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© CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009.
Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire.
Hymne
Ils ont rendu l’homme à la terre
Ils ont dit Vous mangerez tous
Et vous mangerez tous
Ils ont jeté le ciel à terre
Ils ont dit Les dieux périront
Et les dieux périront
Ils ont mis en chantier la terre
Ils ont dit le temps sera beau
Et le temps sera beau
Ils ont fait un trou dans la terre
Ils ont dit le feu jaillira
Et le feu jaillira
Parlant aux maîtres de la terre
Ils ont dit vous succomberez
Et vous succomberez
Ils ont pris dans leurs mains la terre
Ils ont dit Le noir sera blanc
Et le noir sera blanc
[…]
Louis Aragon, Hourra l’Oural, 1934.
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VIVRE ! (titre original : Huozhe)
1. Générique
Réalisateur
Production/ Distribution
Scénario
Photographie
Musique
Costumes
Zhang Yimou
ARP selection
Wei Lu, Hua Yu
Lu Yu
Zhao Jiping
Dong Huamiao
Durée DVD : 2h 09
Comédiens
Fugui
Jiazhen
Chunscheng
Le chef du quartier
Erxi
Long Er
Ge You
Gong Li
Guo Tao
Nui Ben
Wu Jiang
Ni Da Hong
2. Synopsis
Fugui, un jeune homme riche et désœuvré, passe ses nuits à jouer, au grand dam de son
épouse Jiazhen, et perd ainsi beaucoup d’argent, jusqu’à épuiser toute la fortune familiale. Sa
femme enceinte de leur deuxième enfant le quitte alors, accompagnée de leur fille Fengxia.
Ruiné, accompagné de sa mère désespérée, Fugui doit apprendre à survivre. Mais quelques
temps plus tard, son épouse revient avec leur fille et leur fils Youquin. Notre héros décide
donc de demander à celui qui l’a ruiné de lui prêter de l’argent afin qu’il puisse faire subsister
sa famille ; ce dernier préfère lui confier son théâtre d’ombre. Fugui part sur les routes avec sa
troupe. Mais ils sont enrôlés de force dans l’armée du Guomindang, au service du président
Chiang Kaï-shek…Les (més)aventures de Fugui et de sa famille ne font que commencer ;
elles vont couvrir quarante ans d’histoire de la Chine, des années 40 à la Révolution
culturelle, en passant par le Grand Bond en Avant…
3. Le réalisateur : Zhang Yimou
Biographie
Zhang Yimou est né à Xi’an, en Chine, le 14 novembre 1951. Il est contraint d’arrêter
se études lors de la Révolution culturelle en 1966 et part travailler à la ferme puis dans
un atelier de tissage. Passionné de photographie, il fait la section « Prise de vue » de
l’Institut du cinéma de Pékin. Fraîchement diplômé, il participe en tant que directeur de
la photographie à deux films de Chen Kaige. Il jouera aussi le rôle principal dans le film
de Wu Tianming, Le vieux puits et obtient ainsi la première récompense de sa carrière :
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prix du meilleur acteur au Festival de Tokyo en 1987. Il réalise sa première œuvre la
même année, le Sorgho rouge et gagne l’Ours d’or de Berlin en 1988, ce qui lui donne
aussitôt un rayonnement international. C’est aussi grâce à ce film qu’il rencontre celle
qui deviendra non seulement sa muse mais aussi sa femme Gong Li. Après ce premier
rôle, il fait jouer l'actrice dans Judou en 1989 et Epouses et Concubines en 1991 (Lion
d'argent au Festival de Venise), où il exprime par ailleurs un grand raffinement formel
dans la composition du cadre. Il la dirige à nouveau dans le plus spontané Qiu Ju une
femme chinoise en 1992 (Lion d'or cette fois), puis dans Vivre! (Grand Prix du jury au
Festival
de
Cannes
94)
et
dans
Shanghai
Triad
en
1995.
Yimou alterne dès lors une approche filmique âpre et réaliste qui remporte le Lion d'or
au Festival de Venise 1999. En 2003, Zhang Yimou s'attaque au wu xian pian, le film de
sabre traditionnel de Chine et de Hong Kong, avec Hero pour lequel il dirige Jet Li,
Maggie Cheung, Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi et Donnie Yen, puis Le Secret des
poignards volants avec Takeshi Kaneshiro et Andy Lau. Producteur de 2046 de Wong
Kar-Wai, Zhang Yimou continue en parallèle d'alterner projets de grandes ampleurs et
oeuvres un peu plus confidentielles. Il réalise ainsi La Cité interdite, plus gros budget de
l'histoire du cinéma chinois, puis enchaîne avec Riding alone for thousands of miles au
financement nettement plus modeste. Mis à l'honneur par le festival de Cannes lors de
sa 60e édition, Zhang Yimou a été choisi pour être l'un des 60 signataires de la
collection de courts-métrages Chacun son cinéma. Quelques mois plus tard, le cinéaste
était président du jury de la Mostra de Venise, récompensant son compatriote Ang Lee
pour le film Lust, Caution.
C’est l’un des plus importants cinéastes chinois de la cinquième génération ; son œuvre révèle
un grand souci esthétique, notamment dans l’usage de la couleur, mais aussi du cadre comme
dans Adieu ma concubine, ou Hero. Il a su réaliser aussi des films réalistes comme Qiu Ju,
une femme chinoise, ou Vivre ! Très connu en Occident, le public chinois le connaît mal, car
nombreux sont ses films qui ont été interdits en Chine, comme Vivre ! (le réalisateur n’ayant
même pas eu l’autorisation de se rendre à Cannes pour y recevoir le grand prix du Festival )
Filmographie
1987 : Le Sorgho rouge
1989 : Judou
1989 : Opération jaguar
1991 : Épouses et concubines
1992 : Qiu Ju, une femme chinoise
1994 : Vivre !
1995 : Shanghai Triad
1997 : Keep Cool
1999 : The Road Home
1999 : Pas un de moins
2000 : Happy Times
2002 : Hero
2004 : Le Secret des poignards volants
2005 : Riding alone : Pour un fils
2007 : La Cité interdite
2007 : Chacun son cinéma (Pour les 60 ans du Festival de Cannes)
Prochainement : The Qin assassination
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Approches du film
1. Le découpage séquentiel
Séquences Plans
1
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3
79
4
13
5
58
6
24
7
2
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9
23
Tableau des séquences
Espaces
Contenu
La rue devant la salle de jeu; à l’intérieur, Fugui
joue aux dés avec frénésie et perd encore. Il
Ext./Int./ remplace un chanteur du théâtre d’ombre et met
1mn09s
Ext.
en scène une histoire scabreuse. Musique et
théâtre d’ombre. Il sort et un porteur le ramène
chez lui.
A peine arrivé chez lui, son père le harcèle et
l’insulte. Fugui l’insulte aussi puis rejoint sa
2mn45s Ext./Int. femme dans leur chambre ; Jiazhen le supplie
d’arrêter de jouer comme il l’avait promis pour la
venue de leur 2° enfant. Il s’endort.
.Dans la salle de jeu, Fugui joue et commence à
gagner, mais on lui annonce que sa femme est là :
elle le supplie devant tout le monde de partir avec
Int.
elle. Il se met en colère et la chasse de
6mn14s
l’établissement. Il se met à perdre et apprend qu’il
a perdu toute sa fortune ainsi que la maison
familiale. Il est anéanti.
Jiazhen l’attend dans la rue pour lui dire qu’elle le
1mn42s Ext.
quitte avec leur fille. Il est désespéré.
Chez lui, une assemblée officielle calcule sa dette
et confirme à son père la perte de tous les biens
familiaux au profit de Long’er. Le père a un
3mn46s Int./Ext. malaise au moment où il veut corriger son fils
pour son infamie. Ellipse : une succession de
plans montre la déchéance financière de Fugui et
de sa mère après le décès du père.
Dans la rue, Fugui voit sa femme, sa fille et son
fils. Elle est revenue vivre avec lui. Ils vont dans
2mn02s Ext./Int. la nouvelle misérable demeure de Fugui où la
grand-mère s’éteint doucement. Moment de
bonheur pour la famille réunie.
Int.
Dans le coin chambre, le couple se retrouve,
1mn02s
Jiazhen ne veut qu’une vie simple.
Fugui va voir Long’er pour lui emprunter de
1mn21s Int.
l’argent, celui-ci refuse mais lui confie plutôt son
théâtre d’ombre afin qu’il se fasse un revenu.
Fugui a réuni une petite troupe avec laquelle il se
54mn54s Ext.
déplace pour faire son spectacle. Un soir, lors
d’une représentation, le drap se tend d’une drôle
Durée
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100
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10
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27
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18
19
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20
64
21
7
22
8
de façon…
Ce sont les soldats de Chiang Kaï-shek qui
enrôlent la troupe de force. Fugui et son
compagnon Chunsheng voudraient bien repartir
Ext.
chez eux, mais ils n’ont pas le choix. Ils
11mn34s
.
apprennent à survivre dans les conditions hostiles
de la guerre. Un matin, ils se rendent compte que
leur camp a été abandonné et eux avec. L’armée
de Libération les arrête.
Ext.
Ils font un spectacle aux soldats et puis finissent
1mn16s
par être libérés.
Fugui rentre chez lui. Dans la rue, il voit Fengxia
sa petite fille, mais elle ne l’entend pas. Il voit
2mn41s Ext.
aussi Jiazhen qui distribue de l’eau chaude. Ils se
retrouvent, Jiazhen pleure.
Une fois chez eux, Jiazhen lui apprend les
dernières nouvelles : la mort de sa mère, la
2mn06s Int.
maladie qui a rendu Fengxia muette et presque
sourde, leur misère.
1mn51s Int.
Vie de famille dans la cours de la maison
Le délégué de district lui apprend le procès de
Long’er comme ennemi de la Révolution. Fugui y
Int./Ext./ assiste de loin et entend les cinq détonations qui
3mn13s
Int.
marquent son exécution. Fugui est bouleversé de
l’ironie du sort : s’il n’avait pas perdu aux dés, ce
serait lui que l’on aurait tué…
(carton: les années 50)
C’est le Grand Bon en Avant et tout le monde
doit remettre son fer, la famille de Fugui aussi.
Ext.
3mn30s
Youquin, son fils veut même donner les clous et
les attaches du théâtre d’ombre. Fugui persuade le
délégué de district de ne rien en faire afin de
pouvoir divertir les masses pendant leur efforts.
Des garnements embêtent Fengxia. Youquin vient
1mn17s Ext.
l’aider et se bat avec les trois enfants.
Dans la cours de la cantine populaire, Youquin se
sert copieusement de nouilles très pimentées et va
3mn18s Ext.
renverser son plat sur la tête de l’enfant qui avait
harcelé sa sœur. Cela crée un scandale et Fugui se
sent obligé de corriger son fils en public.
2mn29s Int.
Une fois à la maison, le couple s’explique.
Fugui anime les efforts de la population avec le
Ext.
théâtre d’ombre. Jiazhen et son fils lui concoctent
5mn06s
un thé vinaigré et pimenté pour lui faire une
blague. Rires.
Le district a réussi à fondre une belle masse de
1mn27s Ext.
fer, et le délégué de district félicite en particulier
la famille de Fugui.
Les enfants dorment, épuisés par les nuits de
3mn14s Int./Ext.
travail. Mais on vient chercher Youquin pour
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31
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32
8
33
61
continuer le travail. Sa mère refuse mais Fugui
l’emmène malgré tout et lui parle de la vie qui
progresse du poussin jusqu’au Communisme….
C’est la catastrophe ! Youquin a été tué dans
3mn17s Ext.
l’éboulement d’un mur de pierre derrière lequel il
dormait. Fugui et Jiazhen sont désespérés.
6mn08s Ext.
.Enterrement de Youquin. On aprend que celui
qui est à l’origine de l’écroulement du mur, c’est
Chunsheng qui est devenu chef de district…
Jiazhen lui dit qu’il leur doit une vie.
4mn07s Ext./Int. (carton : les années 60)
C’est la Révolution culturelle. Le délégué de
district vient annoncer à Fugui qu’il doit brûler
son théâtre d’ombre. Ce qui est fait. Puis , il dit
qu’il a trouvé un mari pour Fengxia…
3mn12s Ext.
Erxi, le prétendant, vient rencontrer la famille de
Int.
Fengxia…
3mn04s Ext./Int. On dit à Fugui et à sa femme que des gardes
rouges s’attaquent à leur toit ; ils vont voir et
découvrent qu’Erxi est venu avec ses collègues de
l’usine et qu’ils ont réparés leur toit et peint des
portrait de Mao dans leur cours. Bonheur. Jiazhen
fait promettre à Erxi de faire un beau mariage à
Fengxia.
4mn34s Ext./Int./ Le mariage communiste.
Ext.
2mn10s Int.
Chunsheng est là pour les féliciter et leur offre un
portrait de Mao, mais Jiazhen refuse toujours de
le recevoir.
4mn
Ext./Int. Fengxia et Erxi viennent annoncer que la jeune
femme est enceinte. Joie. Erxi annonce aussi la
disgrâce de Chunsheng, taxé de capitalisme.
4mn05s Int./Ext. Visite de Chunsheng désespéré qui veut
absolument que le couple prenne l’argent qu’il a
mis de côté pour la mort de Youquin. Sa femme
s’est suicidée, et il est lui même sur le point de le
faire. Fugui l’implore de tenir bon et de survivre.
Jiazhen sort de sa chambre et l’invite à entrer
chez eux. Il refuse et s’en va. Elle lui rappelle
alors qu’il leur doit une vie et donc qu’il doit
prendre soin de la sienne.
1mn51s Int./Ext. On apprend que le délégué du district a été
destitué de ses fonctions et jugé réactionnaire. Il
doit donc partir. Fugui et Jiazhen tentent de le
rassurer.
13mn03s Int./Ext./ C’est l’accouchement de Fengxia. L’hôpital est
Int./Ext./ au main des jeunes infirmières gardes rouges, les
Int.
docteurs, réactionnaires ayant tous été punis et
envoyés en rééducation. Ca commence bien, mais
Jiazhen est inquiète pour sa fille et demande à
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29
5mn54s
Erxi d’aller chercher un vrai obstétricien pour sa
fille , ce qu’il fait en ramenant un homme affamé
et portant une pancarte infamante. L’homme est
dans un tel état d’inanition que Fugui va lui
acheter des petits pains qu’il se met à engloutir
frénétiquement. Pendant ce temps, l’enfant vient
au monde et tout semble aller très bien quand tout
à coup, c’est la panique : Fengxia fait un
hémorragie que les jeunes infirmières ne savent
pas juguler. Le médecin est inservable car il a
mangé trop vite et est en train de s’étouffer. L’eau
que lui donne Fugui ne fait qu’empirer les chose.
Fengxia s’éteint dans les bras de se mère
désespérée.
Ext./Int./ (carton : quelques années plus tard)
Ext./Int. Fugui et son petit fils « petit pain » rentrent chez
les grands-parents. Jiazhen est alitée. Erxi arrive.
Ensemble, ils se rendent sur la tombe de Fengxia.
De retour, Fugui parle à son petit fil des poussins
qui grandissent et qui permettent d’améliorer sa
vie, car la vie de « petit pain » « sera de plus en
plus belle ». (générique)
2. Eléments d’analyse cinématographique
a) La structure
Le film de Zhan Yimou semble suivre les aléas de la vie de son héros et de sa famille, au gré
du destin, sans équilibre recherché, sans étape bien définie, si ce n’est les cartons indiquant la
période historique traversée par la famille : les années 50’, ou les années 60’. A y regarder de
plus près, on peut cependant déterminer trois grandes parties qui recouvrent effectivement
trois périodes historiques distinctes mais dont les ruptures ne se font pas forcément aux
cartons, car elles suivent un même rythme qui va d’une situation difficile en passant par des
moments de bonheur, pour finir immanquablement par une tragédie.
Les trois partie sont :
¾ Plans 1 à 11 : La vie de Fugui avant l’avènement de la République communiste
chinoise (une vie de joueur, une vie de misère, une nouvelle vie grâce à Jiazhen et au
théâtre d’ombre, une vie de soldat)
¾ Plans 12 à 24 : La chine communiste et le Grand Bon en Avant (le retour et la vie
de masse populaire, l’effort collectif du GBA et le théâtre d’ombre, la mort de
Youquin)
¾ Plans 25 à 33 : La Révolution culturelle (La fin de la culture réactionnaire et du
théâtre d’ombre, le mariage de Fengxia, La déchéance des anciens responsables du
Parti, l’accouchement et la mort de Fengxia)
Le Plan 34 constituant une sorte d’épilogue.
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On peut souligner une séquence qui forme une sorte de film à l’intérieur du film, d’une
part par sa longueur et, d’autre part, par son autonomie quant à la diégèse : c’est la séquence
10, celle de la guerre. On pourra l’étudier en tant que telle avec des élèves de 3°, intégrée
dans une séquence sur la vision ironique de la guerre en parallèle avec l’extrait de Candide
de Voltaire, (chapitre 3), ainsi que celui du roman de Stendhal La Chartreuse de Parme
(Chapitre 3), où, à chaque fois, le héros se trouve sur un champ de bataille un peu malgré lui
et en subissant les conséquence d’un conflit qui le dépasse et auquel il ne comprend rien. Le
plan panoramique avec travelling au cours duquel on voit littéralement déferler les soldat de
l’armée de Libération sur la plaine blanche de neige et fondre sur Fengui et son camarade
Chunsheng est à ce titre une merveille : le contraste des couleurs, la petitesse des silhouettes,
le bruit d’insecte en masse des soldats, tout concourt à donner à voir l’absurdité de la guerre.
Une autre séquence a aussi cette dimension d’autonomie, bien que non coupée de la diégèse,
c’est l’avant-dernière séquence, la n°33 : elle dure plus de 13 mn et touche à la fois une
thématique universelle (l’attente inquiète des parents et du mari lors d’un premier
accouchement), mais aussi un motif historique particulier (les conséquences
cauchemardesques et tragiques d’une politique ubuesque : la Révolution culturelle). Le
mélange d’un registre à la fois comique, voire burlesque (précipitation du docteur sur les
petits pains, son étouffement, mécanisation des mouvements des infirmière au moment
fatidique), et d’un registre tragique (le gros plan sur le sang qui coule inexorablement le long
du pied de Fengxia, son visage exsangue en contre-champ de celui de sa mère désespérée qui
ne cesse de répéter que « Maman est là ») fait de cette séquence un sommet d’émotion et de
justesse, d’universalité : certes, la famille de Fugui est aux prises avec un moment historique
fatidique, mais c’est de l’absurdité de la vie et de la mort dont il est question ici. C’est en cela
que l’on peut dire que ce film est au delà d’une vision politique ; il ne s’agit pas ici de faire le
procès de la Révolution culturelle et de ses excès tragiques, même si la critique est présente,
mais bien plutôt de dire le pire, une deuxième fois dans le film : la perte de son enfant.
On pourra aussi étudier avec bonheur certains motifs esthétiques récurrents dans le film :
¾ le travail sur les plans présentant des cadres à l’intérieur du cadre (portes
cochères dans la rue, ou menant à la cours de la maison, portes d’entrée, fenêtres),
¾ mouvement de caméra allant de l’extérieur de la maison à l’intérieur, ou
inversement ( on va le plus souvent dans le film de l’extérieur à l’intérieur, et quand
le mouvement est inverse, il est souvent porteur de malheur : mort du père, exécution
de Long’er, Youquin porté vers sa mort par son père, désespoir du Chunsheng,
destitution du délégué). Tout se passe comme si Zhan Yimou nous invitait à entrer
dans l’intimité de cette famille pour nous dire que c’est dans celle-ci , et uniquement
là, que le bonheur est possible, l’extérieur étant une menace permanente et
incontrôlable. Mais, c’est avec pudeur et de l’extérieur qu’il nous dit la force du
couple : il nous montre la fenêtre illuminée de leur chambre qui se détache sur l’ombre
de la cours et l’on entend alors Jiazhen qui dit à Fugui qu’elle ne désire qu’ « une vie
simple, avec lui ».
¾ l’espace intermédiaire que représente la cours de la maison (sorte d’antichambre,
entre-deux porteur de rencontre et de révélation, lieu de joie mais aussi du désespoir
de Chunsheng par exemple…)
¾ Il faudra aussi s’attacher à la référence esthétique majeure qu’est la présence du
théâtre d’ombre, et ce d’autant plus que c’est un élément que le réalisateur a rajouté
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par rapport au roman de Yu Hua dont il a fait ici l’adaptation (voir l’analyse de la
séquence dans le III de ce livret).
b) L’adaptation du roman de Yu Hua, Vivre !
Vivre ! est au moins la 3° adaptation d’un roman par Zhang Yimou. Il adapte ici un roman de
Yu Hua de manière assez fidèle, puisqu’il en reprend le titre, les noms des personnages,
l’essentiel de la trame diégétique, ainsi que la structure et le registre tragique. Cependant, il
apporte bien évidemment des modifications, notamment de trois ordres : diégétique, tonal et
esthétique.
Les modifications diégétiques sont les suivantes et seront présentées dans l’ordre
roman/film : Fugui vit à la campagne et est un riche propriétaire, alors que, dans le film, il vit
dans une bourgade de province et n’a pas de profession ; il perd toute sa famille, femme,
gendre et petit-fils inclus et demeure seul avec un vieux buffle ; d’autres détails sont de
moindre importance, mais portent la marque d’un traditionalisme étouffant .Par exemple,
Jiazhen ne le quitte pas de son propre chef, mais c’est son père qui vient la chercher pour
soustraire l’enfant à venir de l’influence néfaste de Fugui perdu par le jeu, ou encore, Youquin
ne meurt pas écrasé derrière un mur à 5 ou 6 ans , mais à 13 ans parce qu’il se fait transfuser
pour donner son sang à la femme du préfet qui a fait une hémorragie et on lui en prend trop.
Les modifications concernant le registre, ou le ton de l’ensemble de l’œuvre sont
importantes : Zhang Yimou a choisi de ne pas faire finir le héros seul, comme dans le roman.
Il s’en explique comme suit dans une interview accordée au journal Le Monde (édition du 19
mai 1994), à Paris, juste avant le Festival de Cannes où il n’a pas eu l’autorisation de se
rendre : « Il y a deux différences essentielles. D'abord le roman couvre une période beaucoup
plus longue, j'ai dû n'en prendre qu'une partie. Ensuite, et surtout, dans le livre, tout le monde
meurt, sauf le personnage masculin, et une vache. Cela m'a paru une fin trop lourde, une
ambiance trop dramatique, que le spectateur aurait du mal à accepter. Je n'ai pas voulu
faire un film tragique, mais montrer une famille chinoise tout à fait ordinaire. Ces gens
n'ont pas de buts complexes dans la vie, ils sont courageux et se contentent de peu. Je crois
que chaque famille en Chine, du moins celles qui ne sont pas intellectuelles, peuvent se
retrouver dans ce portrait . » Plus loin, il insiste sur son choix pour un regard différent :
« Dans les autres films, y compris les miens, on cherche à exprimer des choses profondes,
toujours un peu grandioses. J'ai préféré partir du bas, montrer la toile de fond, avec plus
d'humour que dans mes films précédents et que dans ceux qui traitent de cette période ».
(remarque : les parties en gras l’ont été par mes soins). Il s’agit donc bien pour le réalisateur
de faire une tragi-comédie, non pas à la Corneille, avec des héros nobles, mais à la Brecht,
avec un homme ordinaire aux prises avec son quotidien et l’Histoire.
L’ultime changement est important car il est esthétique et propose une sorte de mise en
abyme, une autoréférentialité qu’aucun amateur de cinéma ne saurait ignorer : il s’agit du
théâtre d’ombre. En effet, il n’en nullement question dans le roman, puisque Long’er
l’heureux gagnant de Fugui, propose à ce dernier de l’aider en lui donnant en fermage 5 mu (1
mu = 0,065 ha) de bonne terre et non un théâtre d’ombre. Un drap, une source de lumière, des
ombres projetées qui créent une histoire, de la musique et des chants pour assurer la
compréhension, c’est un peu l’ancêtre du cinéma qui est convoqué par Zhang Yimou, et ce de
manière insistante et presque tout au long du film. Nous reviendrons plus précisément sur ce
motif esthétique dans le III du présent livret.
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3. L’accueil de la presse
L’accueil de la presse fut dans son ensemble très positif, le réalisme de ce nouvel opus étant
considérer de bon aloi par une critique cinématographique un peu hermétique à l’esthétisme
du réalisateur. Je livre plus bas les critiques in extenso de Pierre Murat de Télérama et de
l’édition du journal Le Monde du 19 mai 1994, ainsi que celle d’un site internet qui est loin
d’être sans intérêt :
CRITIQUE TELERAMA
En gros, l'évolution de Zhang Yimou semblait logique et bénéfique. De l'esthétisme voyant de
ses débuts (ah ! Ju Dou, avec sa palette de couleurs si soigneusement étudiées qu'elles en
devenaient artificielles), il progressait, de film en film, vers la vertu. Et la simplicité. Dans
Qiu Ju, une femme chinoise, il semblait se ficher comme d'une guigne de la beauté de ses
images, il « volait » des plans approximativement cadrés de sa vedette, Gong Li, dans la faille
d'une grande ville. Il s'humanisait. Et son oeuvre devenait émouvante. On avait donc quitté
Zhang Yimou flirtant avec les joies du néo-réalisme et voilà qu'on le retrouve, dans les
premières scènes de Vivre !, aux prises avec une sophistication que l'on croyait définitivement
rejetée. Elles sont très réussies, au demeurant, ces séquences où, dans une maison de jeux à
la Sternberg, un jeune homme riche et gâté, Fugui, ruine lentement mais sûrement sa famille,
provoquant la mort de son vieux père et le chagrin de sa femme, Jiazhen (Gong Li, plus belle
que jamais). Et puis, très vite, on s'aperçoit que non, ce n'est pas le baroque à la Sternberg
que Zhang Yimou recherche, mais bien un humanisme à la De Sica. Dans Qiu Ju, c'était par
le style de la mise en scène qu'il y parvenait. Ici, c'est par ses personnages. Quoi qu'il leur
arrive, et Dieu sait qu'il leur en arrive la guerre civile entre nationalistes et communistes, le
« Grand Bond en avant », les « Grandes Marmites communales », la Révolution culturelle ,
Fugui et Jiazhen ne perdent à aucun moment ni la force de vivre ni l'espoir. Leur dignité. Lui
serait plutôt lâche, elle aurait plutôt tendance à la révolte. Mais lâche et révoltée semblent
mus par une sorte de fatalisme énergique c'est paradoxal, mais c'est vrai qui les fait plier
sans rompre. On ne peut rien contre eux, puisqu'ils sont éternels. Et comme Zhang Yimou les
filme ni de trop haut (il ne les juge jamais) ni de trop bas (il n'en a jamais pitié), Vivre !
devient un film passionnant. Une fresque. Un mélo de la plus belle eau. On en retrouve tous
les ingrédients : la famille ruinée, la guerre, des naissances, des mariages, des morts, les
larmes d'une mère, et le meilleur ami qui provoque, sans le savoir, le malheur. Avec, bien sûr,
quelques séquences spectaculaires (Fugui découvrant, dans une aube glacée, le carnage
effectué par les partisans communistes : grandiose !). Et des moments d'humour noir, aussi,
inattendus et presque incongrus. La fille de Fugui et Jiazhen va accoucher. Et là, soudain, la
mécanique maoïste se détraque. Sûr d'elle l'instant d'avant, lorsque tout roulait comme sur
des roulettes, les infirmières, qui ont remplacé tous les chirurgiens condamnés comme
ennemis du peuple, redeviennent des jeunes filles affolées. Et le médecin, que l'on a sorti
précipitamment de son camp, se trouve dans l'impossibilité d'aider qui que ce soit : il a
mangé trop vite trop de petits pains parce qu'il avait trop faim. En ces instants, la tragédie et
l'absurde se rejoignent. On dira que Vivre ! reprend à peu de chose près les thèmes déjà
abordés dans Adieu ma concubine, de Chen Kaige, et Le Cerf-volant bleu, de Tian
Zhuangzhuang. C'est vrai. Mais le premier film était plus prétentieux, et le second plus
ambitieux, avec le parti pris, très réussi au demeurant, d'emprisonner le film dans un huis
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clos : une cour et quelques maisons basses. Vivre !, lui, est un grand film populaire comme on
les aime. Avec des sentiments simples et vrais. Des moments où le bonheur semble possible,
avant que la fatalité ne frappe une fois de plus. Naïf et sentimental ? Moins novateur que Qiu
Ju, une femme chinoise ? Peut-être. Mais nettement plus romanesque. Exemple : Jiazhen a
toujours refusé de revoir l'assassin innocent de son fils même quand il lui a offert, bien des
années après, un cadeau qu'on ne refuse pas : un portrait de Mao. Mais le voilà, l'assassin
innocent, soupçonné, à son tour, d'être un contre-révolutionnaire. Désormais, il est traqué,
proscrit. Lui pardonner, non, Jiazhen en est incapable. Mais à cette silhouette, brisée, qui
s'éloigne, elle lance : « N'oublie pas que tu me dois une vie. Alors, prends bien soin de la
tienne... » On dirait une réplique de ces grands mélos hollywoodiens de jadis. Du Leo
McCarey. Du Douglas Sirk Pierre Murat
Télérama, Samedi 21 mai 1994
CRITIQUE LE MONDE
Article paru dans l'édition du 19 Mai 1994
oin des sages beautés d'Epouses et concubines ou de la force brute de Qiu Ju, Zhang Yimou,
le cinéaste chinois le plus titré en Occident, entreprend de raconter, à son tour, les trente ans
d'histoire de la Chine qui vont d'avant la prise du pouvoir par Mao jusqu'à la fin de la
révolution culturelle. Il décrit le destin d'une famille habitant une bourgade de province
malmenée par les bouleversements qu'a connus le pays. Le père, ancien fils de famille ruiné
au jeu avant la révolution, devenu montreur de marionnettes, plus tard porteur d'eau,
toujours brave type ayant une fâcheuse tendance à choisir la mauvaise solution, s'en sort
pourtant grâce à un instinct de survie chevillé au corps.
En retrait, la mère (Gong Li) est pourtant le personnage central. Porteuse des valeurs de la
famille, elle en est l'imprenable place forte, grâce à un système modeste et efficac e de
relations, fondées sur un solide pragmatisme. Enfants, cousins, voisins, proches et collatéraux
composent une succession de cercles concentriques. Dans une indifférence totale aux
déclamations idéologiques, ils observent les mêmes règles, celles de la survie obstinée.
Zhang Yimou trouve chaque fois une façon nouvelle de raconter des situations déjà montrées
(récemment par Adieu ma concubine et le Cerf-Volant bleu), sans dévier d'une chronologie
d'instituteur buté, en évitant toutes les scènes convenues de foules en furie et de catastrophes.
Le petit bout de la lorgnette est son unique point de vue. Mais une flaque de sang qui soudain
s'écoule sur le drap d'une jeune accouchée dit toute l'horreur de la révolution culturelle avec
une violence sans égale. Il y a, aussi, l'idée obsédante que cette histoire _ cette Histoire _ doit
être redite et redite encore, car elle est la matière d'un mythe fondateur national, un peu
comme les Américains ont éprouvé le besoin de filmer à l'infini leur conquête de l'Ouest, y
compris de ma! nière pa rtielle ou truquée.
Vivre !, surtout destiné au public chinois, paraîtra pécher par manque de rythme. Il tient un
discours plus que discutable, celui de la permanence de la cellule familiale chinoise,
indifférente aux tempêtes à la surface. Mais il suffit de le comparer avec le film de
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Kontchalovski présenté à Cannes (le Monde du 17 mai), qui affirmait lui aussi l'immobilité de
l'Histoire, pour voir ce qui les différencie : un regard à hauteur de ceux dont il est question,
attentif aux petits moments, aux nuances, aux sons de la vie. Le film est toujours bloqué par la
censure de Pékin. Il faut espérer que ses vrais destinataires, les Chinois, pourront le voir un
jour, tel que son auteur l'a conçu.
CRITIQUE OBJECTIF-CINEMA
Zhang Yimou est retenu malgré lui en Chine parce que son film n'a pas encore reçu son visa
d'exploitation de la censure ! L'histoire se passe pendant le Festival de Cannes en 1994 : son
film, Vivre ! y est présenté en compétition officielle mais le cinéaste ne peut assister à la
projection tant que le film ne bénéficie pas de cette autorisation officielle accordée par le
régime de Pékin. Le cas n'est pas isolé et illustre bien la situation dans laquelle se trouvent
les réalisateurs chinois qui doivent faire face à une main mise permanente exercée par la
censure aux différentes étapes de la conception de projets cinématographiques (financement,
distribution,
etc.).
Réalisateur emblématique de la « cinquième génération », Zhang Yimou est, avec Chen
Kaige, le fer de lance du nouveau cinéma chinois, issu de la Révolution culturelle. Même si
ses films connaissent actuellement un certain succès à l'étranger, le cinéaste n'est toutefois
pas totalement accepté dans son pays. Il doit subir les critiques conjointes de l'
« intelligentsia » chinoise et des autorités de Pékin qui lui reprochent de mettre en scène des
projets davantage axés sur l'Occident. Avec Vivre !, il dresse le portrait d'une famille chinoise
balayée par le malheur à travers quarante ans d'Histoire de la Chine, de la période
nationaliste à l'avènement de Mao, en passant par la Révolution culturelle et la période du
« grand bond en avant ». A l'instar de Fassbinder, Zhang revisite l'Histoire de son pays, non
pas en amont mais en aval. Vivre ! constitue davantage un mélodrame familial qu'un simple
film historique. On y retrouve, en effet, tous les ingrédients du genre : fatalité, drame,
musique empathique, etc. Aux héros ou aux victimes de la guerre, il préfère l'option de la
quotidienneté. L'Histoire, présente en arrière-fond dans le récit, s'efface alors au profit des
personnages. Ceux-ci ne seraient ni des victimes (au sens passif du terme), ni des entités
historiques mais des héros anonymes, des témoins du changement de régime qu'a connu le
pays. Zhang ne porte aucune forme de jugement vis-à-vis de ses personnages et n'éprouve pas
non plus de pitié à leur égard. C'est au spectateur qu'incombera cette tâche. Si, en chinois,
« huozhe » possède la double signification de vivre et de survivre, ce terme s'applique aussi
bien aux millions de Chinois qui ont dû « survivre » pendant près d'un demi-siècle pour éviter
de s'attirer les foudres du régime maoïste qu'à la famille de Fugui. Accompagné de sa femme,
Jiazhen, celui-ci traversera les époques et connaîtra tour à tour les désillusions de la faillite,
de la guerre et le drame de perdre ses enfants. C'est là que le verbe chinois prend tout son
sens. Malgré ses malheurs, le couple continuera à garder espoir en la vie et en l'avenir.
L'usage du point d'exclamation dans la traduction française du titre indiquerait non
seulement un ordre, un souhait, mais il représenterait également un exemple pour les
nouvelles générations. Le message, suggéré par l'isotopie du titre, aurait davantage une
portée universelle que proprement chinoise. La dernière réplique du film illustre parfaitement
cet élan optimisme : « la vie sera de plus en plus belle ». Elle consacre le triomphe des
valeurs humaines, individuelles sur les sentiments collectivistes prônés par le régime
communiste. Le cinéaste parvient ainsi à engager la réflexion sur l'Histoire de son pays et les
répercussions que les faits historiques ont pu avoir sur la cellule familiale. Par exemple,
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Fengzia, la fille muette de Fugui, mourra en mettant son enfant au monde parce qu'elle n'a pu
bénéficier de l'assistance d'un médecin expérimenté car ils ont tous été envoyés dans des
camps de prisonniers lors de la Révolution culturelle. Même si cette fresque historique se veut
avant tout critique, la responsabilité des drames ne vise en aucun cas les hommes mais bien
le régime communiste dont le fanatisme des hommes dans leur dévotion à Mao illustre
parfaitement.
La culture ainsi que les disciplines artistiques apparaissent également comme les victimes de
l'Histoire. Zhang ne se contente pas d'exposer la Culture, il la magnifie par une mise en scène
flamboyante, la portant au rang de symbole déchu du passé. C'est de la Culture, avec
majuscule qu'il s'agit : la musique, les marionnettes et surtout le théâtre d'ombres qui sera,
pour Fugui, un moyen d'échapper à la tyrannie du régime. Art traditionnel et séculaire, le
théâtre constituera, pour lui, un adjuvant. En effet, c'est grâce à cette forme artistique que
Fugui parviendra à retrouver une identité, une nouvelle raison d'exister, une forme de
rédemption après avoir tout perdu au jeu et avoir été abandonné par sa femme. Ce n'est
certes pas un hasard si Zhang Yimou a remis à l'honneur cette forme théâtrale très ancienne
qui avait été mise pendant longtemps « au placard » au moment de la Révolution culturelle. Il
pousse plus loin le constat en faisant coexister dans un même plan la culture et la réalité
historique ; lors d'une scène montrant Fugui manipuler des marionnettes derrière un drap, le
cinéaste introduit un plan où une baïonnette transperce le voile blanc du théâtre d'ombres,
l'écran devenant le symbole de la réalité historique combinée au fait culturel. Là où dans ses
premiers films, Zhang Yimou faisait porter davantage sa mise en scène sur une esthétique
proche de la calligraphie ou de la peinture (notamment par la beauté des couleurs de Ju
Dou), le réalisateur se tourne, avec Vivre ! vers un cinéma plus réaliste. Sans atteindre le
formalisme semi-documentaire de Qui Ju, une femme chinoise. Vivre ! apparaît comme une
synthèse esthétique et narrative de ses films précédents. Le cinéaste chinois varie les effets
esthétiques et stylistiques en fonction des changements de lieux et d'époque. Lors de la scène
de la rupture entre les deux époux, Zhang oppose les plans qui s'appesantissent sur la
détresse de Fugui, dans l'ombre rougeâtre d'une ruelle, et les images de Jiazhen, froide et
légère, qui s'enfuit en calèche sous une arche grise, dans un ciel bleuté. Il reviendra à des
préoccupations essentiellement esthétiques dans son dernier film, Hero.
Malgré les drames et la tragédie racontés, Zhang ajoute également quelques touches
d'humour grinçant qui n'enlèvent en rien la portée émotionnelle du drame vécu par cette
famille chinoise. On retrouve cette part d'ironie aussi bien dans les séquences dites
« heureuses » (mariage de Fengxia où les camarades communistes brandissent les portraits à
la gloire du « Grand Timonier ») que dans les scènes dramatiques (mort de leurs enfants,
délation, etc.). Ce serait presque du cinéma burlesque ! La tragédie se confond avec
l'absurde, le pathétique côtoie le sensible, le risible. Vivre ! constitue l'inverse des films de
propagande qui glorifiaient, déifiaient le régime maoïste en mettant en évidence la
collectivité et les masses populaires. Zhang Yimou rejoint les préoccupations des cinéastes de
la « cinquième génération » qui, à l'instar des westerns américains, éprouvent le besoin de
revisiter l'Histoire de leur pays, non pas pour l'ériger au rang de mythe fondateur ou en tant
que symbole de gloire nationale, comme ce fut trop souvent le cas aux Etats-Unis, mais
simplement pour se souvenir de la vie telle qu'elle fut dans le passé. Malheureusement,
l'aventure de Zhang Yimou à Cannes nous fait dire que la Chine n'a toujours pas tiré un trait
sur ses vieux démons. La situation des réalisateurs chinois soumis à une nouvelle forme de
dictature de la part du Bureau du cinéma semble le prouver.
http://www.objectif-cinema.com/analyses/190a.php
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BALZAC ET LA PETITE TAILLEUSE CHINOISE
1. Générique
Un film de Dai Sijie, France 2002, 1h46
Scénario : Dai Sijie et Nathalie Perron,
d’après Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, de Dai Sijie, Gallimard, 2000
avec
Zhou Xun : la Petite Tailleuse
Chen Kun : Luo
Liu Ye : Ma
Cong Zhijun : le Vieux Tailleur
Wang Shuangbao : le Chef du Village
Wang Hongwei : Le Binoclard
2. Synopsis
Dans les années 70, deux jeunes garçons chinois sont envoyés en camp de rééducation, sous
prétexte qu'ils sont les fils d'intellectuels bourgeois. Ma, le narrateur, et son ami Luo, fils d'un
dentiste qui a observé de trop près les dents de Mao. Les paysans locaux sont chargés de les
éduquer à la vie saine et rurale. Mais le Binoclard, un compagnon de la montagne du Phénix,
bouleverse leur vie : il possède le bien le plus précieux dans ce village isolé, une valise
remplie de romans occidentaux. Naît alors entre eux le plaisir de dérober ces romans interdits,
de les lire et de s'en servir pour courtiser une jeune fille, la « Petite Tailleuse chinoise », fille
d'un tailleur rencontrée dans la montagne. La traduction chinoise de Balzac va bouleverser
leur vie, brisant la routine quotidienne et le désespoir de leur nouvelle condition. Dès lors, ils
n'ont d'autre but que d'ouvrir, par le biais de la littérature et de leur violon, les portes d'un
monde imaginaire. Luo s'éprend de la Petite Tailleuse. Ma et Luo vont lui apprendre à lire.
3. Le réalisateur
Né le 2 mars 1954 à Putian en Chine dans la province de Fujian, Dai Sijie poursuit ses
études jusqu’à l’âge de douze ans, ou plus véritablement jusqu’au début de la révolution
culturelle, en 1966. De 1971 à 1974, ce fils de médecin est envoyé en camp de réeducation
scolaire dans une montagne de Sichuan. Il est en effet perçu comme un « intellectuel
bourgeois » et ses parents déclarés « ennemis du peuple » sont emprisonnés pendant la
Révolution Culturelle. Il retourne au lycée jusqu’en 1976, puis s’engage dans des études d’art
à l’Université avant de venir en France en 1984. il bénéficie d’une bourse d’étude, de cours de
français intensifs et peut ainsi intégrer l’IDHEC, l’Institut des hautes études
cinématographiques, à Bordeaux. L’occasion est venue pour lui de découvrir la littérature et le
cinéma censurés dans son pays natal. Il passe alors derrière la caméra, et produit de multiples
courts métrages, dont Le Temple de la montagne, en 1984, Le rouge et le blanc, en 1985, Le
roi de toutes les douleurs, en 1985.
Il retourne en Chine en 1989 et réalise Chine, ma douleur, salué par le prix Jean Vigo et
présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Le tournage a lieu en France, dans les
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Pyrénées; Sijie utilise ses souvenirs personnels pour raconter les aventures d'un garçon de
treize ans envoyé dans un camp de rééducation.
En 1994, Le Mangeur de Lune, conte asiatique et russe reçoit le prix spécial du jury au
festival de Prague.
En 1998, il réalise un conte asiatique, Tang le Onzième, troisième long-métrage.
L'adaptation de son roman Balzac et la Petite Tailleuse chinoise est tournée dans les
montagnes de Zhangjiajie, en Chine.
Il réalise en 2005 Les Filles du Botaniste, une histoire d'amour entre deux femmes; le film a
été tourné au Vietnam.
Bibliographie :
- Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, Gallimard, 2000.
- Le Complexe de Di, Gallimard, 2003.
- Par une nuit où la lune ne s’est pas levée, Gallimard, 2007.
Filmographie :
- Chine, ma douleur, 1989.
- Le mangeur de Lune, 1994.
- Tang, le Onzième, 1998.
- Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, 2002.
- Les Filles du Botaniste, 2005.
Approches du film
1. Le découpage séquentiel
Séquence
Plans
1
6
2
3
52
18
Time code Espace
Contenu
00mn25 à Ext.
Générique. 1971. Arrivée des deux rééduqués
1mn55
par un escalier escarpé taillé dans le roc.
Village en haut de la montagne du Phénix
1mn55 à Ext.
Le chef interpelle Luo sur son père, dentiste
7mn31
réactionnaire.
Int.
Les contenus des malles. Le « livre de
recette » ; Le chef met en garde les garçons.
Int.
Le violon. « Mozart pense au Président Mao ».
7mn31 à Ext.
10mn51
Int.
Ext.
Ext.
Ext.
Ma et Luo découvrent la cabane où ils vont
séjourner, peut-être toute leur vie. Il y a une
porcherie en-dessous.
Le réveil va révolutionner le village.
Ma et Luo transportent des seaux d’excréments.
Voix off de Ma qui parle d’un missionnaire
français et des mines de cuivre.
Le chef réprimande les rééduqués. Luo
demande à un homme où se trouve la source
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des Trois Ciseaux. Il a appris que les filles vont
s’y baigner.
4
25
10mn51 à Ext.
12mn57
5
32
12mn57 à Int.
15mn09
Int.
6
40
15mn09 à Int.
19mn26
7
33
19mn26 à Int.
21mn43
Ext.
8
12
21mn43 à Ext.
22mn50
Ext.
9
29
22mn50
Ext.
à 26mn15
Ext.
10
110
26mn15
Ext.
à 40mn27
Ext.
Ext.
Ext.
Les garçons observent les filles qui se baignent.
Luo glisse dans une cavité. Cortège du Vieux
Tailleur.
Au village. Le Tailleur dit au chef qu’il a déjà
vu un violon. Sa petite-fille pose des questions
sur le père de Luo et interroge Ma sur le coq
dans le réveil.
Luo dit à Ma qu’il n’a pas envie de connaître
son vrai nom. Le réveil n’est plus là…
Chez la Petite Tailleuse. Les filles ont démonté
le réveil. Discussion sur la vie en ville, au-delà
de la montagne. Elle dit ne pas savoir lire mais
refuse des leçons. Elle offre un avion miniature
à Luo.
Salle du village. Fête du Comité directeur de la
commune en l’honneur d’un rééduqué qui
prend la parole. Le chef intervient pour
souligner son exemplarité.
Ma et Luo invitent la jeune fille à manger le
dimanche. Elle refuse car va aux sources
chaudes avec les filles.
Le chef décide d’envoyer les rééduqués en ville
pour y voir un film nord-coréen. Ils seront
chargés de raconter l’histoire aux villageois.
Rencontre avec le tailleur en chemin. Ils
demandent d’avertir sa petite fille. Accès de
délire du Tailleur « Le violon !…le violon ! »
Ma et Luo arrivent en ville. Ils se ruent sur un
plat de nourriture, puis vont au cinéma assister
à la séance de cinéma.
Au village, la veillée. Le récit avec effets
spéciaux.
Ma et Luo parlent de la Révolution culturelle
avec la jeune fille. Elle veut entendre un récit
étranger. Elle évoque la valise de livres du
Binoclard.
Le Binoclard aux champs. Il perd ses lunettes.
Ma et Luo les lui retrouvent. Ils demandent s’il
a des livres. Il répond qu’il a tout jeté.
Ma, Luo et la Petite Tailleuse poursuivent leur
balade, vers le petit cimetière. Ma préfère faire
griller des patates douces.
Arrivée de la mère du Binoclard. Son fils va
repartir, engagé par une revue littéraire.
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17
Int.
Le trio monte un plan pour avoir les livres
avant le départ du Binoclard ; ils vont les voler.
Ext.
La fête en l’honneur du Binoclard. Il a bu du
sang de buffle. Les filles font un spectacle de
danse pour lui.
Ma et Luo fouille son habitation et trouve la
valise de livres. Le serment de « transformer la
Petite Tailleuse ». Mais ce ne sont que des
livres révolutionnaires…
Le Binoclard est malade, il rentre chez lui avec
sa mère. Elle voit la valise ouverte ; son fils lui
dit qu’il a bien caché les romans étrangers.
Les filles ont terminé le spectacle. On les
applaudit.
Int.
Ext.
Int.
Ext.
Int.
Int.
Ext.
Int.
11
31
Int.
Ext.
Ma termine à l’aube la lecture d’Ursule
Mirouët.
40mn27
Int.
à 45mn08 Ext.
Au travail dans la mine. Luo est malade. Le
palu. Après l’avoir plongé dans les eaux du lac,
le chef le fouette avec une branche. Arrivée de
la Petite Tailleuse qui prend le relais.
Travail à la mine. Luo va mieux.
Int.
12
29
Pris de convulsions, le binoclard sort de chez
lui, suivi de sa mère. Ma et Luo volent la valise
de livres défendus.
A la cabane. Ils regardent les livres avec la
jeune fille. Balzac, Gogol, Stendhal,
Dostoïevski, Kipling, Le rêve du Pavillon
rouge.
Ils vont cacher les livres dans une grotte.
45mn08
à 48m15
Ext.
Au cinéma avec la jeune fille. C’est le même
film qui passe.
Ext.
Le récit au village. L’invention : l’Albanie,
Ursule Mirouët, Balzac.
13
1
48mn15 à Int.
48mn20
Travail épuisant à la mine. Astuce des aiguilles
du réveil. Il sonne plus tôt.
14
56
48mn20
Int.
à 57mn30
Chez elle, la Petite Tailleuse refuse d’essayer
une veste confectionnée par son grand-père.
Int.
Luo, de mauvaise humeur, fume. Le Tailleur a
brûlé Le Père Goriot qu’il lisait à la jeune fille.
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18
Ext.
Corvée du matin, les seaux d’excréments. Un
seau est renversé, ils ramassent tout à la main.
Int.
Luo et la jeune fille dans la grotte, ils lisent
Balzac. Arrivée de Ma qui annonce la venue du
Tailleur au village.
Il s’installe chez les rééduqués, malgré
l’inconfort. Confidence :sa petite-fille a changé.
Flash back du soutien-gorge qu’elle s’est
confectionnée. Le grand-père a peur qu’elle
veuille changer de vie.
Le chef revient de la ville où il a été soigné par
un dentiste révolutionnaire qui ne lui a pas
arraché la dent malade ! Il souffre.
Le Tailleur demande aux rééduqués de lui
raconter une histoire. Ce sera Le comte de
Monte-Cristo. Il écoute pendant 9 nuits et taille
des vêtements inspirés des histoires.
Une nuit. Le chef survient et entend l’histoire.
Il dit qu’il oubliera ce qu’il a entendu si Luo
soigne sa dent.
Le tailleur va chercher sa petite-fille pour
qu’elle assiste Luo.
Ext.
Int.
Ext.
Int.
15
91
57mn30 à Int.
1h04mn15
Ext.
Int.
Ext.
16
3
17
76
1h04mn15 Ext.
à 1h04mn
24
1h04mn24 Ext.
à
Int.
1h11mn45
Ext.
Ext.
Ext.
L’épisode de la dent arrachée avec le
mécanisme de la machine à coudre. La séance
de « torture ». Luo coule de l’étain dans la dent.
Le lendemain. « Docteur Luo ». Une foule de
gens chargés de cadeaux attendent pour se faire
soigner.
Voix off de Ma. Il a copié des passages de
livres dans sa veste de mouton.
Eboulement à la mine. Le chef est blessé. La
vie change pendant un mois. Ma rencontre un
vieux meunier qui chante des chansons
licencieuses, en jouant d’un instrument à
cordes. Ma ne comprend pas l’énigme du chant
et fait rire le meunier.
Pendant ce temps, Luo et la Petite Tailleuse
connaissent l’amour charnel. Scène du torrent.
Luo annonce son départ pour deux mois car son
père est malade. La jeune fille plonge pour
trouver une tortue molle qui peut le guérir. Luo
demande à Ma de veiller sur la jeune fille.
Morsure de la tortue. Luo serre le garrot tandis
que Ma aspire le venin.
Le camion qui emporte Luo quitte le village.
La Petite Tailleuse court derrière, et lui dit
qu’elle a des problèmes.
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19
18
35
1h11mn45 Ext.
à
1h16mn18
Ext.
Int.
19
22
1h16mn18 Ext.
à
Int.
1h20mn06
20
34
1h20mn06 Int.
à
Ext.
1h24mn05
Ext.
21
7
1h24mn05 Ext.
à
Int.
1h25mn02
22
68
1h25mn02 Int.
à
1h36mn20
Int.
Int.
Ext.
Int.
Ext.
Ext.
Int.
Int.
23
22
1h36mn20 Ext.
à
1h40mn58
Ma lit Madame Bovary à la jeune fille. Il de
voit dans le rôle du mari, des amants.
Ma se fait agresser verbalement et
physiquement par des jeunes, jaloux. Ils lui
prennent son livre, mais Ma s’en tire.
La Petite Tailleuse annonce qu’elle est
enceinte. La loi interdit l’avortement et le
mariage avant 25 ans.
En ville. A l’hôpital. Ma rencontre un
gynécologue, ami de son père. Il lui promet un
roman français. L’intervention se fera au
village.
Pendant l’intervention, pour camoufler les cris
de douleur, Ma joue du violon à l’extérieur.
« Le Lac des cygnes » quand le chef arrive.
La Petite Tailleuse dit qu’elle est autre
maintenant. Ils vont en ville. Ma a vendu son
violon et lui donne de l’argent.
Retour de Luo. Tous trois vont fêter
l’anniversaire du Tailleur. Moment convivial.
Ma et Luo discutent, sont fiers d’avoir sorti la
jeune fille de son ignorance.
Ma, en voix off. Prolepse. 15 ans après.
Violoniste en France.
Chez lui. Informations sur la Chine à la TV. Le
barrage hydroélectrique qui va inonder les
villages de la montagne du Phénix.
Ma décide de partir pour la Chine. Il achète une
bouteille de parfum à l’aéroport pour la Petite
Tailleuse.
Il retourne à la cabane où il a vécu de 1971 à
1974. Jour de la fête des Esprits.
Cérémonie. Des centaines de petits bateaux en
papier illuminés flottent sur le lac. Il cherche
dans le lac une trace de la jeune fille.
Ma rend visite à Luo, resté en Chine Rencontre
avec sa femme et son fils. Luo est une sommité
dans le pays.
Les deux hommes regardent la vidéo tournée
par Ma au village. Ils revoient le chef, le réveil,
le vieux meunier. Emotion au moment de la
grotte aux livres.
Flash Back. Le Tailleur affolé arrive chez les
rééduqués : sa petite-fille est partie tenter sa
chance dans une grande ville. Les garçons la
retrouvent sur le chemin escarpé. Elle justifie
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son départ par les propos de Balzac sur la
beauté des femmes.
24
14
1h40mn58 Int.
à 1H46
Int.
Retour dans le présent. Luo dit qu’il est parti à
sa recherche en 1982. En vain. Evocation de
leur amour à tous les deux pour la jeune fille.
Générique. La cabane remplie d’eau. La
Tailleuse, Luo et Ma flottent à l’intérieur.
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2. Quelques éléments d’analyse cinématographique
a) la structure
Elle est facile à repérer :
1. L’arrivée dans les montagnes. Le début de la rééducation.
2. La rencontre avec la jeune fille et les livres
3. Le départ de Luo. L’avortement
4. Le départ de la Petite Tailleuse
5. L’épilogue
Ce sont les évènements venant perturber l’équilibre narratifs qui sont tout naturellement les
articulations du film. On notera que les séquences du films sont ponctuées de courtes scènes
qui montrent les corvées, la rudesse du travail (à la mine, dans les champs). Le parti pris du
réalisateur consiste donc à faire figurer au premier plan les aventures romanesques du trio,
reléguant à l’arrière-plan le réalisme du contexte historique et politique. N’oublions pas que
Sijie est lui-même un rééduqué…Il a donc choisi d’utiliser la Révolution culturelle comme
toile de fond.
b) une adaptation de son propre roman .
Balzac et la Petite Tailleuse chinoise est l'adaptation du roman du même nom. Dai Sijie a
choisi d'écrire un roman semi-autobiographique, qu’il a adapté lui-même pour le cinéma.
L’ensemble est globalement fidèle au livre, ce qui est prévisible dans la mesure où écrivain
et réalisateur sont une seule et même personne. Néanmoins, les écarts sont nombreux, et, sans
juger du bien fondé des choix opérés pour l’adaptation filmique, on soulignera surtout
l’intérêt de proposer aux élèves le roman à lire. Très complémentaires l’un de l’autre, roman
et film mettent à jour des questionnements intéressants tant du point de vue esthétiques que
politiques. Les divergences sont nombreuses ; parmi celles-ci, on remarquera :
- le contenu de la valise. Il varie dans le film. En effet, les autorités chinoises pont
souhaité que le réalisateur valorise la littérature orientale et non la littérature
occidentale. On voit ainsi apparaître un classique chinois, Le Rêve dans le Pavillon
Rouge.
- Les figures de l’autorité sont édulcorées. Là où, dans le roman, Sijie insiste sur le
grotesque et le ridicule de l’application du communisme dans les faits, il adoucit le
personnage du chef dans le film.
- Le dénouement. Rappelons que les autorités chinoises ont censuré le roman, et que
pour que le film se tourne dans le splendide site du nord ouest de la province du
Hunan, les montagnes de Zhangjiajie, Sijie a dû faire quelques concessions. Ainsi la
prolepse qui projette le spectateur vingt ans plus tard dans le film. L’épilogue se clôt
sur lui-même dans un souci de cohérence : écho au violon du début avec l’itinéraire de
Ma devenu violoniste pour l’orchestre de Lyon ; retrouvailles des garçons qui
éprouvent le besoin de convoquer les souvenirs du passé dans la montagne du Phénix.
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DEUX FILMS POUR UN THEME
1. Les protagonistes et les lieux
1. Les personnages masculins
Les personnages masculins des deux films n’ont pas grand chose en commun, si ce n’est leur
origine sociale : ils sont tous les trois issus d’un milieu bourgeois. Cependant, Fugui se
démarque de Ma et Luo par son manque de culture bourgeoise, il ne sait jouer que des dés et
on ne le voit jamais faire référence à une culture quelconque, mis à part celle du théâtre
d’ombres mais qui est, in fine, plutôt populaire. Alors que les deux jeunes rééduqués lisent de
la littérature étrangère et jouent des grands classiques occidentaux au violon.
Fugui, que l’on suit sur quarante ans de sa vie, est présenté d’abord comme un jeune homme
désabusé et gâté par la vie d’opulence et d’ennui de l’enfant riche. Ayant perdu toute la
fortune familiale aux dés et abandonné par sa femme, il va être obligé de changer
radicalement d’attitude face à la vie. On passe alors d’un jeune homme imbus de lui-même et
peu respectueux des autres (voir la manière dont il parle à sa femme et à son père), à un
homme forcé de mûrir vite au contact des différents événements plus ou moins tragiques qui
vont façonner sa vie. Il devient donc respectueux, à la limite de l’obséquiosité avec ceux qui
lui semblent supérieurs à lui, comme avec Long’er quand il vient lui demander de l’argent, il
se met à épauler sa femme et à la voir comme la chance de sa vie et il fait face avec courage et
simplicité aux aléas de l’existence… Il n’y a aucune révolte chez ce personnage, juste un peu
lorsqu’il apprend que c’est son ancien compagnon de guerre Chunsheng qui a tué son fils
Youquin. Il prend sa part de responsabilité dans ce qui lui arrive et va même jusqu’à s’accuser
de tous les maux de sa famille : ainsi c’est de sa faute si Youquin est mort, car il avait insisté
pour qu’il aille à l’école poursuivre l’effort pour produire l’acier, alors que l’enfant était
épuisé ; et c’est aussi de sa faute si sa fille est morte car c’est lui qui avait donné trop de petits
pains à l’obstétricien et trop d’eau, ce qui l’a rendu malade et l’a empêché de s’occuper de
Fengxia… A aucun moment, il n’incrimine le gouvernement de Mao et ses décisions
politiques insensées, comme faire travailler des enfants continuellement ou faire faire à de
jeunes infirmières inexpérimentées le travail de spécialistes alors jugés pour trahison… Zhang
Yimou laisse au spectateur le soin de départager les responsabilités de chacun, et l’on voit
bien pourquoi le gouvernement chinois ne l’a pas laissé aller au Festival de Cannes pour
recevoir son prix…
Les deux lycéens de Dai Sijie nous sont « livrés » que pour une courte durée : quelques mois
de leur existence, au moment de leur rééducation, et un peu de leur vie d’adulte, quinze ans
plus tard, au moment des regrets et de l’épilogue.
Ma (ou Dai), le joueur de violon, est facilement identifiable car il est souvent habillé en rouge
(élément visuel facile à faire relever aux élèves) et il est moins joli garçon que son camarade
Luo. Il est aussi un peu timide, plutôt introverti et secret. Cependant, c’est lui qui devra faire
face à l’avortement de la petite tailleuse, en l’absence de Luo qui pourtant est responsable de
cet état de fait. Pour elle, il vendra son violon et amadouera le grand-père de la jeune fille en
lui racontant le Comte de Montecristo afin de permettre à ses amis de vivre leur amour
paisiblement. C’est lui qui revient dans le petit village, avant que celui-ci ne soit noyé sous les
eaux, pour chercher la jeune fille de leur jeunesse, mais en vain. C’est le fidèle, celui qui
cache son amour pour l’amoureuse de son ami, celui qui aime différemment.
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Luo, c’est le beau gosse, beau parleur. Il est en bleu. C’est lui qui sauve le violon de son ami à
leur arrivée dans le village, alors que le chef veut le brûler. C’est lui qui veut aller voir les
filles qui se baignent dans les sources d’eau chaude, c’est lui qui raconte le film coréen aux
villageois, c’est lui encore qui vole la mallette des livres au binoclard, c’est lui qui veut
transformer la petite tailleuse en une femme cultivée… Il est à l’initiative du mouvement, de
la vie (sic), il avance et profite même de ses faiblesses comme l’épisode de paludisme pour
conquérir ouvertement la jolie tailleuse.
On l’a vite compris (et c’est peut-être une des faiblesse du film, cette facilité à tomber dans le
lieu commun alors que l’on traite d’un sujet précis et complexe comme la rééducation des
jeunes bourgeois chinois lors de la Révolution culturelle), ces deux garçons sont
complémentaires, et chacun pourra s’y reconnaître…
Finalement, dans le film de Dai Sijie, l’amitié est renforcée par le contexte historique du
communisme ; puisque l’on comprend à la fin du film, lors des retrouvailles des deux héros,
que c’est la suite des événements qui les a séparés. Ma est parti en Europe comme violoniste
et Luo est resté en Chine comme dentiste. Alors que dans Vivre ! , c’est le contraire qui a lieu
pour Fugui et son compagnon de guerre Chunsheng : la guerre (forcée) aux côtés de l’armée
nationaliste les a rapprochés, puis ils se sont retrouvés lors du Grand bon en avant, mais dans
des circonstances tragiques (mort de Youquin) qui les éloignent l’un de l’autre, ce que
confirmera la Révolution culturelle, des années plus tard, quand Chunsheng sera accusé de
capitalisme et de trahison, et que Fugui devra marquer encore plus ses distances avec son
ancien compagnon.
On peut finir cette réflexion sur les personnages masculins par un regard sur les deux chefs de
ces films. Que ce soit dans Vivre ! ou dans Balzac et la petite tailleuse chinoise, que ce soit le
chef du quartier dans l’un ou le chef du village dans l’autre, ces deux personnages sont assez
comparables. L’un comme l’autre sont plutôt des figures positives, même si celui de Luo et
Ma est au départ un peu menaçant par son ignorance et la conscience de son importance de
chef. Ils accompagnent les héros dans leur évolution et acquiert une dimension sympathique,
surtout pour celui de Vivre ! puisqu’il sera à son tour victime de régime communiste. Ils
incarnent certes le contrôle social et permanent mis en place par le régime de Mao, mais un
contrôle à visage humain.
2. Les figures féminines
a) Les figures principales :
Elles sont porteuses de symboliques fortes, dans les deux films. Elles sont incarnées par des
actrices connues de l'univers cinématographique chinois : Zhou Xun (la Petite Tailleuse), et
Gong Li (l'épouse, la mère).
Le personnage de Jiazhen (Gong Li) : Mère Courage
Superbe épouse de Fugui, elle accompagne le héros tout au long des époques que traverse le
film, soit une trentaine d’années. Autant d’épisodes douloureux : la faillite, la guerre, le Grand
Bond en avant, le drame de la perte de leurs deux enfants. Jiazhen est un personnage à la fois
fragile et d’une force incroyable. Sa décision de quitter son mari et d’emporter sa fille avec
elle pour dire sa désapprobation des agissements de Fugui montre bien son autorité. Parée
d’élégance et de détermination, elle quitte dignement le tripot à l’origine leur faillite. On va
ensuite la suivre dans son destin de Mère Courage. Elle pardonne au père de ses enfants ses
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erreurs, et vit le collectivisme prôné par le régime communiste sans se plaindre. Jusqu’au jour
où tout bascule, où son fils, réquisitionné dès l’enfance pour travailler, meurt
accidentellement. Si le personnage féminin plonge dans la douleur de la perte et le
ressentiment, elle n’en garde pas moins une force qui saura lui permettre de jouer son rôle au
sein de sa famille. Y compris après la mort de sa fille en couches…Elle sait encore trouver le
désir de vivre pour élever son petit-fils, transmettre des valeurs individuelles. Unique dans
son histoire d’amour et dans son destin de femme dans la Chine maoïste, elle défie les dérives
du communisme chinois.
Le personnage de La Petite Tailleuse (Zhou Xun) : Une héroïne shakespearienne
La Petite Tailleuse chinoise fait figure de blason, de princesse de la montagne du Phénix du
ciel. Elle est très belle. Elle incarne le joyau naturel, la pierre précieuse que l'on trouve dans la
nature. Son grand-père, le Tailleur fait lui figure de roi dans cet univers rural. C’est lui qui
habille les femmes de part et d’autre de la montagne et il est traité comme un seigneur. A ce
titre, il semble normal que la Petite Tailleuse devienne la princesse du conte de nos deux
héros…
C’est cependant un personnage complexe, qui ne se laisse pas saisir facilement. Filmée très
souvent en gros plan, l’actrice montre par un jeu expressif la curiosité qui caractérise le
personnage. Sa rencontre avec les deux rééduqués est traversée par l’amitié, l’amour, la
sensualité, l’éducation, l’éveil intellectuel, le plaisir. Elle avoue très tôt qu’elle ne sait pas lire,
mais elle vient d’un milieu cultivé ; sa mère était la seule institutrice dans la montagne. La
Petite Tailleuse, méfiante, a conscience des ses manques mais prend son temps pour
rencontrer les deux garçons et accepter leur initiation.
Elle prend une nouvelle dimension après le départ de Luo, et l’avortement organisé par Ma
pour l’aider. Elle a choisi de renverser les barrières culturelles et de changer de vie.
Lorsqu’elle quitte la montagne, sur le même sentier à flanc de falaise que dans la scène
inaugurale, elle accomplit un rite de passage. A l’image de sa nouvelle apparence, ses
cheveux coupés, et sa tenue occidentale, elle s’émancipe et laisse les deux garçons derrière
elle. Elle a découvert la lecture, la littérature, la calligraphie. L’aventure prend les allures d’un
drame lorsqu’on apprend que la jeune fille est enceinte, en raison des lois chinoises sur la
natalité ; mais le personnage prend une toute autre dimension, tragique cette fois, en allant au
bout de sa métamorphose, et en choisissant de mourir (de façon symbolique) à son ancienne
vie. Les deux garçons n’avaient pas pris la mesure de sa détermination. Elle ira jouer son
destin ailleurs, les laissant dans l’incompréhension de son départ.
b) Les figures secondaires :
Vivre! , des générations de femmes :
-
la mère du héros, la grand-mère : Elle représente les traditions, les rites en
matière d’organisation familiale. Elle vivra avec ses enfants et ses petitsenfants qui s’occuperont d’elle jusqu’à la fin de sa vie.
-
la fille des protagonistes : Elle est une héroïne tragique. Muette depuis
l’enfance, elle ressemble à sa mère dans le sens où elle accepte la fatalité de sa
vie. Néanmoins, elle semble fragile et n’existera que protégée par ses parents,
son petit frère, ou son époux par la suite. C’est une libération pour Fengui et
Jiazhen lorsqu’un homme accepte de l’épouser, même si le mariage et le
départ de la maison semble être une déchirure pour la jeune fille. Mère à son
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tour, elle meurt sans pouvoir exprimer sa douleur, en mettant au monde son
fils.
-
les femmes médecins : Elles représentent l’absurdité politique des décisions
prises à la fin des années 60. Les intellectuels, les scientifiques, ont été écartés
du pouvoir. Purges, goulags, exécutions. La Chine s’est vue ainsi privée de
savoir-faire fondamentaux. Le film montre le résultat de l’absence
d’expérience en même temps que le refus de la tradition, des anciens qualifiés
de « réactionnaires ». Les jeunes femmes médecins de l’hôpital sont des
soldats de Mao, directives et endoctrinées, mais totalement désemparées face à
la complication médicale de Fengxia.
Balzac :
Il n’y pas grand-chose à dire sur le sujet tellement la présence de la Petite Tailleuse occupe le
film.
On notera cependant le groupe de jeunes filles qui accompagnent la petite Tailleuse.
Coquettes, elles se réjouissent de profiter des créations du Vieux Tailleur inspirés du roman
de Dumas. Elles sont gaies, naïves. Elles batifolent dans l’eau et se moquent des garçons.
Elles aiment se laisser bercer par les histoires sans pour autant y placer une raison de vivre.
Enfin, l'épouse de Luo, dans l'épilogue. Elle est une pâle figure comparée à la Petite Tailleuse.
Emblème de la Chine du progrès, elle résume avec fierté en quelques mots la réussite sociale
et professionnelle de Luo, devenu grand médecin à Shanghai.
3. Les lieux
a) la campagne chinoise
Vivre !place principalement son intrigue dans la ville, aussi a-t-on un très petit aperçu des
campagnes.
Ce que l’on en voit, ce sont des plans larges, des décors de champ de bataille, les longs
convois militaires encadrés par l’armée nationaliste du Guomindang, filmés en plans
d’ensemble.
Paysages désertiques, grandes plaines sèches, montagnes au loin. Canons, fusils, camions.
C’est l’hiver, rude, les soldats surveillent les manœuvres des hommes dans les tranchées.
Yimou utilise le paysage comme un espace hors contexte par rapport à l’ensemble du film, un
véritable hors-champ visuel, qui tire davantage du côté du décor de théâtre que de la
reconstitution réaliste d’un épisode historique. On voit surtout dans cet extérieur beaucoup
d’hommes, ils envahissent l’espace, saturent le cadre. L’horizon est totalement bouché par la
machine de guerre. Cette séquence est marquée par l’horreur des combats, le très grand
nombre de blessés, des conditions climatiques éprouvantes (neige, très basses températures).
L’espace n’est que le prétexte à dire l’horreur et l’absurdité de la guerre. La séquence
s’achève sur l’assaut des communistes en arrière plan, et la fuite du héros et de son ami dans
un paysage hostile. Le décor est le prétexte à montrer la supériorité des communistes. Les
seules images de la campagne que l’on verra par la suite mettent en scène les personnages
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allant se recueillir sur les cendres de leurs deux enfants. Il s’agit d’un simple décor naturel, au
climat aride, qui renvoie à la rudesse des conditions de vie en Chine.
La campagne est en revanche omniprésente et joue un rôle narratif dans Balzac et la Petite
Tailleuse chinoise, à travers la vie dans les montagnes. Les deux rééduqués sont littéralement
enfermés par la barrière des montagnes, les accès sont périlleux pour retourner dans les villes.
On constatera que la photo est très belle dans le film de Dai Sijie. Les lieux sont chargés
d’une dimension poétique, et paradoxalement, ils sont également le cadre du centre de
rééducation maoïste. Ce qui paraît être pour Luo et Ma une nécropole, un lieu
d’anéantissement moral, va devenir une source d’ivresse, le cadre de l’initiation à l’amour et à
la culture.
L’élément liquide est très présent dans le film. L’apparition de la jeune fille a lieu lors du
bain, dans la source. La relation charnelle qui l’unit à Luo se passe dans le torrent. Les deux
protagonistes sont enlacés dans l’eau, jouent avec les éléments naturels, comme la Petite
Tailleuse chinoise qui se pare d’une tenue végétale pour cacher sa nudité au sortir de l’eau.
Sijie utilise par ailleurs des symboles forts : la mine de cuivre, la dureté du labeur, les seaux
d’excréments, sont filmés de façon à rendre l’atmosphère étouffante et inhumaine. Le
spectateur prend conscience de la pauvreté des campagnes chinoises à travers l’aspect
rudimentaire des maisons, du mobilier. Le choix du cadre est toujours significatif : plans très
serrés quand il s’agit de montrer les visages, les émotions ; plans larges et plans d’ensemble
pour ouvrir l’horizon, donner de la liberté aux héros, à l’imagination et à la pensée.
Si donc la nature semble hostile au premier abord, elle deviendra pour les deux rééduqués
l’espace de l’initiation amoureuse, culturelle ; le divertissement qui leur permet de se résigner
à cet univers carcéral. Sijie joue de cette ambivalence : des lieux beaux et sacrés, tour à tour
synonyme de prison ou d’exaltation.
Dans l’épilogue du film, Sijie fait explicitement référence, par des images d’archives
documentaires, au barrage hydroélectrique des Trois Gorges, construction pharaonique
entreprise en 1994 et achevée en 2006. C’est en 2009 qu’il est totalement opérationnel ; il a
nécessité de dévier le fleuve Chang Jiang et d’engloutir des villages entiers qui ont disparu
sous les eaux. A travers les images de la vidéo de Ma, on assiste à la fin d’un paysage
ancestral, à la réalisation pratique d’une idéologie gouvernementale.
b) la ville et le quartier
Les deux films ne donnent pas à voir la ville chinoise telle qu’un occidental peut se
l’imaginer, immense, poussiéreuse et surtout grouillante de population à pied ou en vélo… On
ne voit en effet que des bout de villes, et en plus ce sont des petites villes de province. Il y a
quelques scènes de foule, comme celle de la projection du film coréen dans le film de Dai
Sijie, ou encore celle du procès de Long’er dans celui de Zhang Yimou, mais elles sont
fugaces, et pour le deuxième filmée en plan large, ou en plan moyen, ce qui en réduit la portée
en tant que telle. La ville est plutôt symbolisée par des rues étroites, des constructions en
pierres, par opposition de celles en bois dans les villages de campagne. Il y règne une activité
commerciale et de propagande (visible surtout dans Vivre !).
Autant les lieux sont végétaux et ouverts chez Dai Sijie, autant ils sont minéraux et fermés
chez Zhang Yimou. Ce sont les éléments eau et air qui dominent chez l’un, alors que c’est la
terre (avec la pierre, la poussière),le feu et le métal (cinquième élément dans la mythologie
chinoise) qui sont présents dans l’autre. L’un est ainsi fluide et finalement ouvert (peut-être de
manière un peu démonstrative) alors que l’autre est incandescent, tout en portant un message
d’espoir mais pudique (ce qui en fait très certainement toute la subtilité).
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Enfin, ce qui est intéressant à étudier dans ce cadre de la ville et du quartier, c’est l’usage de
la rue, aboutissant à la cour, comme un chemin rituélique dans le film de Zhang Yimou. Le
plan, presque toujours le même, toujours moyen, les éclairages (bleus pour la rue, beiges et
gris pour la cour), l’irruption de l’extérieur dans ce qui est une antichambre de l’intérieur,
constitue une sorte d’invitation à la réflexion sur ce qui « nous » arrive, sur ce qui ad-vient,
sur ce qui va entrer dans notre vie et peut-être la bouleverser…
2. La Chine d’aujourd’hui regarde la Chine d’hier
L’épilogue du film Balzac et la Petite Tailleuse chinoise diffère largement de celui du
roman. Il ne faut pas oublier que le succès de Sijie réside en partie dans la légèreté avec
laquelle il dépeint cette période noire de la Révolution culturelle. Il choisit de ne pas sombrer
dans le moralisme et de ne pas faire de réquisitoire contre Mao. C'est un film qui a un arrièreplan politique très marqué, mais qui parle d'une rencontre, d'amour et d'amitié, qui préfère
l'humour et l'art, aux réalités difficiles des « laogaï » (bagne, prison).
Pourtant l'épilogue du film révèle bien le poids de l'autorité chinoise sur la culture encore de
nos jours. Sijie nous projette dans la Chine des années 90; il utilise une ellipse temporelle, on
retrouve les deux héros vingt ans après. L'un est un célèbre violoniste, l'autre un médecin
réputé. Cette fin, absente du roman, montre la Chine sous un jour plus optimiste, comme un
Empire qui a dépassé la paralysie intellectuelle imposée par Mao. Il semblerait que ce saut
temporel ait été le fruit d'une entente entre la Chine et l'auteur, pour que le tournage puisse
avoir lieu...On voit ainsi la Chine inscrite dans la modernité, en plein essor, fructueuse et
moderne, soucieuse de ses richesses naturelles et de l'avenir (le barrage des Trois Gorges),
médecine de pointe à Shanghai, peut-être afin de compenser la triste réalité de l'histoire.
Les deux hommes sont en train de regarder la vidéo tournée par Ma dans les hameaux de la
Montagne du Phénix du ciel. Les souvenirs et les émotions remontent avec les images. C'est
la première fois que les garçons mettent des mots sur l'amour qu'ils éprouvaient pour la jeune
fille. Il est intéressant de travailler cette séquence finale avec les élèves, au regard de
l'ensemble du film et de la fin du roman. Concernant l'aspect géopolitique, on examinera de
près comment le réalisateur donne une dimension idéalisée, voir nostalgique, à ces lieux
amenés à disparaître par l'inondation occasionnée par la construction du barrage hydraulique.
C'est à la fois leur passé qui va disparaître, quatre années passées ensemble, et un endroit
millénaire qui va être rayé de la carte. L'inondation des villages de la montagne du Phénix du
Ciel (dernière image du film : plan fantasmatique dans la cabane où l'eau monte, objets
symboliques -machine à coudre, flacon de parfum- Ma, Luo et la Petite Tailleuse flottent
comme suspendus dans l'eau) est une réalité que Dai Sijie choisit d'associer à la symbolique
d'un achèvement. Nostalgie, tristesse d'un amour perdu.
Par conséquent, il est pertinent de réfléchir sur le regard que portent Ma et Luo, devenus
adultes, sur cette période de leur vie, et, avec le recul, quel relief prend la Révolution
culturelle.
Pour Zhang Yimou, le fait de regarder en arrière et de faire un film sur le passé communiste
de la Chine n’a rien d’exceptionnel. Il en convient d’ailleurs avec modestie dans l’interview
qu’il a accordée pour le livret du Festival de Cannée (Opus cit. plus haut). Ce qui compte pour
lui, c’est l’angle d’attaque. Il a choisi de montrer les périples d’une famille chinoise de base,
prise dans les tourmentes de l’histoire, avec un regard réaliste, voir parfois minimaliste, mais
sans pour autant tomber dans l’aspect documentaire de Qiu Ju, une femme chinoise. Il dit
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clairement qu’il ne veut pas faire de politique, mais malgré tout il précise qu’à cette époque
(la Révolution culturelle, notamment), dont il se souvient bien: « La politique était dans notre
sang, dans chaque pore de notre peau. […] Les gens voulaient vivre heureux, sans se mêler
de politique, mais c’était impossible d’y échapper. Comme le disait Mao : la politique touche
l’âme de chacun. » » Enfin, il ne veut pas faire de son film un film engagé : « je ne m’exprime
pas en tant que victime, je ne maudis personne. On a déjà trop vu ça au cinéma. J’essaye de
dire les choses de façon plus subtile, plus indirecte. » Pour cela, il a utilisé l’humour noir et le
sens de l’absurde, comme dans la séquence de l’accouchement de Fengxia. Mais ce choix de
mélanger différents registres n’a pas convaincu les autorités chinoise de l’innocuité de ce film
et Zhang Yimou n’a pu se rendre à Cannes pour recevoir son prix et Vivre ! est interdit de
diffusion en Chine… Il n’est donc pas encore facile pour la Chine d’aujourd’hui de regarder
librement la Chine d’hier, surtout quand ce jour d’avant est un peu trop proche de l’ici et
maintenant…
3. Analyse de deux séquences clef
1. L’art comme moyen d’évasion dans Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
On étudiera deux courtes séquences en parallèle :
¾ la séquence 9 : le film vu, le film conté. 3mn25. 29 plans
Les deux rééduqués à la ville. Retour à la civilisation pour une soirée. C’est l’occasion pour
le spectateur de se familiariser avec la Chine maoïste des villes à travers les tenues
vestimentaires des femmes, qui portent la célèbre veste d’ouvrier. Après s’être rués sur un plat
de nourriture dans un marché, ils assistent à une séance de cinéma.
Le lieu de projection en plein air est comble ; un écran est tendu au milieu d’une place, les
deux garçons ont du mal à trouver un endroit pour s’asseoir mais parviennent tant bien que
mal à trouver une place pour enfin voir le film.
Le plan suivant nous plonge dans le film conté par Luo. Retour au village Dans les
montagnes, à la nuit tombée. Une veillée est organisée. Luo raconte le film, pendant que Ma
crée des effets spéciaux. Il crée une sorte de soufflet qui répand de la neige artificielle, faite à
base de la peau de riz.
Les paysans sont émerveillés ; la Petite Tailleuse dit que « la neige des rééduqués est encore
plus jolie que la vraie ».
Le travelling est coupé par un gros plan sur le visage de la Petite Tailleuse, puis d’autres
visages de jeunes filles qui pleurent. On remarque au passage la différence des tenues portées
par les amies de la Petite Tailleuse ; elles ont revêtu une robe plus traditionnelle chinoise,
colorée et fleurie, elles sont apprêtées, contrairement aux autres femmes en tenue de travail de
paysan. Lorsque Luo s’arrête de parler, on peut voir en plongée l’auditoire captivé, les
spectateurs le pressant de continuer. Il invoque une pensée douloureuse, sa mère, et c’est Ma
qui prend la suite du récit. La séquence se termine par un nouvel insert sur le visage en larmes
de la Petite Tailleuse, l’héroïne. Les paroles de Ma sont accompagnées d’un son off, la
musique du violon, très récurrente dans le film.
Les villageois se mettent à rêver, trouvent dans l’art un moment pour s’évader de leur
quotidien, une nouvelle force : celle d’imaginer un ailleurs.
Ils sont émus.
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¾ la séquence 12 : 2mn51. 29 plans
On est à peu près à la moitié du film. Ma a terminé la lecture du roman de Balzac Ursule
Mirouët. Ils ont caché les livres volés au Binoclard dans une grotte. Luo est tombé malade et
craint d’avoir attrapé le palu. Lorsqu’il va un peu mieux, les deux garçons et la jeune fille
vont au cinéma.
La séquence commence sur un travelling filmant de dos le trio en train de regarder le même
film nord-coréen. Le cinéma donne à voir du cinéma. Sijie a choisi d’insérer des plans de La
Petite Marchande de fleurs. Des plans réalistes qui montrent la rudesse et la gravité des
visages, le travail des paysans. Le plan rapproché sur les protagonistes est très porteur de
sens : les deux garçons encadrent la jeune fille qui dévoile un visage cette fois très animé,
joyeux et curieux. Elle dit : « quand on le voit en vrai, je trouve pas que c’est aussi bien que
quand vous le racontez ! »
Le gros plan en noir et blanc sur le visage de la jeune fille qui pleure dans le film nord-coréen
fait directement écho au plan sur le visage de la Petite Tailleuse au début du film. Ma et Luo
craignent que le chef ne les laisse plus aller au cinéma ; ils décident donc de raconter une
autre histoire qui se passe en Albanie, le choix d’un pays « grand ami de la Chine », dira le
chef. Luo raconte le moment le plus fort, c’est une séance d’hypnose. Le personnage est une
femme : « Ursule Mirouët », un nom comme les villageois n’en ont jamais entendu. Il le fait
répéter à tout le monde. De même pour « Balzac » », le metteur en scène !
La séquence prête à sourire par le comique de l’imposture. Mais au delà de l’attitude
grotesque du chef et de la théâtralité de Luo, la scène peut aussi se lire comme une pirouette à
la doctrine de Mao qui sait manipuler les chinois, les « hypnotiser », en quelque sorte. A
l’image du choix de la place de la caméra, très près des acteurs, on voit là une population
crédule, captivée par un discours, sans aucun recul.
Ces courtes séquences nous permettent de constater que la population des montagnes vit
encore de façon ancestrale, coupée du monde, à l’image de cette interrogation de la Petite
Tailleuse chinoise : « C’est quoi le monde en dehors de cette montagne ? ». Les habitants
n’ont jamais vu ni de violon, ni de réveil (réveil bien présent à l’image, à côté du chef ! A la
fois trace d’un moment placé sous le signe de la culture mais aussi outil de contrôle pour le
chef sur le temps consacré au divertissement); ils ne savent ni lire, ni écrire. C’est donc un
véritable échange qui va s établir entre les deux rééduqués et les paysans car si Luo et Ma
découvrent un monde dont ils ne soupçonnaient pas l’existence, rude, inculte, les villageois
quant à eux vont se laisser séduire par la culture. Ils se laissent émouvoir par la musique du
violon de Ma, les histoires racontées. Finalement, la figure occidentale de Mozart, puis celle
de Balzac, supplantent celle de Mao. Les deux rééduqués inventent des stratagèmes pour
duper le chef, Balzac devenant un auteur de propagande ! Et en fin de compte, les villageois
deviennent malgré eux des dissidents.
1. Théâtre d’ombres
¾ Petite histoire du théâtre d’ombres
Le théâtre d’ombres est un art populaire très ancien. On pense souvent que la Chine en est le
berceau, mais les historiens s’accordent pour dire que c’est plutôt en Inde qu’il aurait vu le
jour, puis se serait répandu à la faveur des grandes migrations au Proche Orient, notamment
en Turquie. Il a d’abord servi à mettre en scène des éléments religieux comme l’évocation de
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l’âme des morts, mais assez vite il s’est emparé de tous les registres : épique, satirique,
politique ou grivois…
En Chine, on raconte qu’il remonte à plus de 2000 ans et qu’il vient d’une ruse militaire : un
chef de l’armée Han, Liu Bang, se serait retrouvé assiégé par l’armée Chu. Son conseiller,
Zhang Liang aurait eu alors l’idée d’ériger en haut des murailles des personnages de cuir
pour décourager l’ennemi, ce qui eu lieu, puisque l’armée Chu, croyant devoir faire face à une
armée imposante, aurait sonné la retraite…
Cet art populaire a toujours connu un grand succès en Chine, surtout dans certaines provinces
comme le Shanxi, mais il s’est trouvé fortement mis à mal pendant la Révolution culturelle,
comme le montre par ailleurs très bien le film de Zhang Yimou : destruction des marionnettes,
persécutions des artistes de ce théâtre alors jugé réactionnaire car ancien et surtout ayant
comme support des rois, des reines, des princes et des princesses… Mais certains vieillards
avaient gardé en mémoire le savoir-faire deux fois millénaire et ces dernières années, l’étau
culturel s’étant relâché un peu, on a pu constater un regain du théâtre d’ombres. Cependant, il
est véritablement menacé aujourd’hui par le décès de ceux qui en perpétuaient la mémoire et
le désintérêt inexorable que lui manifestent les jeunes générations happées par le cinéma et les
nouvelles technologies…
¾ Le théâtre d’ombre dans Vivre !
Choisir de s’attarder sur l’art du théâtre d’ombre tel qu’il est montré dans cet opus de Zhang
Yimou n’est pas sans intérêt, puisque c’est un rajout majeur du réalisateur par rapport au
roman de Yu Hua. Dans le roman, en effet, Fugui obtient de Long’er un peu de terre en
fermage pour pouvoir redémarrer et non un théâtre d’ombres. C’est une idée de son scénariste
Lu Wei. Le réalisateur s’exprime sur ce choix dans le numéro de la revue Positif qui lui est en
partie consacrée (n°401-402, juillet-Août 1994) dans un entretien accordé à Hubert Niogret :
« En faisant du cinéma, j’ai toujours voulu qu’en plus de l’histoire elle-même, des éléments
apportent visuellement quelque chose de neuf, aident à faire fonctionner l’histoire. […] les
ombres chinoises dans Vivre ! ont cette fonction. ». Il ajoute un peu plus loin : « Enfant, je
suis allée voir des spectacles d’ombres, et il m’est arrivé d’en acheter qui n’étaient pas chers
pour faire des ombres simples . »Pour le spectateur occidental, en plus de l’aspect
« exotique » de cet art, la référence à un art qui se sert d’un écran et de projecteurs de lumière
ne peut pas ne pas faire mouche. Il y a une forme d’autoréférentialité à l’œuvre ici, une sorte
de réflexion de l’œuvre sur elle-même, de l’art sur lui-même. Ainsi, la baïonnette qui déchire
l’écran blanc est une image que l’on n’est pas prêt d’oublier…
Il y a plusieurs séquences où l’on retrouve le théâtre d’ombres, en tout 7 ; je n’ai choisi de
m’attarder que sur celle qui me semble la plus riche, notamment car c’est celle où il y a la
fameuse scène de la baïonnette qui fend l’écran. C’est la séquence n°9.
Pour la situer, Fugui vient d’obtenir de Long’er ce qui va lui permettre de nourrir sa famille à
nouveau réunie : un théâtre d’ombres. Comme le lui a recommandé son généreux vainqueur
au jeu, notre héros a monté une troupe et s’en va par les quartiers et les chemins faire de
l’argent en montrant différents spectacles.
Cette séquence dure 2mn 43s, compte 21 plans et elle est construite comme un triptyque : les
8 premiers plans sont en son in (musique et chant du théâtre d’ombre) et présentent un
montage cut, alors que les 8 plans suivants sont en son off (mélodie récurrente dans le film
pour signifier les moments de paix et/ou de joie pour la famille de Fugui) et présentent un
montage en fondus enchaînés ; enfin les derniers plans retrouvent un son in (dont le bruit mat
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et agressif de la baïonnette perçant et déchirant le drap-écran) et un montage cut. La boucle
semble donc bouclée… Quant au cadrage, comme dans l’ensemble du film, on retrouve
surtout des gros plans (11) soit sur Fugui (5), soit sur les figurines du théâtre (5), et des plans
moyens (5), notamment sur la troupe en train de jouer, ou en marche. Zhang Yimou explique
ce choix dans une interview accordée à Peggy Chiao pour le livret de présentation du film
pour le Festival de Cannes de 1994 : Peggy Chia lui parlant de son nouveau directeur de la
Photographie « qui semble être un adepte des plans moyens et des gros plans », le réalisateur
répond que celui-ci « a un style très simple [qu’]il suit l’histoire et s’adapte à ce qu’elle
requiert sans état d’âme, [qu’]il n’y a jamais rien de pompeux dans son travail. » Zhang
Yimou parle même d’« un style plus réaliste », avec « une caméra assez fixe […] la plus
objective possible, afin de concentrer l’attention du spectateur sur les membres de la
famille ». Ce qui est intéressant de souligner ici, c’est que certes les moments de théâtre
présentent une dramaturgie quasi documentaire (attention portée sur les musiciens, le
chanteur, le montreur de figurines, le plan sur le public dans son ensemble), mais la deuxième
partie de la séquence sort de ce « réalisme ». Parce que ce moment du film tend aussi à
montrer le temps qui passe (ellipse) grâce notamment au fondu enchaîné, mais aussi la paix
retrouvée par la famille grâce à la mélodie du bonheur, ou encore, par ces plans extérieurs,
rares dans le film, quand la troupe marche dans la campagne, une vie en mouvement et qui est
en train de changer, on bascule vite dans un moment onirique et qui, à la fois, fait émerger
l’espoir, mais de surcroît prépare la métaphore finale du déchirement : tout le tempo du film
est ici inscrit, ce va-et-vient permanent entre la construction et la déconstruction, entre la vie
comme elle va, paisiblement et l’irruption de l’Histoire, l’événement qui va casser, déchirer,
détruire l’équilibre précaire mis en place par l’individu. Toute la réflexion du réalisateur sur la
tragédie personnelle des individus aux prises avec l’Histoire, sur l’absurde de la vie à cette
époque est là, dans ce retour en troisième partie au son in, au montage cut pour buter sur la
baïonnette et son annonce tragique : Fugui, même s’il a pris de bonnes résolutions, ne pourra
plus compter que sur lui-même pour faire et défaire sa vie et celle de sa famille, il devra
compter dorénavant sur les aléas de l’Histoire de son pays… « J’ai essayé d’introduire le sens
de l’absurde dans le film. A cette époque, quelles que soient les précautions que vous preniez,
vous ne pouviez jamais être à l’abri d’un drame. Le malheur tombait du ciel. […] Je n’ai pas
besoin de parler dictature ou totalitarisme. Tout le monde comprend. » (Zhang Yimou, opus
cité plus haut). Les paroles en jeu sont, pour leur part, très intéressantes puisqu’elles sont
celles des comédies mises en scène par le théâtre d’ombre ; au début, on constate que Fugui
parle de tristesse et de la difficulté de retrouver ses anciens amis, une histoire peut-être à
l’image du héros, pas encore complètement remis de sa déchéance, et c’est quand il chante
l’histoire grivoise de la jeune amante qui veut être prise sur un lit d’ivoire (chanson qu’il avait
chantée juste avant sa chute financière pour dette de jeu) que le voile se déchire, que la
baïonnette fait son office… On ne peut revenir en arrière dans ce film, le héros doit
inexorablement avancer, sans se retourner, sans se répéter, et « vivre ».
2. De la place de l’Art dans la vie : de quelle révolution culturelle parle-t-on ?
Deux citations à méditer. Extraites de Balzac et la Petite Tailleuse chinoise :
« J'ai l'impression que le monde a changé, les étoiles, le ciel, les sons, la lumière, même
l'odeur des cochons...Plus rien n'est pareil! » Ma, après la lecture d'Ursule Mirouët, de
Balzac.
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« Un seul livre, parfois, ça peut changer l'existence! » le vieux tailleur
A l’époque de la Révolution culturelle, seules les œuvres de propagande sont tolérées, tout
autre lecture est interdite. Il est intéressant d’examiner de près les réactions des villageois en
train de découvrir différents aspects d’une culture interdite, à travers la musique ou à travers
les mots. A la demande du chef, Ma fait une démonstration de violon et se met à jouer un
morceau de Mozart. Le pouvoir des livres est un des enjeux du film. Lire Balzac à la jeune
fille, lui ouvrir les portes de la littérature et de la musique, revêtent un caractère éducatif qui
mène la Petite Tailleuse vers l’indépendance, à choisir et à céder à l’appel de la culture. Son
départ surprend et attriste les deux garçons, mais ils devraient être fiers de son envol. L’art lui
a permis de fuir l’enfermement des montagnes, de se libérer de la vie qui lui était toute tracée.
La littérature endosse un rôle salvateur et civilisateur. La Petite Tailleuse est désormais un
esprit libre ; elle a appris à penser en même temps qu’à lire. Le livre est instrument de liberté.
En imposant leur goût pour la musique, le cinéma, les histoires racontées, Ma et Luo
imposent aux paysans montagnards une nouvelle façon de vivre, à l’image du réveil et de la
musique qui rythment les journées. C’est aussi pour eux une question de survie, dans la
mesure où la culture, à travers la littérature, leur permet de retrouver leur dignité en dépit des
tâches avilissantes qui leur sont imposées. A réaliser combien la culture sauve les
protagonistes, on se dit que Mao mettait en péril la civilisation chinoise quand il anéantissait
les biens culturels.
Ce qu’a réussi à faire la Révolution culturelle, dont l’adjectif « culturelle » résonne de façon
ironiquement tragique, c’est à isoler socialement les individus, à appauvrir considérablement
la vie sociale et culturelle des communautés.
Pour la politique de Mao, la littérature et l’art représentaient une perte de temps et nuisait à la
productivité. A travers les aventures des trois jeunes gens, la création artistique et littéraire ont
réussi à s’imposer dans cette montagne du Phénix.
« Phénix »…le mot se pare alors d’une nouvelle dimension, étymologique et symbolique, la
Petite Tailleuse étant à l’aube d’une renaissance. Après une vie adolescente dans les
montagnes, la jeune fille renaît, mais cette fois à l’amour sensuel, à l’amour littéraire et à
l’amour de la liberté.
Dans Vivre !, la culture n’est présente que par le théâtre d’ombres, et encore s’agit-il de
culture populaire et finalement assez localisée en Chine (dans la province du Sichuan).
Cependant, comme nous l’avons montré plus haut, le choix de cet art si proche du cinéma
n’est pas anodin, et l’autoréférentialité que l’on peut deviner dans cette parenté nous pousse à
nous interroger sur la menace qui pèse aussi sur le cinéma en Chine aujourd’hui : le coup de
baïonnette, mais aussi le théâtre que l’on brûle car réactionnaire sont autant de violences qui
ressemblent à des épées de Damoclès sur le septième art en Chine. Dans l’univers diégétique,
le théâtre d’ombres représente vraiment, au sens littéral du terme, la survie pour le personnage
de Fugui. C’est lui qui lui permet de reprendre pied, puis de « survivre » (autre sens du verbe
Huoze) et enfin de « vivre ». Les derniers moments de bonheur de la famille au complet
s’organisent autour d’une séance de théâtre d’ombres, animant encore les efforts demandés à
la population chinoise pendant le Grand Bon en Avant… et c’est ainsi que cet élément
culturel ne vient à représenter pour la famille que la mort de Youquin, et ce même si Fugui,
quand on demande de le brûler tente encore de la sauver en proposant de faire du théâtre de
propagande. Il ne reste alors plus que le contenant, le coffre. Est-ce à dire que la Révolution
culturelle n’aurait laissé de la culture chinoise qu’une coquille vide ? Fugui en tout cas se sert
de ce coffre pour y faire grandir les poussins de son petit-fils Petit-pain et en profite pour lui
glisser sa morale optimiste du poussin qui devient poulet, puis oie, puis cochon, puis bœuf…
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mais cette fois-ci et contrairement à ce qu’il avait dit à son fils, l’énumération et
l’enrichissement ne finissent pas dans le Communisme, mais sur Petit-pain prenant un avion.
De là à dire que la vraie révolution culturelle, sociale et politique est celle de l’individu et de
son enrichissement personnel, il n’y a qu’un pas, que la Chine communiste d’il y a peu a
franchi allègrement…
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PISTE D’EXPLOITATION PEDAGOGIQUES
Pour Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, on peut se reporter au dossier pédagogique
(payant) édité par Le Centre Culturel Les Grignoux et le C.T.L de Liège.
Exemples de séances d’animation avec les élèves :
- La vie dans les villages de la Montagne du Phénix
- La Révolution culturelle en Chine
- De la musique et des mots
- L’ellipse temporelle
Nous réutilisons dans notre propre dossier certains éléments du travail très intéressant effectué
par Vinciane Fonck pour Les Grignoux.
c) Liaison avec les programmes
d) Avant la projection des films, le contexte historique
La Révolution culturelle en Chine s’étend entre 1966 et 1976, avec le décès du Président
Mao Zedong. Plus qu’une révolution au sens où nous l’entendons, il s’agit d’un mouvement
qui s’inscrit dans un contexte politique et idéologique tendu, une lutte interne entre dirigeants
du parti communiste chinois. Il s’agit en réalité d’une lutte féroce pour le pouvoir ; Mao vise à
diriger seul, à éliminer les oppositions, surtout au sein du parti. Cela implique en quelque
sorte la destruction du parti lui-même. Dans ce cadre, Mao cherche à s’entourer de ses
proches plutôt que des cadres du parti qui sont considérés comme une menace. Pour Mao, ces
cadres incarnent, à l’image des parents des protagonistes, la nouvelle bourgeoisie d’état qui
est corrompue. Ainsi Mao renonce à donner à la Chine des structures démocratiques et
populaires.
Des purges, à la manière de Staline, ont été organisées par Mao après l’échec du Grand Bond
en avant entre 1958 et 1960, pour se débarrasser de la « vermine », notamment dans les hautes
sphères intellectuelles et politiques. Entre 1962 et 1965, il y a stabilisation du régime mais la
division règne chez les dirigeants. A cette époque, la population chinoise souffre de la faim, et
dès 1958, Mao est considéré par les cadres du parti comme le responsable de l’échec. C’est
ainsi qu’il devient président du parti, ce qui est essentiellement un poste honorifique. Cet
échec a d'autres conséquences puisqu'il faut infléchir vers la droite la politique pour pouvoir
relancer l'économie. Dès 1962 les résultats sont probants, mais dans le même temps est mis en
place un système un mouvement d'éducation socialiste à l'initiative de Mao pour contrer la
dérive droitière. Ce mouvement est modéré jusqu'en 1964 puis se durçit; l'épuration touche un
million de cadres, soit 4% du total des travailleurs de l'époque. A partir de 1964, Mao va
détourner le mouvement contre ses collègues et la direction centrale.
Les motivations de Mao sont très humaines et surtout motivées par la rancoeur contre les
intellectuels qui sont accusés d'avoir abandonné la révolution. Pour J.L Domenach, spécialiste
des années Mao, la Révolution culturelle est une tentative pour un leader vieillissant de
reprendre le pouvoir absolu. L'objectif est aussi idéologique, tel un nouveau départ ourles
communistes, une étape pour se débarrasser des dirigeants du parti. En janvier 1965, Mao
édicte les 23 articles de base de la République communiste. Il y évoque le fait que le parti est
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gangrené, qu'il est donc nécessaire de l'épurer, par la violence si cela s'avère nécessaire, et
enfin que le mouvement soit mené par les masses. La dimension culturelle n'est pourtant
qu'un prétexte. Pour Mao, la culture est monopolisée par les intellectuels révisionnistes qui
sont opposés à l'idéal socialiste. Ces derniers sont accusés d'endormir les masses pour
préparer le retour du capitalisme. De l'automne 1965 à l'automne 1966, les milieux littéraires
de Pékin sont touchés ainsi que leurs protecteurs politiques. Le mouvement s'étend ensuite à
la société entière et à tous les échelons du parti.
En juin 1966, les violences touchent les collèges et les universités, elles visent
essentiellement les professeurs, symbole d'une science bourgeoise. Entre juin et juillet, des
millions de Gardes-rouges prennent le pouvoir dans les villes. C'est la terreur qui culmine
avec les Gardes-rouges qui sont des collégiens et des étudiants; ils s'en prennent aux
représentants de l'ordre bourgeois, prennent possession des villes. Ces Gardes, soutenus et
encadrés par l'armée sont aussi envoyés dans les provinces pour inciter les masses à se
rebeller. Mao invite les « masses révolutionnaires » à « bombarder les états-majors » et « à
arracher le pouvoir aux cadres pourris du parti ». Cette nouvelle campagne, beaucoup plus
violente, multiplie les appels au meurtre et enflamme toutes les grandes villes. Les vétérans,
autrefois considérés comme des héros révolutionnaires, sont envoyés en prison et condamnés
à mort, mais tous les responsables, à tous niveaux, sont susceptibles d'être pris à partie et de
devoir faire leur « autocritique ». A Pékin, le Comité central cesse pratiquement d'exister.
Mao et le « Groupe de la Révolution culturelle » en ont pris la direction, éliminant leurs
adversaires politiques. A partir du 18 août 1966, Mao devient le chef suprême.
Les années 66-67 sont marquées par des affrontements fréquents, des divisions, entre les
groupes révolutionnaires qui ,soit attaquent l'appareil local du parti, soit le protègent. Ce
climat général d'anarchie et de violence plonge la Chine dans la guerre civile. La Révolution
culturelle est hors de contrôle. Mao a alors deux solutions : abandonner le pays, ou appuyer
les « gardes-fous », l'armée et l'appareil d'état. Au printemps 68, les activistes font cette fois
l'objet d'une terrible répression, qui conduit à la disparition des Gardes-rouges et des rebelles
révolutionnaires. Les jeunes doivent aller à la campagne pour parfaire leur formation auprès
des paysans, quelque vingt millions vont aller apprendre le communisme dans ces conditions.
La fin des Gardes-rouges confirme le contrôle de Mao. C'est la fin de la Révolution culturelle,
mais en réalité elle imprégnera encore la vie sociale et politique jusqu'en 1976 avec la mort de
Mao. Ses successeurs, revenus de « rééducation » opteront alors pour une politique plus
libérale.
Petit rappel...
Mao a proclamé la création d'un Etat communiste le 1er octobre 1949 : la République
Populaire de Chine. L'année suivante, le pays est intégré au bloc socialiste en train de se
constituer sous l'égide de l'Union soviétique. Le pouvoir se caractérise par une double
structure : le Parti d'un côté, le Gouvernement de l'autre. Dans les faits, c'est le Parti qui dirige
véritablement le pays. L'un des objectifs de Mao est de priver les réactionnaires (les bourgeois
et les intellectuels) de tous droits et de les soumettre à ce qu'il appelle la « dictature du
peuple ». Le président n'a aucun mal à s'attirer la sympathie du peuple, en faveur duquel il
prend plusieurs mesures : la Loi agraire (confiscation des terres et du matériel aux
propriétaires fonciers -qui sont souvent déportés ou exécutés-), les terres saisies sont
redistribuées de façon équitable entre tous les paysans. La nationalisation des entreprises,
après affectation des bourgeois d'affaires à la gestion de leurs entreprises qui appartiennent
désormais à l'Etat. Au départ, les intellectuels et les scientifiques se rallient en masse au
programme de reconstruction nationale. Dès 1952, le Parti contrôle tous les moyens
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d'expression de l'opinion comme la presse ou les éditions; il encadre l'activité littéraire et
artistique, et a établi sa mainmise sur tout le système éducatif. Soumis à un tel
endoctrinement, les intellectuels ne tardent pas à réagir contre le régime.
La collectivisation agraire remplace la loi agraire : les paysans doivent mettre en commun
leurs outils et leur force de travail. L'équipement, le cheptel et les terres deviennent des biens
collectifs. Des coopératives de production agricoles sont fondées.
Les effets de cette nouvelle politique conduisent à une grave crise alimentaire, une
diminution du fiancement de l'industrieet donc à un ralentissement de l'expansion. Si bien que
le chômage commence à se multiplier.
D’après l’étude de Aude Plaquette, pour les éditions Ellipses, 2008.
e) Le cinéma chinois
Dans l'imaginaire collectif, le cinéma chinois est lié aux films de karaté, à Hong Kong, ou
bien aux cinéastes des années 1990 et 2000. Or la production ancienne est très riche. A
Shangai dans les années 30 régnait une grande liberté. La ville comptait 4 majors et beaucoup
d'autres studios. Cà allait avec le boom économique, l'euphorie d'une ville moderne et ouverte
sur le monde. Mais l'histoire de la Chine a considérablement contribué à opacifier son
patrimoine cinématographique continental.
C’est un cinéma complexe du fait de la géographie politique du pays. En effet, l’histoire de
la Chine est aussi le reflet de l’étendue de son territoire (près de 9 600 000 km2 !!!). On
distingue donc trois catégories : le cinéma de la Chine continentale, le cinéma taïwanais, et le
cinéma hongkongais. C’est autour de la ville de Shanghai, au début du XXème siècle qu’est
apparu le cinéma chinois, inspiré de l’opéra.
La Seconde Guerre mondiale, puis la guerre civile, ont entraîné la fuite d’artistes chinois
continentaux vers Hong Kong et Taïwan. Le cinéma de la Chine continentale est alors marqué
par le modèle soviétique et la propagande d’état.
Au moment de la Révolution Culturelle, la production est quasi à l’arrêt. Hong Kong devient
alors un lieu de création et de production cinématographique chinoise, sous l’impulsion des
Shaw Brothers et des artistes émigrés chinois. Il s’agit principalement de films d’arts
martiaux ; la diaspora chinoise, et même le public occidental, en sont friands. On pense bien
évidemment à Bruce Lee, au début des années 70.
A la mort de Mao, tous les cinémas chinois connaissent un nouvel essor. Les années 80, puis
90, voient se révéler de grands réalisateurs hongkongais tels que Tsui Hark, John Woo, Wong
Kar-Wai (In The Mood for Love, 2000).
La 5ème génération de cinéastes émerge : Zhang Yimou ( Epouses et concubines, 1991 ; Qiu
Jun une femme chinoise, 1992 ; Vivre !, 1994) Chen Kaige (Adieu ma concubine, 1993,
palme d’or à Cannes) en Chine continentale. Edward Yang (Yi Yi, 2000) et Hou Hsiao Hsien
(Millénium Mambo, 2001 ; Three times, 2005) sont les chefs de file de la nouvelle vague
taïwanaise.
Depuis la fin des années 90 et la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, les liens
entre les trois cinéma en langue chinoise se sont développés. Tigre et Dragon (2000) de Ang
Lee est une super production qui rassembles des acteurs taïwanais, mais aussi chinois et
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hongkongais. Zhang Yimou a réalisé dans le même genre Hero (2002) et Le secret des
poignards volants (2004).
On appelle « 6ème génération » le cinéma apparu après les évènements de Tiananmen en
1989. Ces films sont tournés dans la clandestinité, en ville, avec peu de moyens. Ils ont pour
sujets les problèmes de société de la Chine actuelle (chômage, prostitution, individualisme,
entre autres …). On peut citer comme réalisateurs Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle, 2001) et
Jia Zhangke (Platform, 2000 ; The World, 2004 ; Still Life, 2006). Dans leur sillage, une
vague de réalisateurs s'est afirmée, surfant sur l'ère du numérique, la génération DV. Le
cinéma a entrepris de rendre compte de l'effondrement des modes de vie, des espaces urbains,
et des relations sociales sous le coup des changements économiques. Beaucoup de
documentaires, de docu-fictions. Tout le cinéma du monde est accessible en DVD pirates
vendus à la sauvette dans les rues de Pékin, car la censure est toujours bien présente, mais la
dynamique actuelle, la soif de culture, ont une vitalité extraordinaire. Jia Zhangke dit que « la
plupart des jeunes réalisateurs apprécient la technique numérique parce qu'elle n'est pas chère
mais aussi parce qu'elle est très proche de leur mode de vie, du message qu'ils veulent faire
passer, de leurs personnages, de leur rapport à l'espace ».
Actuellement…
Depuis 1999, le cinéma étranger (c'est-à-dire essentiellement hollywoodien) a étendu sa
présence sur les écrans et dans les esprits chinois. N'oublions pas que pendant longtemps
l'importation de films étrangers était complètement interdite par l'Etat. Parallèlement, on a vu
éclore un nouveau cinéma lié à la technologie numérique (DV) qui a permis à beaucoup de
réalisateurs chinois d'exprimer d'autres images et d'autres sons, révélateurs d'un monde
différent.
Si bien que la critique occidentale a tendance à taxer d’académistes et de films de propagande
les œuvres des réalisateurs connus de la 5ème génération, tels que Zhang Yimou. On remarque
un renouveau des films qui visent à magnifier le passé glorieux de la Chine impériale, comme
par exemple la superproduction dirigée par John Woo en 2008 Les Trois Royaumes, sur
l’histoire ancienne de la bataille de la Falaise Rouge, film qui a fait un énorme succès au boxoffice chinois juste avant les J.O de Pékin.
A l’inverse, la critique s’intéresse de près aux films de la 6ème génération qui ont grand succès
dans les festivals occidentaux, mais hélas ne sont pas diffusés en Chine.
Nuit d’ivresse printanière, le film de Lu Ye qui a obtenu la palme du meilleur scénario au
Festival de Cannes 2009, ne sera jamais distribué sur les écrans chinois. Son réalisateur est en
effet interdit de réalisation pendant 5 ans au titre de son précédent film Une jeunesse chinoise
qui traitait d’amour…et des évènements de Tiananmen.
Les deux derniers films de Ang Lee, Lust, Caution, en 2007 (sur la délicate question de
l’occupation chinoise) et Le Secret de Brokeback Mountain, en 2005 (sur l’homosexualité)
ont été interdits en Chine.
Du côté de la transmission du patrimoine...
Les autorités chinoises sont très réservées sur la Révolution culturelle, mais ce n'est pas la
seule période qui pose problème. Si les communistes n'avaient pas mis toute la production au
pas, on aurait eu une cinématographie importante, riche et variée. A la place de cela, l'histoire
du cinéma chinois s'est divisée en deux : ceux qui sont partis à Hong Kong pour y travailler
dans des conditions pas toujours favorables; ceux qui ont cru qu'il était possible de pactiser
avec le pouvoir, comme le réalisateur Sun Yu (qui a réalisé des films magnifiques, comme
Une Rose sauvage, ou L'Aube, en 1932).
© CDDP de la Gironde / Festival du Film d'Histoire de Pessac / IA de la Gironde. Novembre 2009.
Tous droits réservés. Limitation à l'usage non commercial, pédagogique et scolaire.
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Outre l'attitude du pouvoir, le travail patrimonial est pratiquement nul parce qu'il manque de
passeurs en Chine. L'histoire du cinéma en Chine reste un chantier dur à réaliser. C'est peutêtre à travers les nouvelles créations, à la frontière entre documentaire et fiction, que
s'exprime la vraie réflexion artistique sur la Chine.
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