la nostalgie du baroque
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la nostalgie du baroque
LETTRES ARTS SPECTACLES VOLUTES LA NOSTALGIE DU BAROQUE PAR MILAN KUNDERA La France peut-elle arriver à signifier l'Europe entière ? Dans le livre de Dominique Fernandez, l'auteur de « la Valse aux adieux » a trouvé une réponse tant que poète, il est plus réceptif aux correspondances baudelairiennes entre « les parfums, les couleurs et les sons », correspondances qui échappent aux investigations universitaires (tout son livre est fondé sur la confrontation de. l'acoustique, du visuel et du dégusté) ; mais surtout, étant lui-même la culture française en personne et en action, il sent intuitivement les besoins de celle-ci. Partant, « le Banquet des anges » est un livre non pas sur le baroque mais plutôt sur le besoin, sur la soif, la nostalgie que la France éprouve de l'expérience manquée du baroque. En effet, on pourrait définir la France comme l'incarnation de l'Europe dans sa plénitude ---- moins le baroque. C'est le seul « moins » mais qui représente quelque chose d'immense : le baroque est dimension sans laquelle l'Europe n'est pas entièrement Europe. — LA PASSION DE S'EXHIBER Fernandez raconte l'histoire, d'ailleurs assez connue, sur Bernini qui, invité à Paris pour reconstruire le Louvre, fut, à la fin, renvoyé en Italie : « La folie romaine vaincue par la rigidité française, le délire baroque répudié par l'esprit classique. » Au-delà du caractère anecdotique de SQUELETTE-CHAMARRÉ DE GUTENZELL (ALLEMAGNE) Une ombre de Waisir omrnent définir « le Banquet des anges » (1) ? Un récit de voyage dans les pays de la « civilisation baroque ». Plus ; presque un guide de voyage, un Baedeker. Mais aussi un essai très érudit sur l'architecture et sur la musique. Et en même temps un journal d'écrivain plein ,d'observations, réflexions et petites histoires qui charment. On ne peut pas ne pas penser au « Voyage en Italie » de Goethe (bien que Dominique Fernandez, autant que je sache, ne l'aime pas) et encore plus à Savinio (que, en revanche, Dominique Fernandez aime, étant l'un de ceux qui ont lancé en France cet auteur aussi épatant que sousLestimé). Alberto Savinio caractérise son livre sur Milan (« Ville, j'écoute ton coeur ») comme un livre « disco ursif », un entreteniemento ; cela ne veut pas dire, ajoutet-il, qu'il s'agisse d'un livre mineur ; au contraire, un livre « discoursif » est un livre majeur, un livre maximal. Entreteniemento, C (1) « Le Banquet des anges », par Dominique Fernandez, Pion, 386 pages, 110F. 88 Vendredi 5 octobre 1984 c'est le genre du dernier livre de Dominique Fernandez. En France, le baroque et toute son importance furent découverts assez tard et on peut d'ailleurs indiquer exactement la date : c'était en 1957, quand Victor Tapié a publié son inoubliable « Baroque et Classicisme ». Et pourtant, même si Tapié (et les autres historiens après lui) ont dessiné prodigieusement bien la carte de la «civilisation baroque », je lis « le Banquet des anges » comme une découverte. Car il y a des choses qu'on ne peut saisir que par la voie de l'entreteniemento. Il y a des portes qui sont fermées à la pensée méthodique et qui s'ouvrent seulement à un écrivain dont la réflexion est on ne peut plus personnelle, « subjective », voire capricieuse. Quelles sont ces portes ? Phis que n'importe quel homme de science, Fernandez, l'artiste, est sensible aux oeuvres (son livre est une perpétuelle découverte des oeuvres d'art oubliées ou sous-estimées, une constante « transvaluation » des valeurs artistiques) ; en cet épisode transparaît un moment crucial de l'histoire de l'art et des mentalités, moment dont résultera la fraction de la carte culturelle de l'Europe pendant deux siècles : d'un côté l'Europe classique, de l'autre celle de la « civilisation baroque ». L'Italie de Bernini est le berceau de cette civilisation et c'est par là que Fernandez, avec son compagnon Ferrante (le livre lui doit d'épatantes photos), commence son voyage et cherche à saisir l'essence de l'esprit baroque. En effet, quel est le dénominateur commun de la musique (apparemment si sereine à l'époque) et de l'art plastique (extatique jusqu'à l'hystérie) ? Fernanciez trouvera la réponse un jour subitement, quand, observant un tableau baroque, il s'avise : « Ce n'est pas une sainte, c'est une héroïne de l'opéra qui se pâme et se tord sous nos yx ! » Le monde du baroque, c'est la passion de s'exhiber, de s'extérioriser ; la délectation de vivre ses sentiments mais encore plus la volupté de les faire voir ; autrement dit, le baroque, c'est l'esprit de l'opéra. Art qui, signale Fernandez, est né dans les mêmes années du début du xv1p siècle que les premiers de la sculpture baroque. Cet esprit s'inSuite page 90