Justice / Portail / Le procès de Jeanne du Barry

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Série « les grands procès de l’histoire » publication n°4
« Je suis bien sûre que nous ne serons pas toujours pauvre ; et si je puis
devenir riche, vous le serez aussi »(2) écrivait Jeanne Bécu à sa mère, en
1759. Jeanne va se battre toute sa vie pour s'élever dans ce XVIIIe siècle
encore monarchique. Devenue comtesse du Barry, c'est pour garder le
reste des splendeurs qui illuminèrent sa vie de favorite royale que, en
pleine Révolution française, Jeanne préféra sacrifier sa sécurité.
« Elle parla fort bien, et l'on ne se serait pas douté de ce qu'elle avait été d'abord (1). »
CONTEXTE
La « Presque Reine »(3)
Née le 19 août 1743, à Vaucouleurs, en Lorraine, des amours d’une couturière,
Jeanne Bécu est de basse extraction.
L’excellente éducation qu’elle reçoit toutefois lui permet de devenir modiste à Paris,
rue Saint-Honoré. Elle fréquente les salons et collectionne les galants de la bonne
société.
En 1768, elle a ainsi l’opportunité d’être présentée au roi Louis XV, veuf de 58 ans.
Malgré les médisances, Louis XV l’impose comme sa favorite à la cour de Versailles :
« (…) Elle est très jolie, elle me plaît, cela devrait suffire (…) »(4).
Jeanne obtient le titre de comtesse du Barry. Maîtresse choyée d’un roi taciturne et triste
qu’elle égaie, Jeanne évolue en mécène éclairée. Elle s’intéresse peu à la politique mais
supporte le parti du maréchal duc de Richelieu, son ancien galant, contre le parti du duc de
Choiseul.
Pour avoir voulu la guerre contre les Anglais, Choiseul est écarté. La comtesse Jeanne du
Barry règne alors sur Versailles et sur le cœur du roi :
« (…) Sa majesté a souri et m’a dit qu’elle ne pouvoit rien me refuser (…) »(5).
Mais Louis XV meurt trop tôt, le 10 mai 1774, laissant un successeur bien jeune : Louis XVI
est peu préparé à poursuivre les réformes commencées par son grand-père, Louis XV. Peu
appréciée de Marie-Antoinette, la nouvelle souveraine, Jeanne du Barry est chassée de
Versailles et trouve refuge dans son château de Louveciennes (Yvelines), cadeau de Louis
XV.
Le vol
Jeanne du Barry est âgée d’une cinquantaine d’années à l’aube de la Révolution française ; la
demeure de Louveciennes, quelques rentes et ses bijoux lui assurent une fin de vie aisée.
Elle garde ses diamants et ses perles dans sa chambre. Elle en a aussi dissimulé dans le
jardin…
Le 11 janvier 1791, Jeanne part fêter l’Epiphanie. A son retour, bijoux et objets précieux ont
disparu.
Un procès-verbal détaillé est dressé par la maréchaussée ce 11 janvier et relate le vol.
A l’origine, Jeanne du Barry n’avait ni rang, ni fortune. Le vol d’une partie de son trésor (d’une
valeur actuelle d’environ 60 millions d’euros) la prive du lustre qu'elle a acquis.
Jeanne du Barry ne cessera de multiplier les
démarches pour retrouver son bien.
La comtesse fait distribuer une liste précise des
pierres volées dans les postes de police et chez les diamantaires français et
étrangers, avec promesse de récompense.
Les pierres sont retrouvées assez rapidement à Londres et déposées dans une
banque anglaise. Les voleurs sont emprisonnés mais, au XVIIIe siècle, les
conditions d’extradition entre la France et l’Angleterre sont inexistantes : les
voleurs, arrêtés en Angleterre, doivent purger leur peine en Angleterre, pour
recel, avant de retourner (de leur plein gré) en France pour être jugés pour vol…
et pour que Jeanne puisse se faire restituer ses pierres par la banque.
En ces temps troublés, la quête agitée de Jeanne du Barry va faire porter
l’attention sur elle.
Les voyages en Angleterre
Plongée dans ce labyrinthe juridictionnel, en pleine Révolution française, Jeanne du Barry va effectuer pas moins de quatre
voyages entre la France et l’Angleterre, entre 1791 et 1793 dans l’espoir de récupérer son bien. Pour sortir du territoire
français, elle doit obtenir des papiers dans un contexte qui se durcit vis-à-vis des aristocrates émigrés.
Durant ses séjours en Angleterre, elle s’installe dans un quartier où logent ses concitoyens, des émigrés parfois en
mauvaise posture et à qui elle offre gite et couvert. Résidant en Angleterre lors de la décapitation du roi Louis XVI, le 21
janvier 1793, Jeanne du Barry n'hésite pas à en porter le deuil.
Mais les relations entre la France et l’Angleterre se gâtent.
En mars 1793, émigrer devient un délit, puni de la confiscation
des biens.
La comtesse du Barry rentre précipitamment en France dès
qu'elle apprend que les scellés sont posés sur son domaine. Elle
doit justifier ses séjours en Angleterre.
LES ACCUSATIONS
La garde à vue
Comme d’autres municipalités, Louveciennes est maintenant
occupée par des personnes étrangères
au village, des dénonciateurs commandités par la Convention(6), comme le citoyen Greive. Deux
des anciens serviteurs de Jeanne, Zamor et Salanave, se joignent à lui ; des pétitions s'organisent
contre elle. Les rapports de l’espion Blache sur le comportement de la comtesse en Angleterre
n’arrangent rien.
Une première fois, accusée d’incivisme, la comtesse du Barry est gardée à vue dans sa demeure.
Son dossier suit son cours, de la Convention au Comité de Sûreté générale(7). Se souvenant de la
générosité dont elle a su faire preuve, les habitants de son village témoignent en sa faveur ; Jeanne
est innocentée.
Mais la partie n’est pas gagnée. Poussés par la peur d’un retour en arrière qui pourrait être aussi un
retour de bâton pour eux, les meneurs révolutionnaires exaspèrent la véritable folie meurtrière qui
s’est emparée de la population.
L’arrestation - L’interrogatoire
En octobre 1793, un décret suspend la Constitution. La Terreur s’installe en même temps que la dictature imposée par le
Comité de salut public dont se sont rendus maîtres Robespierre et ses amis(8).
La loi des suspects est promulguée le 17 septembre 1793. Des comités de surveillance autoproclamés traquent les
suspects.
Jeanne du Barry en fait partie. Elle est arrêtée le 22 septembre (Arrêté du
Comité de Sûreté générale du 21 septembre 1793).
Conduite à la prison de Sainte Pélagie de Paris, elle est suspectée d’incivisme et
d’aristocratie.
Les scellés sont mis sur ses biens, ses papiers sont saisis et transmis au
procureur du Comité de Sûreté générale.
Greive, Zamor et Salanave en profitent pour piller sa demeure ; le personnel du
château est maltraité.
Le 19 novembre 1793, elle est emmenée à la prison de la Conciergerie du Palais
de justice où elle est interrogée.
Jeanne du Barry multiplie les arguments pour se disculper : n’a-t-elle pas souscrit
aux emprunts de la Révolution, soutenu la municipalité de Louveciennes, participé
aux dons patriotiques ? Les preuves ne sont-elles pas là pour justifier ses
voyages ?
Après quatre jours d’interrogatoire, elle est reconduite à la prison de Sainte
Pélagie.
Le 4 décembre 1793, elle est de nouveau emmenée à la Conciergerie pour y
être jugée au Palais de justice par le Tribunal révolutionnaire.
Le Tribunal révolutionnaire
Le Tribunal révolutionnaire est créé en mars 1793 par la Convention.
Les compétences de ce tribunal s'étendent à tous les crimes contre-révolutionnaires.
Il siège au Palais de justice de Paris et comprend un président, quatre juges, un accusateur public et douze jurés
rémunérés.
Les jugements sans appel sont immédiatement exécutoires.
D'avril 1793 à juillet 1794, environ 2 500 condamnations à mort y seront prononcées : "Les tribunaux, protecteurs de
la vie et des propriétés, étaient devenus des boucheries où ce qui portait le nom de supplice et de confiscation n'était
que vol et assassinat" (…) »(9).
LE PROCES
Le réquisitoire
Les 6 et 7 décembre 1793, Jeanne du Barry comparaît devant l’accusateur du Tribunal
révolutionnaire, Antoine-Quentin Fouquier-Tinville qui l'accuse d’avoir conspiré contre la République.
Des preuves du vol ont été apportées par Jeanne. Elles ne sont pas suffisantes pour Fouquier-Tinville
qui le considère comme un « stratagème » pour « (…) procurer d’une manière certaine des secours
aux émigrés (…) ».
Jeanne est donc accusée d’avoir formé « (…) le projet d'être utile tant aux émigrés qu’au petit
nombre de ses amis qui étoient restés en France et qui trouvaient chez elle un asile assuré (…) ».
Fouquier-Tinville se lance dans une diatribe contre Jeanne, nouvelle « Messaline » et « (…) femme
que l’on doit regarder comme un des plus grands fléaux de la France et comme un gouffre effroyable
dans lequel s’est englouti une quantité effrayante de millions (…) ».
Surtout, son statut d’ex-maîtresse royale pèse dans la balance. Fouquier-Tinville insiste sur ce point :
« (…) Louis quinze du nom, a scandalisé l'univers en donnant la surintendance de ses
honteuses débauches à cette célèbre courtisane (…) », « (…) cette créature éhontée lui fut
en effet présentée, et qu'en peu de temps elle parvint par ses rares talents à prendre
l'empire le plus absolu sur le faible et débile despote (…) », « (…) les ministres, les
généraux, les ci-devant princes de l'Eglise furent nommés ou culbutés par cette nouvelle
Aspasie, et tous venaient bassement faire fumer leur encens à ses genoux (…) ».
Les amours, amitiés, sentiments de Jeanne sont transformés en crimes d’Etat. N’a-t-elle
pas « (…) porté, à Londres, le deuil du tyran (…) » et « (…) vécu familièrement avec le parti
ministériel (…) ».
Jeanne du Barry est condamnée à mort le 7 décembre 1793.
Après la sentence, elle s’évertue à négocier sa vie et à gagner du temps…
Se voyant perdue, elle promet même de révéler la
cachette du reste de ses trésors. Les tractations
auraient même retardé le départ de la charette.
L’exécution
L’histoire aurait gardé de sa fin le souvenir de déchirantes supplications qui sont loin
d’être avérées lorsque la comtesse Jeanne du Barry gravit les marches de l’échafaud.
Un fait est réel cependant : attendant son jugement à la Conciergerie, Jeanne laissa
passer une possibilité d’évasion qui s’offrait à elle au profit d'Adélaïde de Mortemart,
aristocrate recherchée.
Madame de Mortemart put ainsi quitter sa cachette et gagner l’Angleterre.
Jeanne du Barry, petite modiste devenue « La du Barry », favorite royale, fut
guillotinée le 8 décembre 1793… par le bourreau Charles Henri Sanson, un de ses anciens amis du temps des galanteries de
la rue du Bac.
Bibliographie
« La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.
« Les dieux ont soif », Anatole France, Calmann-Lévy, 1912.
« Le Vieux Cordelier », Camille Desmoulins, Pierre Pachet, coll. Littérature et politique, Dir. Coll., Claude Lefort, Belin.
Notes
1. Journal du duc Emmanuel de Croy. Eté 1774. Cité dans « La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.
2. Lettre de Jeanne à sa mère. Cité dans « Lettres originales de Madame la comtesse du Barry », Mathieu François
Pidanzat de Mairobert, 1779. Gale Ecco, Print Editions, 2010.
3. « La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.
4. Billet de Louis XV au duc de Choiseul. Eté 1774. Cité dans « La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.
5. Lettre de Jeanne au duc d’Anguillon. Cité dans « Lettres originales de Madame la comtesse du Barry »,
François Pidanzat de Mairobert, 1779. Gale Ecco, Print Editions, 2010.
Mathieu
6. La Convention succède le 21 septembre 1791 à l’Assemblée législative. Elle fonde la 1re République et abolit la royauté.
7. Le Comité de Sûreté générale était une institution de la 1re République créée le 25 novembre 1791. Il était chargé de
poursuivre les ennemis de la Révolution.
8. Le Comité de Salut public est créé le 6 avril 1793 par la Convention pour contrôler le travail des parlementaires et faire
face au mécontentement. Son pouvoir illimité tourne à la dictature. Il fonctionne pendant un an en s’appuyant sur les
comités de surveillance.
9. Camille Desmoulins, « Le Vieux Cordelier », Numéro 3 du 17 décembre 1793.
source : www.justice.gouv.fr