TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTREUIL N° 1105663

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTREUIL N° 1105663
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MONTREUIL
N° 1105663
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Mme R.
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. Gobeill
Rapporteur
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Le Tribunal administratif de Montreuil,
M. Domingo
Rapporteur public
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(9ème chambre),
Audience du 3 novembre 2011
Lecture du 17 novembre 2011
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335-01-03
C
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 6 juillet 2011, présentés
pour Mme R., demeurant (…), par Me Salfati ; Mme R. demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté en date du 17 juin 2011 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis
lui a retiré son titre de séjour, l’a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de
destination ;
2°) de valider son titre de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 750 euros en application de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que l’arrêté attaqué est entaché d’erreur de fait quant à son lieu de
naissance et son adresse ; qu’il est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure
où son départ du domicile conjugal le 6 mai 2010, et alors même qu’une carte de résident lui a
été délivrée le 27 avril 2010, ne permet pas, contrairement à ce qu’a estimé le préfet, de
considérer que son mariage avait un caractère frauduleux, la rupture du mariage étant imputable
aux violences conjugales dont elle a fait l’objet de la part de son époux ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée au préfet de la
Seine-Saint-Denis qui n’a pas produit de mémoire ;
Vu l’arrêté attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le code de justice administrative ;
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Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 novembre 2011 :
- le rapport de M. Gobeill, rapporteur ;
- les conclusions de M. Domingo, rapporteur public ;
- et les observations de Me Salfati, pour Mme R. ;
Considérant que Mme R. , ressortissante marocaine, née en 1990, s’est mariée le 22 août
2006 avec un compatriote qui a sollicité le bénéfice du regroupement familial à son profit ;
qu’elle est entrée en France le 13 décembre 2008 au titre du regroupement familial et s’est vue
délivrer, le 27 avril 2010, une carte de résident ; que le préfet de la Seine-Saint-Denis, informé
de ce que cette dernière avait quitté le domicile conjugal, a indiqué à l'intéressée, par une lettre
du 14 octobre 2010 notifiée le 1er décembre 2010, qu'il envisageait de procéder au retrait de sa
carte de résident, puis, après la réception d'observations de Mme R. , a, par une décision du 17
juin 2011, retiré la carte de résident délivrée à l’intéressée, motif pris de ce qu’elle a usé de
procédés frauduleux pour obtenir ce titre de séjour ; que ladite décision a été assortie d'une
décision du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois
et prescrivant qu’à l’expiration de ce délai elle serait reconduite d’office à destination du pays
dont elle a la nationalité ou de tout pays où elle établirait être légalement admissible ; que la
requérante demande l’annulation de cet arrêté ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile selon lesquelles : « En cas de rupture de la vie commune ne résultant
pas du décès de l'un des conjoints, le titre de séjour qui a été remis au conjoint d'un étranger peut,
pendant les trois années suivant l'autorisation de séjourner en France au titre du regroupement
familial, faire l'objet d'un retrait ou d'un refus de renouvellement. / (…) lorsque la communauté
de vie a été rompue en raison de violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint,
l'autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger admis au séjour
au titre du regroupement familial et peut en accorder le renouvellement. (…) » ; que ces
dispositions ne font pas obstacle à ce que le préfet, s'il est établi de façon certaine que le mariage
d'un ressortissant étranger avec un conjoint étranger en situation régulière sur le territoire
français a été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour, fasse échec à cette
fraude ;
Considérant que si pour retirer la carte de résident qui avait été délivrée à Mme R. en sa
qualité de membre de famille d’un ressortissant étranger en situation régulière, le préfet de la
Seine-Saint-Denis, a considéré, d’une part, que Mme R. a contracté mariage dans le but exclusif
d’obtenir un titre de séjour et d’autre part, que les allégations de violences perpétrées à l’égard de
la requérante ne sont nullement avérées et relève qu’elle a refusé d’honorer un rendez-vous à
l’unité médico-judiciaire, il n’est pas établi de manière certaine qu’à la date de la décision
attaquée, si les époux R. n’avaient plus de communauté de vie effective, le mariage contracté le
26 août 2006 au Maroc l’ait été dans un tel but ; qu’en particulier, il est constant que le préfet
s’est fondé exclusivement, pour apprécier l’intention de Mme R., sur les déclarations de son
époux consignées dans une main courante pour abandon de domicile conjugal dès le 6 mai 2010
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et déposée par celui-ci le 9 juin 2010 ; qu’hormis cette main courante, d’ailleurs non produite
au dossier, le préfet, qui n’a pas présenté d’observations en défense, ne fait état d’aucun autre
élément, notamment aucun rapport d’enquête circonstancié, de nature à établir avec certitude que
le mariage contracté par Mme R. plus de quatre ans auparavant l’a été dans le but exclusif
d’obtenir un titre de séjour ; qu’en revanche, à l’appui de sa requête, Mme R. conteste fermement
l’intention frauduleuse qui lui est imputée et fait valoir les violences conjugales dont elle a fait
l’objet de la part de son époux à partir du mois de décembre 2009, soit près d’un an après son
entrée en France, et ayant justifié la rupture de la communauté de vie avec son époux à
l’encontre duquel elle a, à la date de la décision attaquée, entrepris une procédure de divorce ;
que la requérante produit à l’appui de ces allégations quatre récépissés de mains courantes pour
différend entre époux et coups et blessures, en date du 29 décembre 2009, des 12 et
24 janvier 2010 et du 1er mars 2010, dans lesquels elle fait état de l’alcoolisme de son époux, de
son comportement violent et de menaces qu’il a proférées à son encontre ainsi qu’un procès
verbal de dépôt de plainte avec constitution de partie civile pour viol, violences conjugales et
menaces de mort en date du 6 mai 2010 ; que dans ces circonstances, le préfet de la
Seine-Saint-Denis ne saurait être regardé comme ayant rapporté la preuve, qui lui incombe, d'une
fraude ; que dès lors, Mme R. est fondée à soutenir que la décision lui retirant la carte de résident
dont elle était titulaire, l’obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays à destination
duquel elle pourra être éloignée est illégale ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme R. est fondée à demander
l’annulation de l’arrêté en date du 17 juin 2011 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a
retiré son titre de séjour, l’a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice
administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit
public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de
conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un
délai d’exécution » ; qu’aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions
en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en
application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions
prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet » ;
Considérant que les conclusions à fin de validation du titre de séjour de
Mme R. ne peuvent être regardées comme tendant à ce que le tribunal fasse injonction au préfet
de lui restituer sa carte de résident et doivent donc être déclarées comme sans objet et par suite
irrecevables, dès lors qu’il n’appartient pas au tribunal de délivrer ou de restituer un titre de
séjour ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des
dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de
l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme R. et non compris dans les
dépens ;
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DECIDE:
Article 1er : L’arrêté du 17 juin 2011 du préfet de la Seine-Saint-Denis est annulé.
Article 2 : L’Etat versera à Mme R. une somme de 1 000 (mille) euros au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme R. est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme R. et au préfet de la
Seine-Saint-Denis.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités
territoriales et de l’immigration.
Délibéré après l’audience du 3 novembre 2011, à laquelle siégeaient :
M. Pailleret, président,
Mme Guilbaud, premier conseiller,
M. Gobeill, conseiller,
Lu en audience publique le 17 novembre 2011.
Le rapporteur,
Le président,
Signé
Signé
J.-F. Gobeill
B. Pailleret
Le greffier,
Signé
A. Anaïs
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités
territoriales et de l’immigration, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en
ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution
de la présente décision.