Evolution du droit du maintien de la paix
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Evolution du droit du maintien de la paix
Marie-Emilie DOZIN Evolution du droit du maintien de la paix – Professeur Pierre-Marie DUPUY Jeudi 18 Novembre 2010 Maintien de la paix et restauration de la paix L’évolution des objectifs assignés aux opérations de maintien de la paix Sommaire INTRODUCTION ...................................................................................................................... 2 I. La notion de maintien de la paix depuis 1945 .................................................................... 3 A. Présentation et mandat : la Charte de l‟ONU .................................................................... 3 1). Formule traditionnelle des missions de maintien de la paix ......................................... 3 2). Illustration : les 1ères opérations de maintien de la paix en Inde/Pakistan et en Egypte 4 B. Les années 1990, date charnière pour le maintien de la paix ............................................ 4 1). Nouveau contexte stratégique du maintien de la paix des Nations Unies .................... 4 2). Cas concrets : illustration des nouvelles missions de maintien de la paix .................... 5 II. Les nouvelles formes du maintien de la paix .................................................................... 8 A. Vers une nouvelle définition du maintien de la paix : quel rôle pour l‟ONU? ................. 8 B. Evaluation de l‟efficacité du rôle de l‟ONU en matière de maintien de la paix .............. 11 CONCLUSION ...................................................................................................................... 122 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 133 1 INTRODUCTION Depuis 1948 et la première mission de maintien de la paix entre l‟Inde et le Pakistan, l‟ONU a mené 64 opérations de ce type afin de garantir la paix et la sécurité internationales. Actuellement, on estime qu‟il y a 16 opérations en cours, avec des effectifs qui s‟élèvent à environ 124 000 personnes provenant de 116 pays1. Stricto sensu le maintien de la paix est une mission de prévention d‟un conflit. La force déployée est en générale présente pour observer un cessez-le-feu et les mouvements de troupes, engager des opérations de désarmement, et de démobilisation, soutenir un processus de paix. Elle n‟a en générale pas de vocation offensive et ne peut ouvrir le feu qu‟en cas de légitime défense. Les évènements qui se sont produits dans les relations internationales depuis 1945 ont profondément influencé la pratique des Nations Unies. Mais le plus grand changement s‟est produit dans les années 1990 avec l‟éclatement du bloc soviétique et la fin de la Guerre froide. En effet, la question du maintien de la paix comme outil international de réponse aux crises a beaucoup évolué. Les casques bleus de l'ONU ont agi dans le monde entier pour prévenir l'éclatement de conflits, gérer et juguler la violence et pour aider les acteurs nationaux à protéger et consolider la paix après un conflit. Désormais, comme le note l‟ONU, il semblerait que « les opérations classiques de maintien de la paix ont cédé le pas à des opérations complexes et intégrées nécessitant une action à la fois politique, militaire et humanitaire »2. Les ressources du maintien de la paix des Nations Unies sont aujourd‟hui sollicitées plus qu‟elles ne l‟ont jamais été ; les Etats membres faisant appel à l‟ONU pour déployer des missions dans des contextes politiques particulièrement instables. Au cours de cette période, les opérations de paix de l'ONU ont connu de nombreux succès, en aidant à maintenir et consolider la paix dans bien des régions du monde, mais il est aussi arrivé qu'elles échouent, tragiquement, à faire cesser des violences épouvantables. Le maintien de la paix est aujourd‟hui un outil confronté à de nombreux défis : assurer le déploiement et le fonctionnement de missions de plus en plus importantes et coûteuses, définir des stratégies de transition viables pour les Etats concernés, et faire face à des contextes rempli d‟incertitudes. Après avoir présenté la forme traditionnelle du maintien de la paix menée par les Nations Unies depuis 1945 (I), nous tenterons de constater la diversité des mandats des forces de maintien de la paix de l‟ONU, sous l‟influence notamment du travail mené par le Secrétaire général de l‟ONU, Boutros Boutros-Ghali, dans sa politique humanitaire de la « nouvelle génération » (II). 1 Background Note, United Nations Peacekeeping Operations, Peace and Security Section of the United Nations Department of Public Information, DPI/1634/Rev.113, New York, October 2010, in www.un.org 2 « L‟ONU et le maintien de la paix », Document publié par le département de l‟information de l‟ONU, New York, Décembre 1996, p6. 2 I. LA NOTION DE MAINTIEN DE LA PAIX DEPUIS 1945 A. Présentation et mandat : la Charte de l’ONU 1). Formule traditionnelle des missions de maintien de la paix L‟expression « maintien de la paix » ne figure pas dans la Charte de l‟ONU et ne comporte pas une simple définition puisque celle-ci est basée sur une séparation nette du règlement des différends (Chapitre VI) et de l‟action coercitive (Chapitre VII). Il s‟est cependant trouvé que, pendant la guerre froide, le système prévu par le Chapitre VII a été bloqué par le veto octroyé aux cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité. Dag Hammarskjöld, le deuxième Secrétaire général des Nations Unies, a alors fait référence au maintien de la paix comme s‟inscrivant sous le « Chapitre VI et demi » de la Charte. Cette idée s‟est imposée par commodité et vient souligner le fait que les opérations de paix menées depuis près de cinquante ans n‟étaient, au préalable, pas prévues dans la Charte des Nations Unies. Ainsi, le maintien de la paix semble s‟inscrire entre les méthodes traditionnelles de résolution pacifique des différends, telles que les mesures diplomatiques, la négociation et la médiation placées sous le Chapitre VI, et les actions plus coercitives, notamment militaires, autorisées sous le Chapitre VII. Les opérations de maintien de la paix dites classiques reposaient sur trois principes fondamentaux : (1). Le consentement des parties au conflit est indispensable afin que les casques bleus soient déployés sur le territoire en question. Par ailleurs, il ne serait y avoir d‟opération si un membre permanent du Conseil de sécurité s‟y oppose. Le consentement de la part du souverain territorial peut être retiré à tout moment, la Force des Nations Unies devra alors quitter le territoire. (2). Le personnel militaire est fourni par les Etats membres des Nations Unies sur une base volontaire. L‟impartialité des troupes est requise en tout état de cause, la Force des Nations Unies n‟interférant pas dans les affaires intérieures de l‟Etat hôte. Le mandat se borne à l‟interposition ou à l‟observation. (3). Le recours à la force n‟est autorisé que dans les seuls cas de légitime défense. Jusqu‟en 1990, de rares utilisations de la force en dehors de la légitime défense eurent lieu, notamment dans le cas de la crise du Congo en 1960, mais celles-ci donnèrent lieu à de nombreuses controverses sur ce point. Habituellement, la formule traditionnelle des missions de maintien de la paix s‟inscrit dans le cadre de conflits internationaux3. L‟objectif principal repose sur l‟observation du respect du cessez-le-feu, la surveillance des lignes de front, des zones tampons ou des zones 3 « Tout différend surgissant entre deux ou plusieurs Etats et provoquant l‟intervention des membre des forces armées est un conflit armé international. Un conflit armé international est aussi considéré comme tel même lorsqu‟une des parties conteste l‟existence d‟un tel conflit » (PICTET J., Les Conventions de Genève du 12 août 1949, Commentaire IV – La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, CICR, Genève, 1956). 3 démilitarisées, l‟observation d‟opérations de désarmement et la stabilisation des situations sur le terrain afin d‟aboutir à un règlement pacifique des conflits. Les efforts sont entrepris au niveau politique. Les missions de maintien de la paix sont ainsi composées d‟observateurs militaires, de troupes légèrement armées dont les fonctions principales résident dans la supervision, la préparation de rapports et l‟établissement de la confiance en appui à des accords de paix. Le maintien de la paix traditionnel s‟opère donc comme une interposition entre des États ayant pour but l‟observation de l'application d'un traité de paix. 2). Illustration : les premières opérations de maintien de la paix en Inde/Pakistan et en Egypte Le conflit entre l‟Inde et le Pakistan en 1948 et la crise de Suez en 1956 sont des exemples du type de missions traditionnelles qui ont été mises en place par l‟ONU au début des années 50, ayant comme mandat principal le contrôle du respect du cessez-le-feu et l‟application d‟accords de paix entre les Etats en conflits. La première mission de maintien de la paix fut mise en place en janvier 1949 pour surveiller le frontières entre l‟Inde et le Pakistan. Les fonctions du Groupe d’observateurs militaires des Nations Unies pour l’Inde et le Pakistan (UNMOGIP)4 étaient d‟enquêter sur les plaintes de violations du cessez-le-feu. Devant le désaccord persistant entre les deux parties au sujet du mandat et des fonctions de l‟UNMOGIP, le Groupe continua néanmoins à s‟acquitter des mêmes fonctions à savoir : de surveiller, dans l‟Etat de Jammu et du Cachemire, l‟application du cessez-le-feu entre l‟Inde et le Pakistan. Dans le cadre de la crise de Suez en 1956, la Force d’urgence des Nations Unies (FUNU)5 a été créée pour assurer et superviser la cessation des hostilités, y compris le retrait des forces armées françaises, israéliennes et britanniques du territoire égyptien, et après le retrait de s‟interposer entre les forces égyptiennes et israéliennes. B. Les années 1990, date charnière pour le maintien de la paix 1). Nouveau contexte stratégique du maintien de la paix des Nations Unies La fin de la Guerre froide marque un changement géopolitique et géostratégique conséquent dans la conduite par les Etats de leurs relations internationales. Ainsi, le rôle et l‟action des Nations Unies s‟en trouvent profondément bouleversés. Ceci se traduit dans le cadre du maintien de la paix par le passage à des entreprises pluridimensionnelles complexes ayant pour objectif de bâtir les fondations d‟une paix durable. Tout d‟abord, on notera un plus grand nombre de missions puisqu‟entre 1991 et 1996, 24 nouvelles opérations de maintien de la paix sont organisées, ce qui équivaut à 6 fois plus que le total de toutes les missions menées au cours des 43 années précédentes. L‟année 1990 marque le point culminant de l‟activité de l‟ONU avec 80 000 soldats de la paix répartis sur l‟ensemble de la planète. 4 5 S/RES/39 (1948) A/RES/998 (1956) 4 Un second élément important à prendre en compte dans le cadre de cette réflexion est la multiplication des conflits intra-étatiques, des guerres civiles et des conflits internes. En effet, la fin de la Guerre froide s‟accompagne d‟une prolifération de conflits qui ont pour caractéristique, non plus d‟opposer les Etats des deux blocs, mais de se dérouler à l‟intérieur des frontières étatiques, entre des entités que l‟on qualifie communément de « non-state actors ». Cet élément ajoute comme difficulté supplémentaire le fait que la zone de conflit s‟avère de plus en plus difficile à définir, de même que les acteurs du conflit, et par conséquent qu‟un des éléments importants de tout processus de paix consiste à déterminer au préalable qui sera admis à négocier. En effet, les conflits mettent aux prises de multiples factions rivales dont les objectifs politiques divergent, ce qui a pour conséquence de compliquer la position des soldats de l‟ONU, qui se retrouvent dans des situations où les accords de cessez-le-feu ne sont pas respectés, où leur présence remise en question et où l'appareil de l'Etat a implosé ou cessé de fonctionner. Face à de tels conflits très meurtriers et qualifiés comme représentant une menace à la paix et la sécurité internationales, les Nations Unies sont amenées à réformer les structures élémentaires du maintien de la paix, et à assumer des responsabilités qui relevaient auparavant des affaires intérieures des Etats en cause. On observe ainsi une complexification des missions de maintien et de rétablissement de la paix. En premier lieu, on note une extension des mandats confiés à des forces de maintien de la paix ; la simple interposition physique entre les parties en conflit ne suffisant plus à garantir le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Les forces de l‟ONU sont amenées à assumer des tâches complexes et diverses d‟administration civile, de monitorage relatif aux droits de l‟homme, d‟acheminement de l‟aide humanitaire, de surveillance d‟élections et même d‟efforts plus généraux de « nation building ». Celles-ci sont amenées dans certaines situations extrêmes à agir en véritables substituts du gouvernement, assument temporairement l‟exercice de prérogatives de « souveraineté territoriale ». En second lieu, les opérations de maintien de la paix sont désormais caractérisées par un plus grand nombre d‟acteurs et dotées d‟un personnel divers et spécialisé. En effet, elles voient la participation plus active d‟un nombre conséquent de nouveaux acteurs autres que les organes des Nations Unies, au premier rang desquels les organismes régionaux comme l‟OTAN, l‟OSCE, l‟UA, l‟UE, l‟OEA. Par ailleurs, le personnel est doté de spécialités plus diverses. La coopération est nécessaire entre une grande diversité d‟acteurs : des militaires, des policiers, des experts juridiques, des administrateurs régionaux ou municipaux, des juges, des procureurs chargés de développer l'appareil judiciaire, des conseillers en matière de médias, de santé, d'impôts et de politique sociale, des économistes, des observateurs électoraux, des observateurs des droits de l‟homme, des spécialistes dans les domaines des affaires civiles, des employés humanitaires et des experts en communication et en information publique. 2). Cas concrets : illustration des nouvelles missions de maintien de la paix La mission des Nations Unies déployée dans l’ex-Congo belge en 1960-1964 s‟est avérée être une des plus compliquée et importante dans l‟histoire onusienne. En effet, dans le cadre de la crise congolaise, le Conseil de sécurité décida, à l‟époque, d‟intervenir dans un conflit interne n‟ayant pas d‟incidence majeure au-delà des frontières du pays considéré, en envoyant, au titre du maintien de la paix, une force d‟observation qui s‟est ensuite transformée en force 5 d‟interposition. Cette mission fut par ailleurs la première à impliquer une composante civile et policière assez large, avec un mandat incluant le maintien de l‟ordre. Ce mandat fut modifié ensuite pour inclure la garantie de l‟intégrité territoriale et de l‟indépendance politique du Congo. L‟Opération en Namibie (1989-1990) est une des premières missions des Nations Unies qui illustre parfaitement l‟évolution des objectifs assignés aux opérations de maintien de la paix à partir des années 1990. Le Groupe d‟assistance des Nations Unies pour la période de transition (GANUPT) 6 créé le 29 septembre 1978 par la résolution 435 du Conseil de sécurité avait pour mandat d‟assurer rapidement l‟accession de la Namibie à l‟indépendance par l‟organisation d‟élections libres et régulières sous la surveillance et le contrôle des Nations Unies mais il avait également pour objectif de garantir la cessation de tous les actes d‟agression, le retrait des troupes sudafricaines, l‟abrogation des lois discriminatoires, la libération des prisonniers politiques, l‟autorisation du retour des réfugiés namibiens, et le rétablissement de l‟ordre public. Ce modèle d‟opérations dites multifonctionnelles a été transposé à d‟autres situations, notamment au Salvador (1991-1995), au Mozambique (1992-1994), au Cambodge (19921993), au Rwanda (1993-1996) et en Haïti (1993-1996). L‟Opération des Nations Unies au Salvador (ONUSAL)7 est la première dont les objectifs sont orientés avant tout vers la construction et la consolidation de la paix. Cette mission est novatrice à double titre : au Salvador, le rôle de l‟ONU n‟est pas simplement de mettre un terme au conflit mais de s‟attaquer aux causes même de la guerre civile, d‟où une opération pluridimensionnelle, dite intégrée. Par ailleurs, pour la première fois dans l‟histoire onusienne, une mission vise la construction institutionnelle dans un Etat indépendant. Le mandat de l‟ONUSAL couvre un spectre très large de questions : la vérification de l‟application de l‟accord de San José sur les droits de l‟homme et de la mise en œuvre des accords de paix, la réforme et la réduction des forcées armées, la création d‟une nouvelle force de police, la réforme du système électoral et judiciaire. La résolution 832 du Conseil de sécurité8 ajoute au mandat la surveillance des élections générales de mars 1994. L‟Opération des Nations Unies au Mozambique (ONUMOZ)9 comprend dans son mandat 4 volets : politique (surveiller l‟application de l‟accord général de paix et vérifier l‟application du cessez-le-feu), militaire (assurer la démobilisation des forces et la destruction des armes, ainsi que vérifier le retrait complet des forces étrangères), électoral (fournir une assistance technique et surveiller l‟ensemble du processus électoral) et humanitaire (coordonner et surveiller toutes les opérations d‟aide humanitaire, notamment celles qui se rapportent aux réfugiés, aux personnes déplacées à l‟intérieur du pays, aux militaires démobilisés et à la population locale touchée). 6 S/RES/435 (1978) S/RES/693 (1991) 8 S/RES/832, « Enlarges mandate of the United Nations Observer Mission in El Salvador », 27th May 1993 9 S/RES/797 (1992) 7 6 L‟Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC)10 était attachée à 7 fonctions principales : coordonner le rapatriement des réfugiés et personnes déplacées (rôle du HCR), superviser et vérifier le cessez-le-feu, le retrait des troupes étrangères et la démobilisation d‟au moins 70% des forces militaires des parties, organiser et coordonner des élections libres et équitables, favoriser le respect des droits de l‟homme, superviser ou contrôler les structures administratives existantes, coordonner un vaste programme de soutien pour la réhabilitation et la reconstruction du Cambodge, effectuer un travail d‟information et d‟éducation. La Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR)11 avait pour mandat de contribuer à assurer la sécurité de la ville de Kigali, superviser l‟accord de cessezle-feu appelant à la délimitation d‟une nouvelle zone démilitarisée, participer au déminage et aider à coordonner les activités d‟aide humanitaire liées aux opérations de secours. La MINUAR a également contribué à assurer la sécurité du personnel du Tribunal pénal international pour le Rwanda et des spécialistes des droits de l‟homme. La Mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA)12 affichait comme objectif de « restaurer la démocratie » en apportant une aide technique à la tenue des élections législatives et présidentielles, favorisant en parallèle la professionnalisation des forces armées et de la nouvelle police haïtienne. Les Opérations en Somalie et en ex-Yougoslavie ont marqué une étape supplémentaire dans l‟évolution des objectifs assignés aux opérations de maintien de la paix avec l‟autorisation de recourir à la force pour protéger une assistance humanitaire. Cette approche a également été mise en œuvre plus récemment en Sierra Leone, en République démocratique du Congo et au Timor Oriental, en franchissant une étape supplémentaire avec les « administrations de transition ». Dans tous les cas précités, il ne s‟agit plus de s‟interposer entre deux Etats ou même deux armées mais d‟aider à reconstruire les bases d‟un Etat de droit et de rétablir le maintien de l‟ordre. Le maintien de la paix au sens classique devient subsidiaire ou subordonné à d‟autres fins, comme la distribution d‟aide humanitaire, aux travers d‟opérations nettement plus complexes que par le passé. L‟ensemble de ces opérations illustrent la multiplicité et la complexité des fonctions assignées désormais aux missions de paix de l‟ONU. Trois éléments majeurs permettent de situer cette évolution et de distinguer les missions entre elles : (1) la nature de leurs activités, (2) le fait que la mission se déroule ou non après la fin des combats ainsi que le recours ou non à la force pour imposer la volonté internationale , (3) le rôle de l‟ONU dans le processus d‟ensemble. 10 S/RES/745 (1992) S/RES/872 (1993) 12 S/RES/867 (1993) 11 7 II. LES NOUVELLES FORMES DU MAINTIEN DE LA PAIX Le maintien de la paix des Nations Unies continue d‟évoluer, tant sur le plan conceptuel qu‟opérationnel, afin de relever les nouveaux défis et réalités politiques. A. Vers une nouvelle définition du maintien de la paix : quel rôle pour l’ONU? L‟évolution des opérations de maintien de la paix amène les soldats de la paix à assumer des fonctions complexes, de nature autant militaire que civile. Les nouveaux objectifs des missions de maintien de la paix se déclinent de la promotion de la paix à la reconstruction des structures de l‟Etat en passant par la création d‟institutions et la cessation des hostilités. Face à une grande diversification des situations, des contextes politiques et des acteurs en jeu, il est apparu fondamental de clarifier le rôle de l'ONU sur la question du maintien de la paix et de renforcer l'efficacité des opérations de paix. Le 17 juin 1992, le Secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali présente au Conseil de sécurité son rapport « Agenda pour la paix, diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix ». Dans le cadre de cette présentation, il résume les difficultés auxquelles est confrontée l‟Organisation dans le domaine du maintien de la paix et appelle à une réforme en profondeur du système de sécurité collective. « La nature des opérations de maintien de la paix a évolué rapidement depuis quelques années. Les principes et pratiques établis ont été adaptés en fonction des demandes nouvelles de ces dernières années, mais, pour l'essentiel, les conditions qui déterminent le succès des opérations restent inchangées : un mandat clair et réalisable; la coopération des parties à l'exécution dudit mandat; l'appui continu du Conseil de sécurité; la volonté des Etats membres de fournir le personnel nécessaire, qu'il soit militaire et policier, ou civil, notamment les spécialistes; un commandement efficace des Nations unies, au Siège et sur le terrain; un appui financier et logistique adéquat. Le climat international changeant, et les opérations de maintien de la paix étant de plus en plus souvent destinées à faciliter la mise en œuvre d'accords mis au point par les négociateurs de paix, toute une nouvelle gamme de besoins et de problèmes sont apparus dans les domaines de la logistique, du matériel, du personnel et des finances, obstacles qui pourraient dans tous les cas être levés si les Etats membres le souhaitaient et étaient prêts à mobiliser toutes les ressources requises ».13 Dans le cadre de ce rapport, le Secrétaire général de l‟ONU élargit le concept de maintien de la paix, en allouant aux forces de l‟Organisation un mandat très divers qui s‟étend de l‟interposition à la réconciliation, en passant par le développement. « L'ONU a pour vocation de contribuer à toutes les étapes d'un processus, qui, partant de la prévention des conflits, de leur règlement et de l'assistance d'urgence, se poursuit avec la reconstruction et la réinsertion et aboutit enfin au développement économique et social »14. 13 BOUTROS-GHALI (B.), « Agenda pour la paix, diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix », 17 juin 1992, in www.un.org 14 Ibid. 8 Les fonctions des opérations de maintien de la paix sont ainsi précisées et étendues ; et on distingue désormais les opérations de maintien de la paix, les opérations de rétablissement de la paix (« peace making ») et les opérations de consolidation de la paix (« peace enforcement »). Depuis le début des années 2000, les Nations Unies se consacrent de plus en plus à des missions dites de consolidation ou de rétablissement de la paix ; l'action visant à soutenir les structures qui renforceront et consolideront la paix, l' « Agenda pour la paix » parle alors de « peace building ». Les exemples les plus récents concernent le Kosovo et le Timor-Oriental. La Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK)15 a pour mandat d‟exercer les fonctions d‟administration civile, d‟organiser et de superviser la mise en place d‟institutions provisoires pour une auto-administration autonome et démocratique en attendant un règlement politique, notamment la tenue d‟élections, de faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, de faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de l‟économie, et de coordonner l‟acheminement de l‟aide humanitaire. L‟Administration transitoire des Nations Unies pour le Timor-Oriental (ATNUTO)16 avait pour mission la responsabilité générale de l‟administration du Timor-Oriental, notamment l‟exercice de l‟ensemble des pouvoirs législatif et exécutif, y compris l‟administration de la justice, le maintien de l‟ordre sur l‟ensemble du territoire, la mise en place d‟administration efficace, la coordination et l‟acheminement de l‟aide humanitaire, ainsi que de l‟aide au développement. Pourtant, malgré l‟évolution considérable du concept des missions de maintien de la paix, le « Supplément à l'Agenda pour la paix » de Boutros Boutros-Ghali, publié en janvier 1995, réaffirme les trois principes fondamentaux qui caractérisaient les interventions traditionnelles de l‟ONU: le consentement des parties, l‟impartialité et le non-usage de la force (sauf en cas de légitime défense). La volonté de réformer les missions de maintien de la paix va se poursuivre au niveau des structures et du mandat. En 1999, Kofi Annan, le Secrétaire général de l'ONU, demande à un groupe d'experts internationaux d'élaborer un rapport sur les conditions d'une réforme des opérations de maintien de la paix de l'ONU afin de corriger « un grave problème d'orientation stratégique, de prise de décisions, de rapidité de déploiement, de planification et de soutien des opérations »17. Le « Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix des Nations Unies (rapport Brahimi) » est publié le 20 août 2000 et souligne le décalage qui peut exister entre les ambitions affichées dans les mandats du Conseil de sécurité et les moyens effectifs mis à la disposition de l'Organisation. 15 S/RES/1244 (1999) S/RES/1272 (1999) 17 BRAHIMI (L.), « Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix des Nations Unies », 20 août 2000, in ww.un.org 16 9 Il établit une vingtaine de priorités parmi lesquelles la nécessité de pratiquer réellement et à temps une action préventive et, en aval des opérations, une action de consolidation de la paix, en préconisant notamment la nécessité d'une doctrine « robuste » et de mandats réalistes. Par ailleurs, les Casques bleus doivent être capables de se défendre, mais aussi de défendre activement les civils placés sous leur protection. A cet effet, leurs règles d'engagement doivent être suffisamment fermes, leurs mandats prévoir le recours à la force et leurs équipements être accrus et renforcés. Enfin, le rapport note la nécessité de renforcer les moyens du Siège pour planifier et appuyer les opérations. Malgré quelques critiques concernant la portée de ces recommandations, le rapport permet entre autres une augmentation de 50% du personnel du Département des opérations de maintien de la paix, l‟établissement d‟un budget de 150 million de dollars et une délégation du Secrétariat d‟une plus grande autorité aux instances sur le terrain. La mise en œuvre du rapport insiste sur les modalités pratiques d‟application des réformes, précisant que l‟effort doit porter particulièrement sur les points suivants : « - le déploiement rapide et une meilleure disponibilité des personnels et des moyens - le développement de stratégies globales pour les opérations complexes - le renforcement de la formation des personnels - une meilleure intégration de l'expérience acquise et des meilleures pratiques dans la planification de nouvelles opérations - le renforcement des capacités régionales de maintien de la paix, en particulier en Afrique »18. L‟évolution des objectifs assignés aux opérations de maintien de la paix se poursuit par de nouvelles tentatives de réforme. Le 15 mars 2007, l‟Assemblée générale de l‟ONU approuve un projet de réforme de ses activités de maintien de la paix proposé par le Secrétaire général Ban Ki-Moon. Les axes principaux sont les suivants : scinder l'actuel Département de maintien de la paix (DOMP) en un Département des opérations de paix (DOP) chargé de la stratégie et du terrain, et un Département de soutien logistique (DSF) chargé des questions financières et administratives. Ainsi que nommer un Secrétaire général adjoint pour diriger ces deux entités. En juillet 2009, un document interne élaboré par le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) et le Département de l'appui aux missions (DAM), « Un nouveau partenariat : définir un nouvel horizon pour les opérations de maintien de la paix des Nations Unies », présente une analyse des futurs défis du maintien de la paix et formule des propositions pour un partenariat renouvelé en faveur du maintien de la paix. Le cadre de cette réflexion interne vise à examiner les dilemmes stratégiques et politiques que le maintien de la paix des Nations Unies est appelé à résoudre dans les prochaines années et à identifier de nouvelles approches pour faire en sorte que le maintien de la paix des Nations Unies puisse mieux répondre aux demandes actuelles et futures. 18 Ibid. 10 B. Evaluation de l’efficacité du rôle de l’ONU en matière de maintien de la paix La question de l‟emploi de la force reste problématique dans le cadre des missions de maintien de la paix puisque, comme le souligne Boutros Boutros-Ghali dans son rapport, le maintien de la paix et l'emploi de la force ne doivent pas être considérés comme des éléments d'un « continuum permettant de passer de l'un à l'autre ». Dans plusieurs cas, les troupes de maintien de la paix ont du employer la force militaire contre les Parties engagées dans le conflit en cours, afin de pouvoir remplir leurs divers mandats, allant au-delà des « opérations traditionnelles » de maintien de la paix et s‟écartant des notions de stricte neutralité et de légitime défense. Or, il convient de rappeler que l‟emploi de la force exige l'établissement d'un mandat explicite et spécifique. En second lieu, à partir des années 1990, le Conseil de sécurité a délégué des tâches de maintien de la paix à des Forces multinationales n‟étant pas placées sous le commandement des Nations Unies ; par la voies des « autorisations » à l‟instar de sa pratique dans le cadre du Chapitre VII. On nota ainsi une forme de décentralisation de ces opérations, que Robert Kolb qualifie de « glissement du peace-keeping, consensuel et soft vers un peace-keeping coercitif et hard. On se rapproche ainsi du Chapitre VII, si bien que l’on pourrait être tenté de parler d’un Chapitre VI ¾ »19. Par ailleurs, l‟efficacité des opérations de maintien de la paix a parfois été fortement remise en cause, en partie en raison du mandat ambigu ou trop large de certaines missions. L‟exemple des opérations menées par l„ONU en Somalie illustre le cas d‟une mission à l‟efficacité amoindrie par un projet sans doute trop ambitieux. En effet, en 1993, dans le cadre du conflit en Somalie, les Etats membres fixent à l‟ONU des objectifs extrêmement ambitieux, notamment de rétablir les structures institutionnelles du pays, d‟atteindre la réconciliation politique nationale, de recréer un Etat somalien avec d‟important programmes touchant la police et l‟administration judiciaire, de créer les conditions pour la participation de la société civile au processus de démocratisation, de continuer le programme de déminage et d‟aider au rapatriement des réfugiés. Enfin, plusieurs Etats membres se sont opposés aux recommandations faites dans le rapport Brahimi et à l‟idée d‟élargir les objectifs des opérations de maintien de la paix, rappelant la nécessité de respecter les principes essentiels du maintien de la paix : le consentement, l‟impartialité et l‟usage de la force au minimum. Plus de 10 ans après le rapport Brahimi et les recommandations du Secrétaire général Kofi Annan, les missions de maintien de la paix intégrées restent l‟exception plutôt que la règle. Les problèmes sont multiples notamment sur les questions de volonté politique, de financement et de responsabilité du Conseil de sécurité. 19 KOLB (R.), Ius contra bellum, Le droit international relatif au maintien de la paix, 2ème édition, Bruylant, Bruxelles, 2009, p 219. 11 CONCLUSION La doctrine s‟accorde à établir une sorte de classification des opérations de maintien de la paix qui correspondraient à trois périodes de l‟activité des Nations Unies sur cette question. Les opérations de maintien de la paix dites de 1ère génération ou « traditionnelles » correspondent à une période allant de 1948 à 1989. Les forces de l‟ONU, composées de légers contingents essentiellement militaires, faiblement armés, provenant la plupart du temps de « petits » Etats, interviennent dans le cadre de conflits interétatiques. Leur mandat recouvre la vérification de l'application d'accords de cessez-le-feu en attendant la conclusion de traités de paix, la surveillance du retrait de troupes, le contrôle des frontières et des zones démilitarisées, l‟aménagement de zones tampon entre les forces adverses et la mise en pratique des arrangements réglant définitivement les conflits. Les opérations de maintien de la paix dites de 2nd génération s‟étendent sur une période allant de 1989 à 1993. Elles sont caractérisées par une multitude de fonctions et des dimensions politiques, humanitaires, sociales et économiques qui exigent la présence, aux côtés des soldats, d'experts civils et de spécialistes. On les qualifie souvent d‟ « opérations polyvalentes », responsable de la gestion administrative, de la reconstruction des infrastructures, du déminage, de la protection des droits de l'homme, de la promotion de la démocratie, de l‟assistance électorale, de l‟aide humanitaire et du rapatriement des réfugiés. L‟objectif n'est plus de contenir une situation dans l'attente d'un règlement politique mais d'aider les parties adverses à s'orienter vers la réconciliation politique et la reconstruction ; au maintien de la paix s'ajoute la consolidation de la paix. Depuis 1993, on parle souvent d‟une nouvelle génération d'opérations de maintien de la paix, de par la complexité croissante des tâches qui incombent à l'ONU et de l‟implication de nouveaux acteurs régionaux. Le rôle de l‟ONU s‟élargit au profit du concept de consolidation et de rétablissement de la paix, comprenant également l‟établissement de nouvelles structures étatiques et du développement économique et social du pays. Mais la succession d'erreurs ont pu miner la neutralité et la crédibilité de l‟ONU sur la question du maintien de la paix. Maintien de la paix traditionnel Consentement des parties en litige Fonction limitée d‟interposition Respect de la souveraineté et des affaires intérieures des Etats en litige Utilisation de la force seulement en légitime défense Maintien de la paix moderne Syncrétisme à dosages variables entre consentement des parties concernées et autorisation du Conseil de sécurité sur la base du Chapitre VII (enchevêtrement des Chapitres VI et VII) Fonctions multiples et variables de substitut partiel ou total de gouvernement Mise à l‟écart partielle ou totale de la souveraineté et des affaires intérieures des Etats en cause Utilisation de la force selon le mandat imparti, notamment pour assurer un accomplissement adéquat de la mission 12 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages BOTHE (M.) et DORSCHEL (T), United Nations Peacekeeping – A Documentary Introduction, The Hague, 1999, 319p. DOYLE (M.W.), Making War and Building Peace: UN Peace Operations, Princeton University Press, 206, 400p. 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