute la subtilité). © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 27 Enfin, ce qui est intéressant à étudier dans ce cadre de la ville et du quartier, c’est l’usage de la rue, aboutissant à la cour, comme un chemin rituélique dans le film de Zhang Yimou. Le plan, presque toujours le même, toujours moyen, les éclairages (bleus pour la rue, beiges et gris pour la cour), l’irruption de l’extérieur dans ce qui est une antichambre de l’intérieur, constitue une sorte d’invitation à la réflexion sur ce qui « nous » arrive, sur ce qui ad-vient, sur ce qui va entrer dans notre vie et peut-être la bouleverser… 2. La Chine d’aujourd’hui regarde la Chine d’hier L’épilogue du film Balzac et la Petite Tailleuse chinoise diffère largement de celui du roman. Il ne faut pas oublier que le succès de Sijie réside en partie dans la légèreté avec laquelle il dépeint cette période noire de la Révolution culturelle. Il choisit de ne pas sombrer dans le moralisme et de ne pas faire de réquisitoire contre Mao. C'est un film qui a un arrièreplan politique très marqué, mais qui parle d'une rencontre, d'amour et d'amitié, qui préfère l'humour et l'art, aux réalités difficiles des « laogaï » (bagne, prison). Pourtant l'épilogue du film révèle bien le poids de l'autorité chinoise sur la culture encore de nos jours. Sijie nous projette dans la Chine des années 90; il utilise une ellipse temporelle, on retrouve les deux héros vingt ans après. L'un est un célèbre violoniste, l'autre un médecin réputé. Cette fin, absente du roman, montre la Chine sous un jour plus optimiste, comme un Empire qui a dépassé la paralysie intellectuelle imposée par Mao. Il semblerait que ce saut temporel ait été le fruit d'une entente entre la Chine et l'auteur, pour que le tournage puisse avoir lieu...On voit ainsi la Chine inscrite dans la modernité, en plein essor, fructueuse et moderne, soucieuse de ses richesses naturelles et de l'avenir (le barrage des Trois Gorges), médecine de pointe à Shanghai, peut-être afin de compenser la triste réalité de l'histoire. Les deux hommes sont en train de regarder la vidéo tournée par Ma dans les hameaux de la Montagne du Phénix du ciel. Les souvenirs et les émotions remontent avec les images. C'est la première fois que les garçons mettent des mots sur l'amour qu'ils éprouvaient pour la jeune fille. Il est intéressant de travailler cette séquence finale avec les élèves, au regard de l'ensemble du film et de la fin du roman. Concernant l'aspect géopolitique, on examinera de près comment le réalisateur donne une dimension idéalisée, voir nostalgique, à ces lieux amenés à disparaître par l'inondation occasionnée par la construction du barrage hydraulique. C'est à la fois leur passé qui va disparaître, quatre années passées ensemble, et un endroit millénaire qui va être rayé de la carte. L'inondation des villages de la montagne du Phénix du Ciel (dernière image du film : plan fantasmatique dans la cabane où l'eau monte, objets symboliques -machine à coudre, flacon de parfum- Ma, Luo et la Petite Tailleuse flottent comme suspendus dans l'eau) est une réalité que Dai Sijie choisit d'associer à la symbolique d'un achèvement. Nostalgie, tristesse d'un amour perdu. Par conséquent, il est pertinent de réfléchir sur le regard que portent Ma et Luo, devenus adultes, sur cette période de leur vie, et, avec le recul, quel relief prend la Révolution culturelle. Pour Zhang Yimou, le fait de regarder en arrière et de faire un film sur le passé communiste de la Chine n’a rien d’exceptionnel. Il en convient d’ailleurs avec modestie dans l’interview qu’il a accordée pour le livret du Festival de Cannée (Opus cit. plus haut). Ce qui compte pour lui, c’est l’angle d’attaque. Il a choisi de montrer les périples d’une famille chinoise de base, prise dans les tourmentes de l’histoire, avec un regard réaliste, voir parfois minimaliste, mais sans pour autant tomber dans l’aspect documentaire de Qiu Ju, une femme chinoise. Il dit © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 28 clairement qu’il ne veut pas faire de politique, mais malgré tout il précise qu’à cette époque (la Révolution culturelle, notamment), dont il se souvient bien: « La politique était dans notre sang, dans chaque pore de notre peau. […] Les gens voulaient vivre heureux, sans se mêler de politique, mais c’était impossible d’y échapper. Comme le disait Mao : la politique touche l’âme de chacun. » » Enfin, il ne veut pas faire de son film un film engagé : « je ne m’exprime pas en tant que victime, je ne maudis personne. On a déjà trop vu ça au cinéma. J’essaye de dire les choses de façon plus subtile, plus indirecte. » Pour cela, il a utilisé l’humour noir et le sens de l’absurde, comme dans la séquence de l’accouchement de Fengxia. Mais ce choix de mélanger différents registres n’a pas convaincu les autorités chinoise de l’innocuité de ce film et Zhang Yimou n’a pu se rendre à Cannes pour recevoir son prix et Vivre ! est interdit de diffusion en Chine… Il n’est donc pas encore facile pour la Chine d’aujourd’hui de regarder librement la Chine d’hier, surtout quand ce jour d’avant est un peu trop proche de l’ici et maintenant… 3. Analyse de deux séquences clef 1. L’art comme moyen d’évasion dans Balzac et la Petite Tailleuse chinoise On étudiera deux courtes séquences en parallèle : ¾ la séquence 9 : le film vu, le film conté. 3mn25. 29 plans Les deux rééduqués à la ville. Retour à la civilisation pour une soirée. C’est l’occasion pour le spectateur de se familiariser avec la Chine maoïste des villes à travers les tenues vestimentaires des femmes, qui portent la célèbre veste d’ouvrier. Après s’être rués sur un plat de nourriture dans un marché, ils assistent à une séance de cinéma. Le lieu de projection en plein air est comble ; un écran est tendu au milieu d’une place, les deux garçons ont du mal à trouver un endroit pour s’asseoir mais parviennent tant bien que mal à trouver une place pour enfin voir le film. Le plan suivant nous plonge dans le film conté par Luo. Retour au village Dans les montagnes, à la nuit tombée. Une veillée est organisée. Luo raconte le film, pendant que Ma crée des effets spéciaux. Il crée une sorte de soufflet qui répand de la neige artificielle, faite à base de la peau de riz. Les paysans sont émerveillés ; la Petite Tailleuse dit que « la neige des rééduqués est encore plus jolie que la vraie ». Le travelling est coupé par un gros plan sur le visage de la Petite Tailleuse, puis d’autres visages de jeunes filles qui pleurent. On remarque au passage la différence des tenues portées par les amies de la Petite Tailleuse ; elles ont revêtu une robe plus traditionnelle chinoise, colorée et fleurie, elles sont apprêtées, contrairement aux autres femmes en tenue de travail de paysan. Lorsque Luo s’arrête de parler, on peut voir en plongée l’auditoire captivé, les spectateurs le pressant de continuer. Il invoque une pensée douloureuse, sa mère, et c’est Ma qui prend la suite du récit. La séquence se termine par un nouvel insert sur le visage en larmes de la Petite Tailleuse, l’héroïne. Les paroles de Ma sont accompagnées d’un son off, la musique du violon, très récurrente dans le film. Les villageois se mettent à rêver, trouvent dans l’art un moment pour s’évader de leur quotidien, une nouvelle force : celle d’imaginer un ailleurs. Ils sont émus. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 29 ¾ la séquence 12 : 2mn51. 29 plans On est à peu près à la moitié du film. Ma a terminé la lecture du roman de Balzac Ursule Mirouët. Ils ont caché les livres volés au Binoclard dans une grotte. Luo est tombé malade et craint d’avoir attrapé le palu. Lorsqu’il va un peu mieux, les deux garçons et la jeune fille vont au cinéma. La séquence commence sur un travelling filmant de dos le trio en train de regarder le même film nord-coréen. Le cinéma donne à voir du cinéma. Sijie a choisi d’insérer des plans de La Petite Marchande de fleurs. Des plans réalistes qui montrent la rudesse et la gravité des visages, le travail des paysans. Le plan rapproché sur les protagonistes est très porteur de sens : les deux garçons encadrent la jeune fille qui dévoile un visage cette fois très animé, joyeux et curieux. Elle dit : « quand on le voit en vrai, je trouve pas que c’est aussi bien que quand vous le racontez ! » Le gros plan en noir et blanc sur le visage de la jeune fille qui pleure dans le film nord-coréen fait directement écho au plan sur le visage de la Petite Tailleuse au début du film. Ma et Luo craignent que le chef ne les laisse plus aller au cinéma ; ils décident donc de raconter une autre histoire qui se passe en Albanie, le choix d’un pays « grand ami de la Chine », dira le chef. Luo raconte le moment le plus fort, c’est une séance d’hypnose. Le personnage est une femme : « Ursule Mirouët », un nom comme les villageois n’en ont jamais entendu. Il le fait répéter à tout le monde. De même pour « Balzac » », le metteur en scène ! La séquence prête à sourire par le comique de l’imposture. Mais au delà de l’attitude grotesque du chef et de la théâtralité de Luo, la scène peut aussi se lire comme une pirouette à la doctrine de Mao qui sait manipuler les chinois, les « hypnotiser », en quelque sorte. A l’image du choix de la place de la caméra, très près des acteurs, on voit là une population crédule, captivée par un discours, sans aucun recul. Ces courtes séquences nous permettent de constater que la population des montagnes vit encore de façon ancestrale, coupée du monde, à l’image de cette interrogation de la Petite Tailleuse chinoise : « C’est quoi le monde en dehors de cette montagne ? ». Les habitants n’ont jamais vu ni de violon, ni de réveil (réveil bien présent à l’image, à côté du chef ! A la fois trace d’un moment placé sous le signe de la culture mais aussi outil de contrôle pour le chef sur le temps consacré au divertissement); ils ne savent ni lire, ni écrire. C’est donc un véritable échange qui va s établir entre les deux rééduqués et les paysans car si Luo et Ma découvrent un monde dont ils ne soupçonnaient pas l’existence, rude, inculte, les villageois quant à eux vont se laisser séduire par la culture. Ils se laissent émouvoir par la musique du violon de Ma, les histoires racontées. Finalement, la figure occidentale de Mozart, puis celle de Balzac, supplantent celle de Mao. Les deux rééduqués inventent des stratagèmes pour duper le chef, Balzac devenant un auteur de propagande ! Et en fin de compte, les villageois deviennent malgré eux des dissidents. 1. Théâtre d’ombres ¾ Petite histoire du théâtre d’ombres Le théâtre d’ombres est un art populaire très ancien. On pense souvent que la Chine en est le berceau, mais les historiens s’accordent pour dire que c’est plutôt en Inde qu’il aurait vu le jour, puis se serait répandu à la faveur des grandes migrations au Proche Orient, notamment en Turquie. Il a d’abord servi à mettre en scène des éléments religieux comme l’évocation de © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 30 l’âme des morts, mais assez vite il s’est emparé de tous les registres : épique, satirique, politique ou grivois… En Chine, on raconte qu’il remonte à plus de 2000 ans et qu’il vient d’une ruse militaire : un chef de l’armée Han, Liu Bang, se serait retrouvé assiégé par l’armée Chu. Son conseiller, Zhang Liang aurait eu alors l’idée d’ériger en haut des murailles des personnages de cuir pour décourager l’ennemi, ce qui eu lieu, puisque l’armée Chu, croyant devoir faire face à une armée imposante, aurait sonné la retraite… Cet art populaire a toujours connu un grand succès en Chine, surtout dans certaines provinces comme le Shanxi, mais il s’est trouvé fortement mis à mal pendant la Révolution culturelle, comme le montre par ailleurs très bien le film de Zhang Yimou : destruction des marionnettes, persécutions des artistes de ce théâtre alors jugé réactionnaire car ancien et surtout ayant comme support des rois, des reines, des princes et des princesses… Mais certains vieillards avaient gardé en mémoire le savoir-faire deux fois millénaire et ces dernières années, l’étau culturel s’étant relâché un peu, on a pu constater un regain du théâtre d’ombres. Cependant, il est véritablement menacé aujourd’hui par le décès de ceux qui en perpétuaient la mémoire et le désintérêt inexorable que lui manifestent les jeunes générations happées par le cinéma et les nouvelles technologies… ¾ Le théâtre d’ombre dans Vivre ! Choisir de s’attarder sur l’art du théâtre d’ombre tel qu’il est montré dans cet opus de Zhang Yimou n’est pas sans intérêt, puisque c’est un rajout majeur du réalisateur par rapport au roman de Yu Hua. Dans le roman, en effet, Fugui obtient de Long’er un peu de terre en fermage pour pouvoir redémarrer et non un théâtre d’ombres. C’est une idée de son scénariste Lu Wei. Le réalisateur s’exprime sur ce choix dans le numéro de la revue Positif qui lui est en partie consacrée (n°401-402, juillet-Août 1994) dans un entretien accordé à Hubert Niogret : « En faisant du cinéma, j’ai toujours voulu qu’en plus de l’histoire elle-même, des éléments apportent visuellement quelque chose de neuf, aident à faire fonctionner l’histoire. […] les ombres chinoises dans Vivre ! ont cette fonction. ». Il ajoute un peu plus loin : « Enfant, je suis allée voir des spectacles d’ombres, et il m’est arrivé d’en acheter qui n’étaient pas chers pour faire des ombres simples . »Pour le spectateur occidental, en plus de l’aspect « exotique » de cet art, la référence à un art qui se sert d’un écran et de projecteurs de lumière ne peut pas ne pas faire mouche. Il y a une forme d’autoréférentialité à l’œuvre ici, une sorte de réflexion de l’œuvre sur elle-même, de l’art sur lui-même. Ainsi, la baïonnette qui déchire l’écran blanc est une image que l’on n’est pas prêt d’oublier… Il y a plusieurs séquences où l’on retrouve le théâtre d’ombres, en tout 7 ; je n’ai choisi de m’attarder que sur celle qui me semble la plus riche, notamment car c’est celle où il y a la fameuse scène de la baïonnette qui fend l’écran. C’est la séquence n°9. Pour la situer, Fugui vient d’obtenir de Long’er ce qui va lui permettre de nourrir sa famille à nouveau réunie : un théâtre d’ombres. Comme le lui a recommandé son généreux vainqueur au jeu, notre héros a monté une troupe et s’en va par les quartiers et les chemins faire de l’argent en montrant différents spectacles. Cette séquence dure 2mn 43s, compte 21 plans et elle est construite comme un triptyque : les 8 premiers plans sont en son in (musique et chant du théâtre d’ombre) et présentent un montage cut, alors que les 8 plans suivants sont en son off (mélodie récurrente dans le film pour signifier les moments de paix et/ou de joie pour la famille de Fugui) et présentent un montage en fondus enchaînés ; enfin les derniers plans retrouvent un son in (dont le bruit mat © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 31 et agressif de la baïonnette perçant et déchirant le drap-écran) et un montage cut. La boucle semble donc bouclée… Quant au cadrage, comme dans l’ensemble du film, on retrouve surtout des gros plans (11) soit sur Fugui (5), soit sur les figurines du théâtre (5), et des plans moyens (5), notamment sur la troupe en train de jouer, ou en marche. Zhang Yimou explique ce choix dans une interview accordée à Peggy Chiao pour le livret de présentation du film pour le Festival de Cannes de 1994 : Peggy Chia lui parlant de son nouveau directeur de la Photographie « qui semble être un adepte des plans moyens et des gros plans », le réalisateur répond que celui-ci « a un style très simple [qu’]il suit l’histoire et s’adapte à ce qu’elle requiert sans état d’âme, [qu’]il n’y a jamais rien de pompeux dans son travail. » Zhang Yimou parle même d’« un style plus réaliste », avec « une caméra assez fixe […] la plus objective possible, afin de concentrer l’attention du spectateur sur les membres de la famille ». Ce qui est intéressant de souligner ici, c’est que certes les moments de théâtre présentent une dramaturgie quasi documentaire (attention portée sur les musiciens, le chanteur, le montreur de figurines, le plan sur le public dans son ensemble), mais la deuxième partie de la séquence sort de ce « réalisme ». Parce que ce moment du film tend aussi à montrer le temps qui passe (ellipse) grâce notamment au fondu enchaîné, mais aussi la paix retrouvée par la famille grâce à la mélodie du bonheur, ou encore, par ces plans extérieurs, rares dans le film, quand la troupe marche dans la campagne, une vie en mouvement et qui est en train de changer, on bascule vite dans un moment onirique et qui, à la fois, fait émerger l’espoir, mais de surcroît prépare la métaphore finale du déchirement : tout le tempo du film est ici inscrit, ce va-et-vient permanent entre la construction et la déconstruction, entre la vie comme elle va, paisiblement et l’irruption de l’Histoire, l’événement qui va casser, déchirer, détruire l’équilibre précaire mis en place par l’individu. Toute la réflexion du réalisateur sur la tragédie personnelle des individus aux prises avec l’Histoire, sur l’absurde de la vie à cette époque est là, dans ce retour en troisième partie au son in, au montage cut pour buter sur la baïonnette et son annonce tragique : Fugui, même s’il a pris de bonnes résolutions, ne pourra plus compter que sur lui-même pour faire et défaire sa vie et celle de sa famille, il devra compter dorénavant sur les aléas de l’Histoire de son pays… « J’ai essayé d’introduire le sens de l’absurde dans le film. A cette époque, quelles que soient les précautions que vous preniez, vous ne pouviez jamais être à l’abri d’un drame. Le malheur tombait du ciel. […] Je n’ai pas besoin de parler dictature ou totalitarisme. Tout le monde comprend. » (Zhang Yimou, opus cité plus haut). Les paroles en jeu sont, pour leur part, très intéressantes puisqu’elles sont celles des comédies mises en scène par le théâtre d’ombre ; au début, on constate que Fugui parle de tristesse et de la difficulté de retrouver ses anciens amis, une histoire peut-être à l’image du héros, pas encore complètement remis de sa déchéance, et c’est quand il chante l’histoire grivoise de la jeune amante qui veut être prise sur un lit d’ivoire (chanson qu’il avait chantée juste avant sa chute financière pour dette de jeu) que le voile se déchire, que la baïonnette fait son office… On ne peut revenir en arrière dans ce film, le héros doit inexorablement avancer, sans se retourner, sans se répéter, et « vivre ». 2. De la place de l’Art dans la vie : de quelle révolution culturelle parle-t-on ? Deux citations à méditer. Extraites de Balzac et la Petite Tailleuse chinoise : « J'ai l'impression que le monde a changé, les étoiles, le ciel, les sons, la lumière, même l'odeur des cochons...Plus rien n'est pareil! » Ma, après la lecture d'Ursule Mirouët, de Balzac. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 32 « Un seul livre, parfois, ça peut changer l'existence! » le vieux tailleur A l’époque de la Révolution culturelle, seules les œuvres de propagande sont tolérées, tout autre lecture est interdite. Il est intéressant d’examiner de près les réactions des villageois en train de découvrir différents aspects d’une culture interdite, à travers la musique ou à travers les mots. A la demande du chef, Ma fait une démonstration de violon et se met à jouer un morceau de Mozart. Le pouvoir des livres est un des enjeux du film. Lire Balzac à la jeune fille, lui ouvrir les portes de la littérature et de la musique, revêtent un caractère éducatif qui mène la Petite Tailleuse vers l’indépendance, à choisir et à céder à l’appel de la culture. Son départ surprend et attriste les deux garçons, mais ils devraient être fiers de son envol. L’art lui a permis de fuir l’enfermement des montagnes, de se libérer de la vie qui lui était toute tracée. La littérature endosse un rôle salvateur et civilisateur. La Petite Tailleuse est désormais un esprit libre ; elle a appris à penser en même temps qu’à lire. Le livre est instrument de liberté. En imposant leur goût pour la musique, le cinéma, les histoires racontées, Ma et Luo imposent aux paysans montagnards une nouvelle façon de vivre, à l’image du réveil et de la musique qui rythment les journées. C’est aussi pour eux une question de survie, dans la mesure où la culture, à travers la littérature, leur permet de retrouver leur dignité en dépit des tâches avilissantes qui leur sont imposées. A réaliser combien la culture sauve les protagonistes, on se dit que Mao mettait en péril la civilisation chinoise quand il anéantissait les biens culturels. Ce qu’a réussi à faire la Révolution culturelle, dont l’adjectif « culturelle » résonne de façon ironiquement tragique, c’est à isoler socialement les individus, à appauvrir considérablement la vie sociale et culturelle des communautés. Pour la politique de Mao, la littérature et l’art représentaient une perte de temps et nuisait à la productivité. A travers les aventures des trois jeunes gens, la création artistique et littéraire ont réussi à s’imposer dans cette montagne du Phénix. « Phénix »…le mot se pare alors d’une nouvelle dimension, étymologique et symbolique, la Petite Tailleuse étant à l’aube d’une renaissance. Après une vie adolescente dans les montagnes, la jeune fille renaît, mais cette fois à l’amour sensuel, à l’amour littéraire et à l’amour de la liberté. Dans Vivre !, la culture n’est présente que par le théâtre d’ombres, et encore s’agit-il de culture populaire et finalement assez localisée en Chine (dans la province du Sichuan). Cependant, comme nous l’avons montré plus haut, le choix de cet art si proche du cinéma n’est pas anodin, et l’autoréférentialité que l’on peut deviner dans cette parenté nous pousse à nous interroger sur la menace qui pèse aussi sur le cinéma en Chine aujourd’hui : le coup de baïonnette, mais aussi le théâtre que l’on brûle car réactionnaire sont autant de violences qui ressemblent à des épées de Damoclès sur le septième art en Chine. Dans l’univers diégétique, le théâtre d’ombres représente vraiment, au sens littéral du terme, la survie pour le personnage de Fugui. C’est lui qui lui permet de reprendre pied, puis de « survivre » (autre sens du verbe Huoze) et enfin de « vivre ». Les derniers moments de bonheur de la famille au complet s’organisent autour d’une séance de théâtre d’ombres, animant encore les efforts demandés à la population chinoise pendant le Grand Bon en Avant… et c’est ainsi que cet élément culturel ne vient à représenter pour la famille que la mort de Youquin, et ce même si Fugui, quand on demande de le brûler tente encore de la sauver en proposant de faire du théâtre de propagande. Il ne reste alors plus que le contenant, le coffre. Est-ce à dire que la Révolution culturelle n’aurait laissé de la culture chinoise qu’une coquille vide ? Fugui en tout cas se sert de ce coffre pour y faire grandir les poussins de son petit-fils Petit-pain et en profite pour lui glisser sa morale optimiste du poussin qui devient poulet, puis oie, puis cochon, puis bœuf… © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 33 mais cette fois-ci et contrairement à ce qu’il avait dit à son fils, l’énumération et l’enrichissement ne finissent pas dans le Communisme, mais sur Petit-pain prenant un avion. De là à dire que la vraie révolution culturelle, sociale et politique est celle de l’individu et de son enrichissement personnel, il n’y a qu’un pas, que la Chine communiste d’il y a peu a franchi allègrement… © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 34 PISTE D’EXPLOITATION PEDAGOGIQUES Pour Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, on peut se reporter au dossier pédagogique (payant) édité par Le Centre Culturel Les Grignoux et le C.T.L de Liège. Exemples de séances d’animation avec les élèves : - La vie dans les villages de la Montagne du Phénix - La Révolution culturelle en Chine - De la musique et des mots - L’ellipse temporelle Nous réutilisons dans notre propre dossier certains éléments du travail très intéressant effectué par Vinciane Fonck pour Les Grignoux. c) Liaison avec les programmes d) Avant la projection des films, le contexte historique La Révolution culturelle en Chine s’étend entre 1966 et 1976, avec le décès du Président Mao Zedong. Plus qu’une révolution au sens où nous l’entendons, il s’agit d’un mouvement qui s’inscrit dans un contexte politique et idéologique tendu, une lutte interne entre dirigeants du parti communiste chinois. Il s’agit en réalité d’une lutte féroce pour le pouvoir ; Mao vise à diriger seul, à éliminer les oppositions, surtout au sein du parti. Cela implique en quelque sorte la destruction du parti lui-même. Dans ce cadre, Mao cherche à s’entourer de ses proches plutôt que des cadres du parti qui sont considérés comme une menace. Pour Mao, ces cadres incarnent, à l’image des parents des protagonistes, la nouvelle bourgeoisie d’état qui est corrompue. Ainsi Mao renonce à donner à la Chine des structures démocratiques et populaires. Des purges, à la manière de Staline, ont été organisées par Mao après l’échec du Grand Bond en avant entre 1958 et 1960, pour se débarrasser de la « vermine », notamment dans les hautes sphères intellectuelles et politiques. Entre 1962 et 1965, il y a stabilisation du régime mais la division règne chez les dirigeants. A cette époque, la population chinoise souffre de la faim, et dès 1958, Mao est considéré par les cadres du parti comme le responsable de l’échec. C’est ainsi qu’il devient président du parti, ce qui est essentiellement un poste honorifique. Cet échec a d'autres conséquences puisqu'il faut infléchir vers la droite la politique pour pouvoir relancer l'économie. Dès 1962 les résultats sont probants, mais dans le même temps est mis en place un système un mouvement d'éducation socialiste à l'initiative de Mao pour contrer la dérive droitière. Ce mouvement est modéré jusqu'en 1964 puis se durçit; l'épuration touche un million de cadres, soit 4% du total des travailleurs de l'époque. A partir de 1964, Mao va détourner le mouvement contre ses collègues et la direction centrale. Les motivations de Mao sont très humaines et surtout motivées par la rancoeur contre les intellectuels qui sont accusés d'avoir abandonné la révolution. Pour J.L Domenach, spécialiste des années Mao, la Révolution culturelle est une tentative pour un leader vieillissant de reprendre le pouvoir absolu. L'objectif est aussi idéologique, tel un nouveau départ ourles communistes, une étape pour se débarrasser des dirigeants du parti. En janvier 1965, Mao édicte les 23 articles de base de la République communiste. Il y évoque le fait que le parti est © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 35 gangrené, qu'il est donc nécessaire de l'épurer, par la violence si cela s'avère nécessaire, et enfin que le mouvement soit mené par les masses. La dimension culturelle n'est pourtant qu'un prétexte. Pour Mao, la culture est monopolisée par les intellectuels révisionnistes qui sont opposés à l'idéal socialiste. Ces derniers sont accusés d'endormir les masses pour préparer le retour du capitalisme. De l'automne 1965 à l'automne 1966, les milieux littéraires de Pékin sont touchés ainsi que leurs protecteurs politiques. Le mouvement s'étend ensuite à la société entière et à tous les échelons du parti. En juin 1966, les violences touchent les collèges et les universités, elles visent essentiellement les professeurs, symbole d'une science bourgeoise. Entre juin et juillet, des millions de Gardes-rouges prennent le pouvoir dans les villes. C'est la terreur qui culmine avec les Gardes-rouges qui sont des collégiens et des étudiants; ils s'en prennent aux représentants de l'ordre bourgeois, prennent possession des villes. Ces Gardes, soutenus et encadrés par l'armée sont aussi envoyés dans les provinces pour inciter les masses à se rebeller. Mao invite les « masses révolutionnaires » à « bombarder les états-majors » et « à arracher le pouvoir aux cadres pourris du parti ». Cette nouvelle campagne, beaucoup plus violente, multiplie les appels au meurtre et enflamme toutes les grandes villes. Les vétérans, autrefois considérés comme des héros révolutionnaires, sont envoyés en prison et condamnés à mort, mais tous les responsables, à tous niveaux, sont susceptibles d'être pris à partie et de devoir faire leur « autocritique ». A Pékin, le Comité central cesse pratiquement d'exister. Mao et le « Groupe de la Révolution culturelle » en ont pris la direction, éliminant leurs adversaires politiques. A partir du 18 août 1966, Mao devient le chef suprême. Les années 66-67 sont marquées par des affrontements fréquents, des divisions, entre les groupes révolutionnaires qui ,soit attaquent l'appareil local du parti, soit le protègent. Ce climat général d'anarchie et de violence plonge la Chine dans la guerre civile. La Révolution culturelle est hors de contrôle. Mao a alors deux solutions : abandonner le pays, ou appuyer les « gardes-fous », l'armée et l'appareil d'état. Au printemps 68, les activistes font cette fois l'objet d'une terrible répression, qui conduit à la disparition des Gardes-rouges et des rebelles révolutionnaires. Les jeunes doivent aller à la campagne pour parfaire leur formation auprès des paysans, quelque vingt millions vont aller apprendre le communisme dans ces conditions. La fin des Gardes-rouges confirme le contrôle de Mao. C'est la fin de la Révolution culturelle, mais en réalité elle imprégnera encore la vie sociale et politique jusqu'en 1976 avec la mort de Mao. Ses successeurs, revenus de « rééducation » opteront alors pour une politique plus libérale. Petit rappel... Mao a proclamé la création d'un Etat communiste le 1er octobre 1949 : la République Populaire de Chine. L'année suivante, le pays est intégré au bloc socialiste en train de se constituer sous l'égide de l'Union soviétique. Le pouvoir se caractérise par une double structure : le Parti d'un côté, le Gouvernement de l'autre. Dans les faits, c'est le Parti qui dirige véritablement le pays. L'un des objectifs de Mao est de priver les réactionnaires (les bourgeois et les intellectuels) de tous droits et de les soumettre à ce qu'il appelle la « dictature du peuple ». Le président n'a aucun mal à s'attirer la sympathie du peuple, en faveur duquel il prend plusieurs mesures : la Loi agraire (confiscation des terres et du matériel aux propriétaires fonciers -qui sont souvent déportés ou exécutés-), les terres saisies sont redistribuées de façon équitable entre tous les paysans. La nationalisation des entreprises, après affectation des bourgeois d'affaires à la gestion de leurs entreprises qui appartiennent désormais à l'Etat. Au départ, les intellectuels et les scientifiques se rallient en masse au programme de reconstruction nationale. Dès 1952, le Parti contrôle tous les moyens © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 36 d'expression de l'opinion comme la presse ou les éditions; il encadre l'activité littéraire et artistique, et a établi sa mainmise sur tout le système éducatif. Soumis à un tel endoctrinement, les intellectuels ne tardent pas à réagir contre le régime. La collectivisation agraire remplace la loi agraire : les paysans doivent mettre en commun leurs outils et leur force de travail. L'équipement, le cheptel et les terres deviennent des biens collectifs. Des coopératives de production agricoles sont fondées. Les effets de cette nouvelle politique conduisent à une grave crise alimentaire, une diminution du fiancement de l'industrieet donc à un ralentissement de l'expansion. Si bien que le chômage commence à se multiplier. D’après l’étude de Aude Plaquette, pour les éditions Ellipses, 2008. e) Le cinéma chinois Dans l'imaginaire collectif, le cinéma chinois est lié aux films de karaté, à Hong Kong, ou bien aux cinéastes des années 1990 et 2000. Or la production ancienne est très riche. A Shangai dans les années 30 régnait une grande liberté. La ville comptait 4 majors et beaucoup d'autres studios. Cà allait avec le boom économique, l'euphorie d'une ville moderne et ouverte sur le monde. Mais l'histoire de la Chine a considérablement contribué à opacifier son patrimoine cinématographique continental. C’est un cinéma complexe du fait de la géographie politique du pays. En effet, l’histoire de la Chine est aussi le reflet de l’étendue de son territoire (près de 9 600 000 km2 !!!). On distingue donc trois catégories : le cinéma de la Chine continentale, le cinéma taïwanais, et le cinéma hongkongais. C’est autour de la ville de Shanghai, au début du XXème siècle qu’est apparu le cinéma chinois, inspiré de l’opéra. La Seconde Guerre mondiale, puis la guerre civile, ont entraîné la fuite d’artistes chinois continentaux vers Hong Kong et Taïwan. Le cinéma de la Chine continentale est alors marqué par le modèle soviétique et la propagande d’état. Au moment de la Révolution Culturelle, la production est quasi à l’arrêt. Hong Kong devient alors un lieu de création et de production cinématographique chinoise, sous l’impulsion des Shaw Brothers et des artistes émigrés chinois. Il s’agit principalement de films d’arts martiaux ; la diaspora chinoise, et même le public occidental, en sont friands. On pense bien évidemment à Bruce Lee, au début des années 70. A la mort de Mao, tous les cinémas chinois connaissent un nouvel essor. Les années 80, puis 90, voient se révéler de grands réalisateurs hongkongais tels que Tsui Hark, John Woo, Wong Kar-Wai (In The Mood for Love, 2000). La 5ème génération de cinéastes émerge : Zhang Yimou ( Epouses et concubines, 1991 ; Qiu Jun une femme chinoise, 1992 ; Vivre !, 1994) Chen Kaige (Adieu ma concubine, 1993, palme d’or à Cannes) en Chine continentale. Edward Yang (Yi Yi, 2000) et Hou Hsiao Hsien (Millénium Mambo, 2001 ; Three times, 2005) sont les chefs de file de la nouvelle vague taïwanaise. Depuis la fin des années 90 et la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, les liens entre les trois cinéma en langue chinoise se sont développés. Tigre et Dragon (2000) de Ang Lee est une super production qui rassembles des acteurs taïwanais, mais aussi chinois et © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 37 hongkongais. Zhang Yimou a réalisé dans le même genre Hero (2002) et Le secret des poignards volants (2004). On appelle « 6ème génération » le cinéma apparu après les évènements de Tiananmen en 1989. Ces films sont tournés dans la clandestinité, en ville, avec peu de moyens. Ils ont pour sujets les problèmes de société de la Chine actuelle (chômage, prostitution, individualisme, entre autres …). On peut citer comme réalisateurs Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle, 2001) et Jia Zhangke (Platform, 2000 ; The World, 2004 ; Still Life, 2006). Dans leur sillage, une vague de réalisateurs s'est afirmée, surfant sur l'ère du numérique, la génération DV. Le cinéma a entrepris de rendre compte de l'effondrement des modes de vie, des espaces urbains, et des relations sociales sous le coup des changements économiques. Beaucoup de documentaires, de docu-fictions. Tout le cinéma du monde est accessible en DVD pirates vendus à la sauvette dans les rues de Pékin, car la censure est toujours bien présente, mais la dynamique actuelle, la soif de culture, ont une vitalité extraordinaire. Jia Zhangke dit que « la plupart des jeunes réalisateurs apprécient la technique numérique parce qu'elle n'est pas chère mais aussi parce qu'elle est très proche de leur mode de vie, du message qu'ils veulent faire passer, de leurs personnages, de leur rapport à l'espace ». Actuellement… Depuis 1999, le cinéma étranger (c'est-à-dire essentiellement hollywoodien) a étendu sa présence sur les écrans et dans les esprits chinois. N'oublions pas que pendant longtemps l'importation de films étrangers était complètement interdite par l'Etat. Parallèlement, on a vu éclore un nouveau cinéma lié à la technologie numérique (DV) qui a permis à beaucoup de réalisateurs chinois d'exprimer d'autres images et d'autres sons, révélateurs d'un monde différent. Si bien que la critique occidentale a tendance à taxer d’académistes et de films de propagande les œuvres des réalisateurs connus de la 5ème génération, tels que Zhang Yimou. On remarque un renouveau des films qui visent à magnifier le passé glorieux de la Chine impériale, comme par exemple la superproduction dirigée par John Woo en 2008 Les Trois Royaumes, sur l’histoire ancienne de la bataille de la Falaise Rouge, film qui a fait un énorme succès au boxoffice chinois juste avant les J.O de Pékin. A l’inverse, la critique s’intéresse de près aux films de la 6ème génération qui ont grand succès dans les festivals occidentaux, mais hélas ne sont pas diffusés en Chine. Nuit d’ivresse printanière, le film de Lu Ye qui a obtenu la palme du meilleur scénario au Festival de Cannes 2009, ne sera jamais distribué sur les écrans chinois. Son réalisateur est en effet interdit de réalisation pendant 5 ans au titre de son précédent film Une jeunesse chinoise qui traitait d’amour…et des évènements de Tiananmen. Les deux derniers films de Ang Lee, Lust, Caution, en 2007 (sur la délicate question de l’occupation chinoise) et Le Secret de Brokeback Mountain, en 2005 (sur l’homosexualité) ont été interdits en Chine. Du côté de la transmission du patrimoine... Les autorités chinoises sont très réservées sur la Révolution culturelle, mais ce n'est pas la seule période qui pose problème. Si les communistes n'avaient pas mis toute la production au pas, on aurait eu une cinématographie importante, riche et variée. A la place de cela, l'histoire du cinéma chinois s'est divisée en deux : ceux qui sont partis à Hong Kong pour y travailler dans des conditions pas toujours favorables; ceux qui ont cru qu'il était possible de pactiser avec le pouvoir, comme le réalisateur Sun Yu (qui a réalisé des films magnifiques, comme Une Rose sauvage, ou L'Aube, en 1932). © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 38 Outre l'attitude du pouvoir, le travail patrimonial est pratiquement nul parce qu'il manque de passeurs en Chine. L'histoire du cinéma en Chine reste un chantier dur à réaliser. C'est peutêtre à travers les nouvelles créations, à la frontière entre documentaire et fiction, que s'exprime la vraie réflexion artistique sur la Chine. © CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009. Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire. 39