Ils - Université de Sherbrooke
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L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 8 E T D I M A N C H E 2 9 O C T O B R E C 5 2 0 0 6 IDÉES Denise Bombardier Jeunes et seuls I JACQUES GRENIER LE DEVOIR Depuis 1943, la loi oblige les enfants à fréquenter l’école. C’est leur droit à une éducation qui favorise le «plein épanouissement de leur personnalité» qui est visé. Écoles clandestines ––––♦ –––– Imposer des amendes aux parents et aux promoteurs déviants JEAN-PIERRE PROULX Professeur, faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal e temps est probablement venu pour le législateur de fixer des amendes significatives pour les parents qui se dérobent à leur devoir légal de «prendre les moyens nécessaires pour que leur enfant remplisse [leur] obligation de fréquentation scolaire». La loi devrait surtout interdire à toute personne, morale et physique, d’organiser ou de dispenser, durant les heures de classe et en dehors du cadre de la loi, un enseignement aux enfants d’âge scolaire. Ces mesures ne sauraient avoir une visée punitive, mais bien plutôt celle d’inciter les parents et, le cas échéant, leur groupe d’appartenance à emprunter des voies qui répondent à la fois aux intérêts véritables de leurs enfants et à leurs aspirations légitimes. Ces voies existent. L Situation anormale Quand la loi impose démocratiquement une norme de conduite aux citoyens, c’est qu’une valeur suf fisamment impor tante est en jeu. Quand le Code de la route prescrit une vitesse maximale sur la route, c’est la sécurité des personnes qu’il veut protéger. Quand, depuis 1943, la loi oblige les enfants à fréquenter l’école, c’est leur droit à une éducation qui favorise le «plein épanouissement de leur personnalité» qui est visé. Mais c’est aussi le bien commun puisque l’éducation des citoyens, au moins jusqu’à la fin du secondaire, est jugée nécessaire au développement de la société. Quand, au surplus, le législateur fixe une amende pour des infractions à une loi, il affirme encore plus l’importance de la valeur qui lui est sous-jacente. En touchant leur intérêt économique, il incite les citoyens qui ne partagent pas a priori cette valeur, ou qui sont insouciants, à se conformer quand même à la règle commune. Or, à l’égard de la fréquentation scolaire, la loi se contente de prescrire l’obligation des parents de s’assurer que leurs enfants fréquentent l’école. Elle ne prévoit aucune amende. La chose s’explique: en effet, le consensus est général à propos de la fréquentation scolaire. Qui ne veut pas voir ses enfants instr uits, socialisés et qualifiés, pour reprendre les termes mêmes de la mission de l’école? Aussi, le législateur n’a sans doute pas senti le besoin d’ajouter des dispositions pénales à une loi si universellement respectée. C’est du reste parce que la rupture de ce consensus paraît si anormale que la découverte des écoles dites clandestines a fait récemment de si belles manchettes. Cette rupture de la normalité explique sans doute aussi pourquoi le gouver nement semble dépourvu devant cette situation et qu’il a jugé bon d’en confier l’étude à un comité. Dès lors, que faire? À ce jour, les commissions scolaires et le ministère de l’Éducation ont choisi la voie de la persuasion et de la négociation pour convaincre les déviants. Avec, apparemment, un succès relatif. Il faut donc changer de stratégie. Jusqu’où va la tolérance? Une question préalable s’impose toutefois. Il existe dans toute société un certain degré de déviance, que ses membres sont appelés à tolérer parce que sa répression totale entraînerait un coût social et économique plus grand encore. Le cas de la sécurité routière est éloquent. La loi fixe à 100 km à l’heure la vitesse maximale sur les autoroutes. Compte tenu des comportements déviants très répandus des automobilistes, la police tolère un excès de vitesse jusqu’à 120 km. Et si l’on vou- Mais il n’est pas insurmontable. Le Québec dislait que cette ultime limite soit vraiment respectée, il faudrait grossir le corps policier. Pourtant, la va- pose en effet d’un dispositif juridique et institutionleur sous-jacente à la norme est d’une très grande nel qui permet de le relever. Ainsi, l’école publique importance: il s’agit de l’intégrité et ultimement de est dorénavant laïque. Elle est ouverte, sans discrimination, à toutes les familles religieuses et la loi la vie des personnes. On doit donc se demander jusqu’où il est sociale- prescrit que «le projet éducatif de l’école doit respecment tolérable que des parents, pour différents ter la liberté de conscience et de religion des élèves, motifs, surtout religieux, violent la loi au regard de des parents et des membres du personnel de l’école». D’ici 2008, toute école sera tenue d’offrir un prola fréquentation scolaire de leurs enfants. Dans l’hypothèse, probablement généreuse, où gramme d’éthique et de culture religieuse qui se l’on compterait 5000 enfants non officiellement ins- veut respectueux de la liberté de conscience et de crits à l’école, cela représente environ 0,5 % de l’en- religion des élèves et des parents. Il vise à faire des semble de la population des écoles primaires et se- citoyens cultivés et capables de vivre ensemble en condaires. D’un strict point de vue statistique, cette respectant leurs différences. Malgré ces dispositions, des parents pourront déviance paraît marginale. Vu dans la longue durée toutefois, le phénomène néanmoins estimer que l’école publique, précisérevêt une autre dimension. Car, contrairement à ment parce qu’elle est laïque, ne convient pas à leurs enfants. En 1991, les parents invol’impression laissée par les médias, ce quaient, pour en sor tir leurs enfants, phénomène n’est pas du tout nouveau! Les parents «le climat malsain» de l’école officielle, En effet, dès 1991 il avait déjà été observé qui était pour tant universellement et jugé suffisamment important pour que déviants confessionnelle! le ministère de l’Éducation publie un guiSoit. Le préambule de la Loi sur le de à l’intention des responsables des dipratiquent, ministère de l’éducation stipule que rections régionales et des commissions en défaveur «les parents ont le droit de choisir les étascolaires, intitulé Les écoles non légalement blissements qui, selon leur conviction, asreconnues. de leurs surent le mieux le respect des droits de «Selon les renseignements disponibles, réleurs enfants». Et parmi ces droits, il y a vélait ce guide, il existerait plusieurs écoles enfants, un au premier chef les libertés de religion non légalement reconnues, dispersées sur de conscience qui sont, au surplus, l’ensemble du Québec. Ces écoles sont sidécrochage et fondamentaux. tuées dans le territoire d’au moins une vingadhérant au Pacte international retaine de commissions scolaires et mettent en volontaire et latifEnaux droits économiques et sociaux, cause plus d’un millier d’élèves.» Plusieurs le Québec s’est engagé «à respecter la lide ces écoles, précisait-on, «appartiennent organisé berté des parents [...] de choisir pour leurs à des groupes religieux d’inspiration cathoenfants des établissements autres que ceux lique ou de souche protestante, dont des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minotamment les groupes pentecôtistes et baptistes». Ce mouvement existe toujours et on a découvert nimales qui peuvent être prescrites ou approuvées depuis d’autres courants, notamment celui lié au par l’État en matière d’éducation, et de faire assurer mouvement hassidique radical. Bref, la «déviance l’éducation religieuse et morale de leurs enfants, scolaire» s’érige de plus en plus en système. Cela conformément à leurs propres convictions». Du reste, le Québec a inscrit pratiquement tels quels ces ajoute certainement à la gravité de la situation. mêmes droits dans sa Charte des droits et libertés Décrochage organisé de la personne. Toutefois, les établissements privés doivent se Enfin, on doit jauger le phénomène à l’aune de sa gravité intrinsèque. Or celle-ci ne fait guère de conformer «aux normes minimales» prescrites par doute: les parents qui privent volontairement leurs la loi. Celles-ci visent évidemment à assurer le resenfants du droit à l’éducation scolaire légalement pect des valeurs communes à la société sur le fond reconnue dépossèdent a priori ceux-ci des instru- desquelles peuvent s’épanouir des valeurs propres ments intellectuels et culturels jugés nécessaires à aux individus ou aux groupes. Ces normes au Quéleur développement personnel et social. C’est du bec sont prescrites dans la Loi sur l’enseignement reste pourquoi, depuis 20 ans, tant d’efforts sont privé. Elles portent essentiellement sur le niveau déployés pour lutter contre le décrochage et pour de compétence des enseignants et des directions d’école, le respect du régime pédagogique comfavoriser la réussite scolaire de tous. Ces instruments éducatifs, il importe de l’affir- mun et des programmes édictés par le ministre et, mer, sont fixés démocratiquement et reposent sur bien sûr, sur le respect des libertés et droits fondaun très large consensus social. Ce consensus tra- mentaux de la personne dans le cadre spécifique duit aussi l’intérêt de l’enfant. Les parents ne peu- des institutions éducatives. vent l’ignorer en se faisant l’interprète, par ailleurs Normes minimales légitime, de cet intérêt. Or les parents déviants pratiquent, en défaveur Au-delà, les établissements privés peuvent, comde leurs enfants, un décrochage volontaire et orga- me plusieurs le font déjà, s’inventer les projets édunisé. Il s’agit là d’un geste qu’aucune valeur ou catifs qui correspondent le mieux aux aspirations croyance religieuse ne peut justifier. Les consé- de leurs clientèles. quences à long terme de ce décrochage peuvent Et s’il n’existe pas d’écoles privées qui répondent être irréparables et, au surplus, favoriser la trans- aux aspirations de ces parents qui ont choisi la mission intergénérationnelle d’un appauvrissement clandestinité, ils ont toute la liberté d’en créer de personnel et social difficilement réversible. nouvelles pourvu qu’ils respectent, ici encore, les normes minimales prescrites par la loi. Elles pourLes solutions ront éventuellement bénéficier d’un financement Cela dit, la véritable solution du problème ne rési- conformément aux normes prescrites par cette de pas dans des amendes infligées aux parents ré- même loi. Concluons. Il faut d’abord chercher à ce que calcitrants. Elles ne sont qu’un moyen. Il faut prendre acte en effet que le choix de la clandestinité tous les parents, quelles que soient leurs que font ces parents est fonction d’un système de va- croyances, trouvent d’abord dans l’école publique leurs, en particulier religieuses, qui leur fait, sans un lieu où puissent s’épanouir pleinement leurs endoute en toute bonne conscience, subordonner les fants, compte tenu de leurs convictions religieuses valeurs éducatives communes à leurs valeurs reli- (ce qui peut supposer aussi des accommodements gieuses particulières. Or la solution du problème ré- raisonnables). À défaut, notre régime d’établisseside dans la conciliation harmonieuse des deux ments privés, et non pas la clandestinité, constitue une réponse légitime à leurs préoccupations. ordres de valeurs. C’est là le véritable défi. ls étaient là attendant leur tour. Des jeunes de vingt ans, beaux, réservés et attendris. Chacun jetait des regards doux vers la cage posée à ses pieds, où miaulaient avec plus ou moins de vigueur des chatons, leurs chatons, que le vétérinaire de la SPA allait vacciner. J’accompagnais le chat de mon fils retenu à l’extérieur. Le plus grand des garçons, un ange flottant sur terre, caressait le museau d’une boule de poil blanche striée de gris. Comment s’appelle-t-il? ai-je demandé. Spartacus, a-t-il répondu en rougissant. Une jeune blonde sexy et fringuée avait dans un sac chic une petite chatte blanche répondant au nom de Snowball. Il y avait de plus une terreur nommée Minet et un bruyant Tim. Les jeunes d’aujourd’hui sont libres, mais la solitude est souvent leur lot. Leur chat ou leur chien est le frère et la sœur qu’ils n’ont pas eu. C’est aussi le compagnon qui ne divorce pas, qui ne les quitte pas, qui ne les interpelle pas. Qui les distrait aussi de leur vie d’insécurité professionnelle, matérielle et sentimentale. Ils sont plus nombreux que jamais, les jeunes qui s’entourent d’animaux pour lesquels ils éprouvent un attachement et une affection dont on devine qu’ils sont aussi compensatoires. Ces jeunes de vingt ans sont des enfants du divorce, et l’on devrait plutôt dire des divorces, car il faut compter aussi ceux de leurs grandsparents. Ils sont les enfants de la famille, non seulement élargie mais éclatée, voire implosée. La vie amoureuse les inquiète autant qu’elle les attire. Quand ils Orphelins rompent une relation, certains disent «je divorce», sans doute de structures parce qu’ils n’ont hérité que ce modèle parental. Contrairetraditionnelles ment à la génération qui les a précédés, ils n’usent pas de qu’on s’est l’agressivité et de la dérision comme mode de relation aux acharné à faire autres. Ils quittent la maison des sauter, les parents sous la pression sociale au nom d’une liberté qu’ils jeunes sont s’empressent de vouloir partager avec des colocs, car vivre à la recherche seul n’est pas nécessairement un idéal à atteindre. D’autant de liens que plusieurs d’entre eux ont souffert de l’absence des pasignificatifs rents du foyer. Parfois, ils partent de façon dramatique sans le désirer. Comme cette jeune fille de banlieue qui est entrée chez elle un soir et a trouvé ses valises dans l’entrée. Sa mère lui annonçait sa décision de «vivre sa vie» avec son nouvel amoureux. «J’ai donné comme mère», a-t-elle précisé à sa fille. Cas isolé? Très certainement, mais il illustre encore une fois les dérives du diktat pop «j’épanouis mon moi». À l’opposé, et ceci explique cela, on observe le phénomène des jeunes qui s’incrustent dans la résidence familiale tard dans la vingtaine et au-delà. Le saut dans l’avenir des jeunes d’hier est devenu le saut dans le vide des jeunes d’aujourd’hui. La désinstitutionnalisation systématique conduit à l’errance. Où aller? n’est pas qu’une question de géographique physique, c’est une interrogation aussi psychologique, morale, affective. L’agitation, le non-respect du temps, la démolition des murs dont on oublie qu’ils sont également des soutènements, l’élimination des garde-fous qui ont aussi fonction de protéger, des frontières sociales qui indiquent tout de même les limites au-delà desquelles il peut y avoir péril, toute cette déconstruction sociale accélérée dans un Québec-laboratoire nous condamne tous. Et les jeunes orphelins de ces structures traditionnelles qu’on s’est acharné à faire sauter, et avec un plaisir rageur, sont à la recherche de liens signifiants, pour parler le jargon actuel. Ils possèdent un chat qu’ils couvrent d’attention et couvent d’une certaine manière, incertains aussi de leur capacité future à mettre des enfants au monde. Certes, cela est infiniment triste, mais la tristesse, ils la portent en eux comme une nostalgie et elle reflète leur sentiment d’impuissance. Spartacus ou Snowball sont des présences concrètes qui les justifient de parler à haute voix pour briser le silence de leur logis dégarni, symbole de leur affranchissement et du détachement vis-à-vis de leurs parents. Bien sûr, les jeunes ont des amis, qui leur ressemblent souvent, avec lesquels ils recréent, à leur façon, la famille. Ils sont amoureux également, mais ils ne sont pas loin de croire qu’ils risquent de perdre l’être aimé plus rapidement que l’animal qui partage leur vie. Il fallait les voir à la SPA s’inquiéter des soins à donner au minou en cas d’effets secondaires des vaccins. C’était à la fois émouvant et déprimant. Question de génération sans doute, mais c’est en couple, avec un bébé dans les bras, qu’on imagine les jeunes adultes. Mais quand on y réfléchit bien, c’est entouré de leurs enfants et de leurs petits-enfants qu’on souhaiterait aussi voir les vieillards qui aujourd’hui n’ont plus qu’un animal de compagnie (quand cela leur est permis) pour causer de la vie et de ses angoisses. Dure époque que la nôtre. denbombardier@vidéotron.ca Écrivez-nous! Le Devoir se fait un plaisir de publier dans cette page les commentaires et les analyses de ses lecteurs. Étant donné l’abondance de courrier, nous vous demandons de limiter votre contribution à 8000 caractères (y compris les espaces), ou 1100 mots. Inutile de nous téléphoner pour assurer le suivi de votre envoi: si le texte est retenu, nous communiquerons avec son auteur. 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