Données nouvelles concernant l`épidémiologie du cancer colorectal
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Données nouvelles concernant l`épidémiologie du cancer colorectal
Mini-revue Données nouvelles concernant l’épidémiologie du cancer colorectal en France Last up-date on French colorectal epidemiology Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. Anne-Marie Bouvier, Côme Lepage Registre Bourguignon des Cancers Digestifs (Inserm U866). Faculté de Médecine, 7 boulevard Jeanne d’Arc, BP 87900, 21079 Dijon Cedex, France <[email protected]> Résumé. Les données d’épidémiologie descriptive sont indispensables pour connaître la fréquence d’une maladie, son évolution, sa répartition géographique et pour identifier les groupes à risque. En 2005, 37 413 nouveaux cas de cancers colorectaux ont été diagnostiqués en France. Pour les deux sexes réunis, le cancer colorectal se situait au 3e rang des cancers. Son incidence est restée stable depuis 1980 mais on a pu observer un glissement progressif des cancers du côlon gauche au profit du côlon droit. Les sujets à risque moyen sont les individus des deux sexes de plus de 50 ans. Ils représentent la population cible du dépistage de masse du cancer colorectal qui se met en place en France depuis 2001. Les données épidémiologiques récentes suggèrent que les sujets ayant des antécédents familiaux d’adénomes de plus de 1 cm sont des sujets à risque élevé de cancer colorectal. Ces sujets doivent bénéficier de la même prise en charge que les sujets ayant des antécédents familiaux de cancer colorectal. Trois à cinq pour-cent des cancers colorectaux se développent dans le cadre de syndromes héréditaires bien définis. La recherche d’une mutation délétère doit être faite chez le cas index et proposée à leurs apparentés du 1er degré afin de mettre en place une stratégie de dépistage adaptée dans ces familles. Mots clés : cancer colorectal, épidémiologie, registre, incidence, groupe à risque Abstract. Descriptive epidemiologic data is needed to know incidence, trend in incidence over time, geographic repartition of illnesses and to identify risk groups. In 2005, 37,413 new colorectal cancers cases were diagnosed in France. For both sexes, colorectal ranked 3rd among all cancers. Its incidence remained stable since 1980, in spite of a shift from left colon cancers to right colon cancers. Subjects with average risk are those for both sexes, aged more than 50 years. Colorectal mass screening, which has started in France since 2001, aims this population. Epidemiologic data suggest that patients with familial history of adenomatous larger than 1 cm are at high risk of colorectal cancer. These patients should have the same pattern of management than patients with family history of colorectal cancer. Three to five percent of colorectal cancers occur in the context of well known hereditary syndromes. In these families, the identification of a pejorative mutation has to be done to the index case and proposed to their first degree relatives, in order to set an adapted screening strategy. Key words : colorectal cancer, epidemiology, registry, incidence, risk groups doi: 10.1684/hpg.2008.0241 L e cancer colorectal représente depuis plusieurs décennies un important problème de santé publique en France. Les statistiques de mortalité ne peuvent à elles seules donner une mesure exacte du poids qu’ils représentent. La collaboration engagée depuis plusieurs années entre le réseau national des registres de cancers (FRANCIM), le département de biostatistiques des Hospices Civils de Lyon, le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDc) et l’Institut de Hépato-Gastro, vol. 15, numéro spécial, septembre 2008 veille sanitaire (InVS) permet une mesure précise et régulière de l’incidence des cancers en France. Les analyses les plus récentes ont permis de mesurer l’évolution de l’incidence des cancers de 1980 à 2005. En complément de l’étude de sa fréquence, des données plus précises provenant de registres spécialisés permettent d’avancer dans la connaissance de l’épidémiologie du cancer colorectal. L’objectif de cet article est de présenter l’état des connaissances concernant la fréquence du cancer colorectal en 3 Mini-revue France et son évolution au cours du temps, d’identifier les groupes à risque élevé et de caractériser l’épidémiologie des lésions précancéreuses. Fréquence du cancer colorectal Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. Depuis quelques années, des données précises collectées par les registres de cancers permettent d’estimer la fréquence des cancers à l’échelon national. Ces données proviennent de 12 départements couverts par un registre de cancers, appartenant au réseau Francim, ce qui représente environ 15 % du territoire national. Il s’agit du Bas-Rhin, du Calvados, de la Côte-d’Or, du Doubs, du Haut-Rhin, de l’Hérault, de l’Isère, de la Loire-Atlantique, de la Manche, de la Saône-et-Loire, de la Somme et du Tarn. Les données ont été recueillies selon une procédure standardisée et sont régulièrement mises à jour. L’estimation de l’incidence du cancer colorectal en 2005 en France est disponible. Elle a été réalisée par une modélisation de l’incidence et de la mortalité observées [1]. Pour comparer l’incidence des cancers d’une zone géographique à l’autre, les taux ont été standardisés sur la population mondiale de référence. Le nombre estimé de nouveaux cas de cancer colorectal en 2005 était de 37 413 en 2005, répartis en 19 913 cas chez l’homme et de 17 500 cas chez la femme. Il se situait au 3e rang des cancers en France, après les cancers de la prostate et du sein (tableau 1). Il représentait 53,8 % des cas de cancers digestifs chez l’homme et 68,5 % chez la femme. Les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale de référence étaient respectivement de 37,7 pour 100 000 et de 24,5 pour 100 000. Les données d’incidence et de survie des cancers ont permis de calculer la prévalence partielle à 5 ans du cancer colorectal au 31 décembre 2002 (nombre de cas vivants, diagnostiqués depuis 1998). Elle était de 108 980 cas, soit 205 cas pour 100 000 hommes et 142 cas pour 100 000 femmes [2]. L’incidence du cancer colorectal est restée stable entre 1980 et 2005 (tableau 2). Le taux de variation annuelle était de 0,5 % durant cette période. Dans les autres régions du monde, le cancer colorectal était en Tableau 1. Place du cancer colorectal parmi les 10 cancers les plus fréquents en 2005 en France. Place du cancer colorectal parmi les 10 cancers les plus fréquents en 2005 en France Prostate Sein Côlon rectum Poumon ORL Lymphome Vessie Rein Mélanome Pancréas Estomac 0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 70000 Tableau 2. Fréquence du cancer colorectal par sexe et année de diagnostic. Hommes 1980 Nombre de cas Taux standardisés 1985 1990 1995 Femmes 2000 2005 1980 1990 1995 2000 2005 12 282 13 869 15 478 17 118 18 582 19 913 11 522 12 601 13 709 14 872 16 041 17 500 33,6 36,1 37,8 38,7 38,7 37,7 22,8 23,4 23,9 24,2 24,4 24,5 Taux standardisés sur la population mondiale de référence, pour 100 000 habitants. 4 1985 Hépato-Gastro, vol. 15, numéro spécial, septembre 2008 500 500 400 400 300 300 200 200 100 100 Taux pour 100 000 personnes-années 0 0 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. Incidence homme Incidence femme Mortalité homme Mortalité femme 20 30 40 50 60 Âge en 2005 70 80 90 Figure 1. Incidence et mortalité par âge en 2005. augmentation dans les pays à taux d’incidence élevé jusqu’au milieu des années 1980, puis que sa fréquence s’est stabilisée. Son incidence a diminué aux États-Unis après 1985, une dizaine d’années plus tôt qu’en France [3]. Les données d’incidence les plus récentes font état d’une augmentation modérée de l’incidence du cancer colorectal en Europe et en Chine [4]. Son incidence a peu varié au cours des vingt dernières années au Canada ou en Amérique du Sud, et elle a diminué en Afrique [4]. Depuis les années 1980, il y a eu un glissement progressif des cancers du côlon gauche au profit des cancers du côlon droit. Cette évolution a été constatée dans différents pays, en Europe comme aux États-Unis [5, 6]. Elle n’a pas reçu d’explication claire : on dispose de peu de données sur les facteurs associés à la survenue d’un cancer colorectal selon sa souslocalisation. La diminution historique de l’activité physique est l’une des hypothèses soulevée. L’activité physique serait associée à une diminution du risque de cancer du côlon et n’aurait pas d’effet sur les cancers du rectum [7]. Différents éléments plaident en faveur d’étiologies différentes pour les cancers du côlon droit, du côlon gauche et du rectum. Le cancer du colorectal est globalement caractérisé par une légère prédominance masculine, avec un sex ratio voisin de 1,5. De façon plus précise, les cancers du cæcum, du côlon ascendant et du transverse concernent plus souvent les femmes tandis que les cancers situés à partir de l’angle gauche (côlon descendant, sigmoïde et rectum) se caractérisent par une prédominance masculine. La caractérisation des altérations génétiques constitutionnelles et acquises des cancers colorectaux a permis de mettre en évidence trois groupes de tumeurs ayant une origine moléculaire différente [8] : – les cancers caractérisés par une instabilité chromosomique (pertes alléliques et hyperploïdie, phénotype LOH+) qui représentent environ 70 % des cancers colorectaux sporadiques, dans le côlon droit, ce mécanisme est plus rare (40 % des cas) ; – les cancers caractérisés par une instabilité microsatellite (taux élevé d’erreurs de réplication, phénotype MSI+) qui représentent environ 15 % des cas ; – les cancers ni LOH+, ni MSI+, caractérisés par des anomalies de méthylation, qui représentent environ 15 % des cas. Groupes à risque Le dépistage généralisé du cancer colorectal en France se met en place depuis 2003. Son cahier des charges repose sur la connaissance des sujets à risque et de leur niveau d’exposition au cancer. Actuellement, trois niveaux de risque peuvent être identifiés : – Sujets à risque moyen : le cancer colorectal est rare avant 50 ans (environ 6 % des cas), puis son incidence augmente rapidement avec l’âge (figure 1). Les sujets à risque moyen sont les individus de plus de 50 ans des 2 sexes. – Sujets à risque élevé : quatre groupes de sujets sont identifiés : • Parents du 1er degré de sujets atteints d’un cancer colorectal Les sujets ayant un ou plusieurs parents du 1er degré atteints d’un cancer colorectal ont un risque Hépato-Gastro, vol. 15, numéro spécial, septembre 2008 5 Mini-revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. d’être atteint de ce cancer plus élevé que ceux de la population générale. Au cours des dernières années, trois méta-analyses ont permis de comptabiliser 58 études portant sur le sujet [9-11]. Le risque de développer la maladie en présence d’antécédents familiaux de cancer colorectal était de l’ordre de 1,5 à 4. Il est également confirmé que l’âge de l’apparenté au moment du diagnostic de cancer et le nombre d’apparentés étaient des éléments déterminants sur le niveau de risque [12, 13]. Le risque de développer un cancer était d’autant plus grand que le sujet était plus jeune et diminuait régulièrement jusqu’à rejoindre le risque des sujets sans antécédent après 70 ans. • Antécédents familiaux d’adénome colorectal En cas d’antécédents familiaux d’adénomes, le risque de cancer colorectal est moins bien connu. Dans une méta-analyse, l’estimation du risque commun de cancer colorectal chez les apparentés de patients porteurs d’adénomes était de 2 [11]. Dans une étude où une coloscopie était proposée de façon prospective aux apparentés du 1er degré de patients chez qui un gros adénome venait d’être détecté, le risque de cancer et de gros adénomes était augmenté chez les apparentés au 1er degré de sujets atteints d’adénomes de plus de 1 cm (OR : 2,3) [14]. Le risque de cancer colorectal augmente avec le nombre d’apparentés atteints d’adénomes et quand l’âge du diagnostic chez le cas index décroît [15, 16]. Les apparentés au 1er degré de patients atteints d’un gros adénome doivent bénéficier de la même prise en charge que les apparentés du 1er degré de patients atteints d’un cancer colorectal. • Antécédents personnels d’adénome ou de cancer colorectal Chez les sujets atteints d’adénomes colorectaux, le risque de cancer colorectal dépend des caractéristiques des adénomes découverts initialement. Le risque était multiplié par près de 4 chez les sujets atteints d’un adénome avec structures villeuses ou de plus d’un centimètre de diamètre - et multiplié par 7 si ces adénomes étaient multiples. Chez les sujets atteints d’un ou plusieurs adénomes de moins de 1 cm de diamètre, le risque de cancer colorectal ne différait pas significativement de celui de la population générale [17]. Seule une faible proportion des adénomes est actuellement diagnostiquée [18]. Selon une estimation récente réalisée en Côte-d’Or à partir des données du registre des polypes et d’une série autopsique, la proportion d’individus âgés de 45 à 84 ans ayant eu un 1er diagnostic d’adénome entre 1976 et 1999 représentait 18 % de tous les individus porteurs d’adénomes (20,0 % pour les hommes et 16,0 % pour les femmes) [19]. Ces résultats, même s’ils ne représentent qu’un ordre de gran- 6 deur, laissent présager que la proportion de sujets atteints d’adénomes détectés par l’endoscopie est trop faible pour diminuer l’incidence du cancer colorectal dans la population. Les sujets traités pour cancer de l’intestin constituent également un groupe à risque élevé de cancer colorectal métachrone. Le délai de survenue médian entre les 2 cancers est de l’ordre de 40 mois, le risque relatif de survenue de 1,50 (p < 0,001) [20]. Le risque était significativement plus élevé dans les 5 premières années suivant le diagnostic Cette étude confirme l’intérêt de la surveillance régulière des patients, surtout dans les 5 ans suivant le diagnostic initial. • Maladies inflammatoires La fréquence de l’association entre la rectocolite ulcérohémorragique (RCH) et le cancer colorectal est diversement estimée selon les études. Les principaux facteurs qui augmentent le risque sont l’étendue de la RCH, sa durée, le jeune âge au moment du diagnostic et l’activité inflammatoire chronique [21]. Après 7 à 10 années d’évolution, le risque de cancer colorectal augmentait de 0.5 % à 1 % chaque année [22]. Concernant la maladie de Crohn, le risque de cancer colorectal est moins établi. Dans une métaanalyse récente de l’ensemble des études de population disponibles, le ratio d’incidence standardisé de cancer colorectal était de 1,84 [1,38-2,45] [23]. La survenue d’un cancer colorectal est également liée à l’étendue de la maladie et le jeune âge au moment du diagnostic. – Sujets à risque très élevé On estime actuellement que 2 à 5 % des cancers colorectaux se développent dans le cadre de syndromes héréditaires bien définis dont les deux principales formes sont la polypose adénomateuse familiale et le syndrome de Lynch, encore appelé syndrome HNPCC (hereditary non polyposis colorectal cancer) [24, 25]. Les critères nécessaires pour porter le diagnostic sont : au moins 3 sujets atteints de cancer du spectre HNPCC (côlon, rectum, endomètre, ovaire, grêle, uretère ou cavités excrétrices rénales) dont 1 uni aux 2 autres au 1er degré, avec au moins deux générations successives concernées, au moins 1 cancer diagnostiqué avant l’âge de 50 ans et tumeurs vérifiées par un examen anatomopathologique. [26]. Les formes incomplètes sont fréquentes et les critères ont été élargis lors d’une conférence d’experts français aux sujets ayant 2 apparentés atteints d’un cancer du spectre dont un avant 50 ans, aux malades âgés de moins de 40 ans et aux sujets ayant un antécédent personnel de cancer [27]. Plusieurs gènes responsables d’agrégation familiale de cancers colorectaux ont été identifiés. Les altérations génétiques délétères d’hMSH2, d’hMSH6 et d’hMLH1 sont responsables du syndrome HNPCC, celles d’APC (adenomatous polyposis coli, situé sur le bras court du Hépato-Gastro, vol. 15, numéro spécial, septembre 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 07/02/2017. chromosome 5) sont responsables de la polypose adénomateuse familiale [28]. Ces prédispositions conduisent à un risque élevé de cancer colorectal pour les mutations du gène APC vers l’âge de 40 ans si une coloprotectomie totale n’est pas pratiquée au début de l’âge adulte. La pénétrance de l’anomalie génétique est moins forte dans le syndrome HNPCC. Ces éléments soulignent l’intérêt d’un diagnostic génétique lorsqu’une disposition familiale est suspectée. La recherche de la mutation délétère doit être faite chez le cas index et proposée aux apparentés au 1er degré afin de mettre en place un programme de dépistage adapté dans ces familles. Ces mesures préventives ont fait la preuve de leur efficacité [29]. Plus récemment, une forme récessive de polypose familiale liée à une mutation du gène MYH a été mise en évidence [30, 31]. Références 1. Remontet L, Estève J, Bouvier AM, Grosclaude P, Launoy G, Ménégoz F, et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 1978-2000. Rev Epidemiol Sante Publ 2003 ; 51 : 3-30. 2. Colonna M, Danzon A, Delafosse P, Mitton N, Bara S, Bouvier AM, et al. Cancer prevalence in France : times trends, situation in 2002 and extrapolation to 2012. Eur J Cancer (in press). 3. Devesa S, Blot W, Stone B, Miller B, Tarone R, Fraumeni J. Recent cancer trends in the United States. J Natl Cancer Inst 1995 ; 87 : 1775-82. 4. Curado MP, Edwards B, Shin HR, Storm H, Ferlay J, Heanue M, et al. Cancer Incidence in Five Continents, Vol. IX. Lyon : Scientific Publications, IARC, 2007. 5. Cress RD, Morris C, Ellison GL, Goodman MT. 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