1978-1988 - Syndicat National des Journalistes

Transcription

1978-1988 - Syndicat National des Journalistes
SNJ SPECIAL
16/10/08
14:07
Page 18
1978-1988
Décennie fatale pour les ordonnances de 1944
Dans les années soixante-dix, une
nouvelle génération de patrons
commence à poindre dans la presse
française. Elle s’inspire des méthodes
d’un certain Robert Hersant, dont la
réussite des opérations Paris
Normandie (1972) et Le Figaro a
montré le chemin.
P
ériode noire pour la presse française,
que rien – ni les luttes syndicales, ni
les batailles juridiques – ne sauront
endiguer. Profitant de l’aide des pouvoirs publics en place, des difficultés
économiques de la majorité des titres, et
de l’émergence de nouveaux médias, les
nouveaux patrons de presse s’attachent à
mettre en pièces un secteur édifié sur les
bases des ordonnances de 1944.
Dans la presse régionale, le sieur Hersant
père, pourtant condamné à l’indignité nationale à la Libération pour collaboration, poursuit ainsi allégrement ses OPA, récupérant
méthodiquement tout ce qui vacille. Bien
qu’il fasse l’objet de plaintes, jugées recevables par la justice, pour rachat illégal de
journaux, et aussi non-paiement du 13e
Presse : la grande braderie
mois, le « papivore » continue en toute
impunité sa démarche. Bénéficiant même
un temps de l’immunité parlementaire que
lui confère sa position d’éligible sur la liste
aux premières élections européennes. Liste
conduite par Simone Veil, ancienne déportée, qui deviendra la première présidente
du Parlement européen.
Pour une « misère de francs », Nord-Matin,
l’emblématique quotidien socialiste du
Nord tombe dans son escarcelle (1978).
Sans coup férir, il lui fera subir une cure
d’austérité avant de le rendre complètement exsangue. Rien n’arrêtera Robert
Hersant, pourtant inculpé depuis le
27 novembre 1978 pour violation des
articles 1, 4, 5, 7, 9 et 20 des ordonnances
du 26 août 1944.
Hécatombe à Paris
Signe de ces années-là, la presse parisienne
connaît elle aussi sa crise. Le Quotidien de
Paris meurt « tué par les difficultés économiques ». Ce sont aussi L’Aurore, ParisTurf et l’imprimerie Richelieu, appartenant
à Marcel Boussac, qui sont vendus à un
groupe d’industriel et de financiers. Pour
L’Aurore, fin 1980, nous apprendrons qu’il
y avait du Robert Hersant dans l’air. Moins
de deux années lui auront suffi, grâce au
concours d’hommes de paille, pour en en
devenir le patron, sans en être le propriétaire officiel, et couler l’entreprise.
La saga se poursuit allégrement. Les pages
du Journaliste en content les épisodes,
croustillants parfois, machiavélique souvent.
Comme l’entrée de Robert Hersant à
Presse-Océan en janvier 1981.
La victoire de la gauche ne le dissuadera
aucunement de poursuivre sa politique
impérialiste de prise de participation dans
d’autres journaux. Un « joli coup » au
Havre-Libre, des pions posés en RhôneAlpes avec Le Dauphiné Libéré (1981) autorisent le papivore à poursuivre l’expansion
de sa société, la Socpresse. Il rêvait du
Progrès de Lyon ; Jean-Charles Lignel, qui
s’était installé dans le fauteuil en 1979, tout
comme d’autres ailleurs, le lui cédera, forcé
et contraint, en 1986.
Déjà le multimédia
Sur le marché de la concentration, les
acteurs et leurs appétits ne manquent pas.
Philippe Hersant suit les traces du papa,
avec la société France Antilles qui regroupe
tous les titres rachetés, ou presque, en
18 - L E J O U R N A L I S T E - S P É C I A L 9 0 A N S D U S N J
Guadeloupe, Martinique, et dont la vocation
première est l’embauche systématique des
futurs cadres et leur formatage pour les
journaux de la Socpresse. Cela se passe ainsi
notamment du côté de l’Union de Reims.
Le quotidien issu de la Libération passe dans
le giron du groupe après plusieurs années
de résistance et d’errance de gestion
(1985).
Déjà certains prédateurs ou affairistes à la
couverture financière plus large, élargissent
leur périmètre. L’Est Républicain connaît un
premier changement notable avec la vente
par un de ses actionnaires de 21 % du
concurrent lorrain. C’est aussi en Picardie,
où Le Courrier Picard voit sa coopérative
ouvrière faire le gros dos, laissant entrer
dans son capital Norpicom, une association
Crédit Agricole, groupe Voix du Nord
(décembre 1985).
La presse parisienne déjà bien en crise,
accompagne le mouvement. Le duo MatraHachette augure même une nouvelle
forme de concentration multimédia, accentuant le phénomène de marchandisation
de l’information et du mélange des genres.
Dans un même pôle se retrouvent
Europe 1, Télé Monte-Carlo, Les DNA, Télé
7 jours, Le Journal du Dimanche ou encore
Le Nouvel Économiste. Une collaboration
solide, pense-t-il, qui prépare la constitution
d’un empire beaucoup plus vaste. ■
SNJ SPECIAL
16/10/08
14:07
Page 19
1978-1988
Nouvelles technologies
De retour au pouvoir, la droite privatise TF1
Et le service public vola en éclats…
A
ucun secteur de l’information n’échappe plus à la
déréglementation. Le libéralisme giscardien affiche
sans complexe ses idées, dont la privatisation du service public de l’audiovisuel ou, dans le meilleur des
cas, sa réduction à la portion congrue. Et tandis que
s’ouvre une longue réflexion sur le statut des personnels,
dans l’actualité perce l’idée de la privatisation d’une chaîne
de télévision. Les airs connus en matière de démantèlement et de privatisation refont d’ailleurs surface dans les
milieux politiques aux affaires.
Dès février/mars 1979, le SNJ évoquait « les grandes
manœuvre de l’audiovisuel » étayées par les propos officiels servis à la cantonade: la gabegie, le manque de compétitivité, le personnel pléthorique…
Le résultat de l’élection présidentielle de 1981 et le changement de majorité qui suivra portent des priorités différentes. L’intention est moins audible, même si elle réapparaît sans équivoque dans la plate-forme électorale
législative du RPR et de l’UDF. La priorité semble aux
espaces de liberté avec l’ouverture du paysage audiovisuel
français aux radios locales privées. L’adoption de la loi
du 29 juillet 1982 répond à une attente forte. Elle en pose
aussi les règles en interdisant la constitution de réseaux,
favorisant l’autonomie et la vocation locale.
La loi du 23 novembre 1981, relative à la presse écrite,
et la loi sur la presse du 12 septembre 1984 donnent
l’espoir d’une transparence des entreprises de presse et
de limites à une concentration destructrice de pluralité.
Le changement de majorité parlementaire de 1986 bouscule tous ces principes. Le 14 mai, lors de la séance à
l’Assemblée nationale consacrée aux questions d’actualité,
François Léotard annonce la privatisation de TF1. Un an
plus tard, le roi du béton, Francis Bouygues, hérite de la
plus ancienne chaîne du service public.
Cette décision, ainsi que le lancement de deux chaînes
généralistes, la 5 et la 6, marquent bien plus que la conception d’une autre télévision. C’est l’avènement d’une ère
nouvelle dans tous les médias. La casse du service public
s’amorce. Elle va s’accompagner de la suppression des
ordonnances de 1944, de celle de la loi du 23 septembre
1981 relative à la presse écrite, et de la loi d’octobre 1984
par la remise en cause d’une réglementation destinée,
depuis plus de 40 ans, à sauvegarder l’indépendance et
le pluralisme des journaux.
En juillet 1986, une nouvelle loi sur la presse balaie les
idéaux de l’après-guerre. Un champ s’est ouvert, sans
autres règles que le pouvoir et l’argent. Plus de vingt ans
après, les choses n’ont fait que s’aggraver. Preuve en est
la récente décision unilatérale de L’Élysée de supprimer
la publicité sur la télévision publique, pour alimenter les
actionnaires du privé en argent frais, et priver le service
public de recettes, qui ne seront pas véritablement compensées, pour la création et l’information. ■
L’informatique entre en force dans les
rédactions. La mise en place des nouvelles technologies change singulièrement les frontières des métiers.
Malgré un accord signé en 1978 dans
la presse écrite, sur le partage des
compétences entre journalistes et
ouvriers du Livre, cette mutation est,
dès 1980, au centre de plusieurs
conflits dont la nature varie en fonction de situations fort différentes.
L’accord sur la saisie directe des journalistes (1985) complète le passage
au clavier.
Reconnaissance
Avec la reconnaissance de la convention collective nationale par leurs
employeurs, les journalistes de
l’audiovisuel du service public,
notamment les cadreurs, deviennent,
en 1983, des journalistes comme les
autres. L’avenant audiovisuel, ajouté à
cette même convention, comporte un
très grand nombre d’avancées.
Le groupe des Dix est né
Le 10 décembre 1981, neuf organisations syndicales ou fédérations
autonomes se réunissent pour la première fois à l’initiative de la FGSOA,
pour poser les bases d’une structure
commune qui, 15 ans plus tard,
deviendra l’Union syndicale Solidaires.
La bataille des 30 %
se profile
La mobilisation de la profession est
(presque) sans faille pour affirmer son
opposition à une première tentative
du gouvernement de Raymond Barre
de supprimer l’abattement forfaitaire
de la profession. Pendant un temps, il
est envisagé, dans le cadre de la loi
de finances de 1979, de ramener le
plafond de la déduction supplémentaire de 50 000 à 25 000 F. Fausse
alerte… pour le moment.
La preuve par neuf
Après 9 ans de procédure, le Conseil
d’État confirme définitivement, le
19 février 1986, l’annulation du licenciement (mai 1977) de François
Boissarie, délégué syndical au Figaro
et premier secrétaire du SNJ.
Annulation déjà prononcée par le tribunal administratif de Paris en
décembre 1980.
De père en fils
Juin 1980 : l’UNSJ (Union nationale des syndicats de journalistes) est particulièrement active. Elle rassemble un millier de manifestants entre les Champs
Élysées et la place Beauvau (ministère de l’Intérieur), pour protester contre le matraquage d’un journaliste en reportage à Paris.
Au Havre-libre, à la Libération, les
actions avaient été vendues à des
personnes physiques, notamment
deux membres du Parti communiste.
L’un d’entre eux, ancien maire
du Havre, revendit ses actions au prix
coûtant (100 F) a des plus jeunes,
mais le second - on ne le sut qu’à sa
mort - les revendit à Robert Hersant,
au prix fort de quelque 300 000 F.
Situation quelque peu différente à
l’Union. Les actions n’appartiennent
pas à des personnes physiques, mais
à des personnes morales (douze
associations, dont la CGT, le PC et le
PS). Le changement de mains se fera
après des négociations floues, le PC
et la CGT cédant pour sauver l’Huma
que le fils Hersant a accepté d’imprimer.
LE JOURNALISTE - SPÉCIAL 90 ANS DU SNJ -
19

Documents pareils