Radio Désir - Tentée par l`amour - Une étincelle de magie

Transcription

Radio Désir - Tentée par l`amour - Une étincelle de magie
1.
— 15 h 30 sur Kick FM, votre radio préférée ! Virginia
avec vous jusqu’à 18 heures et, bien sûr, un maximum de
musique. Si vous êtes pris dans les embouteillages, patience !
Consolez-vous en pensant au week-end chaud et ensoleillé
qui nous attend !
La jeune femme ôta son casque et secoua ses boucles
blondes tandis que s’élevaient les premières mesures d’une
chanson. Un soupir de bonheur s’échappa de ses lèvres.
Aujourd’hui encore, elle avait peine à croire en sa chance.
Sa chance ? Non. Il s’agissait plutôt de l’aboutissement
logique et mérité de sept longues années de travail ingrat, en
pleine nuit, aux heures de plus faible écoute ! Qu’elle y soit
parvenue en Californie, dans une petite ville aussi attachante
qu’Anaheim, à quelques dizaines de kilomètres seulement de
Los Angeles, tenait du miracle ! Mais saurait-elle se montrer
digne de la confiance que ses chefs avaient placée en elle ?
Virginia rejeta la tête en arrière et ferma les paupières.
Pourquoi se tourmenter ? Seule l’horaire avait changé, sa
tâche restait la même. Au diable les sondages, les indices
d’écoute ! Au diable les centaines d’animateurs prêts, à la
moindre défaillance, à lui voler sa place ! Si elle n’avait pas
fait ses preuves, si Sam, le directeur des programmes, ne la
considérait pas comme l’un de ses meilleurs atouts, jamais
il ne lui aurait donné de telles responsabilités !
La jeune femme tressaillit lorsque la porte du studio s’ouvrit
derrière elle. Elle se redressa aussitôt et tourna ses grands
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yeux bruns vers le nouvel arrivant, Tom Smith, un jeune
stagiaire au visage poupin parsemé de taches de rousseur.
— Quelle chaleur ! s’exclama-t‑il en épongeant son front
ruisselant de sueur. Dieu merci, on a songé à installer l’air
conditionné dans votre aquarium !
Virginia regarda autour d’elle, amusée. Son aquarium ?
Le terme convenait à merveille à cette pièce minuscule aux
parois de verre ! Elle saisit le petit paquet de fiches que lui
tendait Tom.
— Rien que de bonnes nouvelles, j’espère ! Voyons… Une
nouvelle loi antitabac… Un procès en diffamation… Pitié !
Sommes-nous, oui ou non, une radio musicale ?
Le jeune homme haussa les épaules.
— Sam tient à ce que nos auditeurs soient informés. Un
ordre du patron, ça ne se discute pas.
Tom imita la voix éraillée de leur directeur.
— Surtout, n’oubliez pas la consigne : divertissez !
Virginia éclata de rire en remettant son casque.
— Bien, chef !
Un signal familier l’avertit de la fin imminente de la
chanson. La jeune femme ouvrit son micro.
— Du calme ! Du calme ! Inutile de klaxonner ! Je connais
un bien meilleur moyen de vous détendre au volant de votre
voiture. Ecoutez Kick FM et imaginez que vous dansez
avec votre Virginia un slow particulièrement langoureux…
Pourquoi pas celui-ci ?
Le regard faussement choqué de Tom, debout derrière la
vitre, la fit sourire. Ce matin encore, un journaliste du Los
Angeles Times avait commenté avec enthousiasme sa prestation
radiophonique : « Une voix de velours, infiniment sensuelle,
à laquelle aucun homme ne pourrait demeurer indifférent. »
Un rire étouffé jaillit de sa gorge. Elle avait du mal à se
croire dotée d’un tel pouvoir ! Sans doute Steve, son ex-mari,
avait-il vanté autrefois ses yeux d’or sombre, son visage à
l’ovale délicat et racé, son teint de pêche et ses cheveux
couleur de miel qui retombaient sur ses épaules en boucles
indisciplinées. Hélas ! Si la plupart des auditeurs imaginaient,
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derrière cette voix ample et caressante, une grande blonde
aux formes voluptueuses, ils se trompaient !
En dépit de tous ses efforts, Virginia n’avait jamais réussi
à dépasser le mètre cinquante-deux. A trente ans comme à
quinze, le contraste entre sa voix et son physique ne cessait
de surprendre. Que de fois avait-elle lu la déception dans le
regard des autres !
La jeune femme haussa les épaules avec philosophie
et parcourut rapidement les quelques fiches qu’elle avait
sélectionnées.
— Une nouvelle qui intéressera tous les amateurs de soda,
reprit-elle après une page de publicité. Le trust Harrison
Industries, actuel propriétaire de l’entreprise Sparkle dont
vous connaissez les boissons gazeuses, vient d’annoncer son
intention de vendre la société au public.
Virginia résuma brièvement l’analyse d’experts financiers
qui soulignaient le risque d’un effondrement des ventes, puis
posa le rectangle de papier sur la console.
— Si vous rêvez depuis toujours de posséder des actions,
c’est peut-être la chance de votre vie. Espérons, dans ce cas,
que la Sparkle connaisse un essor rapide si vous ne voulez
pas vous trouver avec, sur les bras, un entrepôt rempli de
boîtes de soda rouillées ! Et maintenant, voici le moment
que vous attendez tous : celui de notre grand jeu quotidien.
Tous à vos téléphones ! Je prendrai le douzième auditeur dont
l’appel parviendra au 555-KICK. Bonne chance !
Les boutons des cinq lignes groupées s’allumèrent aussitôt.
Virginia sourit. C’était bien l’heure idéale pour passer à
l’antenne !
— Le gagnant d’aujourd’hui se verra offrir un dîner pour
deux personnes au restaurant Maximilian de Huntington
Beach, les meilleures spécialités de fruits de mer de toute la
Californie ! Douzième candidat ? Bienvenue sur Kick FM !
Votre nom, s’il vous plaît ?
— Kyle Harrison.
La voix, bien que voilée par un léger bruit de fond, lui
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parut grave, posée, suprêmement virile. Virginia se redressa,
son attention en éveil.
— Bonjour, Kyle.
Elle tenta de l’imaginer : grand, bronzé, athlétique, jeune
et fascinant. Ridicule ! N’était-elle pas mieux placée que
quiconque pour savoir à quel point les apparences pouvaient
être trompeuses ? Probablement son interlocuteur avait-il tout
d’un quinquagénaire ventripotent au crâne dégarni !
— Vous devriez faire de la radio, avec une voix comme
la vôtre, lui dit-elle.
— Merci.
Pourquoi semblait-il soudain si irrité ?
— Je vous appelle…
— Etes-vous aussi séduisant que je crois le deviner ?
reprit-elle avec malice.
— Cela dépend de vos goûts, répliqua-t‑il sèchement.
Et vous ?
Virginia s’empourpra en contemplant son short délavé et
son T-shirt rose. Quelle sorte de femme imaginait-il ? Une
reine de beauté, tout droit sortie d’un magazine de mode,
naturellement !
— Laissez donc libre cours à votre fantaisie, réponditelle de sa voix la plus cajoleuse. Dommage que vous ne
puissiez pas voir la petite robe que je porte aujourd’hui. De
la soie bleu électrique. Avec un décolleté plongeant, vous
vous en doutez !
— Je m’en doute.
Un rire s’éleva sur la ligne, un rire profond et vibrant qui
la fit frissonner. Peut-être n’était-il pas aussi vieux et laid
qu’elle l’avait cru, après tout ? Enfin, mieux valait passer au
jeu ; elle n’avait déjà que trop bavardé !
— D’où êtes-vous, Kyle ? demanda-t‑elle pourtant.
— De Seattle.
— Seattle ? Mais c’est à plus de mille cinq cents kilomètres
d’ici ! Je ne savais pas notre émetteur si puissant.
Il rit de nouveau.
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— Navré de vous décevoir. Je me trouve actuellement
bloqué sur l’autoroute, non loin de l’aéroport de Los Angeles.
— Eh bien ! C’est la première fois qu’un auditeur m’appelle
de sa voiture. Ce doit être mon jour de chance !
A présent, elle voyait très bien à qui elle avait affaire : un
P.-D.G. chauve et obèse fumant le cigare, ses mains trapues
couvertes d’énormes bagues de diamant. La jeune femme
réprima une grimace de dégoût avant de poursuivre :
— Je vais donc vous poser la question du jour…
— Un instant, intervint-il. Je vous ai téléphoné, à vrai
dire, pour une tout autre raison. Je tenais à rectifier certaines
nouvelles que vous avez données à l’antenne, voilà quelques
instants, au sujet d’une de mes sociétés.
Virginia tressaillit. Comment n’avait-elle pas fait le
rapprochement ? Kyle Harrison… Harrison Industries…
Mon Dieu ! Qu’avait-elle dit, au sujet de la Sparkle ? Un
investissement peu rentable, des boîtes de soda rouillées…
Etait-elle allée trop loin ?
— S’il est exact que la Sparkle soit mise en vente sous
peu, l’analyse de ces soi-disant experts ne repose sur aucune
donnée concrète. Je vous ai donc appelée pour tenter de
remettre les choses au point.
— Et nous vous en remercions, monsieur Harrison, dit-elle
en s’efforçant de conserver un ton léger.
— Nous avons décidé de nous adresser au public afin
d’obtenir les fonds nécessaires à d’autres investissements,
voilà tout. Notre geste est sans rapport avec l’évolution des
ventes. En réalité, nos prévisions les plus optimistes ont été
dépassées au cours de ces derniers mois, et…
— J’en suis ravie, intervint Virginia à la hâte. Je vous prie
de ne pas nous tenir rigueur de ces informations erronées.
Ces renseignements proviennent directement d’une grande
agence de New York. Vous comprendrez qu’il nous soit
impossible de les vérifier tous.
— En effet. Mais votre commentaire, lui, ne venait pas
de si loin, que je sache.
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Virginia ferma les yeux, horrifiée. C’en était fait de sa
carrière. Jamais Sam ne lui pardonnerait, jamais !
— Je suis heureuse que vous nous ayez aidés à rectifier
cette erreur, monsieur Harrison. Nous…
— A présent, je suis prêt pour la question.
— Je… Pardon ?
— Il s’agit d’un concours, n’est-ce pas ? Avec un dîner
gratuit à la clé ?
Les doigts de la jeune femme tremblaient de colère
lorsqu’elle déchira l’enveloppe du jeu. Puisqu’il semblait
prendre un tel plaisir à la mettre dans l’embarras, elle se
réjouissait d’avance de le voir perdre !
— Pourriez-vous me dire dans quel pays a volé le premier
hélicoptère et en quelle année ?
— L’Allemagne, en 1936, répondit Kyle Harrison sans
la moindre hésitation. Il s’agissait du FW-61.
Virginia demeura bouche bée. D’où tirait-il de pareilles
connaissances ?
— Bravo ! s’exclama-t‑elle en feignant l’enthousiasme.
Toutes mes félicitations ! Ne raccrochez surtout pas ; une de
mes collaboratrices va vous expliquer comment recevoir votre
prix. Et maintenant, trois grands tubes de l’été sur Kick FM,
la radio qui vous aime !
La jeune femme poussa un soupir de soulagement et
appela l’hôtesse d’accueil de la station.
— Barbara ? Pourriez-vous vous occuper de notre gagnant,
s’il vous plaît ? Il attend sur la ligne un.
La porte du studio s’ouvrit brusquement. Sam apparut
sur le seuil, le regard furibond.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Nos auditeurs
demandent de la musique, pas l’actualité boursière !
— Je le sais, mais…
— Tenez-vous-en désormais au sport et à la météo,
compris ? Et un bon conseil : plus de bavardages à l’antenne,
ou vous irez chercher une place ailleurs !
Virginia le regarda disparaître, accablée. Jamais elle
n’aurait dû se permettre de commenter les nouvelles ni de
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parler si longtemps avec Kyle Harrison ! Il s’en était fallu de
peu que le directeur ne la renvoie, mais il faudrait beaucoup
plus qu’un article élogieux dans le Los Angeles Times pour
l’empêcher de retrouver ses horaires de nuit !
Soudain, les paroles tendres et mélancoliques de la chanson
qui passait à l’antenne attirèrent son attention. La jeune
femme ferma les yeux sous l’effet d’une tristesse familière.
Les nuits longues et solitaires qu’évoquait la chanteuse ne
ressemblaient que trop aux siennes. N’avait-elle pas encore
compris que sa carrière exigeait cette indépendance qu’elle
avait choisie, cinq ans plus tôt ?
Une jeune femme grande et brune, vêtue d’une robe légère,
fit irruption dans le studio, un sachet de bonbons à la main.
— Voici de quoi reprendre des forces ! Je sais que vous
préférez les caramels ; malheureusement, le distributeur
automatique était en panne. Hé ! Pourquoi faites-vous cette
tête d’enterrement ?
— Sam est furieux. Apparemment, je compte encore
au nombre des employés de la station, mais pour combien
de temps ?
Virginia soupira et saisit un bonbon.
— Merci, Barbara. C’est exactement ce dont j’ai besoin,
après tous ces repas à base de carottes et de céleri !
La jeune hôtesse fronça les sourcils.
— Comme si vous aviez besoin de suivre un régime,
mince comme vous l’êtes !
— Hélas ! C’est le sort commun aux personnes de ma
taille si nous ne voulons pas ressembler à des Bibendum !
Vous ne connaissez pas votre chance !
Barbara éclata de rire.
— Ah ! J’allais oublier ; la directrice de chez Barney, un
tout nouveau restaurant de la région, vient d’appeler. Elle serait
ravie si vous acceptiez de présider leur soirée inaugurale, le
mois prochain. Je lui ai dit que vous y réfléchiriez.
Virginia secoua la tête, la gorge serrée.
— C’est tout réfléchi. Je ne peux pas y aller, Barbara,
vous le savez.
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— Pourquoi pas ? Cessez de fuir vos admirateurs ! Ce
serait une bonne publicité pour vous.
— Vraiment ? Ils imaginent tous un mannequin de mode,
et que voient-ils arriver ? Une femme haute comme trois
pommes, parfaitement ordinaire !
— Je vous trouve un peu dure ! Avec vos cheveux relevés
en chignon et une robe élégante, vous auriez un succès fou !
D’ailleurs, vous êtes ravissante ! Je donnerais beaucoup pour
posséder un visage comme le vôtre.
— Et moi, plus encore pour grandir de vingt centimètres !
— Allons ! répliqua son amie en riant. Bien des hommes
sont prêts à perdre la tête pour une femme de votre taille.
— Qu’ils ne se donnent pas ce mal ! La vie que je mène
me convient à merveille.
— A qui voulez-vous le faire croire ? Personne ne pourrait se satisfaire d’une existence aussi solitaire que la vôtre.
Quand êtes-vous sortie avec un homme pour la dernière fois ?
— C’est beaucoup mieux ainsi, Barbara. Vous savez
comment s’est terminé mon mariage. Voyez les autres animateurs : Dave, Mike, John… Tous divorcés ! Croyez-moi, ce
métier est incompatible avec une vie de couple.
— Qui parle de vie de couple ? Je ne pensais qu’à une
simple soirée en ville, au cinéma ou au restaurant ! Ce n’est
pas parce que votre mari était un mufle que vous devez fuir
tous les hommes !
Steve n’avait rien d’un mufle, songea Virginia avec tristesse.
Mais il ne servirait à rien de tenter d’en dissuader la jeune
hôtesse. Un coup d’œil à la pendule la ramena à la réalité.
— Je ne veux pas vous chasser, Barbara, mais je dois
reprendre l’antenne dans trente secondes.
— Je vous laisse. Oh ! Quoi que Sam en dise, je trouve
que vous avez répondu à ce Kyle Harrison en véritable
professionnelle.
— Merci.
— Je parle sérieusement. Quelle audace, tout de même !
Appeler sur la ligne du concours et vous débiter toutes ces
sornettes ! Je vous promets de me montrer aussi désagréable
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que possible lorsqu’il passera ce soir chercher son carton
d’invitation !
17 h 20. La jeune femme se réjouit intérieurement. Plus
que quarante minutes, et elle en aurait fini. Elle rentrerait
chez elle, débrancherait le téléphone et se mettrait au lit avec
un bon roman. Un peu de calme lui ferait le plus grand bien.
— The Power of Love, le pouvoir de l’amour, un slow
signé William Carl, à vous mettre le cœur à l’envers !
Elle entendit derrière elle la porte s’ouvrir doucement.
Barbara n’avait-elle pas vu la lampe rouge interdisant l’entrée du studio ?
— J’espère que vous profitez tous du temps superbe que
nous avons ce soir, poursuivit la jeune femme sans se troubler.
Allez donc vous promener sur la plage, et pensez à moi !
Elle ôta son casque, soulagée. Encore trois chansons,
le point sur la circulation, puis sa journée serait terminée.
— Bravo !
Virginia sursauta entendant une voix derrière elle, une
voix profonde et virile qu’elle reconnut sans peine. Que
faisait-il là ?
Elle se retourna brusquement et s’immobilisa, les mains
crispées sur ses écouteurs, muette de stupeur.
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