Dominique GRANGE - Friendship First

VINYL - 23 rue des Menus Plaisirs - 78690 Les Essarts-le-Roi ([email protected])
Dominique GRANGE
Une trajectoire atypique
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ominique Grange, je l'ai entendue pour la première fois en 1965 à l'occasion de sa participation
pincée au Trou Dans Le Seau de Guy Béart (45 tours
EP Temporel GB 60 003). Elle y jouait la “chère Lise”,
dans ce combat entre la logique féminine et la cohérence masculine, à moins que ce ne soit l'inverse !
Cette collaboration avec Guy Béart dura quelque
temps : elle l'assista pour ses émissions “Bienvenue”
(qu'entre parenthèses, on serait bien inspiré de ressortir en DVD, il y a là dedans des petits trésors !) ; elle
fut, comme les Bab's de Jacques Yvart, invitée dans
son récital du Vieux Colombier (1966) à chanter quatre
chansons, restant seule sur
scène après le duo Frantz
et rappelant l'artiste avec
justement Le Trou Dans
Le Seau ; et l'un de ses 45
tours fut enregistré avec les
musiciens de Béart (Léo
Petit) et parut sous le label
“Temporel”.
Mais sa carrière discographique avait commencé en
1963, chez Bel Air, à l'époque où chaque maison de
disques cherchait LA chanteuse qui pourrait concurrencer Françoise Hardy, France Gall, ou Sylvie Vartan : Dominique Grange, avec sa voix un peu passepartout, en aura été vraisemblablement une tentative.
Son premier 45 tours EP (Bel Air 211 108), très yéyé,
orchestré par Jacques Loussier mais avec tous les poncifs du genre, est dirigé par Léo Missir qui impose son
répertoire. Elle n'arrive à y glisser qu'une chanson de
jeunesse. En 1964, dans le deuxième 45 tours (Bel Air
211 133) avec le même personnel, il y a deux titres
signés Dominique Grange, dont un Cinq-en-tin (c'est
le nom d'un chien !) un peu plus original ! Et la même
année, dans son troisième (Bel Air 211 179), elle signe
enfin tous les textes : ce sont des chansons dans l'air du
temps dans lesquelles on repère a posteriori Les “Ni
Froids, Ni Chauds” ! Et pour ces dernières l'orches-
tration est assurée par
André Popp dont la patte
inimitable rehausse l'intérêt musical. Pourtant, il
serait abusif de s'attarder
sur cet essai juvénile sinon
pour en souligner le temps
d'apprentissage du métier
et du milieu.
Dans le EP suivant (Temporel DG 0001) de 1967, elle
signe les chansons paroles et musiques. On y découvre
une écriture plus musclée, qui laisse présager une veine
contestataire. La jeune fille en rupture d'enfance a “sa
petite époque Jeanne
d'Arc” jette aux “orties en
fleurs” ses quelques illusions et remercie Panurge
de son influence sur la
société moutonnière. La
voix est plus musicale et
ce disque fut, à l'époque,
une révélation.
Arrivent mai et juin 1968. Dominique Grange s'engage
complètement dans les mouvements libertaires, chante
dans les usines et est à l'origine d'une production populaire de 45 tours de chansons révolutionnaires. Elle
écrit à partir des événements et de l'analyse politique
qui en est faite. Ces chansons, Grève Illimitée, Chacun De Vous Est Concerné ou Nous Sommes Les
Nouveaux Partisans destinées pour la plupart à soutenir les luttes, à animer les meetings et à être chantées
dans les manifestations, constituent une irremplaçable
illustration de la vigueur des antagonismes, de la détermination des jeunes militants et de leur confiance en
une société nouvelle, plus égalitaire, plus fraternelle et
plus juste. Ces 45 tours d'“Expression Spontanée” (S17
789 ou sans référence, parutions 1968 et 1971), de qualité médiocre, sont néanmoins, par leur valeur de
témoignage, des pièces de musée. Dans cette dyna-
VINYL n°47 • Juillet - Août - Septembre 2005
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mique, Dominique Grange, comme Evariste, chante
dans la pièce de Wolinski “Je ne veux pas mourir
idiot”, mais curieusement, le 30 cm de l'enregistrement
public (EMI 2C 054-10331) n'en contient rien !
Dans les années qui suivent,
les apparitions discographiques de Dominique Grange
sont dispersées et essentiellement alimentaires. Il serait
inconvenant de les détailler.
On signale sa participation à
une comédie spectacle de
Michel Fermaud “Le nez en trompette” (Super 45T
45001), et sa signature sur quelques titres dans un 30
cm des Charlots (Vogue LDA 20 208). Un titre pourtant émerge Pousse, Jeannot (Pousse Sur Ton Vélo)
dans un 45 tours de Ligne Blanche (Vogue 12.146) où
elle chante un hymne très écologique à la bicyclette !
En 1981, l'année où certains révolutionnaires de mai 68
se retrouvent dans les cabinets ministériels, sort le LP
Hammam Palace (Vogue VG 408 529801) avec une
pochette dessinée par son compagnon Tardi (ce qui
donne à ce vinyle une certaine valeur !). Ce disque
mérite quelques reproches sur le mixage qui privilégie
l'instrumental au détriment de la compréhension des
paroles. Mais les musiques sont mieux abouties, et bien
en accord avec la voix claquante de la chanteuse. Et les
textes prouvent que Dominique Grange n'a pas renié
ses convictions, qu'elle pourfend la violence aussi bien
des jeux télévisés (On Achève Bien Les Chevaux),
que de la drogue (Les Anges De La Mort), du délit de
sale gueule et des menaces (Bavure), du travail inhumain et meurtrier (Gueule Noire), de la prison (Blues
De Novembre) ou simplement d'une relation étouffante (Bien Profond), et j'en passe. Ce disque fut au mieux
ignoré, au pire dénigré souvent sur simple présomption
vis à vis de son contenu et
de son auteure. En ces
temps d'accession à des
postes de pouvoir d'anciens soixante-huitards, il
ne fait sans doute pas bon
de montrer les mauvais
côtés de l'Homme et de la
société...
Après cet échec commercial, et profondément dégoûtée du milieu du “show-biz”, Dominique Grange abandonne complètement la chanson et se consacre à
d'autres causes, d'abord à la famille qu'elle souhaite
avoir. Comme la maternité ne vient pas, et après des
tentatives infructueuses de FIVETE (Fécondation In
Vitro Et Transplantation d'Embryon), elle accepte sa
stérilité. Elle raconte ce parcours d'obstacles de façon
réaliste, objective et circonstanciée dans un superbe
récit qui révèle une belle écriture (L'enfant derrière la
vitre, Editions Encre, 1985). Comme ce livre ne plaît
guère au milieu médical parce qu'il risque de découra-
ger les femmes candidates à la
FIVETE, il n'est pas réédité. Là
encore la femme debout et responsable ne met pas sa langue
dans sa poche ! Sa famille, elle la
construit par l'adoption d'enfants
chiliens et elle milite activement à
l'AFAENAC, Association des
Familles Adoptives d'Enfants Nés
Au Chili. Elle fait le récit émouvant de ses réussites et de ses échecs dans deux livres
magnifiques d'humanité et d'honnêteté que parents
adoptifs ou candidats à l'adoption,
comme parents biologiques,
devraient lire : Je t'ai trouvé au
bout du monde (Stock, puis Le
Livre de Poche n° 6748, 1987) et
Victor, l'enfant qui refusait d'être
adopté (Stock, 1993). Hélas, ces
livres sont également épuisés,
mais en cherchant un peu sur
Internet, on peut encore éventuellement les trouver !
En 2004, elle donne raison à tous ceux qui l'encourageaient à rééditer les chansons de sa carrière auxquelles
elle tient le plus. Et c'est un double CD L'Utopie Toujours (aujourd’hui disponible chez EDITO Musiques 33, av. Ph. Auguste - 75011 PARIS - 01 43 52 20 40),
avec encore de beaux dessins de Tardi sur la pochette.
Divine surprise : les principales chansons de Hammam
Palace réenregistrées et/ou remixées sont enfin compréhensibles dans toutes les nuances de leurs paroles et,
avec la voix mûrie de la chanteuse, révèlent toutes leurs
qualités. S'y ajoutent deux titres, Le Vieux en hommage à François Béranger, et La Voix Des Prisons qui
montre qu’elle n'a rien renié de ses révoltes et de ses
convictions. Le CD 1, magnifique, justifie à lui seul
l'acquisition. Le second est
un document en bonus : il
reprend,
craquements
compris, les 45 tours de
1968. Avec, en plus, des
extraits de François Béranger racontant et chantant
Les Nouveaux Partisans,
c'est très émouvant.
Enfin, Jacques Tardi a voulu joindre un disque de chansons de La Commune à la réédition en un seul volume
du “Cri Du Peuple” ; et Dominique Grange, évidemment engagée dans l’affaire avec Serge Utgé-Royo,
Francesca Solleville et d’autres, est de nouveau passée
au studio d’enregistrement ! La sortie du livre et du
disque est prévue pour octobre 2005.
Quelle trajectoire ! Mais une carrière aussi particulière, une femme aussi volontaire et humaniste méritaient
bien quelques pages de VINYL !
François BELLART - Juin 2005
VINYL n°47 • Juillet - Août - Septembre 2005
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