LE MAJEUR PROTEGE ET SON LOGEMENT. Un des

Transcription

LE MAJEUR PROTEGE ET SON LOGEMENT. Un des
LE MAJEUR PROTEGE ET SON LOGEMENT.
Un des soucis du législateur de 1968 a été d’assurer la protection du
logement des majeurs protégés hospitalisés ou en établissement.
L’article 490-2 du Code civil prévoit pour cela que, quel que soit le
régime de protection applicable, le logement du majeur et les meubles
le garnissant doivent être conservés à sa disposition aussi longtemps
que possible.
 Pourquoi protéger le logement du majeur sous mesure de protection ?
La volonté du législateur de 1968 d’encadrer strictement l’aliénation du
logement du majeur protégé, consacrée à l’article 490-2 du Code civil,
reposait sur l’hypothèse du majeur, sous mesure de protection juridique,
contraint de quitter son logement pour suivre un traitement dans un
établissement sanitaire, social ou médico-social. Il était essentiel qu’à sa
sortie de l’établissement, le majeur protégé puisse légitimement retrouver
son logement, les meubles dont il est garni, ainsi que ses objets personnels.
De ce fait, le législateur se devait donc de mettre en place un dispositif
permettant la conservation du logement pour que, dans la mesure du
possible, le majeur protégé puisse retrouver son logement et ses meubles à
sa sortie de l’établissement. A défaut, sa sortie de l’établissement pourrait
coïncider avec une aggravation de son état car le fait pour le majeur de se
retrouver dans un environnement qui n’est pas le sien est inévitablement de
nature à compromettre, peut-être même de manière irrémédiable, sa
réadaptation sociale ou le travail accompli par l’équipe pluridisciplinaire de
l’établissement. Comme le rappelait le projet de loi lui-même, nous sommes
donc en présence d’« un cas singulier où la loi peut avoir, par elle-même, une
vertu thérapeutique »1.
 Comment s’articule cette règle de conservation du logement ?
Le principe général de conservation du logement du majeur protégé est
énoncé à l’alinéa 1er de l’article 490-2 du Code civil. Ainsi, cet article dispose
que « quel que soit le régime de protection applicable, le logement de la
personne protégée et les meubles meublants dont il est garni doivent être
conservés à sa disposition aussi longtemps qu’il est possible ». Cette
disposition qui s’apparente plus à une directive générale à l’intention des
personnes chargées de veiller à la protection des intérêts du majeur qu’à une
1
Projet de loi n°1720.
règle juridique précise, crée tout de même des obligations envers
l’administrateur du patrimoine. Une orientation claire de l’action de
protection lui est donnée. Cette exigence a pour but de l’inciter à rechercher
le maintien du majeur protégé dans son logement, et cela même au prix d’un
certain risque. Il s’agit en fait de ne pas faire passer les performances d’une
gestion patrimoniale, ou sa commodité, avant la préservation de ce droit. Ce
principe général devra donc inciter les tuteurs, curateurs, ou mandataires à
une certaine prudence s’ils ne veulent voir leur responsabilité civile engagée.
Car nul doute que constituerait une faute le fait pour ces derniers de
négliger de faire valoir le droit au maintien dans les lieux ou le droit de
renouvellement dont pourrait se prévaloir le majeur protégé.
En revanche, ce principe de conservation du logement n’empêche nullement
de passer avec un tiers une convention d’occupation précaire, limitée à la
date du retour au domicile du majeur protégé. De plus, ce principe ne
saurait faire obstacle aux droits légitimes des tiers2, tels que le propriétaire
du logement3, l’épouse attributaire4 ou les co-indivisaires5. Jean FOYER,
Garde des sceaux à l’époque, avait même précisé devant la Commission des
lois de l’Assemblée Nationale que l’article 490-2 ne ferait pas obstacle au
droit de réquisition sur un local inoccupé, tout en précisant que
l’administration devrait agir ici avec le discernement qui s’impose.
 Ce principe général de conservation du logement connaît-il des
aménagements ?
Si l’alinéa 1er de l’article 490-2 du Code civil incite le tuteur, le curateur ou le
mandataire à toujours s’efforcer de conserver le logement du majeur dès lors
que ce dernier est hospitalisé ou accueilli en établissement, il n’en demeure
pas moins qu’il est des situations où il est de l’intérêt du majeur de disposer
de son logement. Il s’agit le plus souvent de cas où l’état de santé du majeur
protégé ne permet pas d’espérer une sortie rapide de l’établissement, voire
même d’envisager une sortie définitive. Cela peut aussi concerner les
hypothèses où la conservation du logement n’est pas du tout dans l’intérêt
du majeur au vu du montant du loyer comparé à celui de ses ressources.
C’est pourquoi, l’article 490-2 a prévu dans son 3ème alinéa, des modalités
particulières de manière à ce que cette protection du logement ne devienne
pas pénalisante pour le majeur, et vide ainsi de son sens la volonté originelle
du législateur. Ce troisième alinéa dispose que « s’il devient nécessaire ou s’il
2
L’art.490-2 ne fait pas obstacle à l’expulsion d’un majeur sous curatelle, occupant sans droit ni titre d’un
logement – Paris, 14ème ch. civ, 26 avr 1985 - … Ni à la résiliation du bail pour inexécution de ses obligations
par un locataire sous sauvegarde de justice qui ne justifie que d’un suivi médical sans hospitalisation ni
placement dans un établissement spécialisé – Paris, 6ème ch. Civ, 21 sept 1993.
3
L’art.490-2 ne peut être opposé à une demande de résiliation du bail dont était titulaire le malade mental, alors
que le tuteur de celui-ci n’a pas su empêcher la dégradation du local loué et la protection de l’incapable
n’implique pas au surplus le maintien du bail – Bourges, 16 déc. 1986.
4
L’art.490-2 qui, en son al.3, soumet à une autorisation particulière les actes par lesquels il est disposé, en son
nom, des droits relatifs à l’habitation d’un majeur protégé, ne s’applique pas à l’exercice par les tiers des droits
qu’ils peuvent avoir sur ces biens (en l’espèce, après divorce, attribution à la femme de communauté
comprenant l’immeuble d’habitation, à titre de dommages-intérêts – Cass. Civ.1ère, 26 janv 1983.
5
Les dispositions de l’art.490-2 relatives à la protection du logement ne sont pas applicables à un logement
n’appartenant à l’incapable protégé que pour une faible part et en nue-propriété – Paris, 27 mai 1987.
est de l’intérêt de la personne protégée qu’il soit disposé des droits relatifs à
l’habitation ou que le mobilier soit aliéné, l’acte devra être autorisé par le juge
des tutelles, après avis du médecin traitant …» . On constate, par conséquent,
que la libération du logement du majeur protégé, lorsqu’elle s’impose, obéit à
un formalisme particulier. Obligation est faite au tuteur, curateur ou
mandataire de requérir une autorisation spéciale du juge des tutelles,
demande motivée par l’impossibilité matérielle de conserver le logement ou
parce qu’il y va de l’intérêt du majeur protégé à ce qu’il soit procédé à cette
opération6. L’inobservation de cette règle pourrait alors faire peser sur ces
actes passés sans autorisation du magistrat et touchant aux droits relatifs
au logement, la sanction d’une nullité relative enfermée dans un délai de 5
ans.
Si l’alinéa 3 de l’article 490-2 exige que l’acte disposant des droits relatifs au
logement soit spécialement autorisé par le juge des tutelles, ce même article,
in fine, impose à ce dernier la consultation préalable du médecin traitant du
majeur protégé. On peut donc penser que l’inobservation de cette formalité
substantielle ferait encourir à l’autorisation du juge la cassation. De ce fait,
le juge devra clairement faire apparaître, dans sa décision, que cette
prescription a bien été respectée.
 Que recouvre cette notion de logement du majeur protégé ?
Un juriste pourrait s’étonner de constater que l’article 490-2 du Code civil,
qui emploie indifféremment le terme de logement et celui d’habitation, ne
fasse pas référence à une notion plus juridique telle que celle du domicile ou
de la résidence. En utilisant le terme de logement ou d’habitation, le
législateur a voulu s’appuyer sur une notion de fait et ainsi faire référence au
lieu où l’on vit. Par conséquent, cette notion de logement exclut l’application
de cet article à la résidence secondaire. D’ailleurs, la Cour de Cassation a
pris parti en faveur de l’application de l’article 490-2 du code civil à la seule
résidence principale7. Mais comme le rappelait Jacques MASSIP, « il reste
qu’il peut être difficile, dans certains cas, de savoir si l’on est en présence ou
non d’une résidence secondaire. Tel ne serait sans doute pas le cas lorsque la
personne qu’il s’agit de protéger vit pratiquement dans deux logements : il n’y
a pas alors, à proprement parler, une résidence principale et une résidence
secondaire, mais deux résidences principales. En revanche, ne saurait être
considérée comme le logement au sens de l’article 490-2 une résidence
épisodique (par exemple, une résidence de vacances), ou même une maison de
week-end. »
L’alinéa 1er de l’article 490-2 du Code civil précise explicitement que cette
directive générale de conservation du logement s’étend également aux
« meubles meublants dont il est garni ». Par conséquent, si le tuteur, le
curateur ou le mandataire entend disposer des meubles meublants, le même
formalisme devra être respecté par le biais d’une autorisation auprès du juge
6
C’est souverainement qu’une Cour d’appel a décidé qu’il était, non pas nécessaire, mais de l’intérêt de la
personne protégée de vendre son appartement – Civ.1ère, 7 avr.1998.
7
Les dispositions de l’art.490-2 relatives à la protection du logement ne sont pas applicables à une résidence
secondaire - Civ.1ère, 18 févr.1981.
des tutelles qui veillera à solliciter l’avis du médecin traitant. En revanche, le
troisième alinéa du même article édicte une interdiction absolue d’aliénation
« des souvenirs et autres objets à caractère personnel ». Cela signifie que
l’aliénation du logement et des meubles meublants n’autorise pas à ce qu’on
dispose également des souvenirs et autres objets personnels appartenant au
majeur protégé. La volonté de protection de la personne, de son histoire, de
sa singularité se retrouve ici dans le souci de conserver dans toutes les
situations les traces de la vie du majeur protégé.
 A qui s’applique véritablement cette règle ?
A priori l’alinéa 2 de l’article 490-2 du Code civil ne permet aucune
ambiguïté puisqu’il fait directement référence aux personnes qui ont « le
pouvoir d’administrer », et ce quelque soit le régime de protection applicable.
Ainsi, cette règle de préservation du logement du majeur protégé s’impose à
tous ceux qui ont la charge de gérer le patrimoine de l’« incapable majeur ».
On pense donc inévitablement au tuteur, au mandataire dans le cadre d’une
sauvegarde de justice ou encore au gérant d’affaires. En revanche, on peut
légitimement s’interroger sur le fait de savoir si cette règle s’impose
également au majeur protégé lui-même qui, malgré le régime de protection
dont il bénéficie, conserve le pouvoir de faire seul des actes d’administration.
On pense ici à des situations de sauvegarde de justice ou encore à celles
bien plus fréquentes que sont les curatelles. Le caractère général du texte
(« le pouvoir d’administrer »), qui ne fait aucune distinction selon que
l’administration du patrimoine est assurée par le majeur lui-même ou par un
tiers, pourrait faire penser que cette règle s’impose aussi au majeur protégé.
La Doctrine semble exclure une telle interprétation qui serait beaucoup trop
dangereuse pour la sécurité des transactions. En effet, comme le rappelle
Jacques MASSIP, doit être écartée une interprétation trop extensive de
l’article 490-2. « Les règles de l’article 490-2 se justifient seulement à l’égard
des administrateurs de la fortune d’autrui , et il suffit de lire le texte dans
son ensemble pour voir qu’elles ont été édictées pour le cas où un acte
concernant le logement d’un malade, restant vacant à la suite de son
hospitalisation, a été fait par un tiers : le texte vise expressément le « retour »
de la personne protégée ; l’emploi des formules passives et impersonnelles
(alinéa 1er : « le logement de la personne protégée et les meubles meublants
dont il est garni doivent être conservés à sa disposition » ; alinéa 3 : « s’il
devient nécessaire…qu’il soit disposé des droits relatifs à l’habitation ou que
le mobilier soit aliéné… ; les souvenirs…seront toujours exceptés de
l’aliénation et devront être gardés à la disposition de la personne protégée… »
montrent bien que le danger contre lequel le législateur a entendu prémunir
le majeur protégé est celui provenant des actes qui n’émanent pas de
l’intéressé lui-même ».
Par conséquent, si l’acte litigieux relatif à l’habitation a été passé par le
majeur lui-même, sa protection pourra normalement être assurée par le
truchement des dispositions découlant de son régime de protection ou par
l’article 489 du Code civil relatif à la nullité pour trouble mental, mais il ne
sera pas possible pour lui d’invoquer l’application de la règle édictée à
l’article 490-2 pour échapper aux conséquences d’un acte qu’il avait le droit
de faire (sauf preuve d’un trouble mental ou lésion).
Sources :
Tutelles et curatelles – Pierre CALLOCH – TSA
Les majeurs protégés – Jacques MASSIP – Defrénois
Guide des tutelles – Richard POILROUX – Dunod