Un_t_pour_tout_changer_de_la_Cruz_Melissa_eFichier - e

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Un_t_pour_tout_changer_de_la_Cruz_Melissa_eFichier - e
Pourlaprésenteédition:
©ÉditionsAlbinMichel,2013
ISBN:978-2-226-29809-6
Sommaire
Pagedetitre
PagedeCopyright
Unétépourtoutchanger
Lacapitainerie.Prise1:Elizaexpérimentelestransportsencommun
Lacapitainerie.Prise2:Marafaitploucdelatêteauxpieds
Zonederécupérationdesbagagesdel’aéroportJFK:Jacquinesecontentepasderamasserses
bagages
OùElizaracontedeuxoutroismensongespassipieux
OùMaraapprendàrespecterlesrèglesdanslebusdesHamptons
Quelquepart,surl’autoroutedeMontauk:Jacquitientvraimentbienl’alcool
EastHampton,ÉtatdeNewYork.MonDieu,cequeçaamanquéàEliza!
RyanPerry=Adonisenbermuda
MaraestlevilainpetitcanarddeLilyPondLane
Commentviventlesgensquibrûlentdesbilletsdebanquepourseréchauffer
Nevousinquiétezpas,lesfilles,c’estuntravaild’équipe!
Iln’yapasdefuméesansfeu
MainBeach:pourEliza,pasquestiondeselaisserabattre
AuResort:lasoiréelapluscouruedesHamptons,dumoinsjusqu’àlasemainesuivante
Retouràlaplage:quandElizaboit,Maratrinque
RetourauResort:Jacquial’œil,pourcequiestdestissus
Ducôtéd’Eliza:dublanc,durougeetungroscoupdeblues
Unejournéebrûlanteàlaplage
Derrièrelesboiseriesd’époque,lesfillesontfiniparrepérerleminibar
Lemeilleurmoyendepercerunsecretàjour?Unebouteilledevodkaetlejeudelavérité
Maraaunequalitébienàelle:ças’appellelagentillesse
Pasbesoinderespecterlecodevestimentaire,pourpeuqu’onsoitjolie
Vousappelezçadesprogrès?
Lebronzageestlesportfavorid’Eliza
GrâceàEliza,lejardiniercommencebienlajournée
Avenueprincipaled’EastHampton:queferait-onsanscartedecrédit?
Contrairementàcequ’onracontedanslesmédias,touslesgaysnesontpasdesbêtesdemode
QuelquepartdanslesHamptonsBays,Jacquireconnaîtquecen’estplusvraimentça...
RyandécouvrequeMararéservebiendessurprises
Leslendemainsdefêted’Eliza...Oùl’onsejettesurlespancakesetsurlapage6
Explicationsavecuneex-danseuseétoile
TrophéedepoloMercedes-Benz:touslesjolisgarçonsnesontpaspleinsauxas
IlestdeschagrinsquemêmeleBacardi151nepeutatténuer
Unclouchassel’autre:leremèdeanti-chagrind’amourdeJacqui
Maraserebiffeenfin
Ryann’estpeut-êtrepasentraindeprendrelepetitdéjeuneraulit,mais...
Elizaapprenduntasdechosescetété–entreautres,quelesrégimeshypocaloriquesneserventà
rien
Jacquin’enfinitpasdetestersonproverbe
Marafinitparcommanderlabonneboisson
L’éducationdeRyan
Lesfillesnecollentpasforcémentàl’imagequ’onsefaitd’elles
Pauvreex-petitefilleriche!
Lesseulesparolesagréablesqu’AnnaPerryaitjamaisprononcées
Ryanprésideàuneréuniondepremièreimportance...danssonjacuzzi
Elizaobtienttoujourscequ’elleveut,mêmelorsqu’ellen’enveutplus
Jacquiatoujoursétéplusmalignequ’onnel’imagine
ElizaenseigneàJeremylesrèglesdujeuàboired’«OregonCoast»
LukeetLéoontbeauêtreblancsetriches,ilss’imaginentsortirdroitdughetto
Maraadumalàresterhabillée
Quandonsedisputetoutnu,difficiled’êtretroppéremptoire
Lesvacancesnesontjamaisassezlongues,pasvrai?
Lasituationestdeplusenplustendue
Elizaaunpanierpercéenguisedesacàmain
Unjour,Maraauraassezd’argentdecôtépours’acheterlanationentière
Jacquipourraitbiengagnersonproprepari
LeSuperSamedin’adesuperquelenom
Jacquin’estpasunenanaquiselâche!
OnoublieparfoisquelesHamptonssetrouventàLongIsland
Eliza,MaraetJacquidécouvrentlemeilleurdesHamptons
Marapasseenfinàl’action!
ElizavaàMontaukpourlapremièrefoisdel’été
Maraatrouvélebonheur...dansunhamac
Jacquiaccomplitdesprodiges
Nouvelaccèsd’amabilitéd’AnnaPerry
QuandPuffDaddydonneunesoirée,ilnefaitpasleschosesàmoitié
Çaasesavantages,dedonnerunbonpourboireauvoiturier
Ças’appellelekarma
Finduséjour,maisdébutdetantd’autreschoses
Fabuleuxbainsdeminuit
OùElizaapprendquefeuetsoufresonttrèstendancecetété
Ensoixantesecondeschrono,Mararedevientquelqu’un
Jacquiretrouvesonsérieux...enmatièredeshopping
Elizaapprendquel’enferestpavédecélébrités
OùMarafait(involontairement)unnumérodigned’unestrip-teaseuse
Danslejargondesfilles,«Cequetuasbonnemine!»signifie«Jesuistellementcontentedete
revoir!»
ChezlesPerry,lesfillesrencontrentlederniergadgetimportédeFrance...
Lesrèglesnesont-ellespasfaitespourêtreenfreintes?
Desretrouvailles...pasfranchementréussies
LesenfantsPerryontbeaucoupdechosesàapprendre...etbeaucoupdemédicamentsàprendre
Pourprendreunbaindeminuitnuecommeunver,mieuxvautêtrerondecommeunebarrique!
AnnaPerryestbeaucoupplusjeunequesesinjectionsdeBotoxnelelaissentsupposer
Riendetelqu’unevoituredeluxepourremonterlemorald’unefille
Lescélébritéssontcommedesgaminsdedeuxans:ellesfontdescapricesetpiquentdescrises
Jacquiprendunevague,maislaisselegarçonluifilerentrelesdoigts
C’estpourçaqu’onappellelapage6page666
Riennesoulagemieuxlespeinesdecœurqu’unevoiturepleinedecadeaux!
Devinequivientdînercesoir?
LapotionmagiquedeJacqui,c’estlesgarçons!
PersonnenecacheMaradansuncoin!
Necomptezpassurunegaminedeseptanspournepascafter
Lesmeilleureschosesnecoûtentrien
Lemondeestplusbeauvuduhaut(d’unetable)
Onn’oubliejamaissonpremieramour
Décidément,ledocteurcraintunmax!
Maraserait-ellelanouvelleTaraReid?
Lebonheur,c’estunevoilegonfléeàbloc
Ilesttellementplusfaciledementirautéléphone
Garrettramèneuneprise
Deuxdemi-amoureuxvalent-ilsunamoureuxentier?
L’interdictionestlepluspuissantdesaphrodisiaques
LessœursPerrytrouventàMaraunnouveausurnom
Enrobédesucre,çapassemieux!
Commentondevientmannequin
Çanecomptepas,maisçafaitdubien!
Lesmeilleureschosesnecoûtentrien(maisellesontunefin)
Cen’estpasparcequ’ellessontbellesqu’ilfautêtrejalouses!
C’estcequ’onappellelescélébritésdedeuxièmezone,bébé
L’ambiancedevienttrèschaude
Iln’yapasquedanslesjardinsd’enfantsqu’onjoueauxchaisesmusicales
Lesliensdusangrésistentàtout...saufàlasalleVIP
JevaistecassertasalegueuledeFrançais!
Elizafaitdeséquationssentimentales
L’amourestaveugle,maisMaraportaitpeut-êtredeslunettesdesoleil
Pourquoiletéléphonesonne-t-iltoujoursaumauvaismoment?
Onnesesentjamaistrèsbien,lematin,avecleshabitsdelaveille
Lesgaminspleurentquandonleurretireleursbonbons
Lesmeilleureschosesnecoûtentrien(maisespéronsqu’ellessontassurées!)
Avecdesamiespareilles,quiabesoindessœursPerry?
C’estcequ’onappelleunbeausalaud!
LeSeptièmeCercledel’enfer,eneffet
Ilyadesgensqu’onbalanceraitbienaufondd’unétang!
Lespluvierssiffleursn’ontjamaisétéaussienvogue!
Quelquechosevacraquer!
Elizasaitfairelapartdeschoses
Commel’aditOscarWilde,lesvraisamisvousfrappentpar-devant
Quoideplussexyqu’untypeavecunmarteau?
Maradépouillelesrichespourtoutdonner...euh...auxriches!
Unchevalierenimperméablejaune
Maran’ajamaisvuunaussibeaupeignoir!
VoilàpourquoiWilliamétaitincontrôlable!
L’étésetermineplusvitequeprévumaisleprochainarriverabienasseztôt
Unesaisonenbikini
«Toutvientàpointàquisaitattendre»,dit-on:assiseausiège12A,Maraespèrequec’estbien
vrai
ÀSoHo,pourEliza,lamodec’estlaguerredestranchées
Dansl’UpperEastSide,JacquiconstatequefairesesvalisespourlesHamptonsn’arrangeenrien
lagueuledebois
Marainfiltrelajeunessedorée
Elizapimenteunpeulacollection
Jacquigardeuneenfantdetrente-troisans
Quelquepart,ChrisMartinchanteàcœurjoie
C’estbiençaqu’onappellelechicdughetto?
CommediraientlesStones,«onn’apastoujourscequ’onveut»...
Quandledevoirvousappelle...leBlackBerrysemetàsonner!
Hélico,touchécoulé!
Règlen°1delachroniquemondaine:fairecroirequetoutlemondes’amuse!
CommediraitHeidiKlum:Elizaest«in»etPaigeest«out»
Siseulementtouteslespartiesdefootseterminaientcommeça!
MaraadesdoutesXXLsursonnouveaustatut
Riendetelqu’unboulotbienfaitpourvousgonflerlemoral
LediablesechausseenLouboutin
JacquibrouillelesondesdeRadio-instance-de-divorce
Pourfêterleursretrouvailles,lestroismousquetairesfontunepausecigarette
Lesmalentendusfontbonménageavecl’abusdemargaritas
Lediables’habilleenbikinibleupétard
Tropserréespourêtreàl’aise
Elizaenvoieunmessageàtouteslespatrouillespourretrouverunerobe
Plusfortquelacrisedesquaranteans:lacrisedesdixans?
Soussesdehorsparfaits,Ryanestungrosporcdansl’âme
Alors,onbosseouonbulle?
Personnen’ajamaisditquel’humourpotacheétaitraffiné
SurMainStreet,ElizarejoueleDébarquementfaçonhautecouture
Mayday!Mayday!
Danslejournalismepeople,lerefusdecoopérern’estjamaisunproblème
Uneespionnechezlesstylistes
Maraalesensdel’humouràmaréebasse
Quiatout...abeaucoupàperdre
Anna,l’épousequicriaitauloup!
Maraestvertedejalousie
Quandonchercheàseperdre...
Mêmeavectoutunattelage,onnepourraitpasarracherRyanàseschèresvagues
Maraestunefillecool,maisunpeuvieuxjeusurlesbords
«Tumefaistournerlatête...monmanègeàmoi,c’esttoi...»
Voilàcequis’appellesauterdelamarmitedanslefeu
Celuiquiadit«c’estenforgeantqu’ondevientforgeron»devraitessayerlesurf,pourvoir
Jacquiveuttournerunremakede«Ànousquatre»
Lebluesdel’employée
DurififiauParadis
Voilàqu’ellepasseauxjeuxàboire,maintenant!
NewYork,parfois,çareposedesHamptons.
Shannonsefaitlamainsurunepetiteusurpationd’identité
Lascienceconfirmecequetoutefillesavaitdéjà:letauxdedopaminemonteenflèchequandon
faitdushopping
Mararegardepousserlelierredanslagrossepomme
Dansunebatailledenourriture,ilfauttoujoursavoirdesmunitions
Commenttrouverchaussureàsonpied
LesfillesbraquentlesflèchesdeCupidondroitsurlesPerry
Elizaa-t-elleplusàoffrirqu’unejoliefrimousse?
Alors,«quiriraledernier»?
Parfois,lesvœuxseréalisent...
DonnaKaran,attention:bientôt«tun’aurasplusquetesyeuxpourpleurer»
Ellen’estpasfolledetoi,c’esttout...
SiNickyHiltonpeutlefaire,pourquoipasEliza?
Simamannesaitpas,demandezàsafille...
FashionFiasco
Quelquespetitsproblèmestechniques
Jacquiaupaysdesmerveilles
PleinsfeuxsurEliza
C’estencoremieuxladeuxièmefois
Recherchemariéedésespérément
LesPerrynesontplusseuls
Toutcomptefait,Stingavaitraison
Uneporteseferme,maisc’estunefenêtrequis’ouvre
UNÉTÉPOURTOUTCHANGER
Traduitdel’anglais(américain)
parFlorenceSchneider
Pourpapaetmaman.PourChito,Aina,SteveetNico.
Cariln’estpasdemeilleuresvacances
quelesmomentsquenouspassonsenfamille.
PourKimDeMarcoetDavidCarthas,
lesgenslesplusépatantsdesHamptons.
Pourmonmari,Mike,avecquichaquejour
estunjouràlaplage.
Iln’yaquelestraqués,ceuxquitraquent,ceuxquis’agitentetceuxquisontlas.
F.ScottFitzgerald,GatsbyleMagnifique
«It’sallabouttheBenjamins,baby.»
PuffDaddy,NoWayOut
FILLESAUPAIRRECHERCHÉESDETOUTEURGENCE
Pourquatreenfantsvigoureux
âgésde3à10ans
Rejoignezunefamillenew-yorkaise
etpassezunétéderêve!
EastHampton,du4juilletaupremierlundi
deseptembre
Salaire:10000dollars
Permisdeconduireexigé
ConnaissancedesHamptonsbienvenue
EnvoyerCVetphotosd’identitéà:
[email protected]
Lacapitainerie.Prise1:
Elizaexpérimente
lestransportsencommun
ElizaThompsonn’avaitjamaisconnupareilinconfort.Assiseaufondducar,elleétaitpriseen
sandwichentrelestoilettesparticulièrementodorantesetunevoisinetropaffectueusequiprenaitson
épaulepourunrepose-tête.Lavieillepeauportaituntee-shirtimprimédelabannièreétoilée,etde
petitesbullesdesaliveseformaientaucoindeseslèvres.Elizaselamentauninstantsursonsort:ses
parentsn’auraient-ilsvraimentpaspusefendred’unbilletd’avion?
Lecauchemaravaitdébutéunanplustôt,quanddesgens,fourrantlenezdanslescomptesde
son père à la banque, avaient dégoté des « dépenses non justifiées ». Certains détails avaient été
divulgués – parmi lesquels le fameux porte-parapluies à mille dollars classé en « frais
professionnels»dontlesjournauxavaientfaitleurschouxgras.Lesnotesdesavocatss’accumulèrent
vite,etbientôtleschargesdecopropriétédeleurappartement–comportantcinqchambresàcoucher
etautantdesallesdebain–furentau-dessusdeleursmoyens.
Les Thompson vendirent leur « cottage » d’Amagansett – en fait aussi spacieux qu’un hangar
d’aéroport–pours’acquitterdefraisdejusticedeplusenplusimportants.Ilssedéfirentensuitede
leurappartementenfrontdemerdePalmBeach.Etpuis,unaprès-midi,enrentrantdesontrèschic
lycéeprivépourfilles(quiavaitcomptéGwynethPaltrowparmisesélèves,rienqueça!),elleavait
trouvé la femme de chambre en train d’emballer le contenu de sa chambre dans des cartons. Avant
d’avoirréalisécequisepassait,ellevivaitdansuntroispiècesminable,àBuffalo,oùsesparents–
quipartageaientdésormaisuneHondaCivicvieillededixans–l’avaientinscriteaulycéeHerbertHoover.Ellepouvaitdireadieuàsonannéedeprépa.ÀsonadmissionàPrinceton.Àl’annéequ’elle
étaitcenséepasseràParis.
Ses parents avaient raconté à tout le monde qu’ils partaient dans le Nord, pour se remettre de
tout ça. Sans préciser jusqu’où dans le Nord ils avaient l’intention d’aller. Pour les habitants de
Manhattan,ladifférenceentrelesCatskillsetBuffaloestaussigrandequ’entreChaneletPetitBateau.
MaisilyavaitunDieupourlesgossesderiches!Lequels’étaitmanifestélaveille,parlebiais
d’un coup de fil de Kevin Perry. Il cherchait une fille au pair pour l’été. Eliza pouvait-elle arriver
avant le coucher du soleil ? Si son père avait pu éviter la prison, il le devait en grande partie au
cabinet d’avocats de Kevin Perry. Celui-ci était donc l’un des seuls à être réellement au courant de
leur situation. Ce boulot de fille au pair permettait à Eliza de quitter cette maudite ville. Elle allait
devoirtravaillerpourdevieuxamisdelafamille,etaprès?Aumoins,ellen’auraitpasàseprésenter
lundimatinaucentrecommercialdeBuffalo.Songerqu’elle–quienvoyaitautrefoissesdomestiques
fairesescourseschezBergdorf–avaitbienfaillidevoiraiderdescamaradesdeclasseboutonneuses
àenfilerdesvêtementsdepolyesterextensibledeuxtaillesau-dessousdelaleur...Cetteseulepensée
luidonnaitlachairdepoule.
À côté d’elle, la femme poussa un grognement et exhala une bouffée d’air. Eliza vaporisa un
nuage de parfum autour d’elle, afin de neutraliser les effluves nauséabonds. Machinalement, elle
toucha l’une des boucles d’oreilles en diamant que Charlie Borshok lui avait offertes pour son
seizième anniversaire. Eliza avait beau ne pas être sentimentale, elle les portait tout de même, bien
qu’elle eût rompu depuis plus de six mois. Ç’avait été une réaction d’autodéfense, à vrai dire :
commentexpliquerBuffaloetlafailliteàl’héritieruniqued’unefortunepharmaceutiquesechiffrant
en millions de dollars ? Elle avait aimé Charlie autant qu’elle en était capable, mais n’avait pu se
résoudreàluirévéler–pasplusqu’àn’importequid’autre–l’étenduedeleurspertes.Commesile
fait de dire les choses à voix haute leur conférerait une réalité indéniable. Or, Eliza avait bien
l’intention de faire en sorte que nul ne découvre la vérité. Elle ignorait encore comment elle
parviendraitàladissimuler,maiselles’ensortirait,aucundoutelà-dessus.Elleparvenaittoujoursà
s’entirer.
Cejour-là,parexemple.D’accord,illuiavaitfalluprendrelecarjusqu’àManhattan...maiselle
avaitdéjàtrouvélemoyend’éviterdeprendrelebusjusqu’auxHamptons.EllecomptaitsurKitpour
l’yconduire,ainsiqu’ill’avaittoujoursfait.Biensûr,elleauraitpupasserquatreheuresdanscebus
de légende – car en dépit de sa prestigieuse réputation, le fameux « Jitney » restait un bus. Or
pourquois’imposerçaquandKit,l’été,serendaittouslesvendredisauxHamptonsdanssajoliepetite
Mercedesdécapotable?Ellen’auraitqu’àluidemanderdeladéposer.Kitetelleavaientgrandisurle
mêmepalier–ilsétaientcommefrèreetsœur.CebonvieuxKit!Elleavaithâtedelerevoir–tout
commeelleavaithâtederevoirquiconqueétait«quelqu’un».
Lecars’arrêtadanslabaieduport,prèsdelacapitainerie,etdébarquasespassagerssousun
auventdebétoncrasseux.Elizaglissasursonépaulesonfourre-toutVuitton(l’uniquespécimenque
samèreluieûtpermisdeconserver,parmilacollectionqu’ellepossédaitautrefois)ets’éloignaaussi
rapidementquepossibledecetendroitsordide.
Ellejetauncoupd’œilcirculairesurl’immensegareroutière.Leslumièrescriardes,lafoule
estivalesebousculantpouralleradmirerlesfeuxd’artificesurlesjetéesdela34eRue,lesgroupes
detouristesàlaminedepapiermâché,armésdedrapeauxaméricainsetlenezcollésurleshoraires
de trains. C’était ça, vivre de l’autre côté de la barrière ? Pousser, tirer, courir pour attraper des
trains...Beurk!Ellen’avaitjamaiseu,jusque-là,àutiliserlestransportsencommun.Elleauraitloupé
soncar,cematin,siellen’avaitréaliséàtempsqu’ilpourraitbienavoirl’audacedepartirsanselle.
Danslavie,elleavaittoujoursétéattendueetchoyée.N’avaitjamaisportédebracelet-montre,
par exemple. À quoi bon ? La fête ne commençait jamais avant son arrivée. Eliza était une fille
splendide,touteenblondeuretenfossettes,dontlephysiqueévoquaitceluidesmannequinsdansles
brochuresdevoyagesdeluxe.Ilneluimanquait,pourcompléterletableau,qu’unbeaubronzageet
une grosse chaîne en or autour du cou. Le bronzage ne tarderait pas – elle atteindrait le point de
perfection,puissetartineraitd’écrantotal.Quantàlachaîneenor,detoutefaçon,c’étaittoutcequ’il
yaderingard.
Elleerraunpetitmoment,commesonnée,cherchantdesyeuxlespancartesindiquantunesortie,
agacéepartoutecetteagitationpopulaire.Unemèreportantlescouleursduclubdefootballdeson
fils,arméed’unepoussettesurchargée,laprojetasurlecôté.Elizaheurtaunefillebruneplantéeau
beaumilieudelagareroutière,tenantunplanentresesmains.
–Oh,pardon,jesuisdésolée,ditlafilleenaidantElizaàseremettresurpied.
Elizalaregardadetravers,marmonnantàcontrecœurunvague«C’estbon»,bienquelafille
nefûtenrienresponsabledesachute.
– Excusez-moi... Vous savez où se trouve la... ? demanda celle-ci, mais Eliza s’était déjà
précipitéeverslasortielaplusproche.
Surla42eRue,lesvéhiculesprisdansl’habituelembouteillageprotestaientvainementàgrands
coups de klaxon. Une longue file d’attente serpentait le long du pâté de maisons et les taxis étaient
rares. Pourtant Eliza jubilait : elle était de retour à New York ! Sa ville ! Elle se pénétra de l’air
enfumé. Elle espérait – sans trop s’inquiéter pour autant – arriver chez Kit à temps, n’ayant pas
vraiment de solution de rechange. Mais une des choses qu’elle préférait chez Kit, c’était son côté
prévisible.
Elle dépassa la file d’attente, alla se poster au coin de rue suivant, mit deux doigts dans sa
boucheetémitunsifflementstrident.
Un taxi se matérialisa devant ses tongs turquoise. Eliza sourit et fourra ses bagages dans le
coffre.
–Àl’angledeParkAvenueetdela63eRue,jevousprie,lança-t-elleauchauffeur.
MonDieu,quelbonheur,d’êtrederetourchezsoi!
Lacapitainerie.Prise2:
Marafaitplouc
delatêteauxpieds
MaraWatersconsultalepetitmorceaudepapiercrasseuxqu’elleavaitdanslamain.M.Perry
avaitmentionnéunautocarpourlesHamptons,maisMaraavaitbeauregarderdetouscôtés,ellene
voyaitaucunepancartesignalantcettedestination.Ellecommençaitàsesentirnerveuse.Pasquestion
d’arriverenretardpoursonpremierjourdetravail.
Elle n’en revenait toujours pas d’être à New York ! Comme c’était excitant, de voir clignoter
toutescesenseigneslumineuses,desemêleràlacohuegrouillanteetdemarcherdumêmepas...etce
n’étaitencorequelagareroutière!ÀSturbridge,lagareroutièreconsistaitenunmalheureuxbanc
situéàunanglederuedésert.L’endroitauraitméritéd’êtremisenvaleurpourcélébrerlefaitque
quelqu’un quitte enfin ce trou paumé – mais non, rien ne venait l’embellir. En recevant le coup de
téléphone, la veille, elle avait pensé que c’était trop beau pour être vrai. Elle était là, déguisée en
« institutrice du temps jadis », dans « l’école du temps jadis » du « Sturbridge du temps jadis », à
transpirer sous sa perruque poudrée qui lui donnait envie de se gratter et à aider les troupeaux de
touristes arrogants du Middle West à parcourir le XIXe siècle, quand la nouvelle était tombée : elle
avait décroché l’emploi de fille au pair ! Dans les Hamptons ! Avec une paye de dix mille dollars
pourdeuxmois!Unetellesommedépassaitsesplusfollesespérances.C’étaitbiensuffisantpourles
fraisd’inscriptionàl’université,etpeut-êtreluiresterait-ilassezpouracheterlajoliepetiteToyota
Camry qu’elle avait repérée chez l’oncle de Jim, vendeur de véhicules d’occasion. Bien sûr, Jim
n’avaitpassautédejoieenapprenantqu’ellelelaisseraitseultoutl’été.C’étaitpeudire:enfait,il
était carrément dépité. Tout était allé si vite que Mara n’avait pas encore eu l’occasion de lui dire
qu’elleavaitpostulépourceboulot,etJimn’étaitpasdugenreàapprécierqueMarafassedesprojets
dans son dos – des projets dont il ne faisait pas partie ou qui n’avaient pas été soumis à son
approbation. Cette histoire des Hamptons le prenait au dépourvu. Ça gâchait tous les plans du
4 Juillet ! Il avait prévu d’exhiber l’El Dorado, dont il avait gonflé le moteur, lors du show
automobilerégional.SiMaral’abandonnait,quil’aideraitàastiquerlecapot?
Jim et elle étaient inséparables depuis la seconde. Au fil des ans, nombre de personnes lui
avaientfaitremarquerqu’elleétaittropbienpourlui.Maisvuquelespersonnesenquestionfaisaient
presquetoutespartiedesafamille,fallait-ils’enétonner?Marasesentitsoudaincoupableàl’idéede
s’enaller,maisbalayaaussitôtcettepensée.Elleavaitd’autreschatsàfouetter.D’unpashésitant,elle
sedirigeaversunemployéenuniformequisetenaitderrièreunguichet,ettapotacontrelavitre.
–Ouais?lança-t-ilsèchement,mécontentd’êtredérangé.
–Bonjour,m’sieur.Pourriez-vousmedireoùjepeuxprendreleJitneypourlesHamptons?
–VousvoulezdirelalignedeLongIsland?
–Non,jesaispas...Heu,ças’appellele«Jitney»?
–LeJipney?
–C’estunbus...àdestinationdesHamptons.
– Là-derrière, c’est la ligne du New Jersey, répliqua-t-il avec un mouvement du menton. Vous
allezauxHamptons?PrenezlalignedeLongIsland,surla8eAvenue.
Danslafiled’attentevoisine,unhommesurpritleursparoles.
–Cen’estpasiciquevoustrouverezvotrebus,dit-il.C’estsurla3eAvenue.
– Mais, croyez-moi, vous feriez mieux de prendre le train. Au moins, il n’y a pas
d’embouteillages,glissaunefemmequisetenaitderrièrelui,chargéedesacsdecourses.
–Laisseztomberletrain.Cebusvautledétour,insistal’inconnu.
– En tout cas, je ne comprends pas que les gens fréquentent encore les Hamptons, siffla la
femmed’untonagacé.Avectoutescespersonnesépouvantablesquidéferlentenété!Woodstockest
tellementplusagréable.
–Jen’ensuispassisûr.AlleztrouverdessushisdignesdecenomdanslesCatskills!protesta
l’homme.
TousdeuxselancèrentdansunediscussionaniméesurlesméritescomparésdesHamptonsetde
lavalléedel’Hudson,oublianttotalementlaprésencedeMara.
–La3e...?la3eAvenue,c’estbiença?demandaMara.
–Hein?Ouais,ouais,c’estça,vousprenezle19jusqu’àTimesSquare,puislanavettejusqu’à
Lex...Delà,vousremontezlarueendirectiondela43e.Fautquevousalliezverslesud.
Toutça,pourelle,c’étaitduchinois.Ellehochamollementlatête,sesentantpluspauméeque
jamais.
–Maisjevousledis,monpetit,letrainestbienpluscommode!crialafemmeauxsacs.
Maras’éloignadelafiled’attente.Elledéfroissaitunenouvellefoislemessagepours’assurer
qu’elle avait bien lu les indications, quand une fille la heurta de plein fouet, et faillit tomber face
contreterre.
–Oh,jesuisdésolée,dit-elleenaidantlajolieblondeauxcheveuxlongsàserelever.
Mararemarquaqu’elleportaituneraquettedetennisenbandoulière.Ellevoulutluidemanderoù
seprenaitlebuspourlesHamptons.Mais,lorsqu’ellelevalesyeux,lafillen’étaitpluslà.
Avecunhaussementd’épaules,elledécidaquelameilleuresolutionétaitdeprendreuntaxiet
ellesejoignitàlafiled’attentecompactequis’étaitforméedevantlastation.Ellejetaautourd’elleun
regard ému. C’était si exaltant de se trouver loin de chez soi que peu lui importait le temps qu’il
faudraitpourarriveràdestination.
Zonederécupération
desbagagesdel’aéroportJFK:
Jacquinesecontentepas
deramassersesbagages
C’estça,rince-toil’œil,etunpetitcoupàgauche...Lespectacleteplaît,pasvrai?Jevoisbien
queoui,espèced’obsédé!Trois.Deux.Un...
BINGO!
Le gars de trente et quelques années aux cheveux gominés coiffés en arrière, portant un jean
délavé et des mocassins sans chaussettes, avait touché le bras de Jacarei Velasco. C’était un
attouchementdesplusdiscrets–unsimpleeffleurement,àvraidire.Cegestedeluitapoterlebras
semblaitplutôtvouloiresquisserunecaresse.
–Manuela?
Ça,enrevanche,ellenes’yattendaitpas.
–Que?demanda-t-elleenrelevantseslunettesdesoleilàmonturecouvrantepourmieuxjauger
soninterlocuteur.
Teint cuivré par le bronzage. Spectaculaire Rolex au poignet. Lunettes d’aviateur. Quant aux
chaussures,ellesétaientmanifestementfaitesmain.Ilferaitl’affaire.
–Désolé,ilmesemblaitqu’ons’étaitrencontrésquelquepart.ÀMiamiBeach,peut-être?dit-il
avecunsourirequifitapparaîtredecharmantesridulesaucoindesesyeuxbleuvif.
Ilhaussalesépaulesetsedétourna.Ehbien,sicen’étaitpasleplusvieuxtrucdumonde!Mais
ellen’allaitpaslelaisserfileraussifacilement.
–C’estpossible,dit-elled’unevoixforte.
Letypefitvolte-face.
–AubarDelano?L’annéedernière?
Jacquisecoualatêteavecunsourire.
–Enfin,quoiqu’ilensoit...JesuisRupertThorne,dit-ilenluidonnantunevigoureusepoignée
demain.C’estàvous?demanda-t-il,remarquantunepairedesacsencuirvernisurletapisroulant.
Jacquihochalatête.
–JacquiVelasco.Enchantée.
D’ungeste,ilindiquaaussitôtauchauffeurenuniformedelesramasser.
–Vousallezoù?demanda-t-il.
–Dansles...lesHamptons?
– C’est justement ma destination, dit-il, hochant la tête en signe d’approbation. La ville est si
étouffante,l’été.Onpourraitsefairedesœufsauplatsurlebitume.Quantauxodeurs,n’enparlons
pas,ajouta-t-ilavecunegrimacededégoût.
–VousêtesdeNewYork?demandaJacqui,amuséeparceslamentations.
–Àl’origine,oui.OnaunepropriétéàSagHarbour.Maisjesuistoujoursentredeuxavions.
Tenez,là,jesuistoujoursàl’heuredeMalibu.
Ellesourit,lelaissantjacassertandisquesonespritvagabondait.Ellesedemandaitoùtoutcela
allait la mener. À São Paulo, elle était tellement habituée à taper dans l’œil d’hommes plus âgés
qu’elle, que de deviner quel profit elle allait pouvoir en tirer était devenu l’un de ses passe-temps
favoris.ChezDaslu,legrandmagasinlepluschicduBrésiloùelletravaillaitcommevendeuse,elle
aidait les femmes les plus riches du pays à remonter la fermeture éclair de robes haute couture
importéesdeParis.Loind’êtreuneemployéesurexploitée,ellesevoyaitplutôtcommeunesortede
conseillère en stylisme, vu que le magasin n’embauchait que des filles provenant peu ou prou des
mêmes milieux que ses clients. Bien que la famille de Jacqui ne roulât pas sur l’or, sa grand-mère
l’avaitenvoyéedansunprestigieuxlycéereligieux–oùJacquiétaituneélèveconvenable,sansplus.
ChezDaslu,saspécialitéconsistaitàfairesemblantdeflirteraveclesépouxdesesclientes.Distraire
lemari,pendantquelafemmedépensaitlestroisquartsdesapayeenpantalonsdecuirVersacesur
lesquelsJacquiempochaitunejoliepetitecommission,voilàquifaisaitpartieintégranteduboulot.
EtJacquin’avaitpastropd’effortsàfaire:depuisqu’elleavaitcommencéàremplirletopde
sonbikinibonnetsC,leshommesnelarataientpas.Leursregardss’attardaientsursapoitrine,surses
hanches et sur ses longs cheveux noirs, à tel point qu’elle finissait par penser qu’elle n’était bonne
qu’àcela:êtrebelle.Entoutcas,lesgensnes’intéressaientjamaisqu’àcetaspectdesapersonne.
Mais tout avait changé quand elle avait rencontré Luca. Le sincère, le tendre Luca. Le jeune
AméricainrencontréàRiopendantlecarnaval.Legarçonausourireunpeufou,nelâchantjamais
sonsacàdos.Et,detouslestypesqu’elleavaitcroisés,lepremierànepasflashersurelledansla
seconde.Commepresquetousceuxquifêtaientlecarnaval,elleétaitdéguisée.Maiscontrairementà
laplupartdesesamisquititubaientdanslesruespavéesens’efforçantdetenirl’alcool,Jacquiavait
préférédemeurerspectatrice–aprèstout,c’étaittouslesanslemêmedélire.Ellel’ignoraitencore,
mais elle avait soif de changement. Il s’était manifesté lorsque Luca, un lycéen américain, lui avait
demandésoncheminavantdes’éloigner,alorsmêmequeJacquilegratifiaitdesonpluschaleureux
sourire.Ilsavaientàpeineéchangéquelquesparoles,maislorsqu’ilfitvolte-facepourrepartir,ilprit
àJacquil’enviedelesuivre.Etc’étaitbienlapremièrefoisqu’elleéprouvaitunpareildésir.
Contrairement aux lourdauds de sa ville natale, tout juste bons à la siffler comme le loup des
dessinsanimés,Lucan’avaitmêmepasparuattiréparelle,audébut–cequiavaitévidemmentpiqué
savanité.Jacquinefeignaitpasd’ignorersabeauté.Sescheveuxtombaientenvaguesbrillantessur
sesépaulesdorées.Quantàsoncorps,ilavaitdequoirendreGiseleBundchenvertedejalousie.
Luca,quipassaitsesvacancesdeprintempsàexplorerl’AmériqueduSudjusqu’àMachuPicchu
après avoir suivi la piste des Aztèques, avait semblé totalement insensible au glamour de Jacqui. Il
l’écoutaitcommes’ilsesouciaitréellementdecequ’ellepensait,etellen’avaitpastardéàsuccomber
au charme de son sourire flegmatique et de son énorme sac à dos. Ils avaient passé ensemble deux
semainesmerveilleuses–àcourirlesclubsdesamba,àengloutirdeslitresdecachaça,àgravirle
sommetduCorcovadoetàprendredesbainsdesoleilàIpanema.Ill’avaitmêmeconvaincued’aller
camper à Tijuca avec lui, un week-end. Ils s’étaient blottis l’un contre l’autre dans son sac de
couchage,ets’étaientembrasséssouslecielnocturne.
Luca lui avait dit que ce qu’elle avait de plus sexy, c’était son esprit. À croire qu’il était le
premier type à se rendre compte qu’elle en avait un. Pendant leur première nuit, Jacqui n’était pas
parvenue à s’endormir. Elle n’arrêtait pas de sourire, n’en revenant pas d’être aussi vernie. Elle se
tournait et se retournait dans son lit, se pressant le ventre, dans un mélange d’euphorie et de peur.
C’étaitdoncça,l’amour?
Etpuis,auboutd’unesemaineincroyable,ils’étaitenvolédanslanature.Sansun«aurevoir»,
sansavoirgriffonnésonadresseélectroniquesurunboutdepapier.Jacquienfutbouleversée.Pour
lapremièrefoisdesavie,elleétaitamoureuse.Pourleretrouver,ellepossédaitununiqueindice:il
avaitdit,unjour,quesafamillepassaitlesvacancesd’étédansunlieubaptisé«lesHamptons».
Àpeinedeuxjoursplustôt,Jacqui,surfantsurl’ordinateurdugrandmagasin,avaitlancéune
énièmerecherchepour«lesHamptons».Maiscettefois-ci,ilyavaitdunouveau:lapetiteannonce
de Kevin Perry lui promettant « un été de rêve » à East Hampton. La réponse lui était parvenue
presqueaussitôt(saphotod’identitéavaitceteffetsurlesgens).Leposteétaitàpourvoird’urgence.
Pouvait-ellesauterdansunaviondèslelendemain,afind’êtreenvillele4juillet?Claroquesim!
Elle était convaincue qu’elle retrouverait son Luca quelque part dans les Hamptons. Et sinon, elle
pourrait toujours reprendre l’avion en sens inverse. Après tout, ce n’était pas comme si elle avait
vraimentbesoindecejob.
Rupertjetauncoupd’œilàsamontreetJacquirevintàlaréalité.
–Sionparttoutdesuite,onpeutespérerêtresurlaplageavantlecoucherdusoleil.Mavoiture
estgaréelà-dehors,dit-ilendésignantletrottoiraubordduquelattendaitlalimousine.
–Parfait,fitJacquienhaussantlesépaules.
Ellen’avaitpasencoreréfléchiaumoyendeserendredanslesHamptons.Elles’étaitditqu’une
solutionseprésenterait,commec’étaittoujourslecas.
Jacqui lui décocha son sourire UltraBrite. Celui qui conduisait toujours les hommes à lui
promettredesvestesdechinchillaetàtendreleurcarteAmericanExpress.
–Jevoussuis.
OùElizaraconte
deuxoutroismensonges
passipieux
LetaxilaissaElizadevantsonancienimmeuble,unbâtimentd’avantguerreconstituantl’unedes
adresses les plus recherchées de la ville. Ses portes en bronze doré brillaient dans la lumière du
soleil.Commeilluimanquait!ÀBuffalo,safamilleoccupaitlerez-de-chausséed’unemaisondans
uneruepavillonnaire.Lasalledebainsn’avaitjamaisétérefaite,etElizaauraitjuréqu’ilyavaitdela
moisissuresouslabaignoire.Chaquefoisqu’elleprenaitunedouche,ellesesentaitplussaleaprès
qu’avant.
Son ancienne salle de bains – dotée d’une vue panoramique sur Central Park – était équipée
d’une étincelante baignoire blanc cassé qu’Eliza avait personnellement choisie dans le magasin
d’exposition Boffi où elle avait accompagné le décorateur de sa mère. Les couloirs étaient ornés
d’originaux de Jackson Pollock et de Willem De Kooning hérités de sa grand-mère, qui avait
fréquenté les expressionnistes abstraits du temps de sa jeunesse dorée, dans les années cinquante.
WoodyAllenavaitrepéréleurappartement,envisageantd’ytournerl’undesesfilms.Elizanevoyait
vraiment pas quel film on pourrait bien tourner dans leur nouvelle demeure, hormis un remake de
Massacreàlatronçonneuse.D’accord,elleexagérait.Maisàpeine.
Le lino éraflé dans la cuisine. Le plan de travail en aluminium gondolé. La moquette couleur
avocat pourri. Tout ça dans un misérable cinquante-cinq mètres carrés ! Même leurs anciens
domestiquesavaientétémieuxlogés.Sesparentsnecessaientdeluirépéterqueç’auraitpuêtrepire.
Bienpire,àvraidire.Papaauraitpuseretrouveren...maisçadépassaitl’imaginationd’Eliza.Qu’une
tellechoseeûtétépossibleétaitdéjàbienassezterrible!
Leportierdeserviceleweek-endouvritlaportièredutaxietlareconnutimmédiatement.
–MademoiselleEliza!
–Salut,Duke.
Ilportalamainàsacasquette.
–Çafaitunboutdetemps.
–Àquiledites-vous!
–Vousêtesderetourdansl’immeuble,lafamilleetvous?
– Pas vraiment, dit-elle du ton le plus décontracté possible en jetant un coup d’œil le long du
trottoir.(AucunetracedeladécapotabledeKit.)Kitestdanslesparages?
–M.Christopher?demandaDuke,segrattantlefrontdesamaingantéedenoir–legantfaisait
partiedel’uniforme,mêmepartrente-septdegrésàl’ombre.Jecroisqu’ilvientdepartir.
Ellejuraentresesdents.Ellen’arrivaitpasàcroirequ’elleeûtratésonchauffeur!
–M.etMmeAshleighsontenhaut,celadit.Jepeuxlesappeler.
– Ce n’est pas la peine, merci, dit Eliza en luttant contre l’envie de se ronger les
ongles.Commentdiableallait-elles’ensortiràprésent?
À cet instant précis, une décapotable rouge qu’elle connaissait bien s’arrêta devant l’auvent
rouge du porche. Un garçon séduisant, aux cheveux blonds coupés en brosse, bondit hors de la
voituresansattendrequeDukeluiaitouvertlaporte.Lorsqu’ilaperçutEliza,ilenrestabouchebée.
–Liza!
–Kit!
–Qu’est-cequetufaislà,nomdeDieu?demanda-t-ilavantdelaprendredanssesbrasetdela
serreràl’étouffer.
Elizafitcellequin’avaitrienentendu.
– Comme je suis contente de te voir ! s’exclama-t-elle en passant les doigts dans ses mèches
hérisséesetenluitapotantlatête.
–J’aioubliéquelquechose...Fautquejeremonteenvitesselechercher.TuvasàAmagansett?
lançaKit,enfonçantàreculonsdanslehalldemarbredel’immeuble.Hé,jetedépose?
–Avecplaisir!répliqua-t-elle,soulagée.
CebonvieuxKit!ElizalaissaDukedéposersessacsdanslecoffreets’installaàl’avantpour
attendresonami.
–Mince,qu’est-cequetum’asmanqué,majolie!ditKit,unefoisredescendu.
IlmitlecontactetilsfilèrentdansParkAvenue,capotebaisséeetcheveuxauvent.
–Tuas...disparudujouraulendemain.
– Ouais, mais avec tout ce qui s’est passé, répondit-elle d’un ton désinvolte, mes parents ont
vouluquitterlavillepourseremettredeleursémotions,tucomprends?Alors,ilsm’ontenvoyéeen
pensionnat...Quellebarbe!
Eliza trouva les cigarettes de Kit sur le tableau de bord et en prit une. Sa main tremblait
légèrementtandisqu’ellefouillaitdanslaboîteàgantsàlarecherched’unbriquet.
– Extinction des feux à onze heures. Notre chef d’étage est une andouille, précisa-t-elle en
allumantlebriquetetentirantsursacigarette.
Kitémitungrognementdesympathie.
–Papaamenacédem’yenvoyerunefois.Maisjen’aipasd’assezbonnesnotespourAndover.
Heu...àpartça...commentvonttesvieux?demandaKitd’unevoixhésitante.
–Ils...heu...nequittentpluslaFloridecesdernierstemps,improvisa-t-elle.
Tout le monde avait lu ce que les journaux avaient publié, Eliza le savait, mais personne ne
connaissait précisément l’étendue du désastre. Les pages économiques et les rubriques « people »
avaient cessé de s’intéresser à eux lorsque son père s’en était tiré sans inculpation. Sitôt après, les
Thompson, feignant d’être épuisés et assommés par toute cette agitation, avaient quitté Manhattan
pourdebon.
– J’ignorais que vous étiez tous descendus à Palm Beach ! dit-il en frappant le volant,
visiblementsoulagé.Ilfautqu’onseretrouvepourlesvacancesdeNoël.
–Formidable!
Çalarendaitmaladededevoirmentiràl’undesesmeilleursamis.Surtoutquandils’étaittout
de suite imaginé que les Thompson s’étaient mis au vert à Palm Beach. Nom de Dieu, ce que leur
appartementdeMar-a-Lagopouvaitluimanquer!
Toutétaitlafautedesonpère.Ellesesentitunefoisdeplusenvahieparunressentimentetune
amertumequineluiétaientquetropfamiliers.C’étaittellementinjuste.Sesparentspouvaientbiense
terreràBuffaloetévitertousleursanciensamis.Maiselle...Ellen’avaitqueseizeans–passoixante
– et toute la vie devant elle. Pas question de laisser passer sa chance. Elle voulait retrouver sa vie
d’autrefois,àtoutprix.
–Alors,cetété,tuestouteseule?demandaKit.
–Ouais.Heureusementquejesuistombéesurtoi!J’aicruquej’allaisêtreobligéedeprendrele
bus.Beurk.Tusaisqueladernièrefois,ilsm’ontjetéedehorsparcequej’airefuséd’éteindremon
portable.
Kiteutunlargesourire.
–Jemesouviens.C’étaitdanslejournal.
–Enfin,quoiqu’ilensoit,jevaischezmononcleàGeorgica.
Cen’étaitpassiloindelavérité,aprèstout.KevinPerryétaitl’undesavocatsdesonpèreet,
aprèslesévénementsdel’annéedernière,quasimentunmembredelafamille.Elizadécidaqu’elley
allait pour « donner un coup de main ». Et si on la payait pour ça, eh bien, où était le mal ? En y
réfléchissant, sa situation serait plutôt celle d’une invitée qu’on recevrait avec les honneurs. Après
tout,elleavaitgrandiaveclesjumellesdelafamillePerry,SugaretPoppy.
–Super.Cen’estpastrèsloindenotrenouvellemaison.Tuasquelquechosedeprévu,cesoir?
–Non,pourquoi?
–DeuxgarsdelabandevontauResort.IlyaunesoiréedanslasalleVIPversminuit.Etaprès,
ilyalasoiréebleublancrougedePuffDaddyauClubPlayStation2.
–Çam’al’aircool,approuvaEliza.
Elle connaissait les types qui dirigeaient le Club PlayStation2 : deux « organisateurs
d’événements » new-yorkais qui avaient convaincu Sony de l’intérêt de financer une boîte où se
tiendraient,leweek-end,dessoiréescensées«lancersurlemarché»leursnouveauxjeux.Dansles
Hamptons, ç’avait la réputation d’être une piste d’atterrissage pour mannequins. Dans le genre du
ManoirPlayboy,maisavecdesfillesdedix-huitansplatesetàpeineforméesqueleurmorphologie
destinaitplutôtàparaderdanslesdéfilésqu’às’étalerenpagecentraledumagazine.
–Jevaist’inscriresurlaliste.
–Hé,aufait,tuasvuCharliedanslesparages?
Kitluijetauncoupd’œilenbiais.
–Auxdernièresnouvelles,ilsortaitavecunebimboqu’ilarencontréeàl’universitéd’été.
–Ahoui?
–Jesuissûrquec’estpassérieux.
–Kit,tuestropadorable!
Ellerevitl’expressioncrispéeetincréduledeCharlielorsqu’elleluiavaitdit,àNoël,qu’ilétait
préférablequ’ilscessentdesevoir.Àlasuitedequoiilavaitlaissédesmessagessursonportable
pendantdessemaines,luidemandantoùelleétaitpassée.Ellen’étaitplusaulycée.Ellen’étaitplusau
JacksonHoleaprèslescours.Ellen’étaitpaschezBarneyslessamedismatinouauBungalow8les
jeudis soir. Lorsqu’elle dut changer son numéro de portable pour adopter l’indicatif de Buffalo
(certainsluxesrelèventdelanécessité),lesmessagescessèrentdeluiparvenir.Elizaavaitpenséqu’il
seraitplussimplepourelledesecontenterdedisparaître;ellesavaitqu’ellerisquaitdecraqueretde
toutluiavouers’ilssevoyaient,etellenepouvaitsepermettredecourirunrisquepareil.
Roulantaupas,ladécapotablefinitparatteindrelasortiedelaville.Kitpayalepéageaupontde
Triborough. Comme ils filaient vers l’est, Eliza se réjouissait à la vue des panneaux indicateurs :
Hicksville,Ronkonkoma,Yaphank.Toutescesvillesauxdrôlesdenomsluisouhaitaientlabienvenue
àLongIsland,laramenaientàcemondequiétaitlesien.
Pour la première fois de la journée, elle se détendait. Jusqu’ici, tout se passait bien. Kit avait
gobé son histoire de pensionnat et de vacances chez son « oncle ». Elle était déjà invitée à de
fabuleuses soirées dans les Hamptons et, même si son ex était temporairement indisponible, Eliza
l’aimaitetcomptaitbienrécupérercequiluirevenaitdedroit.
OùMaraapprend
àrespecterlesrègles
danslebusdesHamptons
–Ah,lesHamptons,trrrèstrrrèstrrrèsrichesgenshabiterlà-bas,répliqualechauffeurdetaxi
barbuàMara,lorsqu’elleluieutditoùelleallait.
–C’estcequej’aientendudire,acquiesça-t-elle.
Sa sœur Megan, accro au magazine people US Weekly, lui avait fait un compte rendu détaillé
avantsondépart:
– À ce qu’on raconte, le Resort est tout ce qu’il y a de plus branché cet été, mais mieux vaut
éviterleStarRoom–c’estcomplètementpassédemode.EssaiededégoterunetableauBamboositu
peux.
Comme si Mara comprenait quoi que ce soit à ce jargon. Tout ce qu’elle connaissait des
Hamptons,elleledevaitàcetépisodedeSexandtheCity où Carrie va séjourner chez une amie et
voit, sans le faire exprès, le mari de cette dernière nu comme un ver. Mara savait qu’il s’agissait
d’une sorte de station balnéaire pour gens fortunés – mais elle allait à Cape Cod tous les étés et,
franchement,çanedevaitpasêtresidifférentqueça...
–Oui,desgenstrrrèstrrrèsriches.VousconnaîtrrreJerrySeinfeld?BillyJoel?Eux,êtrrretout
le temps dans les Hamptons. Le type qui sorrrtait avec Jennifer Lopez avant ce gars... Affleck. Lui
fairrregrrrossefêteceweek-end.PiffDaddy.
–PuffDaddy?demandaMaradansunéclatderire.
– Oui, c’est lui. Avant, je conduirrre limousine pour lui. Grrrosse fête. Beaucoup beaucoup
beaucoupfeuxd’arrrtifice.Parrrtoutdesgensélégants.Trrrèstrrrèsminces.Lesfilles,toutesminces,
minces,minces.
Puis,ayanttournélatêtepourévaluerMara:
–Vousêtrrremince.Etrrriche,aussi?
–Non,jenesuispasriche,réponditMara.Jevaistravaillerpourdesgensriches,celadit.
–Ah,pasrrriche.Trrravailleuse,c’estça?
–C’estça.
– Voilà. 3e Avenue – 43e Rue. Jitney juste là, précisa-t-il en agitant le bras en direction d’un
énorme bus vert et argenté avec HAMPTON JITNEY joyeusement inscrit en grosses lettres, à
l’arrière.
–Génial!s’exclamaMaraenluiremettanttrèsexactementlasommeinscriteaucompteur.
–Voilà.Merci.Mercibeaucoup!
Elles’empressadesortirdutaxietclaqualaportière.
– Pas pourrrboirrre ? demanda le chauffeur déconcerté, alors qu’elle n’était plus là pour
l’entendre.
Se précipitant vers le bus, Mara constata qu’elle allait devoir se coltiner une autre longue file
d’attente. À force de traîner les pieds, elle finit par voir son tour arriver. Devant elle, une femme
d’âgemûràl’airpascommodeportaitunebananeautourdelatailleettenaitunbloc-notesàlamain.
–Votrenom?
–MaraWaters.
–Waters,Waters,Waters...Heu...Jenevousvoispas.Vousêtessûred’avoirréservé?
–Ilfallaitréserver?demandaMarad’untonnerveux.
–Désolée.Cebusestcomplet.Vafalloirvousmettresurlalisted’attenteduprochain.Maisjene
croispasquevouspourrezleprendre.Onestleweek-enddu4Juillet!
–OhmonDieu...C’estsérieux?Jenevaispaspouvoirleprendre?
–Sansréservation,certainementpas.
–Mais...mais...jenesavaispasque...
–Écartez-vous,mademoiselle,lançalacontrôleuseavecbrusquerie.
–Laissez-moivousexpliquer!Jevaisarriverenretardàmontravail...Ilfautvraimentqueje
soisàEastHamptonavantcinqheures.Jevousenprie...
–Jenepeuxrienpourvous.Essayezdemain.
Sonnée, Mara se laissa mollement dériver sur le côté. Elle était en route depuis six heures ce
matinettoutçapourça!EtceKevinPerryquin’avaitmêmepaspenséàmentionnerlaréservation
obligatoire,s’imaginantqueMaraconnaîtraitlachanson,commetousleshabitantsdeNewYork!
–Jevousenprie...Iln’yapasmoyende...?demanda-t-elleenregagnanttimidementledevantde
lafile.
–Mademoiselle,jevousaiditdeVOUSÉCARTER!
– Pardonnez-moi ! Pourquoi cette discussion ? intervint une femme élégante coiffée d’un
chapeaudepailleàtrèslargebord,avecuntoutpetitchiendépassantdesonsacàmain.
–Pasderéservation,grommelalasorcièreaubloc-notesendésignantMara.
–Jenesavaispas.Ilfautvraimentquejemontedanscebusoubienjevaisarriverenretardà
montravail,expliquaMaraleslarmesauxyeux.
– C’est bon, c’est bon, soupira longuement la femme derrière ses énormes lunettes de soleil.
Vous pouvez prendre le siège de Muffy, à condition de le tenir sur vos genoux, ajouta-t-elle d’une
voixdemartyre.
– Oh, merci ! Merci infiniment ! s’exclama Mara, tandis que la femme lui fourrait chien et
panierdanslesbras.
Embarrassée et toujours un peu secouée, Mara fut enfin autorisée à monter dans le car et à y
prendre place. Elle se serra à côté de sa bienfaitrice, qui mit aussitôt un masque sur ses yeux et
s’endormit,tandisquelecardémarrait.
Le visage collé à la vitre, Mara regarda s’éloigner le paysage de New York. À Queens, ils
passèrent devant le stade Shea, décoré de drapeaux américains et de tout l’attirail patriotique. Une
heures’écoula.Surl’autoroute,çaroulaithorriblementmal.Marapressasonvisagecontrelavitre,et
compta les piscines surélevées qui poussaient comme des champignons dans chaque jardinet dès
qu’ilseurentatteintLongIsland.
ÇaluirappelaitSturbridge.Ilfaudraitqu’elleappelleJim,pouressayerd’arrangerleschoses.
Celaneluiplaisaitpas,qu’ilssesoientquittéscommeça.Ellenesupportaitpasqu’onluienveuille.
Alorsqu’ellesedemandaitsiellepouvaitrattraperlecoup,sontéléphonesonna.
Lesilenceetlesommeildesunsetdesautresfutsoudaintroubléparunsonoreta-ta-ta-ta-ta-ta,
ta-ta-ta-ta-ta-ta–lespremièresmesuresdeSweetChildofMine.
–Leportable!sifflasavoisine,enrelevantsonmasquepourlesyeux.Àquiestleportable?
–Éteignez-le!Éteignez-le!demandaunefilleàl’airpincé,unpeuplusâgéequeMara,enlevant
lesyeuxdesontricot.
–Cebruit!Cebruit!lançad’unevoixtremblotanteunmonsieurd’uncertainâgeenbrandissant
ledernierHarryPotter.
Mara se mit à chercher frénétiquement son minuscule portable dans son sac bourré à craquer.
Unevoixstridentesefitentendre,àl’avantducar.
–Lesportablesnesontpasautorisés!Veuillezl’éteindreimmédiatement!
Toustendaientlecoupourvoirquiavaitoséenfreindrel’unedesrègleslesplussacréesdubus
deluxepourlesHamptons.Cinquanteregardsfuribondsetensommeilléssebraquèrentsurelle.La
matrone chargée du placement, qui avait déjà tancé Mara pour être montée dans le car sans
réservation,gesticulafrénétiquement:
–Hep,vous!
– Je suis désolée ! Je suis désolée. Je n’étais pas au courant ! rétorqua Mara en tripotant son
téléphoneetenbalayantsafranged’unemainnerveuse.
–Mar!C’estmoi,c’est...
– Jim ! Je peux pas te parler maintenant ! dit-elle en raccrochant sans lui laisser le temps de
protester.
Danssesbras,lechihuahuaàpoillongladévisageaavecunairindigné.
–Qu’est-cequinevapas,toutou?murmura-t-elled’unevoixtendue,enserrantlechiencontre
elle.Pourtouteréponse,illuiurinasurlesgenoux.
–Hé!gémitMara.
– Oh, il y a des gens à qui il fait ça, fit remarquer sa maîtresse dans un bâillement. Vraiment,
vous auriez dû éteindre votre portable. Vous n’avez pas vu le signe ? ajouta-t-elle en désignant
l’imaged’unportabledansuncercleviolemmentbarréd’untraitrouge.
Maras’enfonçadanssonsiège.Letrajetrisquaitdeluisemblertrèslong.
Quelquepart,
surl’autoroutedeMontauk:
Jacquitientvraimentbien
l’alcool
Le producteur mielleux commençait à lui paraître très très séduisant. Mais sans doute était-ce
l’effetduwhisky,seditJacqui.
Jusque-là,Ruperts’étaitcomportéengentleman.Ilnes’étaitquasimentpassouciéd’elle,sice
n’estpourluireverserduwhiskyquandsonverreétaitvide.Ilétaitrestéscotchéàl’oreillettedeson
portable,àhurlerdanslepetitrécepteurausujetd’uncontratcinématographiquefoireux.Lorsqu’ils
atteignirentNoyak,JacquiavaitdéjàregardétroisépisodesdeThat70’sShowàlatélé,faitplusieurs
parties de Halo sur la console Xbox, et contemplé les modifications du paysage : à la métropole
grouillanteavaientsuccédélesterrainsvaguesdebanlieue,puisdepittoresquesvignobles.
–Jesuisdésolé,majolie,dit-ilenprenantletempsdeluipresserlegenou.
Hmmm...Ellenesavaittropqu’enpenser.
Peut-être se sentirait-elle plus à l’aise après un dernier verre, songea-t-elle en tendant la main
verslacarafedecristal.Rupertluiavaitditde«fairecommechezelle»,etellen’étaitcertespasdu
genre à bouder les agréments de la limousine. Qui sait quand elle aurait de nouveau l’occasion de
voyagerdansunevoiturepareille?
Rupertfinitparreposersontéléphoneetsetournaverselle.
– Je suis désolé. Cette garce avait signé le contrat, et voilà qu’elle essaie de s’en dépatouiller
pourtournerunfilmavecTomCruise.Jenevoulaispasêtremalélevé.
Jacquibalayalaremarqued’ungestedelamain,sanslâchersonverre.
Avecunsouriresuffisant,ilseservitunautrewhisky.
–Àlavôtre!lança-t-il.
–Saùde.Àvotresanté!
Ilstrinquèrent.Rupertavalaunelonguegorgéeetsepassalalanguesurleslèvres.
– Ça va beaucoup mieux ! s’exclama-t-il en déboutonnant le haut de sa chemise de popeline.
Alors,qu’est-cequevousvenezfairedanslesHamptons,cetété?
–Lafilleaupair.
–Paspossible!Vousparlezsérieusement?J’auraisjuréquevousétiezmannequin,ouuntruc
danscegoût-là.Jedispasçaenl’air,croyez-moi.Avecleboulotquejefais,jevoisdesjoliesfillesà
longueurdetemps.
Jacquisecoualatête.Ellen’avaitaucundésird’attirerencoredavantagel’attentionsurelle.
–Alorscommeça,vousêtesbonned’enfants?
–Filleaupair,rectifiaJacqui.
–D’accord,d’accord,concéda-t-ilensouriant.Quiestl’heureusefamille?
Elle lui parla des Perry et lui donna leur adresse sur Lily Pond Lane. Cela sembla
l’impressionner.
–Perry?PasKevinPerry?
Ellehochalatête.
–Onpeutdirequ’ilestverni,lesalaud!s’exclamaRupert,quisouriaitàprésentdetoutesses
dents. On les connaît bien, Maxine et moi, dit-il en posant la main sur son genou. Ma femme... On
s’estmariésl’annéedernière.Uneidéeàelle,précisa-t-ilenfaisantremontersamainsurlacuisse
haléedeJacqui.
Ils’arrêtajusteàlalisièredesaminijupeenjeanetlaissasamainposéelà,pourvoircomment
elleallaitréagir.L’alcoolavaitdûfairesoneffetcarJacquin’étaitpasaussichoquéequ’elleauraitpu
l’êtreend’autrescirconstances.
– Il faut compter au moins une heure avant d’arriver à East Hampton, au train où ça va,
chuchota-t-ilensepenchantversellepourreniflersescheveux.Qu’est-cequevousendites?
Jacqui gloussa, le nez dans son verre. Franchement, les hommes étaient beaucoup trop
prévisibles.
– Je ne sais pas. Et vous, qu’est-ce que vous en dites ? demanda-t-elle en repoussant enfin sa
main.
– Eh bien, je pense que nous devrions essayer de nous connaître un peu mieux..., suggérait-il,
lorsqu’ilsfurenttousdeuxsecouésparl’embardéequefitlalimousinepouresquiveruneMercedes
décapotable.
Jacquiregardaparlavitreetvitunbeaumecfaireunbrasd’honneuràlalimousine,pendant
qu’uneblondes’esclaffaitàsescôtés.
–Luca?s’écria-t-elle.
Illuiressemblait–dumoinsdedos–maisétait-cevraimentlui?Ellen’auraitsuledire.Penser
à Luca la dessoûla net. Que fichait-elle donc, à l’arrière d’une limousine, avec un type qui avait le
doubledesonâge?
Ilétaittempsdereprendrelecontrôledelasituation.
– Rupert..., dit-elle en se tournant vers lui pour lui faire savoir qu’elle avait besoin d’être
déposéetoutdesuiteàEastHamptonetqu’ellen’avaitplusenviedebatifoler.
MaisRupertétaitdéjààl’autreboutdelabanquette,entrainderépondreautéléphone.
DieusoitlouépourlescapricesdesstarsdeHollywood!
EastHampton,ÉtatdeNewYork.
MonDieu,cequeçaamanqué
àEliza!
Trois heures après avoir quitté Park Avenue, Kit et Eliza déboulaient dans la rue principale
d’East Hampton. Eliza sentit une vague de nostalgie et de tendresse l’envahir à la vue de la rue
commerçante qu’elle connaissait par cœur, avec son alignement d’arbres et, tout au fond, la façade
brillantedeCintarella–uneépiceriefinequivendaitdesfeuilletésausaumonetdesfeuillesdevigne
farcies encore meilleurs que ceux de la boutique de l’Upper West Side. À quelques blocs de là, se
dressait,teluncoffretàbijouxrose,laparfumerieCreed–oùelleavaitpassédesheuresàessayer
des parfums l’été dernier. Elle avait fini par en choisir un spécialement créé pour la duchesse de
Windsor.
C’est pour cela, avant tout, qu’Eliza adorait les Hamptons : on y trouvait, dans un cadre plus
agréable,lesboutiquesetlestraiteurslesplussélectsdeManhattan.LesHamptonsétaientexactement
commeNewYork,saufqu’iln’yavaitqueledixièmedeseshabitants–lehautdupanier.Auxyeux
d’Eliza,c’étaitl’équivalentmondaindeHarvard.Biensûr,laplèbecommençaitàenvahirleslieux–
desaspirantsàlacélébritéquis’entassaientàcinquantedansdesmaisonslouéesaunoir,oùleslits
étaientcolléslesunsauxautrescommedanscessallesdegymdesécolesreconvertiesenhôpitaux
lors d’inondations, d’incendies, de tornades ou autres désastres se produisant loin, bien loin des
Hamptons.
Hélas, ceux-ci attiraient chaque année davantage l’attention des médias. Il y avait eu quantité
d’éditionsspéciales,dedocumentairesetde«révélations»surlesujet,traitantaussibiendeslieuxde
rencontre pour célibataires que des problèmes écologiques. C’était l’une des cibles favorites des
rédacteursflemmardsdespages«société»,quinecessaientdeclamerquelesHamptonsétaientfinis,
queplusriennes’ypassaitd’intéressantetquesaplageétait«défiguréeparlacivilisation».Cequi
n’empêchaitpourtantpaslesstarsmontantesdeHollywood,lesvainqueursdesGrammyAwards,les
vedettesdesitcom,lesagentsderappeurs,lespontesdel’édition,ainsiquelesambitieuxdetoutpoil
d’y jeter l’ancre et d’y passer les trois mois d’été. Après tout, une plage de plus de soixante
kilomètresdelongàquatrepetitesheuresderoutedeManhattan(deuxsivouspreniezlaroute27et
mettiezlagomme,ledimanchesoir,aprèsledîneretLesSopranos)étaituncadeauduciel.
–Tupeuxmelaisserlà,ditElizaàKit.Jedoisretrouvermononcleaumoulin.
–Trèsbien,approuvaKitentrouvantunendroitoùsegarer.
Ilouvritlecoffreetsortitsessacs.
–Onteverracesoir,alors?
–Ouais,biensûr.
–Géant!N’oubliepas...siontedemandequoiquecesoit,tuessurmaliste.Situaslemoindre
souciàl’entrée,passe-moiuncoupdefil,dit-ilenfaisantlegestedetéléphoner.
Ill’embrassasurlajoue.
–Àplus!
–Àplus!répondit-elleavecunsignedelamain.
Elle se dirigea vers l’arrêt où un bus était en train de larguer ses occupants. Une fille
renfrognée,quiessuyaitunetachesurlebasdesonchemisier,sortitduvéhiculeetvints’asseoirà
côtéd’elle.
Eliza la remarqua à peine. Elle était dans sa bulle, uniquement soucieuse de trouver le moyen
d’abandonner son boulot ce soir afin de se rendre à la soirée. Elle ne connaissait pas trop bien les
règlesdumétier,maissilafêtecommençaitàminuit,iln’yavaitpasderaisonpourqu’ellenepuisse
pasyaller,non?Aprèstout,Kevinnefaisaitquerendreserviceàsonpère.Cen’étaitpascommesi
lesPerrys’attendaientréellementàcequ’ellegardeleursenfants.
RyanPerry=Adonis
enbermuda
–Beurk,c’estirrécupérable!selamentaMaraenfaisantunderniereffortpournettoyerlatache.
Dégoûtée, elle balança dans la poubelle le mouchoir en papier, dont la trajectoire décrivit un
parfaitarcdecercle.Etdirequec’étaitsonchemisierdesgrandsjours!Unjolimélangerayonnepolyester acheté chez Marshall, pour lequel elle n’avait pas déboursé moins de trente dollars ! Sûr
qu’iln’étaitplusaussipimpant,maintenantquecepetitmonstredeMuffyavaitfaitpipidessus.
Marajetauncoupd’œilàlaronde,ignorantlespittoresquesboutiquesàl’alluredechaumières
et aux devantures affichant des noms prestigieux. Sur un cottage à façade blanche, on pouvait lire
l’enseigne Tiffany & Co. Sur un autre, Cashmere Hampton. Un spectaculaire assortiment de
Mercedes-Benz,Jaguar,BMWetautresPorscheformaitunelenteparaderonronnanteendirectiondu
centre-villeoù,aucarrefour,sedressaitunimmensemoulinàvent.Maran’avaitjamaisvudeBentley
pourdevrai–etàEastHampton,endeuxminutesàpeine,elleenavaitdéjàrepérédeux.
Touslespassantssedéplaçaientd’unpasnonchalant.Desélégantesavecdescarrésdesoieaux
coloris psychédéliques noués sur la tête portaient des chiens blancs et pelucheux dans des paniers
Hermès. Dans le parc voisin, des hommes dégarnis marchaient bras dessus bras dessous avec des
femmes deux fois plus jeunes qu’eux. Des adolescentes gloussantes vêtues en tout et pour tout de
mini-robes moulantes et de hautes chaussures à semelles compensées se faufilaient entre les
véhicules.
–Vousavezl’heure?demandalafilleassiseàcôtéd’elle.
Mara eut une seconde d’hésitation. Les longs cheveux blonds, l’expression contrariée, la
raquettedetennis...Elleavaitvucettefillequelquepart,maisoù?
–Ilestcinqheuresdix,répliquaMaraendétaillantdiscrètementlatenuedelafille.
Elle regrettait déjà de ne pas avoir songé à se mettre en jupe courte et en tongs. Elle avait
chaussésesbottesdecow-boyencuir,danslevainespoirdefaireboneffet.Latempératuredépassait
lestrentedegrésetelleétaitentraindebouillirsurplace.
Lafillehochalatêteetconsultasonagendaélectronique.
–Jevousdemandepardon...,ditMara.
Lablondehaussalessourcilssansquitterl’écrandesyeux.
–Vousn’étiezpasàlacapitainerie,cematin?
–Non.
–Oh,jesuisdésolée...j’auraisjurévousêtrerentréededans.
–Non,erreursurlapersonne,répliqualablonded’untonsecensedécalantversleboutdubanc
histoired’enfoncerleclou.
–Oh,trèsbien.Désolée,ditMara.
S’ensuivitunsilenceembarrassé.Assisessurlebanc,lesdeuxfilless’ignoraientsoigneusement.
UneAstonMartinVanquishdécapotables’arrêtadevantlebancetaussitôt,ellesseredressèrent
unpeu.Ungrandtypebronzévêtud’untee-shirttrouéportantlelogo«Martha’sVineyard»etd’un
bermudaraccourciensortit,prenantsontemps,ets’engageapiedsnussurletrottoir.Lerêve,quoi.
Lesgarçonscommeluisonttropbienpourmoi,songeaMara.Nonqu’elleencherchâtun–elle
avaitdéjàuncopain,là-bas,chezelle.C’estquoi,déjà,sonnom?Jim.C’estça.
Biensûr,lebeaugossesedirigeadroitverslablonderevêchequis’étaitmontréetellementmal
élevéeuninstantplustôt.Logique.
–RyanPerry!Depuisletemps!gloussa-t-elle.
–Hé!ditRyanensepenchantetenluifaisantrapidementlabise.Ças’estbienpassé,letrajeten
bus?
–Queltrajetenbus?JesuisvenueavecKit,envoiture.
–Super.Commentilva?
–Pasmal.Ilyaunesoirée,aujourd’hui.AuResort,dit-elleenfaisantvolersescheveux,avecun
airsuffisant.
–Ouais,ouais,jesuisaucourant,répliqua-t-ilavecungrandsourire.J’aireçul’invite.
–Jetelaisseraipeut-êtreêtremoncavalier,letaquina-t-elle,sedélectantdesonattention.
Ryan Perry était le genre de type sur qui les filles se pâmaient, et que les mecs considéraient
comme leur meilleur pote. Si sa beauté fatale participait de son charme, elle ne suffisait pas à
l’expliquer:ilavaitcetteprésencesolaire,cecaractèreenjouépropreauxindividusgâtésàlafois
parlanatureetparlavie.Ilportaitsonauradeprivilégiéavecnatureletauraitététoutaussiséduisant
auvolantd’uneFordPintoqu’auvolantd’unePorsche.C’étaitlegenredegarsquisecomportaitbien
avecsespetitesamies,etsurquionpouvaitcompterpourapporterlaplusgrossebouteilledetequila
dansn’importequellesoirée.Biensûr,onpouvaitaussicomptersurluipourlavider.
Mara les regardait flirter sans que cela suscite en elle la moindre jalousie. À ses yeux, ils
venaient quasiment d’une autre planète. Mara s’était toujours sentie « plus ou moins »... « Plus ou
moinsjolie»,«plusoumoinsintelligente»,«plusoumoinspopulaire».Maisriendespécial.Si
bienquelorsqueRyanPerryprononçasonnom,illuifallutlerépétertroisfoistantelleétaitsurprise
d’êtreremarquée–et,afortiori,reconnue.Ellen’étaitpaslaseule.L’autrefillelaregardaitàprésent
avecunintérêtnouveau,nondénuéd’hostilité.
–Mara?MaraWaters?demandaRyan,enluidonnantl’occasiond’admirersesfossettes–une
surchaquejoue...c’étaitplusqueMaranepouvaitendurer!
–Heu...moi?glapit-elle.
–JesuisRyanPerry,dit-ilenluitendantlamain.Monpèreétaitcensévenirvouschercher,mais
illuiafallufaireunecoursepourAnna.Cesonttesbagages?demanda-t-ilensoulevantsonénorme
valiseàroulettes.
–Heu...oui,confirmaMara,croyantmourirdehontetandisquesavalisecliquetaitsurlepavé.
Elle aurait voulu disparaître sous terre lorsque celle-ci se renversa brusquement sur le côté et
quelesmagazinesqu’elleavaitfourrésdanslapocheextérieures’enéchappèrent.Ellesejuraquela
premièrechosequ’elleferait,unefoissapayeencaissée,seraitdedécouvriroùseprocurerl’unde
cesjolispetitssacsentoileàpoignéesquetoutlemondeiciparaissaitarborer.
RyanouvritlaportièreafindelaisserentrerMara.
–Et...vousavezdéjàfaitconnaissance?demandaRyan.
–Oui,réponditMara.
–Non,rectifial’autrefille.
Ryanéclataderire.
–Jevois...Eliza,voiciMara.Mara,voiciEliza.Noussommestousvraimentcontentsquevous
venieztouteslesdeuxtravaillericicetété.Depuisdeuxjours,Annanesaitplusoùdonnerdelatête.
Quittantlaroute,ils’engageasurlechemind’unepropriétéprivée,signaléeparunepancarte.
Surprenantdanslerétroviseurl’expressioninquiètedeMara,Ryanlarassura:
–Oh,nevousinquiétezpas.LesMortonnouslaissentl’utiliserautantqu’onveut.Ilyatellement
d’embouteillagespariciqu’onnepeutallernullepartàmoinsd’emprunterlescheminsprivés.
–Àquiledis-tu!approuvaEliza.
Mara hocha la tête. Mais son esprit restait fixé sur les paroles prononcées par Ryan un instant
plus tôt : « Nous sommes vraiment contents que vous veniez toutes les deux travailler ici... » Ah
ouais ? Visiblement, cette Eliza était beaucoup plus (ou beaucoup moins) intéressante qu’il n’y
paraissait.
Maraestlevilainpetitcanard
deLilyPondLane
Ils longèrent une enfilade ininterrompue de haies de trois mètres de haut – à peine Mara
distinguait-elle le toit des maisons. Ryan roulait au pas sur la route à une seule voie, adressant de
tempsàautreunbonjourouunsignedelamainàdesgroupesmarchantsurleborddelachaussée,
chargés d’équipements de surf ou autres sports nautiques. Certains faisaient du vélo sur des
bicyclettesdemarqueRaleigh,auxsacochesbourréesdecartonsdebeignetsdechezDreesen.Près
d’une voiture sur deux était une décapotable. Eliza passa tout son temps scotchée à son portable,
appelantlesunsetlesautresafindelesinformerdesesprojetspourlasoirée.
– Hé, est-ce que c’était pas... ? demanda Mara, tournant si brusquement la tête qu’elle faillit se
tordrelecou.
–Oui,c’estStevenSpielberg.Ilsontunemaisonàcôtédecheznous,versl’étang.Onlescroise
toujourschezNick&Toni,précisaRyanavecdésinvolture.
Sonpèreavaitsatableattitréedanscerestaurant,l’unedesadressespréféréesdescélébrités.
–Waouh!fitMara,s’efforçantdenepasparaîtretropimpressionnée.J’aivuTomHanks,une
fois,ajouta-t-elle.
–C’estvrai?Oùça?demandaRyan,sincèrementintrigué.
–Àl’aéroport,répondit-ellesuruntonpiteux.Ilasignéunautographeàmasœur.Ellel’avait
poursuivijusquedanslestoilettes.
Ryanéclataderire.
– Tom et Rita venaient tout le temps assister aux fêtes de charité de ta mère, pas vrai, Ryan ?
demandaElizad’unevoixextrêmementlasse,sedétachantquelquesinstantsdesontéléphone.
SesparolesfirentàMaral’effetd’unegifle.
Ilslongèrentd’autreshaies,jusqu’àatteindreunealléeprivéequimontaitenserpentantversune
imposante demeure blanche, ornée d’énormes colonnes grecques. Au bout étaient garés un
monospace Mercedes, une Range Rover, une Corvette décapotable, une Porsche Cayenne et deux
scooters.Tuparlesd’unshowautomobile!
–Nousysommes!lançaRyanenarrêtantlavoituresurl’alléedegravier.
Unelimousineinterminable,dontlesjantestournaientsurelles-mêmesensensinversebienque
levéhiculefûtàl’arrêt,étaitgaréedevantlamaison.
–MonDieu!s’exclamaMara.Regardez-moiça!Quellevoitureridicule!
–C’estuneStretchHummerH2.Letopabsolu,fitremarquerElizad’unevoixagacée.
Unchauffeurquittalesiègeavantetparcourutlesquatrelongueursdevoiturepourallerouvrir
laportière.Enémergeauneinterminablepairedejambesbronzéess’achevantpardespiedschaussés
debottinesenmoutonretourné.
Jacqui Velasco savait, de toute évidence, faire une sortie – ou une entrée, si vous préférez –
remarquée.Ellelaissalesnouveauxvenusprendreactedesaprésence,puisfitvolte-faceet,avecun
déhanchement,sepenchaàl’intérieurdelavoiturepourdireaurevoiràsonbienfaiteur.
–Obrigada,dit-elle,toujoursunpeuchancelanteàcausedesinnombrablescocktailsengloutis
pendantletrajet.
– Non, merci à toi, bellísima, rétorqua Rupert Thorne avec un clin d’œil, l’attirant à lui pour
l’embrasser.
– Méchant garçon ! fit Jacqui en agitant un doigt, tandis que Rupert léchouillait plutôt qu’il
n’embrassaitsonvisage.
–Onseretrouveradanslecoin,undecesquatre,promit-il.
Passijepeuxfaireensortedel’empêcher,seditJacqui,déterminée.Elleseredressa,claquala
portière et se trouva face à Ryan, Eliza et Mara qui l’observaient tous avec des expressions
différentes.Ryanavaitl’airamusé,Maraintimidé,Elizaimpressionné.
–Ellessontd’enfer,tesbottines!ditElizaàJacqui.
Visiblement,songeaMara,çapouvaitpasser,lesbottesenété...
– Merci, répliqua Jacqui avec une pointe d’accent. Elles nous sont arrivées direct d’Australie
l’autrejour.
Puis,souriantàEliza:
–Jem’appelleJacquiVelasco.
– Eliza Thompson. Ça, c’est Ryan Perry, notre employeur, gloussa-t-elle. Et... heu... je me
souviensplusdetonnom...Mary,c’estça?
–Mara,corrigeacelle-cid’unevoixferme.(Ellen’avaitpasl’intentiondeselaisserrudoyerpar
cetteblondinette.)MaraWaters.Enchantéedefairetaconnaissance.
–Tuasfaitcommentpourlesavoir?Tuasdûtemettresurlisted’attenteouuntrucdansce
goût-là?demandaEliza,semettantaudiapasondeJacqui.
Toutesdeuxsedirigèrentversleseuil,sanscesserdeparlerchaussures,leurslunettesdesoleil
identiques portées en serre-tête. Mara, un peu perdue, se demandait si elle devait les suivre et se
sentaitdéjàcomplètementhorsducoup.
Ryansortitducoffresavalisecabosséeetlatenditàunmajordomeenvesteblanche.
–NetelaissepasimpressionnerparEliza,dit-il.Ellepeutêtredésagréable,maiselleaunbon
fond.Ilfautdirequ’elletraverseunepériodedifficile.
Maranevoyaitpascommentunepareilleposeusepouvait«avoirunbonfond»,maissouhaitait
fairebonneimpression.Siseulementellepouvaitnepasrougirchaquefoisqu’illaregardait!
Une gamine grassouillette d’une dizaine d’années surgit d’une porte latérale, les cheveux
bouclésenbataille.Elleportaitunmaillotdebainrosevif,deslunettesdeplongéeetdespalmes.
–Tueslemeilleur!dit-elleenfonçantsurRyan.
–MadisonAvenue!s’exclama-t-ilenlasoulevantdanssesbrasetenlafaisanttournoyer.
–Arrête!Arrête!gloussa-t-elle.Laisse-moidescendre.
Ryanlalibéra.
–Hé,disbonjouràMara.Mara,voicimapetitesœurMadison.
Madisonseprécipitaàl’intérieur,etRyanetMarasuivirent.
– Au fait, fit remarquer Ryan en lui tenant la porte. Moi aussi, j’ai trouvé cette limousine
ridicule.
Maraneputs’empêcherdesourire,mêmeaprèsqu’ileutdisparu.
Commentviventlesgens
quibrûlentdesbillets
debanquepourseréchauffer
–Hé!BienvenueaumanoirdeCreekHead!
Une grosse femme mal fagotée, portant un sweat-shirt rose et un portable autour du cou, leur
adressaungrandsourirelorsqu’ellesentrèrentdanslamaison.
–JesuisLaurie,l’assistantepersonnelled’Anna.Ellen’estpasencorerentréedesaséancede
méditation,etm’aparconséquentchargéedevousaccueilliretdevousfairevisiterlamaison.
Ellepoussaunpetitcriàlavuedeleurschaussures.
–Jesuisdésolée,maisjevaisdevoirvousprierderetirervossouliersavantd’entrer.Leparquet
enzebranon’atoujourspasétéhuilé.
Laurie expliqua fièrement qu’Anna avait fait venir un artisan d’Amérique du Sud, afin qu’il
travailleavecI.J.PeiserandSonssurlaconceptiondesessols.ÀencroireLaurie,ilsfaisaientles
planchersdetoutlemonde–bienqueMaracrûtcomprendrequece«toutlemonde»désignaitdes
gensquin’avaientriendecommunavecaucunepersonnedesaconnaissance.
Elizaronchonna,Jacquiéclataderire,etMararougitàl’idéederetirersesbottesdecow-boy–
unedeseschaussettesgrisesavaitunénormetrouauniveaudesorteils.Lauriecontinuaitàcaqueter
tandis que, sur la pointe des pieds, elles rasaient les murs du vaste salon. L’un de ses côtés était
constituéd’uneimmensebaievitréequicourait,dusolauplafond,surtoutelalongueurdelamaison.
–Ça,jenem’enlassejamais!s’extasia-t-elle.
Elleappuyasurunboutondanslemur,etlesrideauxautomatiquess’écartèrent,révélantunevue
panoramique de la côte atlantique. Les vagues battaient délicatement le rivage et des mouettes se
dandinaientlelongdelaplage.
–Onleuramisdupainempoisonnépouressayerdes’endébarrasser,maisçanemarchepas,
soupiraLaurie.Chhh...Allez-vous-en!
Maraécarquillaitlesyeux–lavueétaitàtomberparterre.Elizas’absorbadansl’observationde
ses cuticules – elle était déjà venue en tant qu’invitée, et l’ancienne demeure de ses parents offrait
quasimentlamêmevue(enmieux,àvraidire,vuquelesvoisinslesplusproches,uncélèbreacteur
de Hollywood et sa starlette d’épouse, adoraient prendre des bains de soleil nus sur la terrasse).
Jacquibâillait–toutça,c’étaitdelagnognottecomparéauxplagesdoréesd’AngradosReis,surla
Costa Verde. Aucune ne se risqua à faire le moindre commentaire sur le plan d’extermination des
mouettes.
Dans la maison régnait un parfum agréable, quoiqu’un peu étouffant. Partout, on voyait
d’énormesbrasséesdefleursfraîches,enbouquetssavammentcomposés.Surlatablebasseenverre
sculpté, de luxuriantes roses couleur pêche jaillissaient d’une carafe en cristal. Les dessertes
regorgeaient de roses trémières, d’iris et de lys calla. Dans l’entrée, un gigantesque vase Ming
contenaitunemagnifiquegerbedetournesolsjaunevif,hautsdedeuxmètres.
LeportabledeLauriefitentendreunesonnerieperçante.
–IciLaurie.SalutAnna.Oui,ellessontbienarrivées.Non,jen’aipasencorevud’invitationde
CalvinKlein.Oh,OK.Jevaisessayer.
Elleraccrochaet,s’adressantauxjeunesfillesaupair:
–Annavousditbonjour.
Ellelesconduisitdanslacuisine,unepiècespacieuseetlumineuse,oùlesboiseriesrustiqueset
lesplansdetravailenmarbredissimulaienttoutl’électroménager.Laurieexpliquad’unevoixexaltée
que les meubles avaient été fabriqués avec le plancher récupéré dans un château français du
XVIIIe siècle. Afin de ne pas trahir cette ligne esthétique, le réfrigérateur, le congélateur et le lavevaisselleavaientétéencastrésetcamouflésdanscesmêmesboiseries.Oh,monDieu!Maradevaitse
faireviolencepournepass’extasieràvoixhaute.
La cuisine donnait sur une imposante salle à manger où une trentaine de personnes pouvait
facilement tenir. Un énorme lustre pendait du plafond extrêmement haut. À côté, se trouvaient une
secondesalleàmangerdestinéeauxrepasdetouslesjours,etunepiècedestinéeauxpetitsdéjeuners,
avecunpetitcoindouillet.Lerez-de-chausséecomportaitaussiunbassinintérieur,unesalledeyoga
etunesalledegymentièrementéquipée.Danslasalledebillard,lacollectiondelivresrépliquait,au
volume près, la bibliothèque du roi George – sans exclure une première édition de Shakespeare,
conservée dans une vitrine fermée à clé. Laurie en caressa le verre comme s’il s’agissait de son
trésoràelle.
Commeellesgagnaientlaportesituéeàl’arrièredubâtiment,ellescroisèrentRyanqui,unlivre
souslebras,grimpaitlesescaliers.
– Comment trouvez-vous la rénovation de la maison ? demanda-t-il. Par rapport à l’année
dernière,c’estlejouretlanuit,précisa-t-il,nonsansmélancolie.
–C’esttrèsjoli,réponditpolimentMara.
Ryanfitunclind’œil.
–Laurie,n’oubliezpasdeleurtoucherunmotausujetdumiroirdelasalledebains.C’estla
répliqueexactedeceluideMarie-Antoinette,dit-il,nonsansironie.
Les filles caressèrent les plus folles attentes quand Laurie leur apprit que la demeure abritait
plusieurschambresd’amis.Enfin,onpassaitauxchosessérieuses...Elizaespéraitqu’elleretrouverait
lachambrequ’elleavaiteuel’étéprécédent,quandlamaisondesesparentsavaitétédésinfectéepar
fumigation. Mais l’assistante à l’étonnante gaieté les fit sortir, les conduisit jusqu’au logis des
domestiques(unpetitcottagebienentretenusituéàcinqbonnesminutesdelademeureprincipale)et
lesabandonnadansunepièceexiguë,souslescombles.
Lecontrasten’auraitpuêtreplussaisissant.Lemobilierconsistaitendeuxlitssuperposés,unlit
uneplace,deuxcommodes,unfauteuiluséjusqu’àlacorde.Danslasalledebains,uneampoulenue
pendaitauplafond.
Unearaignéecourutsurletapiscrasseux,uniqueoccupanteàlesaccueillirdansleurnouveau
foyer.
Nevousinquiétezpas,lesfilles,
c’estuntravaild’équipe!
–Plusdedeuxmillemètrescarrés,etfautqu’onsepartageuneseulefichuechambreàtrois?
grommelaitEliza,enfumantàlaminusculefenêtredelamansarde.
Mara défaisait sa valise en silence. Vu qu’Eliza s’était attribué le lit une place et Jacqui la
couchettedudessus,ilneluirestaitplusquelecauchemardesclaustrophobes:lelitdudessous.Mais
ellen’étaitpasd’humeuràseplaindre.Elleétaitsidéréeparl’immensitédudomaine–prèsdecinq
hectares,avaitpréciséLauriedansunmurmure.Maran’auraitjamaispenséquedespersonnesréelles
vivaient ainsi, et que les salles de bains en marbre qui faisaient la taille de sa maison se trouvaient
ailleurs que dans des épisodes de Sagas ou de Combien ça coûte ?. Autant qu’elle sache, les Perry
n’étaientpascélèbres,cequin’empêchaitpasqu’ilssoientpleinsauxas.
–Qu’est-cequ’onpeutyfaire?ditJacquienhaussantlesépaules.Onnenousdemandepasnotre
avis.
Elleempruntalacigaretted’Elizapourallumerlasienne.
–Çavousdérangerait,denepasfumerdanslachambre?demandaMara,agitantlesmainsen
signedemécontentement.
Pourtouteréponse,Elizafitunronddefumée.
Enentendantfrapperàlaporte,lesdeuxfillesécrasèrentleurscigarettessurlasemelledeleur
chaussure.Puis,dupied,Elizalespoussasouslelit.
–Entrez!s’écria-t-ellegaiement.
Unedomestiquevêtued’ununiformeblancetnoirglissalatêtedanslapièce.
–MmePerrysouhaitevousvoir.Suivez-moi,jevousprie.
Toutes trois furent conduites dans le jardin du manoir, une stupéfiante étendue de verdure
entourant une piscine à débordement aux dimensions olympiques, dont l’eau ruisselait en cascade
dansunjacuzziàlasurfacebouillonnante.Mararepéra,auloin,deuxcourtsdetennis,unterrainde
golfetunterraindebasket.Danssafamille,àSturbridge,lejardinconsistaitenunepetiteparcelle
terreuse,délimitée,detouslescôtés,pardugrillagedebasse-cour.Plusieurschaisesypourrissaient
pouravoirpassétropd’hiversàl’extérieur,etunvieuxbarbecuetraînaitsousunérableagonisant.
Dans le patio, plusieurs gamins se poursuivaient avec des pistolets à eau géants, tandis qu’un
petitgarçonportantdesbrassardsdebaincouraitentrelesjambesdetoutlemondeenpoussantdes
cris.Aumilieudetoutecetteagitation,setenaituneblondemince,lisseetpimpantedanssonmaillot
doréetsesmulesàtalonsaiguilles.
–Cody!Cessecevacarme!Çasuffit!Lâchemajambe...Jetedisdelâchermajambe!
D’un geste brusque, elle retira les minuscules mains du bambin de sa jambe bronzée pas plus
épaissequ’uneailedepoulet.
–Pouah!fitlafemme,avecunegrimacededégoût.
Lorsqu’elle se redressa, elle se retrouva nez à nez avec un garçon de neuf ans brandissant un
pistoletàeau.
–Lesmainsenl’air!glapitlegosse.
–William!Sij’étaistoi,jenem’aviseraispasde...,lança-t-elled’untonmenaçant.
Vainemiseengarde.Ilappuyasurladétente,luienvoyantsurlatêteunpuissantjetd’eau.
–MONDIEU!Tun’aspaspristesmédicaments,ouquoi?REGARDEUNPEUCEQUETU
ASFAIT!hurla-t-elleenlesaisissantparsesfrêlesépaulesetenlesecouantcommeunprunier.
Ilsemitàbrailler.
–OK,OK,c’estbon.Jesuisdésolée.Allez,file!conclut-elleenluifaisantsignededécamper.
Elleseretournaverslestroisadolescentes,balayantd’ungestedelamainsafrangetrempée.
–JesuisAnnaPerry.Jevouspriedem’excuserpourtoutcedésordre,dit-elleavechauteur.
Elle serra mollement les mains de Mara puis de Jacqui mais, lorsqu’elle se tourna vers Eliza,
sonexpressions’adoucit.
–Oh,Eliza,machérie!Tuesbienarrivée.Formidable!s’exclama-t-elle,tendantsajoueàEliza
pourquecelle-ciluifasselabise.Commentvatamère?Tulasaluerasdemapart.Elleareçules
livresquejeluiaienvoyés?
Elizaserralesdentsetsourit.
–Oui,Anna,ilssontbienarrivés.
Croyant rendre service, Anna avait expédié à la mère d’Eliza plusieurs ouvrages de la série
«Guidespourlesnuls»...(J’apprendsàconnaîtrelesvins,Jegèrelesdépensesdufoyer,Jetrouvedu
boulotaprèscinquanteans,etc.)Surlacartejointe,elleavaitécrit:«Àprésentquetun’asplusde
domestiques,voilàquipourrat’aider,j’espère,àt’adapteràtanouvelleexistence.»
– Je suis tellement contente que vous soyez toutes là. J’étais un peu inquiète, à cause des
embouteillages.Enfin...commevouslesavez,monmari,Kevin,vousaengagées.Oh,Dieumerci,le
voilàquiarrive.
Tournant la tête, les filles virent s’avancer vers elles un homme chauve et robuste, vêtu d’un
bermudaetd’unechemisehawaïenneparfaitementrepassée.
–Kevin,tun’aspasoubliéd’envoyerlabouteilledepetrusànotrehôtessepourlaremercierde
sasoirée?OK,parfait.Tuaspayécombien?
Illeluidit.Ellefitlagrimace.Çaleurcoûtaitlapeaudesfessesd’entrerdanslesbonnesgrâces
desgrandesdamesdesHamptons,maisAnnaétaitbiendécidéeàcoprésiderlacollectedefondsau
profitdelarecherchecontrelecancerdesovaires,lemoisprochain.
–KevinPerry,dit-il.
Ilserrachaleureusementchacunedesmainsqu’onluitendait,ens’attardantunesecondedetrop
surcelledeJacqui.Classique,songeacelle-ci.Quisait,çapourras’avérerutile.
–Commentvatonpère?demanda-t-ilàEliza.
–Toujourspareil,répondit-elleenhaussantlesépaules.
–Pourquoinepasnousasseoirici?proposa-t-ilendésignantlatablerondedupatio.
Annalesuivitenvacillantsursestalons,etmanquadeglissersurlecarrelagemouillé.Lesfilles
s’assirent.Mararemarquaitquel’onavaitfaittournertouteslesvisdelavérandaenteckdefaçonque
lesrainuresdeleurstêtesformentunangledroitaveclesplanches.LesPerryattendaient-ilslemême
degrédeperfectiondetoutcequilesentourait?
–NoustenonsàvousaccueillircommeilsedoitdanslesHamptons,commençaAnnad’unton
sec.Commevouspouvezl’imaginer,nousallonsavoirunesoiréetrèschargée.Jemesuisditqu’il
seraitbondefaireunpetitbarbecuepourlesenfants,vuquenoussommesle4Juillet.D’habitude,
nousorganisonsquelquechosedeplusélaboré,maiscommeplustardnoussommesinvitéschezles
Perelman...
Elles’interrompituninstant,pourlaisserlenomfairesoneffet...héoui,ilsfréquentaientRon
Perelman!LepatrondeRevlon,mariéavecEllenBarkin–letopdutopdugratindesHamptons!
Malheureusement,niMaraniJacquin’avaientjamaisentenduparlerdelui.QuantàEliza,elles’en
souciaitcommed’uneguigne.Perelmann’avaitpasdegossesdesonâge.
– Par conséquent, ce soir, on va faire simple, gloussa Anna. Pas question de mettre les petits
platsdanslesgrands.Quelqueshamburgers,ouquelqueshot-dogs.Qu’est-cequevousenpensez?
–Oh,c’estparfait,approuvaKevin.
–Onaungrillà-derrière.Onpourraitaussifairerôtirduthon,non?Ilyaunesaladed’avocats
danslefrigo,quiiraittrèsbienavec.Maislethonn’estpeut-êtrepasassezpatriotique?demanda-telleavecunpetitrire.
–Lethonmesembleunebonneidée,hasardaEliza.
– C’est de l’albacore du Pacifique. Il vient d’arriver par avion de Hawaii, précisa Anna. Un
délice!Onpourraleserviravecunpeudesaucemirin?Commel’annéedernière?
Pourfêterle4Juilletdel’annéeprécédente,lesPerryavaient organisé, sur leur plage privée,
unegrandesoiréeavecbuffetetserveursenlivrée.Elizaserappelaitl’exquispavédethonservisur
desassiettesenargent.
–Trèsbien,ditElizaavecunhaussementd’épaules.Avecunpetitvinblanc,peut-être?
– Le menu idéal ! Sauf que les enfants ne pourront bien sûr pas boire d’alcool. Et ce sera
tellement plus intime ! dit Anna en souriant sans laisser voir ses dents. Le dîner aura lieu à sept
heures,vuquelespetitsn’ontpasledroitdemangeraprèslecoucherdusoleil.
–S’ilteplaît,machérie,onpeutenrevenirànosmoutons?demandaKevin
–Biensûr,biensûr,réponditAnna.
– Nous tenons à souligner qu’il s’agit d’une collaboration. Vous faites désormais partie de la
famille.Appelez-nousAnnaetKevin,jevousprie,dit-il.Nousvoudrionsquecesoitl’occasion,pour
nosenfants,depasserunétéformidable.Jecroisqu’onvatousbiens’amuser,pasvrai?conclut-ilen
faisantunclind’œilàJacqui.
–Maiscelanenousempêchepasd’avoirdesobjectifs,continuaAnna.Pourcommencer,ilya
William.Onadiagnostiquéchezluiuntroubled’hyperactivitéavecdéficitd’attention.Ilnetientpas
unesecondeenplaceetoublieconstammentdeprendresesmédicaments.Cetété,ildoitàtoutprixse
calmer. Il faut qu’il apprenne à se tenir tranquille ou bien, à l’automne, ils ne le reprendront pas à
Saint-Bernard.
Elleleurpassalalistedesmédicamentsàluifaireprendrequotidiennement.
Marafixaitlaprescription,éberluée.Neufans,etdéjàdrogué?
Eliza n’était nullement déconcertée. Certes, le traitement de William était plus lourd et plus
compliqué que celui que son père prenait tous les jours pour le cœur, mais c’était ça de nos jours,
d’être parents... Et, sur cette pensée, son regard se perdit dans le vague. Qu’est-ce que je vais me
mettrepourlafêtedecesoir?
Jacqui s’impatientait. Quand pourrait-elle enfin partir à la recherche de Luca ? Quand cette
sauterelleblondeva-t-elledonccesserdejacasser?
– Ensuite, Madison doit perdre du poids. À mon avis, elle a sept kilos à perdre. Les gosses
peuventêtresicruels,etjerefusequemafillesoit«lagrossevache».
Elle ne fit pas le signe d’ouvrir et de fermer les guillemets avec ses doigts, mais tous les
perçurenttrèsnettement.
–J’aicommencéàluifairesuivreunrégimeàhuitcentscalories,poursuivit-elleenleurtendant
undépliantdétailléavecinformationsnutritionnellesetnombredecaloriespouruneportiondonnée.
J’aimerais vraiment mieux qu’elle ne mange que des aliments crus. Cela a réellement amélioré ma
digestion,etc’esttrèssain,commemanièredevivre.
Elle tendit soudain le cou, comme un chien sur la piste d’une mauvaise odeur, et hurla, en
directiondelapiscine:
–MADISON!Posecebiscuit.Pose-leimmédiatement!Tuveuxêtreunegrossevachetouteta
vie,ouquoi?
Desalimentscrus?serépétaitMara.C’estquoi,cedélire?
LedosnuChristianDior?rêvassaitEliza.OuledébardeurGucci?
J’aisoif,donnez-moidel’eau,songeaitJacqui,haletante.Toutcewhiskybudanslavoiturelui
donnaitunegueuledeboisprématurée.
–ZoëasixansetelleentreenCPàl’automne.Jetiensàcequ’elleapprenneàlirecetété.Onl’a
envoyée dans les meilleurs jardins d’enfants et pré-jardins d’enfants, et elle ne sait toujours pas
l’alphabet.C’estterriblementgênant,fitremarquerAnnaensecouantlatête.
Sixans.Elleapprendàlire.Pigé,songeaMara.
OubienlaminijupeDolce&Gabbana,sedemandaEliza.
Jacquiétaitàdeuxdoigtsdetournerdel’œil,tantelleavaitsoif.Elleagrippalesbordsdeson
siègepournepaschanceler.
–QuantaupetitCody...,repritAnna,avecuneexpressionadoucie,ilfautqu’ilsurmontesapeur
del’eau.Toutdemême,noussommesdanslesHamptons...etilrefusedes’approcherdelapiscine!
Quoi d’autre ? Ah oui, le règlement intérieur. Le couvre-feu est à minuit. Idem pour les jumelles.
Vous avez fait la connaissance de Ryan. Vous pouvez vous servir de n’importe quelle voiture
disponibleetvousenaurezbesoin,pourallerenvilleetaccompagnerMadisonetZoëàleurscours
de danse classique et de yoga, et pour conduire William chez ses trois psychothérapeutes. Tous les
dimanches,nousferonslepointdesprogrèsdelasemaine.Vousserezpayéesentroisfois,etvous
recevrez le premier règlement d’ici quelques semaines. À part ça, nous n’avons pas vraiment
beaucoupderèglesici.
Ehbien,c’estbonàsavoir,sedisaitMara.
Dieumerci,songeaitEliza.
Del’eau!pensaitJacqui.
–Pourfinir,jetiensabsolumentàcequevouspassieztoutestroisunmerveilleuxétéennotre
compagnie.Commenousl’avonsditdansl’annonce,ceseraleplusbelétédevotrevie!Prenezle
tempsdevousinstaller.Onseretrouveplustard,pourlebarbecue?
–Çavaêtresuper,ditMara.
–Onseralà,assuraElizaàl’attentiond’Anna.
Thongrillé,saladed’avocats?Elleenavaitdéjàl’eauàlabouche.Jacqui,elle,acquiesçasans
unmot.
–Ciao,ditAnna,enagitantlamain.
Onlescongédiait,detouteévidence.
–Heu...machérie?demandaKevinPerry.
–Oui?
–Tunepensespasqu’ilseraitbondeleurprésenterlesenfants?
Iln’yapasdefumée
sansfeu
–Alors,commentvoustrouvezlamèrePerry?demandaElizalorsqu’elleseurentregagnéleur
chambre.
– Problema. Des femmes comme ça, j’en vois des tas dans mon magasin. Meu deus ! Jamais
satisfaites.
–Commentas-tuconnulesPerry?demandaMaraàEliza.
–C’estunelonguehistoire.
Elizahaussalesépaules.Qu’est-cequeçapouvaitbienleurfaire?
–MonpèreétaitavecKevinàl’université.Ilaappelépoursavoirsij’étaisdisponiblecetété.Si
j’aiaccepté,c’estjustepourrendreservice.Jeconnaiscesgosses.Devéritablespetitespestes.Sij’ai
unconseilàvousdonner,c’estdenepaslesapprocher.
Pascommode,songeaMara,vuqu’onaétéembauchéespourveillersureux.
–QuantàAnna,c’estunevraiesorcière.C’estlasecondeépousedeKevin.Cody–celuiquia
troisans–estleseulenfantquisoitd’elle.LesautressontceuxdeBrigitte.Elleétaitfolle.Annaétait
l’assistante personnelle de Kevin. Et sa maîtresse depuis des années, expliqua Eliza en se regardant
danslemiroir.
Débardeurblanc,minijupeàsequins,sandalesblanchesavecrubansmontantjusqu’àmi-mollet.
Oui,ceseraitparfaitpourcesoir.Jacquienfilaunjeantaillebasseetuntopmoulant.Maraquittason
chemisierpuantpourpasseruntee-shirt,unshortetdestennis.
Secondeépouse.Beaux-enfants.Assistantespersonnelles.Maîtresses.C’enétaittroppourMara.
Que venait-elle faire dans ce soap de douzième zone ? Elle était encore en train de se demander
commentelleparviendraitànepasdépasserles37,5°C,enchauffantlesalimentsdeMadison«pour
enconserverlespropriétésessentielles».
Au coucher du soleil, toutes trois se dirigèrent vers la piscine, où une forte odeur d’essence
flottaitdansl’air.Prèsdubarbecuefumant,étaiententassésdessteakshachésdansleuremballage,des
petitspainsausésame,etdequoifairedeshot-dogs.Nevoyantpersonnedanslesenvirons,lestrois
filles se mirent à table – laquelle avait été dressée pour le dîner : nappe en lin blanc, couverts en
argentmassif,assiettesenporcelaine...
–Elleapourtantbienditseptheures?demandaEliza.
–Oui,confirmaMara,nonsansinquiétude.
Quelquechosenetournaitpasrond.Jacquiseleva.
–Ilestoù,levin,àvotreavis?
Elle farfouilla dans la glacière qu’elle trouva à côté des bougies à la citronnelle en pots.
Soudain,lesquatregossessurgirentdansl’encadrementdelaportevitrée,réclamantlanourritureà
grandscris:
–Çasentbizarre,fitremarquerWilliamenremuantlenezdevantlebarbecuefumant.
–Ilyaquelquechosequibrûle?demandaMadison.
–J’aifaim!ditZoë.
–Moiaussi,rétorquaEliza.
Quesepassait-ildonc?Oùétaitlanourriture?
–Camillemefaisaittoujoursundoublecheeseburger,ditMadison.Avecdestasd’oignonsetde
cornichons.
–Quic’est,Camille?demandaMara.
–Elleétaitlàilyatroisjours,réponditMadisonentriturantsaserviettedetable.Maiselleafait
unebêtiseetelleaétéobligéedepartir.
C’est alors qu’Anna s’avança nonchalamment, en fredonnant un air. Elle portait un paréo pardessussonbikinietuneorchidéeplantéedanssachevelure(pasencoretotalementremisedel’attaque
àpistoletàeaudeWilliam).
–L’invitationdit«PagnesetVahinés»gloussa-t-elle,enentrantdanslepatio.N’est-cepasque
c’estamusant?J’aicommandécettetenueàMichaelKorstoutspécialement.
Kevinlasuivait,vêtud’unsmokingclassiquepar-dessussachemisehawaïenne.
–Alors,toutlemondeestcontent?demandaAnna.
–Non!grommelaWilliam.Iln’yarienàmanger!
–Onafaim!pleurnichaMadison.
–Commentça?ditAnna,s’avançantpourvoirceladeplusprès,ettrouvantlestroisfillesau
pairassisesdevantdesassiettesvides.
–Commentsefait-ilqueriennesoitencoreprêt?Jemesouvienspourtantbienvousavoirdit
qu’onfaisaitunbarbecuecesoir.
–Oh!s’exclamaMara.
Elless’étaientfiguréêtreinvitéesaubarbecue.Aucuned’entreellesn’avaitsaisiqu’ellesétaient
censéeslepréparer.
–Vousnousaviezditd’êtreiciàseptheures,ditElizad’unevoixfaible.
La prise de conscience du malentendu s’accompagna d’un silence glacial. Anna fronça les
sourcils.
–Heu...Ehbien...Kevinetmoidevonsdetoutefaçonnousrendreànotresoiréedansquelques
minutes,çanechangedoncpasgrand-chose.Après,vouspourrezlesemmenersurMainBeach,pour
yadmirerlesfeuxd’artifice.
– Pas de problème. On s’y met tout de suite, dit Mara en se plantant près du barbecue et en
tendantunespatuleàJacqui.
– Et n’oubliez pas le thon, pour Madison, leur rappela Anna en quittant le patio avec force
claquementsdetalonssansmêmeavoirditbonsoirauxenfants.
–Maman!Maman!Jeveuxmamaman!criaCody,quandelleeutdisparu.
–Chut...chut...,fitMarad’unevoixapaisante.Maraestlà.
MaisCodycontinuaàhurler.
–Onn’estpasdanslam...,commençaEliza,avantdeseraviser,tandisquedelagraissegiclait
sursajupeetqueJacquilaissaitbrûlerunsecondsteakhaché.
Mara chercha le thon des yeux. Elle se demandait s’il était bien prudent de le servir cru à
Madison.Lepoissonn’avait-ilpasbesoind’êtrecuit?Maradécidadenepasytoucher.Avecunpeu
dechance,Annaneverraitpasqu’elleavaitenfreint,dèslepremiersoir,larègledesalimentscrus.Il
luifaudraitsesouvenirdedemanderàMadisonquiétaitCamille,etpourquelleraisonelleavaitété
renvoyée.
–Ilsn’ontpasdecuisinier?demandaMara.
Elleavaitremarquéunetellequantitédedomestiques.
–Oh,si.Unchef.Maisilnecuisinepaspourlesgosses,àcequ’ilsemblerait.C’estsansdoute
tropbaspourlui.
Eliza haussa les épaules. Le personnel tatillon, elle connaissait. Laurent, leur ancien cuisinier
français,refusaitdepréparerautrechosequedelagastronomie.Ilpiquaitdescriseschaquefoisque
sonpèreluidemandaitunsteakcuitàpoint.Samèreavaitfiniparleremplacerparquelqu’undeplus
accommodant.
–Hé,vousn’avezpasvuleresteduthon?demandaEliza.
–Ilyajustecemorceaurikiki,ditMara.
Jacquihaussalesépaules.Elleavaittrouvéunpackdebièressouslescannettesdesoda,ets’en
étaitouvertune.
–Unebièreallégée?proposa-t-elleauxautres.
Eliza secoua la tête. Elle défit frénétiquement les emballages de tous les paquets, mais tous
contenaientdelaviandehachée.Pasdethon.Detouteévidence,Annan’avaitpasvouludonnerdes
perlesauxpourceaux...
Ellepritsoudainconsciencedesaconditionréelle:onl’avaitinstalléedanslegrenier,nondans
unechambred’amis.Onluidonnaitdeshamburgersàmanger,nondespavésdethon.Ellen’étaitpas
chez les Perry en tant qu’invitée. Eliza Thompson, ancienne coqueluche des Hamptons, n’était plus
qu’uneemployéedemaison.
MainBeach:
pourEliza,pasquestion
deselaisserabattre
LaplageétaitaussipeupléequeCentralParkunsoirdeconcertgratuit.Lefeud’artificeavait
commencé et, alors que les fusées s’élevaient en sifflant vers le ciel, les accords de la Cinquième
Symphonie de Beethoven jaillissaient des haut-parleurs installés pour la circonstance. Des piqueniqueurs raffinés assis sur des nappes à carreaux faisaient sauter les bouchons de champagne, se
délectaient de homards d’un kilo et demi, et prenaient et envoyaient des photos avec leur portable,
afin d’indiquer aux derniers arrivants où ils se trouvaient. Nul ne leva les yeux vers elles. Tous
avaientmieuxàfaire:sautillersurlescouverturespoursefairechaleureusementlabise,etéchanger
dediscretscoupsd’œilsurleursmodèlesrespectifsdesacsMurakamiàmotiffloral.
Grâce à l’opiniâtreté d’Eliza, les trois filles au pair s’assurèrent une position de tout premier
choixausommetdelacolline.Aprèsavoirtrouvécetteplace–delatailled’untimbre-posteetsituée
entredeuxcouverturesensoiejacquardrigoureusementidentiques–Elizafitensorted’étendreleur
territoire:ellelaissaCodybrailleràpleinspoumons,tandisquelesfuséesexplosaient.Riendetel
qu’unbambinirritablepourpousserlescélibatairesnombrilistesdesHamptonsàdégagerlavoie.
Marasurprenait,malgréelle,desbribesdeconversation.
–Commentsontlesraviolisàlatruffenoire?demandaunefemmeàsesinvitésenleurtendant
des assiettes en porcelaine remplies de pâtes fermes et brillantes, noyées sous une béchamel
crémeuse.
–Exquis.Etlacervelledecanutestdivineavecleriesling.
–Quelqu’unaapportélesjumellesdethéâtre?s’enquitunautreentendantlamain.
Ellen’avaitjamaisvupersonnepique-niquerainsi.Chezelle,lespique-niquesétaientconstitués
d’un ou deux sandwichs, d’un sachet de chips et d’une bouteille de soda. Et non de quatre plats
accompagnés de quatre vins différents. S’arrachant à la contemplation du festin d’à côté, elle se
retournaverssonpropregroupe.
–Madison,oùas-tutrouvécettebarrechocolatée?
Madisonlevalesyeux,l’aircoupable,etfourralatotalitédelabarrechocolatéedanssabouche.
Marasecoualatête.Ilfaudraitqu’elletrouveoùlagamineplanquaitsacame,oùc’enétaitfinipour
elles.Ellecomptarapidementlesenfants.Un,deux,trois...Paspossible!
–William!Eliza,Jacqui,est-cequevousavezvuWilliam?
Toutesdeuxhaussèrentlesépaules.
–Vousdeux,restezici.Jevaisessayerdeleretrouver,ditMaraensentantlapaniquel’envahir.
Ellearpentasoigneusementlesalentours,appelantl’enfantd’unevoixaussidoucequepossible.
– William ? murmurait-elle. William ? Où es-tu ?... Désolée, désolée, ajouta-t-elle en
contournant,surlapointedespieds,ungroupebruyantdetypesBCBG,vêtusdetreillisetdesandales
desportassorties,quitiraientsurleurscigaresetacclamaientlesprouessespyrotechniques.
– Pas de problème ! Pourquoi ne pas vous joindre à nous ? proposa l’un d’entre eux en lui
offrantungobeletenplastiqueremplidechampagne.
–Nonmerci,réponditMaraensecouantlatête.Àvraidire,jechercheunpetitgarçon.
– Il y a que des grands garçons ici, reprit le type avec un clin d’œil. Allez, restez un petit
moment.
Ilavaitdanslesvingt-deuxans,lesjouesrouges,etneparaissaitpasunmauvaisbougre.Mais
Mara ne s’intéressait pas aux garçons plus âgés (et encore moins aux garçons plus âgés aussi
immaturesquedesados).
–Jenepeuxvraimentpas.Jetravaille.
–Ahoui,vousfaitesquoi?
–Jesuisfilleaupair.
Àpeineeut-elleprononcécesmotsqu’ilchangead’attitude.Illadétailladepiedencap.
– Dans ce cas, vous n’avez aucune raison de refuser de nous tenir compagnie. Ce n’est pas
commesivousaviezunvraiboulot,pasvrai?
Marapivotasursestalonssanssedonnerlapeinederépondre,affreusementblessée.
–William!!!hurlaMara,aucombledel’irritation,necraignantguèredecauserunesclandre.
L’hyperactif de neuf ans finit par reparaître, en faisant des bruits d’avion et en poussant des
braillementschaquefoisqu’unefuséeexplosait.
– Ne refais jamais ça, tu m’entends ! gronda Mara. Tu ne peux pas filer comme ça ! C’est
dangereux!
– TU N’AS PAS À ME DIRE CE QUE JE DOIS FAIRE ! cria William. TU N’ES PAS MA
MAMAN!
–Jesaisquejenesuispastamère,maisjetravaillepourtamère.
–Non.TutravaillespourANNA!éructaWilliam.
Unefoisderetourparmilesautres,Mararépétacequeluiavaitditl’étudiantpropresurlui.
–Quandj’aidit«filleaupair»,c’estcommesij’avaisditquejefaisaisletapin.
Elizalevalesyeuxauciel.Elleauraitdûlamettreengardecontrel’usagedel’expression«au
pair».
–Laplupartdecesjeunesloupsdelafinancequitraînenticisefigurentquelesfillesaupair
sontdescoupsfacilesquin’ontrien,oupasgrand-chose,àfaire.Évite-lescommelapeste:ilslouent
desmaisonsenpréfabriquéàWestHamptonetneméritentpasqu’onleuraccordelemoindreintérêt,
luiconseillaEliza.
Madisonsortitdesapocheunepochetteenplastiquepleined’oursonsgélifiés.Ellefonçadansla
brècheouverteparsonfrère.
–Lesautresfillesaupairétaientbeaucoupplusgentilles.
–Uneseconde!répliquaMara.Quellesfillesaupair?
Zoëajoutasongraindesel:
– Camille, Tara et Astrid. Elles s’occupaient de nous parce que Nounou est retournée en
Angleterrecetété.
–Qu’est-cequileurestarrivé?demandaEliza,n’ytenantplusdecuriosité.
–Ellesontétérenvoyées,réponditWilliamd’unevoixjoyeuse.C’étaitmarrant.
Serrantsesgenouxcontrelui,ilserappelaleslalomdelaPorscheCayennedanslesruesd’East
Hampton, le coup de frein brutal devant l’arrêt de bus et les gros mots proférés par sa mère
lorsqu’elleavaitjetéleursbagagesparlaportière.
–Renvoyées?demandaMaraavecunpincementaucœur.
Unetelleéventualiténeluiavaitmêmepastraversél’esprit.Sicelaseproduisait,ellepourrait
direadieuàlafac–fauted’avoirdequoipayersesdroitsd’inscription.
Renvoyées?songeaEliza.Sûrqueçacompliqueraitlasituation.Elleétaitcenséepassertoutl’été
ici.Pourvuqu’onnelaréexpédiepasdeforceàBuffalo!QuantàJacqui,ellenesesouciaitguère
d’êtrerenvoyée.Ilfaudraitjustequecesoitaprèsqu’elleeuttrouvéLuca.
–Ellesmemanquent,ditZoë.Taraavaitpromisdemefairedestressesaujourd’hui.
–Maisqu’avaient-ellesdonc...?
Mara n’avait pas eu le temps de finir sa phrase qu’un pétard particulièrement assourdissant
explosa,etqueCodyseremitàbrailler.
–Oh,monDieu,tuneveuxpasleprendredanstesbras?Qu’est-cequ’onfaitdanscescas-là?
–Chhhh...chhhh...,fitMara.
Ellelepritsursesgenoux,lecalmaets’efforçadefredonneruneberceuse.
–Celle-ciditqu’elleafaim,ditJacquienmontrantMadisondudoigt.Ondevraitpeut-êtrelui
donnerquelquechoseàmanger?suggéra-t-ellequandMaraavaitledostourné.
–Ilyaquoi,danslepanier?demandaEliza.
–Deschips.
–Ouais,super,fitElizaavecunhaussementd’épaules.
–Hétoi,ditJacquientendantleschipsàMadison,c’estquoitonnom?
–Madison.CommeMadisonAvenueàNewYork,réponditfièrementlapetitefille.
–Ah,ditJacqui.Moi,jem’appelleJacarei.Chezmoi,c’estaussilenomd’unlieu.
MaiscepremieréchangefutinterrompulorsqueMaralevalesyeux.
– Hé, où est passé William ? William ! Reste ici ! Sur la couverture ! Ne bouge pas ! s’écria
Mara, de sa plus belle voix de déléguée de classe. Zoë, trésor, regarde-moi toutes ces couleurs !
N’est-cepasquec’estjoli?
Puis,rassurantCody:
– Tout va bien bébé, ce ne sont que des pétards. Je sais, ils font beaucoup de bruit, mais c’est
rien.
Quelquesminutesplustard,touslesgaminsétaientregroupésautourdeMara,quiavaitpasséun
brasautourd’eux.
–Regardezça!Ledrapeauaméricain!Vousavezdéjàvuquelquechosed’aussibeau?demanda
Maraauxpetitesfillesqui,fascinées,regardaientfixementlecielnocturne.
Les deux garçons sommeillaient sur la couverture ; William épuisé d’avoir couru après les
libellules,Codydanssapoussette,suçantsonpouce.
Elizaconsultasonportable.Ohoh.Ilétaittempsdebouger.
– Hé, vous savez quoi ? Faut que je file. Je dois retrouver des amis..., commença Eliza en
essuyant,sursesgenoux,lestraceslaisséesparl’herbe.
–Pardon?demandaMara.
–Tuvasoù?s’informaJacqui.
–Àunesoirée.Tuveuxvenir?
–Sim,acquiesçaJacquienselevant.
–Ouais,aprèstout,tucontrôlespasmallasituationici,pasvrai,Mary?demandaEliza.
Mais sans laisser à Mara le temps de répondre, Eliza et Jacqui se mirent à dévaler la colline
aussirapidementqueleleurpermettaientleurstalonsaiguilles.
AuResort:
lasoiréelapluscourue
desHamptons,dumoins
jusqu’àlasemainesuivante
ElizarespiraungrandcoupenparcourantdesyeuxlafouledevantleResort.Environcinqcents
personnesjouaientdescoudespourserapprocherducordonrougedel’entrée,etunevingtainede
limousinesgaréesdanslacontre-allées’apprêtaientàdébarquerleurscélèbrespassagers–quandil
ne s’agissait pas simplement de m’as-tu-vu. Des femmes fines comme des cure-dents, au décolleté
ravageur et au visage recouvert de couches de fond de teint, vêtues de débardeurs aux couleurs
criardesetdejupesmoulantess’arrêtantaugenou,sefrayaientuncheminsurlegravier,perchéessur
leurs sandales à hauts talons. Leurs petits copains, des types plus âgés à l’allure prétentieuse,
exhibaient,outreleurbronzageartificiel,d’énormesbraceletsenorsurleurspoignetsvelus.
Deuxprojecteursorientésverslecieléclairaientlascènecommeundécordecinéma.Plusieurs
RP débordés s’efforçaient de maîtriser la foule tandis que des videurs carrés d’épaules de cent
cinquantekilosfusillaientduregardlesfêtardstropimpatients.
Elizaforçalepassagejusqu’àl’entrée,arméedesmotsmagiques:«Jesuissurlaliste!».
–ElizaThompson,hurla-t-elleàunefilleassailliedetoutespartsetcoifféed’uncasque.
Aprèsavoirpasséenrevuedesfeuillesetdesfeuillesdenoms,lafilleditsèchement:
–Vousn’êtespassurlaliste.Rejoignezlafiled’attente.
–ParmilesinvitésdeKitAshleigh?
–Fallaitlediretoutdesuite,quevousétiezsurlalistedeKit!maugréalafille.C’estquoi,déjà,
votrenom?
–ELIZATHOMPSON!
–Ah,vousvoilà.
Lafillefitsigneaugorilledelalaisserpasser.Àcontrecœur,celui-cirelevalecordonrouge.
ElizapritJacquiparlebrasettoutesdeuxfurentpropulséesversl’intérieurdelaboîtedenuit.
À l’intérieur, la soirée battait son plein, et Jacqui éprouva ce frisson d’excitation qu’elle avait
coutume de ressentir dans tout endroit nouveau, inexploré, voire un peu dangereux. Elle passa la
languesurseslèvres,excitéed’avance.ElleétaitcertainequeLucasetrouvaitlà,quelquepart.Ellele
sentait.
–Attends!ditElizaensaisissantJacquiparlebras.Jevoismesamislà-bas.
Kitétaitassissurlaplusgrandebanquette,aumilieudelasalleVIPbondée.Sonvisages’éclaira
lorsqu’ilaperçutEliza.
–Liza!
– Kit-Cat ! gloussa-t-elle, lui faisant la bise comme s’ils ne s’étaient pas vus à peine quelques
heuresplustôt.
–Tunemeprésentespastonamie?demandaKit,écarquillantlesyeuxàlavuedeJacqui.
–JacquiVelasco.ElleestvenueauxÉtats-Unispoursesétudes...ellevitdanslafamilledemon
oncle,ditElizaavantqueJacquiaiteuletempsd’ouvrirlabouche.
Duregard,ellelasuppliadejouerlejeu.
–Sim,acquiesçaJacqui,toutensongeantC’estquoi,cedélire?
–Cool,ditKit.Ettuétudiesquoi?
–Ledesign,réponditJacqui.
–L’anglais,lançaenmêmetempsEliza.
Ellesseregardèrent.Elizaeutunpetitrirenerveux.
–Ledesignanglais,c’estbiença,Jac?
–Toutcequetuvoudras,concédaJacqui.
Elle était trop occupée à fouiller la salle du regard dans l’espoir d’y voir son bien-aimé pour
prêterattentionauxparolesd’Eliza.MaistoutdemêmeassezpoliepoursourireàKitquilaregardait
avecunairextatique.
–C’estpastroptôt!s’exclamaTaylor,lapetiteamiedeKit,enseglissantentresonhommeetla
bombelatino.
–Tevoilàderetour!s’écriaLindsay,uneautreamievenuesejoindreàeux.
–Ah,mescopineschéries!ditEliza,d’unevoixtriomphante.
Une telle quantité de gens venaient la serrer dans leurs bras et lui faire la bise qu’elle avait
l’impressionqu’onvenaitdelanommerreinedubaldefind’année.Saufqu’elleseseraitfaittuer
plutôtquedeparticiperàquelquechosed’aussiringard.Disonsquec’étaitsamanièreàelled’être
reinedubal:margaritasglacées,champagnecoulantàflots,beauxgarçons,chaussuresélégantes,et
voituresencoreplusclassegaréesdehors.
–Machérie,tuesresplendissante!ditTaylor,d’untonadmiratifetnondénuédejalousie.
–Tudoistepriverdetout!ajoutaLindsay,spécialisteducomplimentàdoubletranchant.
–Charlieestlà?demandaElizad’unevoixunpeutropimpatiente.
–Pasencore.Pourquoi?s’enquitLindsayenplissantlesyeux.
–Pourrien.C’estjustequeceseraitsympadelevoir,ensouvenirdubonvieuxtemps,répliqua
Elizaenhaussantlesépaules.
LindsayetTayloréchangèrentunregardcomplice.
–Ehbien,regardezquiestlà!susurraunevoix,derrièreleseauàchampagne.
Uneblondeauxyeuxenamandeetàlamouemauvaiselesjaugeaavecfroideur.Elleportaitun
béretrose,deslunettesd’aviateuretunminitee-shirtdévoilantunventreparfaitementplat.
–Sugar!ditEliza,ensepenchantpourluidirebonjour.
–Attention...jeviensdemefairefaireunbrushing,répliquaSugarPerryensedétournantavant
qu’Elizaaitpus’approcherdavantage.
–Commentvas-tu?demandaElizaenseglissantàcôtéd’ellesurlabanquette.
Sugarétaitlafillelapluspopulairedulycéeprivéd’Eliza.Dumoins,depuisledépartd’Eliza.
–Jevaisbien,réponditSugard’unevoixtraînante.
Ellepritunecigarettedanslepaquetd’Elizaetlatapotacontresamain.
–J’enaitellementassezdetoutça.
–Jesais,c’estvraimentrasoir.Touslesans,c’estlamêmechose.
Elizasavaitquec’étaitlachoseàdiredanslesHamptonsmêmesi,aufond,elleétaitravied’être
deretour.
–Tuasundecesbols,quetesparentst’aientenvoyéeenpensionnat.Cequejedonneraispour
pouvoiréchapperauxmiens!
–Onpeuttoujoursrêver!interrompitunevoix,aussirauquequecelledeSugar.
Levantlesyeux,ElizavitPoppy,sasœurjumelle,quisetenaitau-dessusd’elles.
–Eliza,terevoilàparminous,ditPoppyd’unevoixblasée.
Commesasœur,elleavaitdegrandesmèchesblondesàlaDonatellaVersaceetuneindolence
pleinedeséduction.MaisalorsqueSugaravaittoutd’unepin-up,Poppy–plusgrandeetplusjeune
dedeuxminutes–paraissaitpluscandide.Sugarétaitsexy.Poppyétaitmignonne,sansplus.
Constatantqu’iln’yavaitplusdeplacesurlabanquette,Poppys’affalasurlesgenouxd’Eliza,
sans la moindre hésitation. Celle-ci n’eut pas le courage de protester. Elle craignait trop d’avoir à
répondreàdesquestionsgênantes.TayloretLindsay,reléguéesausecondplan,faisaientminedene
passesoucierqu’ElizaleseûtaussirapidementremplacéesparSugaretPoppy.
De son côté, après avoir sifflé deux coupes de champagne et papoté un peu avec les amis
d’Eliza,Jacquis’étaitremiseàfouillerlasalleduregard.Touscesgensétaientplutôtagréableset,de
touteévidence,riches...maisdepuissarencontreavecLuca,Jacquisesouciaitmoinsdecegenrede
choses. Autrefois, elle se serait sans doute frayé un chemin jusqu’à ce bel homme frisant la
quarantainequil’observait,àl’autreboutdelasalle.Jacquin’ignoraitpaslesavantagesqu’offraitla
fréquentationd’unhommeplusâgé(bonjourlesnotesdefrais!),maisLucaavaittoutchangé.Pour
unefois,elleétaittombéesuruntypequil’aimaitréellementpourcequ’elleétait,etpasseulement
poursonphysique.
Jacquijetauncoupd’œilalentour,évitantleregarddel’hommeplusâgé,quilafixaittoujours.
Jevoistonallianced’ici,songeait-elle,lorsqu’ellecrutdistinguerdesrayuresfamilières.Était-ce...?
Impossible... C’était absolument impossible... mais autant s’en assurer. Elle se leva, releva sur ses
hanchessonjeantaillebassequirendaitfacultatifleportdesous-vêtements,etsemitàsuivreletype
grandetmincequiportaitlachemisederugbyqu’elleconnaissaitsibien.
Retouràlaplage:
quandElizaboit,Maratrinque
Mara n’en revenait pas qu’elles lui aient fait un coup pareil le premier soir. Elle rangea la
nourrituredanslepanieràpique-nique,ens’efforçantdenepasquitterdesyeuxlesun...deux...trois...
quatregamins.Dieumerci,lecompteétaitbon!
–Allez,lesenfants,suivez-moitous!
–Veuxpasm’enaller!Veuxzouerdehors!geignitZoë.
–Onpeutallerparlà-bas?Ilyadesglaces,ditMadisonentirantMaraparlamain.
– Pourquoi tu veux de la glace, espèce de Peggy la cochonne ? Peggy la cochonne ! la railla
William,enfaisantdesbruitsavecsonaisselle.
–William!...William!
–QUOI???
–Arrêteçatoutdesuite!grondaMara.
William,quis’amusaitvisiblementbeaucoupàtorturersasœur,éclataderire.Madisonétaitau
borddeslarmes.
–Hé,monpote,c’estpasgentil,tusais?
Levantlesyeux,MaravitqueRyanPerrysetenaitprèsd’elle,sonskatesouslebras.Ilportaitun
sweat-shirtauxcouleurspasséessursonshorteffiloché.IlsouritàMarapuis,posantlamainsurla
têtedeWilliam,fitpivoterlepetitgarçon.
–DemandepardonàMaddy.
–Chuisdésolé,marmonnaWilliam.
Madisontiralalangue–pleinedechocolat–àsonfrère.
–J’aivuElizaetJacqui,là-bas,àlamaison.Jemesuisditquetuauraispeut-êtrebesoind’un
coupdemain,expliqua-t-il.
–Oh...c’estvraimentgentil.Àvraidire,toutsepassebien,dit-ellealorsque,Williamayantfait
unepriseàMadison,tousdeuxtombaientetcommençaientàdévalerlapente,endirectiondel’océan.
–Non...non...non...revenez!hurlaMara.
– Ne t’inquiète pas, ils n’iront pas bien loin, la rassura Ryan en ramassant le panier à piquenique.
– Hé, super, tu as apporté le Scrabble ! dit-il en remarquant le jeu de société au milieu des
Tupperware.
–J’aipenséqueçapourraitêtredrôle,tusais,pourapprendrel’alphabetàZoë,expliquaMara
enhaussantlesépaules.Jel’aitrouvédansleplacarddenotrechambre.
–Tujouesbien?
–Jesuispasmauvaise,réponditMaraavecunsourire.
–Jepariequejetebats.
– Oh, c’est pas si sûr... Je suis la pro des « mot compte triple ». Je connais tous les mots qui
commencentparlalettrex.
–Tous?demandaRyanenécarquillantlesyeux.
–Mets-moiàl’épreuve.
–Jerelèveledéfi.
–Topelà!conclutMaraensouriantdeplusbelle.
Ryanfourralejeusoussonbrasquitenaitleskateboardtandisque,del’autre,ils’occupaitdela
poussettedeCody.IlfitmonterZoësursesépaules.
–Relève-toi,Ryan!dit-elle.
–Accroche-toi,Zo.
Tousquatremarchèrentencontrebas,versl’endroitoùlesdeuxminuss’affrontaientsanspitié.
–WILLIAMADDISONPERRY!MADISONALEXANDRAPERRY!rugitRyan.
WilliametMadisonsefigèrentaussitôt.
–Çasuffit!ordonnaRyan.
– Tu n’es pas vraiment en colère, hein, Ryan ? demanda Madison, en lâchant prise et en se
relevantpourprendrelamaindesongrandfrère.
–Moi!moi!moi!pleurnichaWilliam,s’efforçantdetrouverluiaussiuneprise.
CommeRyann’avaitplusdemaindisponible,ilsaisitleborddesontee-shirt.
–Vas-ymollo,mongrand,ditRyan.
IlsregagnèrentlaRangeRover.Ryanrangeasonskateàl’arrièreet,aprèsavoirparcouruprès
deunkilomètre,ilsatteignirentlamaison.
–Jesuisdésolédeleurmauvaiseconduite,maiscen’estvraimentpasleurfaute.Personnene
leuraapprisoùétaientleslimites.
–Lesgamins?demandaMara.Net’inquiètepas,j’aieuaffaireàpire.
Maraluiparladucauchemardesonquartier–TommyBaker,huitans,connupoursamaniede
s’enfermerdanslestoilettespendantdesheures,etden’ensortirquelorsqu’ilentendaitsesparents
garerlavoituredansl’allée.Tommy,quifaisaitpipiparterreàlasecondeoùilsentraient.
– Chaque fois que je l’ai gardé, il m’a fait le coup. Et ses parents ne m’ont jamais donné de
pourboire.
–Lessalopards!ditRyan.
–Regarde!murmuraMaraensetournantverslabanquettearrière,oùtouslesenfantss’étaient
endormis.Ondiraitdesanges.Onnes’imagineraitpasque...
Maralaissasaphraseinachevée–ilétaittoutdemêmeleurfrère.
Ryanleurjetauncoupd’œildanslerétroviseur.
–Desangesauxfiguressales,suggéra-t-ilengratifiantMarad’unsourirefranc.
Ilss’arrêtèrentdansl’allée.MaraportaCodyjusqu’àsonlit,tandisqueRyanconduisaitletrio
ensommeilléàleurschambres.
–J’aideuxoutroiscoupsdefilàpasser.Onseretrouvedanslacuisine,dit-il.Çateditdefaire
unepartietoutàl’heure,MmeX?
–Ouais,biensûr.
–Tunevaspastedéfiler,hein?
–Non,promit-elleenrougissantunpeu.
Ellebordalesgaminset,aprèss’êtreassuréequetousquatreavaientabordéaupaysdessonges,
descenditàlacuisinesurlapointedespieds.
–Hé,çayest,ilsdormentcommedesmarmottes...tuveuxsortirleScrabble?Ryan?Ryan?
appela-t-elleenchuchotant.
Mais elle ne le voyait nulle part. Elle erra quelques instants dans les pièces plongées dans
l’obscurité,espérantqu’ilallaitmiraculeusementsurgirdel’uned’elles.
Maisilétaitintrouvable.Marasentitsabonnehumeurlaquitter.Lemaldupayslasaisitsoudain,
au milieu de la cuisine immaculée, lorsqu’elle aperçut un post-it sur l’une des vieilles boiseries
françaisesqui,conclut-elle,dissimulaitforcémentlefrigo:
«M.:Jesuisdésolé,ledevoirm’appelle.Onferalapartieunautrejour?–R.»
Bien sûr, il avait mieux à faire. Ou plutôt, quelqu’un de mieux à voir, pensa Mara avec une
ombredejalousie.Ellesortitsonportableetcomposaunnuméro.
–Jimmy?Tunedorspasencore?C’estmoi,Mara.
RetourauResort:
Jacquial’œil,
pourcequiestdestissus
Jacquisefrayarapidementunchemindanslafoule,sansquitteruninstantlesrayuresdesyeux.
Son cœur battait à tout rompre. Elle haletait. Il n’y avait pas moyen d’y échapper, non ? C’était le
destin. Ça devait arriver. Elle n’avait rêvé que de ça, depuis qu’elle s’était réveillée seule dans sa
chambredeSãoPaulo...Ceslargesépaules,cettenuquecouverted’unfinduvetsoyeux...cettenuque
qu’elleavaitembrasséetantdefois...
Elleavançadesdoigtstremblants,posalamainsursondos.
–Luca?
Jacqui n’en croyait pas ses yeux. C’était lui ! Luca, avec sa peau pâle constellée de taches de
rousseur,sachevelureblonddoré,sonbeauregardvertderrièreseslunettesd’intellobranché.
–Luca?dit-elled’unevoixétranglée.
–Excusez-moi...
LukeVanVarickseretournaavecunpetitsouriresuffisant.Ilécarquillalesyeux,puislescligna,
nesachantpastropcommentréagir.Puisillagratifiad’undemi-sourire.
– Jacarei ! dit-il en se penchant pour lui embrasser le front. Qu’est-ce que tu fais là, nom de
Dieu?
–Jetravailleici,réponditJacquienriant.
Elleétaitsiheureusequ’ellecriaitpresque.Luca!Ici!AuxHamptons!
–Ici?demanda-t-ilendésignantlapisteaveclapailledesongin-tonic.
Ilvacillaitunpeuetsonhaleinesentaitl’alcool.
–Non,enhautdelarue.Jesuisfilleaupair.
–Ça,c’estcoolalors!Jenesavaispasquetutravaillaisaveclesgosses.Jecroyaisquetuétais
justevendeuse.
C’esttotalementdélirant,songeaitJacqui.Onnes’estpasvusdepuisdeuxmoisettoutcequ’il
veut,c’estpapoter?Aprèstoutcequ’onavécuensembleàSãoPaulo?
–Écoute,çateditpasdesortir?demandaLukeenparcourantlasalledesyeux.
–Sim,réponditJacqui.
Voilàquicollaitmieux!Elleluipritlamain.Ellel’aimait.SonLuca.Ellelesuivraitn’importe
où.
Quelquesminutesplustard,Jacquiluitenaittoujourslamaintandisqu’ilralentissaitsurlaroute
deMontauk,auniveaudeBridgehampton,oùsetrouvaitlademeuredesesparents.Laquellen’avait
rien à envier à celle des Perry. Luke la conduisit jusqu’à l’entrée privée de son appartement – un
quatre pièces situé dans « son » aile. C’était la classique piaule de célibataire, avec baby-foot
d’origine,consoleMissPacMan,cibledejeudefléchettes,panierdebasketetlingesalerépanduun
peupartoutsurlamoquette.Ilappuyasurlatouched’unetélécommandeetunetélévisiond’unmètre
cinquantesurgitdusol.Jacquis’assitsurleborddulitetpromenasesregardssurtoutessesaffaires
–sestrophéesdefootball,sonordinateurG4,unpanneauoùétaientfixéesdesphotosdesesvoyages
autour du monde. C’était donc ici qu’il vivait. Qu’il dormait. Elle dévorait tout cela des yeux...
désireused’enapprendreautantquepossiblesurletypequiétaitparvenuàtouchersoncœuretàla
chamboulerdespiedsàlatête.
Lukesetenaitdevantelle,unebouteilledevodkaàlamain.Ilenbutunelampée.Ilavaitpassé
sonautremainsoussachemise,etsegrattaitleventre.Illacontemplait,leregardenflammédedésir:
–Tusais,tuesencoreplusbellequedansmonsouvenir,dit-ilenposantlabouteilleetentendant
lesdoigtsversl’interrupteur.
–Tutesouviensdequoi,encore?demandaJacquid’unevoixenjouée.
Unefoisleslumièreséteintes,Lukes’affala,brasetjambesécartés,surl’édredonenduvetd’oie.
Jacqui se blottit contre lui. Il l’enlaça d’un bras, et elle posa la tête sur son torse. Elle l’écoutait
respirer,heureusedelesentirànouveausiproche.
–Jemesouviensdeça,dit-ilenluipassantundoigtsurlajoue.
Ellesentitbientôtsamainglisserverssonsein,enépouserlescontoursàtraversl’étoffedeson
chemisier, puis s’insinuer lentement dans l’échancrure. Elle ne portait pas de soutien-gorge, et ses
doigtsétaientfroidssursapeau.
–Oh...Luca,dit-elleenseretournantpourl’embrasseràpleinebouche.
Ill’attiraau-dessusdeluietl’étreignitdetellemanièrequ’ellesentaitgrandirsonexcitation.
Ils s’embrassèrent avec voracité, de façon si rapide et si pressante que Jacqui avait peine à
reprendresonsouffle.Pendantcetemps,Lucatiraitsursonchemisier.Pourfinir,illeluifitpasser
au-dessusdelatête,etlejetadansuncoindelapièce.
Elleserenditcomptequ’elletremblaitunpeu–illuiavaittellementmanqué.Ellen’avaitrien
voulu,riendésiréd’autredepuisqu’ill’avaitlaisséeseuleàSãoPaulo.
Elleseredressa,lecontempladehaut.Mainsenlacées,ilsseregardaientfixement.
Leclairdelunerévélasoudainunephotographieposéesurlatabledenuit.
C’étaitsonLuca,souriantauxanges,unbraspasséautourd’unefille.
–Oh...
Jacqui se figea, lâcha les mains de Luca. Celui-ci voulut lui toucher le visage, mais elle le
repoussa.
–Quic’est?demanda-t-elleendésignantlaphoto.
– Oh, ça ? Personne, dit-il en haussant les épaules et en retournant le cadre. Quelqu’un que je
fréquentaisavantdeterencontrer,riendeplus.
Jacquirespira.Maiscelaavaitcassélamagiedumoment.Elleroulasurlecôtéetseglissasous
lesdraps.
Illarejoignit,pressantsontorsecontresondos.Commençaàl’embrasserentrelesomoplates,
lapartielaplussensibledesoncorps.PuissamaindéboutonnamaladroitementlejeandeJacqui,et
sesdoigtsdescendirent.
–Pascesoir.D’accord,bébé?demandaJacquienserrantsamainetenlamaintenantauniveau
desataille.
–Mmmmm?fitLuked’unevoixensommeillée.Tuessûre?
–Oui,oui.
–Mmm...OK.
Ilsdemeurèrentquelquesinstantssilencieux.Jacquiécoutaitsonsoufflerégulier.
–Luca?Jet’aime,chuchota-t-elle.
Ilsn’avaientjamaisprisletempsdesedirecela,aucoursdecesdeuxsemainespasséesàSão
Paulo.
MaisLukeronflaitdéjà.
Ducôtéd’Eliza:
dublanc,durouge
etungroscoupdeblues
– Eliza, on bouge..., annonça Sugar, interrompant sa conversation. Elle se tenait en dehors du
cercleetfaisaitclaquersurlesolsesmulesàtalons.
–Onteretrouveàlasortie,luilançaPoppy,ignorantlesregardsservilesdel’assistance.
Lesdeuxsœursseretirèrentd’unpasaltier,conscientesquetousavaientlesyeuxfixéssurleurs
fessesaugalbeparfait.
–Désolée,toutlemonde.Onseretrouveplustard?demandaEliza.
–Tulogesoù?s’enquitLindsay,faisantlegestedepasseruncoupdefil.
– Chez mon oncle... heu... à Sagaponack. Il est sur liste rouge... mais ne vous inquiétez pas, je
vousappelle,ditElizaenposantsonverre.Sugar!Poppy!Attendez-moi!
Elles’élançaàleurpoursuite,lesrattrapantaumomentoùlesjumelless’étaientarrêtéesafinde
poserpourlespaparazzisrassemblésdevantl’entrée.Elleattendit,hésitante,horsdeportéedesflashs.
– Hé... pourquoi on n’en ferait pas une avec votre copine ? demanda l’un des photographes,
remarquantElizaetl’invitantàprendrelaposeaveclesjumelles.
Elizasecoinçaentrelesdeuxsœurs,avecunsourireembarrassé.
–Magnifique!LestroisGrâces!
Lespaparazzismanifestèrentleuradmirationpardessifflements.
– Ça suffit maintenant, décréta Poppy lorsque l’employé du parking apparut au volant de leur
monospaceMercedes.
Illeurtintlaportièreetleurtenditunticket.
– Oh, non... j’ai laissé mon portefeuille à la maison, dit-elle en tapotant son sac à main et en
jetantdescoupsd’œilimpatientsàlaronde.
–Nemeregardepas!ditSugar.Tusaisquejen’aijamaisdeliquidesurmoi.
– Attendez, j’en ai, lança Eliza en fouillant dans sa pochette Louis Vuitton en cuir épi. Ça fait
combien?
–Quarantedollars,miss.
Nom de Dieu... L’équivalent d’une demi-journée de salaire ! Eliza régla la note de parking
pendantquePoppys’installaitauvolant.
–Jememetsàl’avant!criaSugar.
Lesfilless’engouffrèrentdanslemonospaceetPoppysemitàtripatouillerl’écranduGPS.
–J’aijamaiscompriscommentmarchecetruc,marmonna-t-elletandisque,desenceintes,fusait
lavoixdeJustinTimberlake.
Sugar était sortie avec lui pendant une minute et aimait prétendre que cette chanson lui était
dédiée, même si ce n’était pas vrai. Elle plaqua ses mains sur le toit ouvrant et poussa des
glapissements,tandisqu’ellesfaisaientleurgrandesortie.
–Cequec’étaitchouette!criaElizasurlesaccordsdeRockYourBody.
Elle était ivre, grisée, folle de joie d’être de retour. Après avoir passé le printemps enfermée
danssachambreparcequ’ellenesupportaitpasl’idéedepasserunesoiréedeplussurunterrainde
sportmouillé,àboiredelabièreallégée–laseulechosequifaisaitofficedeviesocialeàBuffalo–
Elizasesentaitredevenueelle-même.
–C’étaitgénial,cetendroit!dit-elle.
–Turigolesouquoi?C’étaitpleindenullards,sifflaPoppy.
–TuasvucethonenGuccidel’annéedernière?surenchéritSugar.Plusringardetumeurs.
Elizatiradiscrètementsursaminijupe,qu’ellen’avaitpasvraimentachetéelaveille.Ellesejura
d’écumerlesboutiquesdanstroissemaines,dèsqu’elleauraittouchésonpremierversement.
–Alors,qu’est-cequevouscomptezmettrepourlasoiréedePuffDaddy?demandaPoppy,en
grillantunfeu.Oberonditquelesinvitéssontobligésdeporterdubleu,dublancetdurouge.
–Cequec’estnaze!ditSugardansunbâillement.
–C’estauClubPlayStation2,non?glissaEliza.
–C’estpaslàqueJenniferLopezafêtésonanniversairelasemainedernière?demandaSugar
d’untonrêveur.Jecroisquecen’estmêmepasouvertaupublic.
–Apparemment,mêmeBradetJenniferontdûappelerpourréserver.
–Géant!
Eliza tendit le cou entre les deux sièges avant. Elle mourait d’envie de revoir de véritables
célébrités.Dutempsoùellehabitaitencoreàl’angledela63eRueetdeCentralPark,elleleurprêtait
àpeineattention.VoirJuliaRobertshéleruntaxiouSarahJessicaParkerpromenersonbébédanssa
poussettefaisaitpartiedudécorquotidien.Allezdonctrouverdequoisusciterl’intérêtdelapresse
peopleàBuffalo...
– C’est ta rue, non ? demanda Poppy en s’arrêtant dans une allée privée, à quelques blocs du
club.
–Heu...Àvraidire...
–Vousn’avezpaslouévotremaison,quandmême?s’enquitPoppy,enécarquillantlesyeux.
–Ehbien...commentdire...
–Allez,crachelemorceau!ordonnaPoppy.
–Enfait,c’estchezvousquejedors,ditpiteusementEliza.
–Hein?s’exclamaPoppy,tandisqueSugarluienvoyaitungrandcoupdecoudedanslescôtes.
– N’en veux pas à ma sœur, elle est fâchée avec les bonnes manières. Bien sûr que tu peux
pioncercheznouscesoir.Tupeuxnousemprunterquelquechose.Tufaisdu36commemoi,non?
–Non...cen’estpasça...enfaitjesuisplusoumoins...ehbien...Kevinaappelémonpèrel’autre
jour.Ilm’ademandésijepouvaisaiderAnnaàs’occuperdespetitscetété,achevaElizad’unevoix
tremblante.C’estpaslafindumonde.
Sauf que pour les jumelles, ça l’était. Ce que leur avait dit leur père au sujet des soucis des
Thompson leur revint à l’esprit. Non qu’elles y eussent accordé beaucoup d’importance sur le
moment...
–Oh!ditSugar.(Lespiècesdupuzzles’assemblaientdanssatête.)
–Jetedemandepardon?demandaPoppy,seretournantsousl’effetduchoc.
Lemonospaceroulasurundosd’âneettoutestroistouchèrentletoitduvéhicule.
–Ohhé,surveillelaroute!ditSugarenfoudroyantsasœurduregard.
–Désolée,répliquaPoppy.Tuesunedesfillesaupair?demanda-t-elleàElizaenluijetantun
coupd’œildanslerétroviseur.
–Plusoumoins,reconnutEliza.
Unsilencedemauvaisaugureaccueillitsesparoles.
–Mmm...Ehbien,çavaêtremarrant,non?D’êtretoutestroisenfinréunies!s’exclamaSugar
d’untonjoyeux.
Lavoitures’engageadanslapropriétédesPerry.Poppysegaradansl’alléeetcoupalecontact.
–Nousyvoici!lança-t-ellegaiement.
– Bon, je monte en vitesse. Je dégote quelque chose de patriotique, je me change et on se
retrouveici?suggéraElizaenouvrantlaportière.
–Tusaisquoi?Jenetiensplusdebout!lâchaSugardansunbâillement.
–Moinonplus,ditPoppy.MonDieu,c’estquelasoiréeaétélongue!
–C’estvrai,concédaEliza.
–Jecroisqu’onferaitmieuxd’allerdormir.Onanotrecoursdetennisvraimenttôtdemain,pas
vrai,Pop?demandaSugar.Alors,àplus,Eliza.
–Bonnenuit,ditEliza,s’extirpantdelavoitureetposantunpiedmalassurésurlegravier.
–Bonnenuit,rétorquèrentlesjumelles,déjààmi-chemindelamaisonprincipale.
Elizasedirigeaversl’alléepavéeetouvritleplusdélicatementpossiblelaporteducottage.Elle
s’efforçaitdenepasfairedebruitet,àvraidire,yparvenait.Maisalorssontalonsepritdansletapis
et elle s’étala de tout son long. Lorsqu’elle heurta une table de nuit avec un bruit sourd, la lumière
s’alluma.
–Qu’est-cequisepasse,bordel?demandaMaraenclignantdesyeuxcommeunhibou–elle
n’avaitpassesverresdecontact.
Ellechaussaseslunettesetconsultasonréveilàaffichagenumérique.
–Eliza,ilestdeuxheuresdumatin!
–Etalors?rétorquaElizaenserelevantetenselaissanttombersursonlit.Ilesttôt!
–Pourtoi,peut-être,rétorquaMara.Maisilyenaquiontbosséaujourd’hui.Qu’est-cequivous
aprisdevoustirer?Hé,tuessoûleouquoi?
–NomdeDieu,gémitEliza.Faisuneffort,Mara!Jenesaispascommentt’annoncerça,mais
onestauxHamptons...tusaisis?
–Jelesais,répliquasèchementMara.
Onnediraitpas,songeaEliza.
–OùestJacqui?demandaMara.
–Jen’ensaisrien.Sansdouteàs’éclaterquelquepart,contrairementàd’autres,répliquaEliza.
Tuasloupéunesupersoirée.
–Jen’aipasétéinvitée,répliquaMara.
Exact.Elizasesentitsoudainmalàl’aise.Elleavaitoubliécedétail.Cen’étaitpastrèsgentilde
sapart,alorsqu’elleavaitunbonfond–si,si.Elleétaitjusteunpeunégligente.Maisfallaitbienque
quelqu’unrestepoursurveillercessalesgosses.
Elleretiraprécautionneusementsondébardeur,s’extirpaavecdifficultédesajupeetpassason
caraco en soie préféré et un pantalon de pyjama Brooks Brothers. Elle était encore grisée par sa
soirée. Lorsqu’elle aperçut un bout de la piscine, éclairée par les lumières de l’allée, une idée lui
traversal’esprit...lepackdebièresqueJacquiavaittrouvéétaitencoredanslaglacière.
– Hé, Mar, ça te dirait pas qu’on..., commença-t-elle, en se tournant vers sa camarade de
chambre.
MaisMaras’étaitdéjàrendormie.Décidément,cettefilleétaitunepetitesainte.
Elizaselaissatombersursonlit.Àpeineavait-elleposélatêtesurl’oreillerqu’elledistingua,
au-dehors,unronronnementqu’elleneconnaissaitquetropbien.Non,paspossible!sedit-elleense
redressantbrusquement.
–Monte!ordonnalavoixrauquedeSugar.
ElizaseprécipitaàlafenêtreetvitPoppy–vêtued’undébardeurrouge,bleuetblancetd’un
jean blanc – se ruer hors de la maison en jetant des coups d’œil furtifs, par-dessus son épaule, au
cottage des jeunes filles au pair. La gorge nouée, Eliza vit la voiture faire une discrète marche
arrière,tousfeuxéteintsjusqu’àcequ’elleeûtquittél’alléepours’engagersurlaroute.C’estmoiqui
aiinventécetruc!songeaEliza.
Ellesallaientàlasoirée,commeprévu.
C’étaitbiensympadetraîneravecelledansuneoudeuxsallesVIP,maisquandils’agissaitde
passerauxchosesvraimentsérieuses,ellen’étaitplusqu’unboulet.
Lavéritélafrappadepleinfouetet,l’espaced’uneminute,elleeutlasensationd’êtrederetourà
Buffalo, et de passer un vendredi soir de plus cloîtrée dans sa chambre. Personne ne lui avait
demandédefairepartieducomitéd’organisationdubaldulycée,bienqu’ellefût,detouteévidence,
la plus élégante de sa classe. Ils l’avaient tous prise pour la reine des snobinardes quand elle était
arrivée,poursonpremierjouraulycée,avecunevesteenvison.Mais,mincealors,c’estqu’ilfaisait
unfroiddecanardlà-bas!
Cetétépromettaitd’êtredifférent.Elleétaitcenséeêtredenouveausouslefeudesprojecteurs,
retrouversavieillebandedepotesetl’existencedoréequiavaittoujoursétélasienne.Ellesefigurait
queSugaretPoppyétaientsesamies.
Ellerepensaàlasoiréeécoulée,cherchantdessignesavant-coureurs.Ils’étaitpassécietça.Elle
avaitbutantetplus.Ilneluienrestaitplusqu’unbrouillardchargéd’effluvesd’Envy,leparfumde
Gucci.
Maisellesesouvenaitd’undétailprécis:lesjumellesnel’avaientmêmepasremerciéed’avoir
payélevoiturier.
Unejournéebrûlante
àlaplage
Marasecoual’épauled’Eliza.Ilétaitpresquemidi,etelles’inquiétait.Jacquin’étaitpasdansles
parages et Eliza avait dormi toute la matinée. Mara s’était chargée seule de faire petit-déjeuner les
enfantsdanslademeureprincipale(unpamplemoussepourMadison,despancakessansglutenpour
ZoëetWilliam,durizsouffléécrasépourCody).
–Quelleheureilest?demandaElizad’unevoixpâteuse.
–Midi.Dépêche-toi.Annaveutqu’onamènelesgaminsàlaplage.Ilssontdéjàdanslavoiture.
Elizaronchonnaensehissantsurlesoreillers.Ellejetauncoupd’œilàlaminusculechambre
mansardée.Qu’est-cequejefichedoncici?sedemanda-t-elle.Etpuis,celaluirevint.Jesuisdansles
Hamptons.JetravaillecommefilleaupairchezlesPerry.MonDieu.Cequec’estdéprimant!
–OùestJacqui?
Marahaussalesépaules.
–Jenecroispasqu’elleaitdormiici,répondit-elleavecunenuancededésapprobation.
–Tantmieuxpourelle!ditElizadansunbâillement.
Elle se dirigea à petits pas vers la salle de bains pour aller se préparer, lorsque Jacqui fit son
entrée.
–Olameninas!s’exclamaJacqui,visiblementeuphorique.
Elle était fraîche et radieuse, bien qu’elle portât toujours, comme Mara ne manqua pas de le
remarquer,sesvêtementsdelaveilleausoir.
Marafronçalessourcils.
– Anna est dans tous ses états. Je vous suggère de nous rejoindre d’ici cinq minutes dans la
maison,moietlesgamins,sivousnevoulezpasavoirdegrosennuis.
Mara leur en voulait du sale tour qu’elles lui avaient joué et était décidée à ne plus se laisser
marchersurlespieds.Ellesortitcommeunefurie.ElizaetJacquiéchangèrentunregardconsterné.
–Qu’est-cequ’elleaànousprendrelatête,celle-là?demandaEliza.
Mincealors,ellen’avaitpasprojetédepassersesvacancesavecuneploucdechezploucqui,de
plus,étaitvisiblementdugenreàmoucharder.
Jacquihaussalesépaules.Lematin,Lucaetelleavaientlargementrattrapéletempsperdu,etelle
était toujours sur un petit nuage. Elle arborait quelques suçons sur le cou, marques de leurs
retrouvaillespassionnées.
–Elleabesoind’umamante.D’unamant,diagnostiquaJacqui.
C’étaitsasolutionàtouslesproblèmes.Depuissestreizeans,Jacquin’avaitjamaisétéenpanne
depetitami:c’étaitnécessaireàsonbien-être.
–Onenesttouteslà!soupiraEliza.
Ellessechangèrentet,unefoisleursshortsetmaillotsdebainsenfilés,rejoignirentMaraetles
enfantsdansl’allée.Williamsautillaitsurlegravier,Codybraillaitdanssonsiègebébéetlespetites,
assisesaufonddumonospace,avaientl’airdesemorfondre.
–William!Montedanslavoiture,s’ilteplaît,suppliaMara.
–Allez,viens!ditElizaensoulevantWilliametenlefourrantàl’intérieur.Tuasintérêtàbien
tetenir,situveuxpasquejet’inscriveaucoursdedanseclassiqueavectessœurs.
Çalecalma.Mararegrettadenepasyavoirsongé.
Elizasedirigeaversl’avant.
–Jevaisconduire.Jesaiscommentonyva.
Mara hocha la tête, reconnaissante. Ils s’entassèrent dans le véhicule et Eliza les conduisit à
GeorgicaBeach.EllesdéposèrentJacquiausnackpourqu’elleachètedequoidéjeuner,etElizalui
indiquaoùlesretrouver.Ellesparvinrentànepasperdredegaminenroute,etElizadégota,surla
plage,uncoinsuffisammentéloignédel’endroitoùtraînaitsavieillebandedecopains.Elleétendit
lesserviettesets’allongeadansuntransat.Ellesouffraitd’uneterriblemigrainedueauxexcèsdela
veille, et les gémissements des gosses n’arrangeaient rien. Mais bon Dieu, ce que c’était bon de
retrouverGeorgica!
MaracoiffaCodyd’unchapeauàlargebordetsemitàtartinerlesfillettesd’écrantotal.Une
foisMadisonetZoëbienprotégées,elletentasachanceavecWilliam.
–Restetranquille!Nebougepas!Fautquej’enmettesurtondos!suppliaMara.
MaisWilliamcontinuaitàfairedesbondsetàsetortillerdanstouslessens.
–J’abandonne!soupira-t-elle.
Ellejetauncoupd’œilàlaronde.Elizas’étaitendormiesursondrapdebain.Jacqui,qu’elles
avaient déposée au snack près d’une heure plus tôt, n’était toujours pas revenue. Comme c’était
surprenant!
–Qu’est-cequiluiestarrivé?demandaEliza,horrifiée,quandelleseréveilla,quelquesheures
plustard,etvitlevisagerougeetenflédeWilliam.
–Dequoituparles?répliquaMara.
ElleavaiteutellementàfaireaveclesfillesetCodyqu’ellen’avaitpasremarquéqueWilliam
étaitentraindecuire.Elles’étaitsentiesisoulagéelorsqu’ilavaitcessédejouerdanslesvaguespour
s’étendre sur une serviette, qu’il ne lui était pas venu à l’esprit que cela était un chouia inhabituel,
venantdupetitgarçon.
–Jemesenspasbien,ditWilliam.
Tout son corps était cramoisi, à l’exception de quelques traces de main, là où Mara était
parvenueàpasserunpeudecrèmeprotectrice.
–Tun’asjamaisentenduparlerd’écrantotal?demandaElizad’unevoixaccusatrice.
–J’aiessayédeluienmettre.Maisilnevoulaitpastenirenplace,ditMarad’unevoixfaible.
Elleposalamainsurlefrontdel’enfant.
–Ilestbrûlant!
–C’estuneinsolation.J’aivudestouristesàquic’estarrivé,c’estpasbondutout.Ilfaudrait
l’amenerchezledocteur,commentaJacquienconstatantlesdégâtsd’unœilcritique.
Lesfillesfurentprisesdepanique.Williamcommençaàhaleter.LecœurdeMarabattaitàtout
rompre.Ellepritlegarçondanssesbrasetcourutàlavoiture.ElizaetJacquirassemblèrentsacset
gaminsrestantsetleuremboîtèrentlepas.
Àl’hôpital,ilslaissèrentunWilliamfiévreuxetsansconnaissanceauxbonssoinsd’unegentille
infirmièreetd’unaimabledocteur,etconfièrentlestroisautresàLaurie,quilesavaientretrouvées
surplace.
–JenedirairienàAnna.Pourlemoment.Maisappelez-moi,sic’estnécessaire,dit-elled’un
tonsévèreenregagnantsonvéhicule.
–C’estmafaute,murmuraMara.
Elle s’en voulait terriblement d’avoir négligé l’enfant. Que Jacqui et Eliza eussent elles aussi
leurpartderesponsabiliténeluiauraitmêmepastraversél’esprit.
–C’estvraiqu’iln’apasvoulurestertranquille,concédaEliza.
Elle n’irait pas plus loin dans le mea-culpa. N’empêche qu’elle s’inquiétait vraiment pour le
gosse...etpasseulementparcequ’ellesrisquaienttoutestroisdesefairerenvoyer.
Jacquichuchotaunebrèveprière.Ellenonplusn’avaitpaslaconscienceenpaix,ayantfiléen
doucedéjeuneravecLuca.
Elles patientèrent dans la petite cour faisant office de salle d’attente, en se demandant si elles
devaientounonappelerAnna.Maradisaitoui.Elizadisaitnon.PourfinircefutJacquiqui,d’un«Ce
qu’elleignorenepeutpasluifairedemal»fitpencherlabalanceducôtédunon.
Le docteur réapparut avec de bonnes nouvelles. Insolation sans gravité. Rien qui ne puisse se
guérir avec des poches de glace, une bonne réhydratation et du repos. Tout juste si elles
n’acclamèrentpasWilliamlorsqu’ilsortitencourant,aussiturbulentqu’àsonhabitude.
Elizaluiébouriffalescheveux.
–Tunousasfaitunedecespeurs!
–Laprochainefois,tutelaisserasfaire?demandaMara.
Pourtouteréponse,Williamarboraunsourireradieux.Jacquileserradanssesbras.
–C’estquoi,cequetuassurlecou?luidemanda-t-il.
Jacquirougit.
Elles espéraient, en rentrant, ne pas croiser Anna. Raté. Elle revenait justement de chez le
coiffeur,etellegarasavoituredevantlamaisonaumêmemomentqu’elles.
–Quelqu’unpeutsedonnerlapeinedem’expliquer?demanda-t-ellelorsqu’ellevitWilliam.
–Mmm...c’estl’écrantotal.Jecroisqu’iln’estpasassezpuissant,expliquatranquillementEliza.
–Maisilvabien,ajoutaJacqui.Pasvrai,Will?
Williamsecontentadesourireetdemontrerdudoigtsonsuçon.Pasdedoute,ilétaitremis.
–Lesmarquesqu’ontrouveenpharmaciesontvraimentinefficaces,ditElizaenchatouillantle
snobismed’Anna.Maisilyenaun,fabriquéàZurich,quiestàtomberparterre.
– Commandez-en pour demain, dit Anna, avant de pivoter sur ses talons sans même avoir dit
bonjourauxenfants.
Les trois filles poussèrent un soupir de soulagement. Et William détala, comme s’il ne s’était
rienpassé.
Derrièrelesboiseriesd’époque,
lesfillesontfiniparrepérer
leminibar
Deux semaines après que les jumelles l’eurent laissé tomber, avant la soirée du club
PlayStation2,Elizasetenaitdevantlelavabodelabuanderie,oùelletentaitderetirerlestachesde
bouesurlatenuedetennisdeSugar.Ellen’étaitpaspréparéeàçalorsqu’elleavaitditàKevinPerry
qu’elle«leurdonneraituncoupdemainaveclesgamins,cetété».
L’affront de Poppy et Sugar l’avait atteinte de plein fouet, mais elle s’était débrouillée pour
retournersurledevantdelascènegrâceàsesvieillescopinesTayloretLindsay,quiavaientaccèsà
touteslesmondanitésdelaville,desinaugurationsdeboutiquesauxavant-premièresdefilms.Elles
passaienttoutesleurssoiréesdansuneboîtedifférente,évitantstratégiquementlesjumellesPerry.Il
étaitplusdifficiled’ignorerleurexistenceàl’intérieurdelamaison,oùlespetitespestesblondesne
cessaient de lui imposer des tâches ingrates. Eliza ne s’en affligeait pas vraiment, vu que Sugar et
Poppy ne s’étaient pas avisées de révéler sa nouvelle condition au reste de la clique. Était-ce par
négligence,ouparindifférence?Elizan’enavaitpaslamoindreidée,maisleurétaitreconnaissante
dusursisaccordé–enpublic,toutaumoins.
–Voilà,dit-elleenexaminantàlalumièrel’étoffesalie.Çadevraitaller.
Sesonglesétaientfichusmaisellen’auraitpas,àsonréveil,àentendreSugarluidemander,de
savoixéraillée,pourquoisajupedetennisn’étaitpaspenduedansleplacard.Ellesedirigeaversla
cuisine,oùMara,assisedevantunbol,manipulaitunepetitechoseverteavecprécaution.
–Qu’est-cequetufais?demandaEliza.
–Àtonavis?J’épluchelesraisinsdeMadison,expliquaMaracommes’iln’yavaitriendeplus
naturelaumonde.
–C’estpasvrai,nomdeDieu!
Elizan’enrevenaittoujourspasdecequ’ellesétaientparfoisobligéesdefairepourcesgosses.
Mara saisit le raisin et en retira soigneusement la peau. Le bol contenait deux douzaines de
spécimensainsipelés.
–OùestJacqui?demandaEliza.
–EllefaitdînerCody.C’estsontour.
Et,pourunefois,Jacquiétaitlàpourl’assumer.
Elizafitlagrimace.Tuparlesd’unecorvée!Lesfillesavaientapprisànepassetenirdansla
lignedetirlorsqueCodyvomissait,aprèschaquerepas.
–Merda!s’exclamaJacquiendéboulantdanslacuisine.
Unegerbedevomivertes’étendaitsurtoutelalongueurdesarobedecoton.
–Pourquoinedoit-ilmangerquedesalimentshachésàlamain?fulminaitJacqui.Cettefemme
n’ajamaisentenduparlerdespetitspotspourbébé?Sonestomac...ilesttoutenjoado!
Ellesgrommelèrentensignedecompassion.
Madisonentradanslacuisineetpritunraisin.
–Beurk!dit-elleenrecrachantunecochonnerieàdemimâchée.
–Qu’est-cequ’ilya,cettefois-ci?soupiraMara.
–Ilsnesontpasassezfroids.Etilresteencoreunpeudepeausurcelui-là.
Pourunpeu,Maraseseraitarrachélescheveux.LesraisinsdeMadisonn’étaientjamaisassez
froidsoucorrectementpelés.Lerestedutemps,ilsétaientlaissésdecôtésousprétextequ’ilsavaient
« l’air bizarre ». Mara avait beau savoir que l’enfant ne faisait que se révolter contre le régime
draconienédictéparsabelle-mère,çan’encommençaitpasmoinsàluipourrirsérieusementlavie.
–Jenevoispascequ’ilsontdebizarre,ditElizaenprenantunfruitetenlefourrantdanssa
bouche. Miam ! J’aimerais bien avoir quelqu’un pour m’éplucher mes raisins. Tu es une petite
veinarde.
Madison regarda Eliza d’un air sceptique, mais mangea les raisins sans une parole de
protestation.Unvraimiracle.
La porte s’ouvrit toute grande et, cette fois-ci, c’est Anna qui fit son entrée. Les trois filles
restèrentfigéessurplace,sedemandantcequin’allaitpas,cettefois-ci.
–Quelqu’unavulecourrier?
Ellessecouèrentlatête.Laurieleuravaitditqu’Annaattendaitfébrilementuneinvitationpourun
dînerchezCalvinKlein.Malheureusement,celle-cineluiétaitpasencoreparvenue.
–Anna?Vouspermettezqu’onvousposeunequestion?hasardaMara.
–Oui?
–Lespetitsn’arrêtentpasdeparlerdecesautresfillesqui...heu...quis’occupaientd’euxavant
nous...Voussavezàquoiilsfontréférence?
–DesfillesdunomdeCamilleetTara,ouquelquechosedanscegoût-là,précisaEliza.
Annafronçalessourcils.
–Oui.Ellestravaillaientici.Maisnouspréféronsnepasyfaireallusion,répondit-elled’unton
pincé.Mesuis-jebienfaitcomprendre?
Elleshochèrentlatête.Visiblement,c’étaitunsujettabou.Cequinefitqu’augmenterlacuriosité
desfilles.Qu’avaient-ellesdoncfaitdesiterrible?Siseulementquelqu’unvoulaitbienleleurdire.
Detouteévidence,ellesn’avaientpaslaisséungamingrillerausoleilcommeunechips.Ça,ellesmêmes l’avaient fait et elles étaient toujours là. Il leur fallait apprendre ce qui s’était passé car,
commeellesenconvenaienttoutestrois,ellesnepouvaientpassepermettredefairelamêmeerreur.
Après avoir nettoyé la cuisine et couché les enfants, les filles au pair regagnèrent d’un pas
chancelantleurchambremiteuse.
–MonDieu!Quellesemaine!s’exclamaElizaenselaissanttombersurl’uniquefauteuil.
Entre la préparation des repas, le ménage et la fuite à toutes jambes chaque fois qu’elle
apercevaitlatêteblondedesjumellesdansunesalleVIP,Elizaétaitvannée.
–Tum’étonnes!approuvaMara,enrepensantàcettesemainepasséeàsatisfaireauxcapricesde
cesquatregaminsadorables,maistropgâtés.
Jacquis’étaitprécipitéedanslasalledebainspoursechanger.Pourdîner,elledevaitretrouver
LucaauLaundry,unrestaurantfrançaistoutcequ’ilyaderomantique.
Elizajetauncoupd’œilàl’horloge.Neufheures.Troptôtpourallerenboîte.
–Tusaisquoi?Onmériteunpetitbreak.
–Tuasquelquechosedeprécisentête?demandaMara.
Elizaeutunsouriremalicieux.
– Regarde ce que j’ai trouvé ! s’exclama-t-elle, radieuse, en exhibant une clé ancienne qui
s’avéraitouvrirleplacardàalcoolsdesPerry.
Ilétaitgrandtempsqu’elless’amusentunpeu.
Lemeilleurmoyendepercer
unsecretàjour?
Unebouteilledevodka
etlejeudelavérité
Unebouteilledevodkavideroulasurletapisuséjusqu’àlacorde.
–Etenvoilàuneautre!s’exclamaElizaentredeuxhoquets,sortantunesecondebouteilledeson
sac.
–Nonmerci...j’aimadose,ditMara.
–Pasquestion.Sijem’ensersunautre,vousm’accompagnez.
Jacqui leva son verre. Elle n’était pas du genre à refuser une telle proposition. Voler deux
bouteillesdanslaréservedesPerryleuravaitparutotalementjustifié,vuqu’ellestravaillaientcomme
desforçats.C’étaitunesortedeprime,avaitdécidéEliza.
–Jouonsaujeudelavérité,proposaElizaenfaisanttournerlabouteillecouchée.
LegoulotdésignaJacqui.
–Qu’est-cequevousvoulezsavoir?demandaJacqui.
Luca avait appelé plus tôt pour lui dire qu’ils se retrouveraient finalement à onze heures au
TurtleCrossing.Elleavaitdoncunbonmomentàperdreavecsescamaradesdechambre.
– Tu as déjà été amoureuse ? demanda Eliza, en se disant qu’il valait mieux, au début, y aller
mollo.
Jacquisoufflalafuméedesacigaretteetconsidéralaquestion.
–Évidemment.
–Etencemoment,tuesamoureuse?demandaMara.
–Çasepourrait,concédaJacqui.
–Ças’appellelejeudelaVÉRITÉ!protestaEliza.
–OK,OK.Oui,jesuisamoureuse,gloussaJacqui.
ElleleurparladeLuca,letypequ’elleétaitvenueretrouveràl’autreboutdumonde,etdupeu
detempsqu’illeuravaitfallupourretomberdanslesbrasl’undel’autre.Leurconfiaaussiquerien
n’avaitchangé.Vraiment?Ellesegardadelementionner,maisLucanel’emmenaitjamaisdansles
endroitsenvue.Aulieudeça,ilspassaientuntempsfoudanssachambreàcoucherouàmangerdu
crabe dans les gargotes miteuses et isolées au nord de l’embranchement (dans ce qu’on appelait la
«mauvaise»partiedesHamptons).«Jeneraffolepasdelavienocturnecetteannée,Jac»,luiavait-il
expliquéunsoir,tandisqu’ilsétaientsurlepointdesecoltinertoutelaroutejusqu’àunbardélabré
deShelterIslandoùl’onservait,d’aprèslui,«lesmeilleurshamburgersdesHamptons».
Jacqui n’avait rien trouvé rien d’exceptionnel aux hamburgers de chez Dory. Mais elle avait
retrouvésonhomme,etêtreavecluisuffisaitàlarendreheureuse.Ellefittournerlabouteille.Mara
futdésignée.
–Zut!dit-elle.Bon,demandez-moicequevousvoulez.
–Tuascouchéaveccombiendetypes?luidemandaElizaavecungrandsourire.
Ellevoulaitlasecouerunpeu.Marapouvaitêtresicoincée.
Àlagrandesurprised’Eliza,Marasecontentadeleverlesyeuxauciel.
–Unseul.
ElleleurparladeJim,sonpetitamiqu’elleavaitlaisséàSturbridge.D’ailleurs,iln’avaitpas
échappé à ses camarades qu’après sa journée de travail, Mara s’empressait de connecter son
ordinateur portable pour envoyer des e-mails ou profitait au max de chaque minute de son forfait
pour discuter tous les soirs avec lui. Comme si ça lui servait à quelque chose. Même Jacqui avait
remarquéqueMaranepouvaitposerlesyeuxsurRyanPerrysanspiquerunfard.
–Etalors?C’étaitcomment?
Maraserebiffa.
–Jenecroispasqu’onaitledroitdeposerplusieursquestionsdesuite!
–Pasterrible,hein?lataquinaEliza,quetroisvodkas-tonicavaientmisedebonnehumeur.
–Ettoi,tuascouchéaveccombiendemecs?luidemandaJacqui.
–C’estpasmontour!protestaElizaenrougissant.
–Allez!Combien?insistaJacqui,pleinedecuriosité.
–Jevouslediraipas.
–LAVÉRITÉ!LAVÉRITÉ!LAVÉRITÉ!exigeaMara.
–OK...trèsbien.Aucun,réponditElizasuruntondedéfi.
–Waouh!
JacquietMaraécarquillèrentlesyeux.Voilàquidevenaitintéressant.
–J’aifailli,unefois.AvecCharlie,monpetitami,précisaEliza,enprenantuneexpressionplus
douce.Onfêtaitnossixpremiersmoisensemble,etilvenaitdem’offrircesbouclesd’oreilles,ditelleeneffleurantl’uned’elles.Jem’étaisachetécetadorablepetitensembleLaPerla.
–Qu’est-cequis’estpassé?
–IlavaitlouéunechambreauCarlyle.Maisàpeinearrivé,ils’estendormi,àcauseduvinqu’il
avaitbuaudîner.Onarompulasemainesuivante,sibienquel’occasionnes’estpasreprésentée.
–Qu’est-cequiestarrivé?demandaMara.
–Leschosessesont...heu...compliquées,expliquaEliza.Ilafalluquejem’enaille.
–Tuétaisamoureusedelui?repritMara.
–Oui...enfin,jecrois.
En tout cas, elle avait aimé être la petite amie de Charlie Borshok, faute d’aimer Charlie luimême. Le titre apportait tellement d’avantages. Les cadeaux (qui lui étaient toujours remis en main
propre par un messager spécial). Les vacances (les week-ends dans la Locust Valley, le ski à
Telluride,lesescapadesdedernièreminuteàSaint-Bart’).Lajalousiecriantedetouteslesfillesdesa
classe.
–Vousêtesrestésencontact?demandaMara.
–Pasvraiment.Maisilpassesesvacancesicicetété.Jesuissûredetombersurluiundeces
quatre.
–Quisait,vousallezpeut-êtrerenouer?suggéraMara,enincorrigibleromantique.
– On verra bien, dit Eliza. J’ai entendu dire qu’il sortait déjà avec quelqu’un d’autre. (Elle
consultal’heuresursonportable.)Fautquejemeprépare.
–Tuvasoù?
–Ilyaunesoiréedebienfaisanceauprofitdelapréventiondentairepourlesenfants,àTrupin
Castle.C’estcetteénormepropriétéquecegarss’estfaitconstruireàSouthampton.Ilaviolétoutes
les règles d’aménagement du territoire pour le faire. À ce qu’on raconte, il a payé six millions de
dollarsd’honorairesd’avocats.Quoiqu’ilensoit,l’endroitn’aencorejamaisétéouvertaupublic,et
lenouveaupropriétairevientdelefairerénover.
–Commenttufaispourentrerdanstouscestrucs?Ilsnevérifientpas?demandaMara.
Elizaprituneboufféedesacigaretteetlaposasuruncendrierimprovisé(lecouvercled’unpot
decirecoiffante).
–J’aiunefaussecarted’identité.Etpuisc’estunesoiréeprivée.Dumomentquetuessurlaliste,
tout va bien. Ça coûte deux cents dollars par tête, mais Kit m’a donné trois billets d’entrée. Hé, les
filles,çavousditdevenir?
Sousl’effetdescocktailsetdessecretspartagés,Elizasesentaitparticulièrementgénéreuse.Ces
nanasnesontpeut-êtrepassiépouvantables,aprèstout,songea-t-elle.
–Non,j’airendez-vousavecLuca.
–J’aipromisàJimdel’appeler.
–Commevousvoudrez,ditElizaenpassantunjeanmoulantetunhautasymétriqueluidénudant
l’épaule.
Ellesecouasacrinièreblondeetjetaunderniercoupd’œilaumiroir.
–Àplus,lança-t-elleavantdedisparaîtredansunnuagedefuméeetdeparfum.
Il était vingt-trois heures. Tôt, selon les critères des Hamptons. La soirée ne faisait que
commencer.
Maraaunequalitébienàelle:
ças’appellelagentillesse
À minuit pile, le réveil fit entendre sa sonnerie perçante dans la chambre des filles au pair.
Hébétée, Mara appuya sur le bouton d’arrêt. Elle ouvrit un œil. Elle dormait depuis moins d’une
heure.C’étaitquoi,ça?
Soudain,çaluirevint.
Zoë.
Elles’extirpadulit,passasarobedechambreetsespantoufles,etsetraînajusqu’àlamaison
principale. Là, après quelques rapides tentatives, elle désactiva l’alarme anti-vol. La demeure était
plongéedansunsilenceinquiétant.Maramontaaupremierétageetsedirigeaverslachambresituée
àl’angle.Elleouvritlaporteet,surlapointedespieds,allajusqu’àlapetiteformeblottiesurlelit.
–Zoë,lève-toi!dit-elle.
–Hein?
–C’estl’heured’allerauxtoilettes,ditMaradansunbâillement.
Un matin, Mara avait découvert Zoë baignant jusqu’au cou dans son propre pipi. Nul, dans la
maison–sabelle-mèreencoremoinsquelesautres–nesemblaitsavoirousesoucierdufaitquela
fillettedesixansmouillaitencoresonlit.Lagaminefichaitenl’airuneinvraisemblablequantitéde
draps Frette à tissage serré. De plus, des rougeurs étaient apparues sur ses jambes, du fait de ses
émissions nocturnes. Mara n’en revenait pas que l’enfant n’ait pas été habituée à aller au
pot. Toujours est-il qu’après s’être procuré à la librairie Bookhampton un exemplaire très usé du
manuelduDrSpock,Marasefaufilaitquotidiennementàminuitdanslachambredelafillettepour
l’accompagner aux toilettes. Zoë s’extasiait, chaque matin, de se réveiller au sec. Mara était une
magicienne.
–J’aifini,Mara,criaZoë,depuislestoilettes.
– La prochaine fois, tu n’auras peut-être pas besoin que je te réveille, dit Mara d’un ton plein
d’espoir.
Zoëhochalatête.EllecommençaitàcroiretoutcequedisaitMara.
Celle-cirefermalaporteetregagnalepalieraumomentoùRyanPerrysortaitdesachambre,
habillépoursortir.Sescheveuxétaientencoremouillésdeladouche,ilsentaitlesavonetl’eaude
Cologne.Ilportaitunsweat-shirtenlinetunjeanfoncé.Maranepouvaitsefigurerplusbeaugarçon.
–Ohé!fit-il.
Ils ne s’étaient pas beaucoup revus, depuis le premier soir. Il s’était excusé d’avoir loupé la
partiedeScrabble,invoquantcommeexcuseuncopaindontlaJeepétaittombéeenpanne.
– Salut, répliqua Mara en regrettant d’être vêtue d’une robe de chambre en tissu écossais, de
pantouflesenformedelapinsetd’unechemisedenuittrouéeavecécrit«JENEDORSQU’AVEC
LESMEILLEURS!»engrosseslettresroses.
–Chouettechemisedenuit,ditRyanavecungrandsourire.C’estvrai,aumoins?
–Masœurmel’aoffertepourmesonzeans,réponditMara,embarrassée.
–Dessoucisaveclesgamins?demandaRyan.
–Non.JecroyaisavoirentenduZoësonner,maisenfaitelledort.Tuvasquelquepart?
PasquestiondetrahirlesecretdeZoë,mêmesiellen’avaitquesixans.
–Mesamism’ontdébauché,dit-ilenfaisantcraquersanuque.Unesoiréepoursauverlesbébés,
oujenesaisplustropquoi.
–ÀTrupinCastle?
Sonvisages’éclaira.
–Ouais.Tuyvas?
Elleéclataderireetregardasespantoufles.
–Àtonavis?
LesouriredeRyansefigeaunpeu.
–Tuveuxvenir?Çadevraitpasêtredifficileàarranger.
Ellesecoualatête.
–Non,çavabien,jet’assure.
–Laprochainefois,alors?
–Avecplaisir.
Mara retourna au cottage, en se demandant si elle n’aurait pas dû accepter la proposition de
Ryan.ElletrouvaJacquiassisesurleperron,l’airabattu.
–Qu’est-cequis’estpassé?OùestLuca?
–Ilaannulé.Jesuisrestéeuneheuredehorsàl’attendre,etilaappelépourdirequ’ilétaittrop
fatigué.
–Jesuisdésoléepourtoi.
–J’aiquandmêmeenviedesortir.Estaumanoitebonita.Pastoi?
–Jesuisenpyjama,fitremarquerMara.
–Tun’asqu’àtechanger.
–Jenesaispas...
–Allez.J’aiappeléEliza,etellem’aditqu’ellenousavaitfaitmettresurlaliste,pourlecasoù
onchangeraitd’avis.
Mara se tâta. En deux semaines, elle n’était pas sortie une seule fois de la propriété des Perry
aprèslatombéedujour.EtRyanyseraitluiaussi.Ilétaitpeut-êtretempspourelledevoircet«autre
aspectdesHamptons»surlequelElizaétaitintarissable.
Jacquiluijetaunregardsuppliant.
–Oh,etpuiszut,onyva!
Et,sitôtdit,MaraetJacquis’empressèrentdemontersechanger.
Pasbesoinderespecter
lecodevestimentaire,
pourpeuqu’onsoitjolie
Pour la énième fois depuis son arrivée, Mara se demanda pourquoi il y avait tant de monde,
partout dans les Hamptons. Pour un lieu où les gens venaient se relaxer le week-end, on y jouait
beaucoupdescoudes.
Jacquietelleprirentuntaxi,etdurentmettreencommunl’argentqu’ellesavaientsurellespour
réglerlacourse–dontlemontantleslaissasansvoix.Maiselleshésitaientencoreàuserdeleurdroit
d’«utilisern’importequellevoituredisponible».Deplus,ellesétaientunpeuéméchéesàcausedela
vodka.Àleurarrivéeauxportesduchâteau,Maraauraitjuréqu’ellesneparviendraientpasàentrer.
Les gens, au contrôle, ne comprenaient pas l’accent de Jacqui. Lorsqu’ils le comprirent, ils ne
trouvèrentpaslenomd’Elizasurlaliste.Lorsqu’ilsl’eurenttrouvé,l’undesphysionomistessecoua
latêteàlavuedeschaussuresdeMara.
–Ilyauncodevestimentaireici,mesdames,dit-ild’unevoixdésapprobatrice.
JacquiavaitconseilléàMaradelaissertombersesReebok.Maislorsqu’elleavaitvulesorteils
–nécessitantunepédicuriedetouteurgence–deMara,ellen’avaitpasinsisté.Pasquestionqu’elle
portedeschaussuresouvertes.Parchance,Jacquiavaittapédansl’œild’unautrephysionomiste,qui
décidadeleslaisserentrerquandmême.
–Vousavezréussiàentrer!ditElizalorsqu’elleleseutretrouvéesprèsdubar.Qu’est-ceque
vousvoulezboire?Jeconnaislebarman,précisa-t-elleenluifaisantsigne.
Ellesfirentpartdeleurssouhaits,etfurentserviesaussisec.
– Matez un peu l’aquarium à requins ! fit-elle en montrant du doigt le centre de la pièce, où
étaientexhibésdesrequins-marteauxdeprèsdedeuxmètres.
Mararetintuncridesurprise.N’yavait-ilaucunelimiteàtouscesexcès?
–J’airéussiàdébaucherMara.Incroyable,non?s’esclaffaJacqui.
–OùestLuca?
Jacquihaussalesépaules.
–Ilavaitdeschosesàfaire.
–Jacqui,tuconnaisdéjàLindsayetTaylor,ditElizaendésignantsesdeuxamies,quidétaillèrent
ostensiblementlesnouvellesvenues.
–Ouais,l’étudianteétrangère,ditLindsayengratifiantJacquid’unsourireglacial.
Lindsayn’aimaitpaslesfillesquiressemblaientàJacqui:rivaliseravecellesétaitau-dessusde
sesmoyens.
L’étudianteétrangère.Quezaco?Maran’ycomprenaitrien.
–EtvoiciMara,uneautreamieàmoi.
–Etça,c’estquoi?demandaLindsayendésignantl’AmstelLightdanslamaindeMara.
–Delabière.Pourquoi?rétorquaMara.
Taylorgrimaça.
–Beurk!Commenttupeuxboireça?C’estinfect.
Mara but une petite gorgée et jeta un discret coup d’œil à la ronde. Tous les gens présents
tenaientdescoupesrempliesdecocktailscolorés.Nepouvait-ellerienfairecommelesautres?Etoù
étaitRyan?Ellenelevoyaitnullepartmais,avecunefoulepareille,çan’avaitriend’étonnant.
–Taylor...onvachercheràboire?demandaLindsay,alorsquesonverreétaitencoreàmoitié
plein.
Toutesdeuxenprofitèrentpourfiler.Ellesenavaientsoupédes«nouvellesamies»d’Eliza.
–Neregardepastoutdesuite,maisilyaCharliequiarrive,luiglissaTayloravantdes’éclipser
enindiquantunpetitmecvêtud’unblazerbleuquipiquaitdroitsurelles.
Elizaseretournaenmontrantsonmeilleurprofiletensevoûtantlégèrement.Avecsestalons,
elleétaitplusgrandequelui,etiln’avaitjamaisaiméça.
CharlieBorshokétaitlegossedemillionnairetype.Selonlarumeurpublique,safamilleavait
déjàdépenséundemi-milliondedollarspourluifaireremodelerlevisage.Onluiavaitrefaitlenez,
recollé les oreilles, renforcé le menton, rehaussé les pommettes, remonté le front et Dieu sait quoi
d’autreafindeluidonnerunsemblantdeséduction.Uncertaindocumentaireavaitfaitgrandbruit,
peudetempsauparavant:iltraitaitdesgossessuper-riches,etlebruits’étaitrépanduqueCharlieétait
l’unedesesstars.«L’accordprénuptial!L’accordprénuptial!Onm’enfonceçadanslecrânedepuis
quej’aitroisans»,avait-ilconfiéauxcaméras.«Etsielleneveutpassigner,c’estqu’iln’yaquele
fricquil’intéresse,cettegarce!»MaislafamilleBorshokavaitmissuffisammentdemoyenslégaux
enœuvrepourquelemetteurenscènelaissetomberCharlie,etquelesscènestournéesfinissentsur
lesoldelasalledemontage.Iln’empêchequetoutlemonde,évidemment,enavaitentenduparler.
Eliza connaissait une demi-douzaine de gamins qui avaient été interviewés pour le film, et dont les
parentsavaienttentédefairelamêmechose.
Mais pour Eliza, tout cela n’importait guère. Charlie était toujours le type génial qui lui avait
offertdesbouclesd’oreillesHarryWinstonendiamantsdedeuxcaratspourfêterleurssixpremiers
mois.C’étaitpasdel’amour,ça?
–Çafaitunbail!ditElizaaussichaleureusementqu’elleenétaitcapable.
Charlieetelleétaientfaitsl’unpourl’autre;decela,elleétaitcertaine.
Ilhaussalesépaules.
–OnracontequetuasétéexpédiéeàFarmington.
Elizas’efforçadenepasparaîtremalàl’aise.Elleavaittoujoursprissoindenepasmentionner
le pensionnat dont elle était censée être élève, au cas où l’un des membres de la clique connaîtrait
quelqu’undanslamêmeécole.Mais,pouronnesaitquelleraison,larumeurvoulaitqu’elleeûtété
envoyéeàlaMissPorter ’sSchool,unlycéepourfillestrèssélectduConnecticut.
– Ne m’en parle pas ! Charlie, je voudrais te présenter mes amies, Mara et Jacqui. Les filles,
voiciCharlie,ditElizad’unevoixtriomphante.
–Enchanté.Commentavez-vousrencontréEliza?
–Oh,ontrava...,commençaMara.
–C’estmacamaradedechambre!l’interrompitEliza,réagissantauquartdetour.
–Etçasepassebien?demandaCharlie.
– Pas trop mal. Les gamins sont parfois pénibles, et notre chambre est vraiment petite, mais à
partçatoutvabien,réponditMara.Notrepatronneestunpeuexigeante,toutdemême.
– C’est comme ça qu’on surnomme la prof principale, dit Eliza avec un rire perçant, en
suppliantMaraduregard.Lepensionnat,c’estvraimentnaze.
Lepensionnat?
–Heu...oui...,repritMarad’unevoixhésitante.Oui,lepensionnat.Lesuniformescraignentun
max.
C’étaitquoi,cedélire?
–Mais...heu...Là-bas,Elizaestl’élèvelapluspopulaire,ajouta-t-elle,suruneinspirationsubite.
–Ehbien,çanem’étonnepas,ditCharlieendétaillantsonex-petiteamie.
Charlie regardait les femmes comme il jaugeait les pur-sang – flancs, dents, chaussures – et
Elizaavaitpartout10sur10.Ilétaitencorefroisséparleurrupture.Lestypesdel’espècedeCharlie
Borshokadmettaientmald’êtrelarguésdujouraulendemain.MaisElizan’enrestaitpasmoins,etde
loin,laplusjoliefilled’EastHampton.
–Ilfautqu’onserevoieundecesjours,dit-ilàElizaenluiembrassantlajoue.
Les yeux d’Eliza s’embuèrent de larmes. Lui pardonnait-il ? La laisserait-il faire à nouveau
partiedesavie?Sonexistenceredeviendrait-elleparfaite?Lasauverait-ildecegrenierinfestéde
cafardsetleurréserverait-ilunesuiteàl’hôtelBentley?
–Visiblement,vousallezvousremettreensembletouslesdeux,fitremarquerMaraaprèsque
Charliesefutéloigné.
– Mon Dieu, j’espère. Les parents de Charlie possèdent un yacht énorme ! dit Eliza, sans se
soucierdeparaîtreterriblementsuperficielle.
–Maisc’étaitquoi,cettehistoire...qu’onseraitdescopinesdelycéeettoutça?demandaMara.
EtenquoiJacquiest-elleuneétudianteétrangère?
–C’estcommeça...,marmonnaElizaensemordillantlalèvre.
Devait-elle leur dire ? Pouvait-elle leur faire confiance ? Elles l’avaient protégée jusqu’à
présent.QuieûtcruqueMarapouvaitmentirainsi?Ellesluiavaientpermisdesauverlafacedevant
Charlie.Peut-êtreleurdevait-ellelavérité,mêmesansbouteilledevodkavidepourladésigner.
Elizalesentraînadanslecoinlepluscalmequ’elleputtrouver–derrièrelacolonne,nonloin
d’ungrouped’adosàl’œilvitreuxsefaisantpasserunecigaretterouléeàl’odeursuspecte.Elleleur
racontatout–Buffalo,lafaillite,lemensongedupensionnat.
–Jeneveuxpasquemesamis–etenparticulierCharlie–apprennentquejetravaillecetété...
voussavez...commefilleaupair...
MaraetJacquiéchangèrentunregard.Pourquoiuncirquepareil?
– Je sais que c’est idiot, mais voilà, j’ai l’intention de m’amuser cet été. Vous ne direz rien ?
implora-t-elle.
Jacqui bâilla. La confession d’Eliza ne lui faisait pas le moindre effet. Cette fille pouvait bien
raconteràtoutlemondequ’elleétaitlareined’Angleterre,elles’ensouciaitcommed’uneguigne.
QuantàMara,elleavaitplusdemalàcomprendre.Quellehonteyavait-ilàvivreàBuffalo?
Hé,elleétaitbiendeSturbridge.Elizaavaitvisiblementdegrosproblèmes,maisMarasesavaitmal
placéepourleluidire.
–Alors,lesfilles,vousnedirezrienàpersonne?
Lesdeuxautreshochèrentlatête.Avecelles,sonsecretétaitbiengardé.
Vousappelezça
desprogrès?
Lejourdupremierrapporthebdomadairefinitpararriver,mêmesilesfillestravaillaientalors
chezlesPerrydepuisprèsdetroissemaines.Lauraleurassuraque,cettefois-ci,KevinetAnnales
attendraient dimanche matin à dix heures, dans la salle de projection. Les filles avaient de bonnes
raisons d’être nerveuses. Les gamins leur tapaient sur le système en ne cessant de les comparer à
celles qui les avaient précédées. « Astrid nous faisait des sandwichs au thon épicés. » « Camille ne
nouscouchaitjamaisavantdixheures.»«Taraétaittellementplusjoliequetoi.»Àdeuxreprises,les
fillettes étaient arrivées en retard à leur cours de danse parce que Mara, la seule qui se levait
suffisammenttôtpourlesaccompagner,seperdaittoutletempsdanslespetitesrues.
Deplus,ellesavaientapprisparl’unedesfemmesdechambrequelepremiergroupedejeunes
fillesaupair,employédepuislemoisdejuin,avaitétérenvoyésanspréavis.Ellesn’avaienttoujours
paslamoindreidéedecequis’étaitpassé.
–Vite,c’estquoiledernierlivrequenousavonsluàCody?demandaEliza.
–Saute,monchien!,hasardaJacqui.
–C’estquoi,ça?Ondiraitletitred’unfilmporno.
–Tuasl’espritmaltourné.C’estunlivreduDrSeuss!
–C’estça!
–Jemedemandesic’étaitpasPokeylepetitchien,ditJacqui.
–Saute,PetitPokey!C’estça!s’exclamaElizaenhochantlatête.
–Madisonamangéquoi,pourlepetitdéjeuner?demandaMarad’unevoixanxieuse.
–Àtonavis?Uncornetdeglaceetdesbiscuitsfourrésauchocolat,réponditElizaenlevantles
yeuxauciel.Commetouslesmatins.
–Noooon!!!Ellesuitunrégimediététiqueàbased’alimentscrus!Eliza,j’ailaissélesrecettes
surtonlit.Tuétaiscenséet’enoccuperpendantqueJacquietmoiconduisionslesgarçonsaukravmaga!grommelaMara.
Annaavaitinscritlesgarçonsàdescoursdecetartmartialisraélien,bienqueleplusjeuneeût
encoredumalànepastomberquandilmarchait.Visiblement,lekaraténelabranchaitpas.
–C’estquoi,leursnoms,déjà?demandaJacqui.
–Tublaguesouquoi?
Jacquisecoualatête.Ilsétaientsinombreux,difficiledenepass’emmêlerlespinceaux.Etpuis,
elle n’était pas très souvent dans les parages – dès qu’elle avait une minute de libre, elle filait
rejoindreLuca.
–Heu...William.EtManhattan?
–MADISON!
–D’accord.Zooey...et...Cory?
–Cody.
–Zoë.Parle-moideZoë,ditEliza.Ilyaquelquechosequejedevraissavoirsurelle?
– Qu’est-ce que je pourrais te dire... Elle suce encore son pouce et se comporte davantage
commeunegossedetroisansquecommeunefillettedesixans.Sonprofesseurdeyogas’estplaint
qu’elleaitfrappéquelqu’un,l’autrejour,danslaclasse.
–Coitada!marmonnaJacqui.
–Àvotreavis,qu’est-cequ’ilsvoudrontsavoird’autre?demandaElizaensetordantlesmains.
Elle ne voulait surtout pas fiche ce bon plan en l’air. Mara s’occupait quasiment seule des
gamins,pendantqu’elleetJacquipassaientlanuitàfairelabamboulaetlajournéeàseremettrede
leurgueuledebois.
–Toutvabiensepasser,ditMara–bienquesoncœurbattîtàtoutrompre.
Codyn’avaitpasmisunpieddansl’eau,Madisonavaitprisunkilo,Williamavaitcommencéà
secognerlatêtecontrelesmurs,etZoëétaitloindeconnaîtrel’alphabet.
–Ehbien,allons-y!
Eliza hocha les épaules en ouvrant la porte du sous-sol que les Perry avaient transformé, au
printemps,ensalledeprojection.Lemurdufondavaitétééquipéd’unécrandecinqmètresdelong
sur deux mètres cinquante de haut. Les trois filles s’installèrent sur des fauteuils réglables en cuir
noir.
Ellesattendirentdixminutes...unquartd’heure...unedemi-heure...
Jacqui s’endormit. Eliza feuilleta un Vogue, heureuse de pouvoir respirer un peu, à l’abri des
petitsmonstres.Maraconsultaitnerveusementsamontre.
Enfin,Esperanza,lagouvernanteàdemeuredesPerry,apparutsurleseuil.
–MeuDeus,j’aioubliédevousprévenir...Lauriem’aditdevousdirequeMissAnnaestallée
fairelesboutiquesetqueMisterKevinjoueautennis.
Oh.
Lebronzage
estlesportfavorid’Eliza
– Mara, passe-moi l’huile solaire ! commanda Eliza, derrière ses lunettes noires à monture
couvrante.
Ilfaisaitunsoleiléblouissant.Maissiellenelesavaitpasretiréesdelajournée,c’étaitpourune
toutautreraison.
Plus tôt dans la matinée, les jumelles l’avaient surprise en train d’essuyer les traces du vomi
quotidiendeCody,danslacuisineinondéedelumière.Ellesétaientvêtuesàl’identique,denuisettes
ensatinetdepeignoirsencachemire.
–Beurk!C’estdégueulasse!s’étaitexclaméSugar,ens’écartantprécautionneusement.
–Commenttupeuxtoucherça?demandaPoppy.
Les joues d’Eliza s’empourprèrent tandis qu’agenouillée, elle frottait le sol. Elle n’avait pas
prévuquelesjumellesselèveraientsitôt.
– Tu as appelé Kit ? lança Poppy à sa sœur. À quelle heure il vient nous chercher pour nous
emmeneràSunsetBeach?
Sugar la fit taire en désignant Eliza d’un geste pas très discret. Mais celle-ci distinguait
parfaitementleursparoles,mêmesilesjumellesluitournaientledos.
–Jenesaispas,onverraçaplustard,ditSugarenprenantunebananedanslecompotier.
–Hé,Eliza,tuaspenséàappelerpournousréserverunetablechezJean-Luc?demandaPoppy.
–Oui,c’estnotépourhuitheuresetdemie,marmonnaEliza,ensoulevantlebébédesachaise
haute.
–Tuasbiendemandélatableàl’angle,hein?
–Oui.Ilsm’ontditquec’étaitbon.
–Mmm...Sionnousmetn’importeoùailleurs,jerisqued’êtrevraimentfurax,menaçaPoppy.
SugarhaussalesépaulesetgratifiaElizad’unregardmi-méprisant,mi-compatissant,avantde
suivresasœurdehors.
Lorsqu’elles furent parties, Eliza sanglota doucement dans la poubelle à couches de Cody.
C’étaitsiinjuste...Elleétaitunechicfille,soussesrefletsàcinqcentsdollars(quiavaientbienbesoin
d’être ravivés). De sa vie, elle n’avait rien fait pour mériter pareil traitement. Cody l’observait,
fasciné,commeellereniflaitetsemouchaitbruyamment.
– Un jour, quand tu seras grand et que tu prendras possession de ta fortune, jure-moi de tout
fairepourlesdéshériter!dit-elleenluidonnantunepetitetapesurlementon.
Sesyeuxrougesetgonfléstémoignaientencoredesarencontreaveclesdeuxméchantessœurs,
lorsqu’ellesortitrejoindrelesautresauborddelapiscine.MaislesgrosseslunettesdesoleilGucci
avaientétécrééesspécialementpourcesmoments-là.
–Mara...tumepasseslalotionsolaire,s’ilteplaît?répétaElizad’untonsec,tendanttoujoursla
main.
–Oh,jesuisdésolée,ditMaraenlevantlesyeuxdelapiscineàdébordementdanslaquelleelle
tentait,àforcedecajoleries,defaireentrerCody.
Elle commençait à en avoir assez de voir Eliza et Jacqui se comporter comme si elles étaient
payées à glandouiller et à prendre des bains de soleil dans leurs mini-bikinis. Toutes deux avaient
passé l’après-midi vautrées dans des chaises longues, et n’avaient pas levé le petit doigt pour se
rendreutiles–pasmêmelorsqueWilliamétaittombédansl’eauetavaitfaitminedesenoyer.
–Jet’aibieneue!avait-ilhurléquandMaraavaitplongé,enshortettee-shirt,pourlerepêcher.
QuantàMadison,ellecontinuaitàs’empiffrer,maispersonnen’avaitlecouragedecherchersa
nouvelleplanqueàsucreries.
L’uniquefoisoùellesavaientmontréuntantsoitpeudemotivation,c’estquandKevinPerry,se
rendant au terrain de golf, était passé devant la piscine. Eliza s’était empressée d’aider William à
mettre son masque de plongée, pendant que Jacqui prétendait s’intéresser au livre que Zoë faisait
semblantdelireàvoixhaute.
Malheureusement,loindelirelesmotsqu’elleavaitsouslesyeux,lapetitefilles’amusaitjusteà
répéter les instructions que sa belle-mère donnait chaque matin à leur gouvernante. « Faites bien
attentionàrangerlesépicesdugarde-mangerparordrealphabétique.»«Quandmoncoacharrivera,
dites-luidemeretrouverdanslasalledegym.»«Assurez-vousdebienutiliserlenettoyantcarrelage
bioquej’aifaitvenird’Amsterdam.»
– Alors, comment vont nos filles au pair ? demanda Kevin Perry, les yeux rivés sur le corps
spectaculairedeJacqui,àpeinecouvertpardeuxpetitstrianglesaucrochetenformedecoquillageet
unstringassorti.
–Là...vousenavezoublié,dit-ilens’avançantversJacquipourétaler,sursonépaule,unepetite
traînéed’écrantotalqu’ilfitpénétreravecsonpouce.Voilà.C’estmieuxcommeça.
MaraetElizablêmirent.MaisJacquinecillapasetluiréponditparunsourireaudacieux.Avec
unpeudechance,peut-êtren’aurait-elleriend’autreàfairecetétéquenourrirlesfantasmesdupère
defamille.Etpuis,rienn’auraitputempérersoneuphorie:Lucaavaitpromisdel’emmenerdînerce
soir au Farmhouse, un charmant restaurant pittoresque à souhait – qui se trouvait à East Hampton,
justeenbasdelarue,etnonàuneheurederoute.
Une fois Kevin parti, Jacqui et Eliza se laissèrent retomber sur leurs chaises longues. Mara
soupira.Ellenesavaitquelleattitudeadopteravecsescollèguesdetravail.Elleavaitespéré,envain,
que l’insolation de William et le jeu de la vérité les rapprocheraient. Or, Jacqui était obsédée par
Luca,etElizasemontraitdistante.Sibienquetoutestroiss’adressaientàpeinelaparole,sicen’est
lorsqu’elless’occupaientdesgamins,oupourseplaindredesPerry.Nonqu’elleseussentréellement
desraisonsderâler–AnnaetKevinn’étaientpresquejamaislà.Parailleurs,Maraavaitelleaussides
soucis. Ces derniers temps, Jim ne cessait d’insister pour qu’elle prenne un week-end de vacances,
s’embarquesurleferrydelacompagnieNewLondonetramènesapoireàSturbridge.
–Tiens,ditMara,selevantetluiflanquantlabouteilleorangedanslamain.
–Merci.
Eliza s’enduisit le corps d’huile, tout en s’efforçant d’exorciser l’affront des jumelles.
ContrairementàSugaretPoppy,quirougissaientousecouvraientdetachesderousseur,elleavaitla
chanced’avoirunepeauquibrunissaitharmonieusement.
Bienqu’ellenepossédâtpasleurargent,elleavaitunechosequelesjumellesn’avaientpas.
Ellebronzaitbien.
GrâceàEliza,lejardinier
commencebienlajournée
Leclaquementd’unsécateurfitsursauterlesfilles.Tournantlatête,ellesvirentuntrèscharmant
jeunehommebrun,entee-shirttrouéetjeandélavé,taillerleshaies.Elizaleconsidéraaveccuriosité
etletypecroisaunesecondesonregard,avantdesereplongerdanssatâche.
Ilestentraindemeregarder,songeaEliza,àlafoisennuyéeetintriguée.
Elle déplia ses jambes et se cambra en frictionnant son décolleté et son ventre nu de lotion
solaireaujusdecarotte.Lorsqu’ellesecouchasurledosetdéfitlesbretellesdesonsoutien-gorge,
ellesurpritunenouvellefoisleregarddujeunehomme.Pouah!Cequ’ilétaitmalélevé!Elleleva
les yeux au ciel. Mais, une minute plus tard, elle lui jeta un coup d’œil furtif, à travers ses lunettes
Gucciabaissées.
Lesépauleslarges...Lesyeuxbleus,souslebobcraignos...Mmmm...plutôtmignon,àcequ’il
semblerait.
Commes’ilavaitlamoindrechanceavecelle.
Allez,qu’ilserincel’œil!songeaEliza.C’estsûrementleplusbeaujourdesavie.
–Viens,Cody.C’estlepetitbain,etpuiscen’estquedel’eau,çanevatefairedemal,ditMara,
s’efforçantdemettreenconfiancel’enfantapeuré.
–MAISSI!AHAHAH!s’exclamaWilliam,avantdesauterdanslapiscineenl’éclaboussant
copieusement.
–Nefaispasattentionàlui.
–Allez,fiche-ledoncàl’eau!lançaunevoixjoviale,surletondelaplaisanterie.
Levantlesyeux,ellesaperçurentRyanPerry.Torsenu,ils’étiraitlesjambes,sepréparantàfaire
sesquelqueslongueursquotidiennes.
–Hé,mec,tuvasàcetrucauSunsetcesoir?criaEliza.
Qu’est-cequinecollaitpas,avecRyanPerry?sedemandaEliza.Ilétaithyper-sexyetpourtant,
il ne lui avait jamais fait le moindre effet. Sans doute parce qu’ils se connaissaient depuis qu’ils
étaientgosses.Etpuis,sérieusement,commentaurait-ellepuneserait-cequ’envisagerdesortiravec
lefrèredecesdeuxsorcières?Trèspeupourelle.Cequinel’empêchaitpasdesefairevaloiraux
yeuxdeJacquietMara,eninsistantsurlacomplicitéquilesliait–vuqu’elleétaitunevieilleamiede
lafamilleettoutletralala.
–C’estpossible,réponditRyan.
Mais son attention était ailleurs. Il s’agenouilla près de Mara, qui enveloppait Cody dans une
serviettedebain.
–Hé,quandest-cequ’onlafait,cettefameusepartiedeScrabble?
–Hein?Ahoui...Quandtuveux,réponditMaraavecuneexpressionradieuse.
–Super.
Ils échangèrent un sourire, et Ryan plongea, tête la première, dans la piscine. Jim manquait à
Mara,maisilyavaitdeschosesqu’ellesupportaitmal–chaquefoisqu’ellel’appelait,ilétaitsoiten
traindesesoûleraustadeavecsespotes,soitentraindes’occuperdesclients(ouplutôtdesclientes,
aux voix affreusement jeunes et féminines) chez son oncle le vendeur de voitures. Et Ryan était
tellementgentilavecelle.Sielleavaitpuêtrehonnêteavecelle-même,elleauraitreconnuqu’ill’était
beaucoupplusqueJimnel’avaitjamaisété.
–Hé,lesfilles,j’avaisoubliédevousdire...Annaveutqu’onaccompagnelesgaminsaumatch
depololasemaineprochaine,ditJacqui.Ellealaissédesinstructionspourl’accèsauxpavillonsdes
VIP.
AumotdeVIP,Elizatenditl’oreille.
–Paspossible...Vousavezunetribunecetteannée?cria-t-elleàRyan.
Celui-cihochalatête,depuislegrandbain.
–OhmonDieu!Maisjen’airienàmemettre!glapitEliza.
Seredressantd’unbond,elleenoublialejardinieretluimontrainvolontairementsesseins.
–Oups!fit-elle,remontantsesbretellesetrenouantlehautdesonmaillot.
Lesécateurtombaàterre.
–Pourquoifaireuntelplatàproposd’unmatchdepolo?demandaMara.
– C’est le Trophée Mercedes-Benz, répondit Eliza sur le même ton que « c’est le discours
d’investitureàlaprésidencedesÉtats-Unis».Toutlemondeysera.C’estunweek-endvraimenttrès
important.
–C’estjusteunmatch,non?demandaJacquienhaussantlesépaules.
Dupolo.Deschevaux.Desmaillets.Tuparlesd’uneaffaire!Elles’entapaitunpeu,destrophées
internationaux!
Elizasecoualatête.Inutiledetenterd’expliquerlaviemondainedesHamptons–onavaitçaen
soi, ou pas. On était pris ou pas. Et, malheureusement, Jacqui et Mara ne captaient pas. Elles ne
saisissaient pas la chance qu’elles avaient de se retrouver à East Hampton – elles auraient pu aussi
bienêtrecoincéesàMontauk,nomdeDieu!
–L’important,cen’estpaslematch.Toutlemondesefichepasmaldesavoirquivagagner.Ce
qui compte, c’est le champagne dans les pavillons. C’est le moment où tout le monde va fouler au
pied le terrain, entre le troisième et le quatrième chukka ! C’est une sorte de tradition. Stephanie
Seymour vient toujours avec des talons de douze centimètres qui s’enfoncent dans la boue ! Une
année,leprinceHarryaconcouruavecl’unedeséquipes.
Elizaretintsonsouffle,enserappelantàquelpointelles’étaitamuséel’annéeprécédente.
– De toute façon, tout le monde est sapé à mort. Mais décontracté, à la mode de Los Angeles.
Seulementjen’airiendeneuf!s’exclama-t-elle,prisedepanique.Ilfautquejefasselesboutiques.
Elizamouraitd’impatiencededépenserl’argentgagnéàlasueurdesonfront.
Après la réunion annulée, on remit aux filles un mot d’Anna et trois enveloppes bourrées de
liquide(3334dollars,trèsprécisément).«Mercid’avoirtravaillésidur.Désoléed’avoirdûannuler
lerendez-vous.Lecoiffeurnepouvaitpasmeprendreunautrejour.Essayezdenepastoutdépenser
d’uncoup.Anna»,pouvait-onliresurl’épaissecartegaufrée.
–Oui...,ditJacquid’untonmélancolique.ÀDaslu,j’avaischaquesemaineunetenuedifférente.
J’aivuunerobeGuccisublimedansVogue,avecuneceintureserpent.Elleseraitparfaite,avecmes
nouvellesmules.
Elleavaitl’airsidésemparéqueMaraavaitpresqueenvied’enrire.
–Hé,lesfilles,sivousvoulezfairedushopping,jepeuxrestericiàsurveillerlesenfants.
–Tuessûre?glapitEliza.
–Fantástico!s’exclamaJacqui.
Toutesdeuxcommencèrentàramasserserviettesetsacsdeplage,raviesdutourqueprenaient
lesévénements.
–Vousmettezlesvoiles?demandaRyan,sehissanthorsdelapiscineetrépandantdesflaques
d’eausurleciment.
–Ellesdeuxseulement,expliquaMara.Ellesveulentfairelesboutiques,alorsjeleuraiproposé
degarderlesenfants.
–Tudevraisyalleraussi.Jevaislessurveiller,proposaRyan.
Maran’enrevenaitpas.
–Vraiment?demanda-t-elle.
Faire les boutiques la tentait, et elle commençait à se sentir mal fagotée, entourée de ces deux
bêtesdemode.Çaneluiferaitpasdemaldesedégoterunpetitquelquechose–unenouvellejupe,
peut-être,ouunepairedecesgrosseslunettesavecunGsurlecôtéquetoutlemonde,ici,paraissait
porter.Etpuis,ellepourraitpasseràlabanquedéposerdel’argentsursoncompte.
–Allez,Mara,viens,laisse-les-lui.Iln’arienàfairedetoutelajournée,ditEliza,griséeparla
perspective de consacrer la journée à son loisir favori – si grisée qu’elle se réjouissait presque à
l’idéequeMaralesaccompagne.
–Oh,OK.Maisonseralà,disons,dansunquartd’heure,promitMara.
Unquartd’heure?ElizaetJacquiéchangèrentuncoupd’œil.Visiblement,Maran’avaitjamais
faitlesboutiquesavecdesfillescommeelles.
Avenueprincipale
d’EastHampton:
queferait-on
sanscartedecrédit?
Les filles traînèrent du côté des saris et des satins aériens de la boutique Calypso, où Jacqui
choisit d’ajouter un énième bikini Eres à la quinzaine de maillots qu’elle avait apportés. Puis elles
filèrentchezTraceyFeith,pourjeteruncoupd’œilauxnouvellesrobesbaindesoleil,s’arrêtantau
passagechezStevenStolman,carElizasouhaitaitvoirsilessacsJellyKellymodèle«arc-en-ciel»
étaientenstock–cequin’étaitmalheureusementpaslecas.Ilsavaienttousétévendus,etlesclientes
devaientsemettresurlisted’attente.ChezJimmy,lesrobesdesoiréeornéesdeperlesleurcoupèrent
lesouffle.
Arrêtsuivant:ScoopontheBeach.
–Maboutiquefavorite!s’exclamaElizaensedéplaçantentrelesportants.
Robesbustiersentissuéponge,caracosetdébardeurs,minijupesencotonauxcolorisacidulés,
étagères de tee-shirts archi-moulants et de sweaters rétrécis, à capuche – la tenue officielle des
Hamptons.
La boutique était remplie de femmes émaciées âgées de vingt ou trente ans, essayant des teeshirts Petit Bateau (destinés à l’origine aux tout-petits). Les couples mère/fille étaient légion. Mara
distinguait deux tendances : les mères qui s’habillaient plus jeune que leurs filles – vêtues de
débardeursetdepantalonsentissuéponge,quandleursfillesarboraientdesvestesChanel;lesmères
etlesfillesquis’habillaientpareil,enrobesLacostenoiressansmanchesetespadrilles.
–Jepeuxvousaider?lançaunevendeuseexubérante,quidevaitavoirleurâgeetportaitunteeshirtavecJUICYécritsurlapoitrine.Vouscherchezquelquechoseenparticulier?demanda-t-elleà
Maraquiparaissaithésiterunpeu,tandisqu’ElizaetJacquifouillaientdéjàfrénétiquementparmiles
présentoirs.
Marahaussalesépaules.
–Passpécialement.
– Venez me voir si vous avez besoin d’un renseignement, dit la fille d’une voix haut perchée,
abandonnantMarapours’occuperdeclientesplusdégourdies.
Constatantquelaplupartd’entreellesétaientrassembléesautourdetablesoùs’empilaientdes
jeans pliés, Mara suivit leur exemple. Il y avait des jeans clairs, des jeans foncés, des jeans à fines
rayures,desjeansdecouleur,desjeans«salis»,despattesd’éléphant,destaillesbasses,destailles
super-basses,desjeansàcoupeévaséeoumoulante,desjeansavecpochesàrabatssurledevant,les
fessesoulacuisse.Unedéclinaisoninfiniedesvariationslesplusinfimes.Pourtant,autourdeMara,
toutes les clientes discutaient des modèles qu’elles possédaient déjà et de ceux qu’il leur restait à
acquérir.Mararegardaleprixsurl’étiquette.Centsoixante-quinzedollars!Pourunjeanquin’était
pasbiendifférentdesonbonvieuxLevi’s!
– Maman, qu’est-ce que tu en penses ? demanda une jeune sylphide à sa mère en sortant de la
cabined’essayagevêtued’unerobeentissulégertrèsdéshabilléeavecdécolletéplongeant.
Samère,uncanonauxbrasbronzésetmusclésetauventreplat,secoualatête.
–Tunecroispasquec’estunpeuoléolépourquelqu’undetonâge?
–J’aidouzeans!protestasafille.
Une femme d’une trentaine d’années sortit à son tour des cabines, portant rigoureusement la
mêmerobe.Ellejetauncoupd’œilàl’adolescente,etsoupira.
–Jeseraisprêteàtuer,pouravoirunesilhouettepareille!
L’alertevendeusedonnauncoupdemainàJacquietàElizalorsqu’elless’engouffrèrentdans
lescabinesavecunepileinformedevêtements.Marademeuraenretrait,horrifiéeparlesétiquettes.
Elletrouvaunjolichemisiersansmanchesàmotifbandana,maislereposaàlasecondeoùellevit
sonprix.Deuxcentcinquantedollars!Pourunhautencoton?Iln’yavaitdoncrienau-dessousde
cinquantedollars,danscetteboutique?Ahsi...untasdeceinturesencoton,dansunecorbeille,près
delaporte.ElizaémergeadelacabinedansuneondoyanterobeportefeuilleasymétriquedeDiane
vonFurstenberg.
– Oh, mon Dieu, ça vous va trop bien ! Reese Witherspoon a acheté la même hier, s’exclama
l’employéedumagasin.
Citerunecélébritéétaitlemeilleurmoyendedoperlesventes.MêmeMaralesavait.
–Vraiment?demandaEliza.Jelaprends!
La vendeuse eut un grand sourire. Mara connaissait cette expression : elle signifiait « pauvre
poire!».MaisElizaétaittropsatisfaitedesanouvellerobepours’ensoucier.
–Tuastrouvéquelquechose?demandaElizaàMaraquiserraitautourdesataillelaceintureà
moinsdecinquantedollars,enexaminantsasilhouetted’unœilcritique.
–Heu...non.Jepréfèrevousattendre,lesfilles.Oubien...vaudraitpeut-êtremieuxquejerentre.
–Qu’est-cequeturacontes!ditElizaens’avançantd’unpasdécidé.
ElletiraduportantunerobebustierShoshanna,rougeetmoulante,vendueavecuneculotteen
dentellerougeassortie.
–Essaieça!Avectescheveuxnoirs,çavat’allersuper.
–Jenesuispassûre...,protestaMara.
Lamèreetlafillequisedisputaientausujetdelarobetropsexysedirigèrentverslacaisse.
–Pousse-toi,maman.Jelaprends,ditlafille,tenantlecintred’unemainetbrandissantsacarte
bleuedel’autre.Ceseraparfait,pourlabarmitzvahdeTiffany.
SamèrepoussaunsoupiretjetaàMaraunregardsemblantsignifier:«Ah,c’estçalesenfants,
denosjours...qu’est-cequevousvoulezmabonnedame!»
Maraserefusaàexprimerlamoindresympathie.Ellen’étaitpasfavorableàcequelesgamines
de douze ans se baladent en petite tenue. Mais vu qu’elle était de Sturbridge, qu’est-ce qu’elle y
connaissait ? Sur la plage, elle avait vu des fillettes de l’âge de Zoë porter des tee-shirts « Star du
porno».
Jacquisortitdescabinesavecunechemisepoloriquiquisansmanchesetunminusculeshorten
jeanrayé.
–Commentvoustrouvez,lesfilles?
– C’est mortel ! s’écria Eliza. Tu es à tomber par terre ! Dis, Jac, tu ne trouves pas que Mara
devraitessayerça?demandaElizaenagitantlarobe.
–C’estperfeito.Fautquetul’essaies.Oninsiste,approuvaJacqui.
EllespoussèrentMaradansunecabined’essayage.
–Oh,OK.Maisjustepourrigoler,alors,ditMara.
Zutcequec’étaitserré...Quidiablepouvaitglisserseshanchesdanscetruc-là?Elleremontala
fermetureéclairdansledoset,par-dessussonépaule,jetauncoupd’œilàsonrefletdanslemiroir.
Çaluicouvraitàpeinelesfesses!Cequiexpliquaitlaculotteassortie.
– Hé, les filles, qu’est-ce que vous en pensez ? demanda-t-elle en sortant prudemment de la
cabine.
–Muitobonito,déclaraJacqui.
– Qu’est-ce que je t’avais dit ? ajouta Eliza. Mais il te faut des chaussures. Désolée, mais tes
Reeboknevontpascoller.Quantàtesbottesdecow-boy,j’espèrequetun’imaginespaspouvoirles
porteravecça!
Jacquihochalatêteetsaisitunepairedemulesàtalonsenplastiquerouge.
–Tiens.Passe-les!dit-elleenaidantMaraàlesenfiler.
LestalonsaffinaientlesjambesdeMara,muscléesetbruniesparleurexpéditionquotidienneà
GeorgicaBeach.
–Parfait!jubilaEliza.Sauflescheveux.Tulesastoujourseuscommeça?
–Pourquoi?Qu’est-cequivapas?
– On va devoir faire appel à Pierre, dit-elle en composant un numéro sur son portable. Allô...
Pierre?C’estEliza.Tucroisquetupourraispassermevoir,unpeuplustard?J’aiuneamiequia
vraimentbesoindetonaide.
– Jim ne me laisserait jamais porter ça en public, fit remarquer Mara en s’examinant dans le
miroir.
–C’estqui,Jim?
–C’estmonpetitami,leurrappelaMara.
Lesdeuxjeunesfillesparaissaientfrappéesd’amnésiepourtoutcequeMaraleuravaitraconté
desavie.
–Déjàqu’ilm’enveutàmortdel’avoirlaisséseulcetété.
–Ahoui,M.Numéro1,lataquinaEliza.Etpourquoi?Ilnepeutpasvenirtevoir?Tun’aspas
ditquetuétaisdeBoston?Cen’estqu’àquatreheuresderoute.
–DeSturbridge.Oui,c’estvrai,cen’estpasloin.MaisJimesttrèscasanier.
–NomdeDieu,quelbébé!s’exclamaEliza.Entoutcas,àsaplace,jenetelaisseraispassans
surveillance.
–QuisesouciedeJim?Esqueceele.Ryanvaenresterbaba,ditJacqui.
–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?s’écriaMara.
–Nevaspasnousraconterquetun’aspasremarquésafaçondeteregarder?Ilesttoutletemps
super-gentilavectoi,ditElizaavecungrandsourire.
Leshoppinglamettaittoujoursd’humeurgénéreuse.
–Ilestgentilavecnoustoutes,insistaMara.
–OK.Situytiens...,conclutElizaavecunhochementd’épaules.
Parréflexe,Jacquisemitàrangerlespullsqu’ellesavaientsortis,prenantplaisiràreplierles
cardigansavecsoin,defaçonàformerdescarrésparfaits.Mais,tandisqu’ellelesreposaitdansles
rayons,ellejetauncoupd’œildanslavitrineetfaillitlâchertoutelapiled’uncoup.Là-dehors,c’était
Luca ! Son cœur battit à tout rompre. Ils ne se voyaient quasiment plus pendant la journée. Il avait
toujoursunebonneraison–ilfallaitqu’ilailleenvillepouruneréuniondefamille,ouqu’ilparte
pêcheravecsonpère.
–Luca!Luca!Ummomento!lança-t-elled’unevoixfébrile,enfonçantverslaporte,toujours
vêtuedeshabitsdumagasin.Elles’apprêtaitàcourirl’embrasser,maisàpeineeut-elleposéunpied
surletrottoirquelavigilantevendeuselarattrapad’ungestebrusque.
– Oh, miss. Vous allez où, comme ça ? dit-elle en refermant son poing sur son épaule, tel un
étau.
–SalutJacqui.Quelplaisirdeterencontrer!Jolipolo!s’écriaLuca,sansmêmeralentirlepas,
depuisletrottoird’enface.
Ça alors ! Jacqui suivit à contrecœur la vendeuse à l’intérieur. Il n’avait peut-être pas voulu
gâcherledînerromantiquequ’ilsavaientprévucesoir?Çaluiparaissaitunpeutiréparlescheveux,
commeexplication.Etpuis,ellecommençaitàenavoirassezdeluitrouverdesexcuses.
–Honnêtement,ilesthorsdequestionquej’achètecetterobe.Elleestimportable,etelleestaudessusdemesmoyens.
– Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Eliza. J’ai vingt-cinq pour cent de rabais dans cette
boutique.La«remiseVIP»,çateditquelquechose?Cetterobeestfaitepourtoi.Etonvienttout
justed’êtrepayées,pasvrai?
Jacquipayasatenue,etElizadéposatoussesarticlessurlatablette.UnsacàmainMarcJacobs,
plusieurstee-shirtsC&C,quatrepairesdesandalesJimmyChooetunenouvellerobeTheory–le
toutdépassantdecinqcentsdollarslasommequ’ellevenaitdegagner.
–MettezlerestesurmaVisa,lança-t-elleàlavendeuse.
Marahésita,maiselleavaitbesoind’unerobe,etcesmulesétaienttellementmignonnes.
–OK.Jelesprends,dit-elleàcontrecœur.
Chargéedesessacsdeshopping,Elizalesconduisitàsasecondeadressepréférée:leglacier
Scoops,oùtoutestroiscommandèrentdescoupesglacéeschocolatchantilly.
Contrairementàcequ’on
racontedanslesmédias,
touslesgaysnesontpas
desbêtesdemode
Ayantenfinregagnéleurchambreaprèsavoircouchélesgamins,lestroisfillesaupairfaisaient
desplanspourlasoirée.
–Mara,tusorscesoir?demandaEliza.Tunevaspasrefuserunefoisdeplus!
Mara n’était pas très chaude, mais vu qu’elle n’avait rien de mieux à faire... Elle avait déjà
accompagnéZoëauxtoilettes,etn’étaitdoncpasobligéederester.EtJimlaboudaitdepuisqu’ellelui
avaitditqu’ellenepourraitpasprendresonweek-endetvenirlevoir.Elleavaitbeaueuluienvoyer
uncolis-cadeaupleindesconesetdemuffins,çan’avaitpasapaisésacolère.
–Oh,d’accord.Maisonnerestepaslongtemps,hein?Lesfillesontleurcoursdedansedemain
matin.
– Ouais, c’est ça, on va rester une minute ou deux, répliqua Eliza en faisant un clin d’œil à
Jacqui.
Marasortitsanouvelleroberouge.
– Qu’est-ce que tu fais ? demanda Eliza en la lui prenant des mains, et en la remettant sur le
cintre.
–Heu...jem’apprêteàenfilermanouvellerobe?
–Non,malouloute.Elleestpourlematchdepolo.C’estpasdutoutcequ’ilfautauJetEast.Tu
comprends, c’est une robe d’après-midi. Tu ne vas tout de même pas te pointer au match dans une
robequetoutlemondeauradéjàvue,soupiraEliza.Tiens...metsça!ajouta-t-elleentendantàMara
un de ses propres chemisiers – un dos nu drapé en jersey noir, à décolleté plongeant. Tu peux le
porteravectonjean...çava,ilestbien.Etavectesnouvellestongs.
Jacqui sortit de la salle de bains vêtue d’un top en dentelle noire et d’un pantalon en soie à
pochesàrabats,spécialementachetépoursonrendez-vousdecesoiravecLuca.Ellevintseplanter
devantlevieuxmiroirfêlé.
–Net’attachepaslescheveux.Laisse-lestomberlibrement,ditJacqui.
Pierre,l’amicoiffeurd’Eliza–autoproclamé«laReineduCheveu»–étaitpasséleurcouper
les cheveux gratis, cet après-midi-là. En échange de quoi, il les avait prises en photo avec leurs
nouvellescoupes,pourlesmettredanssonportfolio.JacquicoiffaMarad’unemainexperte.
– Tu vois, tu gardes le mouvement ici, tu lisses un peu là – et après, tu secoues la tête pour
donnerunlookdécoiffé.
Jacquisortitsatroussedemaquillage–dumatérieldeproquidevaitpeserdanslescinqkilos–
et commença à appliquer fond de teint, poudre, eye-liner, fard à paupières et rouge à lèvres sur le
visagedeMara.
Lorsqu’elleeutfini,MaraseregardadanslemiroirdepochequeluiavaitremisJacqui.
–Tunetrouvespasquec’estunpeuexagéré?
Detoutesavie,ellen’avaitjamaisétéaussimaquillée.Pasmêmelorsqu’elleavaitassistéavec
Jimàlafêteduderniertrimestre,l’annéedernière.
– Tu es presque plus belle que moi ! s’exclama Jacqui, un peu envieuse. « Presque » souligné
deuxfois,plaisanta-t-elle.
Maraéclataderire.
Elles dirent bonsoir à Jacqui et Eliza leva triomphalement le poing lorsqu’elle vit que les
jumellesn’étaientpasencoreparties.LeurmonospaceMercedesétaitencoregarédansl’allée.
Elizasehissaderrièrelevolant.
–Monte!lança-t-elleàMara.
–Etlesjumelles?
– Anna et Kevin ont dit qu’on pouvait prendre n’importe quelle voiture, répliqua Eliza en
haussantlesépaules.IlleurrestetoujourslaVolvo,non?
Lelongdutapisrouge,unefiledepaparazzishurlaientlesnomsdediversespersonnes.Eliza
s’avança lentement, dans l’espoir d’être prise en photo. Mais tous avaient les yeux rivés sur une
starlette pop, la blonde Chauncey Raven, accompagnée d’une escouade de gardes du corps.
L’adolescentededix-huitans–surtoutconnuepourexhibersonventreplatetbronzéjusqu’aubassin,
et pour proclamer sa virginité en roulant des patins à tout ce que Hollywood comptait de jeunes
rebelles–étaitlanouvellecoqueluchedesjournauxpeople.
– CHAUNCEY ! CHAUNCEY ! PAR ICI, CHAUNCEY ! ! ! hurlaient les photographes, au
combledel’excitation.
Maislastarétaitentièrementdissimuléeparsesgardesducorps,d’anciensjoueursdehand-ball
hautsdeplusdedeuxmètres.
ElizaetMaraentrèrentdansleclub,justeaprèselle,danslaplustotaleindifférence.Unefoisà
l’intérieur, Eliza se mit à chercher des yeux ses amis, avant de s’engouffrer dans une arrière-salle.
Mararestaprèsdumur,unverreàcocktailàlamain,aveclavagueimpressiondenepasêtreàsa
place.Elleposasonverreetsedirigeaverslestoilettesdesfemmes,oùelletombasurunhommeaux
traitsasiatiquescoincédansl’encadrementdelafenêtrejusqu’àmi-corps,etdontlesbraspendaient
lamentablementau-dessusdeslavabosdeporcelaine.
–Hévous,là,aveclechemisieràdeuxcentsdollarsetlacoupeJenniferAniston.Aidez-moi!
Marasaisitl’unedesesmains–pascellequitenaitunvolumineuxappareilphotoNikon–etle
tiraàl’intérieur.
– Dieu du ciel ! s’exclama le type en s’essuyant le front. Il faut vraiment que je me tienne à
distancedubuffet,laprochainefois.Tropdebonneschoses,celanemeréussitpas!
L’hommequisetenaitdevantMaraétaitd’originechinoise,minuscule,dotéd’unénormeventre
etd’undoublementon.Ilportaitunevesteàmotifléopardsurunechemiseàimpressioncachemireet
un pantalon en polyester brillant. Tout était trop petit et trop étroit – comme s’il avait doublé de
volumed’uninstantàl’autre.
–LuckyYap!dit-ilentendantlamainàMara.
–MaraWaters.
–Vousm’avezsauvé!FautquejeramèneunclichédeChaunceyRaven,sijeveuxpasquemon
bossmefassemafête.Cettepetitepétassenes’estmêmepaslaisséprendreenphotodevantlaboîte.
Etilsneveulentpasmelaisserentrer,bienquejesoissurlaliste!
–Non...!ilsontledroit?
–C’estpourçaqu’ilssontpayés,monchou!SonRPestunenfoirédepremière.Maisbon...la
photoqu’onaprised’ellelasemainedernièreneleurapasfaittellementplaisir,ricanaLucky.«Elle
s’évanouit au Tavern et doit être évacuée de la piste de danse. » Le Star a payé l’exclu cent mille
dollars.
Marapouffa.
–Allez,venez!Jecroisquej’airepéréuneentréesecrète,verslapiècedufond.
Ils se glissèrent à travers une fente, dans les rideaux qui séparaient les tables des VIP du toutvenant.Àl’intérieur,assisesurlesgenouxdesondernierchevalierservant,Chaunceyl’embrassait
avecfougue.
– Parfait ! lança Lucky, cherchant son angle de vue. C’est ça, bébé, vas-y ! Waouh ! À moi
l’oseille!
Lesflashsseperdirentdanslesfaisceauxlaser,battantaurythmedelamusique.
– Dieu soit loué, on voit son string ! Ils paient toujours mieux, pour les clichés déshabillés,
expliquaLuckyendissimulantsonappareilphoto.Vousêtesmonangegardien.
–Toutleplaisirestpourmoi.
Mara sourit. Sa rencontre avec Lucky lui avait valu – jusque-là – son meilleur moment de la
soirée.
– Je vais faire un tour de piste pour voir si je peux surprendre en fâcheuse posture des gens
dignesderemplirlespagespeople.VoussavezsilessœursPerrysontdanslesparages?Sugaret
Poppy?
–Heu...jenesuispassûre,réponditMaraensedemandantsilesjumellesoseraientaffronterla
vienocturnedesHamptonsdanslaVolvomiteuse.(Miteuse,laVolvo?Apparemment,lesHamptons
commençaientàluimonteràlatête.)
Elle salua chaleureusement le piquant paparazzi. Mais, à présent que leur petite aventure était
terminée,ellehésitaitàrester.Ellen’avaitencoreriendécidélorsqu’ellesentitquelqu’unlafrôler.
–Hé,toi!ditRyanenluidonnantunepetitetapesurl’épaule.
– Ryan ! Salut ! s’exclama-t-elle, si soulagée de voir un visage familier qu’elle l’entoura
instinctivementdesesbrasetluiplaquaunbaisersurlajoue.
–Waouh!Tuessuperbe!dit-ilenreculantunpeupourmieuxlacontempler.
–Parceque,pourunefois,jenesuispascouvertedebavedebébé?letaquinaMara.
–Non,non,enfin,tuestoutletemps...tuestoutletempsbelle.Cequejevoulaisdire,c’estque...,
bafouilla-t-il – ce qui n’était guère dans ses habitudes. Alors... heu... je croyais que tu restais à la
maisoncesoir,conclut-ild’untonpiteux,s’efforçantdechangerdesujet.
–J’aichangéd’avis.
–J’ensuisbiencontent,ditRyand’unevoixunpeuplussérieusequenécessaire.C’estElizaqui
m’aditquetuétaislà.Vienslà-derrière,jevaisteprésenterdesamis.
–Volontiers.
Illapritparlamainetlaconduisittoutaufonddelasalle.Là,ungroupedejeunesgensvautrés
sur des divans en velours fumaient des cigarillos, leurs petites copines délicatement perchées sur
leursgenoux.
–Ohhé,lesgars,jevousprésentemonamieMara,ditRyan.Mara,jeteprésentelabandeau
complet.
Sonamie!pensaMara,transportéedejoie.Iln’avaitpasdit«Jevousprésentelafilleaupair!»
Ni«Voiciunejeunefillequenousavonsembauchéepourl’été!»Sonamie!
Àcôtéd’elle,ungrandtypeaucrâneraséfitminedevouloirluibaiserlamain.Maraéclatade
rire,etRyanbalayad’ungestelamaindesonami.
–Çasuffitcommeça!Tuveuxquelquechoseàboire?demanda-t-ilàMara.
–Oui,pourquoipas?
Alorsqu’ilss’apprêtaientàsedirigerverslebar,LuckyYappassaprèsd’eux.
–Hé,monsieurPerry!lança-t-ilenenvoyantunbaiseràRyan.
–Toutsepassebien,Lucky?demandaRyanens’esclaffant.CommentvaFrederic?
Comme tout habitué des Hamptons, Ryan savait que Lucky Yap était l’homme à tout faire de
FredericO’Malley,lephotographedesmondanités.
– Il va bien. Il est à Cannes, pour le festival. Et il me laisse là, avec toutes les célébrités de
secondezone!Maisiln’yapersonneici!Jen’aimêmepasvutessœursdelasoirée.Tenez,àla
place,jevaisvousprendreenphototouslesdeux,ditLuckyd’untoncatégorique.
Ryan et Mara échangèrent un regard dubitatif, puis Ryan passa le bras sur l’épaule de Mara et
tousdeuxfixèrentl’objectif.
– Parfait ! Merveilleux ! Sexy ! s’extasia Lucky, avant de les laisser jeter un coup d’œil au
résultatsurl’écrandesonappareil.
Iltiraunbloc-notesdel’unedesespoches.
–RyanPerryet...MaraWaters,c’estbiença?dit-ilengriffonnantleursnoms.
Ryanécarquillalesyeux,surprisquelepaparazzileplusconnudelavilleconnaissedéjàlenom
deMara.
Celle-cisecontentadesouriremystérieusement.
Quelquepart
danslesHamptonsBays,
Jacquireconnaît
quecen’estplusvraimentça...
Jacquienavait...c’étaitquoi,cetteexpressiondontseservaitMara?Pleinledos.Oui,c’estça...
elleenavaitvraimentpleinledos!
Retrouver Luca aurait dû la rendre réellement, sincèrement, totalement heureuse. À vrai dire,
elle avait passé le mois entier à se répéter qu’elle était folle de bonheur et que c’était une chance
incroyablequetoutsefûtpasséainsi,commedanssesrêveslesplusextravagants.Maisc’étaitlàle
problème...Jacquisavaitquesielleavaitfranchementéprouvéuntelbonheur,ellen’auraitpaseuà
s’en convaincre en permanence. Au fil des semaines, elle finit par s’avouer que le qualificatif
«malheureuse»convenaitmieuxàsonétat.Oui,elleétaitmalheureuse,décida-t-elle.
Luca avait, pour la énième fois, annulé le dîner romantique. Au lieu de l’emmener au
Farmhouse, il avait suggéré un autre type de soirée « romantique » : un pique-nique sur la plage.
Aprèsavoirrouléuneheure,ilss’étaientarrêtésdansunpetitrestaurantdélabréoùLukeavaitacheté
deuxpaniersd’huîtresimbibésd’eaudemeretunpackdebières.Ilsn’étaientmêmepasseuls.Léo,
unamideLuca,lesavaitrejointssurlaplage.
Lesgarçonssedonnèrenttoutdemêmelapeinedefaireunfeudecamp,cequipermitàJacqui
denepasgelersurplace,peuvêtuecommeellel’était.Grelottantdanssonlégerpullencoton,ellese
demandaitquandilallaitenfinlaramenerchezelle.
Autrechoseajoutaitàsamisère:Lucaneluiprêtaitpaslamoindreattention.C’étaitlecœurdu
problème.Leresten’importaitguère–ilsauraientpumangerdeshamburgerstouslessoirs,çane
l’auraitpasdérangéeplusqueça.Maisellecommençaitàréaliserquelegarsqu’elleavaitretrouvé
n’était pas celui qu’elle avait connu à São Paulo. En fait, tout ce qu’il avait fait ce soir-là, c’était
roulerdeuxgrosjointsqu’ilavaitfumésseul.IlavaitbienproposéquelquesboufféesàJacquietà
Léo,maisl’herbedonnaitdesmigrainesàJacquietLéoavaitdécrétéquelabièreluisuffisait.
–J’aiplusdefeuillesàrouler!Surtout,pasdepanique!s’exclama-t-ilenpartantdansunrire
hystérique.
Jacqui l’observait en silence. Il était l’amour de sa vie, mais dans de tels moments, elle
reconnaissaitqu’ilavaitl’aird’uncrétin.
Luke se leva et courut sur la plage, en direction de l’endroit où ils avaient garé la voiture,
derrièredesdunesdesable.
–Tupassesunbonété?demandaLéo,s’appuyantsurunbrasetlevantlesyeuxverselle.
IlnepossédaitnilesmerveilleuxyeuxvertsnilenezparfaitementdroitdeLuca,maisilavaitun
visagesympathique.
–Oui,super,réponditpolimentJacquienserrantsesgenouxcontresapoitrine.
–NefaispasattentionàVanVarick.Illuiarrived’êtreunpeudur,ditLéod’unevoixdouce.
Jacquihochalatête.Ellen’étaitpascertained’avoircompris.
–Alors,c’estcomment,leBrésil?
Jacqui réfléchit. Vaste question. Mais elle se retrouva vite à raconter à Léo sa vie, là-bas : ses
deux frères cadets qui étaient encore chez leurs parents à Campinas. Son quotidien dans la grande
ville,oùellehabitaitavecsagrand-mère.LecouventdeSainte-Anita–prestigieuseécolefréquentée
par les filles du président – où l’avait envoyée celle-ci. Le peu de fortune de sa famille, qui l’avait
contrainteàprendreunboulotdevendeusechezDaslupourpayerlesfraisdescolarité.
Léo était un auditeur curieux et attentif. Il posait les bonnes questions, l’encourageait à se
confier.ÇafaisaitdubienàJacqui,quequelqu’uns’intéressâtréellementàsespropos.
Ilsriaientd’uncommentaireparticulièrementamusantqu’ellevenaitdefaireausujetd’unmatch
defootball,quandLukesurgitdederrièrelacolline.
–Qu’est-cequ’ilyadedrôle?demanda-t-ild’untonsoupçonneux.
–Rien...rien,ditJacqui,gloussanttoujoursàlapenséeducafouillagedeDavidBeckham.
Lukefixasonamiavecinsistance.Léohaussalesépaulesetdétournalesyeux.Jacquiconnaissait
ceregard.Ilsignifiait:«Baslespattes,mongars!»
Lukes’accroupitàcôtédeJacqui.
–Hé,bébé,çatedirait,unepetitebalade?Qu’onpuissediscuterunpeusansquecebouffonsoit
làpournousentendre?demanda-t-ilavecuneœilladelascive.
Jacquihochalatêteetluitenditlamain.
–J’emmèneJacquifaireunepetitepromenadeauclairdelune,lança-t-ilàLéo.
Illaconduisitàl’écart,prèsdesfourrés.
–Vienslà!ordonna-t-ilentapotantlesable.
– Regarde la lune ! s’exclama Jacqui en s’asseyant près de lui. Tu te souviens, quand tu m’as
récitécepoèmesurlesétoiles?demanda-t-elled’untonrêveur.
–Mmmm...,fitLuke,necomprenantabsolumentpasàquoiellefaisaitallusion.
– Walt Whitman... Tu me l’as lu quand on a dormi à la belle étoile. « L’astronome... »
«L’astronomequelquechose...»
–Lorsquej’entendisledocteastronome...,commençaLukesuruntonimpatient.
ÀSãoPaulo,Lukeluiavaitrécitécepoèmependantqu’ilscontemplaientlecielnocturne.
Ouais, il avait quand même retenu deux trois trucs du lycée. Mais pas question de répéter le
poème–ouderevivrecettescène.Ilavaitautrechoseentête.Avantqu’elleaitpuluiposeruneautre
question,ilétaitsurelleetglissaitlamainsoussonchemisier.Elletressaillitlorsqu’illuifourrasa
languemouilléedansl’oreille.Ilsentaitlemollusque.
–Tusaisquelejointmedonnedesidéeslubriques...ettuesdufeudeDieu,cesoir,bébé!Nom
deDieu,tusaispasl’effetquetumefais!dit-ilenluiléchouillantlecouetlesépaules.
Jacqui jeta un coup d’œil à la lune blanche et pleine, aux étoiles silencieuses. Ce n’était pas
romantique,etçanelarendaitpasheureusemais,bizarrement,çanel’empêchaitpasdedésirerLuca.
RyandécouvrequeMara
réservebiendessurprises
Lafêteétaitfinie.ChaunceyRavenetsacourd’unetrentainedepersonnesavaientlevélecamp
depuislongtemps.Seulstraînaientencoredanslaboîtequelquesmalheureuxesseulésespérantencore
trouver chaussure à leur pied, une poignée d’alcoolos au dernier degré, et une ou deux serveuses.
MêmelesRPetlespaparazzisétaientalléssecoucher.Elizaétaitpartieaveclemonospace.Etc’est
pourquoiMaraétaitencoreassiselà,aufonddel’arrière-salle,seuleavecRyan.
– On devrait y aller, non ? demanda-t-elle lorsque les lumières, au-dessus d’eux, se mirent à
clignoter.
–Tucrois?répliquaRyanavecungrandsourire.
Ils se dirigèrent vers l’Aston Martin décapotable, un des seuls véhicules encore garés sur le
parking.Lesvoituriersavaienteuxaussiquittélaplace.RyanouvritlaportièreetMaramonta.
–Jen’avaispasréaliséqu’ilétaitsitard,dit-elle.
Ellesefrottalesyeux,sebarbouillantlevisagedemaquillage.
Elleabaissalemiroirdupassageretconstatalesdégâts.
–NomdeDieu,j’aiunetêteàfairepeur!dit-elle.
Ryansetournaverselle:
–Tufaisuntrèsjoliratonlaveur.
Elle s’essuya le visage avec des mouchoirs en papier, stupéfaite par la quantité de maquillage
qu’elleparvenaitàretirer.Jacquiavaitvraimentexagéré.
Ils effectuèrent le trajet de retour dans un silence paisible. La nuit exhalait une odeur de
fraîcheur,d’humidité,etMarasentait,danstoutcecalme,cequecetendroitavaitdeparticulier.Même
silesgensétaienttropposeurs,cequec’étaitbeau...
–Ehbien,bonnenuit...,ditRyanenaidantMaraàmonterlesmarches.
–Bonnenuit.
Elle lui sourit, l’œil ensommeillé, et prit le sentier du jardin, en direction du cottage des
domestiques.
Ryanrestaplantésurleseuil,sourcilsfroncés.
–Hé,tuvastecoucher?
–J’allais...,hasardaMara.
–Jepensaisfaireunfeusurlaplage.C’estunebellenuitet...enfin...j’aidessacsdecouchage.
Marasouritdansl’obscurité.
–C’estunesuperidée.Donne-moijusteletempsdemechanger.
Quelquesminutesplustard,MararegardaitRyancreuseruntroudanslesable,etleremplirde
bois et de vieux journaux. Elle portait un tee-shirt et un pantalon de pyjama, et avait réussi à se
débarrasserdetoutsonmaquillage.
Ilfitcraqueruneallumette.Lepapierprit,maispaslebois.
–Jecroisqu’ilestunpeuhumide.
–Attends,laisse-moitedonneruncoupdemain.
Maraétaitexpertedansl’artdefairedufeu.Sesparentsaimaientchaufferleurmaisonaupoêleà
bois,durantlesrigoureuxhiversdelaNouvelle-Angleterre.Ilstrouvaientçapittoresque.Mara,quant
àelle,jugeaitqueleurranchdeplain-piedn’avaitpasgrand-chosedepittoresque.
–Ilfautmettreplusdepapier,etsoufflersurlafumée...
Elle disposa les morceaux de bois de façon à former un tipi, par-dessus le papier journal.
Lorsquelaflammeinitiales’éteignit,quelquesbraisessubsistèrent.
–Souffle,souffle!ordonna-t-elle.
Tousdeuxsoufflèrentdetoutesleursforcessurlesminusculeslueurs.Ellesgrossirent,lefeu
pritenfin.MaraetRyanpoussèrentdescrisdejoie.
–J’aitrouvédesmarshmallowsdanslegarde-manger,annonçaRyanenouvrantunsachet.
Ilcueillitunecannedejoncetenfitunlongbâtonauboutduquelilplantaunmarshmallow.Ille
tenditàMara.Ellelemaintintau-dessusdufeu.Lesucre,enfondant,devenaitmarronetluisant.
– Quand j’étais petite, je laissais toujours les marshmallows trop longtemps, si bien qu’ils
finissaientparbrûlerettomber,ditMaraenprenantunebouchée.
– Mais il faut les laisser le plus longtemps possible, protesta Ryan. C’est là qu’ils sont les
meilleurs!
Iltardaàretirersonbâtondesflammes.Lemarshmallowgrésillaettombadanslefeu.
–Qu’est-cequejet’avaisdit!s’exclamaMara,enriantdel’airmortifiédeRyan.
Ryanpiquaunautremarshmallow:
–Cettefois-ci,tuvasresterlà!luiordonna-t-il.
Ils savourèrent le silence qui s’ensuivit. Mara enfonça ses pieds nus sous le sable jusqu’à le
sentirimbibéd’eaudemer.Ellevoyaitserefléterleurfeu,minusculepointorange,dansl’incessant
roulementdesvagues.Derrièreeuxsedressaientlesdemeureslesplushautesqu’elleeûtjamaisvues.
Maislaplagel’impressionnaitdavantage.
–Autrefois,j’étaispersuadéquejevivraisicipourtoujours,ditRyan,l’interrompantdansses
pensées.
–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?
– Quand j’étais gamin, et qu’on séjournait dans les Hamptons, je ne voulais jamais repartir,
quand arrivait le mois de septembre. Je me suis juré, alors, que quand je serais plus grand,
j’habiteraislàtoutel’année.
–Ildoitparfoisfairetrèsfroid,ici.Avecl’océansiproche.
–Oh,épouvantablement...,confirmaRyand’unevoixenjouée.Maisiln’yapluspersonne,alors.
C’estçaquiestchouette.
–Etmaintenant?
–Jenesaispas.Lamaisonn’estpluslamême.
–Jesuisdésolée.
Elizaluiavaitracontéquelamaison,autrefois,étaitbiendifférente–plusaccueillante,moins
«musée».
– Ne sois pas désolée. Il n’y a pas de quoi. Qu’est-ce que je pourrais trouver à faire ici ?
demanda-t-ilenhaussantlesépaules.Ettoi...qu’est-cequetuvoulaisfaire,quandtuétaisgamine?
–Jevoulaisêtrechercheuseensciences,ditMara.Quandj’avaisneufans,j’étaissûrequec’était
cequejevoulais.Jepensaisqueceseraitchouette,deporteruneblouseblancheetderegarderdes
trucsaumicroscope.
–Etmaintenant?
–Ehbien,jesuisnulleensciences!Etj’aihorreurdesmaths.Parconséquent,non,jenepense
pasdevenirscientifique.
–Qu’est-cequetuveuxfaire,alors?
Mara se pencha sur la question. Ce qu’elle désirait vraiment, c’était écrire. Elle ne savait pas
vraimentquoi.Peut-êtredesarticlesdejournaux.Oubiendesromans.Maisçaluiparaissaittellement
horsdeportée.Unpeucommedevouloirgagnerunoscar.Çanepouvaitpasarriverpourdebon.De
plus,sesparentsluiavaienttoujoursrépétéquesielleparvenaitjusqu’àlafac,ceseraitpourdevenir
avocateoubanquière–afindegagnerbeaucoupd’argent.Sesrêvesétaientau-dessusdesesmoyens.
–Jenesaispas...écrivain,peut-être,murmura-t-elle.
Bizarrement,ellen’avaitaucunmalàseconfieràRyan.Sansdouteparcequ’ilétaitsifacilede
parleraveclui.Ouparcequ’ellesavaitqu’ilneluidemanderaitpasdes’expliquerdavantage.
–C’estchouette,dit-ilenhochantlatête.
Ilsmangèrentencorequelquesmarshmallowsetcontinuèrentàdiscuterparintermittence.Mara
appréciaitlespausestoutautantquelaconversation.EllenefitpasallusionàJimcarilétaitbon,pour
unefois,denepasêtreentoutetpourtout«lapetiteamiedeJimMizekowski».PourRyan,elleétait
simplementMaraet–pourunefois–çaluiréussissaitd’êtrejusteelle-même.
Comme l’aube commençait à poindre, ils remontèrent la fermeture éclair de leurs sacs de
couchage.Etpuis,dansunmomentdesilence,bercésparlebruitdesvaguessebrisantsurlaplage,
RyanetMaras’endormirent.
Lelendemain,ilyavaitdeuxphotosenpage6duNewYorkPost.UnedeChaunceyRavendans
lasalleVIP,assisesurlesgenouxduvainqueurentitredeWimbledon.UneautredeMaraetRyan,
sousletitre:«L’héritierdesPerrya-t-iltrouvél’amour?»
Leslendemainsdefêted’Eliza...
Oùl’onsejette
surlespancakes
etsurlapage6
– Nom de Dieu ! Je suis encore complètement soûle, annonça Lindsay d’une voix rauque en
s’envoyantunbloodymary.Regardezcommej’engouffrecestrucs-là,ajouta-t-elleens’empiffrant
defritesentredeuxboufféesdeCamelsansfiltre.
–Lavache!Vousm’auriezvue,hiersoir,ditTaylor.J’aivomipartoutdanslasalledebainsde
lamèredeKit.
– Oh hé, les filles, au moins, vous, vous aviez des gens pour vous raccompagner, claironna
Eliza. Alors que je me suis réveillée... dans un genre de fossé. À croire que... Excusez-moi, mais
commentjemesuisretrouvéelà?
Lestroisfillesselivraientàunesortedeconcours,sedisputantletitredecellequiavaitlapire
gueule de bois. Elles occupaient leur table habituelle, au 75 Main Street, un joli café situé au coin
d’une rue de Southampton. Derrière leurs lunettes noires, elles ne perdaient rien du spectacle de la
rue.
– Psss... Visez un peu ! dit Lindsay, alors que passait la charmante épouse d’un célèbre
présentateur,poussantunepoussettedouble.
–Etlà,ceneseraitpas...?commençaTaylorenobservant,par-dessussonépaule,unestaraux
yeuxcernésdontladernièrecomédieromantiqueavaitfaitunbide.
–Ouaisouais.Vousavezvucelifting.Siellecroitfaireillusion!Mamèreditqu’ellea...jesais
pas...danslescinquante-deuxans.
–Paspossible!glissaEliza,sedélectantd’unetelleconversation.LemagazinePeople prétend
qu’elleatrente-huitans!
–Lesoleilmatinalnelaisserienpasser,tranchaLindsay.
Elles s’attaquèrent à leurs assiettes pleines de pancakes et de tartines en se sentant jeunes – et
donc,supérieures.
–J’aiachetélejournal,annonçaTaylor.
Elle plongea la main dans son sac et en sortit le New York Post. Elle passa directement à sa
rubriquefavorite,page6.
–Lindsay,ilyaunephotodetasoirée!s’exclamaTaylorenlaleurmontrant.
«L’HÉRITIERDESPERRYA-T-ILTROUVÉL’AMOUR?»pouvait-onlire,engroscaractères,
au-dessusdelaphotodeMaraetRyan.
–OhmonDieu!NemeditespasqueRyanPerryadéjàunepetiteamie!s’écriaLindsay.Jesuis
dégoûtée!Etàmasoirée,enplus!
D’un point de vue technique, Ryan et ses amis s’étaient contentés de traîner dans la boîte. Ils
n’étaientmêmepasaucourantdelasoiréedeLindsay.MaisElizaetTaylorsegardèrentdecorriger
l’assertiondeleuramie.
–Donne-moiça!ditLindsayenarrachantlejournaldesmainsmanucuréesdeTaylor.
–C’estQUI?
–Elleestcanon,entoutcas,fitremarquerTaylor.
–Laputaindeveinarde!sifflaLindsay.
–EtelleporteledosnuChloëquejevoulaisàtoutprixl’annéedernière.Maisilsavaienttout
vendu!
–Pourquoifaut-ilquetoutlemondesoitplusbeauquemoi?selamentaLindsay.C’estpasjuste.
C’estunevraiepoupéeet,évidemment,elleseretrouveavecletypeleplussexy.
–MaraWaters...Waters...Jemedemandesic’estpaslacousinedeTobyEasley?Voussavez,je
croisquejel’aivuequelquefois,danslecoin.
Elizademeuraitsilencieuse,vaguementconscientedecequetoutcelaavaitdesuperficiel.Sices
fillessavaientqueMaraétaitfilleaupair,ellesenparleraientsurunautreton.Àsupposerqueleur
radar eût enregistré son existence. En examinant la photo, Eliza ressentait une certaine fierté. Mara
étaitsublime,certes,maisc’étaitunpeugrâceàelle...etàJacqui,bienentendu.MaisElizapréférait
s’attribuerpresquetoutleméritedelatransformation.
–Jesaispas,lesfilles.Ellealatailleunpeuhaute,voustrouvezpas?Ellealesjambes...jesais
pas...jusqu’aumenton,ditEliza,commesiçapouvaitêtreundéfaut.
–Ouais,t’asraison,approuvatropvivementLindsay.
Toutes trois entreprirent vite de trouver des défauts à Mara. Ses yeux étaient beaucoup trop
grands,sonnezbientroppetit,sonsouriretroplarge.Quandelleseurentfinideladisséquer,c’était
pratiquementQuasimodo.
–EtjenepensepasquecesoitlacousinedeToby.J’aientendudirequ’elletravaillaitpourles
Perry,ditEliza,chuchotantlanouvellescandaleuse.C’estunedomestique,pourainsidire.
–Ohhh...
LindsayetTaylorétaientestomaquées.Pourunscoop,c’enétaitun!
–JeletiensdeSugaretPoppy,etellessontbienplacéespourlesavoir,ditEliza.
Certes,elletrahissaitMara–maisellevoulaitsurtoutsavoircequesesamiespensaientdetout
ça.
–RyanPerrysortavec...labonne?demandaTaylor,lesyeuxécarquillés.
–Non,elleestfilleaupairouuntrucdanslegenre,expliquaEliza,faisantmachinearrière.
– Fille au pair ? ricana Lindsay. C’est comme ça que ça s’appelle, maintenant ? C’est pas un
euphémismepour«callgirld’origineétrangère»?
Elizaauraitvoululeurpréciserque,parmielles,uneseuleétaitétrangèreetqueleursfonctions,
authentiquesà100%,consistaientàs’occuperdequatregaminsdemoinsdedouzeans.Maisellese
ravisa.
–Ryansortaveclagouvernante!Ça,c’esttropdrôle!gloussaTaylor.
–Ensomme...ils’encanaille,ditLindsayavecuntonsuffisant.OndevraitinformerlePost.Leur
direqu’onaunbienmeilleurscooppourlapage6!
Lesourired’Elizasefigeaitdeplusenplus.
Lorsqu’elleseneurentfini,ellesbalancèrentlejournalparterre.
–Alors,lepensionnat?Tuvasaussiypasserl’annéeprochaine?demandaLindsay.
–Ouais,jecrois.Hé,dites-moi,lesfilles,vousallezaumatchdepolo?
–Biensûr,réponditLindsay.Ettoi?
– Charlie et moi devons plus ou moins y aller ensemble, leur confia-t-elle avec un sourire
satisfait.
–Oùvousenêtes,alors?Voussortezdenouveauensemble?
–Pasvraiment,ditEliza.
Oudumoins,pasencore.Maisilluiavaitdemandédel’accompagneraumatchdepolo,etelle
luiavaitditqu’elleleretrouveraitsurplace.Elleauraitàfairelà-bas,vuqu’elledevaits’occuperdes
gamins. Mais ça devrait aller, car Charlie jouait dans l’une des deux équipes et ne pourrait par
conséquentpaspasserbeaucoupdetempsdanslespavillons.Iln’avaitpasévoquél’éventualitéd’une
réconciliation, mais elle espérait que tout allait changer au match de polo. Heureusement qu’elle
s’étaitachetécettepetiterobeportefeuilletellementsexy.Charlienepourraitpasrésister.
–OKlesfilles,c’étaitsuperfun,maisilfautquej’yaille,dit-elleenflanquantunbilletdevingt
dollarssurlatable.(Leparlercalifornien,sipriséàBuffalo,refaisaitsurface.)
Lindsayécartalebilletd’ungeste.
– J’ai la carte bancaire de mon père. Pourquoi tu pars si tôt ? Je pensais qu’on irait faire les
boutiquesaprèsledéjeuner.
–Non,j’aiditàmatantequejel’accompagneraisàuneexpodepeintureàWaterMill,mentit
Eliza.
Enréalité,onl’avaitchargéed’allerchercherMara,Jacquietlespetitsàl’institutdebeautéFifi
Laroo,oùAnnaavaitréservédesséancesdemassagepourlesgamins.
Alors qu’elle roulait, les mots de ses amies résonnaient dans son esprit : « C’est pas un
euphémismepourcallgirld’origineétrangère?»...«RyanPerrysortavecLABONNE?»
Pourvuquecesfillesneviennentjamaisàdécouvrirlavéritéàsonsujet.
Explicationsavec
uneex-danseuseétoile
MmeSuzetteétaituneanciennedanseuseétoile.ElleavaitdansépourBalanchine,Baryshnikov
et pour l’American Ballet Theater, dont elle avait été la star. Elle avait connu nombre d’hommes
richesetcélèbres,etsuscitél’adorationdel’éliteculturelle.Cequiexpliquaitpourquoisoncoursde
dansedesHamptonsétaitl’undesplusrecherchés.
Parunsamedimatinensoleillé,ungroupedefillettesenjustaucorpsnoirsetcollantsrosesse
tenaient,parordredetaille,devantunmiroir.
–Plié,plié,grandplié,plié,ordonnaitMmeSuzetted’unevoixsècheenallantetvenantlelong
de la barre. Pointe tendue ! lançait-elle en examinant les orteils tendus des petites filles. Chhh...
Madison!Arrêtez!Lesorteilsendehors!Commeça!
MmeSuzetteétenditlepiedpourmontreràMadisonsesorteilsdépliésdefaçonàformerpointe.
Madisons’efforçamaladroitementdel’imiter.MmeSuzettesoupira.
–Allez...toutelarangée.Plié,plié,grandplié...
Aucoursdelaleçon,MmeSuzetterevintplusieursfoiscorrigerl’attitudedeMadison,lesgestes
desesbras,sesrondsdejambepatauds.
– Les orteils en dedans, les chevilles à l’extérieur ! Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?
demandaMmeSuzetteenforçantlespiedsdeMadisondanslapositionvoulue.
Plusieursfillettesricanaient.Madisonavaitlesjouesenfeu.
–C’esttasœur,non?demandal’uned’ellesàZoë.
Autermed’uneheureéprouvante,l’assistantedeMmeSuzetteapportadulaitetdesbiscuitspour
récompenserlesélèvesdeleursefforts.Pendantcetemps,MmeSuzetteleurdistribuaitdesnotations
surdescartesdevisitegravées.
–Madison,ilfautquetufassesdesprogrès.Quetut’améliores.C’estunart.Unepratique.Tu
n’aspasuncorpsàfairedeladanseclassique.Tudevraispeut-êtreessayerlecoursdejazz.
Madisonbaissalatêteettenditlebraspourprendreunbiscuit.
MmeSuzettefitclaquersalanguesursonpalais.
–Pasdebiscuitspourtoi.Tun’aspasuncorpsdedanseuseclassique.
LorsqueMara,ElizaetJacquivinrentchercherlesfillettes,ellestrouvèrentMadisonquiversait
deslarmessilencieuses,etZoëquiretenaitlessiennes.
–Qu’est-cequis’estpassé?demandaMaraens’empressantdeprendreMadisondanssesbras.
Madisonsecoualatête.Quelquesélèvessortirentducourspouralleràlarencontredesparents
oudesbonnesd’enfants.
–Madison!Pasdebiscuits!Tun’aspasuncorpsàfairedeladanseclassique!lataquinal’une
d’elles.
Lesautresfillettess’esclaffèrent.
–Pardon?s’exclamaEliza.Cen’estpastrèsgentil,cequetuviensdedire.
Labonned’enfantsluijetaunregarddésoléetrassemblalesfillettesdansuneMercedes.
JacquiessuyalevisagebaignédelarmesdeMadison.
–Nefaispasattentionàelles!
– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Mara lorsque Madison lui tendit le rapport de
MmeSuzette.
Maraparcourutlacarte,atterréeparlescommentaires.
–Écoutezça:«JerecommandevivementàMadisondes’essayeràunautretypededanse.Elle
n’apasuncorpsàfairedeladanseclassique.C’estunepertedetemps.»
Elizahochalatête.
–MmeSuzetteestplutôtdure.
Elleaussiavaitendurésoncoursd’été,etn’avaitpasoubliéleregardassassinduprofesseurde
danse.
–C’estabsolumentinacceptable!s’exclamaMara.Ellen’aquedixans.
JacquiremarquaqueZoëmâchonnaitunemadeleine,alorsqueMadisonn’enavaitpas.
–Tuasdéjàmangélatienne?demanda-t-elle.
–Maddyn’enapaseu,fitremarquerZoë.
–Tais-toi,Zoë!rétorquaMadison,humiliée.
–Commentça,ellen’enapaseu?demandaMara.Etpourquoiça?
–MmeSuzetteaditqu’elleétaittropgrosse,expliquaZoë.
Mara n’en croyait pas ses oreilles ! Madison était une enfant vigoureuse. Qu’importait qu’elle
eût encore des rondeurs enfantines autour des hanches ? Quel genre de personne – quel genre de
professeur–oseraits’adresserainsiàsesélèves?
–Jevaisdiredeuxmotsàcettesorcière!lançaMara,furieuse.
–Nefaispasça!Elleest...commentdire...française,ditEliza.Elleestméchante.C’estpourça
qu’onnousenvoyaitchezelle.
–Tuyesallée?
– Ouais. Comme tout le monde. Elle est célèbre. Elle sortait avec Onassis ou un truc dans le
genre.
–Çam’estégal!Onnetraitepasunegaminecommeça!Regarde-la!
Madison était assise par terre, recroquevillée sur son sac de danse. Mara connaissait cette
manièrederentrerlesépaules,quisignifiait:Nefaitespasattentionàmoi,jevousensupplie.Jene
méritepasd’êtreregardée.Maraavaitétéuneenfantgrassouillette.Ellesavaitcequ’onressentait.
–Cen’estpasnormal,Eliza,ditJacqui.Ladansedevraitêtreunplaisir.
–EtMadisonaimeça,pasvrai?demandaMara.
–Hmm,hmm,approuvaMadison.
Elleaimaitvraimentça.ÀpartMmeSuzette,toutluiplaisait:lamusique,lespianos,lespectacle
annueloùellessemaquillaient,mettaientdestutusetauqueltoutlemondevenaitassister.
–Jevousdemandepardon?MmeSuzette?demandaMara.
–Oui?
MmeSuzettejaugeaMara,derrièresonpince-nez.
–Jesuisla...latutricedeMadison,improvisaMara.C’estàproposdecequevousluiavezdit
cetaprès-midi...Jen’appréciepasquevousluiparliezainsi.
–Jevouspriedem’excuser?répliquaMmeSuzette.
Après toutes ces années passées à apprendre aux enfants gâtés à faire des pliés, c’était une
première. En général, les mères étaient si intimidées par son passé prestigieux qu’elles n’osaient
émettrelamoindreprotestation.MaisMarasefichaitbienqueleNewYorkTimeseûtunjourdéfini
MmeSuzettecomme«ladanseuselaplusexquiseaprèslaPavlova».
– Elle n’est peut-être pas très gracieuse, mais elle fait de gros efforts. Cela compte, tout de
même?
– Non, répliqua Mme Suzette. Ce qui compte, c’est le résultat. Qui est incapable d’exécuter
correctementlesmouvementsneméritepasd’assisteràmoncours.
–Allez,viens,Mara,ditElizaenlatirantparlebras.
–C’estquoi,cesconneries!s’écriaMara.
–Partons!s’exclamaJacqui.
Elles s’empressèrent de faire descendre aux petites l’escalier branlant. Mara était encore très
contrariée.
–Cettefemmenedevraitpasavoirledroitd’approcherdesenfants!
– Il y a un super Studio Pilates qui vient d’ouvrir. J’ai rencontré l’une des profs, l’autre jour,
chezScoop.Unecrème!Figurez-vousqu’ilsontuncourspourlesenfants.JevaisenparleràAnna,
suggéraEliza.
–J’aipratiquélaméthodePilates,c’estbienmieuxqueladanseclassique,ditJacquiauxdeux
petitesfilles.C’estplusdrôleetc’estplusrelaxant.
Lelendemain,toutétaitréglé.ZoëetMadisonétaientinscritesaucoursPilatesetlesjeunesfilles
aupairlesemmenèrentacheterdejoliesnouvellestenues,pourcompenserl’abandondesjustaucorps
noirs.Quantauxcollantsroses,toutlemondeétaitd’accord:c’étaitbonpourlesbébés.
Trophéedepolo
Mercedes-Benz:
touslesjolisgarçons
nesontpaspleinsauxas
Surleterrain,lessabotsdeschevauxévoquaientdesroulementsdetonnerre.Ungros«paf»se
fit entendre lorsque l’équipe des rouges, frappant la balle d’un grand coup de maillet, l’envoya
directement à l’autre bout du terrain, égalisant à un but partout. Le très médiatique avant-centre, un
Argentindedix-neufans,levaunpoingtriomphant.
–Pasvraiqu’ilestsexy?s’extasiaEliza.
–C’estqui?demandaMara.
–NachoFigueroa.LepèredeCharliel’avoléàl’équipedePeterBrantcetteannée.
–Ilestmagnifique,reconnutMaraenlecontemplantcommeuneœuvred’art.
–Jel’aivulapremière!plaisantaJacqui.
Lesfillesgloussèrent.CraquerpourNacho,c’étaitcommeavoirlebéguinpourOrlandoBloom.
GiseleBundchenetl’autremannequinbrésilienquiavaitposépourlecataloguedeVictoria’sSecret
étaient là, à l’encourager dans les tribunes VIP. Il n’était pas de ces hommes sur lesquels Mara ou
Elizapouvaientraisonnablementavoirdesvues.Maisçanefaisaitpasdemalderegarder.
Nachomarquaunautrebutetlepublic–surtoutféminin–devinthystérique.
Dans les pavillons VIP, personne ne prêtait tellement attention au match. Les invités étaient
occupés à remplir leurs assiettes de caviar, à vider des bouteilles de champagne et à commenter la
tenue des autres. Mara et Eliza rejoignirent Jacqui qui cherchait une table pour les quatre gamins.
Ryansechargeaitdeschaises.Ilavaittraînéaveceuxtoutelamatinée,histoiredeleurdonneruncoup
demain.
–M.Perry!LeBradPittdesHamptons!EtMissWaters!Dansunerobeàquatrecentsdollars
soldée à deux cents chez Scoop ! s’exclama Lucky Yap en faisant la bise à Mara avant de serrer
énergiquementlamaindeRyan.Prenonsunephoto!
Maraposa,jolimentmiseenvaleurparsanouvellerobe.Ellenesesentaitpastoutàfaitàl’aise
avec,etnepouvaits’empêcher,parinstants,detirerdessuspourqu’elleluicouvrebienlesfesses–
uniquementaprèss’êtreassuréequeRyanavaitledostourné.Or,parcourantlafouleduregard,elle
constata que la robe mini et les talons hauts constituaient la tenue féminine de rigueur, dans les
Hamptons.
Ryans’absentapourallerchercherdeuxcoupesdechampagne.Detempsàautre,ilseretournait
pour jeter un coup d’œil aux jambes de Mara. Lorsque, un peu plus tôt, elle s’était avancée vers la
voiturevêtuedecetterobe,Ryan,assisauvolant,avaitfaillitomberensyncope.Elleétaittellement
jolie.Etlemeilleur,c’estqu’ellenelesavaitmêmepas.
–Hé,Lucky!Quelplaisirdevousrevoir,ditMara.
–Oh,vousn’allezpastarderàenavoirassez.Onmevoitpartout,monchou.Vousavezvuvotre
photodanslePost?demanda-t-il.
–Non,répliquaMara,stupéfaite.
Luckyhochalatête.
–Jetez-yuncoupd’œil.Elleestencoreenligne.Fautquejefile.JevoisLaraFlynnBoyleavec
unénormecornetdeglace!dit-ilenbondissantverssaproie.
Ryanrevintaveclechampagne,ettrinquaavecMara.Ils’apprêtaitàluiavoueràquelpointilla
trouvaitravissante,quandsontéléphonesemitàsonner.
–Oh,jesuisdésolée,dit-elled’untonnerveux,manquantderenversersonverreenouvrantson
portable.Allô?Jim!Salut!Commentçava?
Ryanfutcoupédanssonélan.Jim?C’estqui,cefichuJim?
–C’estqui,Jim?demandaRyan,commemalgrélui.
–Monpetitami,réponditMaraensedétournant,letéléphonecolléàsonoreille.
Petit ami ? Comment ça ? Elle n’y avait jamais fait allusion. Pas même la nuit où ils s’étaient
endormisensemblesurlaplage.Illaregardas’éloigner.
–Ryan?appelaunevoix,derrièrelui.
Ilpivotasursestalons.
– Hé, tu te souviens de moi ? demanda une jolie rousse moulée dans du lycra noir, avec un
souriredésarmant.
– Camille Molloy ! s’exclama-t-il en lui rendant son sourire. Comment ne pas se souvenir de
toi?
Ils’approchaettousdeuxfurentviteplongésdansuneconversationanimée.
Pendantcetemps,àl’autreboutdupavillon,Maraavaitdumalàcapter.
–Etlà,tum’entends?hurlait-elle.
JimMizekowskiétaitborné,mignoncommeunbouledogueetonnepeutplusprovincialavec
sa casquette John Deere et son pick-up Nissan complètement rouillé. En arrière-fond sonore, Mara
entendaitduDaveMathews.MarasavaitqueJimaimaitsepasserduDaveMathewsdanssesmoments
deréflexion.
–C’estbon?Tum’entendsmieux?MonDieu,j’ail’impressionqueçafaitdessièclesqu’onne
s’est pas parlés, disait Mara lorsque Madison commença à tirer sur sa robe. Qu’est-ce que tu veux
monchou?Non,pastoi,Jim...Jetravaille...Àvraidire,cen’estpaslemomentidéal...
–Mara,j’aienviedevomir,gémitMadison,plutôtlivide.
–Attends,trésor...Jim,jesuisdésolée,maisl’undesgaminsest...Non,jet’enprie,neraccroche
pas!
Madison se tenait le ventre, qui émit un gargouillis. Elle avait abusé des sandwichs au
concombre,etcommençaàvomirdesmorceauxàdemimâchés,vertsetblancs.
MarajetaàElizaunregardsuppliant.EllenevoulaitpasinterromprelaconversationavecJim.
Pasquandilétaitrestésilongtempssansappeler.
–Liza,jet’enprie,chuchota-t-elle.
Elizasoupira,etpritMadisonparlebras.
–Jet’avaisbiendit,queledernierétaitdetrop,lagronda-t-elle.
–Jeveuxmamaman!pleurnichaMadison,delasaliveblanchâtreluidégoulinantsurlementon.
VuquelavraiemamandeMadisondevaitsetrouveràdesmilliersdekilomètresdelà,Elizase
risqua à regarder du côté d’Anna. Celle-ci saluait des amis et paraissait inaccessible, dans son
fourreau Valentino et son énorme chapeau orné d’une plume d’autruche. Eliza comprit que la
dernière chose qu’Anna souhaitait au monde était d’être importunée par une belle-fille couverte de
vomi.ElleemmenadoncMadisonversleparking,afindelanettoyerdanslestoilettes.
–Madison,situtesensànouveaul’enviedevomir,débrouille-toipourquecenesoitpassur
mesnouvelleschaussures,d’accord?demandaEliza,ens’agenouillantpouressuyerlevomisurle
chemisierbrodédeMadison.
L’odeurlafitgrimacer.
–Beurk!Etjen’aiplusdemouchoirsenpapier!selamenta-t-elle.
Levantlesyeux,ellevitlebeaujardinierdesPerry–celuiquil’avaitdévoréedesyeuxquelques
joursplustôt–quisetenaitprèsd’elleettenaituneserviette.
–Jemesuisditqueçapourraitterendreservice,dit-ilenlaluitendant.
Ses boucles noires lui retombaient sur les yeux et il portait une combinaison portant
l’inscription«J.Stone»surlapochegauche.
–Nonmerci.Jecontrôlelasituation.
–Commetuveux,répliqua-t-ilavecunhaussementd’épaules.
–Tun’aspasd’arbreàélaguer,ouuntrucdanscegoût-là?demandaElizasuruntonhautain,
sanscesserdefrotterlachemisedeMadison,etfaisantpénétrerlasaletédansletissuplutôtqu’autre
chose.
– J’ai ma journée. Je m’occupe du terrain de polo. Je voulais m’assurer qu’ils n’abîment pas
mongazonvedette,expliqua-t-il.Jem’appelleJeremy.
–Jesaisquitues,rétorqua-t-elle.
Ilrangealaservietteetcommençaàs’éloigner.Àcetinstantprécis,Madisonvidasesintestinsen
pleinsurleschaussuresd’Eliza.
–Nooonnn!!!gémitcelle-ci,pétrifiéed’horreur.Jeviensdelesacheter!
Jeremyexaminalesdégâts.
–Ellessontencuir.Çavapartir,dit-ilens’agenouillantetenprenantl’undespiedsd’Elizapour
ledéchausser.Sijepeuxmepermettre...
Ilsemitànettoyerlesendroitssouillés.
–Sérieusement,tunerenoncesjamais,pasvrai?demandaEliza,unpeuamadouée.
Ilétaitvraimentjoligarçon.
–Passijepeuxéviter,reconnut-ilavecungrandsourire.
–Enfait,çavaaller.Jevaismedébrouiller.Nonquejen’appréciepastoutça...,dit-ellepassant
surl’autrepied,pourpermettreàJeremydenettoyerl’autrechaussure.Tupourrais...heu...passerun
petitcoupici?demanda-t-elleendésignantunetache.
Auregardqu’illuijeta–lequelsemblaitsignifier«Tutefichesdemoiouquoi?»,Elizaneput
querépondreparunsouriregentil.
–J’imaginequeçasignifiequejen’aiplusledroitdet’ignorer.
– Dans certaines cultures, on serait quasiment mari et femme après ça, plaisanta-t-il en se
relevant.Àbientôt...Eliza.
– D’où tu connais mon prénom ? Et où tu vas comme ça ? demanda-t-elle en feignant d’être
contrariée.
–Fautquej’yaille!Jevaisboireunebièreaveclescopains,cria-t-ilenpartant.J’auraispascru
queçat’intéresseraitàcepoint-là!
–Çanem’intéressepas!protesta-t-elle,sanspourtantcesserdesourire.AllezMadison,dit-elle
en prenant la fillette par la main. Cesse de pleurnicher ! Tu vas bien à présent, non ? La prochaine
fois,tuécouterascequejedis?
Ellesretournèrentdanslepavillon.MaraétaittoujoursabsorbéedanssaconversationavecJim,
etJacquiétaitDieusaitoù.Zoë,CodyetWilliamétaientassisàunetable,às’envoyerdesassiettesde
palourdes crues, aliment autorisé par leur régime hyperprotéiné et pauvre en hydrates de carbone.
Eliza repéra Lindsay et Taylor en train de fumer au-delà de la zone délimitée par les cordes, et
s’empressad’envoyerMadisonrejoindresesfrèresetsœurs.Puisellesedirigeaverssesamies,afin
deleurfaireadmirersatenue.
–Charlietecherchait,ditTaylorsuruntondereproche.
–Ilétaitlà?demandaEliza.Etmaintenant,ilestoù?
–Parti.Ilparaissaithorsdelui,ajoutaLindsay,trèsmélodramatique.
Eliza baissa les épaules. Pendant qu’elle était dans le parking, du vomi jusqu’au cou, à flirter
aveclejardinier,sonex-petitcopainlacherchaitàl’intérieur.
–Jesuiscertainequ’ilvam’appeler,ditElizaens’efforçantdeparaîtresûred’elle.
À peine eurent-elles tourné le dos qu’elle se précipita vers la table des enfants pour voir si le
compteyétait.William.Madison.Cody.Etl’autrepetitefille,oùétait-elle?Oh,elleétaitlà,sousla
table,entrainderamasserunecoquilleSaint-Jacques.
Dieusoitloué!Ilsleurdonnaientdufilàretordre,maisellecommençaitàs’attacheràcespetits
morveux.
Ilestdeschagrins
quemêmeleBacardi151
nepeutatténuer
Madison avait exigé une seconde portion de crevettes et Jacqui, se disant que ça n’allait pas à
l’encontredurégimedelafillette,étaitalléeluienchercher.C’étaientdescrustacésaprèstout–çane
faisaitsansdoutepasgrossir?Alorsqu’elledisposaitquelquesgrosspécimensrosessuruneassiette
de porcelaine, son regard se porta sur la pelouse. Le moment était venu de piétiner le terrain, et le
matchs’étaitinterrompupourlaisserlesspectateursécraserlesaspéritésdusol.Desdamesenrobes
desoie,desmessieursenblazersbleumarineettreillisbienrepasséssepressaientpourallerfouler
aupiedlesmottesdeterrearrachéesparlesruadesetlessoubresautsdesponeys.Ilsremettaientles
mottesenplace–côtéherbuverslehaut,bienentendu.
Àl’autreboutduterrain,unetignasseblondeetdeslunettesattirèrentsonattention.Mais...Luca
n’avaitjamaisparléd’assisteraumatch!Ellereposasonassiette,oubliantbrusquementsonintention
denourrirlafillette.
Uneminute...Quoi?Lucatenantunefilleparlamain?Satêtemeditquelquechose...pourquoi
latient-ilparlamain...?Maisill’embrasse...surlabouche...paspossible!
Ellefonça,bouillonnantdecolèreàlapenséedetouslesmalentendusethumiliationsaccumulés
aucoursduderniermois.
–Luca!hurla-t-elle.
MaisLuke,quil’avaitvues’approcher,étaitprêtpourlarencontre.
–Jacqui,dit-ild’unevoixdécontractée,enluiplaquantunbaisersurlajoue.Quelplaisirdete
rencontrer!
Illuipassaunbrassurl’épaule.
– Permets-moi de te présenter ma petite amie Karin. Karin, voici Jacqui. Nous nous sommes
connusàSãoPaulo,auxvacancesdePâques.Etvoilàqu’elletravaillechezlesPerry!Lemondeest
petit,n’est-cepas?
IlfoudroyaJacquiduregard,pourladissuaderdeparler.
–BonjourJacqui,ditgentimentKarin.
C’étaituneblondeauxtraitsagréables,auvisagerondetaunezretroussé.Elleportaitunejupeà
fleursLauraAshleyquiluiarrivaitàmi-molletsetfaisaitl’effetd’unsac.
JacquiserramécaniquementlamaindeKarin.
–Enchantéedevousconnaître,marmonna-t-elle.
Lafillen’yétaitpourrien,Jacquilesavait...Toujoursest-ilqu’ellen’avaitpasfinidechercher
sesmots,enanglais,queLukeluiavaitdéjàtournéledosets’éloignait,entraînantKarin.
–Mmmm...enchantéedevousavoirrencontrée!luicriaKarin.
Trop blessée pour lui courir après, Jacqui s’éloigna. Ses talons s’enfonçaient dans la boue
épaisse. Elle croisa plusieurs joueurs de polo sud-américains qui se dirigeaient vers le terrain et
échangeaientdesparolesenespagnoletenportugais.
–Cuidado!s’exclamal’und’euxenlarattrapantauvol,alorsqu’elletrébuchait.
–Jeconnaismonchemin!sifflaJacquienlesbousculantpresque,totalementindifférenteàleurs
regardsadmiratifs.
–Bonita!s’écriaNachoFigueroa,lebeaucapitainedel’équipe.
Jolie,etalors?Celanel’empêchaitpasd’êtremalheureuse.Ellecontinuaàmarcher,hébétée,et
seretrouvadevantunetablerecouverted’unenappeblanche,derrièrelaquelleofficiaitunserveuren
smoking.
–UnBacardi151.Sec.Double,commanda-t-elle.
Elle en but quatre verres coup sur coup et retourna à la table des Perry, où Eliza et Mara se
disputaient ferme sur la question de savoir s’il était temps, oui ou non, de ramener les enfants à la
maison.
–Jet’assure,çaleurestégal!insistaitEliza.
Elle était pressée de détaler avant que Taylor et Linsay ne la surprennent en train de jouer les
MaryPoppins.
–RegardecommeZoëal’airfatigué.
–MaisAnnaetKevinn’ontrienditàcepropos,protestaMara,sceptique.
–Tucroisvraimentqu’ilstiennentàcequeleursenfantsassistentàlafindumatch?Regarde
autourdetoi,Mara!Toutlemondes’enva!
C’étaitvrai.Àprésentquelescamérasdelatéléetlespaparazziss’étaientretirés,laplupartdes
invitésparaissaientjugerqu’euxaussiavaienteuleurdose.
–Hé,Jacqui,oùest-cequetuétaispassée?lançasèchementEliza,regrettantsontondèsqu’elle
vitl’expressiondesonamie.
–Qu’est-cequinevapas?demandaMara,inquiète.
C’étaitlapremièrefoisqu’ellesvoyaientleurcamaradedechambre,d’habitudesisûred’elle,
perdretoussesmoyens.Jacquitremblait,avaitlesyeuxrougis,paraissaitsurlepointdefondreen
larmesetsentaitlerhumàpleinnez.
Maraposalamainsurl’épauledeJacqui.
–Cequetuesfroide!s’exclama-t-elle.
–Qu’est-cequis’estpassé?demandaEliza.
–C’est...c’estLuca...Ila...unepetiteamie...Ilm’amenti,balbutiaJacqui,lagorgenouée.
–Quoi?ditEliza.
–C’esthorrible!s’écriaMara.
–Jeviensdelevoir...àl’autreboutduterrain...Ilprétendaitquec’étaitunehistoireterminée...
maiscen’étaitpasvrai...nossa...c’estpourçaqu’ilnevoulaitjamaism’emmenernullepart...j’étais
juste...uncoup...uncoupfacile...etmoiquicroyais...moiquim’imaginais...
–Quelsalopard!s’exclamaMara.
–Tais-toi!ditJacqui,queleurcompassionrendaitencoreplusmalheureuse.Ilestjustederrière
toi.
Elizaseretourna,etvitLukeVanVaricketKarinEmerson.
–C’estlui,tonLuca?Jacqui,tuauraisdûmeledireplustôt!C’estLukeVanVarick.Leplus
grandbaratineurdel’ÉtatdeNewYork.Unpurcrétin.Jeleconnaisdepuisdesannées.Karinetlui
sortentensembledepuislecollège,etill’atoujourstrompée.
Jacquihochalatêteetsemorditlalèvre.Elles’étaitattendueàquelquechosedanscegoût-là,
maisavaittoutfaitpours’endissuader.Àprésent,voilàqu’elleétaitcoincéedanscettemauditeville
desÉtats-Unisalorsqu’elleauraitpuêtreàRioavecsesamis.
–Tunepouvaispassavoir,larassuraMara.
–Ilfaittoujourscecinémaàlanoix,àjouerlesindifférents,maisc’estunerusedeguerre.Ilest
hyper-arrogant. Beurk ! Tu aurais pas pu trouver pire, dit Eliza. Une chance, que ce soit fini ! Bon
débarras!
–Oquequerque.J’aibesoindeboireencoreunverre,sebornaàcommenterJacqui.
Eliza et Mara échangèrent un regard d’impuissance, avant d’accomplir les gestes qui leur
venaient naturellement à l’esprit en période de crise : Mara prit un mouchoir et essuya le mascara
souslesyeuxdeJacqui,pendantqu’Elizaluitendaitdeuxcoupesdechampagneàmoitiépleines.Pour
l’instant,ellesnepouvaientguèrefairemieux.
Unclouchassel’autre:
leremèdeanti-chagrind’amour
deJacqui
Uneheureplustard,Jacquiétaittoujourssouslemêmepavillon,lenezplongédanssonverre.
Le serveur avait décoré son mojito d’une petite ombrelle aux couleurs vives, mais la vue de cet
ornementguilleretnefaisaitqu’ajouteràsatristesse.Elleposasonverresurunetablevoisinepour
chercherunecigarettedanssonsac.
–Excuse-moi...,dituntypeenplaçantsonverrevideàcôtédeceluideJacqui.(Ils’apprêtaità
regagnerleparking,lorsqu’ill’avaitaperçue.)Jacqui?
Levantlesyeux,ellereconnutLéo–legentilLéo,l’amideLuca–arborantunsourirebéat.Il
portait une veste en cloqué semblable à celle que Luca portait cet après-midi-là, avec les manches
relevéesjusqu’auxcoudesetunjeanextra-large,d’oùdépassaitunboxerenflanelle.Unlookhip-hop
BCBG,onnepeutplustendancedanslesHamptonscetété-là.
– Je suis content de te voir. Hé, il y a quelque chose qui ne va pas ? demanda-t-il lorsqu’il
remarquasonexpression.
–Non,répondit-elle.
Ellenevoulaitrienavoiràfaireaveclui.NiluiniquiconqueluirappelantLuca.
– Allez, tu peux me dire ce qui ne va pas, insista-t-il d’une voix douce en posant la main sur
l’épaulenuedeJacqui.
–Vraiment,c’estrien.Naoénada.Lemaldupays,riendeplus.
Àpeinel’eut-elleformulé,qu’elleréalisaquec’étaitvrai.LeBrésilluimanquait.LesHamptons,
c’étaitmarrantettout,maissansLuca,cen’étaitqu’unedecesvillesaméricainespourrichards.Elle
avaitenviedevoirsagrand-mère,unevieilledameobstinéequitravaillaitdelonguesheurescomme
géranted’uneusinedetextile,afinquesonuniquepetite-fillecontinueàfréquentersonlycée.
–Çatedirait,d’allerdînerquelquepart?demandaLéo.Jeconnaisunendroitpasloind’icioù
onmangelesmeilleurstacosaupoissondelaville.
–Jenesaispas.Ilfaudraitpeut-êtrequejeretournetravailler.
Elle fouilla du regard le pavillon – qui s’était presque totalement vidé de ses occupants – à la
recherchedesenfantsPerryetdesescamaradesdechambre.
–Allez,accepte...Çavavraimenttefairedubien...,repritLéo,enluiprenantlebras.
Elleétaitalorstropsoûlepourrefuser.
Ill’emmenadansunsnackàAmangasett,oùilsmangèrentdestacosaupoissonsousuntoitde
paille branlant. Léo avait raison, manger lui faisait du bien. Elle était encore sonnée, furieuse et
blessée,aupointdenemêmepasvouloirtropréfléchiràcequ’elleéprouvait–lesentimentd’être
nonseulementseuleettristemaisstupideethonteuse.
Ilyavaiteudessignes,biensûr.Laphotographie.LarépugnancesuspectedeLucaàs’afficher
avec elle dans les lieux branchés. Ses excuses et ses absences répétées. Il l’avait menée en bateau.
Jacquiauraitdûseméfier.
Par-dessuslatable,elleregardaLéotoutenmâchantdedélicieuxtacosépicés.Illuirappelaitun
peuLuca,avaitsachevelurecouleurmiel.Mêmesonodeurétaitsemblable–unmélanged’Égoïste
deChaneletd’after-shave.LeurgoûtsvestimentairesétaitsiprochesqueJacquidevinaitlamarquedu
boxer, sous le pantalon baggy. Il lui ressemblait jusque dans sa façon de parler. À vrai dire, en
fermantlesyeux,ellepouvaitpresques’imaginerqu’elleétaitencoreavecsonLuca.
C’est pourquoi, lorsqu’elle sortit en titubant de la gargote et que Léo lui proposa de... heu...
resterencoreunpeuet,pourquoipas,devenirjeteruncoupd’œilàsacollectiondeguitaresouun
trucdanscegoût-là,elleneditpasnon;etqu’unefoisarrivéechezlui,lacollectionconsistanten
toutetpourtoutendeuxFendermiteuses,elleluirenditsonbaiserlorsqu’ilessayadel’embrasser;
etque,lorsqu’illuiretirasachemiseetdéfitlafermetureéclairdesonpantalon,ellelelaissafaire
sansprotester.Aprèstout,commeditleproverbe:unclouchassel’autre.
–Alors,c’estvraimentfini,vousdeux?demandaLéo,après,tandisqu’étendussursonlit,ils
regardaientàlatélévisionunprésentateurvedetteasticotersonmalheureuxinvité.
Ellehochalatête.
–Tantmieux,parcequejenevoudraissurtoutpasmemettreentrevous,tumecomprends?
–Sim.
–Tusais,dèsquejet’aivue,j’aiétéscotché.
–Moiaussi,mentit-elle.
Illaserraplusfort.
Elle s’apprêtait à lui dire que c’était une erreur, que ça n’avait aucun sens. Qu’il valait mieux
qu’ils ne se revoient pas. Que cela blesserait Luca, d’apprendre qu’elle avait couché avec son
meilleurami.
Uneminute.
CelablesseraitLuca.Oudumoins,celaporteraitungrandcoupàsonamour-propre.
Jacquieutuneinspiration.Toutàcoup,çaneluiparaissaitplusunesimauvaiseidéedesortir
avecLéo.
Maraserebiffe
enfin
Le lendemain matin, Mara fut réveillée par le refrain, répété à l’infini, de la sonnerie de son
portable.
– Hmm... qui c’est ? demanda-t-elle en frottant ses yeux ensommeillés. Non, non, j’ suis
réveillée.SalutJim!
Maratenaitlecombinéàdistancedesonoreille.L’enthousiasmedeJimétaitinsupportable,sitôt
danslajournée.
– J’ai un super projet... Tu vas adorer ! Mes parents partent ce week-end, si bien que j’ai la
maisonpourmoitoutseul.Toujoursest-ilquejemesuisdit,jetiensvraimentàcequemanana...àce
quemaMarasoitlà,tucomprends?Parcequeçavadéchirer!Jevaisfaireunesoirée,jetedispas!
Et,tusais,ilvamefalloirquelqu’unpourm’aideràfaireleménagelelendemain,ajouta-t-ilenriant
desapropreblague.
MaisMaracommençaitàsaisirqueJimneplaisantaitpasréellement.
–J’adorerai,Jim,maisjenepeuxpas,répondit-elle.
–Commentça,Mara,tunepeuxpas?
–Jenepeuxpas.Ilfautquejetravaille.Jenepeuxpasdisposerdesweek-ends,tusais.C’estun
boulotàpleintemps,oùilfautêtredisponiblevingt-quatreheuressurvingt-quatre.
– C’est ce que tu dis tout le temps, grommela Jim. J’en crois pas un mot, Mara. Ces sales
richardspourquitutravaillesnetelaissentmêmepasprendreunfichuweek-end?Tuesleuresclave,
ouquoi?C’estn’importequoi!
–Cen’estpasn’importequoi!Tutrouvesquetoutcequejefaisestidiot,maistutetrompes.
C’estvraimentimportant.Jegagnebeaucoupd’argentici,ettusaisbienquemesparentsnepeuvent
paspayerlatotalitédesfraisd’inscriptionàl’université.
–Peut-être,mais...ilsepassequelquechose,Mara.Jelesens.Tun’espluslamême,etjesuispas
sûrqueçameplaise.
–Oùest-cequetuveuxenvenir?demandaMaraensecalantsursesoreillers.
–Jesaispas.Tuesvraimentbêcheuse,toutd’uncoup...
–Jetedemandepardon?
–Tutecomportesdemanièreunpeuégoïste,tusais?Àcroirequ’iln’yaquetoiaumonde.Ça
merendmalade,jetejure,vraimentmalade.
Àcesmots,Maraseredressabrusquement.
–Égoïste?C’estmoiquisuiségoïste?s’écria-t-elle,soudaintrèsencolère.Oh,jesupposeque
quand j’ai lavé ton maillot de foot pour la finale au lieu de réviser mon contrôle d’anglais de fin
d’année, je ne pensais qu’à ma pomme ? Et quand je t’ai donné mon hamster lorsque ton Bobo est
mort,c’étaitégoïste?EtlejouroùjevousailaisséentrerdanslaTaverneduTempsJadis,toiettes
crétinsdecopains,parcequevousvouliezsavoirquelgoûtavaitlabièreauXIXesiècle?Etlafoisoù
jesuisalléeàEastRiverquandtut’esfaitfairetonlavaged’estomacàl’hôpitalBellevue–alorsque
j’avaisletestd’aptitudepourl’entréeàlafaclelendemain?
Maraauraitpucontinuerpendantdesheures.
– Ou encore... je sais pas... la fois où j’ai vendu ma maison de poupées ancienne pour que tu
puissesacheterdenouveauxenjoliveurspourtavoiture?
–Bon,d’accord,c’estvrai,Mar...
MaisMaraenavaitassezentendu.
–Tusaisquoi,Jim?Tuasraison...j’aichangé...ettoutça,jeneleferaijamaisplus!
Et alors, elle coupa la communication en appuyant, de toutes ses forces, sur une touche. Ce
n’étaitpasaussimélodramatiquequederaccrocherbruyammentuncombinésursonsupport,mais
c’estça,lesprogrèsdelatechnologie...
–Grrrr!vociféraMara,danslachambrevide.
Ryann’estpeut-êtrepasentrain
deprendrelepetitdéjeuner
aulit,mais...
Mara dévala les escaliers, franchit le seuil du cottage et claqua la porte derrière elle. Quelle
mouchevenaitdepiquerJim?Égoïste,elle?
Maratraversalapelouseenvitesse,endirectiondelamaisonprincipale.Ilétaitpresquemidi–
mon Dieu, ce qu’elles étaient rentrées tard hier soir ! L’heure vers laquelle Ryan revenait
habituellementdesesmatinéesdesurf.
Ilétaitsansdouteàlacuisine,entraindepréparerundesessandwichsàdeuxétagesfavoris–la
gouvernanten’oubliaitjamaisd’envoyerfairechercher,àsonintention,delamortadelle,dujambon
cru, de la saucisse sèche et du salami chez Papassini. Tous les samedis, Mara et lui avaient pour
habitudededéjeunerd’unénormesandwich.Sontimingétaitdoncparfait.
Elle parcourut rapidement l’allée pavée jusqu’à la cuisine encadrée de baies vitrées. Comme
prévu,Ryanétaitlà–encorevêtudelamoitiédesacombinaisondeplongée(lachaleurl’avaitobligé
à descendre le haut). Il maniait un couteau couvert de moutarde de la main droite, et de la main
gauche...tenaitparlatailleunetrèsjoliefille,portantlamêmecombinaisonnoirerepliéeetunhaut
debikinirouge.
Maraétaitsûred’avoirdéjàvucettefillequelquepart.Avecunpincementaucœur,elleréalisa
que c’était la fille du match de polo. La rousse avec qui Ryan discutait pendant qu’elle se disputait
avecJimautéléphone.
– Ryan... arrête... non ! gloussait la fille, tandis que Ryan faisait mine de lui tartiner la joue de
moutarde.
–Tuadoresça!répliqua-t-ilavecungrandsourire.
Illuifourradanslaboucheunetomatecerise,qu’ilfitsuivred’unbaiser.
Oh.
Mara resta plantée devant la vitre de la cuisine, toute décontenancée, incapable de réagir. Elle
étaitsisurprisedeletrouveravecquelqu’un.
Avec quelqu’un d’autre, s’entend – bien qu’elle s’efforçât d’ignorer ce dernier point. Allez,
aprèstout,jenem’attendaispasàcequ’il...Aprèstout,jeneleconsidèrepascomme...EtilyaJim,
bienque...
Alorsqu’unesoudaineprisedeconsciencecrispaitlevisagedeMara,Ryanlevalesyeux.
–Mar...
MaisMaraavaitdéjààmoitiédescendul’escalierdeservice,plusembarrasséeetconfuseque
jamais.
Elizaapprenduntasdechoses
cetété–entreautres,
quelesrégimeshypocaloriques
neserventàrien
Dans l’allée, Eliza jugea qu’elle avait la situation bien en main. Les gamins avaient mis leurs
maillotssanstropprotester.Williamétaitdéjàmaintenuenplaceparlaceinturedesécurité,etCody
installésursonsiègebébé,sibienqu’ilnerestaitplusqueZoëetMadisonàembarquer.
–Oùest-cequ’onva?demandaMadison,enserrantsursapoitrineunexemplairetrèsabîméde
MaxetlesMaximonstres.
–Commed’habitude,réponditElizaencherchantsaceinture.
–J’aifaim,fitremarquerMadison.
–Tuastoujoursfaim,soupiraEliza.
–Salut,Jer ’my,criaZoë,depuislabanquettearrière.
Tournantlatête,ElizavitJeremysortirdelaremiseéquipéd’unrâteauetd’untuyaud’arrosage.
Ilportalamainàsacasquette.
–SalutJeremy!lançaWilliam,commeenécho.
–Viensmangeruneglaceavecnous!ditMadison.
–Ouais,viensmangerdelaglace!approuvaZoë.
Williamsemitaudiapasonetbientôt,touslesgaminssuppliaientJeremydelesaccompagnerau
FlocondeNeige.
–Vousprenezquoi,descoupesglacées?demandaJeremy.C’estlesquelles,vospréférées?
–Saucechaudeaucaramel,répliquaaussitôtWilliam.
–C’estunbonchoix,mongarçon,acquiesçaJeremy.
–Nougatine,ditZoë.
–Demieuxenmieux.
–Tupeux?Tupeux?Tupeux?demandaZoë.Tupeuxveniravecnous?
–Sitoutlemondeestd’accord.J’aifinimajournée.
–Çanemedérangepas,ditElizaavecunhaussementd’épaules.J’allaisattendreMara,maisje
l’aientendusedisputeravecsonpetitamiautéléphone.Jemesuisditqu’elleauraitbesoind’avoirun
momentàelle.
–Alors,c’estjustenous?demandaJeremyavecunsourire.
LeFlocondeNeigeétaituncharmantpetitrestaurantdestyleannéescinquante,célèbrepourses
hamburgersjuteuxetsesénormesportionsdecrèmeglacéeartisanale.Elizagaralavoituredansle
parking, à côté de la monstrueuse sculpture d’un hot dog, haute de près de deux mètres. Elle était
célèbredanslesHamptonssouslenomde«l’étrangehotdog».
LesgaminsPerryserraientlesrangsdevantlecomptoir,jetantdescoupsd’œilaucongélateur.
–JeveuxduDéliceLight,décidaMadison.C’estcequecommandenttoujoursPoppyetSugar.
–Ilsnefontpasdecrèmeglacéeallégéeici,ditElizad’untonpatient.(Celaexpliquaitenpartie
lesuccèsdulieu.)Etdetoutefaçon,cen’estvraimentpasbonpourtoi,machérie.Ellescontiennent
plusdesucrequelesglacesnormales,sibienqu’uneheureplustard,tuasdenouveaufaim.Etpuis,
ellessontloind’êtreaussibonnes!
Eliza plaignait la gamine. Sugar, Poppy et Anna, avec leurs régimes diététiques capricieux et
leursphobiesalimentaires,neconstituaientpasuntrèsbonexempleenmatièredenutritionsaine.Ces
dernierstemps,Madisonimitaitleursfantaisies–nerienavalerpendantdesheures,puiss’empiffrer,
cequiétaitpirequetout.Maisellenepratiquaitpasencorele«truc»desjumelles–allersefaire
vomirdanslasalledebainsaprèschaquerepas.Dumoins,pasencore.
–Mangersainementestunequestiondemodération,ditEliza.Pourquoinepasconsommerune
seule boule de glace à la noix de pécan plutôt qu’une coupe glacée Chantilly, comme tu le fais
d’habitude?Tutesentirasmieuxettun’éprouveraspaslebesoindemangerdesbonbonsplustard.
S’ilyavaitundomainedanslequelElizaenconnaissaitenrayon,c’étaitbienlesrégimes:South
Beach, Aitkins et autres... Elle savait qu’il y avait beaucoup de choses à jeter – qui pourrait laisser
tomber les glucides pour de bon ? – mais elle n’en avait pas moins pris à cœur, depuis plusieurs
années,lesgrandsprincipes.
Unefoislesenfantsrepus,tousseserrèrentànouveaudanslavoiture.Elizasortitduparkingen
marchearrièreetpritladirectionhabituelle.
–VousêtesdéjàallésàlaplagedeTwoMileHollow?demandaJeremy.
–Cen’estpaslaplagehomo?
–Ouais,maisseulementtoutaubout.Del’autrecôté,iln’yaquedesfamilles.Etc’estgénial.
C’estdésert,rienàvoiraveclecirquedeGeorgica.Ilfautqu’onyaille.
–Tucrois?
–Ouais,prendslaprochaineàdroite,etensuitetoutdroit.
La plage de Two Mile Hollow était telle que Jeremy l’avait décrite : un paradis, comparé aux
serviettescolléesbordàborddeGeorgica.Elizaexaminaàladérobéelesgroupesquisetrouvaient
plus loin – de beaux gays déployés autour de pique-niques somptueux, comprenant champagne et
caviar,pendantquequelquescouplesisolésdelesbiennesprenaientlesoleilsousleursparasols.
–C’estgénial!s’exclamaElizaendéfaisantlafermeturedesontopàcapucheetenretirantson
short.
Son deux-pièces, noir et brillant, était constitué d’un bandeau et d’un boxer portant un E en
monogramme. Elle faisait penser à l’une de ces pin-up des calendriers d’autrefois, avec ses longs
cheveuxblondscoiffésenqueuedechevalsurlehautdelatêteetmaintenusparunlargeserre-tête
noir.
–Jevienstoujoursici,ditJeremy.C’estlameilleureplagedesHamptons.C’estsitranquille.
Lesenfantsparaissaientl’approuversurcepoint.Williamétaitdéjàplongédanslaconstruction
duplusgroschâteauqu’ilpuisseimaginer–illuifallaittoujourssebattrepourchaquecentimètrede
terrain,surlesautresplages.Madisonavaitretirésonshort–complexéecommeellel’était,ellenese
montrait jamais en maillot de bain. Mais ici, elle ne semblait guère s’en soucier, vu qu’il n’y avait
personnepourlesobserver.ZoësecontentadevenirseblottircontreEliza,quisemblaitbeaucoup
plusaimablequandellenecherchaitpasàéchapperauxregardsdesesamis.
Elizasortitunmagazinedesonfourre-tout.ZoëavaitoubliéMax et les Maximonstres chez le
glacier,maisElizaétaitdécidéeàlafairelire.Ellefeuilletalarevue.Peut-êtrequesiZoën’apprenait
pas, c’est parce qu’on lui donnait tous ces bouquins barbants à propos de fleurs et de petits chiens.
Peut-êtrequ’enluidonnantdeschosesplusintéressantesàlire...
– Hé, Zoë, on va commencer avec ça, dit Eliza lorsqu’elle eut trouvé une page prometteuse.
«Commentlerendrebabaenvingt-sixleçons».
Elizadésignal’articledudoigt.C’étaitunabécédaire!Unevraieméthodepédagogique, se ditelle.
–«A»comme«apprendreàtoujoursêtreprête».
–Apprendreàtoujoursêtreprête,répétaZoë,écarquillantlesyeuxdevantlaphotod’unefemme
ennuisette,étenduesurdesdrapsdesoie.
–Prêteàquoi?demanda-t-elleàEliza.
Elizanevoyaitpastropcommentrépondreàlaquestion.
– Mmmm... essayons autre chose, dit-elle en parcourant les pages « mode ». J’ai trouvé...
«Qu’est-cequej’emportepourunweek-endàlacampagne?»
Jeremy,quiavaitjusque-làgardélesilence,affligé,éclataderire.
–Chichequet’osespasl’embrasser!lançaZoë,ensetournantversJeremy.
Ilrougit.
– Je suis obligé de relever le défi, dit-il d’un ton grave, avant d’effleurer d’un baiser la joue
d’Eliza.
Elle se sentit flattée. Elle n’en revenait pas de s’amuser autant. C’était toujours tellement
compliqué,detrouveràsegarer,depouvoirseposerquelquepart,etdeveilleràcequ’aucundeses
ex-camarades de lycée ne la surprenne avec les gamins. Enfin, elle parvenait à se détendre. Et ce
baisern’étaitpasmalnonplus.
– Tu fais quoi plus tard ? demanda Jeremy. Mes amis vont faire un feu de camp, ce soir, à
Montauk.
Eliza était sur le point de lui demander à quelle heure, quand son téléphone fit entendre sa
sonnerieperçante.
–Excuse-moi.Jedoisrépondre,dit-elle.Oh,Lindsay,salut!Charliefaitunesoirée?Non,ilne
m’apasprévenue.Cesoir?Oh,monDieu,moiquimouraisd’envied’yaller.Évidemmentquej’ai
riendeprévu!Onseretrouveàquelleheure?
Elleraccrocha,arborantunsourireradieux.
ElizavitJeremysedétourneretfixerl’océand’unaircontrarié.
J’aivraimentfaitça?Planifiéautrechosedevantluialorsqu’ilvenaitàpeinedem’inviterà
sortir?
–Pourenreveniràcesoir...,ditElizad’unevoixmalassurée,onvientdemeproposerquelque
chosepourplustard.Maisçanenousempêchepeut-êtrepasdedîner,ouquelquechosecommeça?
–Biensûr,approuvaJeremy.
En temps normal, il aurait refusé. Mais il y avait un je ne sais quoi, chez Eliza, qui faisait
accepterauxgarçonsdestasdechosesqu’ilsn’auraientacceptéesdepersonned’autre.
Jacquin’enfinitpas
detestersonproverbe
Pendantcetemps,quelquepartàBridgehampton,deuxformesétaientblottiessousuncouvrelit...Jacquietsonnouveaupetitamifolâtraient,etellegoûtaitlachaleurdequelqu’untoutprèsd’elle.
Ellenes’étaitpassentieaussibiendepuisdessemaines.
–Oh...Luca...,murmuraJacqui.
Unetêteécheveléeseredressasoudain.
–Qu’est-cequetuasdit?demanda-t-ilàJacqui.Tum’asappelécomment?
– Léo... Léo... J’ai dit « Oh, Léo », mentit Jacqui en recouvrant son visage de baisers. J’ai dit
«Léo»meuamor.
Léoserecouchaprèsd’elle,bienqu’ilnefûtpastotalementconvaincuqueJacquipensaitàlui.
Étenduesurlelit,celle-cinepouvaits’empêcherdesongerqueLéon’étaitpasunebonneidée.Mais
elle n’y pouvait rien. Elle était le genre de fille qui avait toujours un petit ami, et il lui avait fallu
trouverquelquechosepournepaspassersontempsàpleurer.Lesbrasmaigresmaisréconfortants
deLéosemblaientfairel’affaire.
Après ce qui s’était passé au match de polo, elle n’avait pas eu le courage de se remettre au
travail.Commenttravaillerquandvotrecœuravaitétépiétinéetjetéauxchiens?Aulieudeça,terrée
danslachambredeLéo,elleavaitpassésontempsàregarderdesprogrammesdetélédébilesetà
viderlefrigo.ElleétaitretournéechezlesPerrypourprendredesvêtements,àunmomentoùelle
savaitqu’ElizaetMaraseraientsortiesaveclesenfants.
Ellenevoulaitpasseretrouverfaceàelles.Elless’étaientmontréesvraimentgentilleslejourdu
match, mais elle avait besoin d’être seule... enfin, aussi seule qu’elle était capable de l’être. Elle se
doutaitqu’elleallaits’attirerdesennuis,orelleétaitdansunpaysétranger,unendroitquin’avaitde
senspourellequedanslamesureoùl’hommequ’elleaimaits’ytrouvait.Ettoutesleschosesqu’elle
savait vraiment importantes – comme son boulot – avaient perdu toute leur réalité. Elle songeait à
s’embarquerdansleprochainavionpourSãoPauloetàoublierqu’elleavaitjamaismislespiedsaux
Hamptons. De l’argent qu’elle avait gagné jusqu’à présent, elle n’avait rien dépensé. Ce matin, elle
avaitregardélesprixdesbilletsd’avion,surl’ordinateurportabledeLéo.Mais,pourlemoment,elle
n’avait même pas la force de quitter le refuge que constituait la chambre de Léo, et elle avait le
sentimentquecetteimpressionn’allaitpaslaquitterdesitôt.
Anna allait certainement la renvoyer à son retour, mais Jacqui était trop affectée pour s’en
soucier.
Qu’elleavaitétébêtedecroirequequelqu’unpouvaitl’aimerpourdebon!Cesdeuxsemainesà
São Paulo n’avaient été qu’un mirage. Qu’avait dit Eliza, au juste ? Que c’était un baratineur.
Quelqu’un qui avait fait mine d’être amoureux d’elle, alors qu’il n’aimait que son corps. Comme
n’importequelautretypesurcetteplanète!Nulnecherchait,au-delàdesonphysique,quielleétait
vraiment.
Léoparaissaitdifférent,celadit.Ouais,iln’arrêtaitpasdeluirépéterqu’elleétaitbelle,maisen
précisant qu’il n’en revenait pas de la chance qu’il avait. Lorsqu’elle le regardait, elle n’avait pas
l’impressiond’êtresurunpetitnuageetquandill’embrassait,ellenefermaitpaslesyeuxetnevoyait
pasdefeuxd’artifice.Maisellepouvaitfairesemblant.Pourça,elles’yconnaissait.
Ilétaitgentil.C’étaitunchictype.Et,pourlemoment,illuifaudraits’encontenter.
Marafinitparcommander
labonneboisson
Toutensirotantsasecondemargaritaàlacarambole,Marasedisaitqu’ellepourraits’habituerà
cegenredevie.Lemélangeglacé,acideetsucréavaitungoûtparadisiaque,etelleplanaitunpeu,
sous l’effet de la tequila. Mieux encore, Ryan l’avait invitée à l’accompagner à la soirée – en tant
qu’amie, bien entendu. Il ne s’agissait pas d’un rendez-vous amoureux, ou quoi que ce soit de ce
genre.Maiselles’étaitsentiesuffisammentflattéepours’efforcerd’oublierlesentimentdemalaise
éprouvécematin-là.
Ilsétaientassisentêteàtête,àunetableroyaleavecvuesurl’océan,sousunelampechauffante.
LuckyYapétaitpasséencoupdeventetlesavaitprisunenouvellefoisenphoto.Àprésentqueça
devenaitunehabitude,Maraavaitapprisàprendrelaposelaplusflatteuse.
Ryanexpliquaquec’étaitunesoiréeenl’honneurd’unvieilamiàlui.Quelquesoitcetami,il
devaitêtretrèsenvue,jugeaMara.Autourd’eux,desmembresdelajet-setsemêlaient,passantd’une
table à l’autre. Mara avait déjà repéré la star adolescente du film de l’été, le bloqueur vedette du
championnat national de base-ball de l’année précédente, ainsi qu’une quantité de pseudo-célébrités
issues de la télé-réalité – depuis les jeunes mondains envoyés dans des camps d’entraînement
militairesjusqu’aucouplequis’étaitrencontréetmariéàl’occasiond’unshowtélévisé.
SiseulementMeganpouvaitmevoirencemoment!songea-t-elle,sesentantunpeunostalgique
àlapenséedesapétulantegrandesœurquitravaillaitdansl’institutdebeautédeleurville,etpassait
sesjournéesàrelookerlaclientèlelocaleenfonctiondesoninterprétationdesdernièrestendances
hollywoodiennes.Marasejuraderetenirlemoindredétaildelasoirée,afindepouvoirenfairele
compterenduprécisàsasœur.
Mais elle ne parvenait pas à chasser de son esprit la scène de la cuisine. Bon... Ryan avait une
petiteamie,etalors?Elledevaitsanscesseseremettreentêtequ’elleaussiavaitunpetitami.
Ryanabienledroitd’aimerlesrousses,non?Toutlemondelesaime!pensaitMaraentirant
inconsciemmentsursesbouclesbrunes.Lafilleétaitjolie,Maralereconnaissait.Tropjolie.Etpuis,
elle savait faire du surf. Mara était nulle en sport. On la choisissait toujours en dernier, lorsqu’il
s’agissait de former une équipe. Jolie, sachant surfer, dotée d’un corps sexy et d’une poitrine qui
remplissaitbienlehautdesonmaillotdebain.Quandonparleduloup...
–Tevoilàenfin!ditlafilled’unevoixessoufflée.
ElledonnaàRyanunrapidebaisersurlaboucheets’assit.
Maras’efforçadesourire,maisseslèvresrefusèrentd’obéir.
–Salut,jem’appelleCamille!lança-t-elleenluimettantlamaindevantlevisage.
–Mara.
Camillesepenchapourmurmurerquelquechoseàl’oreilledeRyan.
Tousdeuxéclatèrentderire,etMarasesentitextrêmementmalàl’aise.
–Désolée.C’esténervant,pasvrai?demandaCamille.
–Vousvousêtesrencontréscomment,touslesdeux?voulutsavoirMara.
Ryanetelleavaientévitéd’enparlerjusqu’àprésent.MaisMaraétaitau-dessusdeça.Dumoins,
elleessaieraitdel’être.
–Oh,jetravaillaispourRyan!
–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?
– C’était... heu... une des filles au pair... avant que vous n’arriviez, expliqua Ryan sur un ton
d’excuse.
– Ouais. Me faire virer est le meilleur truc qui me soit jamais arrivé ! J’ai dégoté un job au
BambooetjelogechezunecopineàNorthHaven.Etjen’aipasàmesentircoupabledesortiravec
lefilsdupatron!
Ryaneutunrirenerveux.
–Ensomme,Mara,tum’asremplacée!plaisantaCamille.Commentvontlesgamins?
–Bien.OnlesemmènetouslesjoursàGeorgica,réponditMara.
–GEORGE-i-ca,rectifiaCamilleenbattantdescils.
–Qu’est-cequej’aidit?demandaMara.
–George-I-ca.
–Oh.
Maranesaisissaitpasladifférence.
– L’accent tonique est sur la première syllabe, pas sur la deuxième, expliqua Camille. Les
nouveauxarrivantsfontsouventl’erreur.Tuviensd’où?DuNewJersey?
MaraavaitpassésuffisammentdetempsdanslesHamptonspoursavoirreconnaîtreunaffront.
Elleneréponditpas.
–Ryan,allonsdanser!Allez!s’ilteplaît!gémit-elle,enentraînantRyansurlapistededanse
tandisqueMararestaitseuleàlatable.
Mara commanda un autre verre, décidée à ne pas se sentir abandonnée. Elle n’aurait su dire
pourquoielleéprouvaitunetelleirritation.Elizadéboulaàboutdesouffleetselaissatombersurla
chaiselibre.
–Jesuistellementdésoléed’arriversitard.JeremyetmoisommesallésdînerchezLunch.Ona
pris des homards et du pain au maïs. Tous ces glucides... J’ai l’impression que je vais exploser !
gloussaElizaenfaisantlabiseàMara.
–Jeremyausécateur?TuessortieavecJeremy?demandaMara.
Elle avait fait sa connaissance dès la première semaine. Il l’avait gentiment aidée à se repérer
danslapropriété.MararegardaElizad’unœilneuf.Jeremyétaituntypevraimentchouette–ungars
solide.Ellen’auraitjamaisimaginéqu’unefillecommeElizapuisses’intéresseràungarçoncomme
lui.
–Ouais,onapassétoutelajournéeensemble.C’étaitgénialissime!Oh,regarde,voilàLindsay.
Ohé!fitElizaenagitantlamain.
–Maisalorspourquoinepasl’avoiramenéici?Tun’aspasdroitàuninvitéenplus?
Maraavaitapprisquetouslesgensquiétaient«quelqu’un»avaientdroitàlamention«plus
un»surlalistedesinvités.
–Oh,iln’auraitpassaplaceici,réponditEliza,enselevantpoursaluerdesamis.
–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?demandaMara.
–Onn’amènepasdesgenscommeJeremydanscemonde-là,expliquaEliza.Oups!Attention!
s’exclama-t-elle,tandisqu’uninvitétropenthousiasterenversaitsonwhiskyontherockssursarobe.
–Cequelesgenspeuventêtremalélevés!ronchonna-t-elle.
–Dansquelmonde?insistaMara.
SonélandesympathieenversElizas’étaitbrisé.JeremyétaitdumêmemilieusocialqueMara–
son père à lui était charpentier, quand son père à elle travaillait dans le bâtiment ; sa mère était
professeur, celle de Mara assistante sociale. En fait, chez elle, elle était beaucoup plus proche de
Jeremyqued’Eliza.
–Tusais,toutça,ditElizad’unairdégagé.Oh,voilàCharlie!Ohhé!Elleselevaetseprécipita
verslui.Ellevoulaitsefairepardonnerdel’avoirloupé,lejourdumatchdepolo.
QuetraficotaitdoncEliza?CouriraprèsCharlie,quandellevenaitdedîneravecJeremy?Mara
fronça les sourcils. La rencontre avec Camille l’avait déjà contrariée, et voilà qu’Eliza venait en
rajouterunecouche,avecsesgénéralisationsdésinvoltesetsonsnobismeinsouciant.
MaracommençaitjustementàapprécierEliza,mêmesielleavaitdesmanièresdeprincesseetse
comportaitparfoisbizarrement.Elizapossédaitunesortederayonnement,auquelMaraétaitsensible.
Etpuis,elleluiétaitreconnaissantedel’avoirrelookée.Sescheveuxn’avaientjamaisétéaussibeaux.
Or,voilàque...
Sontéléphoneportablefitentendrelesaccordshabituels.Oh,oh,oh,sweetchildo’mine...
Mararegardalenomdelapersonnequiappelait.
JIMMs’afficha.
Pouah!
Elle l’éteignit. Ryan avait peut-être une petite copine, mais ça ne voulait pas dire qu’elle était
prêteàseréconcilieravecsonpetitami.Dumoins,pasencore.
L’éducation
deRyan
Àlafindelasoirée,touslesamisdeRyanfilèrentàl’afterdeCharlieàl’AmericanHoteltout
proche.Elizalessuivit.CamilleétantpartieetMaraayantplaidél’épuisement,Ryanproposaàcellecidelaraccompagner.
–Pourfinir,onn’ajamaisfaitcettepartiedeScrabble,ditRyanensegarantdansl’allée.
–Ouais,j’imaginequ’onétaittouslesdeuxtropoccupés,ditMarad’untonpluscassantqu’elle
nel’auraitvoulu.
Ryanlaregardaducoindel’œil.
–Tuveuxfaireunepartie?
–Biensûr.
Ilsinstallèrentlagrilledanslacuisine,etMaracomptalesjetons.Elleadoraitlesjeuxdesociété.
Elle savait que c’était franchement ringard, mais c’était plus fort qu’elle. En cinquième, elle avait
remportéuntournoideTrivialPursuit,etelleétaitaccroàlachaînedesjeuxtéléviséssurlecâble.
Ils menèrent une lutte acharnée, mais Mara le ratiboisa en opposant des mots comme
«sacristie»,«tentation»et«gigolo»aux«car»,«mou»et«yak»deRyan.
Pourfinir,Ryanformalemot«ixe».
–Cen’estpasunmot,protestaMara.C’estunelettre.
– Mais non, tu sais, la génération « X » : ces gens un petit peu plus vieux que nous et qui ont
bradétoutelaculturegrungepourdescappuccinosàcinqdollars,expliqua-t-ilensouriant.Voyons...
jesuissurunmotcomptetriple...
–«Ixe»n’estpasunmot.
–Sisi.
–Tuveuxqu’onvérifie?
–Cen’estpasunmot!insistaMaradansunéclatderire.
–Tumetues!s’exclamaRyan.
–Paslapeinedevérifier,cen’estpasunmot.Oh,etpuis,laisse-le,aprèstout.Detoutefaçon,tu
nepeuxpasgagner.
–Oh,quifaitlafièreàprésent?
–Ilyadequoi!ditMaraavecungrandsourire.
–Jetefaisgrâcedetapitié,ronchonnaRyanenreprenantsesjetons.
–Laisse-les!Laisse-les!Jeplaisantais,s’esclaffaMara.
IlsrangèrentlejeudesociétéetRyanouvritunebouteilledevin,qu’ilsburentencontemplantle
paysage,depuislavéranda.Maisleursilencen’étaitpasaussipaisiblequelesfoisprécédentes.
–Alors,qu’estdevenueCamille?demandaenfinMara.
–EllevoulaitalleràunesoiréedebienfaisanceàWainscott.Çamedisaitriendemetaperune
autrefête.
–Elleesttrès...heu...mignonne,hasardaMara.
Ryanhaussalesépaules.
–Elleestsympa,dit-il(commesurladéfensive).
–Ilyalongtempsquevoussortezensemble?
–Pasvraiment,répliquaRyan.EtJimettoi?Çafaitlongtemps?
– Officiellement, depuis la seconde. Officieusement, depuis quelque chose comme le CE2, dit
Mara,commesicetteconversationn’étaitpasincroyablementforcée.
–Mmm...,fit-il.C’estl’anniversairedeCamillelasemaineprochaine.Àtonavis,qu’est-ceque
jedevraisluioffrir?Desbijoux,c’esttrop,non?C’esttoujourstellementdifficiledesefigurerce
queveulentlesfilles.
–Mmm...,fit-elleàsontour,nesouhaitantpasvraimententendrequelsétaientsesprojetspour
l’anniversairedesapetiteamie.Cequec’estbeauici!s’exclama-t-elle,histoiredechangerdesujet.
Tunesaispasquellechancetuas.
–Si,si.Détrompe-toi.
–Jesuisdésolée...Jeneledisaispasdanscesens-là.
–Pasdeproblème...,dit-ilavecunlégersourire.
–Cedoitêtreagréable...d’êtreriche,jeveuxdire,ditMara,quelquepeuchoquéedesapropre
sincérité.
–Monpèreestriche.C’estsonargent,paslemien,expliquaRyan.Jeneconfondspaslesdeux
choses.Maisjenesuispasdupenonplus.
Maranesaisissaitpasprécisémentcequ’ilvoulaitdireparlàmais,commeilss’étaientattaqués
auxdeuxsujetslesplusdélicatsencequilesconcernait–leursamoureuxrespectifsetl’argent–elle
préféraitenresterlà.Elles’efforçaitaussidenepaslaisservoiràquelpointelleavaitétéblesséepar
Camille et ses remarques sur l’accent du New Jersey. Avec de telles réflexions – ajoutées à celles
d’Elizaconcernantle«statut»deJeremy–,Marasesentaitplusquejamaisétrangèreàcemonde.
–Qu’est-cequetucomptesfairedetavie?demandaMara.Surferdegrossesvaguesengrosses
vaguesàHawaii?
Oups,pastrèsgentildemapart,réalisaMara.
–Non...c’estjusteunhobby.J’aiunoncleàParis,dit-ilaprèsunepause.Jesongesouventàaller
m’installerlà-basetàl’aiderdanssonaffaire.
–Génial...etilfaitquoi?
–Ilaunegalerie.C’estlefrèredemaman.Pasd’Anna.Demavraiemère.
–Elleestoù?
L’espaced’uninstant,levisagedeRyans’assombrit.
–Sincèrement,j’ensaisrien.Elleaditqu’ellevoulaitexpérimenterjenesaisplusquelashram
tibétain.Oubien,elleestenAfriqueduSud,enpleinsafarideremiseenforme...Jenesaisjamais
trop.Ellemanqueauxgamins.Elleétaitvraimentmarrante,avantdedevenirfolle.
–Commentça?Qu’est-cequ’elleafait?
–Oh,unenuit,elleestrentréecheznousenayantdépenséprèsdelatotalitédeleurcompteen
banque pour une voiture et deux manteaux de fourrure. Puis elle avait pris le volant et remonté la
5eAvenuesouslaneige,vêtueentoutetpourtoutdesessous-vêtements.Lesdocteursontditqu’elle
étaitmaniaco-dépressive.Mêmesanseux,jem’enseraisrenducompte.Ellepouvaitfairedesgâteaux
auchocolatetorganiserunanniversairesurpriseavecdesdrôlesdepetitschapeauxenpapierettout
letralala...etuneheureplustard,seretrouveràsangloterdansuncoinenmenaçantdes’ouvrirles
veines.
–C’esthorrible.Jesuisdésolée.
Ryansoupira.
–Çafaitdubiend’enparler.Papafaitcommes’ilnes’étaitrienpasséetqu’Annaavaittoujours
étélà.Ettafamilleàtoi,elleestcomment?
– Terriblement banale, répondit Mara en haussant les épaules, et en regrettant son mouvement
d’humeur.
–Unefamillebanale,quelbonheur!
–Monpèretravailledanslebâtiment.Iltravaillepourdegrospromoteurs,etseplainttoujours
dupiètreboulotqu’ilsfont.Luiessaietoujoursdefairedesonmieux,maispersonneneveutpayer.
Ilsmettent...jenesaispas,moi...desfenêtresenplastiquedanssesmaisons.C’estunbravetype.Ma
mèreestassistantesociale.Elletravailleavecdesgaminsautistes,leurdonnedescoursàdomicile.Je
suislacadette.MasœurMollyestmariéeetvitavecsonmariàSouthBoston.Elleadeuxenfants.
Megan,monautresœur,estcoiffeuse.C’estunnuméro.Ellefabriqueelle-mêmetoussesvêtementset
ressembleàJuliaRoberts.
–Vousm’aveztoutl’aird’êtreunefamilleunie.
–C’estcequenoussommes,ditMara,sesyeuxs’embuantdelarmes.(Lessiensluimanquaient
vraiment.) Chaque été, on va passer une semaine à Gloucester. C’est chouette. Rien à voir avec ici,
celadit.
–Qu’est-cequit’apousséeàaccepterceboulot?
– Le besoin d’argent, admit Mara. Et en parlant de banalité, il ne se passe jamais rien à
Sturbridge.
–Ehbien,entoutcas,jesuisheureuxquetutesoisdécidée,ditRyan,sepenchantetplongeant
sesyeuxdanslessiens.
Maraétaitunpeuivre,etellenedétournapasleregard.Ryanétaitsibeau–etbienplusquecela
encore. Il était intelligent, drôle – tout simplement adorable. Elle baissa les paupières. Sentit son
soufflesursajoue.Tenditleslèvres,pourrencontrerlessiennes...
Ets’écartaenentendantclaquerlaportedupatio.
Poppysetenaitsurleseuil,unecigarettedansunemainetunebièredécapsuléedansl’autre.
–Ryan!Jet’avaispasvu!Tum’asfaitpeur!
–Salut,sœurette,ditRyanenserenversantsursachaise.
–CommentétaitlasoiréedeCharlie?demandaPoppy,adosséeàlabaievitrée.Hé,tuesunedes
fillesaupair,non?demanda-t-elle,setournantversMara.
Marahochalatête.
–C’estMara.Mara,tuconnaismasœurPoppy,n’est-cepas?demandaRyan.
–Jecroisquejevaisallermecoucher,ditMara.
Elleselevad’unbondetleursouhaitabonnenuit.
–Bonnenuit,répliquaRyanententantderencontrersesyeux.
MaisMaraesquivasonregard.
Poppy haussa les épaules. Tant de gens allaient et venaient, dans leur maison. Pas facile de
suivre.
–Ry,tuasdufeu?
– Tu ne devrais pas fumer, répliqua Ryan à sa sœur cadette, en rentrant dans la maison. C’est
mauvaispourleteint.
–Vatefairevoir!rétorquaPoppy,avecunsouriresarcastique.
Songrandfrèreétaituntelrabat-joie.
Lesfillesnecollentpas
forcémentàl’image
qu’onsefaitd’elles
–Cody!Reviensici,tum’entends?Cody!hurlaitEliza,àboutdenerfs.
Legamindetroisanss’étaitprécipitéhorsdelamaisonengloussant,nucommeunver.
À l’intérieur, William lançait joyeusement sur le plancher des biscuits au chocolat imbibés de
lait,pendantqueZoëetMadisonsedisputaientlederniersconeauxmyrtilles.
Elizafitunultimeeffortpourtenterdemaîtriserlebébé.Jacquin’étantpasdanslesparageset
Marasouffrantd’uneépouvantablegueuledebois(lemélangemargaritasàlacaramboleetcabernet
sauvignon s’avérait tout compte fait une très mauvaise idée), seule Eliza était disponible pour
s’occuperdesenfants.
– Tu as besoin d’aide ? demanda Jeremy, en soulevant Cody par les coudes et en le balançant
danslesbrasd’Eliza.
–Ilsnem’écoutentjamais!selamentaEliza.
Avec l’aide de Jeremy, Eliza fourra dans la voiture enfants, panier à pique-nique, Elmo
Chatouille-moi,Elmodormeur,Elmorockʼnroll,bébésBratz,livresdecoloriage,pellesetseaux.
–J’aivraimentpasséunebonnesoirée,hier,dit-ellecommeJeremysepenchaitàlavitre.
–Moiaussi.
Mueparuneimpulsion,elleluidonnaunrapidebaisersurleslèvres.
–Oh,lesamoureux!scandaMadison.Ohlesamou...
–Chut!l’interrompitElizaenplaquantlamainsurlabouchedelapetitefille.
EllegratifiaJeremyd’unsourireaffectueux.
–Onsevoitplustard,luidit-elle.
–Àplustard.
Ilfitunepetiterévérenceetpartitendirectiondujardin.
Eliza mena le petit troupeau à leur endroit habituel, sur Main Beach, à côté de la zone des
gardes-côtes. Il n’y avait pas de véritables toilettes à Two Mile Hollow, et ça avait fini par poser
problème, l’autre jour. Les gamins étaient surexcités, et ça barbait vraiment Eliza d’être l’unique
baby-sitteropérationnelle.
Mais,àquelquespasdedistance,elleaperçutMara.CettebonnevieilleMara!Elleportaitdes
lunettesdesoleilauxverresdisproportionnés,etsirotaituneboissonénergétique.Maiselleétaitlà.
Dieusoitloué.
– Il était temps que vous arriviez, dit Mara en sortant Cody de sa poussette en le chatouillant
gentiment.
–Qu’est-cequis’estpassé?Tuétaisàmoitiécomateusecematin,ditEliza.
–Oui,eneffet.MaisRyanm’afaitprendreceremèdeincroyablecontrelagueuledebois–dela
sauceWorcestershire,mélangéeàunjauned’œuf.
–Beurk!fitElizaavecunegrimace.
–Jesais,maisçaamarché.Jen’aiplusmalàlatête,mêmesijemesensencorecomplètement
déshydratée,ditMaraenbuvantunenouvellegorgée.
–Commenttuaspuarriveraussivite?
–Ryanm’aaccompagnée.
« Évidemment ! » faillit s’exclamer Eliza. Mais elle se ravisa. Mara était si bizarre en ce qui
concernaitsesrelationsavecRyan.Elizanesouhaitaitpasl’embarrasserdavantage.
Maraemmenalepetitauborddel’eau.Elizaetlesautressuivirent.
–Allez,Cody,encorequelquespas.Allez,çanevapasfairemal!Jetetiens!
CodysuivitMarad’unpasmalassuré,maiss’enfuitenhurlantlorsqu’unevaguevintsebriserà
leurspieds.
– Ça ne sert à rien. Ce gosse n’apprendra jamais à nager, soupira Mara. Allez, viens, Cody !
Regardecommec’estdrôle!dit-elleenfaisantgiclerl’eau.
–J’aivuJeremycematin...Ilétaittropmignon!Ilm’aaidéeàfourrertouslesenfantsdansla
voiture.Onavaitl’airtoutdébraillés...,racontaElizad’untonrêveur.
Depuisquandest-cequejesorsdesmotscomme«débraillés»,sedemanda-t-elle,songeuse.
–Ilportaitlacombinaisonlapluscraquante...Tul’asvu?reprit-elle.
–Çasuffit.Jecroisquejevaisvomir,plaisantaMara.
Elle était de bien meilleure humeur, après avoir vu Ryan ce matin – ils s’étaient comportés
commes’ilnes’étaitrienpasséd’anormal,cequiluidonnaitlesentiment...qu’ilnes’étaitrienpassé
d’anormal.ElleétaitmêmeprêteàpardonneràElizasonmanquedetactdelaveille.Nuln’estparfait,
etMaraauraitjuréqu’Elizanepensaitpaslamoitiédecequ’elleavaitdit.Ilsuffisaitdevoircomme
ellerayonnaitchaquefoisqu’elleprononçaitlenomdeJeremy.
–Cequetuesmauvaise!ronchonnaEliza.Jetrouveenfinunmecquimeplaîtvraiment,etjene
peuxmêmepasteparlerdetoutescesadorableschosesqu’ilfait!
–EtCharlie,danstoutça?
–Oh,j’ensaisrien,répliquaElizaenhaussantlesépaules.Jeremyesttellementmerveilleuxet
puis,ils’yprendsibienaveclesenfants...
– Sérieusement, Liza, je vais vomir, si tu ne files pas tout de suite, dit Mara avec un sourire
moqueur.
–Sijenefilepas?
Marabalayasaperplexitéd’ungestedelamain.
–Tuasbiencompris.Valeretrouver!Tum’assauvélamise,l’autrejour,aumatchdepolo.
Allez!Vas-yvite!
–Jeterevaudraiça!s’écriaElizaenlaprenantdanssesbrasetenluidonnantunbaiser.
Elledévalaladune,espérantsurprendreJeremyavantqu’ilnesoitrentréchezlui.
Pauvreex-petitefille
riche!
Eliza s’introduisit discrètement dans la propriété, se cachant derrière l’un des ornements en
pierredujardin,lorsqu’elleaperçutKevinPerryquis’apprêtaitàserendreauyachtclub.Ilsortaitla
goélette ce jour-là, et avait même invité Jacqui à se joindre à lui. Kevin attendait devant sa Ferrari
Spider,etconsultaitsamontre.Maislorsqu’ilfutcertainqueJacquin’allaitpassemontrerdesitôt,il
semitauvolantetdémarrarageusement.
Eliza se faufila à l’intérieur par l’entrée de service et trouva Jeremy en train de planter des
jacinthesàcôtédesarceauxdecroquet.
–Devinequic’est!demanda-t-elleenplaquantlesmainssurlesyeuxdujeunehomme.
– C’est toi, Sugar ? Là, tout de suite, je suis totalement vanné, plaisanta Jeremy. Ou bien c’est
Poppy,quiauraitbesoind’unpeud’action?
–Cen’estpasdrôle,dit-elleens’éloignant,unpeublessée.
Rienquifûtenrapportaveclesjumellesnepouvaitl’amuser.
–Désolé,désolé,ditJeremyencourantpourlarattraper.Jefaisaisl’idiot,c’esttout.
Il lui donna une petite tape sur le ventre et Eliza sourit. Elle était incapable de lui en vouloir
longtemps.
–Viens!dit-elleenluiprenantlamainetenl’entraînantdanslecottagedesjeunesfillesaupair.
Ilsseglissèrentdanslachambremansardéequi–ouf–étaitvide.Çan’arrivaitpassisouvent
queça,aprèstout.
–Chouettepiaule!fitremarquerJeremy,enjetantuncoupd’œilàlachambrededeuxmètres
cinquantesurtrois.
–C’estpasleRitz,c’estcertain,soupiraElizaens’asseyantsurleborddulit.
Elle le regarda avec une certaine appréhension. Elle avait séché le boulot pour traîner un peu
aveclui,maisn’étaitpascertainedecequ’ilsallaientfaireàprésent.
Elles’efforçadeparaîtreaussiattendrissanteetcandidequepossible,danssarobebaindesoleil
roseetsesespadrillesentoile,tandisqu’elleattendaitqu’ilfasselepremierpas.
Jeremys’installaàcôtéd’elle.
–Alors?
–Alors?
Ilssetournèrentl’unversl’autreet,avantmêmequ’Elizaaitprisconsciencedecequisepassait,
ill’embrassait.Doucement,audébut,surseslèvrestremblantes.Ellefermalesyeux.Ilembaumaitla
terresombreetmouillée,mêléeàunelégèreodeurdesueuretdesoleil.Illuiébouriffaitlescheveux
d’unemainet,del’autre,luicaressaitlecreuxdesreins.
Elle lui rendit ses baisers avec fougue, explorant la saveur de sa bouche. Il avait un goût de
menthe.Iltrouvaitqu’ellesentaitlavanilleetlanoixdecoco.
Ill’attirasursesgenoux,ellepressasonvisagecontresontorse.
–C’estagréable,dit-elle.
–Mmmm?
–Jet’aidit,hiersoir,quejevivaisdésormaisàBuffalo?
–Non,justequetuavaisgrandisurParkAvenue.
–C’estvrai,soupira-t-elleenenfouissantsonvisagedanslecreuxdesoncou(etenconstatant
qu’elle aimait le contact de sa barbe naissante). Mon père était l’un des grands manitous de Wall
Street.Tuaspeut-êtreentenduparlerdelui.C’étaitunesortedecélébrité.Ilyaeuunscandaleducôté
delacompta,ilaperdusonboulot,etonadûquitternotreappartement.Mesparentsontétéobligés
detoutvendre–lacollectiondetableaux,lamaisonet...onadéménagéàBuffalo.
–C’estpassimal,Buffalo.
–Si,justement,selamentaEliza.C’esthorrible.Là-bas,touslesgensdemonâgesefigurentque
je suis la reine des snobinardes, personne ne m’adresse la parole. Le pire, c’est que je ne fais rien
pour ça. Je ne vois pas pourquoi je les traiterais de haut. Mon père est au chômage, et ma mère a
dégotéunjobdansuneboutiquedephotocopiespourqu’onpuissejoindrelesdeuxbouts.
Jeremyrestasilencieux.Illuicaressalescheveux.
–Toutvafinirpars’arranger,murmura-t-ilenfinenlaserrantcontrelui.
Elizan’avaitjamaisconfiéàpersonnecequiluiétaitarrivé–àquoiressemblaitvéritablement
savie.Çaluifaisaitdubiendeparlerdetoutcela.Ellesesentaittellementàl’aiseaveclui.Elleétait
certaine qu’il ne la jugerait pas. Elle savait, au fond d’elle, qu’elle pouvait tout lui dire, tout lui
révélersursavie,etqu’ilnel’enaimeraitpasmoins.
– Avant ça, je n’avais jamais réalisé que j’étais si gâtée. Je déjeunais tous les jours dans un
restaurant chic – je prenais des hamburgers à trente dollars et ce genre de trucs – sans la moindre
hésitation.J’allaisdanslesgrandsmagasinsetj’achetaistoutcedontj’avaisenvie.Ilm’arrivaitmême
d’insister auprès des vendeurs pour qu’ils fassent venir les articles d’un autre magasin, s’ils ne les
avaientpasdansmataille.
Ellesetutausouvenirdesjoursbénisetenivrants,oùelleavaitsavoitureavecchauffeuretsa
cartebancairesanslimitededépenses.
–Jesaisqueçadoitsemblerfutile,maisçamemanqueterriblement.Çamemanquebienplus
que je ne l’aurais jamais imaginé. Autrefois, dès que j’entrais dans une pièce, les gens voyaient au
premiercoupd’œilquejesortaisdulot.SugaretPoppyfaisaientpartiedemonclan,aulycée.Elles
étaientdansmabande.C’estmoiquiavaislescheveuxlesplusblonds.Jemefaisaisrefairedesreflets
tous les treize jours. Je battais aussi tous les records de minceur. Même l’immeuble dans lequel on
vivait...c’étaitceluioùilétaitleplusdifficiled’obtenirunappartement.Jen’avaisquecequ’ilyade
mieux, tu comprends ? Mais à présent, c’est au-dessus de mes moyens. Faut que je me contente de
ressembleràtoutlemonde.
Elle le regarda, redoutant de lui voir une expression moqueuse. Eliza était consciente qu’il ne
s’agissaitquedechosesidiotesetmatérielles.N’empêchequ’elleavaitcrumourirdechagrinlejour
où la sangle de son sac à main Mombasa l’avait lâchée. Elle savait qu’elle ne pourrait jamais s’en
offrirunautre.
–Biensûr,jesaisqueçadoitfairebizarre.Jesaisqu’ilyadesendroitsoùlesgensmeurentde
faim.Maistoutdemême,çanem’empêchepasd’être...unpeutriste,dit-elle.
–C’esttoutàfaitnormal,l’apaisaJeremy.MaisEliza...tun’asaucuneraisondet’inquiéter.La
premièrefoisquejet’aivue,jen’aipasputequitterdesyeux.Etc’étaitpasparcequetuportaisdes
fringuesDolce&Gambinoouvasavoirquoi...Ilyacerayonnementquiémanedetoi...
Ilpritsonvisageentresesmains,luirelevalementon.
–Tuestotalementbelle.Et,bienqu’oncommencetoutjusteàseconnaître,jepensequetues
aussibelleàl’intérieurqu’àl’extérieur.
C’étaitlachoselaplusgentillequ’onluiaitjamaisdite.
Ellel’embrassalonguement,etavecfougue.Unjour,elleluimontreraitàquelpointilcomptait
pourelle.
Lesseulesparolesagréables
qu’AnnaPerryaitjamais
prononcées
Lundi matin, Anna Perry les convoqua, de bonne heure, dans son bureau. Mara et Eliza
montèrentaudeuxièmeétage,leseulniveauqu’ellesn’avaientpasencoreexploré.Ellestrouvèrent
leur patronne dans une somptueuse pièce aux murs tapissés de livres, assise devant un ravissant
secrétaire,occupéeàdicterunelettreàLaurie.Laquelle,styloenmain,attendaitlasuite.
–C’estpourquoijecroisqu’ilestdansl’intérêtdechacunquejecoprésidelacollectedefonds
de cette année, dit Anna d’un ton sec. Je m’engage, grâce au grand couturier que je choisirai, à
recueillirdesmilliersdedollarsdedonations.
Annalevalesyeuxet,d’ungestedudoigt,priaMaraetElizadenepasl’interrompre.
–Cordialement,signéMmeAnnaFarnsworthPerry.Lenuméroestsurlefax.
Ellefitsigneauxfillesdes’asseoir.Ellesselaissèrenttombersurlesfauteuilstendusdevelours.
Mara promena son regard sur les magnifiques ouvrages reliés remplissant les rayonnages. Elle se
demandasiAnnaavaitjamaiseuidéedeleslire.Elizaarboraitunsouriretimide.Ellepensaitencore
àJeremy.
– Nous devons ramener les enfants à New York cette semaine, afin qu’ils rencontrent la
responsable des inscriptions de leur école privée, dit Anna. Par conséquent, pas de rapport
hebdomadairecettesemaine!Celanevousembêtepas,dites-moi,lesfilles?
Eliza et Mara secouèrent la tête. Non, cela ne les embêtait pas le moins du monde. Surtout
qu’elles n’avaient toujours pas fait le moindre rapport hebdomadaire alors que l’été était déjà plus
qu’àmoitiéécoulé.
–Aufait,jen’aipasbeaucoupvucette...Jacqui...danslesparages.Ellen’estpasmalade?
–Non,elleestentraindedonnersonbainàCody,improvisaMara.
– Oui, elle s’occupe de son traitement hydrothérapique, précisa Eliza. Une théorie sudaméricaine...
– Parfait. C’est une très bonne idée, rétorqua Anna. Permettez-moi de vous abandonner une
minute...
Annasedirigeaverslevestibule,vacillantsursestalons.
–J’enaivraimentmarredeluitrouverdesalibis!s’exclamaMara,lorsqueAnnaeutquittéla
piècepourjeteruncoupd’œilaufaxqu’elleavaitdemandéàLauried’envoyer.
Elizaetelleavaientremarquéquedesvêtementstrèsbizarresavaientétédéposésdanslecottage,
etd’autresremportés.Maisellesn’avaientpasvuleurcamaradedechambreenchairetenosdepuis...
ehbien,depuislematchdepolo,àvraidire.
–Àtonavis,elleestoù?demandaMara.
–J’ensaisstrictementrien.Elleapeut-êtreunnouveaupetitcopain.Cequiestsûr,c’estqu’elle
nedortpasici.
–Jemefaisdusoucipourelle.
–Ellevabien.C’estunegrandefille.Ellesaitcequ’ellefait,répliquaEliza.
–J’espère,ditMaraenfronçantlessourcils.
– Ne t’inquiète pas pour elle, elle ne le mérite pas. Après tout, elle ne se donne même pas la
peinedenousdireoùelleest,alors,pourquoiest-cequ’onseferaitdumouronpourelle?
Elizan’avaitriencontreJacqui,sicen’estqu’elleluienvoulaitd’avoirabandonnésapartdu
boulot.DeuxbrassupplémentairesauraientétélesbienvenuslejouroùWilliamavaitdécidédetester
lapratiquedukrav-magasursessœurs.
Marasoupira.
–J’espèresimplementqu’ellesaitcequ’ellefait.
Annarevintdanslapièce,unpeuagitée,houspillantsamalheureuseassistante.
–Jevousavaisditdelatapersurmonpapierpersonnel,passurunefeuilleblancheordinaire.
–Jesuisdésolée.Jen’aipaspenséàvérifier.
–Ehbien,renvoyez-la.Ilsrisquentdenemêmepaslaregarder!Jesaisquelecomitéseréunit
aujourd’hui.
–Toutdesuite.
Lauries’inclinaets’empressadequitterlapièce.
AnnaparutsurprisedetrouverElizaetMaratoujoursassisesdevantsonbureau.
– C’est tout, les filles. Vous pouvez partir. Et ne vous inquiétez pas, nous serons de retour
samedi, pour le dîner. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit... Ryan est aux commandes de la
maison.
Cesmotsleurfirentl’effetdelaplusdoucedesmusiques.
Ryanprésideàuneréunion
depremièreimportance...
danssonjacuzzi
Le reste de la semaine passa dans un tourbillon d’euphorie. Sans gamins à surveiller, Eliza et
Mara consacrèrent leur temps à parfaire leur bronzage et à découvrir de nouvelles boutiques.
Mercredi,cefurentlesgaleriesSaksdeSouthampton,jeudileParadisdesMarquesdeRiverhead,et
vendredi, elles s’achetèrent deux robes vintage Lilly Pullitzer identiques, dans la boutique Colette.
Ellespassèrentaussipasmaldetempsaveclesgarçons.ElizaetJeremyexploraientlesvignoblesde
NorthFork,pendantqueMaraprenaitdesleçonsdesurfavecRyan–sansCamille,Dieumerci.
Vendredi,Ryanlesconvoqua,etprésidalaréuniondepuissonjacuzzi.
–Voilà...jemesuisditqu’ilétaittempsqu’onorganiseunepetitefête,exposaRyanensouriant
aumilieudesbulles.Unesoiréeintime...oùl’onn’inviteraitquelesamisproches,suggéra-t-il.
–C’estuneidéegéniale!s’exclamaEliza.
–C’estsûr,çarisqued’êtremarrant,approuvaMara.
– Très bien. Ça se fera demain soir, alors. Mara, tu viendras avec moi acheter la nourriture.
Eliza...tafaussecarted’identitéfaitvraimentillusion,tuesdoncchargéedel’alcool.EtJacqui...Où
est-cequ’elleest,nomdeDieu?demanda-t-ilenfronçantlessourcils.L’uned’entrevousl’avueces
dernierstemps?
MaraetElizasecouèrentlatête,avecunaircoupable.Ellessavaientquequelquechoseclochait,
du côté de Jacqui. Mais toutes deux avaient été trop accaparées par leurs propres vies pour prêter
attentionàquoiquecesoitd’autre.
Lelendemainsoir,MaraetRyanserendirentàl’épiceriefineBarefootContessa.Ilsétaienten
train de choisir du saumon fumé entier tranché et de faire leur choix entre les différents canapés
lorsqueletéléphonedeMarasemitàsonnerdemanièreininterrompue.
–Quiauntelbesoindetejoindre?demandaRyan,quitenaitplusieursbaguettescoincéessous
unbrasetunbocaldecaviarsousl’autre.
–Jim,réponditMara.
Ils n’avaient pas fait allusion à Jim ou à Camille depuis la fameuse soirée où ils avaient failli
s’embrasser,lasemaineprécédente.Maiscommeilnes’étaitplusrienpassédesemblableentreeux
depuis,Maraétaitprêteàtoutmettresurlecompteducabernetsauvignon(etdesmargaritas...).
–J’aijustebesoind’unpetitbreak...Jenepeuxpasdiscuteravecluipourlemoment.
–Mmmm...,grommelaRyan.
–Maiscelan’ariende...définitif...,sehâta-t-elledepréciser,sanstropsavoirpourquoi.
MarajetaunregarddebiaisàRyan,toutenfaisantminedechoisirdespaquetsdechips.Ellene
put s’empêcher de constater que son visage s’était assombri – de façon presque imperceptible –
lorsqu’elleavaitfaitremarquerque«celan’avaitriendedéfinitif».
Elizaobtienttoujours
cequ’elleveut,
mêmelorsqu’ellen’enveutplus
–Jecroyaisavoirdit«seulementlesamisproches»marmonnaitRyanenparcourantdesyeux
leséjour,lasalleàmanger,lasalledebal,lasalledejeux,lesenvironsdelapiscine,lepatioetle
solariumgrouillantsdemonde.
Toute la jeunesse de moins de vingt et un ans portant un nom connu dans les Hamptons était
présente – notamment plusieurs enfants de stars du rock, ainsi que le casting complet de différents
realityshowsdeMTV.
SugaretPoppyavaientfaitcepourquoiellesétaientleplusdouées–ellesavaientrépandula
nouvelle.Conserveruncaractèreintimeàlasoiréenefaisaitenaucuncaspartiedeleurspriorités.
Elles étaient allées jusqu’à engager un RP, qui leur avait obtenu une autorisation officielle pour la
soiréeets’étaitassurélesservicesd’unvoiturier.
–C’estunesuperidée,frangin!ricanaSugar,tandisqu’unbataillond’admirateursl’entraînait,
telleunedivinité,verslacabanedelapiscine.
Ryan secoua la tête. Oh, et puis, après tout, autant en profiter... Il augmenta le volume de la
musique,aupointquelacharpentevibraausondeIt’sallabouttheBenjamins,cettechansondePuff
Daddyquiétaitdevenueunesorted’hymnedesHamptons.
Toutes les chambres à coucher étaient occupées, et une forte odeur de joint flottait dans l’air.
Unebanded’adosanglaisétaientserrésautourdelatableenverredelasalleàmanger,etundealer
coifféd’unchapeaudefeutre(unélèvedelafacdeBenningtonenvacances)passaitd’ungroupeà
l’autre.
RyanaperçutMara.Ellesetenaitenretrait,sirotantunverredevinblanc.
–Tut’amuses?
–Quisonttouscesgens?demanda-t-elle,stupéfaite.
– Va savoir ! Il doit y avoir tous les amis de mes sœurs, s’esclaffa Ryan. Viens, je vois mes
copains,là-bas,ducôtédupatio.
Elizaguettaitl’arrivéedeJeremy.Ilauraitdéjàdûêtrelà.Ilavaitpromisdelaretrouveràonze
heures,dèsqu’ilauraitfinisonsecondboulot–serveurauTGIFridaydeHauppauge.Elleébouriffa
sescheveuxetseservituneautrevodka-tonic.Çasepassaitsibienentreeuxqu’àlasecondeoùilla
quittait,illuimanquaitdéjà.Ellen’auraitjamaiscrupouvoirressentircelapourquiquecesoit.
EllerepéraKit,danslafouledesinvités,etlevasonverrepourlesaluer.Tayloretluiavaient
rompulasemaineprécédente,etElizas’étaitefforcéedeluiremonterlemoral.BienqueTaylorfût
sonamie,ElizaavaittoujourspenséqueKitméritaitmieux.Laplupartdesesvieuxcopainsétaientlà.
Maischaquefoisquel’und’entreeuxluifaisaitsignedevenir,ellesecouaitlatêteetsouriait.
–Oùest-cequetuvascommeça?demandaunevoix,alorsqu’ellesortaitpourlaénièmefois
dansl’allée,espérantvoirlepick-updeJeremy.
CharlieBorshokétaitlà,adosséàunecolonne,complètementivre.
–Nullepart.
Charlies’avançaverselleetl’entouradesesbras.
–Oh,Liza,cequetusensbon!Tum’asmanqué,bébé.
–C’estvraimentgentil,Charlie,dit-elleensedégageant.
Toutl’été,elleavaitrêvéd’entendrecela.QueCharlievoulaitlareprendre.Qu’ilsformaientà
nouveaulecoupleparfait.Qu’elleétaittoujourslafillequiavaitmislegrappinsurlegarçonleplus
richedeNewYork.Or,àprésent,c’estJeremyqu’ellecherchait.
Unedemi-heureplustard,lepick-updeJeremysegaradansl’allée.Ilportaitencoreletee-shirt
etletablierdesonuniforme.Elizaseprécipitaversluietsejetadanssesbras.
–Salutmabelle,dit-ilavecungrandsourire.
–TUM’ASMANQUÉ!
EllemontasesjambesautourdelatailledeJeremyetmurmura:
–Trouvonsunendroitoùnousseronsseulstouslesdeux.
Jacquiatoujoursété
plusmaligne
qu’onnel’imagine
Ça pour une soirée, c’est une soirée ! songea Jacqui lorsqu’elle entra dans la propriété des
Perry,oubliantprovisoirementqu’elleyétaitemployée.
Elle avait passé l’après-midi à boire. Elle se sentait merveilleusement bien, quoiqu’elle eût le
tournis,lecerveauengourdi,etunelégèretendanceàvoirdouble.Maisquelleimportance?Ellese
blottitcontreLéo.Legentil,lefidèleLéoquiluifaisaitoublier...disons...presquetout.
Certes, entre eux ça ne collait pas vraiment, physiquement parlant. Certes, le bungalow de ses
parents,àBridgehampton,n’étaitpascomparable–avecsesmodestestroischambresàcoucher–à
l’aile qu’occupait Luke dans la propriété Van Varick. Certes, il louchait légèrement et son rire lui
tapait sur les nerfs. Et alors ? Rien de tout cela ne comptait. C’était le meilleur ami de Luke. Et,
commen’importequellefillevousledira,iln’estrienqu’unhommedétestedavantagequepartager.
La jalousie était un sentiment terrible, et Jacqui était parfaitement consciente de ses actes. Elle
voulaitqueLukeéprouvecequ’elleavaitéprouvélorsqu’elleavaitdécouvertl’existencedesapetite
amie.Ellevoulaitqu’ilsetordededouleur.Ellevoulaitqu’ilsouffre.Fautedeparveniràluibriserle
cœur, elle pourrait au moins fracasser son ego. Le temps était venu, pour elle, de s’exhiber en
compagniedesadernièreconquête.
–Oùestlebar?luihurlaLéoàl’oreille.
–Là-bas!cria-t-elleendésignantl’endroitoùRyan,mixeurenmain,préparaitdesdaiquiris.
Ilssefrayèrentuncheminparmilesinvités,dépassantungroupequijouaitautwisteretunautre
quidansaitsurlesofa(Annaauraiteuunecrisecardiaque,sielleavaitvucequ’ilsétaiententrainde
faire subir à son Louis XV.) Ils furent stoppés net par Poppy Perry, vêtue d’un teeshirtVanHalendéchiréetd’unmini-shortultra-moulantenjean.
–Jenemesouvienspasdet’avoirinvité,lança-t-elled’untonméprisant,enfoudroyantLéodu
regard.
–Qu’est-cequiluiprend,àcettesorcière?demandaJacqui.
–C’estmonex-petiteamie,réponditLéo,embarrassé.
Poppygardalesyeuxrivéssureuxtandisqu’ilstraversaientlapièceendirectiondubar,oùun
autrevisagecontrariélesaccueillit.
–C’estquoi,cedélire?ditLuke,siprèsdeLéoqu’ilauraitpuluicracheràlafigure.Tuesvenu
avecelle?ajouta-t-ilenpoussantsonpoted’unmouvementbrusque.
–C’estmoiquisuisvenueaveclui,ditJacqui,unongleeffilépointésurletorsedeLuke.Çate
poseunproblema?
–Qu’est-cequisepasse,monlapin?s’enquitKarinensurgissantauxcôtésdeLuke.Oh,salut
Léo.EtJacqui,c’estbiença?demanda-t-ellegentiment.
–Rien...toutvabien.Vamechercheruneautrebière!lançaLuke.
Karins’éloigna,humbleetsoumise,tandisquelestroisautressejetaientdesregardsnoirs.
ElizaenseigneàJeremy
lesrèglesdujeuàboire
d’«OregonCoast»
Surl’écrandelasalledeprojectionprivéedesPerry,uneMischaBartoncontrariéedeprèsde
cinqmètresdehautexpliquaitàBenjaminMackenziepourquoielledevaitcesserdelevoir.
–Ilsrefontlecoupdelascènederupture!Fautquetuteservesunverre!lepressaEliza.
C’estElizaquiavaiteul’idéedevenirici,touteslesautrespiècesdelamaisonétantoccupées
pardescouplesenlacésoupardesadosquifaisaienttournerdesjoints.Tousn’étaientpasaucourant
del’existencedelasalledeprojectionaménagéeausous-sol.
Surl’écran,Bens’excusaitdevenirdel’Arizona,etnondel’Oregon.
–Culsec?demandaJeremyenlevantsonverre.
– Non, seulement quand il prononce le nom de sa ville d’origine, « Chino », dit Eliza, lui
expliquantlescodesdujeu.
–Oh,jesuisdésolé.Jeregardejamaiscefeuilleton.
–Sic’étaitlecas,jemeferaisdusoucipourtoi.Oh,regarde,Summervafairelesboutiques.
Deuxfoisculsec!
– Je suggère qu’on passe à des gages plus physiques..., dit Jeremy en lui servant une autre
tequila,agrémentéed’unerondelledecitronvert.Mmm...paroùjevaiscommencer?demanda-t-ilen
relevantlachemised’Eliza,dénudantsonnombrilpercé.
Elles’étaitfaitfairelepiercingàNewport,aprèsqueJeremyluieutconfiéqu’iltrouvaitçasexy.
Ilfitglissersajupesurseshanches,révélantsataillefine,etbaissalatêtepourluilécherlarégiondu
nombril.
–Çachatouille!gloussaEliza.
Elleébouriffasescheveuxetpoussadescrisperçantstandisqu’illuimordillaitleventre.
Laportes’ouvritavecundéclic.Elizasefigea.Danslapénombre,ilsvirentungarçonetune
fillefiévreusementenlacésquis’acheminaient–sanscesserdesecaresser–verslatabledebillard.
Des bras jaillirent, des vêtements furent jetés à terre. Apparemment, Eliza n’était pas la seule à
connaîtrel’existencedelapièce...
–Nousnesommespasseuls!dit-elleàJeremyensemettantundoigtdevantleslèvres.
Jeremysouritenapercevantl’autrecouple.
–Ondiraitquequelqu’unaeulamêmeidéequenous,murmura-t-il.
Ilsrirentensilence.
–Allons-nous-en!dit-elle.
Elle lissa sa jupe et ramassa les verres et la bouteille de vodka. Ils se dirigèrent
précautionneusement vers la porte en pouffant, tandis que de répugnants bruits de succion leur
parvenaientauxoreilles,accompagnésd’exclamationsinvolontairementcomiques:«Aïe!Pasici!
Oups,jecroisquejesuisassisesurlatélécommande!Oh,c’esttoi!Jet’enprie,chéri,mepincepas!
C’estmieuxcommeça!Attends,c’esttajambeoulamienne?»
Soudain, on appuya sur l’interrupteur et la pièce fut violemment illuminée. Les deux couples
clignèrent des yeux. Lindsay et Taylor se tenaient sur le seuil. Elles étaient en train d’explorer la
maison, cherchant d’où provenait la musique, de façon à changer le CD. Des enceintes avaient été
placéesunpeupartoutetlesvieuxtubesdePuffDaddy,onfinissaitpars’enlasser.
– Je crois que c’est ici qu’ils ont mis la Creston, dit Lindsay. (Elle faisait allusion à la
télécommandeuniversellequiactionnaittouteslesinstallationsélectriquesdelamaison–éclairage,
chaînehi-fi,télévisions,alarmeanti-voletmicro-ondesinclus.)Oh,désolée!s’exclama-t-elle.
Elizaputenfinidentifierl’autrecoupleprésentdanslapièce.
–Charlie!Sugar!
Sugar, vautrée sur deux fauteuils côte à côte, était vêtue en tout et pour tout d’un string.
Effectivement,elleétaitassisesurlatélécommande.Charlie,enboxeràpois,setripotaitlepied.Tu
parlesd’unesituationcompromettante!
Sugar se redressa, s’ébouriffa les cheveux, et remit nonchalamment son caraco tout à fait
transparent.Elizas’obligeaànepasregarderoùJeremyavaitlesyeux.
–Eliza,qu’est-cequetufaislà?demandaSugard’untondétaché.Et,toi,tuseraispaslemec
chargédel’entretiendelapiscine,ouuntrucdanslegenre?ajouta-t-elleenremarquantJeremy.
Elle prit une cigarette dans son paquet. Charlie ramassa son pantalon sur le sol et en tira son
briquet. Il lui donna du feu, tout en évaluant la situation : le visage cramoisi d’Eliza, ses vêtements
froissés.L’expressionimpassibledesoncompagnon,sonuniformerappelantceuxdePizzaHut.
–Liza,ditCharlied’unevoixpâteuse,visiblementencoresousl’effetdel’alcool.Jenesavais
pasquetufréquentaislaracaille.
Eliza se détacha de Jeremy, repoussant la main qu’il avait posée sur son coude, dans un geste
protecteur.
– Je ne suis pas la seule, à ce qu’il semblerait, Charlie, répliqua-t-elle en jetant sur Sugar un
regardéloquent.
Qu’elleailledoncseplaindreauprèsd’Annaetqu’ellelafasserenvoyer!Elizas’enfichait.
Jeremyserebiffa:
–Quandvas-tucesserdeprétendrequetuappartienstoujoursàcemonde-là,Eliza?fit-il.
–Pardon?demandaCharlie.
Sans doute avait-il mal compris. Ce gars était de toute évidence une saleté de plouc, alors
qu’ElizaThompsonétaitnéeetavaitétéélevéesurla5eAvenue.
ElizasetournaversJeremy,horrifiéedelevoirvendrelamèche.
–Tunemeconnaismêmepas!lança-t-elle.
Le visage de Jeremy se contracta. Il n’aurait jamais imaginé qu’elle tenait tant à conserver sa
positionauprèsdesessoi-disantamis.
–Tuasraison.Ilestclairquejeneteconnaispasdutout.
Ilfonçaverslaportesansluiaccorderunregard.
LindsayetTaylorrestaientbouchebéesousl’effetduchoc,enproieàunejoiemauvaise.Eliza...
pauvre?Pouvait-onrêverplusbeaurebondissement?
Bienqu’hébétée,Sugarexpliquad’unevoixneutre:
–Paspossible!Vousn’étiezpasaucourant,lesamis?Toutl’été,Elizaabosséicicommefille
aupair.Safamilleesttotalementruinée.Hé,t’espaschargéedefairefairesonrotàmonfrère,ouun
trucdanscegoût-là?demanda-t-ellesuruntonsarcastique.
Les yeux embués de larmes, Eliza marmonna des paroles inintelligibles et sortit en courant,
aussirapidementqueleluipermettaientseshuitcentimètresdetalons.
LukeetLéoontbeauêtreblancsetriches,
ilss’imaginentsortirdroit
dughetto
–Tucrains,mec!ditLuke,secouantlatêteetfixantLéoetJacqui.J’arrivepasàcroirequetu
aiespumepiquermapoufcommeça!
–Hé,mec,tuasdéjàunepetiteamie,répliquaLéopoursejustifier.
Sa pouf ? Jacqui n’était la « pouf » de personne ! C’était quoi ? Une audition pour un clip de
rap?Pourquicesdeuxtypesseprenaient-ils?PourEminemetDr.Dre?IlstenaientplutôtdeVanilla
IceetMCHammer.
–Ettoi!Tum’asmenti,lança-t-elleàLuke.Toutcetemps-là,tuavaisunepetiteamie!
–Écoute,mamasita.CequejefaisauxStates,çameregarde.Tut’esbienéclatéeavecmoi,pas
vrai?rétorquaLuked’untonméprisant.
Il avait vu clair en Jacqui dès leur rencontre. Les filles les plus jolies n’ont aucune dignité.
Jacquin’étaitpasdifférentedetouteslespetitesprincessesdesbeauxquartiers–quisedonnaientde
grandsairsmaisfondaientaupremiercomplimentbientourné.
Jacquicomprenaitmalcommentelleavaitputomberamoureused’unpareilcrétin.Etcomment
elleavaitpumarcheretcroireàsoncôté«meccoolquifréquentelesgargotes».
–NomdeDieu,Léo.J’arrivepasàcroirequetutesoistapémameuf!tonna-t-ilencroisantles
brassursapoitrineensigned’hostilité,commeilavaitvuSnoopDogglefairesurMTV.
–Jetel’aipaspiquée,tameuf.Elleétaitlibre,protestaLéoenreculantetenagitantlesbras.
– Hein ? Toi, écoute-moi ! dit Jacqui, s’adressant à Léo. Si je suis sortie avec toi, c’était juste
pourlerendrejaloux.
–Qu’est-cequejet’avaisdit?Tut’esfaitavoir,mec!C’estpascool,hein?Vraimentpascool,
ditLukeavecunpetitsouriresuffisant.
Léos’empourpraetfixaJacqui.
–Quoi?
Jacquihaussalesépaules.NomdeDieu!IlseprenaitpourunApollon,ouquoi?Évidemment
qu’ellen’étaitsortieavecluiquepourseconsoleretsevengerdufameuxamourdesavie.
Cefutunfiascototal.Dieusaitcomment,àlafindeladispute,LukeetLéosetapaientdansle
dos en s’appelant « mon pote » et trouvaient la situation à mourir de rire : s’envoyer et larguer la
mêmefille...voilàquilesrapprochaitencoreplus.OnseseraitcrudansunevidéodeBadBoy,etils
trouvaientçaexcellent.Elleleurenavaitdonnédebonnesàraconteràleurscopains,àlarentrée,et
ilsétaientonnepeutpluscontentsd’eux!
Pourunefois,ilsemblaitqueJacquiallaitdevoirdormirdanslecottagedesfillesaupair.Seule.
Maraadumal
àresterhabillée
Deux heures du matin. Presque tous les invités s’étaient rendus à une autre soirée. Ceux qui
étaientencorelàpoursuivaientlafêteàleurmanière...defaçonplusintime,dirons-nous.Latableétait
jonchéedebouteillesvides,dedizainesdeverresàcocktailetdecendriersdébordantsdemégots,et
dugroupeémanaitunejovialitécordiale–àcroirequ’iln’yavaitriend’anormalàcequ’ilsfussent
tousplusqu’àmoitiénus.Cen’estpaspourrienquel’onavaitappelécejeule«strippoker».
Maraconsultasescartes.Unepairedereines.Pasmal.Sonpèreavaitapprisàsestroisfillesson
jeufavori,etMaras’étaittoujoursconsidéréecommeunepro.Cen’estpaslafilledeGeorgeWaters
quiallaitlaissergagnercesnullardsdefilsderiches.
Toujours est-il qu’elle ne portait plus que son soutien-gorge rose et sa culotte taille basse
assortie.
Ellejetauncoupd’œilpar-dessuslatable.Ryanexaminaitsescartesenfronçantlessourcils.
Ledonneurdistribuaunecarte,facevisible:c’étaitunas.
–Etc’estladernière!fanfaronna-t-il.
–Jepassemontour!décidaCorey,unamideRyan,enreposantsescartesd’unairdégoûté.
–Moiaussi,ditunautre.
–Jecontinue,déclaraRyan.
Le regard de Mara alla de l’as à sa paire de reines. Puis elle passa en revue les quatre autres
cartescommunes–plusfaibleslesunesquelesautres...Impossiblequ’ilparvienneàmebattre.Iln’a
rien!Rienderien!Ilbluffeàcentpourcent!Ryanétaitlepirejoueurdelasoirée–leseulàfinirla
partieencaleçon.Enfin,leseulàpartelle.
Marasourit.Çapromettaitd’êtreamusant.
–Moiaussi,dit-ellesuruntondedéfi.
–LagrandeprêtresseduScrabbleferaitmieuxderenoncer,conseilla-t-il.
–Pasquestion.
–Alors,ilnevaplusteresterquetesyeuxpourpleurer,annonçaRyanavecungrandsourire,en
abattantunepaired’as.
Avecceluidudonneur,çaluienfaisaittrois.Maras’enfonçasursachaise.
–Tuasquoi,toi?
Elleluimontrasescartes.
–C’estpasgrave.Tun’espasobligéedelefairesitun’enaspasenvie,ditRyan,compatissant.
Elle haussa les épaules. Et puis, zut ! C’était comme se déshabiller dans la cabine d’essayage
d’ungrandmagasin.Maisdehors.Enpublic.EtdevantRyanPerry.
–Lerèglement,c’estlerèglement!ditMara.
Touslesdaiquirisqu’elleavaitingurgitésluidonnaientducourage.Ellerespiraungrandcoup,
dégrafasonsoutien-gorgeetretiramêmesaculotte.AussinuequeVénussortantdesflots,ellequitta
latable,traversalacuisinecommeuneflèche,franchitleseuiletplongeadanslapiscine.
Pas timide pour deux sous, Ryan suivit l’exemple. Il enleva son caleçon et lui emboîta le pas.
Après tout, sa mère l’avait envoyé dans un camp de vacances hippie quand il était gosse. Tout cela
n’étaitqu’unjeu.
–Batailled’eau!hurla-t-ilenl’éclaboussant.
Surprise en plein dos crawlé, Mara poussa un cri, avant de se mettre à riposter. Elle ne s’était
jamais autant amusée de sa vie. Elle se sentait affranchie, libérée. Pour rien au monde la sage
déléguéedeclassed’autrefoisneseseraitbaignéenuecommeunver,àl’aube,avecungarçonqui
n’étaitmêmepassonpetitami.
Ryannageaverselleetlasaisitparlataille.
–JETETIENS!
–Ryan!Lâche-moi!glapitMara,euphorique.
Ils se maintinrent quelques instants en position horizontale, en riant aux éclats, lorsque Mara
réalisa soudain qu’elle était... mon Dieu... complètement nue devant Ryan ! Et qu’il la tenait... qu’il
l’enlaçait,àvraidire.
Ellelevalatête,rencontrasesyeuxrieurs.
Ilvam’embrasser,songeaMara.C’estcequivasepasser.Ici.Maintenant.
Ellefermalesyeux,puissedégageabrusquement.
– Ryan, je ne peux pas... ce n’est pas bien... non que je n’en aie pas envie... bien au contraire...
maisilfautquejemetteleschosesauclairavecJ...JIM!!!
Devanteux,auborddelapiscine,setenaitJimMizekowski,imposantavecsescentkilos.Son
visagelaissaitparaîtreundégoûtabsolu.
Quandonsedisputetoutnu,
difficiled’êtretroppéremptoire
Marasehissahorsdel’eauets’élançaàsapoursuite.Cedevaitêtrehorriblepourlui...ilyavait
tantdechosesàexpliquer...siseulementilvoulaitbiens’arrêter.
–Jim,jet’enprie,écoute-moi!supplia-t-elle.
–Alorsc’estpourÇAquetunepouvaispasrentrercettesemaine?Fallaitquetu«travailles»!
Àprésent,jecomprendsmieux,lança-t-il,sifurieuxqu’unegrosseveinepalpitaitsursonfront.Nom
deDieu,j’arrivemêmepasàteregarder!
–Cen’estpascequetuimagines.Ryanestjusteunami.Onétaitentraindejoueràunjeu,rien
deplus,expliquaMara,conscientequec’étaitunpeuléger,commeexplication.
– Du calme, mon pote, dit Ryan, encore amusé, en adressant à Jim son habituel sourire
désarmant.Ons’amusait,c’esttout.Çatedirait,defaireunepartiedestrippokeravecnous?
–Ilnes’estrienpassé,Jim!Jetelejure!ditMara,enflamméeparsapropresincérité.
Carc’étaitvrai,aprèstout:ilnes’étaitrienpassé.Dumoins,pasencore.
–Tusaispourquoijesuisvenu?demandaJim.Mamèreavutaphotodanslejournal.Ellelitle
Post,vois-tu.Etilyavaitunephotodetoi,aumatchdepolo,avecungars...aveccegars-là!dit-ilen
désignantRyan.J’aipascruunmotdecequ’ellem’araconté.Çateressemblesipeu...çaressemblesi
peuàmaMara.Etpuisj’aivulaphoto...Tuétaishabilléecommesitufaisaisletapin.
–Jefaispasletapin!s’exclamaMara.
N’empêchequ’elleétaitnuecommeunver.Etenpublic.Humhum!
–Non,pirequeça!T’esqu’unesalope,uneroulure!Tuvauxpasmieuxquen’importequelle
puteàdeuxballes!
Maraétaitinterloquée.Jamaisonnel’avaitinsultéedelasorte.Etilfallaitqueçaviennedeson
proprepetitami!Elleignoraitcommentréagir.
–Hé,mec,çasuffitcommeça,ditRyanens’interposantentreMaraetJim.
Sa voix était calme, mais il avait cessé de rire. Au début il avait trouvé ça drôle. Mara et lui
étaient nus, mais tout pouvait être facilement expliqué – après tout, il y avait encore un groupe de
jeunesgensenpartiedéshabillésdanslepatio.Maiscegarsdépassaitlesbornes.
–Jeveuxbienquetusoisencolère,maistunepeuxpasluiparlercommeça,ditRyan.
Mara n’en croyait pas ses yeux. C’était trop. Elle avait tellement bu, tout cela lui paraissait
surréaliste.Uncauchemarabsolu.
Pendantcetemps,danslepatio,lesenceintesdiffusaienttoujourslamusiqueàpleinvolumeetla
partiecontinuait.Sesparticipantsn’avaientpaslamoindreidéedumélodramequisedéroulaitdansle
jardin.
– Je lui parle comme j’ai envie de lui parler, rétorqua Jim en bombant le torse – ce freluquet
fraisémouludesonlycéeprivén’avaitdécidémentriendeplusquelui!Etpuis,ajouta-t-il,Mara...la
remisesurlaCamryquedevaittefairemononcle,tupeuxl’oublier!
Surcesparoleshostiles,Jimdisparutdanslesbois.C’étaittellementabsurdequeRyanéclatade
rire.
–UneCamry?demanda-t-il.
– C’est pas drôle, répliqua Mara, dégoûtée. Je comptais sur cette auto. C’était la seule que je
pouvaismepayerunefoisrégléslesfraisd’inscriptionenfac.
–Oh,zut,jesuisdésolé,s’excusaRyan,soudaindégrisé.
Marafronçalessourcils.Maisquelquesinstantsplustard,ellesemitelleaussiàrire.Ilsétaient
plantéslà,nus,danslejardindesPerry.
–Tuasraison,c’estplutôtmarrant.
Ilsregagnèrentlamaison,ramassantleursvêtementsaupassage.
Quelques heures plus tard, Jacqui sortit du cottage des filles au pair et les trouva tous deux
emmitouflés dans les sweat-shirts flottants de Ryan. Ils partageaient une cigarette en regardant le
soleilselever.
–J’arrivepasàdormir,ditJacqui.
–Contentquetuaiespuveniràlafête,plaisantaRyan.
–Jacqui...Tuvasbien?demandaMara.
Non,elleétaitloind’allerbien.C’étaitrisible,vraiment.Legarsqu’elleavaitaiméétaitunloser
volagepsychologiquementperturbé.Celuiparquiellel’avaitremplacéétaitencoreplusminableque
lepremier.Jacquisesentaitvidée,humiliée,etcomplètementvannée.
–Çavaaller,dit-elle,serrantsesbrassursapoitrine,tandisqu’unfrissonparcouraitsoncorps.
Mara n’insista pas. Elle savait que Jacqui lui en dirait davantage quand elle en éprouverait le
besoin.
– Tu veux une cigarette ? demanda-t-elle, proposant à Jacqui le seul réconfort qu’elle était
susceptibled’accepteràcemoment-là.
–Jecroyaisquetunefumaispas,ditJacquiens’asseyantsurl’herbeàcôtéd’eux.
Marahaussalesépaules.
–Ilyatellementdechosesquejenen’auraisjamaisimaginéfaire,réponditMara.
Lesvacancesnesontjamais
assezlongues,
pasvrai?
Tôtlelendemainmatin,lesenfantsPerrymontèrentbruyammentlesescaliersetseruèrentdans
lachambredesfillesaupair,réduisantànéanttousleursespoirsdegrassematinée.Desvestigesdela
nuit précédente traînaient un peu partout dans la pièce : Jeremy avait laissé son blouson sous le lit
d’Eliza, le sweat-shirt de Ryan était posé sur le fauteuil, et plusieurs coupes à moitié vides
moisissaientdanslasalledebains.
–Onestderetour!Onestderetour!hurlaitMadisonenfaisantdesbondssurlelitd’Eliza.On
vousamanqué?
–Vousvoulezallernager?demandaZoë.
–Onestdéjàdimanche?gémitEliza.
Maraneparvenaitmêmepasàsouleverlatêtedesonoreiller.
–William,cessedemetirerlescheveux,jet’enprie!
–OhmonDieu,j’aiunedecesgueulesdebois!selamentaEliza.
–T’espaslaseule,répliquaMaraensetenantleventre.
Elleparcourutdesyeuxlapièce.
–OùestJacqui?
ElizajetaàMaraunregardperplexe.Jacqui?Maraauraitpourtant dû le savoir. Jacqui n’était
jamaislà.C’étaitunecamaradedechambrefantôme.
–Elleétaitlàhiersoir,expliquaMara.J’arrivepasàcroirequ’ellesesoitesquivée.C’estson
tourd’accompagnerlesgaminsquelquepart.Pouah!
–Ehbien,jenel’aipasvue,répliquaElizaens’efforçantdesecachersouslescouvertures.
–Honnêtement,jesuistoutàfaitincapabled’alleràlaplageaujourd’hui,criaMarapar-dessus
lescrisdeWilliametdeMadisonquisechamaillaientpours’asseoirdanslefauteuil.
–J’aiuneidée!ditEliza.
Elles se rendirent dans l’un des rares cinémas de la ville. Contrairement aux multiplexes
tentaculairesouauxtourshigh-techdeManhattan,oùlebilletcoûtaitplusdedixdollars,lecinéma
d’EastHamptonétaitunpetitbâtimentàtoitenbardeauxquiprojetaitd’obscursfilmsétrangers,des
filmsd’artetd’essaiet–àleurgrandesatisfaction–undessinanimédeWaltDisneycetaprès-midilà.
–JeveuxvoirAliencontrePredator,décrétaWilliam.
–Pasdebol,çan’estpasàl’affiche!rétorquaElizaentredeuxbâillements.
Ellesfirententrerlesgaminsdanslasalle.Laclimatisationetl’obscuritésoulagèrentEliza.Elle
avait l’intention de rattraper un peu du sommeil perdu en dormant pendant la séance. Ainsi
parviendrait-elle peut-être à chasser de son esprit les événements de la veille au soir. Après avoir
quitté la pièce, couverte de honte, elle s’était lancée à la recherche de Jeremy, mais n’avait trouvé
qu’unepoignéedejeunesgensàmoitiénus,gisantinconscientssurlavéranda.
Ilfallaitqu’ilcomprenne:elleavaitétémiseaupieddumurdevantdesgensqu’elleconnaissait
depuistoujours–çan’avaitrienàvoiraveclui,enréalité.Ah,cequec’étaitcompliqué!songeaitelleenserongeantnerveusementlesongles.
MaraentradanslasalleavecMadison,chargéed’unebouteilledeCocaetd’unénormecornet
depop-corn.Elizas’enfourraunepoignéedanslabouche,etlarecrachaaussitôt.
–Quoi?Sansbeurre?
– L’huile pour moteur qu’ils font passer pour du beurre contient plus de calories qu’un
rumsteak,luirappelaMara,agitantlementonendirectiondeMadison.
Elizalesavait.Maistoutlemondesavaitégalementquelepop-cornn’étaitpasvraimentdela
nourriture.Etquesansbeurre,çaavaitungoûtdesable.
–Jevaisrajouterdubeurreetdusel,ditElizaens’emparantducornet.
–Hé,vat’enchercherunautre!s’exclamaMara,désignantMadisonencoremoinsdiscrètement
quelapremièrefois.
– Pourquoi ne pas lui demander ce qu’elle veut ? suggéra Eliza. Tu veux que je rajoute du
beurre?
Madison regarda les deux filles au pair. Elle avait vraiment envie de beurre, mais Mara
l’encourageaitsibienduregardqu’ellen’arrivaitpasàsedécider.C’étaitMaraquiavaitcoifféses
poupéesBarbiel’autrejour,enréussissantàdémêlercomplètementleurscheveux.Ellenevoulaitpas
ladécevoir.
–Non,répondit-elle,presquesurletond’unequestion.
–C’estbien,Madison,approuvaMara.Pourquoinepast’achetertonproprecornet?demanda-telle,conciliante,àEliza.
–Laissetomber!répliquaEliza,sourcilsfroncés.
Ellen’avaitplusunpennyenpoche,ayantdéjàdépensésondernierversement.Ilneluirestait
qu’àattendreleprochain.
Leslumièress’éteignirentetlespremiersaccordsdugénériqued’ouverturerésonnèrentdansla
salle.
Pendantquelesenfantsétaientoccupésàregarderlefilm,ElizaracontaàMaracequiluiétait
arrivélaveilleausoir.
–Jetejure,jenevoulaispasqueçasepassecommeça!J’étaissouslechoc,tucomprends?dit
Eliza,quiavaitunfurieuxbesoind’êtreconsolée.Jeremycomptepluspourmoiquetousmesamis
réunis.
Marahochalatête.L’épisodequevenaitderelatersacamaradedechambren’étaitpasvraiment
glorieux,maisMaravoyaitbienqu’Elizaétaitdéchirée.
–Jesuissûrequ’ilcomprendra.Onatousdroitàl’erreur.
Dansunmurmure,elleracontaàsontourlascèneavecJimetRyan,strippokerinclus.
– Nom de Dieu, quel minable ! Je comprends pas que tu sois restée si longtemps avec un
ploucardpareil,ditEliza.
Marafutestomaquée.C’étaitunpeufortdecafé.Biensûr,unpeudecompassionnefaisaitpas
demal.Maistraitersonpetitcopainde«ploucard»,c’étaitdépasserlesbornes!Certes,Jimn’était
pas l’héritier d’une famille fortunée, il ne roulait pas en voiture de sport, mais il n’était pas si
épouvantable que ça. Un peu borné, sans doute, et trop protecteur. Et très colérique, quand on le
provoquait.Delààsefairetraiterde«ploucard»!Associantcetteremarqueàsescruellesréflexions
de l’autre soir sur Jeremy « qui n’avait pas sa place dans ce monde-là », Mara commençait à la
trouvertrèsinsultante.
–Tuesincroyable,ditMaraenfoudroyantElizaduregard.
–Hein?
–Tusais,j’avaisvraimentdelapeinepourtoi,àproposdecequis’estpasséavecJeremy...eh
bien,àprésent,jemedisquetuaspeut-êtreeucequetuméritais.
–Uneseconde...
–Jevaistedonnerunconseil,Eliza:dorénavant,tudevraisréfléchiravantd’ouvrirlabouche,
sifflaMaraenramassantsessacs.
–Pourquoi?Qu’est-cequiteprend?demandaEliza,stupéfaite.
Ellenonplusn’avaitpaspassélameilleuredessoirées.Auxyeuxdetoussesamis,ellefaisait
désormaispartiedelacatégoriedesploucs.
–Parcequetusaiscequimanquevraimentdeclasse?demandaMara,lavoixhostileetlesjoues
enfeu.Cesontlessnobinardesdanstongenre!
Surcesparoles,Marapartit,laissantElizas’occuperseuledesquatregaminssurvoltés.
MararentrachezlesPerryàl’instantprécisoùJacquifranchissaitleseuildelamaison.
–Tuétaisoù,toutelamatinée?demandaMara.
–J’inscrivaislesenfantsàlarégatedeShelterIsland.Jemesuisditqueçapourraitleurplaire,
etcommeceseraledernierjour...,expliquaJacqui.
Çaalors.Pourunefois,ellesecomportaitdemanièreattentionnéeetresponsablevis-à-visdes
gamins.Or,aulieudeseréjouirdecettenouvelle,Marasesentitencorepluscoupabledelesavoir
laissésàEliza.
–Ehbien,tuauraispunousprévenir,rétorqua-t-elle.
– Qu’est-ce qui te prend ? répliqua Jacqui, un peu blessée que Mara ne la félicite pas de son
initiative.
–Rien.Rien...Tuveuxbienmelaisserseule?
–Avecplaisir,réponditJacqui.
Lasituation
estdeplusenplustendue
Pourlapremièrefoisdepuisledébutdel’été,AnnaetKevinétaienttouslesdeuxprésentspour
le rapport hebdomadaire, dans la salle de projection. Anna était de bonne humeur. Elle était bien
partie pour être nommée coprésidente du Super Samedi – la collecte de fonds au profit de la
recherche contre le cancer des ovaires. Elle avait trouvé un grand couturier disposant d’un surplus
impressionnant et désireux de l’écouler dans un des stands vedettes, et l’annonce de sa nomination
n’étaitplusqu’unequestiondetemps.
Mara et Eliza déboulèrent dans la pièce avec un peu de retard (Cody s’était soulagé sur elles
pendantqu’ellesluichangeaientsacouche).Quellenefutpasleursurprise–etleurmécontentement–
quand elles trouvèrent Jacqui tranquillement assise là, à discuter avec leurs employeurs, comme si
c’étaitlachoselaplusnaturelledumonde...
Elless’assirent,étonnéesdutourqueprenaitlasituation.
–Commejedisaisàl’instant,expliquaAnna,jedésireraissavoiroùenestZoë,aveclalecture.
Elleacommencélanouvellebandedessinéed’ArtSpiegelman?
–Heu...jenesaispastrop,Anna,ditElizad’untonjoyeux.Àvraidire,c’estàJacquiqu’ilfautle
demander,vuqu’elleapassél’étéàluiliredeslivres.
– Oui, il y a un livre qui la passionne, d’ailleurs. Je crois qu’il s’appelle Mais où diable est
passéeCarmenSandiego?glissaMara.
Jacquiluidonnauncoupdepiedsouslatable.
Annaparaissaitenchantée.
–EtCody?
–Oh,nousl’avonspresqueguéridesonhabitudedecourirpartoutnucommeunver.Nousne
manquons pas de faire valoir que les vêtements sont indispensables au développement de la
sociabilité,soulignaEliza,enfusillantMaraduregard.
Kevinbâilla.Ilétaitencoreentraindes’imaginerJacquinuedanslecockpitdesonyacht.
–QuantàMadison,elleapprendàquelpointilestimportantdetoujoursdirelavérité.Surtoutà
sesamis,précisaMaraàl’adressed’Eliza.
–EtWilliam?Ilprendsesmédicaments?
–Ohoui,absolument!dirent-ellesenchœur.
Ledocteurluiayantprescritdel’Adderall,enplusduRitalinetduMetadatequ’ilprenaitdéjà,
William était effectivement sous traitement. Non que cela eût modifié en quoi que ce soit le
comportementdugamin–quirestaitlemêmepetitmonstrehyperactif.
– Merveilleux ! s’extasia Anna. Oh, Kevin, ces filles sont parfaites, tu ne trouves pas ? Rien à
voiraveccellesquetuavaisengagéesavant.Jesuistellementcontente!
Les filles dressèrent l’oreille. Elles n’avaient toujours pas découvert ce qui était arrivé à la
« première équipe », ainsi qu’elles avaient surnommé leurs devancières, et craignaient vaguement
d’êtreellesaussirenvoyées.Dieusaitcequecesfillesavaientpufairedetravers.Aprèstout,Mara,
ElizaetJacquiétaientloindesecomporterdemanièreexemplaire.Saufqu’AnnaetKevinétaientsi
distraitsetindifférentsquecelan’avaitpasvraimentd’importance.
Kevinleurtenditlesépaissesenveloppesgonfléesdebillets.
–Mercimesdemoiselles.Etcontinuezsurvotrelancée!
IlentraînaAnnahorsdelapièce.
–Oh,chéri,j’aioubliédeteprévenir...,ditAnna,commeilss’éloignaient.Lepaysagiste...enfin
le jardinier... il a démissionné aujourd’hui. Il va falloir que tu trouves quelqu’un d’autre, pour
s’occuperdesazalées.C’estvraimentdommage!
Maras’efforçadesurprendreleregardd’Eliza.Maiscelle-cidétournalatête.
Tout en empochant leur argent, les filles pariaient mentalement sur celle qui, parmi elles, ne
tiendraitpaslecoupjusqu’audernierjour.
Mara:cinqcontreunqueceseraitEliza.Cettefilleétaituneje-m’en-foutiste.Etvuquetousses
amisl’avaientlaissétomber,ellen’avaitplusaucuneraisonderester.
Eliza : trois contre un sur Mara. Elle voyait bien la petite provinciale avoir le mal du pays et
quitterlagrandevie.
Jacqui:deuxcontreunsurelle-même.Ellecraignaitdenepouvoirenendurerdavantage.Elle
étaitloindepasser«l’étéderêve»promisparl’annonce.Tuparlesd’unepublicitémensongère!
Elizaaunpanierpercé
enguisedesacàmain
Le lendemain, Eliza se retrouva devant le comptoir de Cartier. Même après tout ce qui s’était
passé, elle eut le sentiment de redevenir elle-même en franchissant ses portes dorées. C’était ça, la
vraievie!Ellehésitadevantlesclassiquesdelamaison:lesbaguesTrinity,auxanneauxentremêlés,
les solitaires étincelants marqués du « C » emblématique, les bagues carrées, massives et
minimalistes, de la récente collection « nouvelle vague » – que les maîtresses de maison des
Hamptonscollectionnaientcommedeschemisesachetéesausupermarchéducoin.
–Celle-ci,dit-elleendésignantunemontreenordix-huitcarats,sertiedediamants.
Lavendeuseattachalamontreàsonpoignetdélicat.
–C’estunepetitemerveille.
Levantlebraspourl’examineràlalumière,Elizaadmirasonéclatscintillant.
–Jelaprends,dit-elle.Inutiledel’emballer.Jelagardesurmoi.
Leprixdelamontredépassaitnettementlecontenudel’enveloppe,Elizademandadoncàlafille
demettrelerestesursaVisadéjàtropsollicitée.
Ellelaméritait,cettemontre!Aprèstoutcequ’elleavaitdûencaisser.Peut-être,àconditionde
la regarder suffisamment longtemps, pourrait-elle oublier l’expression dégoûtée de Jeremy, le rire
méprisantdesesamisetlefaitqu’illuifaudraitretourneràBuffaloàlafindel’été.
Ensortantdelaboutique,ellevitMara,surletrottoird’enface,quisedirigeaitverslabanque.
Elle se baissa avant que celle-ci ait pu l’apercevoir. Pour le moment, elle n’avait aucune envie de
montrersamontreàMara,nideluifaireface.
Unjour,Maraauraassezd’argentdecôtépour
s’acheterlanationentière
Mara s’éloigna du guichet. Elle avait environ six mille trois cents dollars en banque ! Elle en
aurait eu six mille six cent soixante-six si elle n’avait pas dépensé une somme extravagante pour
s’acheterunerobeetdesmules,lorsdecettefatidiqueséancedeshopping.Peut-êtrepourrait-elletout
de même acheter la Camry, si Jim trouvait la force de lui pardonner ? Après tout, Ryan et elle
n’avaientrienfait,songea-t-ellenonsansregret.
Elleglissalerécépissédanssonportefeuilleetquittalabanque.Surletrottoird’enface,ellevit
Eliza, qui sortait de chez Cartier avec un petit sac rouge. Celle-ci fit semblant de ne pas la voir.
Exactement comme le premier jour, quand elles s’étaient retrouvées assises chacune à un bout du
banc.
MarasedirigeaversleStudioPilates,oùelledevaitallerchercherlespetitesfilles.
Jacquipourraitbiengagner
sonproprepari
Devantlaréceptiondel’agencedevoyages,Jacquisemordaitleslèvres.Elleavaitjusteassez
d’argentpourretourneràSãoPaulo.C’étaitunesacréetentation.Pourquoitraînait-elleencoredans
cetteville?Dansseizeheuresàpeine,ellepourraitêtreànouveausuruneplagedignedecenom.
Par-dessuslecomptoir,ellejetauncoupd’œilauxhorairesd’avions’affichantsurl’écrande
l’ordinateur.IlyenavaitunquidécollaitdeJFKcesoirmême.
Maislafuitenerésoudraitrien.N’était-cepasjeterl’argentparlesfenêtres?Ilneluirestaitque
quelquessemainesàendurer.Sagrand-mères’étonneraitdelavoirrentrersitôt.Jacquiseraitobligée
des’expliquer,etellenepensaitpasquesonavoseréjouiraitd’apprendreque,sielleavaitpassél’été
auxÉtats-Unis,c’étaitpourêtreavecungarçon.Sisagrand-mèreavaitacceptédelalaisserpartir,
c’était seulement parce que Jacqui avait prétendu avoir été sélectionnée pour participer à un
«programmeéducatifexpérimental».Tuparlesd’uneprophétie!
Auboutd’unmoisdanslesHamptons,Jacquiavaitapprisquelesstringsn’étaientpasautorisés
sur la plage, que ses seins passaient pour faux et que le meilleur moyen de s’incruster dans une
soirée,c’étaitdeprétendreapparteniràcemonde-là.
–Dois-jeréserverlaplace?demandal’employée,enserasseyantderrièresonbureau.
–Àvraidire,j’aichangéd’avis,répliquaJacqui.
Parailleurs,elleavaitpromisàZoëdeluiapprendreàlirecelivrepleindejolisdessinsqu’elle
avaitapportéavecelle.
Elle quitta donc l’agence de voyages, son enveloppe pleine d’argent liquide sagement rangée
danssonsacàmain.
LeSuperSamedi
n’adesuperquelenom
Lederniersamedid’août,laseuleattractiondelavilleconsistaitenuneextravagantebraderieau
profit de la recherche contre le cancer des ovaires. Parmi les sommités qui avaient animé
l’événement,ontrouvaitfeulaprincesseDiana(quiraffolaitdessoldesd’OscardelaRenta),Donna
Karan(quienavaitfaitunevraiefoireavecmanègesdeponeysettoutletralala),etfeuLizTilberis,
ex-directrice d’Harper ’s Bazaar et fondatrice du Super Samedi. C’était une débauche de pavillons
blancsoùdescouturierstelsqueCalvinKlein,JillStuart,KateSpade,MichaelKorsettantd’autres
vendaientdesmodèlesdedéfiléoudesinvenduspourunefractionduprixd’origine.
Anna, qui avait été, au dernier moment, écartée de l’organisation au profit d’une personnalité
mondaine plus fortunée, s’était tout de même courageusement proposée pour parrainer le stand
d’EdgardoDeMenil–jeuneloupquiavaitfaitsesdébutsl’automneprécédent,avecunecollectionde
ponchosencuirclouté.Malheureusement,lemonden’étaitpasencoreprêtpourlesponchosencuir
clouté, et le couturier s’efforçait de se débarrasser de son stock au Super Samedi. Anna tentait de
convertir ses amies à ces articles prétendument haute couture mais toutes préféraient naturellement
s’abstenir.
–Mara,vousvoulezbienemmenerlesenfantsàlaménagerie?Ilsfontfuirlesclients!lança
Annad’unevoixfrénétique.
– Tu peux t’en charger, Eliza ? Tu as oublié de prendre la poussette de Cody et je vais être
obligée de le porter tout l’après-midi, dit Mara sur un ton de reproche même si, à dire vrai, elle
trouvaitassezréconfortantdesentirlebébésursahanche.
Eliza,obnubiléeparlesvêtementsdemarquevenduspourtroisfoisrien,tardaàréagir.Unjean
Yanukàcinquantedollars!UnerobeenjerseydesoieCalvinKleinàcentvingtdollars!Siseulement
elle ne s’était pas acheté cette montre Cartier ! Pauvre et contrariée, elle allait devoir subir six
longues heures de supplice : il n’y a rien de pire au monde que de faire les soldes sans un sou en
poche.
– Et alors ? Hier, c’est moi qui l’ai porté. Il a vomi partout sur mon beau débardeur, dit-elle,
agacée.EtJacqui,elleestoù?
Nullepart,commetoujours.
Quandellereparut,sirotantuncocktailfrappé,Maras’énerva:
–Tun’esjamaislàquandonabesoindetoi!siffla-t-elle,furieuse.
Anna et Kevin se mêlaient à leurs amis, faisaient des bises et présentaient parfois celui des
gaminsquisetrouvaitdansleurchampdevision.Sugarétaitassise,aussirenfrognée,lasseetsexy
qu’àsonhabitude.
–Chut!Onvat’entendre!ditElizaensehâtantd’essuyerlementonbarbouillédechocolatde
Zoë.
Williamtrouvatrèsdrôledes’accrocheràsescheveuxetdelatirerenarrièreaumomentprécis
oùLindsayetTaylorapprochaient,tenantplusieurssacsbourrésàcraquer.
–William!Lâche-moi,s’ilteplaît!suppliaElizaens’efforçantdesedépêtrerdupetitmonstre.
Levant les yeux, elle aperçut Lindsay et Taylor près du stand Marc Jacobs, où elles essayaient
desrobesàfinesrayures.
–Commenttutrouves?demandaTaylorenlissantledevantdelajupedrapée.
Ellecroisaleregardd’Elizaetsedétourna,embarrassée.
–Oh,c’estEliza.Salut,ditLindsayenluiadressantunvaguegestedelamain.
Toutesdeuxdétalèrentsitôtaprèsavoirpayé.
Elizan’arrivaitpasàdécidercequiétaitlepire–quesesamisl’ignorentouqu’ilslaplaignent
ostensiblement.
–Pardon,mademoiselle...Vouspourriezallermechercherunverre?demandaCharlie,avecun
souriretorve.
–Tuvoispasqu’elleestentraindebosser,s’esclaffaSugarenselevantdesonsiège.HéBill,
tireplusfort!ajouta-t-elleàl’adressedesonfrèrecadet.
–Jetelâcheraipas!claironnaitWilliam.
–Vatefairefoutre!ditEliza,fixantCharliedroitdanslesyeux.
–Pardon?demandaCharlie.
–Eliza!protestaAnnad’unevoixpincée.Tusaisquenousnousefforçonsdenepasutiliserce
genredevocabulairedevantlesenfants.Çaaffecteleurdéveloppementinteractif.
–Désolée,désolée,je...
–Vienslà,dit-elle,forçantWilliamàlâcherEliza.Àprésent,vajoueraveclesenfantsKennedyCole.Ilssontlà-bas,tulesvois?Allez,file!ordonna-t-elleàsonbeau-fils.
–Merci,marmonnaEliza,unpeuhumiliéeàl’idéeque,detouteslespersonnesprésentes,cesoit
Annaquil’aittiréed’affaire.
À proximité du restaurant en plein air, Mara trouva un endroit tranquille d’où essayer de
rappelerJim.Iln’avaitpasdécrochédepuissamedisoir.Orellenesouhaitaitpasqueleurhistoirese
termineainsi.Ellevoulaitqu’ilsachelavérité.Çalarendaitfurieuse,depenseraugenredebobards
qu’ildevaitrépandresursoncompte,àSturbridge.Etsi,àsonretour,toutlemondelaprenaitpour
une«puteàdeuxballes»?Aprèstout,elleétaitdéléguéedeclasseetavaituneréputationàdéfendre!
Ellecomposaunenouvellefoislenuméro.Tombadirectementsurlamessagerie.
– Jim, c’est moi, Mara. Je sais que tu ne veux pas m’écouter, mais il le faut. Donne-moi la
possibilitédet’expliquer.Jesuisvraiment,vraimentdésoléedecequis’estpassé...
–Salut.
–Jim?Tueslà?
–Ouais.
–Écoute...
– Non, l’interrompit-il. C’est moi qui suis désolé de m’être emporté samedi soir. C’était pas
bien,etjem’enexcuse.
Maratombaitdesnues.
– Je ne sais pas ce qui s’est passé entre ce gars et toi, et je n’ai pas spécialement envie de le
savoir.
–Ilnes’estrien...
MaisJimpoursuivit:
– À vrai dire, je sentais que tu voulais ce job pour t’éloigner d’ici. Et je t’en voulais de me
laisserseul.Maisilsetrouveque...,commença-t-il,d’unevoixpiteuse.
–Quequoi?
–Jecroisquej’airencontréquelqu’und’autre,reconnut-il.
Mararespiraungrandcoup.Çaalors,ellenes’yattendaitpas!L’aveudeJimluiinspiraitdes
sentimentscontradictoires.D’uncôté,ellen’avaitplusrienàsereprocher.Del’autre,flûte!Elleavait
passél’étéàcraindredeleblesseralorsquelui,vraisemblablement,nepensaitpasdutoutàelle.
–Quiça?
–StephanieFortuna.
Lachefdespom-pomgirls.Elleeutlevaguesouvenird’unepetitechipiefriséequifaisaitdes
bondschaquefoisqueJimtouchaitleballon.
–Ehbien...heureusepourtoi!dit-elle,presquesincère.
–Ouais,merci.Onaquandmêmepassédebonsmoments,toietmoi,pasvrai?demandaJim.
–Oui,réponditMarad’unevoixdouce.
Jimetellesortaientensembledepuisquasimentdeuxans.C’étaitlafind’uneépoque.Lafinla
moinsspectaculairequ’onpuisseimaginer.UnpeucommeledernierépisodedeMatrixcomparéau
premier.
–Bonnechanceavectonboulotettoutlereste.Etoubliecequej’aidit...ausujetdelaCamry.Tu
peuxl’avoir,situlaveuxencore,ajoutaJim.
–Merci,réponditsimplementMara.Prendssoindetoi.
–Toiaussi.
–Aurevoir.
–Aurevoir.
Mara raccrocha sans avoir dit « Je t’aime », comme ils le faisaient à chacune de leurs
conversations téléphoniques depuis deux ans. Elle se sentait bizarre, entre autres parce qu’elle était
désormaissûredeneplusl’aimer.Ellen’avaitplusdepointd’ancrage,elleétaitlibre.Elleavaitcessé
d’êtrelapetiteamiedeJim.ElleétaitredevenueMara,toutsimplement.Maisellenesavaitpasencore
cequecettenouvelleMaracomptaitfaireàprésent.
– Hé, Mara, je peux t’emprunter vingt dollars ? demanda Eliza en s’approchant d’elle, un joli
pullnoiràlamain.S’ilteplaît.
Mara écarquilla les yeux. Parlait-elle sérieusement ? Elles ne s’étaient même pas encore
officiellementréconciliées!
–Tum’enveuxencore?demandaElizaensemordantlalèvre.
Ellen’avaitpasl’habitudequ’onluienveuillelongtemps.Cen’étaitpasnouveaupourelle,dese
montrervexanteoumaladroite.Cequil’était,enrevanche,c’étaitderépondredesesactes.
–Écoute...jetedemandepardon,pourcequej’aiditl’autrejour.C’estjustequetoutestsi...jene
voulaispasteblesser.
Elizan’étaitpasencoreunepro,enmatièred’excuses.
Maracroisalesbras.
–N’empêchequetul’asdit.
–Jesais.Jesuisnulle,selamentaEliza.
–Ouais,ditMaraenremarquantquelesyeuxd’Elizas’embuaientdelarmes.
Çaaussi,c’étaitunepremière.
–Moiaussi,jesuisdésolée,ditalorsMara.
–Désoléedequoi?
–Derien.J’aipasenviequetupleures,c’esttout.
Elizagloussaetpassaundoigtsoussesyeuxpouressuyerlestracesderimmel.
–Jepeuxtelesemprunter,alors?Jetelesrendrai,promis.
–Oh,d’accord.Maisavecdesintérêts!plaisantaMara.
Eliza la serra dans ses bras. Elle acheta le pull et toutes deux regagnèrent le stand d’Anna, où
Jacquidistribuaitdesbeignetsauxenfants.
–Tiens,Chloé,dit-elleenentendantunàZoë.
–Chloé?demandaAnna,levantlesyeuxdureçuqu’elleétaitentrainderédigerpourl’achat
d’unponchoparticulièrementlaid.
ElizadonnauncoupdecoudeàJacqui.
–Zoë!
–Zoë...Zoë,chantonnaJacquienrougissantdesagaffe.
–Zoësouhaitequenousl’appelionspartoutessortesdeprénoms,cestemps-ci,expliquaMara.
Cettesemaine,c’estChloé.Lasemainedernière,c’étaitJulie.Pasvrai,Zo?
Zoë hocha la tête, en mangeant son beignet avec avidité. Bien qu’elle n’eût que six ans, on
pouvaitl’acheter!
QuandAnnaeutledostourné,Jacquiserépanditenexcuses.
–Jesuisdésolée!Jenesaispasoùj’avaislatête!dit-elle,honteuse.Jenevoudraissurtoutpas
nouscauserdesennuis.
–C’estbon.Ç’auraitpuarriveràn’importelaquelled’entrenous,ditEliza.
–Oui,net’inquiètepaspourça.
Elles passèrent le restant de l’après-midi à traquer une top-model qui les fascinait toutes les
trois. Plus tard, en entassant les gamins dans la voiture, Mara et Eliza songeaient que la journée
n’avaitpasétésimauvaisequeça,aprèstout,lorsqueJacquidéboula.
Sesyeuxbrillaientetelleétaitvisiblementtrèsexcitée.
–Jevousretrouveplustard,lesfilles!Jeviensdecroiserunamiquim’ainvitéeàunesuper
soiréechezSting!s’exclama-t-elle.Ciao!
Maralevalesyeuxauciel.
–C’estquoi,sonproblème,àcettefille?fit-elleàEliza.
ElleenavaitassezdeJacqui.Bienqu’ellefûtpayéeautantqu’elles,elleétaitloindefaireletiers
dutravail.WilliamtiralescheveuxdeMaraetpartitencourant.Dieusaitqu’uneautrepairedebras
auraitétéutilepourmaîtrisercepetitgarçon.
Elizaétaitégalementtrèsennuyée–maispasparcequeJacquilesavaitlaissétomber.Comment
ça ? Une soirée dont elle n’avait pas entendu parler ? La réalité de sa mise au ban commençait à
l’atteindredepleinfouet.
Jacquin’estpasunenana
quiselâche!
Rupert Thorne gratifia sa proie d’un sourire prédateur. Il n’avait pas pu oublier la fille qu’il
avaitpriseenvoitureàl’aéroport,cejour-là.Quelleplaisantesurpriseç’avaitété,delarevoiràla
braderiecaritativeàlaquellesafemmeletraînaitchaqueannée!
IlavaitmentionnéqueStingétaitenville–pourunconcertprivé.Luiferait-elleleplaisirdel’y
accompagner?
IlsdébutèrentlasoiréeparundînerauPalm,oùRupertcommandaunchâteau-latouràseptcents
dollarslabouteille.«J’aiquelquechoseàfêter»,expliqua-t-ilàJacqui.Ill’avaitensuiteemmenéeau
bardutrèssélectMaidstoneClub,célèbrepourlesimpitoyablesconditionsd’admissionàsonterrain
de golf de deux cents hectares. Bill Clinton lui-même n’avait pas été jugé digne d’y disputer une
partielorsdesavisite,en1999.Rupertenfreignittouteslesloisduclubrelativesauxfemmes,aux
étrangersetauxcatholiques,àseulefind’impressionnerJacqui.
Lalimousineroulaitversuneimmensepropriétédominantl’océan.C’étaitlesomptueuxmanoir
– plusieurs milliers de mètres carrés – d’un ancien roi de la finance reconverti en DJ techno (ce
n’étaitpasSting...Jacquiavaitdûmalcomprendre)quiaimaitdonnerdessoiréesdanslestyledeLas
Vegas,avecstrip-teaseusesettoutletoutim...Lademeureétaitfréquemmentlouéepourdestournages
defilmsoudeclipsetpourdesfiestasdemilledeuxcentspersonnes,commecesoir.
À l’entrée, une femme leur donna des décharges à signer, en leur expliquant que la télévision
filmaitl’événement.Jacquiinscrivitsonnomenbasdudocument,sanssedonnerlapeinedelire.Ce
n’étaitpaslapremièrefoisqu’illuifallaitsignerunedéchargeàunesoirée–ilyavaittoujourstelle
outellechaîneducâblepourfilmertoutcequisepassaitdanslesHamptons.Rupertsignaàsontour
etluipritlamainpourl’introduiredanslasalle.
Il y avait une ambiance de folie. C’était une fête gigantesque. Des centaines d’invités en sueur
dansaient dans la lumière pulsante des lasers. La sculpture sur glace d’une bouteille de vodka,
s’élevantjusqu’aupremierétage,fondaitaucentred’unefontaine.Lapiscineavaitététransforméeen
unegrottespectaculaire.Deshôtessesvêtuesdebustiersetdemini-shortsdistribuaientgratuitement
despaquetsdecigarettes.
–Waouh!s’exclamaJacqui.EtSting,ilestoù?
–Sting?s’esclaffaRupert.Jet’aiditDJ...oh,etpuisquelleimportance?Amusons-nous,tuveux
bien?
Deséquipesdetournagecirculaientde-ci,de-là.Tousportaientdeschapeaux«LESNANASSE
LÂCHENT ! » et des tee-shirts à logo, et encourageaient les invitées à montrer leur poitrine à la
caméra. Hep ! Une seconde ! Jacqui avait vu la pub de ces vidéos, dans le show de ce cochon de
présentateurdontelleavaitoubliélenom.
–Etvous?luidemandaunbarbuauventreproéminent.
–Non...nonmerci.
Ellesourit,malàl’aise.OnétaitloindurassemblementdestarsauquelRupertavaitprétendula
convier. Où étaient les célébrités ? Ashton Kutcher et Cameron Diaz ? Sarah Jessica Parker et Kim
Catrall?Ou,aumoins,TaraReidetParisHilton?Ilnes’agissaitpasd’unesoiréechic.Àvraidire,
legrosdesinvitésétaitconstituédetypescraignosenchemisesbrillantesetpantalonsdepolyester,et
defemmesmouléesdansdesrobesenspandex,ayantabusédubronzageetdessilicones.
–Heu...jecroisquejevaisallermechercherunverre,dit-elle.
–Bonneidée,approuvaRupertensepassantlalanguesurleslèvres.
Ils’obstinaitàresservirJacquiavantmêmequesonverrefûtvide,sibienqu’elleignorait,au
final,combiend’alcoolelleavaitbu.Soninquiétudeallantgrandissant,Jacquibuvaitbeaucoupplus
qu’elle ne l’aurait souhaité. Un projecteur fut soudain braqué sur elle. Jacqui plissa les yeux et vit,
plantésdevantl’entrée,desvigilesbaraquésetplusieurséquipesdetélé.
Lejeuneproducteurdevidéosérotiquesquiorganisaitlasoiréesesaisitd’unhaut-parleur:
– Voici arrivé le moment crucial, mesdames et messieurs ! Toute femme qui ne sera pas nue
d’icicinqminutesferaitmieuxdes’enallertoutdesuite!
–Hein?demandaJacqui.
–Allez!fitRupert,unlargesourireauxlèvres.C’estpaslameràboire!Toutlemondesaitque
cesfêtesfinissenttoutletempscommeça.
–Pasmoi!
–Hé,tuassignéladécharge,àl’entrée.Allez,rigolonsunpeu!ditRupert,entendantlebras
pourfaireglisserlesbretellesdesoncorsage.
–Uneminute!Uneminute!protestaJacquienrepoussantsamain.
Rupertserenfrogna.
– Qu’est-ce qui te prend ? Je te fais passer du bon temps. Je t’invite à dîner, je t’amène au
Maidstone,etc’estcommeçaquetumeremercies?Allez,jeveuxjustequ’onrigoleunpeu,insista-til,gardantlamainplaquéesursapoitrineenungestevaguementmenaçant.
–Biensûrqu’onvas’amuser,ditJacqui,réfléchissantàtouteallure.Jevoudraisjustepasseraux
toilettesetm’occuperdedeuxtroistrucs,dit-elleavecunclind’œil,tandisquesoncœurbattaitàtout
rompre.
Toutautourd’eux,desfemmessedéshabillaientetagitaientleursseinsdevantlacaméra.C’était
loind’êtreunegentilleblaguedepotache,commequandMaraetRyans’étaientbaignésnusdansla
piscine. C’était une industrie. C’était terrifiant. Et ce n’était pas du tout ce qu’elle avait en tête
lorsqu’elleavaitdéclaréqu’elleaimeraitassisterauconcertprivédeSting.
–Jet’attendsici,ditRupertd’unevoixtraînante.
Jacquitenaitàpeinesursesjambes.
–Jerevienstoutdesuite,promit-elle.
Àquatreheuresdumatin,elleétaitlà,pauméeaumilieudenullepart.Ellen’avaitpasdequoise
payer un taxi, et ne savait même pas d’où en appeler un. Personne, à la soirée, n’accepterait de la
ramenerchezelle.
Elletrouvauntéléphonedanslehalletcomposalepremiernuméroquiluivintàl’esprit.
–Luca!C’estmoi...Ilfautquetum’aides!
–Quiest-ce?demandaunevoixféminineensommeillée.
–C’estJacqui.JepourraisparleràLuca?
–Ildort.C’estàquelpropos?demandalafemme,suruntonsoupçonneux.
Inutiled’insister.Jacquicomposaunsecondnuméro.
–Léo?C’estmoi,Jacqui.Ilfautabsolumentquetum’aides.
– Jacqui ? demanda Léo. (Encore debout, il finissait de disputer cinquante-quatre parties de
footballJohnMaddensursaPlayStation.)Lafillepourquijenesuisqu’uncoupenpassant?
–Léo...Jet’ensupplie.
Maisilavaitdéjàraccroché.
Jacquiétaitenlarmes.D’iciquelquesminutes,Rupertallaitselanceràsarecherche,etDieusait
cequiadviendraitd’elle.Ellecomposalederniernumérodontellesesouvînt.
Çasonnait,maispersonnenerépondait.Jacquis’étaitpresquerésignéeàparcouriràpiedlessix
kilomètresdelaroutedeMontauk,lorsqueMaradécrocha.
–Allô?
–Mara.C’estJacqui.Ilfautquetum’aides.Est-cequevouspouvezvenirmechercher?
Maras’assitsursonlitetjetauncoupd’œilauréveil.
–C’estquoicedélire?Tulaissestoutenplan,etnousondoitseréveilleretvenirte...
–Mara,jet’ensupplie...,ditJacqui,éclatantensanglots.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mara, réalisant soudain qu’il arrivait sans doute quelque
chosedegraveàJacqui.
–Jesuisàcettesoirée...Stingn’estpaslà...c’estseulement...ilfautquejem’enailled’ici.
–Tuesoù,aujuste?
Jacquiluiexpliquaoùellesetrouvait.
– On sera là dans quelques minutes. Il faut que je réveille Eliza. Je ne connais pas le chemin,
maisjesuissûrequ’elle,elleleconnaîtra.Resteoùtues!
Jacquiraccrocha,sefaufilaàl’extérieuretfranchitlagrilled’entrée.Leventsoufflaitdelamer,
l’airs’étaitrafraîchi.Maisellepréféraitmourirdefroidplutôtqueretournerdanscettemaison.
Onoublieparfois
quelesHamptons
setrouventàLongIsland
Dans un éclat de phares la Volvo rouge bringuebalante s’arrêta devant la grille. Mara ouvrit
grandlaportière.
–Jacqui?
Elizaallumauneautrecigarette.Bonsang,vousparlezd’unehistoire!
Maraluiavaitexpliquéenvitessepourquoiilfallaitqu’ellesselèventetvolentàlarescoussede
leurcamaradedechambre,maisElizan’étaitpassûred’avoirbiencomprislesraisonsquil’avaient
forcéeàquittersonlitdouilletàquatreheuresetdemiedumatin.
EllestrouvèrentJacquitapieprèsdesmarches.Quandellelesaperçut,ellefonditenlarmes.
–Oh,monDieu!Qu’est-cequis’estpassé?demandaMara,craignantlepire.
– Rien... rien. Je n’étais pas sûre que vous viendriez, c’est tout, répondit Jacqui, entre deux
sanglots.
Tremblanteetbouleversée,elleneressemblaitenrienàlaLatino-Américainesophistiquée,sûre
d’elleetblaséequ’ellesconnaissaient.Àlalumièredelalune,elleparaissaitréellementsesseizeans.
–J’aiétébête,dit-elle.J’auraisdûmedouterqu’ilsepasseraituntrucdanslegenre.
ElleleurparladeRupert,delafaçondontill’avaitappâtée,delasoiréegraveleuse,desmecs
lubriques,descamérasvidéo.
–Tuesmineure,ditEliza.Onpourraitlesenvoyerenprison.
–J’aisignéladécharge,admitJacqui.
–Etalors?Qu’est-cequeçapeutfaire?Çanetiendrapas,devantunjury.
– Allez, fichons le camp d’ici avant qu’ils n’essaient de faire de nouvelles recrues ! suggéra
Mara.
Jacquireniflapuiss’essuyalenezd’ungestedelamain.Ellejetauncoupd’œilàlavoiture.
–VousavezprislaVolvo?
Ellessedirigèrentversl’ouest,jusqu’àcettepartiedeLongIslandoùilyavaitplusdecentres
commerciaux que de soirées orgiaques. Après tout, il n’y avait pas que les Hamptons au monde !
Elles commençaient même à en avoir par-dessus la tête, à vrai dire. On y passait son temps à se
pomponneretàposerpourlagalerie.Ilfallaitsanscessesongeràassortirbikini,paréo,sacàmain
etsandales...Onmettaitdesheuresàsepréparerpourallernullepart.
–Regardez,unrestaurantdelachaîneDenny’s,ditMara.Çafaituneéternitéquej’aipasmisles
piedsdansl’und’eux.
–Çavousdit,unpetitdéjeuner?demandaEliza.
–C’estunesuperidée,approuvaJacqui.
Ellestrouvèrentunetabledansuncoin,prèsdelavitre,etouvrirentlesmenus.
–Quess’quej’voussers?leurdemandauneserveuseenuniformedevichy,coifféeàlamode
desannéessoixante.
Elleressemblaitsipeuauxsylphidesquileurapportaientleursminusculesportionsdetofuau
restaurantChezBabette,quelesfillesnepurents’empêcherd’échangerunsourire.C’étaitexactement
cedontellesavaientbesoin:unebonnedosederéalité.
–Jeprendsle«Spécialpoidslourd»,décrétaJacqui.
–Troisœufs,deuxpancakes,dubacon,dessaucissesetdujambon?demandaEliza,horrifiée.
Tout,danslaliste,dépassaitsonmaximumdequatrecentscaloriesparrepas.
–Çam’al’airextra.Moiaussi,jeleprends,décidaMaraenrefermantlemenu.
–Deux«poidslourds».Etvous,monchou?
Elizahésita.Àluiseul,lebaconfaisaittroiscentscalories.Maiselleavaitvraiment,vraiment
faim.
–Trois,dit-elle.
Elles engloutirent leurs petits déjeuners nageant dans la graisse et se mirent au courant des
dernièresnouvelles.
–Ettun’aspasreparléàJeremydepuis?demandaMaralorsqueElizaeutracontéàJacquice
quis’étaitpassé.
–Non.
–Tudoisallerletrouveretluidirecequetuéprouves,soulignaMara.C’estimportant.Vousne
pouvezpasenresterlà,touslesdeux!
– Je sais, je sais, soupira Eliza, piquant un gros morceau de saucisse avec sa fourchette et
l’enfournant.
–Jeremy...lemecquitondlapelouse?demandaJacqui.Ilestvraimentmignon.Jel’aicroisé
l’autrejour,iltecherchait.Jesuisdésolée.J’aioubliédeteledire.
–Ilmecherchait?Oh,monDieu!
–Tuvois...jesuissûrequ’ilressentlamêmechosequetoi.Maisilfautquetuaillesletrouverla
première,insistaMaraquiétaitd’unnaturelromantique.
–D’accord.MaisàconditionqueturompesavecJim.Tuméritestellementmieuxquececrétin.
Parcequec’enestun!
–Onadéjàrompu,répliquaMara.Hier,àvraidire.
–Ettun’asrienditàRyan?
–Non.Pourquoijeluidirais?demandaMara,obstinée.
JacquietElizaéchangèrentunregard.
–Seulementparcequ’ilestraidedinguedetoi,ditEliza.
–C’estdel’amour,déclaraJacqui.Jesaisreconnaîtreunhommeamoureux.Ilt’aimeàlafolie.
Iltedévoredesyeux.Ilesttellementépris!ajouta-t-ellesuruntondramatique.
–Maisnon.Ilaunepetiteamie.
–TuparlesdecetteCamille?demandaEliza.C’estdupassé.Ilmel’aditl’autrejour,ilnele
sentaitpas.Ilarompulasemaineoùlesgaminsétaientpartis.
– Et alors ? Il est peu probable qu’il s’intéresse à une fille comme moi, dit Mara d’une voix
calme.
Ellesavaitcequelesmecscommeluipensaientd’elle–ellel’avaitsulepremierjour.Lesmecs
commeluiétaienttropbienpourelle.
– Qu’est-ce que tu racontes, bon sang ? hurla Eliza, si fort que les routiers qui prenaient leur
petitdéjeunerseretournèrent.Tuescanon!Tut’esregardéedanslemiroircestemps-ci?demanda-telleàMara,obligeantcelle-ciàfixersonrefletdanslavitrine.
Jacquis’empressad’enrajouterunecouche.
–ÀSãoPaulo,lesfillescommetoi,onditqu’ellessont...c’estquoilemotdéjà...sexy.
–C’estsuper-gentildevotrepart,maisvousmefaitesmarcher,lesfilles,ditMara,sedétournant
desonreflet.
Auprès d’elle, il y avait Eliza, la sœur jumelle de Cameron Diaz qui, en dépit d’une terrible
gueule de bois, était aussi radieuse qu’un top-model. Il y avait Jacqui, la voluptueuse LatinoAméricaine. Et il y avait elle, le vilain petit canard. Mais, pour une fois, Mara étudia plus
attentivementsonreflet.LacoupedePierremettaitsespommettesenvaleur,etcenouveauchemisier
turquoisequ’Elizal’avaitaidéeàchoisirfaisaitparaîtresesyeuxplusbleusquejamais.Àforcede
courir après les gamins, elle avait même perdu quelques kilos. Devait-elle les croire ? S’était-elle
transforméeenpin-updujouraulendemain?
–Tuvois,ditEliza,d’untonsatisfait.Jetel’avaisdit.
–Etmaintenant,tuvasallertrouvercegarçon!ordonnaJacqui.
Elleétaittellementcontented’êtrelà,àcemomentprécis.ToutenregardantMaraécarteravec
unsouriremélancoliquelesbouclesquiluitombaientsurlevisageetElizacommanderd’ungestede
la main une tournée de milk-shakes (hé, qu’est-ce qui pouvait mieux s’accorder avec le « Spécial
poidslourd»?),Jacquiréalisaqu’aprèstoutcequileurétaitarrivécetété,ellesétaientdésormais
vraimentamies.
Eliza,MaraetJacqui
découvrentlemeilleur
desHamptons
Le soleil se levait lorsqu’elles reprirent la route 67 en direction d’East Hampton. Les étals de
fruitsetlégumesétaiententraind’ouvrirsurlebas-côté.Elizaparvintàconvaincresesamiesdene
paslaisserpasserl’occasiond’acheterlesmeilleuresprimeursducoin.
–Annavatoujoursaumarchéd’Amagansett,maisilestprisd’assaut.C’estbeaucoupmieuxici.
Elizahumaitl’air,tandisqu’elless’avançaient,examinanttouslesstands.
Les épis de maïs formaient de hautes piles. Sous leur enveloppe vert pâle, les grains étaient
ivoire,oujaunescommedesjonquilles.Ilyavaitaussidespamplemoussesgroscommedesballons
debasket,desorangesquiparaissaientirradierdelumière,descarotteslonguesetcharnuescomme
des bras, de la trévise, de la chicorée, de la roquette et autres salades fantaisie pour moins de un
dollarlabotte.
Elizaleurmontral’étalduboulanger,couvertdepaindeseiglesansblénigluten,depainsau
levain,depainstressés...
EllesreconnurentCindyCrawfordqui,sousunecasquettedebase-ball,reniflaitdeskakis.
– Hé, regardez, une tarte maison à la pêche et aux myrtilles, dit Mara en se rapprochant du
délicieuxparfum.Prenons-enunepourlesenfants.
–Madisonvaadorer!approuvaEliza.
–Auxpêches!LefruitpréférédeZoë!ajoutaJacqui.
–QuantàWilliam,ilseracontentdelajetercontrelemur!plaisantaMara.
Elles achetèrent un ballon en forme de Bob l’éponge pour Cody et remplirent le coffre de
cageots d’agrumes, de pains à peine sortis du four, de grosses tomates grappe rouge orangé, de
choux-fleursetdebrocolis.Etdesuffisammentderaisinpourfabriquerleurpropretonneaudevin!
Elizalesdéposadevantlamaison.
–Tuvasoù?demandaMara.
–JeremyselèvetouslesmatinspourallercouriràMontauk.Jevaisvoirsijel’ytrouve.
–C’estbien,ditMaraenserrantlebrasd’Eliza.Etmoi,jevaisallerchercherRyan.
–Vas-y,frangine!s’exclamaElizaavecunsourire.
Soudain,Jacquileurpassaàtoutesdeuxunbrassurl’épaule,cequin’étaitpastrèscommode,vu
qu’Elizaétaittoujoursdanslavoiture.
–Vousêteslesmeilleures!
ElizadémarraetJacquietMaracontournèrentlamaison,endirectiondel’alléepavée.
–Jevaismecoucher,ditJacqui,àpersonneenparticulier,enmontantl’escalierbranlant.
Mais il lui faudrait également prendre une longue douche chaude, pour faire réellement peau
neuve.
Marapasseenfin
àl’action!
La maison principale était vide lorsque Mara se faufila à l’intérieur : les employés de cuisine
eux-mêmes n’étaient pas réveillés. Elle monta l’escalier, s’arrêta devant la chambre de Ryan,
entrebâillalaporte...
–Ryan?murmura-t-elle.Tuesréveillé?
Maintenantqu’ellesavaitcequ’ellevoulait–lui–elleavaithâtedeleluiannoncer.Etsiluinela
voulaitpas,ehbien,elleysurvivrait.Ceàquoiellenesurvivraitpas,enrevanche,ceseraitdenepas
luiavoirparlé.
Elle ouvrit plus grand la porte et entra dans la chambre. Sur son bureau se trouvait le jeu de
cartes de l’autre soir, quelques brindilles qu’ils avaient ramassées sur la plage pour en faire
d’éventuelsbâtonsàmarshmallowsetlelivrequ’elleluiavaitprêté–LeZenetl’artdel’entretiende
lamotocyclette.Illuiavaitconfiénejamaisl’avoirlu,etellel’avaittancésursonmanquedeculture
littéraire.
Sessurfsetsesskate-boardsétaientposéscontrelemur.
Maissonlitn’étaitpasdéfait.
L’édredonbleuétaitparfaitementreplié.
Soncœurseserra.Sansdouten’était-ilpasrentréhiersoir.S’iln’étaitpasavecCamille,ilétait
avec une autre. Qu’est-ce qu’elle s’imaginait ? Qu’il allait l’attendre tout l’été ? Mara se rappela
toutes ces filles qui, aux soirées auxquelles ils avaient assisté cet été, lui avaient très clairement
manifestéleurintérêt.
Ellerefermalaportederrièreelle.Ilavaitdûtrouverquelqu’unpourluitenircompagnie–une
de ces nièces Bush ou de ces riches héritières de la famille Hearst qui étaient pendues à ses lèvres.
VoireunedecesjoliesIrlandaisesquitravaillaientdanstouslescafés,barsetboutiquesdelocation
dekayaksdesHamptons.
–Bonjourmademoiselle,luilançaStevens,lemajordome,lorsqu’ilpassadevantellepouraller
ouvrirlesrideauxdanslachambredemonsieur.
Ellehochatimidementlatête.
Lapiscinescintillaitdanslalumièredumatin.Elleseditqu’elleétaittoutdemêmetrèsheureuse
d’avoir passé l’été dans un cadre aussi merveilleux. La surface de la piscine à débordement se
confondaitaveclebleudel’océan.C’étaitunevisiondontMaranepourraitjamaisselasser.
Elleramassamachinalementlesjouetsdesenfantsenregagnantlecottagedesfillesaupair.La
peluche de Zoë, la Game Boy que William avait égarée, la couverture de bébé de Cody, les deux
poupéesmannequinsdeMadison.
Ellecontournalemur,ets’arrêtanet,lesoufflecoupé.
Là,danslehamactenduderrièrelecottage,étaitallongéRyan,endormi.
Elle l’embrassa doucement sur la bouche pour le réveiller. Son prince assoupi. Ses narines
vibraientaurythmedesarespiration.Ellesentitlatendresseetl’affectionl’envahir.
Ilclignadesyeuxet,l’apercevant,eutunsourire.
–C’étaitpourquoi?
–J’enavaisenvie,c’esttout,dit-elleenluirendantsonsourire.
–Jet’aicherchéetoutelanuit.Oùest-cequetuétaispassée?
–Nullepart.Jet’aicherchémoiaussi.
–Çaalors!
Elle se pencha vers le hamac, et il l’attira pour qu’elle vienne s’y pelotonner près de lui. Le
hamacsebalançasousleurspoidscombinés,lesprojetantl’uncontrel’autre.
–EtJim?demanda-t-ileneffleurantsonbrasnu.
–Onarompu.
–Etcen’estpastropdur?
–J’auraisdûlefaireilyatrès,trèslongtemps.
–Trèsbien,dit-ild’unevoixensommeilléeavantderefermerlesyeux.
Maraseblottitsoussonaisselle,heureusedesentirsesbrasfortsetrassurantsautourd’elle.Elle
auraitvoulurestertoujoursainsi.
Leventfaisaitoscillerlehamac.Ilss’endormirentausondesvaguesvenantsebrisersurlarive.
ElizavaàMontauk
pourlapremièrefoisdel’été
Pitié,pitié...pourvuqu’ilsoitlà!serépétaitEliza.Pitié,pitié,pitié...
Elle se gara sur le parking et marcha jusqu’à la plage. À l’exception de quelques courageux
nageurs, il n’y avait personne. C’est alors qu’elle le vit. Il était vêtu d’un short et d’un anorak
défraîchi.
–Jeremy!Jeremy!cria-t-elle.
Ilseretourna,l’aperçut,continuaàcourir.Plusvite.
Elizaretiraprécipitammentseschaussuresàtalonscompensésetcourutpourlerattraper.
–Jeremy,jet’enprie,supplia-t-elle.Attends-moi!
Maisilcouraittoujours.
–JET’AIME!cria-t-elle.
Enfin,aubeaumilieudelaplage,ils’arrêtaetretiralecasquedesonwalkman.
–Qu’est-cequetuasdit?
Elleseprécipitaverslui,sanssesoucierdesbrisdecoquillagesquiluipicotaientlaplantedes
pieds. Elle se campa juste devant lui. Il avait le visage luisant de sueur, les cheveux frisés par
l’humidité.Maisilluiparutencoreplusbeauquedanssonsouvenir.
–Jesuisdésoléepourl’autresoir...Jenesaispascequim’apris...ouplutôtjelesais,etjem’en
veuxtellement.Jet’aime.Jen’aijamaisressentiçapourpersonne,etjevoulaisquetulesaches,dit
Eliza,encherchantvainementunetraced’affectionsurlevisageimpassibledeJeremy.PourquoiastudonnétadémissionauxPerry?
– Tu crois que j’aurais pu y travailler... continuer à te voir... tout en sachant ce que tu pensais
véritablementdemoi?demanda-t-il.
Elizavitàquelpointellel’avaitblessé.
–Jet’enprie,pardonne-moi.Onpeuttoutreprendreàzéro?S’ilteplaît!
Elleretintsonsouffle.Ilfallaitqu’ilrépondeoui,illefallait!Elleluiavaitditqu’ellel’aimait.
Cesmots,ellenelesavaitencorejamaisditsàvoixhaute.Àpersonne.
–Jenesaispas,dit-il,lesyeuxrivéssurlesable.Jecroisqu’onesttropdifférents,ajouta-t-ilen
secouantlatête.Cen’estpassisimple.
–Onnepourraitpasessayer?
Elleessayadeluiprendrelamain,maisillarepoussa.
Cen’étaitpasainsiqueleschosesauraientdûsepasser.Ilétaitcensél’embrassertoutdesuite,
luidirequetoutétaitoubliéetqu’illuipardonnait.Maissonvisageétaitsombre.
–Cen’estpascommeunrobinetqu’onpeutouvriroufermer,expliqua-t-il.Ilfaut...ilfautqueje
réfléchisse.Laisse-moiunpeudetemps.
Ilremitsesécouteursetrecommençaàcourir,s’éloignantd’elle.
Elizalesuivitdesyeux,ignorantcommentréagir.Ellenes’étaitjamaismontréeaussivulnérable
devantquelqu’un,etellevenaitd’êtrerejetée.
Il avait demandé du temps. Mais le premier lundi de septembre approchait à grands pas. Elle
n’avaitpasletempsd’attendre.Dansunesemaine,ellerentraitàBuffalo.
Maraatrouvélebonheur...
dansunhamac
–Ohlesamoureux!Ohlesamoureux!scandèrentenchœurMadisonetZoë,réveillantRyanet
lafilleaupairquidormaitdanssesbras.
– MARA ET RYAN SONT AMOUREUX ! ricana William en produisant d’affreux bruits de
succioncensésimiterlesbaisers.
–Chut!fitRyan,agitantlesbraspourchassersesfrèresetsœurs.
–Réveillez-vous!Réveillez-vous,lesendormis!Onveutallernager!
Maraclignadesyeuxetsourit:
–Pourcommencer,allezvouschanger!Onseretrouveauborddelapiscine.
Aulieudeça,lesfillessehissèrentdanslehamacetWilliam,quidétestaitêtrelaissédecôté,
grimpaluiaussi.
–Oh,cequetueslourd!s’exclamaRyanenserrantsonpetitfrèredanssesbras.
Maraéclataderire,tandisquelesgaminsfaisaientfurieusementtanguerlehamac.
– On va tous tomber ! Eh bien, si personne ne veut partir, moi j’y vais ! menaça-t-elle,
s’agrippantàl’undesbordsduhamacpournepassefairemalendescendant.
–Non!Toi,turesteslà!protestaRyanenl’attirantànouveaucontrelui.
Àl’autreboutduhamac,lespetitesfillessemurmuraientdeschosesàl’oreille,faisantuncornet
deleursmainsminuscules.
–Zoëetmoiavonsdécidé,ditMadisond’untontrèssérieux,quetuesBEAUCOUPplusjolie
quel’anciennepetiteamiedeRyan.
– Oh, merci, dit Mara, avec un clin d’œil à Ryan. Alors comme ça, je suis plus jolie que
Camille?
MadisonetZoëparurentdéconcertées.
–Camille?
–Heu...l’anciennepetiteamiedeRyan?hasardaMara.
–TuveuxdireSophie?demandaMadison.
–OuAnnette?intervintZoë.
–Iln’yenapasqu’une?demandaMara.
–Madison!Zoë!Nerépondezpas!ditRyan,plaisantantàmoitié.
–Ilyenadestonnes!assuraMadison.
–Destas,confirmaZoë.
Maraécarquillalesyeux.
–Ahoui,destas?Combien,aujuste?demanda-t-elleàRyan.
–Ilfautvraimentqu’onparledeçamaintenant?ditRyandansunéclatderire.Çan’apastant
d’importance,non?Enfin...noussommesensemble,àprésent.
Maraparaissaitdécouragée.
–Messœursnesaventpasdequoiellesparlent,dit-il,luiprenantlementonetl’embrassantsur
labouche.Iln’yaqu’avectoiquej’aienvied’être.OK?
–OK.
Dumomentquec’étaitclair.
Lespetitesfillespoussèrentunsoupirdebonheur.C’étaittellementromantique.
Quelquesminutesplustard,Jacquiapparut,seslunettesdesoleilsurlenez.Elleétaitenshortet
portaituncroissantetungobeletdecaféprovenantdelaHamptonCoffeeCompany.Soussonautre
bras,elleavaitcoincéplusieursjournauxetmagazines.
–Tuesqui,toi?luidemandaWilliamensedirigeantverslapiscine.
–Jacqui...Jemesuisoccupéedetoitoutl’été!plaisanta-t-elle.
Williameutl’airdéconcerté.JacquisouritenvoyantMaraetRyanblottisl’uncontrel’autre.
– Regardez ce que j’ai trouvé ! dit-elle en brandissant le New York Magazine, le Hamptons
Magazine,leNewYorkPost,leNewYorkDailyNewsetleNewYorkTimes.
IlyavaitdesphotosdeMarapartout,signéesdesonamiLuckyYap.
«LadernièrecoqueluchedesHamptons!Etellen’apaseubesoind’emboutirlafaçadearrière
d’une boîte de nuit ou de tourner une vidéo porno pour y parvenir ! » claironnait la toujours-trèssobrepage6.
– Hé, tu es plus célèbre que moi, dit Ryan en remarquant que la dernière série de photos ne
mentionnaitmêmepas«l’héritierdesPerry».
Marafeuilletalesmagazinesetlesjournauxavecunsouriresongeur.Ellesesentaitsûred’elle,
etivredebonheur–nonparcequ’elleavaitatteintenunesaisonceàquoileshabituésdesHamptons
aspiraienttouteunevie,maisparcequ’elleétaitaveclegarçonqu’elleaimait.
Jacquiaccomplit
desprodiges
Jacqui rassembla les gamins et les conduisit à la piscine. Elle gonfla les brassards de bain de
Codyetlesenfilasursesbraspotelés.
–Allons-y!s’exclama-t-elleensautantdanslegrandbain.
Choseétonnante,illasuivit,faisantgiclerl’eauetagitantsespetitesjambescommeuncanard.
–C’estbien!C’estbien!ditJacquidansunéclatderire.
Elleétaitinconsciented’avoiraccompliunmiracle–MaraetElizaavaientpassél’étéàessayer
defairesurmontersaphobieaubébé,maispourJacqui,quin’étaitjamaislà,Codyétaitunnageur-né.
Williamsautaluiaussidanslapiscine,manquantdepeudeheurtersonfrère.
–Faisattention!grondaJacqui.
Lepetitgarçonluitiralalangue.
–Coulé!dit-ilenenfonçantlatêtedeCodydansl’eau.
–WILLIAM!
Ce gamin était un véritable cauchemar. Il lâcha son frère et, en gloussant, nagea vers l’autre
extrémitédelapiscine.
Codyclapotaitallègrement.
–Pasmal!ditKevinPerry,ens’agenouillant.Hé...Jacqui...c’estbiença?Çavousdiraitdefaire
un tour au sauna, un peu plus tard ? On vient d’installer un nouveau pommeau de douche. Il est
incroyable!
Jacquigagnaleborddelapiscine.Ellenesupportaitplusd’êtreobservéepartouscestypesqui
bavaientdevantelle.Etaprèscequis’étaitpasséàlafête,elleenavaitsoupédeshommesplusâgés.
–Jenecroispasquevotrefemmeapprécieraitdevousentendremeparlercommeça,dit-elle
calmement.
Ilparutdésorienté.Bienplusqu’iln’auraitdûl’être.
–Biensûr.Ehbien...heu...àplustard,alors,bafouillaKevin.
Jacqui hocha la tête. Quel soulagement ! Après des années passées à s’aplatir, à faire des
courbettes et à flirter avec les hommes pour un pourboire, un trajet en voiture, un verre ou une
invitationàunesoirée,elleparvenaitenfinàserebiffer!
Çaluifaisaituneffetdutonnerre.
Nouvelaccèsd’amabilité
d’AnnaPerry
Unefoisdeplus,Annaétaitassiseenboutdetable,lorsquelesfillesaupairdéboulèrentdansla
salledeprojection,pourleurrapporthebdomadaire.Lesmiraclesnecesseraient-ilsdoncjamaisde
seproduire?
Lestroisfillesprirentplaceautourdelatable.
–OùestKevin?chuchotaEliza.
Jacquihaussalesépaules.
Depuis que Jacqui lui avait fait comprendre qu’elle ne tolérerait plus ses avances, Kevin avait
trouvédemeilleuresmanièresdepasserletemps.
Lesfillesétaientunpeunerveuses.Ellesétaientcenséestoucherleurdernierversementàlafin
delaréunion–àmoinsd’êtrerenvoyéesavant.Ellesignoraienttoujourscequiavaitsuscitélamiseà
pieddelapremièrefournéedefillesaupairetleSuperSamedin’avaitpasétéleurmeilleurjour.
MaisAnnaétaitvisiblementauxanges.
– Eh bien, j’espère que vous avez passé un été fantastique, dit-elle. Ça a certainement été mon
cas.
OnluiavaitdemandédeprêtersoncourtdetennispourleTournoiCartier,cequilahissaitau
rangdesSwid,KravisetDavisdelaville.ÇalaconsolaitdeladébâcleduSuperSamedi.Enfin,plus
oumoins.
Lesfilleshochèrentlatête.
– Votre dévouement manifeste aux enfants me va droit au cœur, poursuivit Anna. Tout
particulièrementencequiconcerneCody.Quellesurprisedelevoirnagercematin!s’extasia-t-elle
enportantlamainàsoncœur.Levoirsurmontersaplusterriblepeur...Iln’estpasdeplusgrande
fiertépourunemère!
MaraetElizaacquiescèrent,sedemandantcommentdiableJacquis’yétaitprise.
– Et ce livre en portugais que tu fais lire à Zoë, Jacqui. Nous espérions tout juste lui faire
déchiffrer l’anglais. Mais qu’elle puisse parler deux langues, ce serait formidable ! La responsable
desinscriptionsdesonécolepensequeçalaferapartird’unbonpied,àlarentréeprochaine.Elledit
queZoëparviendracertainementàentreràDalton.
MaraetElizaéchangèrentunnouveauregardperplexe.Quandcelas’était-ilproduit,aujuste?
–Mieuxencore,Madisonaperducinqkilos!seréjouitAnna.
Lafillettes’étaitgoinfréetoutl’été–lapertedepoidsétaitsimplementunphénomènenaturel
chezuneenfantdesonâge–maislesfillessegardèrentbiendelementionner.
–Bienentendu,Williamestencoreunpeunerveux.Maisn’endemandonspastrop...aumoins,il
a cessé de mordre les gens, continua Anna. Il est si tentant de se disperser, dans les Hamptons. Il y
règneunetellefrénésie,avectoutescessoirées,toutescesboîtesdenuit...
Àcesmots,ellesaffichèrentunairvaguementcoupable.
– Je ne vous l’ai jamais dit, mais c’est pour ça que nous avons dû nous débarrasser des
premièresfillesaupair!Ellessortaienttouslessoirs!
Lesfillessejetèrentdescoupsd’œilenbiais.
–Noustenonsdoncàvousféliciterpourlaqualitédevotretravail.Voiciledernierversement,
agrémentéd’unepetiteprime,conclutAnnaavecunclind’œil.
Elizapoussaunsoupirdesoulagement.Sondécouvertétaitdeplusenplusimportant.Elleallait
commenceràlecombler,cettefois-ci,aulieudel’aggraverencore.Vraiment.Dèsqu’elleseserait
payé cet adorable manteau en tweed repéré chez Scoop, l’autre jour. Hé, l’automne approchait à
grandspasetlarentréenécessitaitunenouvellegarde-robe...
Mara croisait les bras sur sa poitrine. Elle avait gagné plus de dix mille dollars en un été.
Waouh!Lesfraisd’inscriptionàlafacetuneCamryvieillededixans.Pouvait-onrêvermieux?Elle
avait beau s’être transformée en une superbe créature, elle n’en restait pas moins, au plus profond
d’elle-même,lapetiteprovincialed’autrefois.
Jacquirangeasonenveloppe.Unefoisderetour,elleachèteraitàsagrand-mèrelaplusgrande
statue de la Vierge Marie que la vieille dame ait jamais vue – en recevant un tel cadeau, celle-ci
comprendraitàquelpointJacquil’aimait.
MaisAnnan’avaitpasfini:
– Au fait, nous aimerions vous avoir avec nous à Noël. Nous passons, comme chaque année,
deuxsemainesàPalmBeach.Notrenounouhabituellenousalaissésenplan–ellepartenAngleterre.
Vous pensez que ça pourrait vous intéresser ? La paie est de cinq mille dollars. On peut tous se
retrouveràNewYorkets’yrendredansnotrejetprivé.
PalmBeach?ÀNoël?Cinqmilledollars?Unjet?Ellessignaientoù?
QuandPuffDaddy
donneunesoirée,
ilnefaitpasleschosesàmoitié
Lepremierlundideseptembrearrivaet,aveclui,la«soiréeblanche»dePuffDaddy,dernier
grand événement de la saison. Eliza avait passé trois jours au téléphone pour s’assurer trois
invitations.Kitétaitunenouvellefoisintervenu,etLuckyYapleurenavaitenvoyédeux.Ellesétaient
donctranquilles.
Mara traînassait dans la chambre de Ryan, l’observant pendant qu’il passait un costume en lin
blanc.Alorsqu’ilboutonnaitsachemisedevantlemiroir,ilsurpritsonregard.
–Qu’est-cequeturegardes?demanda-t-il.
–Monbeaupetitam...,commença-t-elle,avantdeseraviser.
Avait-ellevraimentutilisécemot-là?Comments’était-ellepermis?Ellenesavaitmêmepasce
qu’il pensait de tout ça. Peut-être prenaient-ils simplement du bon temps ? Il n’était pas dans ses
intentionsdedéfinirsitôtleurrelation.
Lisantladétressesursonvisageetdevinantàquoielleétaitdue,Ryanseretourna,grimpasurle
litetl’embrassasurlajoue.
–Jepréfèreregardermabellepetiteamie,murmura-t-il.
Mara se renversa sur le lit et l’attira contre elle en s’agrippant au collier de cuir qu’il portait
toujoursautourducou.Lesoreillersétaientencoretièdes.
Ryanembrassasespaupières,sonnez,sesjoues.
–Onnedevraitpeut-êtrepass’habillertoutdesuite,chuchota-t-il.
–Peut-êtrepas,approuva-t-elle.
Elizafixaleplacardd’unœilsceptique.Commentétait-cepossible?Toussesvêtementsblancs
étaientsales,jaunisoutachés.Ellen’avaitrienàsemettrepourlaplusfameusesoiréedelasaison.
Àmoinsque...
Ellegagnadiscrètementlamaisonprincipale.Blancheetdiaphane,larobeVersacequeSugarlui
avait demandé de porter chez le teinturier plus tôt dans la semaine était toujours pendue dans son
dressing,attendantd’êtreenfilée.MaisSugarnerentreraitpasdesonépilationmaillotavantunbout
detemps.
Sugarauraitl’airlivide,là-dedans,songeaEliza.Honnêtement,jeluirendsservice.
Elizas’emparadelarobe.C’étaitsadernièresoiréeauxHamptons.Etpuis,neméritait-ellepas
delaporter?C’estellequienavaitprissointoutl’été.
Avecunbâillement,Jacquipassaunchemisieretunejupemi-molletsblancs.C’étaitsatenuela
plus classique. Pour une fois, elle souhaitait passer inaperçue. Les types lui posaient trop de
problèmes,cestemps-ci.Çaluifaisaitdubien,d’êtrecélibataire.
Legroupes’étaitdonnérendez-vousdansl’allée.MaraetRyanémergèrent,maindanslamain,
de la grande maison. Ils avaient les joues rouges et rayonnaient, dans leurs costume et tailleurpantalonassortis.
Elizalesrejoignitsurleseuil,danslarobeVersacequ’elleavaitempruntée(enfin...volée).
–Ceneseraitpas...,commençaRyan,enreconnaissantlarobe.
–Elleestàmoi!rétorquaEliza.
Pourlasoirée,entoutcas.Fauted’avoirJeremy,elleauraitaumoinsunerobeVersace.
Jacquis’avançadepuislejardin,sublimissimedanssatenue«classique».
–Toutlemondeestprêt?demanda-t-elle.
MaraetRyanprirentl’AstonMartin.ElizaetJacquitrouvèrentplusamusantd’yallerenVespa.
Quellejoie,denepasavoiràchercheroùsegarer!
Ilsroulèrentjusqu’àSettler ’sLanding,oùsedressaitlasomptueusedemeuremodernedontla
grille en fer forgé portait le monogramme de Puff Daddy. Plusieurs pavillons blancs avaient été
dressésàl’entrée,pourmieuxprocéderaucontrôledesinvités.
Eliza leur raconta que la ville elle-même avait dû être assurée, pour rien moins que cinq
millionsdedollars,contretoutaccidentenrapportaveclasoiréeetque«Puffy»avaitfaitérigerun
pavillon de près de trois mille cinq cents mètres carrés flanqué d’un mur en mousse plastique de
vingt-cinqcentimètresd’épaisseur,pourprotégerlevoisinagedesdouxaccordsdeFunkmasterFlex.
–J’aientendudirequ’ilafaitplantertoutunverger,lasemainedernière,pourquecesoitplus
champêtre!ditEliza.
Dans la file d’attente, ils repérèrent Leonardo di Caprio, à qui plusieurs robustes gardes du
corps tapotaient l’épaule. Leo était une blanche apparition, de sa casquette ivoire à ses chaussures
d’unblancimmaculé.IlyavaitTopherGrace,accompagnéd’AliHilfiger;GavinRossdaleaubras
deGwenStefani;Eve,Li’lKimetBustaRhymespapotantavecZacPosen,PazdelaHuertaetClaire
Danes.
Les trois filles retinrent leur souffle quand l’un des imposants physionomistes fit passer leurs
cartonsd’invitationsousundétecteurlaser.Uneéternitésemblas’écouleravantqu’unsignalsonore
neconfirmeleurauthenticité.
–Allez-y,ditleportiervêtud’unimpeccablecostumetroispiècesenlesfaisantentrer.
Unehôtesseenrobededentelleblancheleurprésentaunplateau.
–Champagne?
Tousquatreprirentunverreettrinquèrent.
–Ànoustous!lançaMaraenguisedetoast.
Difficiledefaireplusringard.Maisellepouvaitselepermettre–elleétaitl’unedescoqueluches
desHamptons!
Çaasesavantages,
dedonnerunbonpourboire
auvoiturier
Ils trouvèrent une table inoccupée, non loin de l’endroit où Amanda Hearst était assise, en
grande conversation avec André 3000. La soirée annuelle de Puffy mêlait, à doses égales, fortunes
héréditaires et rappeurs récemment enrichis. Des aristocrates échangeaient des anecdotes hautes en
couleuravecdeschefsdegangàdentsenor.Lesfillesdebonnefamillelesplusenvuedel’Étatde
New York dansaient avec des stars de Hollywood ou des vedettes de hip-hop. Une tente blanche de
stylemarocainavaitétédresséeetdesdanseusesduventrevêtuesd’ensemblesincrustésd’ivoireetde
perlesfaisaientclaquerleurscymbalesàdoigtsentournoyantparmilafoule.
–Visezunpeu!Sonmonogramme...ilestpartout!s’exclamaMara.
Eneffet,lesinitialesdeleurhôtesetrouvaientaufonddelapiscine,surlesserviettesdetableet
surcellesdestoilettes–sansoublierlesbaignoiresetlemoindretorchon.
–Ouais,soupiraEliza.
Bizarrement,lefaitd’avoirréussiàdégoteruneinvitationpourlameilleuresoiréedelasaison
nesuffisaitpasàluiremonterlemoral.
–Nefaispascettetête-là!ditMara.C’estladernièresoiréequ’onpasseensemble!
Elizaparvintàesquisserunsourire.
–Jesais.Jevaisfaireuneffort.
Jeremynes’étaitmêmepasdonnélapeinedel’appeler.Illuiavaitditdeluilaisserunpeude
temps,maisElizan’enavaitplus.Kit–leseuldelabandequiluiparlaitencoreaprèsqu’elleeneut
étéexcluepourcausedepauvreté–luiavaitproposédelarameneràNewYorklelendemain,etelle
avaitsonbilletdecarpourrentreràBuffalo.
–Quisait?Ilteréservepeut-êtreunesurprise,fitremarquerMara.
– Je sais. J’ai le sentiment que ça peut encore marcher, dit-elle d’un ton découragé. Je lui ai
donnémonnuméroàBuffalo.Ilm’appellerapeut-êtreplustard.
– S’il ne le fait pas, il y a un million d’autres gars qui seraient prêts à s’entretuer pour sortir
avectoi,ditMara,enbonnecopine.
Elle n’aurait jamais pensé compter une fille comme Eliza parmi ses meilleures amies – mais
voilà,c’étaitarrivé.
–C’estpossible.
L’étéavaitétépalpitant,certes,maiséprouvantpoursonorgueil.Avantceséjour,l’idéequ’elle
puisses’amouracherd’unjardinierluiauraitparurisible,voireabsurde.ElleétaitElizaThompson,
lafilleàquinulnepouvaitrésister.
Or Eliza Thompson n’obtenait plus tout ce qu’elle désirait. Elle commençait à en prendre
conscience.
Lindsay et Taylor passèrent près d’eux. Lorsqu’elles virent Eliza, elles n’en crurent pas leurs
yeux. Elle... ici ? Malgré tout, elles décidèrent de s’arrêter à sa table et de lui montrer à quel point
ellespouvaientêtrebonnesetgénéreuses.Enoutre,ellesn’auraientpasàlafréquenteràNewYork.
Ellesétaientaucourant,pourBuffalo.
Maislorsqu’elless’approchèrent,Elizadétournalatête.Elleavaitbeausavoirqu’ellesn’étaient
pastotalementresponsablesdeleurattitude,celanel’obligeaitpasàfairesemblantdelesaimer.À
direvrai,ellenelesavaitjamaisvraimentaimées.PascommeelleaimaitMaraetJacqui,entoutcas.
–Heu...salut?fitLindsay.
Taylors’éclaircitlagorge.Eliza,faisantmined’êtrefascinéeparlecontenudesonverre,les
ignoradélibérément.
LesdeuxfillesrestaientplantéeslàtandisqueRyan,MaraetJacquisouriaientsansdireunmot.
Puis,faisantvolerleurscoiffuresparfaitementdégradées,elless’éloignèrentdansleurschaussuresà
quatrecentsdollarset,pourlapremièrefois,Elizafutréellement,sincèrementheureusedelesvoir
s’enaller.Ellebaissalatêteet,fixantsacoupedechampagne,songeaquetoutcelanecomptaitplus
dutoutàsesyeux.Elleenauraitfait,deséconomies–neserait-cequesurlessacs!–sielleavait
compriscelaquelquesannéesplustôt!EllerenonceraitvolontiersàsonsacàmainTod’s,àsonsac
MarcJacobs,etàsonsacPradanoir–lemêmequeGwynethPaltrow–pourrevoirJeremy.
Etsoudain,commeparmagie,Jeremyapparut.
–Salut,Eliza,dit-il.
Vêtu de l’uniforme blanc des voituriers, il avait les mains dans les poches et paraissait
horriblementtriste.
–Jeremy!Qu’est-cequetufaislà?
–J’aitrouvéunboulotdevoiturier,dit-il.
–Pourquoi?
–Jesavaisquetuseraislà.Jevoulaistevoir.
–C’estvrai?
Elleparaissaitsipetite,sivulnérable,etpourunefois,n’essayaitpasdesefairepasserpourune
autrequ’elle-même.
Lerestedelatabléeenprofitapourseretirerdiscrètement.
Elizaseleva.Elleleregardadanslesyeuxetvitcombienellel’avaitblessé.
–Jenevoulaispasquetupartesavecl’idéequejenemesouciepasdetoi,dit-il.
Lesyeuxd’Elizas’embuèrentdelarmes.Pasdelarmesdecrocodile,cettefois-ci.Ellevoulaitse
jeterdanssesbras,effacerl’affreuxchagrinqu’ellelisaitsursonvisage,luidirequ’ilimportaitpeu
qu’ilsaientétésilongtempsséparés...quel’important,c’étaitqu’ilsoitlà,àprésent.
Etc’estcequ’ellefit.
Elle bondit hors de son siège et se jeta à son cou, devant Puffy, Demi, Leonardo et ses deux
anciennesamies.
Surpris, Jeremy tomba à la renverse, l’entraînant dans sa chute. Sur l’herbe, ils s’enlacèrent,
s’embrassèrent,sesourirent.TantpispourlarobeVersace–elleétaitavecJeremy.
–Oh,monDieu...c’estquoicedélire!CeneseraitpasEliza,entraind’embrasserlevoiturier?
–Tusaisquoi?Ilestplutôtmignon,reconnutTaylor.
Ellescommençaientàsaisir:Elizaconnaissaitdeschosesqu’ellesignoraient.
Ças’appelle
lekarma
JacquisouritenregardantElizaetJeremy.MaraetRyanétaientauborddelapiscine,blottisl’un
contrel’autre.Jacquisentaitvenulemomentdes’esquiver.Toussesamisparaissaienttrèsoccupés.
Tout en se réjouissant pour eux, elle s’apitoyait sur son sort. L’été qu’elle venait de passer
correspondaitsipeuàcequ’elleavaitespéré.
Ellesecoualatêtelorsqu’onluifourrasouslenezunplateaudecanapés.
Maisellen’oubliapas,àlasortie,deprendreunsac-surprise.Unsacdeshoppingblancornéde
l’inévitablemonogramme,contenantunpeignoirblancentissuéponge,deschaussonsblancsassortis
etunebouteilledevodkaAbsolut(lamarqueayantsponsorisélasoirée,cetteannée-là).
–Vouspartezdéjà?luidemandaalorsqu’elles’apprêtaitàfranchirlagrilleuntrèsbelhomme
auxtraitsfamiliers.Vousêtesencoreplusjoliequandvousnepleurezpas.Ondiraitquevotreétése
terminemieuxqu’iln’acommencé,ajouta-t-ilavecunsourire.
C’étaitNachoFigueroa–lejoueurdepoloargentincroiséàcefameuxmatch!
–Hé!Jacqui,c’estbiença?
Elle se retourna. Près du camion d’un vendeur de glaces ambulant (qui sait de quoi pouvaient
avoirenvielesinvités,encasdepetitefaim!)setenaitl’amid’Eliza,Kit–legentilgarçonquileur
avaitprocurélesinvitationspourlasoirée.
–Salut,Kit,dit-elleenluifaisantlabise.
Kitavaitl’airravi.Nachoreculad’unpas,visiblementperplexe.
Elleleursouritàtousdeux.Sonportablesonnaàcemomentprécis.
–Espereummomento,dit-elleàNacho.Excuse-moiuninstant,dit-elleàKit.
–Pronto?
–Jacqui,c’estLuke.TonLuca.
Ilétaitmanifestementsoûl,maisJacquivoulaitsavoirdequoiilretournait.
–Sim?
–Quelqu’unaappeléchezmoiàtroisheuresdumatinetmapetiteamie–enfin,monex-petite
amie–s’estfichueenrogne.Onarompuet...voilà,tumemanques,Jac.
–Oh,coitado,répliquaJacquid’untonacerbe.
–Etmaintenant,elleestavecLéo,tucroisça?continua-t-ild’unevoixpâteuse.Qu’est-ceque
vousluitrouvez,àcetype?Etenplus,illouche!Alors...qu’est-cequetuendis?Toietmoi?Jesais
quetun’aimespasêtreseuleet...jemesenssiseulmoiaussi.
Jacquiritintérieurement.Ilyavaitdoncunejustice,encebasmonde.
–Désolée,Luca,maisc’estnon.Ciao!
ElleraccrochaetsetournaànouveauversKitetNacho.Mmm...Lefringuantjoueurdepoloou
l’amid’enfanced’Eliza?
Jacqui hésita. Joueur de polo... Ne serait-ce pas la version longue de « joueur » ? Nacho
paraissaitgentil,maisJacquienavaitassezdeshommesoccupésàjouer.
–Tumeramènes?demanda-t-elleenglissantsonbrassousceluideKit.Ciao,Nacho!
Kitétaitauxanges.Etsilesgenssetrompaient,aprèstout?Etsic’étaitlesgentilsgarçonsqui
finissaienttoujoursvainqueurs?
Finduséjour,
maisdébut
detantd’autreschoses
Àminuitetdespoussières,Maragrimpal’escaliermenantàlachambremansardée.Elletrouva
Jacquiendormiesurlacouchetteduhaut.
–Jac?Tudors?
Jacquilevalatête.
–Plusmaintenant!
Maras’assitauborddulitetretiraseschaussures.Quandellerelevalesyeux,Elizafranchissait
leseuil.
–Salut!
Celaluifaisaitplaisir,qu’ellessoienttoutestroisréuniespourladernièrenuit.
Éclatantedanssarobeblanche,Elizaenvoyavalserseschaussuressurlesol.
–Aide-moi,Mara!dit-elleencommençantàpoussersonlituneplacecontrelacouchettedeson
amie.Descends,Jacqui!chuchota-t-elle.
Toutestroissepelotonnèrentsurledoublelitimprovisé,réconfortéesparlachaleurdesdeux
autres.
ElizaleurracontaqueJeremyetelles’étaientréconciliés.
– Je l’aime tellement ! dit-elle, enfouissant son visage dans l’oreiller tant elle se trouvait
lamentable.MaisBuffaloestsiloin.
–Jesuissûrequevousvousverrezquandmême,assuraMara.
Elle aurait pu dormir dans le lit de Ryan, mais en avait décidé autrement. La semaine qu’ils
venaientdevivreétaitdignedesscènescentralesdeTitanic–avantquelebateaunecoule,alorsque
toutétaitencoreparfait,torrideetexcitant.Maissadernièrenuitici,elleavaitvoululapasserdansla
chambredesfillesaupair.Çaluiparaissaitlaseulechoseàfaire.
Jacqui leur annonça que Kit avait proposé de les conduire ensemble à New York. Tant mieux.
Ellesn’auraientpasàprendrelebus.Pourquoi,alors,étaient-ellessidéprimées?
–OnsereverraàNoël,ditEliza,formulantàvoixhautecequ’ellespensaienttoutestrois.
Chacunesavaitquelesautresluimanqueraient.Ellesavaientbeaucoupappriscetété.
–Ilnousfaudradesmaillotsdebaind’hiver!ajoutaEliza.
–PalmBeach...,ditMarad’unevoixrêveuse.
UneautreopportunitédequitterSturbridge.
–C’estcomment?demandaJacqui.
–Géant!réponditElizadansunbâillement.Dessoirées,desgalas...ilnousfaudraàtoutesune
nouvellegarde-robe!
Elle ferma les yeux. Mara s’endormait elle aussi. Jacqui se tourna sur le côté, ramenant les
couverturessurelle.
Leur séjour s’achevait. Elles avaient fait tout ce qu’elles voulaient faire et même, parfois, ce
qu’elles n’auraient pas dû faire. Le lendemain, elles emprunteraient la route de Montauk pour la
dernière fois. Elles retourneraient chez elles. Un peu plus mûres, un peu plus sages, et
incontestablementplusséduisantes.
Pourfinir,ellesavaientvraimentpasséunétéderêve.
Lespetitesannoncestenaientparfoisleurspromesses.
FABULEUXBAINSDEMINUIT
Traduitdel’anglais(américain)
parFlorenceSchneider
CeromanesttendrementdédiéàJennieKim,
parcequ’onnepeutécrire
surdesmeilleuresamiessansenavoirune,
àSaraShandler,éditeurextraordinaire,
parcequecelivreestlesienautantquelemien,
etàMikeJohnston,parcequec’estcommeça.
Ilestplushonteuxdesedéfierdesesamisqued’enêtretrompé.
LaRochefoucauld
«It’sgettin’hotinherre.»Çachauffelà-dedans!
Nelly
OùElizaapprendquefeu
etsoufresonttrèstendance
cetété
Ça ne payait pas de mine, mais sans doute était-ce à cause de l’heure. Il était trois heures de
l’après-midi et, au Septième Cercle, la dernière-née et bientôt la plus branchée des boîtes des
Hamptons, les festivités ne débuteraient qu’après minuit. Ancienne grange à pommes de terre, le
SeptièmeCercleétaitunbâtimentalambiquéàlafaçadecouvertedebardeauxmarron,nichédansles
boisdeSouthampton.Seulunsignediscret(septcerclesaccrochésàunarbre,toutsimplement),en
retraitdel’autoroute,indiquaitauxinitiésqu’ilsétaientparvenusàdestination.
ElizaThompsongarasaberlinenoiresurleparking,àlafoissatisfaiteetnerveuse.Ellevérifia
sonmaquillagedanslerétroviseuretappliquauneépaissecouchedegloss.Puiselleplaçaentreses
lèvresunmouchoirenpapieretleretiralentement,ainsiqueleconseillaitlemagazineAllure, afin
d’éviterdeseretrouveravecdurougesurlesdents.
Elles’assuraquesonbrillantàlèvresChaneln’avaitpasbavé.Rien.Parfait.
Eliza prit son sac Balenciaga en cuir métallisé, le modèle que tout le monde s’arrachait ces
derniers temps. Elle l’avait acheté à Palm Beach, pendant les vacances de Noël, alors qu’elle
travaillaitcommefilleaupairpourlesPerry.Ilcontenaitunefeuilledepapierenrouléerésumantles
brillantesqualificationsd’Eliza:sesannéesdelycéeàlaSpenceSchool(dumoinsjusqu’àlafaillite
de ses parents, l’année précédente, et le déménagement à Buffalo qui s’ensuivit) et un stage au
magazine Jane (où aller chercher du lait de soja allégé et classer les vernis à ongles par ordre
alphabétiquefaisaientpartieintégrantedesesattributions),ainsiqu’unelettrederecommandationde
sonamidelonguedate,KitAshleigh,jeunehommetrèsenvueàManhattan.
Lavieredevenaitpresquebelle,pourEliza.Certes,lesThompsonvivaienttoujoursàBuffalo,
uneviequin’avaitrienàvoiravecl’existencedoréequ’ilsavaientmenéeàNewYork.Mais,aulieu
d’êtrelocatairesd’unminabletrouàrats,ilsétaientdésormaispropriétairesd’untrèscorrectquatre
pièces dans la seule tour haut de gamme de la ville. Grâce à quelques vieux camarades et clients
fidèles, son père remontait peu à peu la pente, et Eliza avait à nouveau de quoi s’offrir des sacs à
milledollars(OK,avecunecarteàdébitdifféré).Vusesnotesetlesrésultatsdesontestd’évaluation
pourentreràlafac–quicomptaientparmilesmeilleurs,Elizaétaitloind’êtregourde–elleavaitde
bonneschancesd’obtenirunebourseetdeparvenir,enfindecompte,àintégrerPrinceton.Cetété,
ses parents avaient même loué un modeste bungalow à Westhampton. Il avait la plus petite piscine
qu’Elizaaitjamaisvue–quasimentunebaignoire!–maisc’étaittoutdemêmeunemaison,elleétait
àeux(dumoinspourl’été),etellesetrouvaitdanslesHamptons.
Uneseulechoselamettaitmalàl’aise:cequis’étaitpassécethiver,àPalmBeach.Elleaurait
préféréétoufferl’affaire,maislesnouvellescirculaientvitedanslesHamptons.Elizasavaitqu’illui
faudraitrapidementcracherlemorceau.
Ellebalayacettepensée–mieuxvalait,pourlemoment,seconcentrersurlatâchequ’elles’était
fixée:décrocherunjobdanslaboîtelaplusbranchéedesHamptonsetreconquérirsontitredefille
lapluscooldelaville.
Avantlesproblèmesd’argentetBuffalo,Elizaavaitlaréputationd’êtrelafillelaplusjolieetla
pluspopulairesurlecircuitdeslycéesprivésnew-yorkais.SugarPerry,quirégnaitdésormaisàsa
place, n’était qu’une pâle copie d’Eliza du temps où celle-ci était le centre d’attention. C’était elle,
alors,quilançaitlesmodes(lesrefletsplatine,entreautres),quiétaittenueaucourantdesmeilleures
soirées(lesmardischezButter),etquisortaitaveclesmecslespluscraquants(CharlieBorshok,qui
jouait dans l’équipe de polo, et que Sugar avait également récupéré). Tout avait changé quand sa
situationdefilleaupairétaitapparueaugrandjour.Maisc’étaitunenouvelleannée,unnouvelété,et
une nouvelle Eliza – qui par bonheur ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’ancienne Eliza, la
fillequetouslesgarçonsrêvaientdeconnaîtreetquetouteslesfillesrêvaientd’être.
Iltombaittoujoursunepetitepluiefroide–cesaversesétaientcaractéristiquesdudébutdumois
dejuin–quandElizaémergeadelaberlinequ’elleétaitparvenue,àforcedesupplications,àsoutirer
àsesparentspourl’été.Ellejetauncoupd’œilàsontéléphoneportable,histoiredevoirsiJeremyne
luiavaitpaslaissédemessage.L’étédernier,ElizaétaittombéeamoureusedeJeremyStone,lebeau
gosse de dix-neuf ans qui s’occupait du jardin des Perry. Mais ils avaient rompu cet hiver, parce
qu’ils habitaient trop loin l’un de l’autre. Maintenant que c’était de nouveau l’été, Eliza mourait
d’enviedelerevoir.ElleignoraitencorequelrôlejoueraitJeremydanssesplanspourrevenirsurle
devantdelascène,puisqu’iln’étaitnirichenicélèbre(maisilétaittoutdemêmetrès,trèsmignon).
Ellesavaitsimplementqu’ellecomptaitbienl’yintégrer.Comment,c’étaituneautrehistoire.
Pasdenouveauxmessagesoutextos.Elizafourrasontéléphonedanssonsacetsedirigeavers
laboîtedenuit.
La porte était grande ouverte. Elle entra donc. Le Septième Cercle : le lieu incontournable cet
été... Or voilà, Memorial Day était passé depuis une semaine, et la boîte n’avait toujours pas été
inaugurée. Une épaisse et récente couche de sciure jonchait le sol, et les types de l’équipe de
construction étaient encore sur place, se hurlant des ordres les uns aux autres. La structure de la
grangeavaitétémodifiée,defaçonàpouvoiraccueillirunbarenzincenformedeferàchevaletun
meublerange-bouteillesconçuspécialementpourlelieu.Hautdepresquehuitmètres,iloccupaitle
murdufond.
Tousleshommeslevèrentlatêteàl’arrivéed’Eliza.Certainssifflèrentàlavuedesesjambes
halées, sous sa mini-robe rose – dans laquelle n’importe quelle autre fille aurait paru grosse ou
enceinte.Eliza,quantàelle,paraissaitjolieetsexy.
–Salut,jeviensvoirlespatrons...AlanouKartik?dit-elleenfaisantunequeue-de-chevaldeses
longscheveuxblonds.
L’undesouvriersémitungrognementetdésignalefonddelasalle.Elizaenjambadélicatement
un bac à peinture et, se frayant un chemin à travers les établis et deux ou trois sacs de pommes de
terrepoussiéreux,sedirigeaversdeuxtypesquibraillaientdansleurstéléphonesportables.
C’étaientlessoi-disantroisdesnuitsnew-yorkaises.Maisbienqu’ilseussentpudresserunepile
haute jusqu’au plafond avec tous les articles parus sur eux dans les journaux, ni l’un ni l’autre ne
dépassait le mètre soixante-cinq. Eliza les dominait, sur les semelles compensées hautes de dix
centimètres de ses chaussures Christian Louboutin. Alan Whitman avait une calvitie naissante et le
teint cireux, mais sa réputation datait du collège, époque où il avait commencé à dealer de l’herbe
dans les boîtes tendance. Il avait lentement gravi les échelons dans les clubs les plus branchés de
Manhattan, jusqu’à avoir rassemblé suffisamment d’argent pour ouvrir trois aires de jeux pour
célébrités–leVice,leCirqueetlaPluie-d’Or.Ilaimaitraconterqu’avantqu’ilnelaprenneenmain,
ParisHiltonn’étaitqu’unemignonneélèvedesecondeducouventduSacré-CœurdeNewYork,qui
remontait ses jupes d’uniforme autour de la taille pour les faire paraître plus courtes. C’est lui qui
avaitfaitentrerParisdansl’unedesesboîtesalorsqu’elleétaitencoremineure.C’estlui,encore,qui
avaitprévenulapresseàscandalequandelles’étaitmiseàdansersurlestables–ouàendégringoler.
Quant à son collaborateur Kartik (connu sous ce seul nom), il venait de Miami et, dans son
adolescence,avaitétépoteavecMadonna–laquelleétaitalorsuneicônepopquiportaitdescolliers
dechien,etnonuneauteuredelivrespourenfantsmalfagotéequisefaisaitappelerEsther.
–Commentça,vafalloirattendrepourvendredel’alcool?Turigolesouquoi?glapissaitAlan
danssontéléphone.
–Évidemmentqu’onalalicence,bébé!assuraitKartikd’unevoixmielleusedanslesien.Onest
prêtsàdémarrer.Toutestaupointpourl’after,yapasdesouci!
Elizasetenaitpatiemmentàl’écart,regardantlesdeuxtypesraconteràleursinterlocuteursdeux
histoires différentes. C’était encourageant, vraiment : si Alan Whitman, ex-ado boutonneux qui
revendaitdessachetsdemarijuanacachésdanssonsacàdosdelycéenpouvaitdevenirlepatronde
boîteleplusréputédeNewYork,ElizaThompson,coqueluchedéchuedeManhattan,trouveraitbien
lemoyenderégnerunjoursurlesHamptons!
Ensoixantesecondeschrono,
Mararedevientquelqu’un
Envoyantlalimousineextra-longues’engagerdanssonallée,MaraWaterscompritquesavie
allaitredevenirintéressante.Iln’étaitpasrare,pendantlapériodedesbalsdepromo,detrouverdes
limousines de location garées devant les petits ranchs proprets. Mais celle-ci n’arborait pas un
autocollant«LOUEZ-MOI.COMPOSEZLE1800!»sursonpare-chocs.Aulieudeça,ilyavaitun
chauffeur en uniforme, qui ouvrit un parapluie au-dessus de la tête de Mara et prit les bagages des
mainsdesonpèrestupéfait.
AnnaPerryavaitditàMaraqu’elleenverraitunevoiture,maisMaranes’attendaitpasàquelque
chose d’aussi somptueux. Mais il est vrai qu’Anna Perry, la très jeune et très capricieuse seconde
épouse de Kevin Perry – l’un des avocats les plus réputés et les plus redoutés de New York –, ne
faisait rien comme Madame Tout-le-monde. Elle avait exigé que Mara soit sur place le plus vite
possibleet,engénéral,Annaobtenaitcequ’elledésirait.Sesnouveauxvoisins,lesReynolds,devaient
serendredanslesHamptonsdepuisCapeCoddansleurjetprivé.Ellelesavaitconvaincusdeprendre
Maraaupassage.
RetournerdanslesHamptonsenjetprivé...Voilàquicontrastaitdutoutautoutavecsonretourà
Sturbridge,enaoûtdernier,dansuncarenpiteuxétat.Ellevenaitdepasserleplusbelétédesavieet
desefairelesmeilleuresamiesdumonde:Eliza,uneNew-Yorkaiseissued’unefamillerichissime
maisruinée,etJacqui,unefilletellementsublimequeleshommessejetaientlittéralementàsespieds.
Onlesavaitengagées,cetété-là,pourveillersurlesenfantsPerry,contrelajoliesommededixmille
dollars. Mais leur amitié avait été encore plus précieuse. Toutes trois étaient aussi différentes que
possible. Or, entre le gratin à conquérir, les fêtes où s’incruster et les enfants à surveiller, elles
avaientforméuneéquipesoudée.
SiMaraavaitpasséunétéaussimerveilleux,c’étaitaussigrâceàRyanPerry,lefrèreaînédes
gamins qu’elle gardait. Elle était tombée follement amoureuse de lui, et ils avaient fini par sortir
ensemblependantladernièresemaine.Aumomentdesadieux,elleluiavaitditqu’elleauraitvoulu
pouvoir le ramener chez elle, afin qu’il rencontre sa famille et voie où elle vivait. Mais quelques
heures plus tard, quand elle était descendue au minable arrêt de Sturbridge, cela avait cessé de lui
paraîtreunebonneidée.
ElleeutleventrenouéquandsasœurMeganvintlachercherdansleurFordTaurus1988toute
cabossée. Mara portait toujours sa tenue fétiche des Hamptons : un corsage à liseré en dentelle, un
treillisdélavéetdesmulesàtalonsornéesdestrass.Sescheveuxsentaientencoreleshampooingàla
lavande d’Eliza, mais, à la vue de la voiture de sa sœur, la réalité la frappa de plein fouet. Mara
n’avaitjamaiseuàrougirdesesorigines.MaisaprèsunétépassédanslesHamptons,voilàqu’elle
pensasoudainNon,cen’estpasassezbien.LafamilledeRyanavaitunchefcuisinieràdemeure,celle
deMaraunmicro-ondesvieuxdequinzeans.
ElleinventaunefouledeprétextespourremettreàplustardlavisitedeRyan,prétendantavoir
unexamenàréviserouunedissertationàrédiger.Enfin,ennovembre,ellepritletrainpourGroton,
afindeluirendrevisitedanssonlycéeprivéarchisélect.Maiselleeutl’impressiondedétonnerparmi
les amis de Ryan, et cela la mit mal à l’aise. La semaine suivante, elle rompit, lui disant ce qu’elle
n’avait cessé de se répéter depuis son retour à Sturbridge : ils s’étaient bien amusés pendant l’été,
maiscen’étaitpaslavraievie.Entreeux,çanepourraitjamaismarcher.
Quitter Ryan était une chose. L’oublier en était une autre. Elle pensait constamment à lui et
regrettait, sans oser se l’avouer, qu’il n’ait pas cherché davantage à la faire changer d’avis. À
l’annoncedelarupture,ils’étaitmontréparfaitementcompréhensif,etc’étaitlàleproblème:Ryan
était presque trop gentil. Si seulement il avait hurlé ou pleuré, ou s’était battu pour sauver leur
relation ! Peut-être, au fond, ne souhaitait-elle que cela ? Qu’il lui dise qu’elle lui manquait, qu’il
avaitvraimentbesoind’elle.Orils’étaitcontentéderépliquer:«Sic’estcequetudésires...»Ceà
quoielleavaitrépondu:«Oui.»Ilsavaientdoncrompuet,depuis,plusdenouvellesdeRyan.
ElleavaitpolimentdéclinélapropositiondegarderlesenfantsPerrypendantleursvacancesde
NoëlàPalmBeach–ellecraignaitquecelaneluifassebizarrederevoirRyan.Or,auprintemps,elle
nel’avaittoujourspasoublié,etavaitréaliséquelleerreurçaavaitétéderompre.Elleétaittoujours
amoureusedelui,sibienquequandAnnaPerryl’avaitappeléepourluiproposerdereprendreson
ancienne place (avec une augmentation : douze mille dollars pour l’été !), Mara s’était aussitôt
demandécequ’elleporteraitquandellereverraitenfinRyan–etqu’ilsretomberaientdanslesbras
l’un de l’autre, comme si l’année écoulée n’avait jamais eu lieu. Elle avait tant de fois imaginé la
scènequ’ellecommençaitréellementàcroirequeçanepouvaitpassepasserautrement.
Il plut durant tout le trajet jusqu’à l’aérodrome privé de Barnstable, à Hyannis. La voiture
s’arrêtajustedevantletarmac.Sousunetenteblanche,onavaitdérouléuntapisrougepouraccéderà
unavionargentéauxformesprofiléesexhibant,surl’aile,un«R»étincelant.Lorsqu’unstewardvêtu
d’ununiformebleuimpeccablepritsessacs–sescabasLLBeanadorés,achetésl’étédernier–,Mara
constata avec embarras que le chariot à bagages ne contenait que d’élégantes valises à roulettes en
étoffedenylon.Pourquoifallait-iltoujoursqu’ellesoitàcôtédelaplaque?
Une grande femme en caftan brodé et pantoufles de raphia, arborant le plus gros diamant que
Maraeûtjamaisvu,luifitsigned’avancer,depuislehautdelaramped’accès.
–Dommagequ’ilpleuve,n’est-cepas!Ilsontannoncédesaversesmaistoutdemême...C’est
presque un ouragan ! Je me présente : Chelsea Reynolds. Bienvenue, bienvenue ! Vous y voilà...
Attentionàlaflaque,surladernièremarche!Annam’ademandédedéposeruneamie,maisellene
m’ajamaisditquec’étaitvous!
Commentça,elle?Maras’apprêtaitàluiposerlaquestion.Maiselleavaitàpeinemislepied
dansl’avionqu’onl’enlaçachaleureusement.
–Sicen’estpasMlleWaters!Ladiva!Oùétais-tupassée,machérie?demandaLuckyYapen
rajustantsonboubouimpriméléopard.
Luckyétaitl’undesplusimportantsphotographesspécialisésdanslapressepeople.C’étaitlui,
le véritable arbitre de la vie mondaine. Si vous étiez en vue, Lucky prenait votre photo. S’il ne le
faisaitpas,vouspouviezaussibiendéménagerducôtéduNewJersey.
–SalutLucky!
Mara sourit, tandis que Lucky embrassait l’air autour de son visage. Il lui tendit une coupe de
champagneetlaprésentarapidementauxautrespassagers,unparfaitéchantillonnagedesnobinards
desHamptons,tousvêtusdevêtementstraditionnelsafricainsàimpriméssimilaires–ilsparaissaient
revenird’unsafariauKenya.Ilyavaitquelquesnomsimportants,etlesparasiteshabituels–mélange
d’héritièresauthentiques,debeautésmondainesbienconservées,etdejoliesattachéesdepressequi
accompagnaientlesprésentatricesdeE!,lachaîneconsacréeauxcélébrités.
–ToutlemondeconnaîtMara,n’est-cepas?Mamuse?braillaLucky.
L’été dernier, Mara avait aidé Lucky à mener à bien une mission délicate. En gage de
reconnaissance,lecélèbrepaparazziavaitimposésaprésencedanslespagespeople.
–Biensûr,répliquaunefilleaucharmantvisage.OnneseseraitpasrencontréesauPoloGrill?
–J’adorevotrechemise.EllevientdechezProenza?demandal’unedesjournalistesdemodeen
palpantl’étoffedesonchemisierroseàpois,qu’elleportaitavecunbermudablancetdesespadrilles
àsemellescompenséesenliège.
Ayant passé tout un été en compagnie de deux bêtes de mode – Jacqui et Eliza –, Mara avait
forcément recueilli quelques tuyaux. Flattée du compliment, elle n’eut pas le cœur d’avouer que
c’étaituneimitationqu’elleavaitpayéquinzedollarschezH&M.
Luckypritplusieursphotosd’elle,puissepenchapourglisserquelquesmotsàl’oreilledesa
voisine.Maradistinguaparmileschuchotementsquis’ensuivirentsonnomassociéàceluideRyan
Perry.
L’hôtesse la conduisit au siège libre le plus proche, et Mara sirota son champagne avec
délectation, savourant l’atmosphère et écoutant les potins qu’ils ramenaient du mariage auquel tous
avaient assisté, à Cape Cod. Après une année à Sturbridge, où le piano-bar de l’hôtel Hyatt était
l’endroitlepluschicdelaville,elleavaitoubliécommentvivaientlesheureuxdecemonde.
–Oh,voilàGarrett!murmuralavoisinedeMarad’unevoixhaletante.
–MonsieurReynolds!s’exclamaLucky.Jepeuxvousprendreenphoto?
Levantlesyeux,Maravitémergerducockpitunjeunehommeauxcheveuxenbataille.Aussitôt,
toutes les filles du groupe se redressèrent et tentèrent de croiser son regard. Il brandissait une
bouteilledechampagne,ungrandsourireauxlèvres.Ilétaitdiaboliquementbeau,avecsesmèchesde
cheveuxnoirsàlaJudeLawquiluiretombaientsurlefront.Sachemiseblancheetfroisséesortaità
moitiédesonpantalonnoirenflanelle.
–Toi!dit-ilenfranchissantl’alléecentraleetenpiquantdroitsurMara.
Son regard noir et profond, aussi sombre que ses cheveux, était mis en valeur par les cils les
plusfournisqu’eûtjamaisvusMara.
–Viensavecmoi!dit-il,enlaprenantparlamainsansqu’ellepuisseprotester.
CommeGarrettl’entraînait,legroupes’écartapourleslaisserpasser.Cachantmalleurjalousie,
les filles fusillèrent Mara des yeux, pendant que Lucky hochait la tête en signe d’approbation.
Heureuse d’avoir été distinguée, Mara se sentit spéciale et ne put s’empêcher de penser : Ohé les
Hamptons,merevoilà!
Jacquiretrouvesonsérieux...
enmatièredeshopping
Avecungrandsourire,lecaissierdelalibrairieBookhamptonluifitsignederangersacarte
bancaire, bien que Jacqui insistât pour payer ses livres. Elle aurait bien aimé, juste une fois,
rencontrerungarsquivoieenelleautrechosequ’uncorpsdignedefigurerdanslecalendrierPirelli.
Ça commençait à lui taper sur les nerfs, d’être traitée comme un joli petit animal par des hommes
toujours prêts à signer des chèques, à régler la note, à ramasser l’addition. Il n’y avait pas si
longtempsqueça,Jacquileslaissaitvolontierspayer.Elleavaitunegarde-robepleinedevêtements
Louis Vuitton, Gucci ou Prada pour en témoigner. Mais les choses avaient évolué. L’été dernier,
l’horrible Luca Van Varick lui avait brisé le cœur. Depuis, elle était déterminée à devenir une fille
bien,quelqu’unquel’onpourraitprendreausérieux.
–Porfavor,j’insiste,répétaJacqui,s’efforçantdelefairechangerd’avis.
–Désolé,votreargentn’estpasvalableici,répétalecaissierboutonneux,mêmesiJacquisavait
quesonbossnelerateraitpasaumomentdescomptes.
Mais c’était l’effet que Jacqui faisait aux hommes. Quelque chose – ses yeux légèrement en
amande,peut-être,ouseslèvrespulpeuses(sansparlerdesonimpressionnant95C)–transformaitun
vendeur binoclard de quarante et quelques kilos en bouffon protecteur et macho gonflant le torse,
capabledetoutpourl’impressionner.
–Cadeaudelamaison!ajouta-t-il.
Jacqui soupira, prit à contrecœur le sac en plastique et le glissa dans son fourre-tout en cuir
verni.Ellesortitettraversalarue,afind’allers’installersurundesbancsduparcpourattendreEliza.
Quellebellejournée!Àl’aversedumatinavaitsuccédéunrayonnantsoleildejuinetunpépiement
continu s’échappait des minuscules boutiques de Main Street : en cette nouvelle saison qui
commençait,quelsvêtementschoisirpourlesbarbecuessurlaplage,oupourlescocktailsdesventes
decharité?JacquiignoralesœilladesdesfrimeursroulantenPorsche,etlesregardsscrutateurset
jalouxdelabrigadedesbotoxisées.Elles’assitetseplongeaaussitôtdanslalecturedesonouvrage,
unguidedesmeilleuresfacultésd’Amérique.
Étonnant,commeconsacrerunpeudetempsàsesétudesavaitaméliorésesrésultatsscolaires!
C’étaittellementgratifiantderamenerchezelleunrelevédenotescorrect,pourchanger.Sagrandmère n’en revenait pas – au cours de l’année dernière, Jacqui avait passé plus de temps à la
bibliothèque que dans les galeries commerciales, et elle parlait même d’entrer à l’université.
Autrefois,laseulechosequipassionnaitJacqui,c’étaitdesavoirsielleparviendraitàmettrelamain
avant tout le monde sur la dernière étole en fourrure de chez Prada. Autrefois, elle n’avait qu’une
vague idée de ce qu’elle comptait faire plus tard. Elle s’était toujours figuré qu’elle finirait par
épouseruntypedeuxfoisplusâgéqu’elleetparoccupersavieencuresdethalassoetessayageschez
lesgrandscouturiers,toutenfermantlesyeuxsurlesinfidélitésdesonmari.C’estàcegenredevie
quesonéducationl’avaitpréparée.
Samère,ex-deuxièmedauphineàunconcoursdeMissUnivers,avaiteusonlotdesoupirants–
dufilsdupatrondelaplusgrandecompagnied’électricitédupaysaufilsd’ungrandpropriétaire
terrien éleveur de bovins. Au lieu de ça, elle avait préféré épouser un bel ingénieur en génie civil,
doté de merveilleux yeux noirs et d’une totale absence de fortune familiale. Roberto Velasco
appartenait résolument à la classe moyenne dans un pays d’extrême richesse et d’extrême pauvreté.
LesVelascomenaientuneexistenceplutôtheureuseàCampinas,lamèredeJacquisecontentantde
régenterlabonnesociétélocale.Maiselledésiraitdavantagepoursafille.C’estpourquoiellel’avait
envoyéevivrechezsagrand-mèreàSãoPaulo.Là,Jacquiavaitfréquentélamêmeécoleprivéeque
lesfillesdesmembresdelaclassedirigeante.
Or son beau visage et ses courbes voluptueuses n’avaient fait qu’attiser la jalousie des filles
riches, avec qui elle n’avait pas pu, par conséquent, se lier d’amitié. Pendant un temps, elle était
consciencieusementsortieaveclesarrogantsrejetonsdespropriétairesterriensetdesproducteursde
sucre.Maiselles’étaitvitelassée,etavaitdécouvertquelavéritableaventuresetrouvaitplutôtdans
lesbrasdeleurspères,mariésetplusâgés.
C’estalorsqueLukeVanVarick,sonLuca,étaitentrédanssavie.UnsympathiqueAméricainau
sourire flegmatique, portant un énorme sac à dos... Elle l’avait rencontré alors qu’il profitait des
vacancesdeprintempspourexplorerlepays,etelleenétaittombéefollementamoureuse.Auterme
d’une aventure de deux semaines, il lui avait dit qu’il l’aimait et avait disparu dans la nature. Elle
l’avaittraquéjusqu’auxHamptons,maisils’étaitavéréquesonLucaavaittoujoursappartenuàune
autre.
Si bien que Jacqui avait changé son fusil d’épaule : elle ferait un si bon boulot cet été que les
Perry la recommanderaient comme nounou à demeure chez l’un ou l’autre de leurs amis fortunés.
Ainsiellepourraits’installeràNewYorketsuivre,grâceàunprogrammed’échanges,uneterminale
au lycée Stuyvesant, établissement privé très sélectif. Si elle y obtenait de bons résultats, elle aurait
unechancedepouvoirentreràl’universitédeNewYorketdefairequelquechosedesavie.Elleétait
reconnaissante à Kit, un ami d’Eliza, de lui avoir mis cette idée en tête lorsqu’ils avaient traîné
ensembleàPalmBeach,pendantlesvacancesd’hiver.Illuiavaitparlédesasœuraînée,quin’enavait
pasfichuunerameaulycéejusqu’àlaterminale,etétaitdésormaisenpremièreannéeàl’université
deNewYork.
Afin de pouvoir réaliser ses rêves, Jacqui s’était fixé une série de règles, la principale étant :
Finilesgarçons!Ilsn’étaientbonsqu’àvoustroublerl’esprit,etsiJacquiavaitpurésisterauxplus
beaux gosses du Brésil, elle pourrait aisément faire de même aux Hamptons. Elle parviendrait à
garder la tête froide, à s’occuper des gamins et à assister à des cours de préparation à l’examen
d’entréeàlafac,lessoirsoùelleauraitquartierlibre.GrâceàDieu,elleprouveraitaumondequ’elle
n’étaitpasqu’unclonesanscervelledeGiseleBündchen.
Elleétudiaattentivementlespagesduguide:ilcontenaitles photographies d’étudiants en pull
assissurdespelousesverdoyantes,d’innombrablestableauxstatistiquesconcernantladiscrimination
positiveetlesboursesaccordéesauxélèvesméritants,etdestémoignagesd’élèves.Bon...c’étaitun
peu ennuyeux, certes. Sans doute pouvait-elle trouver mieux à faire, en attendant ? Elle referma
l’ouvrage et consulta sa montre. Eliza devait passer la prendre dans une demi-heure et la boutique
Scoop paraissait affreusement tentante, sur le trottoir d’en face. Ce n’était pas parce qu’elle prenait
sesétudesausérieuxqu’ellen’avaitplusledroitdeselivreràsonpasse-tempsfavori,toutdemême.
Unefilleavaitbienledroitdes’acheterunnouveaubikini,aprèstout.
Elizaapprendquel’enfer
estpavédecélébrités
–Tuasdéjàtravaillécommeserveuse?demandaAlanWhitman,lorsquetoustroiseurentpris
placesurdesfauteuilsclubenveloppésdehoussesenplastique,aufonddelasalle.
Ilavaitàpeinejetéuncoupd’œilauCVd’Eliza.Augranddamdecelle-ci,sonfauteuilémettait,
chaque fois qu’elle bougeait, une sorte de couinement évoquant un phénomène physique
embarrassant.Parbonheur,aucundesdeuxhommesneparaissaits’enrendrecompte.
– Pas véritablement, répondit-elle. Mais j’ai hâte d’apprendre. À ce que j’ai lu dans le Times,
vousavezl’intentiond’étendrevosactivitésàlapublicité,àlacommercialisationetaulancementde
produitsdemarque,etc’estvraimentversçaquej’auraisenviedeme...
–Tuconnaisdespeople?Desgensenvue?l’interrompitKartik,l’airconcentré.
–Euh...,hésitaEliza.
–AshleyetJessicaSimpson?OulessœursPerry?
–Biensûr,onfréquentait...euh,enfin...onfréquentelemêmelycée,dit-elleavecsoulagement.
– Comme tout le monde... Mais tant mieux ! On a vraiment besoin de ce genre de clientèle,
répliquaKartikenfronçantlessourcils.Ilyacinqnouvellesboîtesquiouvrentcetété,etilnousfaut
lesgenslesplusexcitants.Jeneveuxpasdehasbeen,deploucs,oudemochetés.JeveuxvoirMaryKateOlsenvomirdanslestoilettes,situvoiscequejeveuxdire.
Elizahochalatête.
– Bordel, Kartik, c’est pas parce qu’elle t’a envoyé balader que tu dois être si dur avec elle !
s’esclaffaAlan.
Sonpartenairel’ignora,préférantsonderElizaduregard.
–Jepeuxpastedireàquelpointilestcruciald’avoiriciquelqu’unquisachereconnaîtretoutle
monde,deTaraReidauxphotographesdelapage6duNewYorkPost.Ilfautconnaîtrelemondedela
nuit.
Ilmarquaunepause,pourdonnerplusdepoidsàsesparoles.
–Onaeuungars,àlaPluie-d’Or,quin’apaslaisséentrerJCChasez!OK,jesaisquelesgars
de’NSyncnesontpasfacilesàreconnaîtresansJustinTimberlake,maismec,çaaétémafête,jete
dis pas ! Tu saisis, une fois que ça aura démarré, ici ce sera Beverly Hills, SoHo et Saint-Tropez
réunis.Etauborddelamer,quiplusest!
Elizas’abstintdeluifaireremarquerqueSaint-Tropezétaitauborddelamer.
– Ton rôle est super-important. Tu es comme un meneur de jeu qui doit savoir négocier ses
virages, glissa Alan en s’embrouillant dans ses métaphores sportives. Tous les soirs, le Septième
Cercle va être le centre du monde, tu saisis ? C’est comme ça qu’on fonctionne. Une sacrée
constellationdestars!s’exclama-t-ilentapantdupoingsurleplateauenzincdelatablebasse.
–Çamarchecommeça,ditKartikd’untonsuffisant.Pourcommencer,ilfautdescélébrités.Ce
sont elles qui attirent les ploucs prêts à payer trente dollars d’entrée pour pouvoir les regarder
bêtement.
Alanapprouvaetprécisa:
–Lescocktailsdevingtcentilitreshorsdeprixetallongésd’eauonttoujoursmeilleurgoûtsi
Chauncey Raven est à la table voisine, en train de faire des mamours à son dernier mari en date.
Alors,invitelessœursPerry,dégote-leurunetableetfaisensortequ’ellesoitaudeuxièmeniveau,là
où elles pourront voir tout le monde, et où tout le monde pourra les voir. La règle d’or : faire en
sortedesatisfairelespeople.Pigé?
– Ne jamais rien leur refuser ! enchaîna Kartik, et il vint aussitôt à l’esprit d’Eliza qu’elle
assistaitàunnumérobienrodé.
–LindsayLohanveutqueDominoluilivreunepizzaàtroisheuresdumatin.Pasdeproblème!
AvrilLavigneabesoind’unhélicoptèreprivépourretournerenville?Riendeplussimple!R.Kelly
veutunestrip-teaseusepoursasoiréed’anniversaire.Yaqu’àdemander!
Ilbranditunpoingpoursoulignerl’importancedesesparoles.
Eliza hocha vivement la tête. Au magazine, lors d’une séance photo, on lui avait demandé de
remplirlacuvettedepétalesdegardéniaschaquefoisqueladivaphotographiéeallaitaupetitcoin.
Parconséquent,elleavaitl’habitudedesatisfaireauxexigencesridicules.
–Biensûr,pourlescivils,lesrègleschangentdutoutautout,ditAlansuruntonmielleux.Si
c’estungroupedemecs,multipliel’additionpardeux,ilsnes’enrendrontpascompte.Neleurdonne
jamaislamêmetable,àmoinsqu’ilsn’enaientréservéunepourl’étéentier.Danscecas,dèsqu’ils
ontfinileurbouteilleàcinqcentsdollars,tuleurenrapportesune.Qu’ilsenconsommentminimum
deuxparheure.C’estcequipermettrad’essuyerlesfraisgénéraux.
–Etn’oubliepas:fautt’habillersexy,êtresexy,tesentirsexy,tuvoiscequejeveuxdire,ricana
Kartik.Crois-moi:minijupeégalemaxi-pourboire.Etquandjedismini,c’estplutôtraslesfesses,
hein,bébé?
Iljoignitlegesteàlaparoleencinglantlehautdesescuissesaveclatranchedesamaindroite.
Alantenditlamainetsaisitlecouded’Eliza,quieutunmouvementderecul.
–Et,quoiqu’ilarrive,nelaissejamais–jedisbienjamais–entrerquelqu’unquin’estpassurla
liste.Laliste,c’estDieutout-puissant!Mapropremèrepourraitêtrelààpoireauterdehors,sielleest
passurlaliste...ehbenpasdebolm’manmaisturentrespas!Laseuleexception,c’estlescélébrités,
maisça,çavasansdire.Là-dessus,jerigolepas.Nelaisserentrerabsolumentpersonne,ilyaqueça
àfairepourquecetendroitrestebranché.
Un mannequin en tee-shirt taille 6 ans et jean déchiré sortit des toilettes et s’écroula sur
l’accoudoirdufauteuild’Alan.
–J’aifaim,bébé!geignit-elleenfaisantlamoue.
Eliza la reconnut, pour l’avoir vue, dernièrement, dans une pub pour la marque de sousvêtementsVictoria’sSecret.Danslespot,lafilleétaitvêtued’unbodyendentelleetd’ailesd’ange.Le
spotavaitagacéEliza–ilfallaitvraimentavoirunimaginaireérotiqueunpeunazepourassocierdes
sous-vêtementsàdesappendicesringardsetcouvertsdeplumes.
–Vavoirlecuisinier,qu’iltepréparequelquechose!rétorquaAland’unevoixirritée.
–J’adoretoncollier,ditlemannequinavecuntrèsfortaccent,détaillantrapidementEliza.
Celle-cihochalatête.
–Merci.
ElletripotalecordondecuirqueRyanluiavaitdonnéàPalmBeach,unpeunerveuse.
– Qu’est-ce que tu en penses ? Tu te sens d’attaque ? reprit Kartik. Tu es prête à passer le
meilleurétédetavie?
Elizasourit,songeantquecen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleentendaitça.
–Jecommencequand?demanda-t-elle.
Ellen’enrevenaitpasd’avoirdécrochésifacilementleboulot.Elleseraitderetoursurledevant
delascèneenmoinsdetempsqu’ilnefautpourdire«Strictementsurinvitation».
–Samedi,répondirentenmêmetempsAlanetKartik.
–Dansdeuxjours?
Eliza blêmit, et jeta un coup d’œil alentour. Oh hé, les plaques de plâtre n’étaient même pas
recouvertes...
– Pas de panique ! la rassura Kartik. On inaugure la boîte en douceur avec l’avant-première
d’Autantenemportelevent.Tusais,leremakeavecJenniferLoveHewittetChadMichaelMurray?
C’estpourrendreunserviceàuneamie.MitziGoober,tuconnais?
Elizahochalatête.MitziétaitlaRPlaplusredoutéedelarégiondeNewYork,rienqueça.À
vingt-sept ans, elle avait eu son heure de gloire lorsque le magazine New York avait titré en
couverture«Unefêtardequiaduchien!»:deuxansplustôt,elleavaitfaitunmoisdeprisonaprès
quesonchihuahuas’étaitattaquéaugiletbordédefourrured’uneinnocenteserveuse,laquelles’était
retrouvéeàl’hôpitaltandisqueMitzifaisaitlesgrostitresdesjournauxàscandale.Onracontaitque
Mitziavaitridel’incidentettraitélaserveusede«victimedelamode»,déclenchantuneluttedes
classes qui avait abouti à interdire aux chiens miniatures trop agressifs l’accès à certains cafés et
restaurantsdesHamptons.OrvoilàqueMitziétaitderetour,unbest-selleràsonactif–lerécitdeson
séjourenprison.Etelleétaitpluspopulairequejamais.C’étaitlesyndromeParisHilton:riendetel,
danslesHamptons,quelapubliciténégative.
–Mais...,balbutiaElizaendésignantlechaosenvironnant.
Difficiled’imaginerque,dansmoinsdequarante-huitheures,l’endroitpourraitressembleràun
barconvenable.
–Oh,d’icilàilsaurontfini,crois-moi!Tuasquelâge,aufait?
– Je viens d’avoir dix-sept ans..., dit-elle d’une voix hésitante, en se demandant si elle n’aurait
pasdûmentir.
Kartiklarassurad’ungestedelamain.
–Pasdeproblème,dumomentquetunetravaillespasderrièrelebar.
Elizaréalisaqu’elleignoraittoujourslanatureetl’importancedesafonction.Ellecraignaitde
paraîtregrossièreendemandantdesprécisions,d’autantquel’entretienétaitvisiblementterminé.Elle
seditqu’ilss’accorderaientplustardsurlesdétails.
–Alorscommeçalesgars,vousêtesdesfansdeDante?leurlança-t-elleensedirigeantversla
porte.
–Hein?
Kartik la fixa sans comprendre. Alan, quant à lui, avait commencé à bisouter le mannequin
mineur.Sesmainsavaientdéjàdisparusousletee-shirtdelafille.
–Lenomdelaboîte...leSeptièmeCercle.C’estleseptièmecercledel’enfer,non?
Son nouveau boss la regarda comme si elle était demeurée. Elle se demandait bien pourquoi.
Elle se rappelait avoir appris en cours de littérature que, dans La Divine Comédie de Dante, le
septième cercle était l’endroit de l’enfer où la violence et l’orgueil avaient conduit Alexandre le
Grand,AttilaleHunetuntasdepersonnageshistoriquesimportants.
–Ouais,situledis...,répliqua-t-ilenhaussantlesépaules.Ilestcool,Dante.C’estlenouveauDJ
quivientdeParis,c’estça?
De toute évidence, être cultivée ne faisait pas partie des qualités requises dans son nouveau
boulot. Porter une minijupe et satisfaire aux exigences des célébrités, c’est tout ce qu’on attendait
d’elle.Cen’étaitpassorcier.
OùMarafait
(involontairement)unnuméro
digned’unestrip-teaseuse
– Je m’appelle Mara, au fait, dit-elle au beau brun occupé à déboucher une bouteille de
champagne.
Elle se demandait pourquoi il s’intéressait tellement à elle, alors que plusieurs filles, dans
l’avion,gagnaientleurviegrâceàleurravissantminois.Etpourtant,illeuravaitàpeineaccordéun
regard.Maraetluiétaientassisl’unenfacedel’autre,danslesconfortablesfauteuilsencuircaramel
del’espacedétentesituéderrièrelecockpit.
–Jesaisquitues,dit-ild’untonsirupeux.TutravaillespourlesPerry,pasvrai?
Luitendantlamain,ilseprésenta:
–GarrettReynolds.
Maraavaitdéjàtirésesconclusions.C’étaitl’avionprivédesesparents.Etelleavaitaffaireàla
fameuse famille Reynolds, les tout derniers milliardaires américains intronisés par le magazine
Forbes. Le père de Garrett, Ezra Reynolds, contribuait à enlaidir le ciel de New York en marquant
toussesimmeublesdelalettre«R».
Garrettabaissaunetableplianteenmétaldissimuléederrièreunpanneaulatéral,sortitdesflûtes
à champagne d’un meuble adjacent et entreprit de les disposer en deux rangées sur le plateau. Le
personneldebordprocédaàlafermeturedesportesetl’avioncommençaderoulersurlapiste.Mara
remarqual’absencedelaïussurlesconsignesdesécurité,l’évacuationd’urgence,oulamanièredese
servirdesoncoussindesiègecommedispositifdeflottaison(quoiqu’elleauraitpariéquelevisonne
flottaitpas).Garrettetelleétaientmêmeparmilesrarespassagersàêtreassis.
– Ça m’a l’air méchant là-dehors, dit Mara, tandis que la tempête faisait bruyamment vibrer
l’avion.
–Onnedépassequed’undemi-pointlesnormesminimalesdesécurité,confirmaGarrett.
Puis il lui expliqua que, contrairement aux lignes commerciales, tenues de respecter les
consignes de l’administration fédérale interdisant les vols dans certaines conditions climatiques
extrêmes (comme la violente tempête de pluie dans laquelle ils étaient pris), les avions privés
n’étaient pas soumis à de telles contraintes. Du moment que la vitesse du vent ne dépassait pas
certaineslimites,ilsétaientlibresdevoler.
–J’ail’impressionquemamèretientànepasratersonrendez-vouschezlecoiffeur,s’esclaffa
Garrett.
Mara n’était pas sûre qu’il plaisantait. Cette Chelsea Reynolds était bien capable de risquer sa
peaupourunbrushing.Maranes’étonnaitplusderien,vucequ’ellesavaitdelaviedanslabonne
sociétédesHamptons.
–Accroche-toi!l’avertitGarrett,encoinçantsoussonmentonlemagnumdechampagne.
L’avion décolla comme une auto tamponneuse sur un trampoline, et Mara perçut les
gloussementseffrayésdespassagersballottéscommedesboulesdeflipper.Parmiracle,lesverres,
surlatable,nebougèrentpasd’unmillimètre.
–Ilyadesaimantscollésendessous,expliquaGarrettavecunsourireenremplissantlesflûtes
tandisquel’avion,secouédetouscôtés,prenaitdelahauteur.
Maras’agrippanerveusementauxaccoudoirs,alorsquelefracasdutonnerreetlebattementde
lapluiecontreleshublotslaissaientGarretttotalementindifférent.
– C’est toujours aussi... euh... agité ? demanda Mara en s’efforçant désespérément de ne pas
perdrel’équilibrecommel’avionrencontraituneviolenteturbulence.
S’ilyavaituneceinturedesécurité,elleétaitbiencachée.
– Avec les avions de petite taille, on est davantage secoué au décollage. C’est sûr, le climat
n’arrangerien.Maisc’estriencomparéàl’atterrissage!ajouta-t-il.
Lorsque toutes les flûtes furent remplies à ras bord de champagne, Garrett la fixa avec
insistance.Maraneputs’empêcherdecomparersonregardàceluidesonchatBoulePuantequandil
lorgnaitBlue,leperroquetdesasœur.
–Ilyaunvieuxdictondansl’Ouest...,lançaGarrettd’unevoixtraînante,sanscesserdelafixer.
Marasourit.C’étaitdoncpourcelaqu’ill’avaitchoisie!C’étaitunjeuquiauraitpus’intituler
«Faisonsboirelanouvellevenue».Illacroyaitnéedeladernièrepluie,ouquoi?ÀSturbridge,les
chopesdebièreremplaçaientlescoupesdechampagne,maisMaraauraitjuréquelesrèglesétaient
lesmêmes.
–AuTexas,ilesttoujoursmidi!rétorquaMarad’untongrave,tandisqueGarretthochaitlatête
d’unairadmiratifenconstatantqu’elleavaitreconnulesparolesrituellesquiannonçaientledébutdu
jeu.
–Etàmidi,nous...levonsnotreverre!s’exclamaGarrettensaisissantunepremièrecoupe.
Marasejetasurlasienne,etcommençaàengloutirleliquidefraisetpétillant.
–Etnousrecommençons!s’écriajoyeusementGarrettenvidantunesecondeflûte,tandisque
celledeMaraétaitencoreàmoitiépleine.
Elle la reposa bruyamment, étonnée d’avoir été battue, et en prit aussitôt une deuxième. Elle
gagna difficilement le deuxième round mais, à partir de là, Garrett ne cessa plus de l’emporter –
jusqu’àcequetouteslesflûtessoientvides,ducôtédeMara.NomdeDieu,cegarsétaittropfort!À
Sturbridge,Maraavaitflanquélapâtéeànombredeconcurrents,collantmêmelahontedeleurvie
auxplussoiffardsdesjoueursdefoot.C’estJim,sonex-petitami,quiluiavaitdonnélebontuyau:
nepasrespirer.
–Impressionnant,dit-elleenguisedecompliment.
–Merci.
Garrettsourit.
–Tut’entirespasmalnonplus.
Mara se décontracta dans son fauteuil, oubliant quelques instants sa peur des turbulences
lorsqu’uncahotparticulièrementviolentl’éjectadesonsiège.ElleatterritsurlesgenouxdeGarrett.
–OhmonDieu!Jesuisdésolée!s’exclama-t-elleens’efforçantdeseremettredebout.
–Toutleplaisirestpourmoi,répliquagaiementGarrettensoutenantMara,alorsquel’avion
étaitagitépardenouvellessecousses.
Elles’agrippaàlui,rebondissantsursesgenouxplusieursfoisdesuite.
–Alorscommeça,tuescegenredefille?plaisantaGarrett.
Le commentaire la fit rougir. Ce mec était odieux, mais néanmoins charmant. Mara remarqua
malgréellequ’illatenaitd’unemainferme...
– Tu me rends dingue ! grogna-t-il, à fois taquin et séducteur. Tu ne veux pas qu’on dîne
ensembleceweek-end?Commeça,onpourraitapprendreàseconnaître,aulieudepassertoutde
suiteàl’action.
–Impossible,répondit-elleensecouantlatête.J’aidutravail,jesuisdésolée.
EllesedemandacequepenseraitRyans’ilpouvaitlavoiràprésent,assisesurlesgenouxd’un
autre.
–Jevaisquandmêmeréserverunetable,dit-ilavecunhaussementd’épaules.Onferacommesi
j’avaisrienentendu.
Quelques minutes plus tard, l’avion se stabilisa et le pilote annonça qu’il volait désormais audessusdesnuagesetavaitatteintsavitessedecroisière.GarrettaidaMaraàserasseoir,s’inclinaet,
trèsgentleman,luifrôlalamaind’unbaiser.Ellepoussaunsoupirdesoulagementlorsqu’illapria
de l’excuser, et alla s’occuper de ses autres invités. Il était classe, d’accord, mais Mara avait le
sentimentqu’ilobtenaittoujourscequ’ildésirait–quandilnel’achetaitpas.OrMaran’étaitpasà
vendre.
Danslejargondesfilles,
«Cequetuasbonnemine!»
signifie«Jesuistellement
contentedeterevoir!»
DanslaboutiqueScoop,Jacquitraitaitlacabined’essayagecommeuneporteàtambour,prenant
des poses à brefs intervalles avec chaque bikini, et éliminant ceux qui étaient trop serrés sur la
poitrineoutropriquiquisurlesfesses.L’annéeprécédente,sonstringluiavaitvaluquelquesennuisà
GeorgicaBeach,etellenesouhaitaitpasenêtrechasséeànouveaupouravoirenfreintlesrèglesqui
protégeaientlesplagesdesHamptonsd’uneinvasiondefessesàl’air.
Lorsque Eliza la retrouva, elle portait un bandeau sur les seins, et vérifiait l’aptitude d’une
minuscule culotte à cacher son postérieur, en écartant les jambes et en effectuant une série de
flexions-extensionsdevantlemiroiràtroisfaces,àlagrandeconsternationd’ungroupedeclientes
vertesdejalousie.
– Désolée, je dérange ? plaisanta Eliza tandis que Jacqui s’accroupissait une fois de plus dans
sonminusculemorceaud’étoffe.
–Liza!s’écriagaiementJacqui.
Elle se releva pour accueillir son amie, et toutes deux s’étreignirent chaleureusement, les
rangéesdebraceletsenord’ElizacliquetantcontrelesépaulesnuesdeJacqui.
ElizaécartalesbrasdeJacquietadmiralafaçondontcelle-ciremplissaitsonbikiniJean-Paul
Gaultier.
–Cequetuesbelle!s’exclama-t-elle.
–Non,chica,c’esttoiquiesbelle!glapitJacqui.
Toutesdeuxgloussèrentetroucoulèrent,avecl’enthousiasmequicaractériselesfilles:ellesse
firentd’interminablescomplimentssurleurscoiffuresetsurleurpertedepoidsrespective(réelleou
imaginaire).
–Commejenet’aipasvueàl’arrêtdubus,j’enaiconcluquetuseraislà,expliquaEliza.Jesuis
désoléed’êtreenretard.L’entretienaduréunpetitmoment.
–Commentças’estpassé?demandaJacquiens’engouffrantdanslacabinepoursechanger.
–Superbien.J’aidécrochéleboulot!réponditElizaenadmirantuncabas.
–Génial!seréjouitJacqui,quiémergeavêtued’unerobegitanetaillehauteetdesabotsàtalons
hauts Gucci. Vous acceptez la carte American Express ? s’enquit-elle auprès de la vendeuse en lui
tendantledeux-pièces.
– J’ai le temps de jeter un coup d’œil avant qu’on aille chercher Mara ? demanda Eliza,
examinantattentivementunponchocrocheté,pendantqueJacquiréglaitsonachat.
–Jecroisquesonavionarrivemaintenant,doncilvautmieuxpas.
–Bon,d’accord,ditEliza.
Elle regarda avec regret la nouvelle collection de paréos aux couleurs vives Matthew
Williamson.
–Onreviendra.
–Alors,commentçavadepuistoutcetemps?lançaJacquialorsqu’ellesétaientenroutepour
l’aérodromed’EastHampton.
Ellesbaissèrenttouteslesvitresdelavoitured’Eliza,bienquecettedernièrefûtunefandela
climatisation. Les filles ne s’étaient pas vues depuis Palm Beach, où elles avaient dévalisé les
boutiquesdeWorthAvenueetpassédutempsàlapiscinedesQuatre-Saisons,traînantlesgossesdans
leursillage.Elless’étaientrenduesàunbaldeNoëldutonnerreauColonyClubetàunsomptueux
réveillon de nouvel an dans un hôtel cinq étoiles, le Breakers. Les vacances s’étaient déroulées à
merveille.Àundétailprès:Maran’étaitpaslà.Jacquiavaithâtequ’ellesseretrouventenfintoutesles
trois.Maisauparavant,illuifallaits’assurerqu’Elizaavaitbienl’intentiondes’allégerlaconscience
quantàcequiétaitarrivéenl’absencedeMara.
–Jevaisbien,réponditEliza,avantdeluifairepartdesesintentionsdeconquérirlemonde(ou
dumoins,lesHamptons)cetété-là.
Elle s’apprêtait à travailler dans la boîte la plus branchée et à fréquenter les gens les plus en
voguedumoment.Pourelle,cen’étaitmêmepasunboulot,maisplutôt...untitre,uneposition.Elle
incarneraitàelleseulel’espritduSeptièmeCercle.Sonanciennebandeviendraitetbientôt,c’estelle
quimèneraitlejeu.Ellen’avaitaucuneraisondesesentirgênéecetété,etcomptaitsursonlienavec
AlanetKartikpourl’aideràretrouversaplacedanslaviesocialedesHamptons.
– Tu as déjà revu Ryan ? demanda Jacqui, faisant dévier la conversation sur le sujet qui
l’intéressait.
–Non,maisons’estéchangédese-mails,etons’estparléautéléphonel’autresoir.Iln’yaura
pasdemalaise,àmonavis.
Eliza s’était efforcée d’oublier cet épisode, mais le fait d’être sortie avec Ryan Perry –
l’amoureux de sa meilleure copine – ne s’oubliait pas si facilement. Surtout quand il fallait tout
avoueràlacopineenquestion.
–Jeveuxdire...onétaitbourrés,onafaitunebêtise.Entrenous,çan’ajamaisétéautrechose
quedel’amitié.
AprèslasoiréedeSugaretPoppyauBreakers,ElizaetRyanétaientrevenusàl’hôtelchercher
unepairedetongspourEliza–seschaussuresChristianLouboutinluifaisaientunmaldechien.Ils
étaienttousdeuxcomplètementbourrésauchampagneet,pourlapremièrefoisdepuisledébutdes
vacances, d’humeur joyeuse. Ryan avait eu des moments sombres, Mara ayant rompu et renoncé à
venir à Palm Beach. Et Eliza était déprimée car Jeremy lui avait dit qu’il valait mieux qu’ils ne
cherchent pas à se revoir avant l’été, tant c’était dur pour eux de vivre si loin l’un de l’autre. Ryan
avait repéré Le Parrain dans le programme d’une chaîne câblée payante. Ils s’étaient blottis l’un
contrel’autresurlelit,commedutempsoùilsétaientgossesetavaientappristouteslesrépliquespar
cœur.
–Laisseleflingue,prendslescannolis!s’étaient-ilsexclamésenmêmetemps,avantd’éclater
derire.
Etpuis,soudain,voilàqu’ils’étaitmisàl’embrasser...àmoinsquecenefûtelle...etças’était
bêtementemballé.Ellen’avaitjamaisvouluqueçaarriveetçanesignifiaitriendutout,assurait-elle.
–DèsquejevoisMara,jeluiracontetout,assura-t-elled’unevoixpéremptoireencrispantsi
biensesmainsautourduvolantquelesjointuresdevinrentlivides.J’aihâtedemedébarrasserdece
poids,tucomprends?Jemesuisditqueceseraittropdurdeluienparlerautéléphoneoupare-mail.
Jeveuxpasqu’ellepuisseimaginerqueçacompteplusqueça.
–Tuastoutàfaitraison,approuvaJacqui.
Elleétaitsoulagéequ’Elizasoitprêteàcracherlemorceau.Elizaavaitabsolumenttenuàceque
leSecretdePalmBeachresteunsecret.Àcontrecœur,Jacquiluiavaitpromisdenerienrévélerà
Mara,enconséquencedequoiellen’avaitplusparléàcettedernièredepuislenouvelan.Jacquine
voulaitpasavoiràluimentiret,aveclesétudesetledécalagehoraire,ilétaitfaciledecesserd’être
encontact.
–Allez,dis-m’endavantagesurtonnouveauboulot,lançaJacqui,désireusedechangerdesujet
faceàl’embarrasd’Eliza.Tuvasvraimentrencontrerautantdestars?
Eliza s’exécuta avec joie et toutes deux, balayant Palm Beach de leur esprit, bavardèrent et
échangèrent des potins jusqu’à l’aérodrome d’East Hampton. C’était un terrain à l’écart, auquel on
accédaitpardepetitesroutes.Àleurarrivée,ellestrouvèrentMaratrèsentourée,occupéeàfairela
bise à une foule de gens pleins aux as. Eliza reconnut certains des membres de la haute société
rassemblésautourd’elle,etcelal’impressionna.Certes,sonamieayanteudroitnonàun,maisàtrois
portraitsdithyrambiquesdanslesjournauxdesHamptonsl’étédernier,Elizanes’étonnaitpasdeson
succès.Qu’ellel’aitdésiréounon,MaraétaitdevenueunepersonnalitédesHamptons.
Elizadonnauncoupdeklaxon.
–Nousvoilà!
Elle ouvrit la portière et s’élança hors du véhicule, suivie par Jacqui. Elles avaient hâte de
retrouverMara–ladernièrefoisqu’elless’étaientvuestouteslestroisensembleremontaitaumois
d’août–etderenouerlefildeleuramitié.
LevisagedeMaras’illuminaetelleseprécipitaàlarencontredesesamies.
–Salutlesfilles!lança-t-elled’untoneuphorique,enserrantvivementElizacontresoncœur.
Ce que vous m’avez manqué ! ajouta-t-elle en étreignant Jacqui avec la même chaleur. Vous êtes à
tomberparterre!
Lesroucouladesetlesexclamationsenthousiastesreprirent.ElizaetJacquis’extasièrentsurles
refletsdeMaratandisquecelle-cilescomplimentaitsurleurbronzageetleursjolisvêtements.
–NomdeDieu,j’arrivepasàcroirequejesuisderetour.C’estcommesij’étaisjamaispartie!
ditMaraenagitantlatête,secouéed’unhoquet.
–Mara,tuneseraispasunpeusoûle?demandaEliza.
Etdirequel’étédernier,Maraétaittellementsagequ’illeuravaitpresquefallul’emmenerde
forceàdessoirées.
– Un tout petit peu, gloussa Mara. J’ai bu quelques coupes de... (nouveau hoquet) ... de
champagneCristaldansl’avion.
Jacquiécarquillalesyeux,admirative.Unavionprivé,duchampagneàcinqcentsdollars–cette
fillesavaitsedébrouiller.
Lestroisamiessouriaientjusqu’auxoreilles,enserappelantlemerveilleuxétépasséensemble
l’annéeprécédente,etensedemandantquellesaventures,bonnesouhasardeuses,leurréservaitceluici. Tout était d’un vert éclatant après l’averse et l’air embaumait le sel et la terre, et s’y ajoutait un
merveilleuxparfumboisé.Lestroisfillesn’enrevenaientpasdeleurbonnefortune:êtreici,dansles
Hamptons,enfinréunies!
Marafourrasesbagagesdanslecoffreetouvritlaportièrearrière.
–Euh...,commença-t-elle,nesachantoùposersesfesses.
Labanquetteressemblaitaucaddied’unSDF.Elleétaitenvahiedebouteillesd’eauvides,desacs
deshoppingdéchirés,deboîtesàchaussures,deCD,d’emballagesdebarresdechocolatlightetde
paquetsdetortillachipsallégées.C’étaitinattendu,pourquelqu’und’aussisoignéqu’Eliza.Comment
unefilleaussisoucieusedeseshabits,desescheveuxetdesonlookengénéralpouvait-elletraitersa
voiture comme une poubelle ? C’était une des choses que Mara appréciait tant chez elle : il était
impossibledelaréduireàunstéréotype.
–Ohlàlà!Désoléedubordel,ditEliza,embarrassée.
Marasouritetdéplaçaunsacdevêtementssortisdupressingafindepouvoirs’asseoir.
– Qui a faim ? demanda Mara. À bord, il y avait ces amandes de Majorque... Il y en avait
tellementquej’enaiprisdeuxsachets.Ellessontsuper-bonnes.
ElizadémarraetMaraleurtenditlessnackschapardésdansl’avion.
– Alors, dites-moi tout ! C’était comment, Palm Beach ? Eh, les filles, vous ne m’avez jamais
racontécommentças’étaitpassé!
Pastoutàfaitremiseduvol,elleplanaitencoreunpeu.Garrettavaitcabotinétoutaulongdu
voyage. À un moment, il avait même transformé l’avion en boîte de nuit volante et avait fait
tournoyer Mara jusqu’à ce qu’elle soit prise de vertige. Sa bonne humeur était si contagieuse que
JacquioubliamomentanémentquePalmBeachétaitunterrainminé.
–C’étaitgénial!s’exclamaJacqui.Onaempruntélesrobesquelesjumelless’étaientfaitfaire
pourleurpremierrallye.J’aiportéunmodèleChristianLacroixaucorsagedécorédeperlescousues
main,dontPoppynevoulaitpas.EtElizaapumettrecettesublimerobeChanelqueKarladessinée
exprèspourSugar.
Mara poussa des « Oh » et des « Ah » en écoutant Jacqui décrire la maison et le réveillon du
nouvelan,etElizacompritquelemomentétaitvenud’avoueràsameilleureamiecequ’elleavaitfait
avecsonex-petitcopain.
–Mara,fautquejetediseuntructrèsimportant,ausujetdePalmBeach...
MarafixaEliza,intriguée.Sielleavaitunmauvaispressentiment,ellen’enmontraitrien.Son
visageétaitouvertetpleindecandeur.
Jacquiretintsonsouffle.Elleétaitpresqueparvenueàbalayerdesespenséeslesecretd’Eliza.
Or,posanttouràtourlesyeuxsurl’uneetl’autredesesamies,ellesavaitquecequiallaitsuivre,elle
nerisqueraitpasdel’oublierdesitôt.
ChezlesPerry,lesfilles
rencontrentlederniergadget
importédeFrance...
–Uneseconde!s’écriaMara,coupantlaparoleàEliza.
LaradiodiffusaitunevieillechansondeMadonna,etMarasepenchaentrelesdeuxsiègesavant
pouraugmenterleson.
–Papadon’tpreach!semirent-ellesàchanterd’uneseulevoix.I’mintroubledeep!
Mara était la fille la plus heureuse du monde. Quelle joie de retrouver Jacqui, Eliza et les
Hamptons!Sesamiesluiavaientterriblementmanqué.Là-bas,chezelle,iln’yavaitpersonned’aussi
drôlequ’Elizaoud’aussidéluréqueJacqui.
Lachansons’achevamais,avantqu’Elizaeûtpudireunmot,Maralâchasoudain:
–C’estfoucequej’aienviederevoirRyan!
–Ahoui?fitJacqui.Alorsquetuasrompuaveclui?
– Je sais, je sais, soupira Mara, toujours un peu pompette. Vous savez les filles, je pense
vraimentavoirfaitunebêtise.Enfin...ilm’aditqu’ilm’aimaittoujours,mêmeaprèsquejeluiaidit
qu’on ne pouvait pas continuer, et j’espère juste que... je sais pas... Vous savez s’il sort avec
quelqu’un?demanda-t-elled’untonpleind’espoir.
Elizaseraclalagorge.Quitteàparler,ilfallaitqu’ellesedécidevite,avantquecelanedevienne
encore plus difficile. De toute évidence, Mara était encore amoureuse de Ryan, et Dieu sait que ce
seraitterrible,pourelle,d’apprendrequ’ilétaitsortiavecunedesesamies.Ilvalaitmieuxenfinirau
plusvite.Maraluienvoudrait,maisellefiniraitparcomprendreet,avecunpeudechance,parlui
pardonner.
–Mara,écoute,c’estimportant!Jet’enprie,netemetspasencolère,d’accord?Parcequeçane
signifierien,jetelejure.Cethiver,àPalmBeach,je...
–C’estlàquej’aipasassuré,l’interrompitànouveauMara,visiblementsourdeàl’angoissede
plusenplusperceptibledanslavoixd’Eliza.CequejeregrettedenepasêtrealléeàPalmBeach!
NomdeDieu,jesaispascequim’aprisderenoncer...Siseulement,jet’avaisécoutée,Jacqui!
Jacquidemeurasilencieuse.
–Enfin...alors,c’étaitquoi,cequetuvoulaismedire,Eliza?Pourquoijedevraismemettreen
colère?demandaMaraenentreprenantdenatterlescheveuxd’Eliza,quiretombaientsurledossier
dusiège.Ils’estpasséquoi,àPalmBeach?
–PendantlesvacancesdeNoël,je...je...
Elizaavaitlagorgenouée.Ellerespiraunboncoup.
–...j’aidécidédenepastravaillerpourlesPerrycetété.Jenevaispasêtrefilleaupair.
–Hein?s’exclamèrentenmêmetempsJacquietMara,choquéespourdesraisonsdifférentes.
Elizasemordillalalèvre.ElleavaitétésurlepointdetoutrévéleràMara,pourdebon.Detout
luiavouer,histoiredemettretoutçaderrièreelle.Maran’avaitrienàvoiravecsesanciennesamies
LindsayetTaylorqui,leshypocrites,l’avaientsalementlaissétomberl’annéedernière.
ElizaavaittoujourseulesentimentdepouvoirtoutdireàMara.Bon,d’accord,ellesnes’étaient
pas donné beaucoup de nouvelles au cours de l’année scolaire, mais cela ne changeait rien : c’est
commesielless’étaientquittéesàlaveille.
Elizahaussalesépaules,àl’intentiondeJacqui.Ellesavaitquecettedernièrelaprendraitpour
unelâcheetunementeuse.Ellepourraitvivreavecça,plutôtquededevoirbriserlesespoirsdeMara.
Elleavaittroppeurdelablesser.Parailleurs,raisonna-t-elle,lameilleurechoseàfaire,c’étaitdene
riendire.AinsiMaraetRyanpourraientseremettreensemblesansrienavoiràsereprocher.SiEliza
ignoraitleproblème,ilfiniraitbienpardisparaître,non?
–Tufaisquoi,alors?demandaMara,arrachantElizaàsondébatintérieur.
– Je travaille au Septième Cercle, la nouvelle boîte de nuit, répondit fièrement Eliza. C’est
vraimentchouette–jevaisapprendredestasdechosesenmatièrederelationspubliques,etcegenre
detrucs.Jen’aipasvraimentbesoindusalairedesPerrycetété.Lesaffairesdemonpèrevontmieux,
etiln’estpasimpossiblequ’onretournes’installerenvillel’annéeprochaine.
Maraselaissaretombersurlabanquette.
–Tuétaisaucourant,Jacqui?
Jacquihochalatête.
–Ettunem’enasriendit?gémitMara.
– Je suis désolée... Je croyais qu’Eliza t’avait envoyé un e-mail, bredouilla Jacqui en fusillant
unenouvellefoisElizaduregard.
Celadit,songeaitJacqui,sicelacontrariaittantMaradenepasavoirétéinforméedesprojets
estivauxd’Eliza,mieuxvalaitnepasluiavoirrévélélesecretdePalmBeach.
–C’estsuper,ditMara.Enfin...jesuisvraimentcontentepourtoi,Eliza.Maisqu’est-cequ’onva
fairesanstoi?QuivaterroriserWilliampourqu’ilobéisseenfin?Onseverra,aumoins?
–Qu’est-cequeturacontes?Onseverratoutletemps!promitEliza.
Elle tourna dans l’allée des Perry, où étaient garées plusieurs voitures de luxe. La dernière
acquisitionendateétaituneétincelanteToyotaPrius,unevoitureàmoteurhybridequiconstituaitla
toute nouvelle obsession des Hamptons en matière automobile. Les Prius étaient politiquement
correctes,respectueusesdel’environnementetincroyablementdifficilesàobtenir–ilyavaituneliste
d’attentedesixmois,etcertainsvéhiculessenégociaientavecunsupplémentdecinquantepourcent
au-dessus des prix de vente officiels. L’Aston Martin de Ryan Perry était garée à côté. Mais Ryan
demeurantunsujetdélicat,nulnefitdecommentaire.
Laurie, l’assistante personnelle d’Anna Perry, une femme d’une quarantaine d’années à la
chevelure hirsute, portant son mobile autour du cou et vivant par procuration la vie de ses
employeurs,lesattendaitdevantleporche.
–Hellolesfilles!Soyezlesbienvenues!Eliza,qu’est-cequetufaislà?Annaetlesgaminssont
encoreenvilleetn’arriverontquedemaindanslamatinée.Ilsétaientcensésveniraujourd’hui,mais
Kevin a eu besoin de l’hélicoptère pour un rendez-vous de dernière minute dans le Connecticut, et
Annan’avaitpasenviedesecoltinerlesembouteillages.Ryanetlesjumellesnedoiventpasêtrebien
loin. Jacqui et Mara, vous pourrez disposer de votre soirée après avoir préparé la chambre des
enfants.
EllessuivirentLaurieàl’intérieurdelamaisonettrouvèrentlademeuredesPerryinchangée,
avec ses bouquets somptueux disposés un peu partout, son parquet en zebrano au brillant
irréprochable... Toutes les pièces paraissaient prêtes à faire l’objet d’une séance photo pour un
magazinedéco.LaurieleurexpliquaquelesPerryconservaientunpersonnelréduitchargédeveiller
àcequelamaisonsoittoujoursparfaite,mêmeenpleinhiver.Ceafinqu’ilspuissentydébarquerà
toutmoment,mêmesi,horssaison,ils’écoulaitparfoisplusieursmoisd’unevisiteàl’autre.
–C’estquoi,cebruit?demandaMara.C’estunebétonnière?
Sonpèretravaillantdanslaconstruction,cesonluiétaitfamilier.
Lauriegrimaçaetseplaqualesmainssurlesoreilles.
–C’estlechâteaudesReynolds.Ilsnesontpascenséspoursuivrelestravauxaprèscinqheures
del’après-midi.J’aidéjàfaitremarqueràAnnaquenousdevrionsalerterlamunicipalité.
Les trois filles s’avancèrent discrètement vers la baie vitrée et jetèrent des coups d’œil à
l’énormeconstructionquiétaitentraind’êtreédifiéesurunedemeurevictoriennetraditionnelledéjà
existante. Une structure de bois alambiquée, comprenant des tours, des poivrières et même ce qui
avaittoutl’aird’êtredesdouves,semblaits’étendresurtoutelalongueurdelapropriétéets’avancer
jusqu’à la plage. Une immense grue soulevait plusieurs colonnes grecques plaquées or. Elles
assistèrent,fascinées,àlaposed’unvitrailhautdedouzemètresaudernierétage.
–C’estunehonte,cequ’ilsfontsubiràl’anciennepropriétédesRockefeller!sifflaLaurie,aussi
outréequ’unevéritablearistocrated’EastHampton.C’estunehorreurabsolue!
– Eh les filles, je vais vous aider à porter vos bagages, dit Eliza en prenant le vanity-case de
JacquietlesmagazinesdeMara.
Lesfillestraversèrentlacuisinejusqu’àlaportedeservicedonnantsurlaterrasseetlejardin.
Lespelousesétaientimpeccables,unjeudecroquetinstallépourquivoudraitdisputerunepartieet,
auloin,lescourtsdetennisetlesterrainsdebasketvenaientvisiblementd’êtrerepeints.
–OhmonDieu!C’estqui?chuchotaElizaàl’adressedesdeuxautres,tandisqu’ellesarrivaient
aupatiodelapiscine.
Étendu sur un matelas pneumatique, au milieu de la piscine à débordement, se trouvait le plus
beaugarçonqu’elleseussentjamaisvu.Sasilhouetteétaitminceetdorée,desescheveuxcouleurde
miel à son bronzage caramel. Une cigarette au coin des lèvres, il portait des lunettes d’aviateur et
tenaitàlamainuncocktailfrappédécoréd’uneombrelleminiature.
– Bonjour 1, lança le beau jeune homme d’une voix traînante, en laissant courir un doigt dans
l’eau.
Jacqui eut le souffle coupé. Avait-elle déclaré : « Fini les garçons » ? Pouvait-elle faire une
exception,pourleplussplendidespécimenqu’elleeûtjamaiscontemplé?
Ilrelevaseslunettesdesoleil,etlesdétailladepiedencapavecunsouriretaquin.
–Salut,marmonnaMara.
–Bonjourtoi-même,rétorquaEliza.
–Boatarde,ditJacquiensouriantdetoutessesdents.
– Je suis Philippe Dufour. Vous devez être mes collègues de travail. Deux d’entre vous, du
moins,expliqua-t-ilavecunséduisantaccentfrançais.
–Collèguesdetravail?demandaMara.Vousn’êtestoutdemêmepas...
Il sourit, tira une bouffée de sa cigarette, et laissa tomber la cendre dans l’eau d’un bleu
chimique.
–Maisoui,jesuislenouveaugarçonaupair.
1. Enfrançaisdansletexte.
Lesrègles
nesont-ellespasfaites
pourêtreenfreintes?
Laurie les mit au parfum, sur le chemin du cottage des domestiques : Philippe était le neveu
françaisdelanounoufrançaisehabituelle,quirentraittouslesétésdanssafamilleenCornouailles.
Philippe était arrivé le matin même. Il était inscrit dans un lycée londonien, d’où son anglais quasi
parfait. Aspirant à devenir joueur de tennis professionnel, il espérait se faire une réputation en
remportantletournoidetennisRolex,quisetenaitchaquemoisdejuilletàEastHampton.Enplusde
veillersurlesenfants,illeurdonneraitdescoursdetennis.
– Comme vous pouvez le constater, il est ici comme chez lui, commenta Laurie d’un ton
légèrementdésapprobateur.Çayest,nousyvoici!dit-elleenouvrantengrandlaporteducottage.
Ilétaitentouspointssemblableausouvenirqu’ellesengardaient.Jusqu’àlatroisièmemarche
de l’escalier branlant, qui grinçait toujours... Leur chambre était aussi dépouillée et austère qu’une
celluledeprisonnier,maisellesnes’attendaientpasàmieux.Ilyavaitdeuxlitssuperposésetunlit
uneplace,dotésd’oreillersfatiguésetdecouverturesrêches.Contrelemurd’enface,ilyavaitdeux
commodes,unfauteuiluséjusqu’àlacordeetunetabledenuitavecunelampequinemarchaitplus
très bien depuis qu’Eliza s’était pris les pieds dans le cordon, un soir de juillet, un an plus tôt. Il y
avait cependant une nouveauté : un interphone blanc flambant neuf qu’Anna avait fait installer,
expliquaLaurie,afindepouvoiraisémentcontacterlesfilles(etlegarçon)aupair.
MaraetJacquicommencèrentàdéfaireleursbagagesendiscutantdecetteinnovationfascinante
(legarçon,pasl’interphone!)toutenchoisissantleurscommodeetlitrespectifs.
–Tuveuxlelitduhaut?proposaMaraàJacqui.
–Oui.Jeteremercie,réponditJacquienécartantlerideaudel’uniquevasistas.Àtonavis,où
est-cequ’ilsontinstallélegarçon?
Marahaussalesépaules.Philippeluiétaitcomplètementsortidelatête...Ellerevoyaitl’Aston
Martingaréedansl’allée,etsedemandaitsiRyanétaitquelquepartdanslapropriété.Peut-êtreétait-il
danssachambre,oudanslacuisine?Etsielleexploraitunpeuleslieux?...
Elizas’assitsurlelituneplace,sansréussiràsesentiràsaplace.Elleétaitpleinedenostalgie
enserappelantl’étédernierettouslesincroyablesmomentspassésensembledanscetespaceexigu–
à fumer en cachette à la fenêtre ou à descendre les bouteilles de vodka chipées dans le placard à
alcoolsdesPerry.Direquesurlelitoùelleétaitassise,Jeremyetelleétaientsortisensemble!Mais
sesregretss’évanouirentlorsqu’elleremarquadesmoutonsdepoussièresouslatabledenuitetse
souvintdelachambreclimatiséequil’attendait,danslamaisonquesafamilleavaitlouéepourl’été.
–Eh...Ilestchouette,toncollier!RyanPerryalemême,non?demandaMara.
Levantlesyeuxalorsqu’elledéballaitsesaffaires,elleavaitaperçulecordondecuirqu’Eliza
trituraitduboutdesdoigts,perduedanssespensées.
–Oh!
Elizas’empressaderetirersesmainsdesoncou.Nerveuse,ellejetaunregardalentour.
–Oh,c’estrien,unvieuxtrucquej’aidégotéDieusaitoù...
– Vous avez traîné ensemble en Floride ? reprit Mara d’une voix pleine de langueur. Toi et
Ryan?Tul’astrouvécomment?
Elizarougit.
–Commentça?...
–Ehbien,jesaispas...Ilavaitquelair?Ilsortaitavecquelqu’un?
–Jel’aitrouvécommed’habitude,réponditElizaenhaussantlesépaules.Iln’étaitpassouventà
lamaison.Àpartça,lesfilles,vousavezvucemec,danslapiscine?Onpeutdirequevousavezdu
bol!fit-elleremarquer,histoiredechangerdesujet.
Elleleurfitsigned’approcher.
–Àcequej’aientendudire,lesFrançaissontchauds...
MaraetJacquigloussèrent.
C’estalorsquePhilippeentra,répandantautourdeluiuneodeurdetabacetd’huilesolaireau
coco.PourJacqui,c’étaitl’odeurlaplussexydumonde.
–Bon!s’exclama-t-ilensefrottantlesmains.Çadevraitêtreamusant,troisfillesetmoi!
– Tu n’es quand même pas censé dormir ici ? demanda Mara, comprenant vaguement qu’il
parlaitdelachambre.
Anna n’aurait pas eu idée de mettre deux filles et un mec ultra-sexy dans la même chambre ?
Certes,Annan’étaitpasvraimentdugenreàrespecterlabienséance...Maran’enrevenaitpas.
Jacquihaussalesépaules.Oùétaitleproblème?Visiblement,Maran’avaitjamaisfréquentéles
aubergesdejeunesseeuropéennes.
Philippeallaitdoncdormirdanslamêmechambrequ’elles.Commeceserait...pratique.
–Si,réponditPhilippe.
Ilfouilladanslederniertiroirdelacommode,ensortitunechemiseetuncaleçonetcommença
àretirersonslipdebain.
–Uneseconde!s’écriaMara.Tutecroisoù?
Ellesavaitqu’ellesecomportaitenrabat-joie,maishonnêtement,ildépassaitlesbornes.Ellese
fichaitbienqu’ilsoitfrançaisetcharmant.Ellen’avaitpasenviedesesentirmalàl’aisetoutl’été.Il
faudraitqu’ilapprenneàrespectersapudeuràelle–silui-mêmen’enavaitpas.
ElizaetJacquiavaientl’airdéçues.LepeuquePhilippeavaitdévoiléleuravaitdonnéenviede
voirlereste.Elless’étaientréjouiesdecestrip-teaseinattendu.
Legarçonhaussalesépaules.
–Onn’apasledroitdesedéshabiller?Jesuispourtantdansmachambre!
Eliza et Jacqui regardèrent, amusées, Mara pousser Philippe vers le couloir, en lui maintenant
avec fermeté les bras le long du corps. Elles retrouvaient la Mara collet monté qu’elles avaient
connue!
– En Amérique, on se change en privé ! insista Mara. (Elle retourna dans la chambre en se
frottant les paumes, consternée.) Ce type est pas croyable ! Quoi qu’il en soit, Jacqui, j’ai
l’impressionqu’ilaprislacommodeàcôtédulit.Ehbien...Onpartageleplacard,alors?Etpuisil
faudraitqu’onaillevoirLaurie,qu’ellenousdisecequ’onaàfaire.
–Ouais...Jedevraispeut-êtreyaller,ditElizad’untoncontraint,enselevantetenramassantson
sac.
Çaluifaisaitbizarrederevoirleuranciennechambresanspouvoiryrester.
– Eh, les filles, vous faites quoi demain soir ? Vous ne voulez pas venir passer la soirée chez
moi?Jenecommencepasàtravailleravantsamedi.
–Pourquoipas...,réponditJacqui.
Pour la seconde fois en quelques minutes, elle réalisait qu’ignorer toutes les tentations pour
devenirlababy-sitteridéaleneseraitpasunetâcheaussisimplequeprévue.
–...sionparvientàmettrelesgaminsaulitdebonneheure.
–Comptesurnous,onviendra!ditMara.
S’il y avait une chose qu’elle avait apprise l’année dernière, c’était bien celle-ci : elles
trouveraienttoujourslemoyendes’occuperdesgaminsetdes’amuser.
Eliza écarquilla les yeux et sourit. Jacqui se comportant en personne responsable ? Mara se
déclarantprêteàfairelafête?Décidément,leschoseschangeaient!ToutesdeuxétreignirentEliza,et
promirentdel’appelerbientôt.
Lorsque Eliza partit, le claquement de ses mules se faisant entendre dans l’escalier, Philippe
reparut dans la pièce. Il était rasé de frais et portait une chemise Oxford amidonnée et un jean
parfaitementrepassé.
–C’estmieuxcommeça?demanda-t-ilàMara.
Elle approuva sèchement. Elle avait fini de ranger ses vêtements – elle en avait emporté peu,
comparéàJacqui,dontlagarde-robeoccupaitdéjàtoutleplacard.
–JevaisvoircedontLaurieabesoinpourlachambredesenfants,dit-elle.
–Jeterejoins,promitJacqui,évitantdecroiserleregarddeMara.
Elle était parfaitement consciente que Philippe, affalé tel un empereur sur le lit une place, la
fixaitavecdesyeuxbrillantsdeconvoitise.
Mara haussa les épaules et quitta la pièce. Sans doute pourrait-elle faire un petit détour en se
rendant au bureau de Laurie – de façon, par exemple, à se retrouver juste devant la porte de la
chambredeRyan.
– Dis, Jacqui, tu as également besoin de voir Laurie ? demanda Philippe à Jacqui. Parce que
sinon,ilyaencore...commentt’appellesça...delapiñacoladadanslebolmixeur.
Jacquicessaderangersesvêtements.Ellesavaitcequ’elledevaitfaire:suivreMaraetl’aiderà
tout préparer pour la venue des gamins, le lendemain matin. Mais Philippe souriait toujours,
l’éblouissantparlablancheurdesesdentsetsesyeuxd’unbleuéclatant.Ilpassalamainsouslelit,et
entiraunebouteillederhumàmoitiépleine.
–Tum’aidesàlafinir?proposa-t-il.
–J’aieffectivementunpeusoif...,concédaJacqui.
Elle qui s’était juré de faire un effort cet été : de ne pas se laisser distraire, d’aider Mara à
s’occuperdesgamins,deréviserson...sonquoidéjà...sonexamend’entréeàlafac...
Jacquirespiraungrandcoup,redressalesépaules,etleregardadroitdanslesyeux.
– Mais tu sais quoi ? Il vaut mieux qu’on remette ça à plus tard ! lança-t-elle à Philippe en
quittantprécipitammentlachambre,avantqu’ilaitpuprononcerunenouvellefoissonnomavecson
adorableaccentfrançais.
Desretrouvailles...
pasfranchementréussies
Mara se réveilla tôt le lendemain matin et, entre deux bâillements, rejeta les draps. Jacqui
dormait dans le lit du haut, tandis que Philippe ronflait bruyamment dans le lit une place, sous une
montagnedecouvertures.Laveilleausoir,MaraetJacquil’avaientretrouvéentraindefumeretde
fairedesréussites.Elless’étaientjointesàluiettoustroisavaientdisputéquelquesmanchesdedame
depique,puiss’étaientcouchésdebonneheure.
Maraavaitpassélaplusgrandepartiedelajournéeprécédenteàerrerautourdelamaisondes
Perry,danslevainespoird’apercevoirRyan.Sachantqu’ilavaitcoutumedeselevertôtpouraller
fairedusurfavantlepetitdéjeuner,elleavaitrégléleréveilauxaurores,afindelesurprendreavant
sondépartpourlaplage.Ellechoisitsatenueavecuneattentionparticulière:untee-shirtvertpâle
prérétréciquimettaitsatailledeguêpeenvaleuretunmini-shortenjeanàlaJessicaSimpsonqui
dévoilait ses jambes. Elle rassembla ses longs cheveux bruns en une queue-de-cheval négligée, en
prenantbiensoinderamenerquelquesboucleséparsesautourdesonvisage.
Malheureusementpourelle,ellenetombapassurRyandanssacombinaisondesurf,lesyeux
rivés sur les prévisions météo s’affichant sur l’écran plasma du téléviseur de la cuisine. Elle fixa
l’AstonMartingaréedansl’allée,commesiellepouvaitforcerRyanàapparaître.Elleretournadans
lamaison,lesépaulesvoûtées,sedemandants’ilnel’évitaitpas.Danslacuisine,elleseservitunbol
deyaourt.Soudain,elledistinguadesvoix,provenantdupatio.Leventrenoué,elleouvritlaportefenêtre.
Ryansetenaitsurlaterrasseetdiscutaitavecunegrandeblonde.Illevalesyeuxet,apercevant
Mara, parut surpris. Il était vêtu d’un chandail à capuche et d’un jean délavé, et avait un sac de
couchage coincé sous un bras et une glacière sous l’autre. Ses cheveux ébouriffés partaient
comiquementdanstouslessensetilavaitlevisagezébréparlesmarquesdel’oreiller–maistout
cela ne le rendait que plus adorable. Comme d’habitude, il était pieds nus, et ses orteils étaient
couvertsdesable.
– Hé ! dit-il et, l’espace d’une seconde, Mara retrouva son sourire franc et ses fossettes –
auxquels,hélas,succédaaussitôtunegrimaceembarrassée.Mara...Jenesavaispasquetuétaislà.
– Je suis arrivée hier, dit-elle en s’efforçant de garder un ton léger (c’était qui, cette fille,
bordel?).Jenevoulaispasvousdéranger.
Ryanlaissatombersesaffairesetsedirigeaverselle,lesbrastendus.
–Tuplaisantes.Çafaitplaisirdetevoir!répliqua-t-ilens’assurantden’entrerencontactavec
aucunepartiedesoncorps,àl’exceptiondesondos,qu’iltapotacommesielleétaitundesespotes
del’équipedefoot.
Ellehumal’odeurdemerdesescheveux,quiluirappeladouloureusementl’étédernier.
–Àmoiaussiçamefaitplaisir,répondit-elled’unevoixétranglée.
Il était encore plus beau que dans son souvenir. Le soleil avait éclairci ses cheveux et son
bronzageintensesoulignaitl’éclatdesesyeuxverts.Ilsedéplaçaittoujoursaveclamêmegrâce;il
émanait toujours de lui la même décontraction, la même simplicité... Le genre de gars à qui la vie
avaittoutdonné,maisquin’avaitpaslaissécetteheureusecirconstancelepourrirlemoinsdumonde.
Mara l’avait toujours trouvé trop bien pour elle. N’empêche que pendant une semaine entière, l’été
précédent, il avait été à elle – totalement, délicieusement et miraculeusement. Et à présent, elle
comptaitbienlereprendre.
– Allison m’a raccompagné, expliqua Ryan, en présentant les deux filles l’une à l’autre. Tu te
souviensdemoncopainOz?Ilafaitunfeudejoiehiersoir,poursuivit-ilenenlaçantlatailledela
blonded’unmètrequatre-vingts,sosiedeCharlizeTheron.
Allisonportaitunsimpledébardeurblancetunpantalondepyjamafermantavecuncordon.Elle
avait les cheveux en bataille mais, songea Mara, ce genre de fille n’avait aucun effort à faire pour
paraîtresexy.Sansdoutenepassait-ellepasunedemi-heureàchoisirlabonnetenueetàsortirdes
bouclesdesaqueue-de-cheval.
– Et ce garçon n’était pas en état de conduire ! roucoula Allison en chatouillant le ventre de
Ryan.
–Eh!protestaRyanenluiattrapantlesmains.
IlsfirentminedesebattreetAllisonfronçalessourcils,pourrire,lorsqueRyanluibloquales
mainsderrièreledos.
Mara les regarda flirter, l’estomac noué. À peine un an plus tôt, Ryan et elle avaient passé
presquetouteslesnuitsdeladernièresemaineenlacésdanslesbrasl’undel’autre,àserévélerdes
secrets qu’ils n’avaient jamais confiés à personne... Elle se rappelait la moindre cicatrice sur son
corps(celledugenouqu’ils’étaitcasséenfaisantduski,etcelledumolletdroit,dueàunechutede
skate) et la moindre anecdote au sujet de son éducation (les Noëls dans le Maine, son safari
« initiatique » au Kenya, son vieux professeur de latin, avec qui il déjeunait encore souvent à New
York). Et, surtout, la façon dont son nez se plissait lorsqu’il fermait les yeux et s’apprêtait à
l’embrasser.Maraavaitbeausavoirquec’étaitellequiavaitrompu,çaluifaisaitmaldelevoirflirter
avecuneautre.
Elle fut soulagée de les voir interrompre leur petit numéro, mais eut une bouffée d’angoisse
lorsque Ryan s’assit près d’elle à la table du patio. Allison marmonna quelque chose au sujet de la
fraîcheurdel’air,etMarasuivitdesyeuxsalongueetsouplesilhouettetandisqu’ellesedirigeaitvers
uneJeepgaréedanslesable.Ilsétaientarrivésparlespetitesroutesjusqu’àlaplageprivéelongeant
lapropriétédesPerry.Commetoutescesroutesétaientégalementprivées,celasignifiaitqu’Allison
venaitd’unefamillepossédantelleaussiunepropriétéàGeorgica.Allisonétaitexactementlegenre
defillequ’ons’attendaitàvoiravecuntypecommeRyan.Marareposasonboldeyaourt.Toutçalui
avaitcoupél’appétit.
Allisonregagnalepatioàgrandesenjambées,ayantenfiléunchandaild’hommeportantlelogo
del’universitédeDartmouth.MarasesouvintqueRyandésiraitalleràDartmouth.Ellesedemanda
s’ilétaitparvenuàyentrer.AllisonseperchaillicosurlesgenouxdeRyan.
–C’estquoi,ça?minaudaAllisonentâtantduboutdesdoigtsunecorbeilledefruitsvisiblement
exotiques,aucentredelatable.
–Voiciunkaki,réponditRyanendésignantcequiressemblaitàunetomateorangeaplatie.Etça,
c’est un ramboutan, expliqua-t-il en saisissant une boule rouge hérissée de piquants. Anna les fait
venird’Indonésie.
Lesnobismed’Annalapoussait,entreautresmaniesridicules,àmépriserlesproduitslocaux.
Les Hamptons avaient beau être réputés pour leurs fraises, leurs pêches et leurs poires, les fruits
rares,importésethorsdeprixéclipsaientlesfruitsfraisetdisponibles.
–Çasemangecomment?demandaAllison.
Ryan lui montra comment éplucher délicatement le fruit et libérer sa chair blanche et
gélatineuse.
–Miam!fitAllisonenmastiquant.
Elle en pela un second, qu’elle mit dans la bouche de Ryan, qui la remercia d’un baiser. Ils
s’amusaient,gloussaient...Maraavaitenviedevomir.Ellefitglissersachaiseenarrière,s’apprêtantà
serelever.
– Alors, comment était le trajet en car ? Il y avait beaucoup de monde ? l’interrogea Ryan en
daignantenfinlaregarder.
Ellesecoualatête.
– En fait... je suis venue en avion. Anna s’est arrangée pour que je fasse le trajet avec les
Reynolds,dansleurjet.
– C’est vrai ? C’était comment ? Il paraît qu’il est dans un sale état, dit Allison, les yeux
écarquillés.
– C’est un nouveau G5, rétorqua Mara, en se rappelant ce que Garrett lui avait dit au sujet de
l’avion.Enfait,ilestsuper,ajouta-t-elle,unpeusurladéfensive.
–J’endoutepas,fitremarquerRyan–etMaracrutdécelerdanssontonunenuanced’ironie.
–Garrettestvraimentsympa.Ilditquevousvousconnaissez,repritMara,décidéeàtesterRyan.
–C’étaitunbonamiàmoi,répliquaRyanavecunvisageimpassible.Maiscen’estpluslecas.
C’est alors qu’un sifflement perçant interrompit le silence matinal. Levant les yeux, ils virent
l’objetdeleurconversation,quisetenaitdevantl’alléeséparantlesdeuxmaisons,ettenaitàlamain
uneballedetennis.
–Elleestpasséepar-dessuslaclôture,expliquaGarrett.
Ilportaitunetenuedetennisd’unblancimmaculé.OnauraitditunmannequinRalphLauren.
–Salut,grommelaRyan.
–SalutGarrett,roucoulaAllison.Ilparaîtquevousavezunnouveaujet?
Garretthochalatête,unsourireauxlèvres.Ils’avançanonchalammentet,d’undoigt,désigna
Mara.
–Salutbeauté!Alors,c’estbonpourdemainsoir?J’espèrequetuaschangéd’avis.J’airéservé
lameilleuretableàl’AmericanHotel.
La veille, Mara avait poliment décliné l’invitation. Mais après le numéro que Ryan et Allison
venaientdeluifaire,elleoptapouruneautretactiqueetadressaàGarrettunsourireravageur.
–OK,pourquoipas?dit-elle.
–Super.Jepassetechercheràseptheures,répliquaGarrett,visiblementravi.CiaoAli.Àplus,
Perry,lança-t-ilàRyan,enfaisantrebondirsaballesursaraquettedetennisetenrefranchissantla
haie.
Ryanseraclalagorge.
–Bien.Amuse-toidemainsoir!dit-ild’untonbrusque.Aufait,jecroisqueLaurieestdansson
bureau,ajouta-t-il,s’adressantàMaracommesiellen’étaitqu’unedesinnombrablesemployéesau
servicedesPerry.
IlsetournaànouveauversAllison,l’aidaàserelever,ettousdeuxdisparurentdanslamaison.
Les espoirs de Mara – retrouver Ryan afin qu’ils reprennent leur histoire là où ils l’avaient
laissée – étaient à l’eau alors que l’été commençait à peine. Mais, avant qu’elle ait eu le temps de
s’apitoyerdavantagesursonsort,lesolsemitàtrembler.Levantlesyeux,Maravitunhélicoptère
argentéatterrirsurlapelouse,etleshautesherbessecouchersurlesol.
Unefemmeémaciée,vêtued’unerobeafricaineampleetfroncée,émergeaprudemmentparla
portièreens’efforçantvainementdeprotégersonbrushingcontrelecourantd’airetenhurlantsur
les pilotes. Plusieurs enfants se répandirent hors de l’hélicoptère, réclamant à grands cris leur petit
déjeuner.
AnnaPerryetlesenfantsavaientfinipararriver.
LesenfantsPerry
ontbeaucoupdechoses
àapprendre...etbeaucoup
demédicamentsàprendre
AnnaPerryétaitassisedevantlatabledejeudelasalledeprojectionderniercridesPerry,et
tapotaitdesdoigtslefeutrevert.Prèsd’ellesetrouvaitLaurie,prêteàtapotersurleclavierdeson
ordinateur portable. Sur l’écran large de cinq mètres, au fond de la pièce, s’affichait une page
d’accueil. OBJECTIFS À ATTEINDRE CET ÉTÉ PAR LES ENFANTS PERRY, pouvait-on lire en
lettrescapitales.
Marapritplaceenfaced’elles.Elleétaitpensiveetnerveuseaprèssarencontrematinaleavec
Ryanetsanouvellepetiteamie.Àcôtéd’elle,deuxchaisesvides.JacquietPhilippeétaientenretard.
Unmonsieurportantbarbeetlunettes,vêtud’uncostumeentweedrâpé,étaitassisavecunbloc-notes
àlamainàlagauched’Anna.Marasedemandaitquiilétait.
Une gamine filiforme, qui devait avoir onze ans, entra dans la pièce. Mara l’avait vue un peu
plus tôt sortir de l’hélicoptère. Elle ne l’avait pas reconnue, de loin. Or, à présent, elle voyait qu’il
s’agissaitdequelqu’undetrèsfamilier...
–Madison!s’écria-t-elle.Bonjourmachérie.
La nouvelle Madison concéda à Mara un bref signe de tête. L’été dernier, Mara avait tout fait
poursoutenirMadison,prenantsadéfensecontreuneméchanteprofesseurdedanseclassiqueoului
remontantlemorallorsqueWilliamlataquinait.Maratentadel’embrasser,maisMadisonévitases
brastendus.
–Anna,tutrouvesquecechemisiermevabien?demandaMadison,avantdemurmurerquelque
choseàl’oreilledesabelle-mère.
Lapetitefilleauxcheveuxbouclésquiaimaitporterdestee-shirtsetdesshortstropgrandsétait
devenuelesosiedeJamieLynn,lasœurcadettedeBritneySpears,avecsescheveuxdéfrisés,sonjean
évaséetundébardeurquilaissaitvoirsonnombril.
Quelques minutes plus tard, Madison fit à Anna un bisou sur la joue – ou, plutôt, embrassa
l’air–etsortitd’unpasléger,aumomentoùJacqui,lescheveuxmouillés,s’engouffraitdanslasalle,
talonnée par Philippe. Tous deux semblaient partager une bonne blague, et Mara remarqua le
pincementdelèvresd’Annalorsquecelle-cilesvitentrer.
–Philippe!Vousêtesbieninstallé?demandaaimablementAnnadansunfrançaisparfait.
–Oui,madame.C’esttrèsbeauici,répondit-ilenlagratifiantdesonsourireresplendissant.
Annarougitdeplaisir.
–Ehbien,Kevinetmoi,noussommesenchantésdevousavoiravecnouscetété,dit-elled’un
ton pontifiant. Jacqui, Mara, je vois que vous avez déjà fait la connaissance de Philippe. Philippe,
JacquietMaraontdéjàtravaillépournous,ellespourrontdoncvousmettreaucourantdesdétails,si
j’oubliaisdementionnerquoiquecesoit.Jevaisêtretrèsbrève,carjedoisassisteràuneréuniondu
comitédansquelquesminutes,chezlesParrish.
Commeàsonhabitude,Annanecessaitdefaireallusionauxgrandsnomsdelabonnesociété
desHamptons–cequin’évoquaitjamaisrienaugroupedesbaby-sitters.
–Toutd’abord,permettez-moidevousprésenterleDrPellAbraham,lenouveauthérapeutede
William.LeDrAbrahamsurveilleral’évolutiondeWilliampourcequiestdel’hyperactivité.Jacqui,
jepensequ’ilestinutilequejereviennesurcequis’estpasséàPalmBeach.Pasbesoindevousdire
qu’ilesthorsdequestionquecelasereproduise.Mescicatricesontdisparu,Dieumerci,grâceàun
traitementaulaser.Laurie,lalumière,jevousprie.Premièrediapositive.Jevousremercie,dit-elle
tandisquelapaged’accueilétaitremplacéeparunécranaffichantunephotodeWilliamentrainde
tirerlalangue,àcôtéd’unelisteinscriteaumarqueurdeses«problèmes».
Àlademanded’Anna,LaurieavaitconstituéuneprésentationPowerPointsurlesenfantsPerry,
aussirigoureuseetfroidequelabalancecommercialed’uneentreprise.
–Commevouslevoyez,nousespéronspouvoirenvoyerWilliamàEtonl’annéeprochaine,si
sestroublesmentauxnelesdécouragentpasderetenirsacandidature,ditAnnaensoulignantlesmots
Troubles déficitaires de l’attention / hyperactivité – nouvelles prescriptions à l’aide d’un curseur
lumineux.LeDrAbrahamtenteradifférentstraitements,etétudieralesrapportsdeWilliamavecsa
familleetleurimpactsursamaladie.Nevousétonnezdoncpasdelevoirassisterauxactivitésou
poserdesquestions.
Marablêmit.Annanesecontentaitpasdesedébarrasserdugamin,ellel’envoyaitcarrémentsur
un autre continent. Eton, une école privée anglaise ultra-sélecte, comptait le futur roi d’Angleterre
parmisesélèves.Annaavaittrouvélemoyendeconciliersesdésirsd’ascensionsocialeetsonenvie
de se débarrasser du plus problématique des enfants de son mari. Pire encore, un docteur des plus
louches allait le suivre tout l’été en prenant des notes ! À coup sûr, l’effet sur le comportement de
Williamrisquaitd’êtrespectaculaire...
LauriepressaunboutondelatélécommandeetlevisagedeZoéapparutsurl’écran.
–NoustrouverionsmerveilleuxqueZoéapprenneunelangueétrangèrecetteannée.Celanousa
tellementfaitplaisir,àKevinetmoi,lorsqu’elleaentamélalecturedecelivreenportugais,l’année
dernière. Mais nous pensons qu’elle devrait se tourner vers une langue plus... comment dire... plus
riche,dupointdevuehistoriqueetculturel.Unelanguequiluidemandeunpeuplusd’efforts.Ona
opté pour le russe. J’ai moi-même étudié Tchekhov à l’université, et je me suis dit que ce serait
formidablequ’elleprenneunpeud’avancesurl’étudedesclassiques.
Donnerdescoursderusseàunegaminedeseptans?Commentallaient-ilss’yprendre?Mara
avait à peine la moyenne en espagnol ! C’était du Anna tout craché, d’avoir choisi une langue
qu’aucundesdeuxbaby-sittersétrangersneparlait.
–QuantàCody,leDrAbrahamm’aalertéesurlefaitqu’ilcommençaitàmanifesterlessignes
d’unepersonnalitéborderline.Ildevradoncégalementfairel’objetd’unesurveillanceattentive.
JacquiprenaitunequantitédenotesetMara,voyantcela,avaitdumalànepaséclaterderire.
QuantàPhilippe,lesmainsplaquéessurlanuque,ilsebalançaitsursachaiseetbâillaitsansaucune
discrétion.
Nouvellediapo:unemploidutempshebdomadaire.
– Nous avons décidé de les maintenir très occupés cet été. Leur occuper l’esprit et les mains,
c’estlemeilleurmoyendelesempêcherdefairedesbêtises...Ledimancheetlelundi,ilsferontdu
surfàlaplagedeMontauk,lemardi,descoursdemusiqueetdesensibilisationàl’art,del’équitation
lemercredi,lecampd’étédelaCabalelejeudiet,levendredi,dansedesalonetbonnesmanièresau
CountryClub.Lesamedi,ilsaurontquartierlibre,maisj’espèrequevoussaurezlesinciteràtrouver
des activités productives – pratiquer la méditation, par exemple. C’est si important, d’avoir une vie
spirituelle.
AnnafitsigneàLaurie,etleslumièresserallumèrent.
– Pardonnez-moi, Anna... et Madison ? demanda Mara. Quels sont les objectifs qu’elle devra
atteindrecetété?
– Madison a onze ans. Trop âgée pour avoir encore besoin de baby-sitter, répondit Anna. Ne
vous faites pas de souci pour elle. Nous sommes tellement fiers que son nouveau régime lui
réussisse!
Lerestedelajournéeconsistaenuntourbillonfrénétique.Maislorsquelesenfantsfurentenfin
couchésetbordés,MaraetJacquiretournèrentlessivéesdansleurchambre.Philippes’étaitesquivé
aussitôt après un premier et catastrophique cours de tennis (William s’était servi de sa raquette
commed’unematraque,Zoéavaitmaniélasiennecommeunebattedebase-balletCodyétaitàpeine
parvenuàsouleverlasienne).
–Jesuisvannée!ditJacquiensehissantpéniblementsurlelitduhaut.Jenemesouvienspas
d’avoirautantbossél’étédernier!
Maraouvritlabouchepourrétorquerquelquechose,maislorsqu’ellevitl’expressiondeJacqui,
elle éclata de rire. Au moins, Jacqui était là pour lui filer un coup de main cette fois-ci. Quant à
Philippe,quisaitoùilétaitpassé?
Ellesavaientàpeineeuletempsderespirerquandlenouvelinterphonesemitàsonner.
–Pavillondes«au-pair»,réponditMara,ainsiquel’avaitexigéAnna.
– Sans blague ! s’esclaffa Eliza. Alors, les garces, vous venez ou quoi ? demanda-t-elle. Mes
parentsviennentjustedesortirpourlasoirée,etj’aitrouvéunesuper-recettedemojito.Apportezdes
feuillesdementhe!
Pourprendreunbain
deminuitnuecommeunver,
mieuxvautêtreronde
commeunebarrique!
Lorsqu’ellesarrivèrentàlamaisond’Eliza,ilétaitpresquedixheures,carJacquiavaitinsisté
pourqu’ellesessaientdetrouverPhilippeafindel’inviteràlesyaccompagner.
–Ceseraitgrossierdel’abandonnerici,avait-elleditàMara.
Bienqu’ellesefûtjurédeneplussepréoccuperdesgarçons,çan’allaitpasl’empêcherdese
montrer amicale. Mais le Français ne reparut pas et Mara, qui en avait assez d’attendre, persuada
JacquideluilaisserunpetitmotindiquantcommentserendreàlamaisondesThompson.
La seule voiture garée dans l’allée était l’Aston Martin de Ryan et, bien que les Perry leur
eussent toujours assuré qu’elles pouvaient utiliser n’importe lequel des véhicules disponibles, elles
décidèrentdesefairedéposeràSouthamptonparl’unoul’autredesemployésdejour.Pourletrajet
deretour,ellesarriveraientbienàsedébrouiller,quitteàappeleruntaxi.
La maison louée par les Thompson était un cottage à la peinture écaillée, avec une charmante
vérandas’étendantsurtroisdesescôtés.Nichéeaufondd’unealléesansissue,elleétaitombragée
parunefutaiedechênesauxtroncscourbés.Plusieurskayaksuneplaceetleurslonguespagaiesde
boisétaiententasséssurlapelousededevant.
Elizalesaccueillitsurleseuil,tenantsurunplateaulesmojitosfrappés.
– Il était temps ! grommela-t-elle en leur tendant les grands verres embués. Je commençais à
penserquej’allaisdevoirlesdescendreàmoitouteseule!
Elizaleurfitrapidementvisiterlamaison.
–Jecroisqu’ellen’apasétérénovéedepuislesannées1970,soupira-t-elleensecouantlatête,
lesyeuxrivéssurletapisorange.Etévidemment,onestducôtécheapdel’autoroute,ajouta-t-elle.
Marajetaitautourd’elledesregardsémerveillés.Parfois,ellenecomprenaitvraimentpasEliza.
Certes, on était bien loin du palace digne d’un musée du design qu’habitaient les Perry, mais la
demeuren’enétaitpasmoinsaéréeetconfortable.Et,bienqu’elleparûtpetitevuedudehors,Mara
n’ycomptapasmoinsdesixchambresàcoucher–deuxsouslescombles,troisaurez-de-chausséeet
unedanslesous-solaménagé,équipéd’unjeudefléchettesetd’unbaby-foot.Elizaneréalisaitpasla
chancequ’elleavait.
Elles se dirigèrent vers le patio, à l’arrière de la maison. Là, Eliza leur montra la piscine
«minable»etlejacuzzi«archi-craignos».Puistoutestroiss’assirentauborddelapiscine,leurs
jambestrempantdansl’eau.
Marapritunegrandegorgéedecocktail,ens’efforçantdenepasenrenversersursajupe.Le
sucredecanneetlamenthemélangésaurhumavaientungoûtdélicieux,relevéparunepointedesel.
–C’estunrégal,ditMara.
–Mmm...,approuvaJacqui.
Ah,cequec’étaitbond’êtredébarrasséesdecesgamins!Ellepiquaunecigarettedanslepaquet
d’Eliza,quis’enallumauneavantd’enproposerégalementàMara.Celle-cicommençaparsecouer
la tête puis, changeant d’avis, en prit une elle aussi. Elles tirèrent avec plaisir sur leurs cigarettes,
entredeuxgorgéesdemojito.
Eliza voulut savoir comment s’était passée leur journée et écouta Mara avec attention lorsque
cettedernièreracontaàquelpointelleavaitétédéçuedetrouverRyansiviteliéàquelqu’und’autre.
–JeconnaisAllisonEvans,ditElizad’untonprudent,ens’efforçantdeparlerd’untoncalme.Je
ne savais pas qu’ils sortaient ensemble. Tu en es sûre ? Ryan a des tas de copines... je veux dire
d’amies filles, bafouilla-t-elle, en songeant qu’elle aussi était censée faire partie de ces « amies
filles»deRyan.Tudevraispeut-êtreluiposercarrémentlaquestion.
Marahaussalesépaules.
–Àquoibon?Ils’estcomportécommesijen’étaisrienpourlui.
Elleachevadevidersonverre,sentantquelerhumcommençaitàfairesoneffet.
–J’auraisdûm’endouter.
Pourlaréconforter,Jacquipassaunbrassurl’épauledeMaraetl’étreignit.
– C’est pas si grave, chica. Tout le monde fait des erreurs, dit Jacqui en posant sur Eliza un
regardéloquent.
SiElizacomptaitjamaisavouerl’épisodedePalmBeach,c’étaitlemomentrêvé.
MaisElizadétournalatête.
–Dis-toibienunechose,Mara.Aumoins,toi,tunemourraspasvierge!déclara-t-ellesurun
tonpiteux,avantd’écrasersacigarettesurlebordcarrelédelapiscine.
–Jeremyettoin’avezjamais...,commençaMara.
–L’amouràlonguedistance,çanenousapasvraimentréussi,soupiraEliza.Ilestcenséfaireun
sautàlaboîtedemain.Maisjesaispassi...Moiaussij’aipeurqu’ilsorteavecquelqu’und’autre,se
lamenta-t-elle.
Jeremyavaitfiniparlarappelerlaveille.Etavaitprétenduêtretrèsimpatientdelavoir,bien
qu’autéléphone,Elizal’eûttrouvébrefetunpeuabsent.
–Avecmonmanquedeveine,jen’arriveraisansdoutejamaisàlefaire.Ilyatoujoursuntruc
qui se passe ! Je meurs d’envie de me débarrasser de ma virginité ! geignit Eliza, consciente du
ridiculedesesparoles.
– Ci-gît Eliza Marie Thompson, annonça Jacqui sur un ton funèbre. La Dernière Vierge
d’Amérique.Elleaessayédes’endébarrasser,maispersonnen’enavoulu.Qu’ellereposeenpaix.
JacquietMaras’esclaffèrent.Elizafitmined’êtrevexée,avantdecéder,elleaussi,àsonenvie
d’éclaterderire.
–Venez!dit-elleenlesaidantàsereleverlorsqu’elleseurentfinideglousser,ragaillardiepar
l’idéequivenaitdeluitraverserlatête.
Ellesaisitlabouteillederhum.Àquoibonagiterlespiedsdansceminablepetitbassinquand
l’océanétaittoutprès?
Ellescoupèrentàtraverslesjardinsdesmaisonsvoisines,seglissantsouslescordesàlingeet
enjambant les voitures d’enfants afin d’atteindre plus vite le rivage. Là, elles contemplèrent le
roulementdesvaguesetleurcrêteblanched’écumeàl’horizon.L’airembaumaitl’iodeetlesel.Eliza
trempaunpieddansl’eau.
–Elleestbonne!s’exclama-t-elleavecravissement.
C’étaitl’Atlantique–l’eaun’yétaitjamaisbonne!PoursebaignersurlescôtesdeLongIsland,
surtoutàlanuittombée,ilfallaitaimerlesbainsglacés.Éméchée,Elizadécidaquec’étaitunsigne.
–Onpiqueunetête!lança-t-elled’untoneuphorique.
–Ohé,jeterappellequ’onn’apasnosmaillots!protestaMara,enfaisantquelquespas,làoù
l’eauétaitpeuprofonde.
Eneffet,elleétaitrelativementbonne–maistoutdemême...
–Etalors?rétorquaElizaavecunhaussementd’épaules.
Déjà,elleretiraitsoncardigan.Toutcerhumluiavaitdonnéchaud.Piquerunetêtedansl’océan
luiparaissaitlameilleurefaçondeserafraîchir.
Jacqui,sonverreàlamain,pritletempsdeconsidérerleschoses.Quelledélicieusesensation
que la mer caressant ses pieds nus ! Elle termina son cocktail et, suivant l’exemple d’Eliza, laissa
glissersarobedecoton.Detoutefaçon,elleneportaitgénéralementpasdesous-vêtements.Puiselle
courutverslesvaguesenriant.
Elizasedébarrassadesontee-shirtetdesonpantacourt,etôtarapidementsonsoutien-gorgeet
saculotte.EllepoussadespetitscrisenrejoignantJacquidansl’eau.
Lesdeuxjeunesfillesbarbotèrentgaiement.
–Allez,Mara!Tunenagesnuequ’aveclesgarçons,ouquoi?lataquinaEliza,luirappelant
que,l’étéprécédent,MaraetRyanavaientétésurprisalorsqu’ilssebaignaientsans maillot dans la
piscinedesPerry,parlepetitamideMara,quiplusest.
Eliza avait gagné. Mara déboutonna son chemisier et enleva son jean. Elle s’extirpa de son
caracoet,ayantsoigneusementpliésessous-vêtements,lesplaçasursesvêtements.
–Banzaï!s’esclaffa-t-elleenfaisantlarouejusqu’àlamer.
Ellesnagèrentparesseusementpendantunpetitmoment,éprouvantunedélicieusesensationde
décadence.Ah,lesplaisirsdel’été!Ellesfirentlaplancheetcontemplèrentlesétoilesets’amusèrent
àseplongerlatêtesousl’eau.Auboutdequelquesminutes,leseffetsdel’alcools’atténuèrentetelles
réalisèrentlamêmechose,quasimentenmêmetemps:l’eauétaitglacée!
–Je...J’aifroid,balbutiaElizaenfrissonnant.
Elleregagnalerivageaupasdecourse,sipresséedeserhabillerqu’elleenfilasonchemisierà
l’envers. Mara et Jacqui suivirent. Elles riaient de leur bêtise : ne pas avoir pensé à apporter des
serviettes ! Elles contemplèrent les vagues quelques secondes encore et s’apprêtaient à repartir
lorsqueElizaeutunenouvelleidée.
–Quelqu’unaunstylo?s’écria-t-elleenbrandissantlabouteillederhumvide.
–Moij’enaiun,réponditMara.
Elleplongealamaindanssapoche,etletenditàEliza.
–Qu’est-cequetufais?demandaJacqui,enregardantElizadécollersoigneusementl’étiquette
delabouteille.
Eliza souriait, tandis qu’elle griffonnait quelques lignes. Puis, après avoir montré aux deux
autressonmessage,ellelepliaentroisetleglissadanslabouteille,dontellerevissalebouchonavec
force.
–Vousn’avezjamaisfaitçaquandvousétiezgamines?(JacquietMarasecouèrentlatête.)C’est
marrant.Onnesaitjamaisquivatomberdessus.Quialeplusdeforcedanslesbras?Mara?
Marahaussalesépaulesetpritlabouteille.Ellelajetaetlestroisfilleslavirentdécrireungrand
arcdecercle,monteretdescendreàlasurfacedel’eau,puisdisparaîtredanslesvagues.Surletrajet
duretour,ellestraînaientdespiedsmaisétaientd’humeurjoyeuse.
–Alors,lesfilles,vousvenezàlaboîtedemainsoir,hein?Jevousmettraisurlaliste,assura
Eliza,alorsqueJacquiouvraitsontéléphoneportablepourappeleruntaxi.
– D’accord, répliqua Jacqui non sans hésitation – elle redoutait déjà les conséquences de leur
escapadedecesoir.Çadépendradel’heureàlaquelleonarriveàcoucherlesgamins,j’imagine...
–Ouais,jesuispassûredepouvoir,ditMara.J’aicedîner,plustôtdanslasoirée.
ElizapressaaffectueusementlesépaulesdeMara.
–Allez,ceserasuper.C’estlepremierweek-enddel’été.Promettez-moidevenir!
–Ryanseralà?demandaMara,enredoutantd’avoiràrevivrelascènedumatin.
–Qu’est-cequeçachange?rétorquaEliza.Enfin,jevoulaisdire...
Apparut soudain l’éclat de phares – une Aston Martin décapotable venait de s’engager dans
l’allée.
–Bonjour!s’exclamaPhilippe.
Visiblement,iln’avaitpaslemoindrescrupuleàutiliserlavoituredeRyan.
– J’arrive trop tard ? demanda Philippe, souriant en coin lorsqu’il vit à quel point les filles
étaientdébraillées,avecleursvêtementshumidesquileurcollaientaucorps.
– Non, non, tu arrives au bon moment, répondit sèchement Jacqui, pour nous ramener à la
maison.
AnnaPerryest
beaucoupplusjeune
quesesinjectionsdeBotox
nelelaissentsupposer
Lelendemainsoir,aprèsêtreparvenueàlaforcedupoignetàcoucherlesgamins,Jacquientra
dans la salle de jeux, une pièce avec moquette mais sans fenêtres, coincée entre les chambres des
filles et celles des garçons. Là, elle commença à ranger les jouets, les skate-boards, les Lego, les
pistolets en plastique, les poupées Barbie et toutes sortes de peluches parlantes dans un coffre en
plastique. Les chambres des gamins se trouvaient dans une aile isolée et à peine accessible de la
maison,derrièreuneporteinsonorisée.Jacquiremarquaquelesenfantsn’auraientpaspuêtreplus
loindesappartementsd’Anna–àmoinsd’êtreparquésdanslecottagedesdomestiques.Enrevanche,
unepetitepièceàdeuxniveauxéquipéed’unbarétaitsituéejusteàcôtédelachambredesmaîtresde
maison.
Jacquis’acquittaseuledesatâche–Marasepomponnaitpoursonrendez-vousavecGarrett,et
PhilippeavaitdenouveaufiléDieusaitoù.Mais,lorsqu’elleretournaaucottage,elleletrouvaassis,
ouplutôtvautré,surlesmarchesduperron.
Quelsaleflemmard!Iln’étaitjamaisdanslesparagesquandellesavaientbesoindelui.Jacqui
mitlesmainssurleshanches,prêteàluidirelefonddesapensée.
Voyantsonexpression,Philippeluitenditlejointqu’ils’étaitroulé.
– C’est pas vraiment mon rayon, expliqua-t-il en désignant la maison. Tiens, prends une
bouffée!
C’était pas une super-idée, de se défoncer chez les Perry. Surtout quand elle espérait obtenir
d’eux,àlafindel’été,unesublimelettrederecommandation.Celadit,elleétaitunpeutendue...et
puis,ellen’étaitpasdugenreàrefuserunpetitjoint.Ellelepritetaspiralafuméeâcre,quiluibrûla
lagorge.
–Jenesaispascommenttufais!ditPhilippe.Matantem’avaitavertiqueceseraitpasfacile,
maisjenecroyaispasqueceseraitduràcepoint-là.Jevoulaisjusteêtreauborddelamer.
Jacquiéclataderire.Ellen’arrivaitpasàluienvouloirpourdebon.Illuifaisaitpenseràelle,
unanplustôt.Ilsrestèrentassislà,dansunsilenceamical,àécouterchanterlesgrillonsetàregarder
danser les lucioles autour des buissons entourant la piscine. Le portable de Philippe sonna à deux
reprises,maisilneréponditpas.
– Qui a tellement envie de te joindre ? demanda Jacqui lorsqu’il ignora la sonnerie pour la
troisièmefois.
–Oh,descopains,secontenta-t-ilderépondresuruntonnonchalant.
Quelquesminutesplustard,Marasortitducottage,vêtued’unedestenuesgrifféesdeJacqui–en
l’occurrence,unerobeenmousselinedesoielavandetrèsdécolletéeetdécorée,surlecoletlataille,
d’un joli motif en perles de cristal. Il découvrait tellement le dos que Mara craignait de paraître
indécente.MaisJacquiavaitinsisté:rien,danslesvêtementsqu’avaitapportésMara,n’étaitassezchic
pourundîneràl’AmericanHotel.
Philippesiffla.
–Jesaispassijel’aibienmise,ditMaraàJacqui.Çavacommeça?
JacquipassalejointàPhilippe,etselevapours’enassurer.Elletiraunpeusurlarobeauniveau
delataille,pourqueledécolletésoitplusplongeant.
–Voilà.Perfeito.J’aiunepairedeJimmyChoodansmonsac.Lestiennessontmignonnes,mais
pasassezhautes,décrétaJacquiendésignantlessandalesdeMara.
–C’estquoi,cequevousfumez?demandaMaraenhumantl’air,soupçonneuse.
–Rien.
–Riendutout.
Mara savait qu’ils mentaient. Mais elle était trop soucieuse d’être présentable et trop
reconnaissanteenversJacquideluiavoirprêtésarobepourlescritiquer.Parailleurs,elleenavait
par-dessuslatêtedetoujoursjouerlesfillessages.JacquietPhilippeétaientassezgrandspoursavoir
qu’ilsrisquaientd’êtrerenvoyéssionlessurprenaitentraindefumerdel’herbe.
–DitesàElizaquejesuisdésoléedenepasavoirpuvenir,d’accord?leurdemandaMara,en
enfilantlessandalesdeJacqui.
PuisellesedirigeaverslademeuredesPerryafind’attendreGarrettdanslehall.
Quelques instants plus tard, des talons claquèrent sur l’allée bétonnée. Jacqui crut que c’était
Maraquirevenait–sansdouteavait-elleoubliéquelquechose.Orc’estAnnaPerryquiémergeades
ténèbres,vêtued’unpeignoirdesoietrèsserréàlatailleetchausséedemulesenbrocart.
–Ilm’asemblésentiruneodeur,dit-elle.
Jacquimanquades’étoufferenravalantlaboufféequ’ellevenaitdetirer,ettentadedisperserla
fumée.
– Vous voilà ! lança Anna à Philippe avec un sourire chaleureux. Je vous ai cherché partout,
minauda-t-elle,pendantqueJacquis’empressaitdecacherdanssondoslecorpsdudélit.
–Qu’est-cequevoustraficotiez,touslesdeux?demandaAnna.
Elles’assitprèsdePhilippe,surlesmarchesdubas.
–Jacqui,ilyaquelquechosequinevapas?
Jacquisecoualatête,balançalejointendouce,etl’écrasasoussontalon.
–Rien...Onétaitjuste...non,toutvabien...
Jacquis’efforçadesourireets’écartad’eux.
–Jesuisdésolée.Jemeursdefatigue.Ilfautquej’aillemecoucher.Euh...bonnenuit!
Elletournalapoignéedelaporteducottageetclaqualebattantderrièreelle.Soncœurbattaità
toutrompre.Sapatronnevenaitdelessurprendreentraindefumerdel’herbe!Comment,désormais,
espérer qu’Anna lui permette d’obtenir un job à New York ? Jacqui se demandait ce qui se passait,
dehors,encemomentmême.AnnaparlaittoujoursavecPhilippe...Collantsonoreilleàlaporte,elle
parvintàsaisirdesbribesdeleurconversation.
–Vousn’avezriensurvous?entendit-elleAnnademander.
Philippemarmonnauneprotestation.
–Nefaitespasl’idiot!Jenesuispasnéedeladernièrepluie,voussavez,rétorquaAnna.
Jacquiperçutunbruissementet,ànouveau,lavoixd’Anna.
–NomdeDieu,cequej’enavaisenvie!Kevinpeutêtretellementennuyeux...Autrefois,onse
marraitvraimenttouslesdeux,maismaintenantiln’enaplusquepourleboulot.
Philippeémitunesortedericanement.
Jacqui n’en croyait pas ses oreilles. Anna Perry ! Fumant un joint avec l’un des baby-sitters !
AnnasemitàglousseràcausedequelquechosequePhilippeavaitdit.Jacquisesentitsoudainlaissée
pourcompte,mêmesic’estellequiavaitchoisidepartir.
–Vousmedonnezquelâge?demandaAnnaàPhilippe.
Ohnon,c’estvieuxcommelemonde!songeaJacqui.
–Vingt-cinqans,réponditgalammentPhilippe.
–Unpeuplus...J’aitrente-deuxans.Onnepeutpasdirequejesoisvieille,n’est-cepas?(Jacqui
étouffa un rire. Pour elle, trente-deux ans, c’était presque le troisième âge.) J’ai parfois du mal à
imaginerqu’àtrente-deuxans,jesuisdéjàmèredeseptenfants.Sept!Unevraiepoulepondeuse...
Jacqui manqua de s’étouffer. Anna n’avait mis au monde qu’un seul enfant, Cody. Elle était la
belle-mèredurestedelanichée.JacquinedistinguapaslaréponsedePhilippe.PuisAnnaparladela
vieetdutempsperdu,etJacquiréalisaquelamalheureusefemmesesentaitseule.Çadevaitcraindre
un max de ne pas avoir de vrais amis avec qui discuter, et de devoir recourir à la compagnie d’un
employé.Maispourquoifallait-iljustementquecesoitPhilippe?
Aprèscequiluiparutuneéternité,JacquientenditAnnasereleveretleclaquementdesestalons
faiblir, comme elle s’éloignait du cottage. Jacqui poussa la porte d’une main hésitante. À présent
qu’Anna était partie, Philippe et elle pourraient enfin se rendre au Septième Cercle. Or, lorsqu’elle
ressortit,leFrançaiss’étaitvolatilisé.Ellenetrouvaqu’unmégotdejointetdesfeuillesdepapierà
roulerdéchiréessurlesol.
Jacquiétaitdécouragée.EllepouvaittoujoursallerauSeptièmeCerclemaisbizarrement,l’idée
ne lui paraissait pas aussi drôle ou excitante que lorsqu’elle s’imaginait que Philippe allait l’y
accompagner. D’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait... c’est vrai qu’elle était vannée. Après une
journéepasséeàcouriraprèstroisgosses,çan’avaitriend’étonnant.Elleremontalesescaliersd’un
pastraînant,ensongeantquesonlivredepréparationdel’examend’entréeàlafacpourraittoujours
lui tenir compagnie. Cependant, elle avait beau savoir qu’elle se comportait de la meilleure façon
possible,celanelaconsolaitguère.
Riendetel
qu’unevoituredeluxe
pourremonter
lemorald’unefille
À sa grande stupéfaction, Mara trouva toute une équipe de tournage dans le hall, occupée à
installer des projecteurs et des écrans de contrôle. L’un des gars, portant casque et micro, faillit
renverserl’étagèrecontenantlacollectiond’animauxminiaturesenporcelained’Anna.SugarPerry,
vêtue d’un top à capuche en velours rose prérétréci qui exposait son nombril et d’un mini-short
assorti, parlait avec animation tandis qu’on la filmait. Le réalisateur, un jeune mec en pantalon de
velours côtelé délavé, s’agenouilla pour vérifier l’image de Sugar dans son moniteur lorsqu’il
remarquaMara,quitraînaitprèsdelaported’entrée.
–C’estqui,tacopine?demanda-t-il,enindiquantaucaméramandefaireunplandeMara.
–Oh,c’estpersonne!répliquaSugard’unevoixtrèslasse.Elletravailleici,c’esttout.
Maisleréalisateur,ignorantlaremarquedeSugar,fixaittoujoursMara.
–Salut,jem’appelleRandyBravermanetjetravaillepourlachaînededivertissementE!,dit-il
enluiserrantlamain.Laurievousaparlédenotreémission?
C’est alors que Mara se souvint. Sugar était la vedette d’un programme de télé-réalité qui se
tournaitcetété,censémontrercommentvivaitlajeunessedoréedesHamptons.Telétaitl’objectifde
l’émission:surprendrelesrichesoisifsdansleurviequotidienne–end’autrestermes,suivreSugar
partout. Laurie les avait prévenus que, dans la mesure où ils étaient employés par les Perry, leur
participationrisquaitd’êtreexigée.C’estpourquoiilsavaienttousdûsignerunedéchargeaudébutde
lasemaine.
– C’est la voiture de Garrett... Qu’est-ce qu’elle fait là ? s’interrogea Sugar en jetant un coup
d’œilverslabaievitrée–unesuperbelimousinevenaitdesegarerdansl’allée.
–Ilvientmechercher,expliquaMara,sedirigeantverslaporteenespérantpouvoirsortirdelà
leplusvitepossible.
–TusorsquandmêmepasavecGarrettReynolds?demandaSugarsansparveniràdissimuler
sasurprise.
–QuisortavecGarrettReynolds?criaPoppyPerryendévalantlesescaliers.
Poppy était vexée qu’on ne l’ait pas retenue pour l’émission. Au début de l’année, leur agent
avaitenvoyéuncommuniquéauxjournaux,lequelindiquaitquelesjumellesnesouhaitaientplusêtre
appelées « les sœurs Perry » mais, à partir de maintenant, « Sugar Perry » et « Poppy Perry » –
puisqu’elles tenaient une fois de plus à préciser qu’elles étaient deux personnes bien différentes,
chacune menant sa carrière à elle. Du coup, Poppy perdait au change – elle n’était visiblement pas
aussicélèbrequesasœur,plusgrande,plussexyetplusscandaleuse.
–Moi,réponditcalmementMara.
LessœursPerryprononçaientlenomdeGarrettcommes’ils’agissaitduprinceWilliamoude
LeonardodiCaprio,àcroirequec’étaitundemi-dieu.
Poppyécarquillalesyeux.
–Paspossible!
–Bizarrequ’ilnenousaitriendithiersoir,fitremarquerSugar,enregardantMaracommesi
celle-ciavaitfaitquelquechosedemal.
–Alors,çafaitquoi,desortiravecl’undesgarçonslesplusrichesdesHamptons?demanda
RandyBravermanàMara,tandisquelemicroetlescamérasétaientsoudainbraquéssurelle.
–Onnesortpasensemble.Enfin...c’estnotretoutpremier...jesaispas...Ilesttrèssympathique...,
bredouillaMara.Jesuisdésolée,fautvraimentquej’yaille,ajouta-t-elleennaviguantentrelesunset
lesautresafindegagnerlaported’entrée.
Garrettémergeadel’arrièreduvéhicule,ettenditàMarauneroseblancheàlonguetige.Ilavait
ramené en arrière ses cheveux sombres et soyeux, et était superbe dans son costume de lin blanc
cassé.
–Lecarrosseestprêt,madame,ditGarrett.Eh,c’estquoitoutecettepagaille?demanda-t-ilen
désignantlafouleassembléedanslehall.
Tous les yeux étaient rivés sur eux, et la caméra les suivait toujours, tandis que Sugar
commençaitàtrépignerd’impatience.
Marapritlaroseetseglissadanslavoiture.
–SugarestfilméeparlachaînededivertissementE!,tusais,l’émissionsurlesjeunesgensde
bonnefamille.
–Ahoui!ricanaGarrett.RichesetcrétinsdanslesHamptons!
Mara tiqua. Elle croyait que Sugar et Poppy étaient amies avec Garrett – du moins, c’était ce
qu’ellesvenaienttoutjusted’insinuer.Or,voilàqu’ilsemoquaitd’elles–peut-êtreétait-ilplusmalin
qu’ilnevoulaitbienlelaisserparaître.
–Champagne?demanda-t-ilensortantunebouteilled’uneglacièresavammentdissimuléedans
l’accoudoirdelabanquette.
La limousine était tout ce qu’il y a de plus luxueuse, avec ses deux écrans de télé plasma, ses
casquessansfil,etsessiègesmassants.
–Ilssebaissentcomplètement,fitremarquerGarrettavecunsourirecoquin.Maispourça,on
vapeut-êtreattendreunpeu,non?
Marafitcellequin’avaitrienentendu.Ellecommençaitàsedemandersiellen’avaitpasfaitune
bêtiseenacceptantl’invitationdeGarrettquandellenevoulaitqu’unechose:trouvermoyendefaire
admettreàRyanqueleurhistoiredevaitreprendreàzéro.EllenevoulaitpasmenerGarrettenbateau,
surtoutavectoutlemalqu’ilsedonnait...
–Tuesabsolumentsuperbe,ditGarrett,luiprenantlamainetlapressantdanslasienne.
Il la regarda avec admiration et la complimenta au sujet de sa robe, de ses cheveux, de son
sourire,desonparfum,desesjambesetdeseschaussures.C’étaitagréabledesesentirappréciée–
d’autantplusqu’àSturbridge,ellesefaisaitl’effetd’êtrebanaleetqu’hier,devantAllisonetRyan,
elleavaitpresqueeul’impressiond’êtreinvisible.
Lerestaurantétaitd’uneéléganceclassique,avecseschandeliersenargentmassifetsesserveurs
ensmoking.Maranesesentaitpasvraimentàsaplacedansunetelleatmosphère.Unmaîtred’hôtel
guindélesconduisitàleurtable.
–Jepariequ’ilportedessous-vêtementsdefemme,glissaGarrettàl’oreilledeMara.
Celle-ciétouffaunrireetcessad’êtremalàl’aise,bienqu’ilsfussent,etdebeaucoup,lesplus
jeunesclientsdulieu.
Garrett commanda pour elle, ce qui aurait contrarié Mara si les plats choisis n’avaient été
absolument exquis. Elle n’avait encore jamais mangé de « médaillons de foie gras », ni de
« langoustine légèrement pochée, à l’écume de caviar ». elle n’avait jamais, et de loin, dégusté des
platsaussibonsetsurprenants.Entrelepoissonetlaviande,leserveurapportaunverreàcocktail
remplidesorbetauconcombre.
–C’estunsorbetdigestif,expliquaGarrett.
Maralebutd’untrait,sedélectantdesasaveurlégèrementacide.
Elle s’amusait, c’était indéniable. Certes, Garrett était un peu égocentrique – Mara en avait un
peuassezd’entendresonopinionsurtoutetn’importequoi,dusystèmeélectoralàlarecherchesur
lescellulessouches,enpassantparlenouveaufilmdeWesAndersonetparsasuper-idéedescénario
(un remake de Casablanca situé dans l’espace !). Mais il était tellement passionné qu’elle lui
pardonnait. Si l’on oubliait ses réflexions déplacées, il était à mourir de rire. Son enthousiasme
candide et son impertinence étaient contagieux et, en dépit de ses premières impressions, Mara se
surpritàappréciersacompagnie.
– Je n’avalerai pas une bouchée de plus ! décréta-t-elle, repoussant son sublime dessert et
tapotantsonventre.C’étaitàtomberparterre!
GarrettversadusauternesdansleverreàdessertdeMara.
–Àlatienne!dit-iltandisqu’ilsfinissaientlabouteille.
Garrettavaitfourréunbilletdecentdollarsdanslamaindusommelierafinqu’iln’exigepasde
voirleurspapiers–ilsn’avaientpasl’âgelégalpourconsommerdel’alcool.
Décidément,Maraétaitunpeupompette.ElleserelevaenvacillantetGarrettluioffritsonbras.
Prévenant,ilnelalâchapasjusqu’àlavoiture.
–Oùest-cequejevousemmène?demandalechauffeurenportantlamainàsacasquette.
MarahaussalesépaulesetadressaàGarrettunsourireespiègle.C’estvraiqu’ilétaitsexy!Pas
étonnantqueSugaretPoppysoientjalouses.Charlie,lepetitamideSugar,étaitséduisant,maiscela
étaitdû–àencroireEliza–àunremodelagefacialdegrandeenvergure.QuantàPoppy,ellevenait
desefairelarguerpourlaénièmefoisparsoncopainLeo–quilouchaitunpeu.
–AuSeptièmeCercle?suggéraGarrett.
Marahochalatête.Ellepassaitunesibonnesoirée.Ç’auraitétégrossierd’ymettresiviteun
terme,d’autantqueGarrettsecomportaitengentleman.
–J’aiuneamiequiytravaille,dit-elleensouriant,tandisquelavoitures’enfonçaitdanslanuit.
Lescélébritéssontcomme
desgaminsdedeuxans:
ellesfontdescaprices
etpiquentdescrises
Elizaavaitsuivilesinstructionsd’AlanetKartikàlalettre:elleportaituneminijupeàsequins
argentée Sass & Bide coupée en haut des cuisses – Jessica Simpson possédait l’unique modèle
identique–etdesescarpinsencuirmétallisé,auxtalonshautsdedixcentimètres.
Laboîtebaignaitdanslalumièredesstroboscopes,etlemeubleàbouteillesgéantoccupantle
murdufonddanstoutesahauteurétaitunemerveilleuseinvention.Lesbarmaidsétaientharnachées
de cordes de varappe permettant d’atteindre l’une ou l’autre des étagères. Lorsqu’un client
commandaitquelquechose,lesfillesescaladaientlemeuble,tellesdesacrobates,ets’emparaientde
labouteillerequise.C’étaitunediversionamusante,unetrouvaillesympa.Lesclientss’amusaientà
repérerlesalcoolslesplusinaccessiblespourpouvoirregardersouslesjupesdesjoliesbarmaids.
Elizan’enrevenaitpas:unchantiertransforméenboîtedenuitultra-branchéequasimentdujourau
lendemain!Cesgarsconnaissaientlachanson,aucundoutelà-dessus.
Maisellen’auraitjamaisimaginéqueceseraitautantdeboulotdetravaillerdansuneboîtede
nuit.Ellen’avaitguèreeuletempsdediscuteravecMara,oudeluidemandercequ’ellefaisaitavec
GarrettReynolds,tantilyavaitd’agitationàl’entrée.Elizalesavaitinstallésàlameilleuretable–
logique,puisqueMaraétaitl’unedesesmeilleuresamiesetGarrettquelqu’und’important,neseraitcequ’àcausedunomqu’ilportait.Ah,siseulementellepouvaitposer,elleaussi,sesfessessurune
chaise!Àforcedesatisfaireetd’amuserlescélébrités,derepousserlesnazes,deservirdesragotsà
lapresseetd’esquiverlesbarmaidsvolantes,Elizaétaitépuisée.Elleavaitlesnerfsenpelote,etsiun
énièmegardeducorpsvenaitluidemanderdefairejeterunphotographedehors,ellesemettraitsans
douteàhurler!
Elleavaitdéjàunsérieuxmotifd’angoisse:OndineSylvester,stardesitcomquiavaiteupour
compagnonlemariactueldelachanteusepopChaunceyRaven,allaitarriverd’uninstantàl’autre.
Unesacréetuile,vuqueChaunceyetsonlégitimeDarylWolf,ancienchoristeetchanteurraté,étaient
assisaubeaumilieudelasalleVIP!LereprésentantdeChaunceyexigeaitqu’onnelaissepasentrer
Ondine, afin, disait-il, d’éviter de contrarier sa cliente. Ondine, qui avait eu deux enfants de Daryl,
étaitenceinted’untroisièmelorsqueChaunceyétaitentréeenscène.Elizaexpliquaautrèspompeux
agentqu’ellenepouvaitinterdirel’accèsdelaboîteàOndine,maisqu’ellepromettaitdelaplacerà
unetablesituéeàl’autreextrémitédelasalle.IlimportaitdesatisfaireChauncey,carelleétaitlaplus
importantestarprésente,maisilétaithorsdequestion–Elizaenétaitbienconsciente–dedéplaireà
Ondine,puisqu’illeurfallaitunmaximumdecélébritésdanslaboîte.
–Eliza...ilyaquelqu’unquitedemandelà-dehors...Ilditqu’ilteconnaît,crachotaunevoixdans
lecasqued’Eliza.
–OK.J’arrive,répliqua-t-elleenredressantlecasqueenquestion.
Flûte, songea Eliza. Sûrement un vieux pote du lycée qui voulait qu’elle le fasse entrer... Elle
avaitdéjàdonnésonfeuvertàLindsayetTaylor,justepourleurmontrerqu’elleneleurenvoulait
plusausujetdel’étédernier.Etpuis,c’étaituntelplaisir,detenirtemporairementleurdestinentre
sesmains!
Elle se dirigea vers l’entrée principale. Aperçut Jeremy et son mètre quatre-vingt-dix,
légèrementdébrailléavecsoncostumegrisàrayuresunpeufroisséetsacravatedénouée.Elleavait
oubliéàquelpointilétaitbeau.Sescheveuxchâtains,ramenésenarrière,frisottaientau-dessousdes
oreilles.Illuiavaitditqu’ilpasseraitàlaboîtecesoir-là,maisellen’yavaitcruqu’àmoitié.Illui
paraissait si beau... On aurait dit un homme d’affaires, dans ce costume, et à la vue de sa cravate
rouge,ellesesentaitencoreplusamoureuse.
– Je leur ai assuré que tu m’avais donné rendez-vous ici, mais ils n’ont pas voulu me laisser
entrer,dit-ilavecunvisageradieux.
–C’estbon,Rudolph,lançaElizaauvideurbaraqué,ensouriantàJeremy.
– Il y a des tas de gens qui prétendent connaître Eliza ce soir, ajouta Rudolph sur un ton
menaçant,toutenouvrantlecordondeveloursrouge.
–Rudolph...jeprendscinqminutesdepause.SijamaisOndinearrive,tumebipes!
ElizaconduisitJeremydanslejardinàl’arrièredubâtiment,oùlesclientsfatiguésdesrythmes
technosetdelaposecontinuelleallaientgrillerunecigarette.
–Lecostume,c’estenquelhonneur?demandaEliza,taquine.
Ellenevoulaitpasparaîtretropémue,mêmesielleétaitenréalitéfolledejoie.
–JesuisenstagechezMorgan-Stanley,répondit-il.Labanqueenligne.
–Waouh!C’estgénial!s’exclama-t-elle,impressionnée.
Ilyaencoreàpeineunan,Elizalesdétestait,cesjeunesloupsdelafinance,quisemettaientà
plusieurs pour louer des maisons dans les Hamptons – et se croyaient tout permis. Or, maintenant
qu’ellecontemplaitJeremydanssonbeaucostume,labanqueenligneluisemblaitlachoselaplus
sexydumonde.
– Ouais, c’est chouette. Ils se gênent pas pour m’exploiter, cela dit. Je bosse toutes les nuits
jusqu’àtroisouquatreheuresdumatin.Jenepensaispaspouvoirm’échapperceweek-end,maispar
chance,onnefaitplusdeRFP,précisa-t-ilenutilisantlejargondelafinance.
Eliza souriait, admirative. Ce n’était plus le Jeremy qui, l’été précédent, travaillait comme
jardinier dans la propriété des Perry. Un an plus tôt, Jeremy ne s’intéressait qu’aux roses et aux
bonzaïs.
–Tuhabitesoù?demanda-t-elle.
–Leweek-end,chezmesparents.Etlasemaine,vuquejetravailleenville,dansunappartement
quelasociétélouepournous.
–Alors?ditEliza,enluiprenantlamain.
–Alors?répétaJeremyencaressantlesonglesvernisetmanucurésd’Eliza.
Ilsseregardèrent.Êtresiprèsl’undel’autrelesrendaitsoudaintimides.Elizas’étaitrapprochée
deluisanss’enrendrecompte,jusqu’àsentirsursajouelesouffledeJeremy.Etilss’étreignirent.
Ellen’avaitrienvécudetelauparavant.Jeremyetelleétaientfaitsl’unpourl’autre.Certes,çaavait
été une épreuve d’être séparés pendant un an. Elle s’était efforcée de ne pas lui demander, dans les
innombrables e-mails qu’elle lui envoyait, s’il sortait avec quelqu’un. Jeremy, quant à lui, n’avait
jamais fait allusion à une autre fille. Et à présent... c’est comme s’ils venaient de se rencontrer.
Impossibledenepassetoucher,c’étaitplusfortqu’eux.
Avant qu’Eliza eût réalisé ce qui se passait, Jeremy l’embrassait, un baiser aussi magique que
danssonsouvenir.
–Cequeçaaétélong!murmura-t-il.J’aipasarrêtédepenseràtoi.
–Moiaussi,dit-elle,adorantsentirsatêtebiencaléesouslementondeJeremy.Mesparentssont
àWesthamptonpourtoutl’été.Onaunemaison,précisa-t-ellenonsansfierté.Çatedirait,dedîner
avecnouslasemaineprochaine?
Autrefois,Elizan’auraitjamaisproposéàJeremyderencontrersesparents,decraintequ’ilsne
détectent immédiatement ses origines modestes et ne s’opposent à sa relation avec leur fille. Mais
maintenantqu’ellelevoyaitdanssonbeaucostume,parlerdesonstage,illuiparaissaitimpossible
quesesparentsnel’apprécientpas.
–Sijepeuxm’échapperduboulot.Onaunegrosseprésentationlasemaineprochaine.Maisje
vaisessayer.
Uncrachotementsefitentendredanslecasqued’Eliza:
–Eliza,Ondinevientd’entrerdanslasalleVIP!Iln’yaplusuneseuletabledelibre!Etellene
vapastarderàtombersurChaunceyetDaryl!
–Fautquej’yaille,dit-elle,ensedégageantàcontrecœurdel’étreintedeJeremy.
–OK.Detoutefaçon,jesuismort.J’aieuunesemaineépuisante.
–Jet’appelle,lança-t-elleendisparaissantdanslaboîte.
–C’estmoiquit’appellerailepremier!répliqua-t-ilensouriant.
Elizaordonnaqu’onemporteunetabledégotéedansl’arrière-cuisineetqu’onl’installeàl’autre
boutdelasalleVIP,afinquelestourtereauxpuissentsavourerenpaixleurscocktailsoffertsparla
maison.
Jacquiprendunevague,
maislaisselegarçonluifiler
entrelesdoigts
–Laisse-ladormir!conseillaPhilippeàJacqui,tandisquecelle-cis’efforçaitenvaindefaire
sortirMaradesonlit.
Ilfallaitqu’ilssoientàMontaukàneufheures,pourlapremièreleçondesurfdesgamins.Ils
n’yseraientjamaiss’ilsdevaientattendreleréveildeMissGueule-de-bois.
JacquisecouaMaraunedernièrefoisetn’obtint,enretour,qu’unvaguegrognement.
–Mmmfff...,fitMaraenroulantsurlecôtéetenenfouissantsonvisagesousl’oreiller.
Maraavaitdéboulédanslecottagepeuavantl’aube.Elles’étaitlaissétombersurlepremierlit
venuet,s’écrasantsurPhilippe,avaitétésaisied’unfourire.JacquietPhilippel’avaientensuiteaidée
àregagnerlacouchettedubas,Jacquiprenantbiensoinderecouvrirsonamied’unecouvertureavant
de lui retirer sa robe, tandis que Philippe défaisait la bride de ses sandales. Ils l’avaient bordée
commeundesenfantsPerry.Lelendemainmatin,ilslaregardaientcommedesparentsamusés...
–C’estunefêtarde,non?demandaPhilippequelquesminutesplustard.
Jacqui et lui rassemblaient les gamins et la totalité de leur équipement aquatique, qu’ils
entassèrentàl’arrièredelaRangeRover.
– D’habitude, pas vraiment, dit Jacqui, prenant la défense de son amie, tout en attachant Cody
danssonsiège-autoetenarrachantlapoupéedeZoédesmainsdeWilliamafindelarendreàlapetite
filleenpleurs.
JacquienvoulaitunpeuàPhilippe.Elleétaitécœuréed’avoirloupélasoiréed’ouverturedela
boîteoùtravaillaitEliza.Ellenesavaittoujourspasoùcegarçonavaitbienpupasserlasoirée.Çane
la regardait pas, mais elle était vexée qu’il eût accordé plus d’attention à Anna qu’à elle. Certes,
Jacquis’étaitfixédesrèglesetn’avaitpasl’intentiondelesenfreindre–n’empêche,ellen’avaitpas
l’habituded’êtrereléguéeausecondplan.
Philippesortitle4×4del’alléeenmarchearrière.Ilss’engageaientsurlarouteprivéequandle
Dr Abraham, surgissant de la maison au pas de course en peignoir rouge et pantoufles, leur fit de
grandssignespourqu’ilss’arrêtent.Lesgaminsrâlèrentlorsqueledocteursehissadanslevéhicule.
– Ah, le bon docteur ! s’exclama joyeusement Philippe. Vous avez besoin de surveiller les
activités physiques des gamins, c’est ça ? demanda-t-il en désignant discrètement un grand cabas
remplidelivresetd’écrantotal.Devoircommentilssecomportentàlaplage.
–Ouioui,c’estcela,réponditledocteur.
Lorsqu’ilsarrivèrentàMontauk,lesdeuxmoniteursdesurf,Bree–unefilletrapueetcoifféede
dreadlocks,ausouriretoutendents–etRoy–unHaïtiendécontractéquin’arrêtaitpasdeleurfaire
signedetenirbon–,leurmontrèrentoùsechanger.Annaavaitachetéauxgaminsdescombinaisons
de surf assorties et tout ce qui se faisait en matière d’équipement dernier cri – y compris des GPS
raccordés aux sangles qui reliaient leur planche en fibre de verre à leur cheville. Bree tendit à
Philippe et à Jacqui des combinaisons, en expliquant à cette dernière que son joli petit bikini ne
résisterait pas longtemps à l’assaut des vagues, et qu’il fallait donc qu’elle enfile le vêtement de
protection. Si la première partie de sa déclaration suscita des regards émoustillés chez tous les
hommesprésents,saconclusionnemanquapasdelesdécevoir.
Quand tous se furent changés, ils montèrent sur les planches et, ramant avec les bras,
s’éloignèrent de la plage. Les vagues les moins importantes commençaient près du rivage et ils
n’eurentpasàallertroploin.BreeetRoyentourèrentlesdeuxplusjeunes,etdemandèrentàWilliam
delessuivre.
–Aïe!s’écriaWilliamquand,unevaguesebrisantdevantlui,ilreçutlesurfdanslafigure.
–Tiens-lecommececi!ditPhilippeenmaintenantlaplanchequ’ilavaitempruntée.
Unegrossevaguelessoulevadeplusd’unmètre.Cody,quiportaitdesbrassardspar-dessussa
combinaison,poussadescrisdeterreur.
–Lesplanchessurlecôté,faceàlaplage!ordonnaRoy,lesmainsenporte-voix.Surveillezles
vaguesetrepérezlabonne,commeça...Etalors,hissez-voussurlaplanche.Pagayezaveclesbraset
laissez-vousentraînerparlavague.
–Facileàdire!fitremarquerJacquilorsque,tentantdesehissersurlaplanche,elleneparvint
qu’àretomberdel’autrecôté.Merda!
–Regardez-moi!Regardez-moi!criaZoé.
EllesemithorsdeportéedeBree,etpagayaavecfrénésietandisqu’unevaguelaramenaitsurla
plage.
–Joli!Mahalo!ditRoyenlesencourageantd’unnouveaugestedupouce.
– Cowabunga ! hurla William en piquant vers le fond, alors qu’une vague le renversait en
arrière.Toutvabien!Toutvabien!dit-ilenrecrachantdel’eaudemerlorsqu’ilrefitsurface.
Àl’approched’unevague,Philippesemitàplatventre,ramaénergiquementaveclesbras,se
dressasurlaplancheetsurfajusqu’ausable.
Ilretournadansl’eauaupasdecourse.
–J’aipasfaitçadepuisdesannées!s’esclaffa-t-il.
Sonvisagerayonnait,etsesyeuxbrillaient.
–Waouh!Surpreendente!s’exclamaJacqui.Jemedoutaispasquetusavaissurfer.
–Unpeu,c’esttout.C’estpassorcier!dit-il,luimontrantcommentfaire.Vas-y...prendscelleci ! Hisse-toi... oui, c’est ça. Bien ! Formidable ! Encore, encore, encore, l’encouragea-t-il alors
qu’elleabordaitgracieusementsurlaplage.
Pendant quelques instants, ils regardèrent les gamins osciller au gré des vagues. Puis, assurés
queRoyetBreeveillaientbiensureux,ilsretournèrentsurlaplage,oùleDrAbrahamronflaitsous
unparasol.
–Visiblement,ils’estfaitpayersesvacances,constataJacquid’untonsec.
Philippehochalatête.
–Heureusementqu’onestlàpourtravaillerdur!répliqua-t-il,taquin,enétalantleursserviettes
debain.S’ilyauntrucquejedéteste,c’estquandilyadusablepartout,ajouta-t-iltoutens’affairant.
Jacquihochalatête,défitlafermetureéclairdelacombinaisonetlaretiraavecprécaution.Elle
sentaitPhilippelafixerdesyeux,bienqu’elleneleregardâtpas.
–Tuestrèsbelle,déclara-t-ilsurlemêmetonqu’ilauraitpudire«Ilfaitchaud»ou«Laterre
estronde»–commesic’étaitunesimpleévidence,etnonuneraisonpoursemettredanstousses
états.
–Merci,dit-elleensoutenantsonregard.
–Ondoittelerépéterenpermanence,jesuissûr.Çadoitêtreaffreusement...ennuyeux.Pénible,
quoi!
–Effectivement,réponditJacquiavecsérieux.
–Danscecas,jedevraispeut-êtretedirequetuestrèslaide,fit-ilpourlataquiner.
Jacqui lui lança un tuba. Il ne se contentait pas d’être mignon. Il avait l’esprit vif, et elle
appréciait ça. Elle replia ses jambes contre sa poitrine et ouvrit, à contrecœur, son livre de
préparationauxexamensd’entréeenfac.Sonpremiercoursdevaitavoirlieudemainet,bienqu’elle
eût volontiers passé la journée à flirter avec Philippe, elle ne pouvait se permettre de se laisser
distraire.
LeportabledePhilippesonnapourlaénièmefois.Jacquisedemandaitcommentquelqu’unqui
n’avaitjamaismislespiedsdanslesHamptonsauparavantavaitpusefaireautantd’amisenaussipeu
detemps.
–Allô?dit-ilenouvrantsonportable.
Il s’exprima dans un français rapide puis, glissant son sac à dos sur son épaule, s’excusa de
devoirpartir.
–Tuvasoù?criaJacqui.
Philippelevaundoigt,commepourdire«Attendsuneseconde!»,maiscontinuaàs’éloigner
endirectionduchemindeplanches.Jacquiremarquaqueplusieursfilleslereluquaient,derrièreles
verressurdimensionnésdeleurslunettesdesoleilChanelouGucci,etquequelquesmecslemataient
eux aussi, sous leurs parasols à rayures. Philippe adressait à chacun, homme ou femme, le même
sourireséducteur.Jacquisoupiraetbaissalatêteverssonlivre.Ellenecomprendraitjamaisrienaux
Français.
C’estpourçaqu’onappelle
lapage6page666
Plus tard ce matin-là, Mara se réveilla enfin, seule dans le cottage des domestiques. Il était
presqueonzeheuresetdemie.EllenetrouvaniPhilippeniJacqui,ets’étonnad’avoirpudormirsi
tard sans qu’aucun des deux n’ait songé à la réveiller. Mara conservait un souvenir embrumé de la
soiréedelaveille.Elleserappelaitavoirdanséavecfrénésielorsqueavaitretentilevieuxtuberock
Livin’ on a Prayer, avoir croisé Eliza et échangé des histoires de shopping avec, assise à la table
voisine, Chauncey Raven – la pop star très entourée qui venait de conclure à Las Vegas un second
mariageexpress.Elleavaitégalementpasséunebonnepartiedelasoiréeperchéesurlesgenouxde
Garrett, car une bande d’amis à lui s’était pointée, et ils avaient tous dû se serrer sur la banquette.
Maiselleavaitesquivésonbaiserlorsqu’ill’avaitraccompagnéeàquatreheuresdumatin.
Marasetraînajusqu’àlamaisondesPerry,laquellerésonnaitduvacarmedesmarteauxpiqueurs
duchâteaudesReynolds.Ellesecoualatête–ellen’avaitvraimentpasbesoindeça,vusonétat–et
entradanslacuisine,oùdesboiseriesfrançaisesanciennesrecouvraientlatotalitédeséquipements,
congélateur compris. Elle réalisa que le château des Reynolds ne devait guère différer des autres
demeuresdesHamptons,sicen’estparlatailleetlecôtétape-à-l’œil.Ellenetrouvapersonnedansla
cuisine, à l’exception de Madison. Celle-ci pesait un blanc de poulet bouilli sur une balance de
cuisine.Mararegardalafillettelecoupersoigneusementendeuxavantdelereposersurleplateaude
labalance,puisdeledisposersuruneassietteavecplusieursjeunescarottescrues.
–Qu’est-cequetufais?
Madisonlafusilladesyeux.
–Rien.
Maras’installasuruntabouret,àcôtéd’elle,etsemitàpréparersonpetitdéjeuner.Ellecoupa
unebananeenrondellesetversadulaitdemi-écrémésursonboldecéréales.
– Tu sais, Madison, j’ai été une enfant joufflue. Mais à quatorze ans, mon métabolisme s’est
réveilléquandj’aicommencéàbeaucoupjoueraufootetlà,j’aifondu.
–Jedétestelefoot!rétorquaMadison,selevantetclaquantlaportederrièreelle.
Mara soupira. Elle ramassa un exemplaire du New York Post ouvert à la page 6. « LE RICHE
HÉRITIERA-T-ILTROUVÉCHAUSSUREÀSONPIED?»pouvait-onlireengroscaractères,sous
unclichédeMaraassisesurlesgenouxdeGarrett,prislaveilleausoir.Elles’appuyaitsurlebrasde
Garrettetparaissaitrireàsespropos.Garrettfixaitl’objectifavecunsourirearrogant,brandissant
d’unemainunebouteilledechampagneouverteetserrantfermementdel’autrelatailledeMara.À
l’exceptiondequelquesallusionssarcastiquesàlamonstruositédetrentemillemètrescarrésqueles
Reynoldsétaiententraind’érigeràEastHampton,l’articleétaitquasimentidentiqueàceluiparusur
Ryan et elle l’été précédent, décrivant comment le jeune couple avait été surpris « se faisant des
câlins»danslaboîtelaplusbranchéedumoment.Commentcela,descâlins?Elleétaitassisesurses
genoux,riendeplus.D’accord,illuiavaitpeut-êtreunpeufourrésonnezdanslecou...
L’angoisselapritauventre.Ellesedemandasic’étaitRyanquiavaitlaissétraînerlejournalsur
latable.Ellereniflaunetasseàmoitiévideàcôtédujournal.Duthévert...DanslefoyerPerry,seul
Ryanenbuvait.
Sugarentraalors,maigrecommeuncoucou,etennageaprèssaséancedeyoga.Lecaméraman
etlepreneurdesondelaveillemarchaientsursestalons.
–Oh,salut!s’exclamaSugar.C’estlapage6?s’enquit-elle,s’approchantpourlirepar-dessus
l’épauledeMara.
SugarlevalesyeuxetregardaMarad’unairsongeur.
–Eh,vousvoulezpasfairelafêteavecCharlieetmoi,undecessoirs?
L’unedessœursPerrysemontraitaimableàsonégard?Maran’encroyaitpassesoreilles.L’an
dernier, Sugar n’avait même pas été capable de retenir son prénom, et n’avait cessé de l’appeler
«Marta»,«Maria»,voire«Mary».
–Ondonneunesoiréesursonyacht,leweek-endprochain.Ilyaurajustelestrèsbonsamis.
AmèneGar.Çavaêtresuper!
– Ouais, peut-être, marmonna Mara, pendant que Sugar souriait et haussait les épaules à
l’attentiondelacaméra,rejetantsescheveuxenarrièreetbombantlapoitrine.
–Venezlesgars!cria-t-elleauxdeuxgarsdel’équipe.Onseretrouveàladoucheextérieure.
Maraavaitlesyeuxrivéssurlapage6.EllesedemandaitsiRyanvoudraitjamaisluireparler
aprèsavoirvuunephotopareille.C’étaitleproblème,aveclesphotos–ellesvalaientunmillierde
paroles.Or,parfois,cen’étaientpaslesbonnes.
Riennesoulagemieux
lespeinesdecœur
qu’unevoiturepleine
decadeaux!
Àlafindelasemainesuivante,Marasedirigeaverslasalledeprojectionpourlepremierbilan
hebdomadaire.JacquietPhilippeétaientcenséslarejoindresitôtaprèsavoirdéposélesgarçonsdans
une sorte de camp d’entraînement pour enfants. Ils commençaient visiblement à bien s’entendre et
aimaientaccomplirlemaximumdetâchesensemble.
À la réunion, Mara avait l’intention de se plaindre du Dr Abraham. Il l’avait sermonnée après
qu’elleeutembrasséCody,quivenaitdesecognerméchammentundoigtdepied,allantjusqu’àlui
asséner:
– Couronner une expérience douloureuse par une sanction positive ne risque pas d’aider la
personnalitéàs’affirmer.
Avant de lui demander, quelques minutes plus tard, si elle ne connaissait pas le moyen de lui
faireobtenirunetableVIPauSeptièmeCercle.Cetypeétaitlouche.
Après avoir passé quelques minutes assise dans la pénombre, Mara réalisa qu’il était inutile
d’attendreKevinouAnnapluslongtemps.Riendenouveausouslesoleil.L’annéeprécédente,Anna
avait également insisté pour que ces réunions aient lieu, alors que ni elle ni Kevin n’y assistaient
jamais.Marahaussalesépaulesetsortitdelapièce.MadisonetZoéattendaientqu’ellelesconduise
auyoga.
Sortant par la grande porte, elles virent un grand camion de livraison garé dans l’allée des
Perry. Plusieurs employés en uniforme en déchargeaient des portants chargés de vêtements et des
dizaines de sacs de shopping noirs d’où dépassait du papier de soie rose. Une femme exagérément
bronzée, maigre comme un portemanteau, et vêtue d’un débardeur blanc sur lequel on pouvait lire
C’EST AVEC MOI QUE TON PETIT AMI VEUT SORTIR et d’un jean taille basse, dirigeait les
opérations.
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mara à Laurie, laquelle portait sur la scène un regard
caustique.
–J’ensuispassûre,maisjecroisquec’estpourvous,réponditLaurie.
–Salut!MaraWaters?JesuisMitziGoober,lançalafemmeendébardeur.
Elleprononçaladernièresyllabeàlafrançaise,sibienqu’onentendait«Goubert».Elletendit
versMaraunbrasmusclémaisdécharné.
–Waouh!Jenevousauraisjamaisreconnue!Vousêtestellementplusjoliequesurlesphotos!
–Merci...jecroisque...,bafouillaMaraenbaissantlatête.
Elles’étaitfiguréqueleschosesallaientsetasser,aprèslapublicationduclichéd’elleetGarrett
dans le Post. Or, au cours de la semaine suivante, il était apparu dans les magazines Hamptons,
Hamptons Life, Hamptons Living, Hamptons Country et Hamptons Luxury. Ryan ne lui avait jamais
laissé une chance de s’expliquer ; chaque fois qu’ils se croisaient – ce matin même, ils s’étaient
trouvésnezànezàlapiscine–,ilfaisaitminedel’ignorer.Levoirsidistantluifendaitlecœur.Et
l’insistance avec laquelle Garrett tentait d’obtenir un second rendez-vous lui remontait un peu le
moral.Illuiavaitdéjàenvoyéunetellequantitédefleursquelecottagedesbaby-sittersressemblaità
unfunérarium.
Un cliché de Mara seule et vêtue de la robe Zac Posen bleu lavande finit par atterrir dans les
pages « société » de Vogue, sous l’intitulé « Ces dames en lilas », entre une photo de Jennifer
Connellyvêtued’unerobeChloébleulavandeornéed’unnœudàlatailleetuneautred’AerinLauder
dansunfourreaupourpreValentino.Maran’étaitarrivéequedeuxsemainesplustôt,orellesuscitait
déjàdesregardsouvertementjaloux,outoutsimplementcurieux,partoutoùelleallait.Ellesefaisait
l’effetd’unebêtecurieuseetd’uneusurpatrice:elleétaitlà,danslespagesd’unmagazinedemode,à
poserdanslarobedeJacqui...quand,enréalité,ellepassaitsesjournéesàtraînerlesgaminschezle
dentiste,àtorcherlesfessesdeCodyouàtenterdeconvaincreMadisondemangerautrechoseque
dubouillondepouletetdufromageallégé.
–Detoutefaçon,commejeviensdel’expliqueràvotreassistante...
–Jesuisl’assistanted’Anna!l’interrompitLaurie.
– Bien sûr. Peu importe..., dit Mitzi en faisant signe aux livreurs de sortir du camion les sacs
restants.
–Maraestfilleaupair!repritLauried’unevoixindignée.
– Fille au pair ! Comme c’est charmant ! Formidable ! s’exclama Mitzi. Écoute, Mara, j’ai ce
nouveaustylisteenvoguequirêvedet’habiller–enfait,ilyenaplusieurs–ettoutçacesontdes
cadeauxquetuporterasquandtusortiras...
– C’est pour moi ? demanda Mara en regardant les gars poser un sac après l’autre sur la
pelouse,àcôtédel’allée.
– Oui oui oui ! Débrouille-toi juste pour citer la marque chaque fois que les gens voudront
savoircequetuportes.Shoshannaaenvoyétoutesacollectionété.Elleaadorélesphotosdetoidans
sarobel’annéedernière,etellepensequequelques-unsdesmodèlespourraientteplaire.C’estbon,si
onlaissetoutici?
–C’estvraimentgentil,Mitzimais...euh...jenesaispassi...
– Une seconde ! Une seconde ! J’ai failli oublier le meilleur ! dit Mitzi, en extirpant de son
énormesacHermèsmodèleBirkinunécrinrecouvertdeveloursnoir.C’estuncadeau.Ouvre!
Mara ouvrit l’écrin. À l’intérieur, un rang de perles éclatantes était disposé sur un fond
molletonné.
– Il vient de chez Mikimoto. Ce n’est que la version « perles de culture », désolée. Mais si tu
peuxsongeràlesmentionner...,glissaMitziavecunsourire.
–Jenesaispassijepeuxaccepter,protestaMarad’unevoixnerveuse.
–Dequoituparles?Jet’enprie!Tulesmérites!Tuestellementravissante!Ah,monDieu,si
seulementmescheveuxvoulaientbientombercommelestiens!ditMitzi,quitirasursescheveuxen
grimaçant.
Mara n’avait jamais rencontré personne qui possédât une telle énergie, un tel enthousiasme.
MitziGoober,c’étaittoutcelaàlafois:votremeilleurecopine,unepom-pomgirl,etungourou.Elle
luidonnaitlamigraine.
Lorsqueleslivreursentreprirentdedéchargerunsecondportantàroulettes,Maratentadeles
convaincre de le remettre dans le camion, pendant que Madison et Zoé contemplaient le butin, les
yeuxécarquillés.
–Mitzi!Attendez!Sérieusement,jepeuxpasaccepter!
–Nedispasdebêtises!Tusaisàquelpointilestdifficilededénicherdesgensquientrentdans
lesmodèlesdedéfilé?Allez,jet’enprie!Ceseraitunsacrécoupdepoucepourmesstylistes.Ce
sonttesfanslesplusassidus.
Sesfans?Elletravaillaitcommefilleaupair,avaitposépourquelquesclichés...etavaitdéjàson
fan-club?
Mitziagitaunporte-cléssouslenezdeMara.
–Laquelletuconduis?LaRangeRover,là-bas?Tulatrouvespasunpeumastoc?
–C’estcelledesPerry,àvraidire.
–J’adoreraisquetuessaiesdeconduirecettenouvelleBMWdécapotable,ditMitzi,luifourrant
lesclésdanslamainetdésignantunevoiturenoireetbrillantegaréedansl’allée.
–Unevoiture?demandaMara,avantderesterbouchebée.
–Àtadispositionpendanttoutl’été.Touslesjours,quelqu’unviendraremettredel’essenceet
déposerdescadeauxpourtoi.Quedubonheur!Tun’aurasàtesoucierderien.
MarafixalesclésdelaBMW.C’étaithallucinant.Etfollementexcitant.Ellepourraitvraiment
gardertoutcebarda?
ZoéetMadisonavaientcommencéàfarfouillerparmilesvêtementssuspendusauxportants.
–Oh,regarde-moiça!s’exclamaMadisonenbrandissantundosnuenjerseynoirGucci.
–C’estzoli!approuvaZoéens’enroulantdansuneétoleendentelle.
–Uneminute!Mitzi!s’écriaMara.
Elle s’efforça de rattraper la publiciste, qui s’était engouffrée dans une Citroën vintage et
manœuvraitpourquitterl’allée.
–Jevoudraisjuste...jenesuispassûrequecesoitunebonnechose,ditMaraensepenchantàla
vitre.
MitziplaqualamainsurlabouchedeMara,luibarbouillantlementonderougeàlèvres.
– Enfin, mon chou ! Ne nous embête pas ! Pense juste à faire allusion à mes clients quand tu
parleras aux journalistes. Marché conclu ? Passe un bon été ! J’espère bien te voir à ma soirée, la
semaineprochaine,auSeptièmeCercle.Ciao!
Mitziquittal’alléeaumomentoùlaToyotas’yengageait.
–C’étaitqui?demandaJacqui,sortantdelavoitureavecPhilippeetlesgarçons.
Mara jeta un coup d’œil alentour sur tout ce que Mitzi avait laissé : deux portants chargés de
vêtementsdemarque,plusieurssacsdechaussuresetd’accessoires,unécrincontenantuncollierde
perlesetuneBMWdécapotablenoireflambantneuve.
–Euh...jesaispastrop,ditMara,n’enrevenantpasdesachance.Mabonnefée?
Devinequivientdînercesoir?
DeuxsemainesaprèsleursretrouvaillesauSeptièmeCercle,Eliza,ouvrantlaporte,vitJeremy
surleseuil,unbouquetdefleursàlamain.Ilsnes’étaientrevusqu’uneseulefoisentre-temps.Les
effroyableshorairesdetravaildeJeremyleretenaientenvilleleplusclairdesontemps,etilleur
avaitfallureporterledîneràdeuxreprises.Sesparentslaharcelaientlittéralementpourqu’elleleur
présente son « ami de cœur ». En cela, ils étaient de la vieille école. Eliza espérait que le dîner se
passeraitbien,oudumoins,qu’ilpasseraitvite,defaçonàcequeJeremyetellepuissentenfinsortir
etseretrouverseuls.
– C’est pour ta maman, dit-il en lui tendant la gerbe de lys blancs, dont le délicat parfum se
répanditdanslapièce.
–C’estsuper-gentil.Entre!ditEliza.
Elleavaitramassésescheveuxenunchignontrèssageetnouéautourdesoncouunrubande
satinnoirornéd’unpendentifancien.EllesavaitqueJeremyaimaitqu’ellesoitjolieetenfantine,et
avaitchoisisesvêtementsavecsoin–unerobeàvolantsChloéencotonblancetdesballerinesroses.
Elleétaitcontentequ’ileûtl’airsisérieux,danssoncostumeenlinocreetsachemisebleuciel.Il
avaitlégèrementdesserrésaclassiquecravateàrayures,etoffraitlaparfaiteimagedujeunebanquier
ambitieux.
ElizaconduisitJeremydanslesalon.
–Papa,voiciJeremy.Jeremy,jeteprésentemonpère,RyderThompson.
Un homme grand et costaud au front couronné de cheveux d’un blanc argenté se leva pour
serrerlamaindeJeremy.
RyderavaitluiaussitravailléàWallStreet,avantqu’onneserendecomptequ’ilpiochaitunpeu
trop souvent dans les coffres-forts de la banque. Eliza ne comprenait toujours pas pourquoi on en
avait fait un drame : c’était sa compagnie, après tout. Est-ce que ça n’aurait pas dû être pris en
compte?Certes,elleserappelaitqu’ilsavaientcoutumed’utiliserl’aviondelasociétépoursefaire
despetitsweek-endsàParis...etalors?Quantàlasoiréeàdeuxcentmilledollarsdonnéepourles
seizeansd’Eliza,c’était,àencroirelesjournaux,lasociétéquiavaitpayélanote.Maiscommedes
tasd’associésdesonpèreétaientprésents,c’étaitpresqueuneréuniond’affaires.Quoiqu’ilensoit,
cela n’avait pas empêché l’enquête, les poursuites et l’humiliation qui s’ensuivirent. Les Thompson
avaientendurétoutceladumieuxpossible,gardantlatêtehauteetfichantlecampàBuffalolorsque
Manhattandevintinfréquentableetau-dessusdeleursmoyens.
Sesparentsavaientétéclairssurcepoint:legarçonavecquiellesortiraitdevraitêtreissudu
mêmemilieuqu’elle,etavoirreçuuneéducationsimilaire,endépitdecequis’étaitpasséaucours
desdeuxdernièresannées.ElizaespéraitqueJeremyréussiraitsonexamend’entrée.Ilarrivaitque
sesparentssemontrentunpeudurs.Pourlapremièrefois,Elizaregrettalalibertédontelleavaitjoui
l’année précédente, lorsqu’elle était seule et ne devait aucune explication à personne, hormis aux
Perry,lesquelsétaientleplussouventabsentsouindifférents.
–Undoigtdegin?demandaRyderàJeremy,enbrandissantunshakerenargent.
–MercimonsieurThompson,réponditJeremy.Jeprendrailamêmechosequ’Eliza.
Fronçantlessourcils,lepèred’ElizaservitàJeremyunverredevinblanc.Maisilsegardade
toutcommentaire.Puistousquatres’enfoncèrentdanslecanapérecouvertdelin.
–Jevouspriedenousexcuser...lamaison...noussommeshabituésàmieux,ditBillie,lamère
d’Eliza, portant nerveusement les mains à son cou et jetant un regard de dégoût à la collection de
poupées de porcelaine disposées dans une vitrine. Mais comme Eliza tenait tellement à passer l’été
danslesHamptons,nousavonspenséque...
–C’esttrèsjoliici,assuraJeremy.J’aimebiencesvieillesbâtisses.Ons’ysentensécurité,vous
netrouvezpas?
Lamèred’Elizaluisouritchaleureusement.
–Moiaussi,j’apprécielesconstructionsanciennes.
– Jeremy a grandi dans les Hamptons, fit remarquer Eliza, en essayant malgré elle de leur
donnerl’impressionqu’ilfaisaitpartiedeleurmonde.
Nonqu’ellesesouciâtdecequepensaientsesparents.Ellenepensaitpascommeeux,detoute
manière, enfin, pas vraiment. Si ç’avait été le cas, elle aurait couru après Garrett Reynolds, et non
aprèsJeremyStone.Maisçafaciliteraittellementleschoses,s’ilspouvaientl’apprécier.
LevisagedeBillies’illumina.
–Oh,etoùça?
–ÀSouthampton,réponditJeremy.
LesThompsonaccueillirentsaréponseavecunmurmured’approbation.
– Vous connaissez les Ross ? Courtney a fondé cette adorable école. On a failli s’installer ici
nousaussi,pouryinscrireEliza.
–JeconnaislesRoss,admitJeremy.
Ilsegardadepréciserqu’ilétaitleurjardinier,augrandsoulagementd’Eliza.
–OùçaàSouthampton?demandalepèred’Eliza.
Jeremyleluidit.
– Ah, ça ne serait pas dans le township ? devina Ryder, faisant allusion à ce quartier de
Southamptoninfinimentplusmodeste,composédepetitspavillonsd’habitation.
Jeremyhochalatête.
–Commec’estpittoresque!ditBillie,avecunsourireforcé.
–Quefaitvotrepère?insistaRyder.
–LepèredeJeremydirigesapropreaffaire,s’empressaderépondreEliza,voyantletourque
prenaientleschoses.
–Quelgenred’affaire?demandasonpère.
–Iltientunepoissonnerie,surlaroute27,réponditJeremyavantqu’Elizaeûtpusongeràun
autreeuphémisme,dugenre«Iltravailledansletransportmaritime».
–Celleaveclegrandnéonenformedesaumonsurlaporte?demandaBillie.
–C’estça!confirmaJeremyensetapantlacuisse.
–JecroisqueColombiayaachetédeshuîtresdélicieusesl’autre jour, mon chéri, dit Billie à
sonmari,enhochantlatête.Unvrairégal.Sifraîches.
Jeremyétaitauxanges,maisElizavoyaitl’oragepoindre.Çanesepassaitpasbiendutout.Eliza
savaitquesesparentsétaientdessnobsdechezsnob.Illeursuffisaitdequelquesinstantspoursituer
quelqu’undansl’échellesociale,etJeremyneleurparaissaitdéjàplusdignedeleurattention.
– Vous êtes inscrit dans quelle université, mon cher ? demanda Billie, poursuivant
l’interrogatoiretandisqu’ilss’asseyaientàtablepourdîner.
–Jevaisàl’universitédel’État,ditJeremy,avantdes’essuyerlaboucheavecuneserviettede
tableenlin.LaSUNY.
RyderThompsonsetournaverssafemme:
–CeneseraitpasleprénomdelafemmedeWoodyAllen?plaisanta-t-il.
Elizaintervint.C’étaittropdouloureux.
–Ilveutparlerdel’universitéd’ÉtatdeNewYork,papa.ÀNassau.Cen’estpastrèsloind’ici.
–NewYorkauneuniversitépubliquetrèsréputée,concédagénéreusementBillie.
Eliza se tortillait sur sa chaise. Jeremy était le premier membre de sa famille à aller à
l’université,etilétaitréellementfierdecela.Nemedétestepas!,lesuppliait-elleduregard,attendant
qu’illèvelesyeuxverselleetvoieàquelpointelleétaitdesoncôté.OrJeremygardalatêtebaissée
pendantlerestedelasoirée.
Lecafépris,lesThompsonseretirèrentaprèsavoirsouhaitébonnenuitàJeremyd’untonpoli
etrappeléàElizal’heureducouvre-feu.
–Tuveuxqu’onaillefaireuntourenvoiture?Ouonpourraitpeut-êtresebaladersurlaplage?
suggéraElizaenquittantlatable.
Ellevoulaitluidemanderd’excusersesparents,maiss’accrochaitencoreàl’espoirqu’iln’avait
pasremarquéàquelpointilsétaientsnobs.
Jeremysecoualatête.
–Non.J’aiuneréuniontôtdemainmatin.Ilfautquejerentre.
Levisaged’Elizasedécomposa.Ilsn’allaientmêmepastraînerunpeuensemble?C’étaitleseul
soiroùellenetravaillaitpasàlaboîte,etelleavaitattenducemomenttoutelasemaine.
Jeremy balança la veste de son costume sur son épaule et se dirigea vers la porte. Eliza la lui
ouvrit,etlesuivitsurleporche.
–Çatediraitqu’ondînechezLunch,lasemaineprochaine?Justetoietmoi?demandaEliza,se
reprochantaussitôtsontonsuppliant.
–Peut-être,soupira-t-il.Ilyabeaucoupdetravailaubureau.
–Net’envapas!dit-elle,leslèvrestremblantes.
Ellelevalementonversluipourqu’ill’embrasse.Elleauraittantvouluqu’ilcomprenne.
Jeremysoupiraànouveauetparutsurlepointdes’enaller.Mais,aulieudeça,ilbaissalatête,
frôlaseslèvres.Ilsdemeurèrentainsi,surleporche,pendantcequisemblaàElizauneéternité.
–Jet’aime,tusais,marmonna-t-elledanssachemise.
– Je sais, répliqua-t-il, se dégageant à contrecœur. Mais faut que je sois au bureau de bonne
heuredemain,etjenepeuxpasmepermettredelouperlederniertrain.
Ilgrimpadanssacamionnetterouillée,seultémoindesonancienneprofession.
Elizaleregardas’éloigneretsedemandasiellelereverraitjamais.Unechosel’avaitfrappée:
iln’avaitpasréponduàson«Jet’aime».
LapotionmagiquedeJacqui,
c’estlesgarçons!
Jacquifutdésoléedeconstaterquelecoursoùelles’étaitinscriteétaitpleindegossesderiches
archi-bosseurs, qui ne visaient pas moins que la perfection, ce qui ne fit que rendre encore plus
déprimants les résultats de son premier test d’évaluation. Jacqui venait de fourrer ses livres de
préparationàl’examensurlabanquettearrièredelaPriuslorsqu’ellevitPhilippearriverenscooter.
Ilretirasoncasqueets’ébouriffalescheveux.
–Attends!s’écria-t-ilenapercevantJacqui.
Elles’appuyasurlaportièredelavoitureetsourit.
–Quesepasse-t-il?demanda-t-elle.
–Pasgrand-chose.Tuvasoù?
–Encours.Onestmercredi,tutesouviens?
Jacquiluiavaitparléducoursl’autresoirquand,déboulantdanslecottageàminuit,ill’avait
trouvéeplongéedanssonlivre.Elleluiavaitexpliquéenquoicelaconsistaitetill’avaittaquinéesur
lefaitquelesandouillesdesoncoursdevaientavoirdumalàseconcentrersurleurboulot,avecune
camaradedeclassecommeelle.QuantàPhilippe,saseuleambitiondanslavie,c’étaitdegagnerle
tournoidetennisRolex,dedevenirproet,plusglobalement,depasserdessupermomentsàrebondir
d’unestationbalnéaireàl’autre.Toutcequ’ilsouhaitait,c’étaitvivreentennismanbohème.
–Viensplutôtfaireunepartiedebillard!proposa-t-il.Tupeuxlouperuncours,non?
Unsourireinsolentauxlèvres,leregardprovocant,illadétailladepiedencap.
Jacqui se mordit la lèvre. Jouer au billard avec Philippe promettait d’être plus drôle que de
résoudredesproblèmeslinguistiquesdansunsous-solhumide.Ellenes’autorisaitquasimentaucune
distraction depuis des semaines. Songer que c’était elle, Jacqui, qui assumait les trois quarts du
boulot. Elle en était fière, elle avait la manière avec les gamins. Mais elle regrettait de ne pas
s’amuserdavantage.
Philippelapritparlamain,etilssefaufilèrentdanslademeureprincipalepoursedirigervers
la salle de projection, équipée dans un coin d’une table de billard. L’une des choses les plus
étonnantes, chez les Perry, c’est qu’ils n’étaient quasiment jamais là pour profiter de la profusion
d’équipementsdelamaison.Lesjumellescouraientsanscessed’unefêteàl’autre,Ryanpréféraits’en
teniràsachambre,etlesnombreuxgadgets–l’écranlargedecinqmètres,lesquadsgarésprèsdela
plage,lePacMand’origineetlesflippers–étaientrarementutilisés.
Philippeenserralesbillesdansletriangle,etJacquicassa,envoyantunebillepleinejaunedans
unepochedecoin.
– Alors, tu étais passé où ? demanda-t-elle en frottant de craie bleue le bout de sa queue de
billard.
Philippemanquaitdepuisplusieursjoursàl’appel.Ellesepenchasurlatablepourtirerlecoup
suivant.Elleenloupaunquiétaitpourtantfacile,etlabilleheurtalebordopposéaulieuderouler
danslapochetouteproche.
–Ilfallaitquej’ailleauconsulatdeFrance,etcommeAnnaavaitbesoinquejel’aidepourun
truc, on est restés deux jours à New York, expliqua-t-il en contournant le billard afin de trouver le
meilleurangle.
–Hum...Vousétiezjustetouslesdeux?
Philippehaussalesépaulesetenvoyaunebillerayéedansunepoche.
–Oui.TuesdéjàalléedansleurmaisondeNewYork?Elleestmagnifique,dit-il.
Jacquis’envoulutd’éprouverdelajalousie,maisc’étaitcommeça.ElleauraitjuréquePhilippe
s’intéressaitàelleetpourtant,ilsavaientbeaudormirtouslessoirsdanslamêmechambre,iln’avait
jamais rien tenté. Elle s’était promis de résister aux garçons cet été, mais n’avait pas songé une
secondequel’onpuisseluirésister,àelle.
–J’adoreNewYork,ditJacquid’untonsongeur.
En fait, elle n’y avait jamais mis les pieds, mais n’avait aucun mal à l’imaginer : les rues
animées,lesgens,lespetitscafés,lesboîtesdenuit,leshopping.JacquiaimaitleBrésil,maisc’està
NewYorkqu’elleavaitl’intentiondefairesavie.
–C’estlaplusbellevilledumonde,déclara-t-elle.
Philippegrommela,sepenchantpourjouer.
–JeveuxvivreàNewYorkl’annéeprochaine,ajoutaJacqui.
Illevalesyeuxverselle.
–Pourquoi?
Elleluiexposasonprojetd’alleràStuyvesant–et,avecunpeudechance,àl’universitédeNew
York–,précisantqu’elleespéraitqu’Annal’aideraitàtrouverunesituationdenounouàdomicilesi
elletravaillaitbiencetété.
Ilsjouèrent,égalisantlescoreàchaquecoup,jusqu’àcequ’ilnerestâtplusquelabillenoire,la
o
n 8.C’étaitunesituationdélicateetJacquis’appliqua,setortillantdefaçonàpouvoirviserjuste.
–Tuesobligéedegarderunpiedausol,fitremarquerPhilippe,tandisqueJacqui,assisesurle
reborddelatable,balançaitsesmulesàtalons.
–J’essaie!répliqua-t-elledansunéclatderire.
–Commeça,ditPhilippe,s’approchantd’ellepar-derrière,etguidantsesgestesavecprécision.
Elle le laissa pousser la queue de billard et la bille s’engouffra dans une poche au coin de la
table.
–Alors,quiest-cequiagagné?demandaJacquiensetournantverslui.
Philippeavaittoujourslesbrasautourd’elle.
–Disonsqu’onestàégalité,dit-ilensepenchantpourrespirerl’odeurdesescheveux.
Philippesepressacontresondos,etJacquisentitlachaleurémanantdesoncorps.Impossiblede
résister.Elles’abandonnaàsonétreinte.Desfrissonslaparcouraienttandisqu’ilcouvraitsoncoude
baisers.Ellefermalesyeuxetlevalatêteverslui.Commes’ildevinaitsespensées,illacouchaavec
délicatessesurlebillard.LatêtedeJacquiheurtaleplafonnier.
–Aïe!s’esclaffa-t-elleenl’attirantcontreelle.
Il lui embrassa le cou, les épaules, ses doigts se perdirent dans les cheveux de Jacqui... Elle
refermasesbrassursondos.
–Jacqui?
Leslumièresdelasalledeprojectionserallumèrentsoudain.
Jacqui repoussa Philippe. Ce faisant, elle donna un coup dans la queue de billard, qui vint
frapperPhilippeaubeaumilieudufront.
–Aïe!
– Qu’est-ce que vous faites ? demanda Zoé, un ours en peluche dans les bras. Pourquoi vous
vousêtesmissurlatabledebillard?
Direquec’étaitprécisémentpouréviterçaqueJacquis’étaitfixédesrèglesdugenre«Finiles
garçons»!
PersonnenecacheMara
dansuncoin!
UneautresoiréedefolieauSeptièmeCercle...Elizas’efforçaitdecontenirleflotimpétueuxdes
fêtardssepressantderrièrelecordondel’entrée.Kartikluiavaitconseilléd’introduirelesgensau
compte-gouttes,parpetitsgroupesdedeuxoudetrois,sibienqu’ilyavaittoujoursunelonguefile
d’attente,donnantl’impressionquelaboîteétaitencoreplusassailliequ’ellenel’étaitréellement.
Elizascrutalafoule,cherchantàapercevoirJeremy.Elleespéraitqu’ilpasseraitdenouveauàla
boîte, mais il n’était pas encore reparu. Elle ne l’avait pas revu depuis le désastreux dîner chez ses
parents,lasemaineprécédente.Elleluiavaitlaissédeuxmessagessursonportableetaubureau–où
lecrétinquiavaitrépondul’avaitpriéeàdeuxreprisesd’épelersonnom.MaisJeremynel’avaitpas
rappelée.
–Votrenom?demanda-t-elleàunefemmed’âgemûrentailleurpantalonbeigequiavaitjoué
descoudesdanslafiled’attente.
–MargotWhitman,réponditladamed’untonsec.
Elizafitglissersondoigtsurlaliste,passantlesnomsenrevue.Wilson (Owen), Wilson (Luke
plusun),Williams(Venus&Serena),WMagazine,Women’sWearDaily.
–Jesuisdésolée.Vousn’êtespassurlaliste,rétorqua-t-elle.
Alanavaitpréciséquelalistenes’appliquaitqu’aux«civils».Lesmannequins,etautresfilles
sublimement belles, ainsi que les célébrités en général avaient le droit d’entrer de toute façon, que
leur nom soit sur la liste ou non. Mais les gens normaux, groupe auquel la femme appartenait
visiblement,pouvaientgelerenenferavantdepouvoirfranchirleseuilduSeptièmeCercle.
–Jesuislamèred’Alan,déclaralafemme.C’estuneblagueouquoi?Vousvoulezbienallerme
chercher mon vaurien de fils, que je puisse entrer. C’est ridicule. J’ai des clients qui attendent à
l’intérieur.
– Je suis désolée. Vous ne voudriez pas appeler Alan sur son portable, pour qu’il puisse
confirmer?Jenepeuxrienfairepourvous,insistaElizad’unevoixdésolée.
Lafemmelevalesbrasauciel.
–C’estquoicesfoutaises!Jesuissamère!Laissez-moientrer!
Eliza ne céda pas. Les paroles d’Alan résonnaient dans son esprit : La liste, c’est Dieu toutpuissant. Même si ma mère est là-dehors, mais qu’elle n’est pas sur la liste, c’est pas de bol pour
elle!
Etsicettefemmeétaitmythomane–bienqu’elleeût,àvraidire,lementonfuyantetlesyeux
globuleux d’Alan ? Mais le règlement était sacré et, pour une fois, Eliza n’avait pas envie de
l’enfreindre.C’étaittropjouissif,parfois,depouvoirdire«non».
–Jesuisdésolée.Jenepeuxrienpourvous,tranchaEliza.Veuillezvousmettresurlecôté.Vous
n’êtespassurlaliste.Ausuivant!
–Ohé,Eliza,lançaunevoixfamilière.
Soncœurbonditdanssapoitrine–Jeremyétaitlà!Maislorsqu’ellelevalesyeux,c’estRyan
quisetenaitdevantlecordondevelours.Ilportaitunpullenlinquisoulignaitlevertdesesyeux,et
un jean. Il ne respectait absolument pas le dress code, mais le règlement ne s’appliquait pas aux
garçonsaussibeauxqueRyanPerry.
–HéRyan!ditgaiementEliza.
EllefitsigneàRudolphd’ouvrirlecordon.
–C’estledélire,cesoir,non?fitremarquerRyan.
Ildésignalamassegrouillanteetbouillonnante.Touslefoudroyaientduregard,sedemandant
pourquoiiln’étaitpasobligédefairelaqueue.Quelqu’unbalançamêmeunebouteilledebière,qui
vints’écraserauxpiedsd’Eliza.Rudolphévacuaaussitôtlequidamfrustré.
– Tu n’as pas idée ! répliqua Eliza en secouant la tête à la vue du souk. Pourquoi les boîtes
réveillent-ellescequ’ilyadeplusbaschezl’homme?Lesgensnormauxprétendentqu’ilssontsur
laliste,ceuxquisonteffectivementsurlalisteveulentdestablesdanslasalleVIP,etlescélébrités
veulent...oh,toutetn’importequoi.L’autrejour,ilafalluquejeveillesurlemanteaudefourrurede
NaomiCampbell.Ilavaitparaît-ilbesoind’unmassage!précisaElizadansunéclatderire.
Ryanhaussalesépaulesetsouritjusqu’auxoreilles.
–Ah,t’inquiètepas,tuvast’ensortir!
Elizaluitenditdescouponspourdesconsommationsgratuites.
–Jesuppose,oui,répondit-elleenlevantlesyeuxauciel.
C’étaitchouette,deretrouverRyan.Ilss’étaientàpeinevusdepuisleurarrivée,peut-êtreàcause
de ce qui s’était passé à Palm Beach. Ah, satané Palm Beach ! Eliza regretta, et ce n’était pas la
premièrefois,d’yêtrejamaisallée.
–Eliza,ohé!Onestlà!
Elizafitvolte-faceetaperçutMaraetGarrett,quijouaientdescoudespourparvenirentêtede
file.Lajoiel’envahitànouveauàlavued’unautrevisageami.Leurfaisantsigneàsontour,elleles
invitaàrejoindrelecordondel’entrée.
Ryanseretournaluiaussi,maissonvisages’assombritdèsqu’ilaperçutMaraetGarrett.
– Faut que j’y aille, dit-il à Eliza en lui donnant une petite tape sur l’épaule. J’ai rendez-vous
avecAllisonàl’intérieur.
–Tuvasoù,Perry?criaGarrett.
MaravitRyans’éloignersanslesavoirsalués,etsoncœurseserra.Cepullluiallaitsibien...De
touslespullsdeRyan,c’étaitsonpréféré.L’étédernier,elleleluiavaitempruntélorsqu’ilsétaientsur
laplageetquel’airavaitcommencéàfraîchir.Ilétaitsigrandqu’illuiarrivaitauxgenoux.
Deuxsemainesdurant,Maraavaittrouvétoutessortesdeprétextespourrefuserlesinvitations
deGarrett:elledevaitresterchezlesPerrypourgarderlesenfants,elleétaitfatiguée,elleavaitdes
chosesàfaire...Maislaveille,elleavaitfiniparcéder.ElleavaitcroiséRyanetAllisonentraindese
balader sur la plage puis, rentrant au cottage, avait aperçu les portants chargés de somptueux
vêtements.Queldommage,delespriverdesflashsdespaparazzis!Etpuis,aufond,n’était-cepasce
qu’onattendaitd’elle?Qu’elleportelesvêtementsetselaissephotographier?
–Commentvas-tu?gloussaMara,trèsthéâtrale,enfaisantdeuxbisesàEliza.Tuétaispassée
où?
–Jevais...euh...bien,ditEliza,recommençantàculpabiliserpourl’épisodePalmBeach.J’étais
ici...Tusaisoùmetrouver.
–OK...n’empêche...fautabsolumentqu’onsevoie,undecesquatre...Enfin,quoiqu’ilensoit...
tucroisquetupourraisnousavoirunetable?Mestalonsmefontunmaldechien!
L’été dernier, Mara ne portait que des baskets ou des tongs. Eliza nota qu’elle était juchée, ce
soir-là,surdessandalesManoloBlahnikincroyablementhautes,avecdeuxlanièresornéesdestrass
étincelants au niveau de la cheville et des orteils. Eliza avait rêvé d’avoir les mêmes, mais elles
n’existaientplusdanssapointure.CommentMaras’était-elleprocurécelles-ci?
Elizaleurfitfranchirladoubleporteettraverserlapistededanseàdeuxniveaux,éclairéeparla
lumière des stroboscopes. La musique était assourdissante, et la foule consistait en un mélange de
garstrophabillésetdefillesàmoitiénues.Elizaremarquauncoupleparticulièrementdémonstratif
étendusurl’undesdivansgéants,etsedemandasiellenedevraitpaslesrecouvrird’unmanteau.
–Garrett,monpote!ditKartik,tandisqu’Elizalesplaçait,luietMara.Çafaitplaisirdetevoir!
IlsetournaversEliza.
–C’esttoiquiaslaissérentrerleshorreursquisontlà-derrière?accusaKartik.
Il montrait du doigt deux types quelconques et leurs petites copines aux cheveux laqués qui
jetaientdescoupsd’œilavidesautourd’eux,enprenantdesphotosavecleurtéléphoneportable.
Elizasecoualatête.Ilsavaientdûréserverunetableaurestaurantpourpouvoirentrer.
– Débrouille-toi pour détourner l’attention d’eux, tu veux bien ? Ils tuent sérieusement
l’ambiance.Etjeveuxqu’ilssoientsortisd’iciquandMitzisepointera.
Elizahochalatête.Elleprialeserveurd’atténuerl’éclairage,puisretournalàoùelleavaitplacé
GarrettetMara,sansréaliserquelatabledeRyanetAllisonétaitdangereusementproche.
–Çatedirait,qu’onaillefairelesmagasinsdemain?demandaMaraquandilseurentcommandé
leursverres.
Labarmaids’empressad’allerchercherlabouteilledevodkafinlandaisetrèscoûteusequ’avait
choisieGarrett,toutenhautdesétagères.
–C’estnotrejourdepaye!précisa-t-elle.
– Ouais, c’est pas le mien... Mais bon, pourquoi pas ? répondit Eliza sur un ton plus brusque
qu’ellenelesouhaitait.
MaraaperçutRyan,unpeuplusloindanslasalleVIP.Ils’appuyaitaubar,Allisonàsescôtés.La
grande blonde au type nordique riait à ce qu’était en train de lui raconter Ryan, et cela désespérait
Maradevoirlegarçonluisourireenretour,révélantsesfossettes.
–Tuasl’airsongeur,ditGarrettenluitendantlemojitoqu’elleavaitcommandé.
Aprèsavoirgoûtéceluiqu’Elizaavaitconfectionnélorsdeleurpremierweek-end,cecocktail
cubainàlasaveurpiquanteétaitrapidementdevenulaboissonpréféréedeMara.Lasaveurdusucre
decanneetdesfeuillesdementheécraséesluirappelaitsesderniersmomentsdebonheur.Depuisson
arrivéedanslesHamptons,leschosesn’avaientpasvraimenttournécommeellel’avaitespéré.Ryan
sortaitavecuneautrefille,Elizasemontraitétrangementdistanteet,avecJacquietPhilippe,ellese
sentaitcommeuncheveusurlasoupe.Lesgosseseux-mêmesneparaissaientpasl’aimerautantque
l’annéedernière.
–Jeréfléchissais...,répondit-elleenregardantRyanfrotterlesépaulesd’Allison.
Beurk!EllesetournaànouveauversGarrett.
–Onvadanser?
Garrettsourit.
–Toutcequetuveux,poupée!
Il se leva et lui tendit la main. Ils se faufilèrent au centre de la piste de danse, où la foule
tournoyait au son du tube de Nelly, Hot in Herre. La chanson était déjà vieille d’un an, mais faisait
toujoursuntabacdanslesboîtes.
Maracommençaàondulerdeshanchesetsentitsoncorpss’accorderaurythmedelamusique.
ElledansalascivementautourdeGarrett,promenalesmainslelongdesondos,pressasesjambes
contre celles du jeune homme. Contrairement aux gars de son âge, pour qui danser consistait à
répéter indéfiniment le même pas, Garrett savait vraiment bouger. Ses hanches imposèrent aux
cuisses de Mara un mouvement sinueux et sensuel. Mara se laissa aller, enivrée par la musique,
l’alcooletlesouffledeGarrettdanssoncou.Ellesetourna.Garrettl’attiraversluietvintseplaquer
contresondos.
C’étaitunsacréshow,unshowqueRyannepouvaitpasrater,carc’enétaitprécisémentlebut.
Jetantuncoupd’œildanssadirection,Maraeutlasatisfactiondeconstaterqu’ilavaitcessédeparler
àAllisonetqu’illaregardaitd’unairdégoûté.Mararejetasescheveuxenarrièreetsecollacontre
Garrett.
–NomdeDieu,cequetuessexy!luiglissa-t-ilàl’oreilled’unevoixpressante.Oùest-cequetu
asapprisàdansercommeça?
Mara sourit timidement. Elle aimait bien Garrett. Mais surtout, elle aimait se servir de Garrett
pourrendreRyanjaloux.Ainsicedernierfinirait-ilpeut-êtreparréagir?
Àl’autreboutdelaboîte,AlansaisitElizaparlecoudealorsqu’elleconduisaitKitetunebande
degazellesd’Europedel’Estàleurtable.
– Ma mère vient de me passer un savon. Elle prétend qu’elle n’a pas pu entrer dans la boîte.
Commentçasefait?
Elizaétaitpétrifiée.
–Votremère?MargotWhitman?Maisellen’étaitpassurlaliste!expliqua-t-ellepourjustifier
sonattitude.Etvousaviezditque...
Levisaged’Alansedécrispa.
– Elle n’était pas sur la liste ? Eh bien, dans ce cas... Une seconde... Maman ! Tu n’avais pas
téléphonépourconfirmer?hurla-t-ildanssonportable.Combiendefoisfaut-ilquejetelerépète...
réserver, c’est obligatoire ! Non, je ne peux pas le faire à ta place ! Je suis un homme très, très
occupé ! Pourquoi est-ce que tu ne m’écoutes jamais ? Tu n’entres pas si tu n’es pas sur la liste !
Commentça,l’accouchementadurévingt-quatreheures?Çasuffit,jedirigeuneboîte!
Avantdes’éloigner,iltapotal’épauled’Eliza.
–Bienjoué!mima-t-il.
Necomptezpas
surunegaminedeseptans
pournepascafter
Anna Perry finit par se présenter à un bilan hebdomadaire le lendemain. C’était le vendredi
précédant le week-end du 4 Juillet, et elle emmenait les gamins à Nantucket rendre visite à leurs
grands-parents. Malheureusement pour elle, les parents de Kevin estimaient pouvoir se débrouiller
sansemployés,etlesbaby-sitterseurentdoncdroit,euxaussi,àdesjoursdecongé.
–Oh,salutMara,ditAnna,selevantcarrémentpourembrasserMarasurlesdeuxjoues.
Mararéagitcommesic’étaitnaturel,sansprêterattentionàlastupéfactiondeJacqui.
AvantdeserendreauSeptièmeCercle,laveilleausoir,MaraetGarrettavaientcroiséAnnaau
feu d’artifice annuel de bienfaisance du club Boys & Girls, où Anna avait vu Mara bavarder avec
JessicaSeinfeld.UneinvitationchezlesSeinfeldétaitl’honneurleplusrecherchédesHamptons,et
Annan’avaitencorejamaisréussiàenobtenirune.
–Alors,commentvatoutlemondeaujourd’hui?demandaAnnad’unevoixgaie,jetantuncoup
d’œilsurlatablée.
Philippe,unsouriresuffisantauxlèvres,étaitassislespiedssurlatable.Àcôtédelui,Jacquise
tortillaitsursachaise.Elleétaitcertainequ’ilsseraientrenvoyés,aprèsavoirétésurprisparZoéen
traindefolâtreraubillard.Depuis,JacquiavaitgardésesdistancesavecPhilippe,esquivanttoutesses
tentatives pour reprendre les choses là où ils les avaient laissées. Jacqui aurait juré qu’Anna faisait
durerleplaisiravantdeporterlecoupfatal.
Anna passa en revue les rapports relatifs à l’évolution de la situation. Le bilan était plus
dramatiquequ’àl’ordinaire,ycomprispourlesenfantsPerry.LeDrAbrahamsignalaitqueWilliam
manifestaitàprésentdessymptômesdetroublebipolaireenplusdesonproblèmed’hyperactivitéet
queluietCody–lequelétaitprobablementschizophrène–allaientdevoirêtresuivisenpermanence.
Zoénereconnaissaittoujourspaslescaractèresdel’alphabetcyrillique(bienqu’ellefûtparvenueà
apprendreparcœurunarticledeMarie-Claireintitulé«Commentdécouvrirvotrezoneérogène?»
–Zoépensaitquec’étaitsoncoude).Pourtant,Annaétaitétrangementexubérante.
–MaisRomen’apasétéconstruiteenunjour,n’est-cepas?demanda-t-elleavecunclind’œilà
Philippe,endistribuantlestroisenveloppespleinesdebilletsdebanque.MapetiteJacqui,tuveuxbien
resterunmoment?
–Biensûr,ditcettedernièreenserasseyantnerveusement.
Maralaquestionnaduregard,maisJacquifitcellequin’avaitrienvu.Ellen’avaitpasparléde
Philippe à Mara, car elle était pleinement consciente d’avoir enfreint sa règle d’or, et n’avait pas
besoinqu’onlasermonneàcesujet.Ellesesentaitdéjàassezbêtecommeça.
–Pourcommencer,Philippem’atoutraconté,commençaAnna,unefoistoutlemondepartiet
laporterefermée.
C’est fichu. Je suis virée, pensa Jacqui. Adieu East Hampton. Adieu, New York. Bonjour,
ristournesetpromosjusqu’àlafindemavie.
– Et je trouve que c’est une excellente idée, commenta sèchement Anna, en fourrant ses
documentsdanssonsacàmain.
–Desculpe-me...euh...pardon?
– Que vous passiez l’année chez nous, à New York, dit Anna en souriant. C’est ce que vous
désirez,n’est-cepas?
–Jevousdemandepardon...
–Afinquevouspuissiezyeffectuervotredernièreannéedelycée.C’étaitvotreprojet,n’est-ce
pas?AssisterauxcoursdeStuyvesantafindepouvoirposervotrecandidatureàl’universitédeNew
York?
Jacquihochalatête,bouchebée.PhilippeétaitalléracontertoutcelaàAnna?Dansquelbut?Et
pourquoicelasemblait-iltantréjouirAnna?
– Je crois que nous allons pouvoir arranger ça, poursuivit Anna, sur un ton songeur. (Elle se
mouchadélicatementdansunKleenexdecouleurrose.)Lanounouserarentrée,biensûr,maiselle
aurabesoind’uneassistante.Lesgaminssontvraimenttrèsdissipés,cesdernierstemps.Biensûr,il
vousfaudratravaillertrèsdur.
–Biensûr,approuvaJacqui,semordillantl’intérieurdelajoue.
–Etrenonceràtoutedistraction,ditAnnaavecinsistance.Jetiensàsoulignercepointprécis.Si
vous devez travailler pour nous durant l’année scolaire, j’exige que vous ayez un comportement
irréprochablecetété.
Annajetauncoupd’œilverslaporte.
–Vousvoyezoùjeveuxenvenir...
–Jecrois,oui.
Jacqui saisissait lentement ce qu’Anna attendait d’elle, en échange d’un travail pour l’année
prochaine:Philippe.
–Unedernièrepetitechose...J’aidécidéd’installerPhilippedanslademeureprincipale.Zoéa
fait allusion à une partie de billard particulièrement intéressante, qu’elle aurait interrompue. Je ne
crois pas que ce type de comportement soit très souhaitable en présence d’enfants. C’est bien
compris?
Un silence pesant s’abattit sur la pièce. Pendant plusieurs secondes, seul se fit entendre le
bourdonnement de l’ordinateur portable d’Anna. Suite aux paroles de celle-ci, les pensées se
bousculaient dans l’esprit de Jacqui. D’une part, Anna lui proposait tout ce qu’elle visait, par son
travail,àobtenircetété:unboulot,unlogement,unechancedes’enrichirintellectuellement.D’autre
part... il y avait Philippe. Philippe, avec son sourire diabolique, son visage angélique, son corps de
mannequin.Philippe.Leseultypequi,depuisLuca,faisaitbattresoncœurplusvite.
–Vouspensezpouvoiryarriver?
Annaétaitentraindel’acheter.Iln’yavaitpasd’autremotpourça.Trèsbien, pensa tristement
Jacqui. S’il fallait cela, elle n’avait guère le choix. Elle cesserait de fréquenter Philippe. Ne
l’embrasseraitplusjamais.Nepasseraitplusjamaislesdoigtsdanssescheveuxsoyeux.Maisaprès
tout,cen’étaitpasleseulmecsurterre!Unbeaugossefrançaisnevalaitpasqu’elleluisacrifieson
rêve de vivre à New York et d’entrer à l’université. Aucun type ne méritait qu’elle lui sacrifie son
avenir.
Ellehochalatête.
–Bienentendu.
AnnaPerrysourit.
–Jesavaisquejepourraisvousfaireconfiance.
Lesmeilleureschoses
necoûtentrien
Travaillerdansuneboîtedenuitétaitloind’êtreaussiglorieuxquesel’étaitfiguréEliza.Même
la satisfaction de pouvoir décider qui pouvait entrer ou non ne suffisait pas à contrebalancer les
humiliations subies pour satisfaire aux exigences des people et des aspirants à la célébrité. L’autre
soir,elleavaitdûpassertouteslesquinzeminutesunbrumisateurd’eaud’Éviansurlevisaged’une
célèbreactrice–cettedernièrevoulantéviterquesapeaunesedéshydratependantqu’elledescendait
desmagnumsdechampagne.
Etiln’yeutpasdemomentmoinsgratifiantqueceluioù,ouvrantl’enveloppecontenantsapaye,
elledécouvritprécisémentcequeluirapportaitsontravailauSeptièmeCercle.Elleseprécipitadans
le bureau d’Alan, expliquant qu’il devait y avoir erreur. Alan jeta un coup d’œil à son chèque. Il
s’avéraqu’ilyavaiteffectivementerreur:ilsavaientoubliédedéduireunepartiedescharges,etle
montant aurait dû être encore plus bas. Eliza fit le calcul et en déduisit qu’elle touchait à peine le
minimumlégal.Lorsqu’elles’enplaignitàKit,illuirétorquaqu’aprèssaterminale,ilavaitfaitun
stagedesixmoisaumagazineRollingStonesanstoucherunsou.C’étaitunjobdeprestige,pasun
job qui rapportait. C’était déjà une chance pour elle de bosser au Septième Cercle et, puisque ses
parentsétaiententrainderemonterlapente,ellen’avaitpasvraimentbesoindegagnersavie,pas
vrai?
Ehbiennon,cen’étaitpastoutàfaitvrai.Sesparentsavaientétésuffisammentgénéreuxpourlui
autoriserl’usaged’unenouvelleMasterCardmais,suiteàplusieursrazziaschezCalypso,TracyFeith
et Georgina, elle avait déjà atteint le plafond autorisé. Chaque soir, il lui fallait trouver une tenue
différente,àlafoischicetsexy,etçacommençaitàdevenirdifficileavecunbudgetlimité.
SonboulotauSeptièmeCercleétaitcenséêtresonticketpouruneplaceausoleil.Or,aulieude
devenirunepersonnalitéincontournabledelavienocturne–laversion«junior»deMitziGoober–
Elizas’étaitretrouvéeàdevoirservirsesancienscamarades.L’autresoir,elleavaitdûfaireensorte
queSugarpuissefairedusautàl’élastiqueduhautdumeubleàalcools,àlagrandejoiedel’équipe
télé,puisilluiavaitfallupasserlebalaiàcausedesbouteillesécraséessurlesol.
Elizaarrivaaucottageàl’instantmêmeoùJacquietMaracomptaientlesbilletsquecontenait
leurenveloppe.Philippes’étaitdéjàabsentépourleweek-end–ilavaitmentionnéuneinvitationchez
desamis,àSagHarbor.Elizaeutunpincementaucœurenvoyanttoutcetargent.
–Onvaàlabanque?demandajoyeusementMara.
SielletravaillaitunétédepluspourlesPerry,elleauraitdequoipayerlatotalitédesesfrais
d’étudesàl’université.
Jacqui fourra négligemment l’enveloppe dans un tiroir, se contentant d’en retirer quelques
billets de cent dollars, au cas où elles s’arrêteraient dans un endroit marrant. Elle avait l’intention
d’utiliserlaplusgrandepartiedel’argentpourfinancerlapréparationauconcoursd’entréeàlafac–
uninvestissementdetaille,maisavecunpeudechance,ellen’auraitpasàleregretter
– D’où ça sort, tout ça ? demanda Eliza en remarquant, dans un coin de la pièce, les deux
portants chargés de vêtements. Oh mon Dieu ! Est-ce que c’est le fameux jean Sally Hershberger ?
glapit-elle,piquantdroitsurunjeandélavéquivalaitmilledollarsenmagasin.Jeleveux!
Ellepritlejeanetl’examinaattentivementàlalumière.
–Oùest-cequetul’asdégoté,nomdeDieu?
– Mara est célèbre, plaisanta Jacqui, farfouillant parmi les sacs de shopping et en extirpant un
foulardGucciàmotifpsychédélique.
C’étaitvrai.GarrettReynoldshériteraitd’unefortunesechiffrantenmilliardsdedollars,etles
journaux se passionnaient tout autant pour sa vie sentimentale que pour les coûts de construction
toujours plus élevés du château des Reynolds (dont ils étaient parvenus à obtenir et à publier des
plans,révélantqu’ilnecompteraitpasmoinsdetrente-cinqsallesdebain).Parmilesanciennespetites
amies de Garrett, on trouvait des starlettes célèbres. Les origines obscures de Mara ne faisaient
qu’ajouter à l’intérêt que lui portait la presse à sensation – Lucky Yap en tête, qui adorait faire
paraîtredesphotosdujeunecouple,aussimondainqueséduisant.Lapage6lesavaitsurnommés«La
beautéetlemilliardaire».
Mararougitetexpliqua,suruntond’excuse,quec’étaientdes«cadeaux»decouturiers,qu’elle
étaitcenséeporterlorsqu’ellesortait.
–Tuveuxdirequetuastoutçagratis?demandaEliza,stupéfaite.
PasétonnantqueMaraaiteuunetelleallure,l’autresoir,auSeptièmeCercle.Elizafouinadans
lerestedubutin,lesyeuxécarquillés.L’étoleàimpriméléopardShoshanna!Ledernierpantalonen
cuiravecgalondechezAlvinAlley!LarobeMarniincrustéedeturquoises!Lapochetteenpython
DeviKroell,d’unevaleurdedeuxmilledollars!
–Waouh,c’esthallucinant,s’exclamaEliza.J’arrivepasàcroirequetoutçasoitàtoi.
Le jean Sally Hershberger ! Elle rêvait d’en avoir un depuis qu’elle avait lu cet article dans
Vogue...Lejeanenquestionavaitlaréputationd’êtrelemeilleurdumonde.Lesétoffeseuropéenneset
japonaises les plus belles et les plus douces étaient taillées à la main par Sally Hershberger, la
relookeused’Hollywoodquiprenaitsixcentsdollarspourunecoupedecheveux.
–Tucroisquejepourraisl’emprunter?Onfaitlamêmetaille,non?demandaEliza,enretirant
lejeanducintreetenleplaquantcontresesjambes.
–Oh,jenesaispas,répliquaMarad’unevoixnerveuse.Ilafalluquejesignetoutescesclauses
deresponsabilité...
Elizafitlamoue.
–Oh,cen’estqu’uneformalité.Ilsnedemanderontjamaisàlesrécupérer.Pasvrai,Jacqui?
Jacquihaussalesépaules.
–Engénéral,ilsteleslaissent.Maisj’imaginequeçadépenddescas.
Eliza, qui s’était déjà débarrassée de son pantalon de treillis, remontait la fermeture éclair du
jean.
–Ilestsublime!Jen’arrivepasàcroirequ’ilstel’aientenvoyéàtoi!dit-elle.
–Etpourquoipas?rétorquaMara,unpeuvexée.
Eliza les avait salement lâchées cet été, elle et Jacqui. Et maintenant qu’elle leur rendait visite,
ellelaissaitentendrequeMaraneméritaitpascettegarde-robegratuite.
Elizaneréponditpas.Elleétaittropexcitéedeporterlejeandesesrêves.
–Tumeleprêtes,dis?Jet’enprie,jet’enprie,jet’enprie.Allez,prête-lemoi!
–Oh,d’accord,concédaMara.Maiss’illuiarrivequoiquecesoit...
Ellefitlegestedel’égorger.
ElizapoussauncridejoieetserraMaradanssesbras.
–Jeterevaudraiça!
Mara ne se sentait pas très tranquille à l’idée de prêter des vêtements qui n’étaient pas à elle.
MaisElizaneluilaissaitguèrelapossibilitéderefuser.
–Alors,vousenêtesoù,Garrettettoi?demandaElizaenremettantseshabits.
–Jel’aimebien,ditMarad’unevoixhésitante.C’estunchouettetype.Audébut,jel’aiprispour
unodieuxgossederiches,maisilvautmieuxqueça.
–EtRyan,alors?lançaJacqui.
–Ilnesesouvientmêmeplusquej’existe,rétorquaMaraavecunhaussementd’épaules.
Le nouveau Ryan, si distant, n’avait pas grand-chose à voir avec le charmant garçon de l’été
précédent.
–Ilyapasgrand-choseàdire...Ryan,c’estdupassé.
Eliza fut soulagée. Selon toute évidence, elle pouvait cesser de se faire du mouron pour Palm
Beach.SiMaraavaittournélapage,alorsquelleimportance?Jacquielle-mêmenetrouvaitpluscela
si grave. Comme tous les habitués des Hamptons, elle voyait désormais en Mara la nouvelle petite
amiedeGarrettReynolds.
Mara déposa son argent à la banque puis rejoignit Eliza et Jacqui au magasin d’usine Neiman
Marcus.Ellespassèrentenrevuelesvêtementsdemarqueàprixréduits.Lelieuavaitlaréputationde
vendre des fringues sublimes à prix sacrifié. Les étiquettes portaient un autocollant de couleur
différenteselonladatedemiseenventedesvêtements.Plusildemeuraitlongtempsinvendu,plusun
articledevenaitbonmarché.
–Regardez-moiça!gloussaElizaenbrandissantuntoporangeriquiqui,impriméd’unmotif
alambiquéetmulticolore.Vousletrouvezpastropdélirant?
–Ilestplutôtvoyant,c’estsûr,reconnutMara.
–Maisc’estunMissoni,précisaElizad’untonpleinderespect.Etilestàmataille.Jeleprends!
Ilirasuperbienavecmonnouveaujean!dit-elle,commesilejeanHershbergerétaitvraimentàelle.
Elle dégota d’autres articles de choix : un impeccable petit manteau blanc Balenciaga qui ne
faisaitpastrophasbeen et un chemisier Yves Saint-Laurent à motif « traces de baisers », avec une
toutepetitetachenoirequ’unbonteinturiersauraitfairedisparaître–Elizan’avaitaucundouteàce
sujet. Jacqui dénicha une robe-chemise grise Narciso Rodriguez et des lunettes de soleil Christian
Dior,tousdeuxcoûtantmoinsdelamoitiéduprixd’origine.
–Tun’asrientrouvé?demandaElizaàMara,tandisqu’ellessedirigeaientverslacaisse.Tuas
vulesballerinesMarcJacobs,là-bas?
– J’ai déjà le dernier modèle, répondit Mara en agitant les orteils dans une paire de souliers
pastelàboutsouvertsducréateurenquestion.
–Oh!s’exclamaEliza.
ÇaluifaisaituneffetbizarrequecesoitMaraquipossèdelesvêtementsetaccessoireslesplus
incontournablesdumoment.Elles’étaitimaginéquetravaillerauSeptièmeCercleluidonneraitaccès
àcegenred’avantagesmaisleseulbonusdontelleavaitjouiàcejourétaitunlaissez-passerpour
uneavant-premièreàlaquelleKartikn’avaitpasenvied’assister.
– Il me reste tellement de vêtements que je n’ai pas encore portés ! soupira Mara, ramassant
machinalementsurlecomptoirunflacondeparfumouvertpourensentirleseffluves.
–Ahouais,j’avaisoubliéquetuétaislaJuliaRobertsdesHamptons,grommelaEliza,encore
plusagacéelorsqu’elleconstataquelemontantdesesachatsdépassaitlecréditautoriséparsacarte.
Mararéalisait-elleàquelpointelleavaitl’airsnob?
–Jacqui,tuvoudraisbienmeprêtercinquantedollars?
Jacquisecoualatête,maistenditlebilletdebanqueàEliza.Celle-cinechangeraitjamais.Vous
auriezbeauluidonnerunmilliondedollars,elleseraitàsecavantlafindelasemaine.Visiblement,
s’habiller comme une princesse exigeait d’avoir le compte en banque pour. À moins de s’appeler
MaraWaters,biensûr.
Lemondeestplusbeau
vuduhaut(d’unetable)
–OnpeutenprendreunedeMaratouteseule?demandèrentlesphotographesamassésdevant
l’entrée du Septième Cercle, lorsque Garrett et Mara sortirent de la limousine, très tard un samedi
soir.
Depuisle4Juillet–qu’ilsavaientpasséensemblesurleyachtdesReynolds,àcontemplerles
feuxd’artificeau-dessusduPacifique–tousdeuxnesequittaientplusd’unesemelle.
–Jevousenprie,ditGarrettens’inclinant,avantdes’écarter.Elleestextra,n’est-cepas?lançat-ilpendantqueMaraétaitaveugléeparlesflashs.Tuesunevraiestar!luigrommela-t-ilàl’oreille
tandisqu’ilss’installaientàleurtablehabituelle.
Même si elle n’avait commencé à sortir avec Garrett que pour rendre Ryan jaloux, Mara ne
pouvaits’empêcherd’appréciersacompagnie.
Ilpassaunbrasau-dessusdudossierdelabanquetteetrefermasamainsurl’épauledeMaraen
ungestepossessif.Elleseblottitcontresontorse,savourantlecontactdelapuissantemaindeGarrett
sur sa peau nue. Lorsqu’il se pencha pour l’embrasser et enfouit son visage dans le cou de Mara,
celle-ci, relevant les yeux, rencontra le regard de Ryan Perry. Il était assis avec Allison, qui faisait
signeàGarrett.
Celui-ciôtalenezdudécolletédeMara.
–Perry!lança-t-ilenagitantlamain.SalutAllison.Qu’est-cequetufichesaveccebouffon?
ajouta-t-ilpourplaisanter.
RyanserrasansenthousiasmelamaindeGarrett.
–SalutGarrett...Mara.
–Salut,répondit-elle.
C’était le premier mot que Ryan lui adressait de la semaine. Lorsqu’ils se croisaient dans la
maison,ilsecontentaitgénéralementd’unbrefsignedetête.
GarrettselevapourembrasserAllisonsurlajoue.
–Venezvousasseoiravecnous,allez...
RyaninterrogeaAllisonduregard.Celle-cihaussalesépaulesetrenditàGarrettsonsourire.
–Avecplaisir,dit-elleenprenantplaceàcôtédeGarrett.
Ryanétaitvêtud’unechemisecubaineetd’unjeandélavé–cequ’ilappelait,pours’amuser,le
«smokingdessurfeurs».Garrettparaissaitsoudainendimanché,avecsachemiseàmanchettesDolce
&Gabbanaetsonjeannoiramidonné.
Mara se dégagea de l’étreinte de Garrett, mais Ryan détourna le visage et ne s’adressa qu’à
Allison – qui gloussait à cause de ce que lui murmurait Garrett à l’oreille. Ce dernier expliqua
qu’Allison et lui avaient fréquenté, un an durant, la même prépa à New York. Bientôt, tous trois
entamèrentuneconversationsurleursconnaissancescommunes.
– Vous êtes au courant, pour Fence Preston ? Il ne va pas tarder à péter les plombs, c’est sûr,
déclaraGarrett.
–Tuestellementplusmignon,ditAllisonendonnantàRyanunepichenettesurlenez.
Mara, qui ignorait totalement qui était – ou ce qu’était – le fameux Fence Preston, se sentait
nerveuseetdélaissée.MaisGarrettveillaitàremplirànouveausonverredèsqu’ilétaitàmoitiévide,
etellecommençaàenengloutirlecontenurageusement.
–Onfaitunconcoursdeboisson?suggéraGarrett.
–Jesuispartante,répliquaMara.
Garrett commanda une bouteille de schnaps à la cannelle et versa le liquide doré dans quatre
verres.
–C’estdégueu,cetruc!ditcalmementAllisonenfaisantlagrimace,aprèsenavoirsirotéune
gorgée.
Ryan vida à son tour le sien, avec une expression morose. Désespérément désireuse de
l’impressionner,Marafitdemême.
–Encoreun!meuglaGarrett,ettoustroisdescendirentquelquesverresdeplus.
C’estaumomentprécisoùlesquatreschnapsatteignaientMaradepleinfouetqueleDJeffectua
son remix de la soirée, sur la chanson de Bon Jovi Livin’ on a Prayer. Les habitués du Septième
CerclecommeGarrettetMarareconnurentimmédiatementl’«hymneofficiel»delaboîte.C’estla
chansonquimettaitlefeuàlasoirée,etàlaquellelescélébritésréagissaientendansantsurlestables.
–J’adoooorecettechanson!braillaMaraenchantantàvoixhaute.Elleestgéniale!
–Hein,quec’estlameilleure?demandaChaunceyRaven,sepenchantversleurbox.
Petite et menue, la star de la chanson portait un soutien-gorge noir sous un tee-shirt blanc
moulant, et une minijupe en jean tellement raccourcie qu’on voyait dépasser l’intérieur blanc des
poches.Elleétaitpiedsnusetunebagueétincelaitsurl’undesesorteils.
–Allez,dansons!s’exclama-t-elleenmontantsurleurtable,avantd’yhisserMara.
Ivreeteuphorique,Marasuivitl’exempledelachanteuse,ettoutesdeuxsemirentàondulerdes
hanchesetàfairetournoyerleurchevelure,dansunebrillanteimitationdesclipsringardsdesannées
1980.
–Toiaussi!ditChauncey,remarquantAllison,toujoursassise.
Allisonsecoualatête,l’airdéconcerté.
–Oh,nonmerci.J’aimemieuxdansersurleschaises!
–Oh,j’aioubliéd’apportermonverre,ditChaunceyensautantdelatablepourallerchercher
soncocktail.
Seule sur la table, Mara heurta du pied la bouteille de schnaps, que Ryan Perry empêcha de
justesse de se fracasser sur le sol. Mara se figea, se sentant soudain vulnérable. Elle remarqua que
Ryan la regardait bizarrement. Peut-être ferait-elle mieux de redescendre. Elle hésita. Mais alors
Garrettl’encouragea.
–Bravo!Vas-y,Mara!
Ilriaitetsifflait,etplusieurspersonnesdanslasallesemirentellesaussiàl’encourager.Portée
parleurscris,ellesemitàdanserdemanièreencoreplusfrénétique.Leurboxbaignavitedansla
lumièredesflashs.
–Parici!
–Regardeunpeuparlà,monchou!
–Tourneunpeulatête,Mara!
–OnpeutenprendreuneoùtutepenchessurGarrett?
Tropheureusedelessatisfaire,MarasepenchaetplaquaunbaisersurlefrontdeGarrett,cequi
suscitaunnouvelassautdeflashs.Marasedéhancha,fitlamoueetpritlapose,remarquantqueRyan
nelaquittaitpasdesyeux.Enfin!Illaregardait!
–Woooaaah,we’rehalfwaythere-uh...Whoooahh,livin’onaprayah...,chanta-t-elle.
Elle s’éclatait comme une folle, jusqu’au moment où elle sentit une main, sur sa cheville.
Baissantlesyeux,elleaperçutElizaquilafoudroyaitduregardetqui,Dieusaitpourquoi,semblait
furax.Mara,pourtant,étaitenchantéedelavoir.
– Eliza ! Allez, monte ! ordonna-t-elle. Take my hand, we’ll make it I swear ! chanta-t-elle, en
tendantlamainàsonamie.
–Descendsdelà!Descendsdelàtoutdesuite!Àlaseconde!sifflaEliza,latirantparlajambe.
–Hein?J’entendsrienàcequetumedis!criaMara.
–Onauneinspectionsanitaire,ici,cesoir.C’estunrestaurant.Lesgensn’ontpasledroitde
dansersurlestables!Ilspeuventfairefermerlaboîte!
–Hein?répétaMaradansunéclatderire.
–Jet’aidemandédedescendre!hurlaEliza,nomdeDieu!
Ellel’entraînaparterre.Maratrébucha,sajupefrôlantlabougieetmanquantdeprendrefeu,et
atterritsurlesgenouxdeGarrett.
– Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ? Tu veux me faire virer, ou quoi ? dit Eliza d’une voix
furieuse.
–C’estquoi,tonproblème?demandaMara.
Aprèstout,LindsayLohanavaitfaitquasimentlemêmenumérolaveilleausoir!
–Jen’aipasdeproblème...c’esttoileproblème.Tuteconduiscommeunesalegosse!lâcha
Eliza.
Mara se comportait exactement comme les célébrités pourries gâtées qui se sentaient le droit
d’agircommebonleursemblait.
–Pardon?gémitMara.Tum’astraitéedequoi?
– Oh hé, du calme ! dit Ryan, se levant et se plaçant, les bras tendus, entre les deux filles
remontéesàbloc.
–Mara,Elizan’avaitpasl’intentiondedireça.
–Tais-toi,Ryan!s’exclamaMaraenlefoudroyantduregard.Ont’ademandétonavis?
PasétonnantqueRyanserangeducôtéd’Eliza.N’aurait-ilpaspu,pourunefois,prendreson
partiàelle?IltrouvaittoujoursdesexcusesàEliza.Mêmel’étédernier,quandelleavaitrencontré
Elizaetquecelle-cis’étaitcomportéecommeunesorcière,Ryanluiavaitditdenepasluienvouloir
–safamille,avait-ilprécisé,connaissaitdes«momentsdifficiles».CommesiMaraignoraitceque
c’étaitquedetraverserunesalepasse!
Pendant ce temps, Eliza remarqua que Garrett, appuyé sur sa chaise et le sourire aux lèvres,
semblait se délecter du spectacle. Sans doute songeait-il qu’avec un peu de chance, elles en
viendraientauxmainsetserouleraientsurlesolensetirantlescheveux.Elizaétaithorripilée.Pour
lapremièrefois,ellesedemandacequeMaravoyaitenlui,endehorsdetoutsonargent.
–Mara,calme-toi,ditEliza.Tuessoûle.
Cela ne fit que ranimer la colère de Mara. Comment ça, alors qu’il n’y avait pas pire éponge
qu’Eliza?Cettefillecarburaitlittéralementàlavodka.
– Euh... je suis désolée, mais c’est une boîte de nuit ici ! hurla Mara, ivre et agressive. Tu es
jalouseparcequejesuisdanslasalleVIPalorsquetoi,tuesicipourbosser!
CesparolesfirentàElizal’effetd’uneclaque.
–Arrêtedetecomportercommeunegarce!
– Moi, je suis une garce ? C’est toi qui t’es comportée bizarrement tout l’été, répliqua Mara,
conscientequec’étaitvrai.
Elizal’avaitsnobéetoutescessemaines,ets’étaitmontréetrèspeuloquacechaquefoisqu’elles
avaienttraînéensemble.
Ellessefusillaientdesyeux.L’annéedernière,ellesavaientmisdutempsàs’entendreets’étaient
pasmalchamaillées.Maiscettefois-ci,c’étaitbienpire.
–Oh,monDieu,jenemesenspasbien!ditMaraenplaquantunemainsursaboucheetune
autresursonventre.
Etalors,sepenchantenavant,ellevomitsurlesnouveauxescarpinsMarcJacobsd’Eliza.
Avantdeperdreconnaissance,ladernièrechosequ’ellevitfutlevisagedeRyan,empreintd’une
expressiondeprofonddégoût.
Onn’oubliejamais
sonpremieramour
Le Septième Cercle fermait à cinq heures du matin. Après avoir passé son badge devant la
pointeuse,Elizatraversalaboîtedésertejusqu’auxsallesdupersonnelsituéesaufonddubâtiment.La
disputeavecMaral’avaitterriblementcontrariée.Nonseulementsespatronsluiavaienthurlédessus
carl’inspecteursanitaireavaitétéàuncheveudevoirMaradansersurlatable,maissesnouvelles
chaussures étaient fichues. Et, contrairement à Mara, elle n’avait pas plusieurs paires gratuites qui
l’attendaientchezelle.Elleétaitépuisée,découragéeetunpeuamère.Commentsepouvait-ilqu’elle,
Eliza Thompson, qui avait autrefois sévi dans toutes les boîtes de Manhattan, finisse désormais ses
soiréessobre,lespiedscouvertsdevomi?
Elle retira les escarpins en daim souillés et enfila des tongs et un large sweat-shirt Princeton
aussi long que sa jupe. Des employés nettoyaient le bar à grande eau et le gardien de nuit venait
d’arriverpourramasserlespoubelles.ElizaditaurevoiràMilly,lapréposéeauvestiaire,etpartagea
sespourboiresaveclestroisautresserveuses.LasoiréeavaitétéplutôtrentablecarElizaavaitdécidé
quelesnomspouvaientapparaîtresurlalistecommeparmagie,grâceàunbakchichdecentdollars.
Ilfallaitbienqu’elleaméliore,d’unefaçonoud’uneautre,sonmaigresalaire.
–Tuesencorelà?demanda-t-elleenvoyantRyan,assisseulaubar.
Ilhochalatête.
– Comment ça, encore ? Je passe ma vie ici, plaisanta-t-il. Non. Je t’attendais. Je voulais te
raccompagnercheztoi,pourqu’ilnet’arriverien.
–C’estgentil,dit-elle.
Elleétaitcontentequ’ilss’entendenttoujoursaussibien,etqueleuramitiéaitrésisté.
–Tuboisquelquechose?proposaRyan.Unverreteferaitdubien,ondirait.
–C’estmoiquitravailleici,tutesouviens.Eh,Johnnie?Onpourraitenavoirundernierpourla
route?
L’employéhochalatêteetleurservitdeuxverresdewhisky.
–Paspourmoi,merci,ditRyan.
–Bon...danscecasjevaisboirelesdeux!Ceseraitdommagedelegâcher.
Elizasouritetsirotasonwhisky.
–NomdeDieu,qu’est-cequiaprisàMara,cesoir?demanda-t-elle.
–Jen’enaiaucuneidée,réponditRyanentapotantdupoingsurlecomptoir.
–Moinonplus.
Elizalevasonverrecommepourtrinquer.
–Jevaisteraccompagnercheztoi,déclara-t-il,lorsqu’elleeutvidésonsecondverre.
–Mais...etmavoiture?
Elizadésignalaberlinegaréesurleparking.
–Demain,jedemanderaiàLauried’envoyerquelqu’unlachercher,ditRyan.
Sur le trajet, capote baissée, jusqu’à la maison des Thompson, Eliza raconta que son job au
SeptièmeCercleétaittoutlecontrairedecequ’elleavaitimaginé.Elleextirpaunecigarettedupaquet
deRyan,etl’alluma.
–Tuenveuxune?
Ryansecoualatête,avantdechangerd’avis.Elizal’aidaàallumerlacigarette,enarrondissant
lesmainspourempêcherlaflammedes’éteindre.
–Merci,marmonnaRyanenrejoignantl’autoroute.
Elizaexhalauneénormebouffée.
– Et Jeremy ne m’a pas appelée une seule fois en deux semaines, se lamenta-t-elle. Je ne sais
absolumentpasoùonenest,touslesdeux.Ilmeditqu’iln’apascessédepenseràmoicetteannée,et
voilàqu’ildisparaîtdelasurfacedelaterre!
Ryanhochalatête,l’aircompatissant.Elizaposasespiedsnussurletableaudebord.Ilyavait
longtempsqu’ellenes’étaitpassentieaussibien,aussidétendue.
–EtentretoietAllison,ilsepassequoi?
–Pasgrand-chose.Jecroisqu’ellecraquepourmoi.Maisonestamis,riendeplus.
–Mec,ellescraquenttoutespourtoi.Riendenouveausouslesoleil.
Iléclataderireettapotasacigarette.Leventemportalacendre.
–Siseulementc’étaitvrai!
–MaraetGarrettontl’airplutôtintimes,non?fitremarquerEliza,sansaucuneméchanceté,sur
letond’unesimpleobservation.Ilspassentquasimenttoutesleurssoiréesensemble,àlaboîte.
–Ondirait,approuvaRyanavecunhochementd’épaules.Elleachangé.
Lorsqu’ilsarrivèrentdevantlamaisond’Eliza,ellehésitaavantdesortirdelavoiture.
– Tu veux peut-être entrer un petit moment ? Je suis hyper-stressée et je sais que je ne
parviendraipasàm’endormiravantlongtemps.OnpourraitmaterLeParrainII...
–OK,ditRyan.
Luinonplusnesemblaitpasavoirhâtedeseretrouverseul.
Ryans’enfonçadansledivan.Elizasortitdelacuisinesurlapointedespieds,tenantunbolde
pop-cornchaufféaumicro-ondesetdeuxCocalight.Çaluiparaissaitsinaturel,detraîneravecRyan.
Ilavaittoujoursfaitpartiedesonexistence.Ellesesouvenaitquequandilsétaientgossesleursdeux
familles passaient leurs vacances de Noël ensemble, aux Bahamas. Et que c’est encore ensemble
qu’ilsavaientapprisàfaireduski,surlespistesd’Aspen.ElizaserappelaitquelamèredeRyanavait
coutumededirequ’ilsferaientunbeaucouple,elleetRyan,unefoisgrands.Encetemps-là,Sugaret
Poppys’appelaientencoreSusanetPriscilla,etsuivaientElizacommedespetitschiens,sedisputant
l’honneur de lui brosser les cheveux, ou de s’asseoir à côté d’elle dans le télésiège. Les jumelles
avaient changé, pour sûr. Ryan, quant à lui, était toujours le même... Il était toujours là, tout près
d’elle.
Àl’écran,RobertdeNiroétaitentraindepasserdesmecsàtabac.Elizas’assitetposalatêtesur
l’épaule de Ryan. Mais lorsqu’il se pencha pour lui dire quelque chose, leurs lèvres se joignirent.
Elizan’avaitpasvouluquecelaarrive.Or,aulieudesedégager,elleluirenditsonbaiser.Ilrelevale
sweat-shirtd’Eliza,entrepritdedéboutonnersonchemisier,etembrassachaquecentimètrecarréde
sapeau.
Elle se répétait qu’il ne fallait pas... qu’elle devait l’arrêter. Mais c’était tellement... agréable.
C’était comme à Palm Beach, la situation était la même... Deux cœurs brisés se réconfortant
mutuellement.Ilssefaisaientdubien,riendeplus.Çanesignifiaitrien,serépétait-elle.
Puis elle cessa de réfléchir car Ryan s’était remis à l’embrasser... Et toutes les inquiétudes
d’Eliza,toussesdoutesquantàl’avenirdeleurrelation(inexistant,selonelle)etsesconséquences
(nulles,espérait-elle)sedissipèrentsouslesbaisersdélicieusementpressantsdeRyan.
Décidément,ledocteur
craintunmax!
– Et Mara, elle est où ? demanda Zoé, quand Jacqui vint préparer les gamins à sortir, le
lendemainmatin.
–Elleestmalade,dit-ellesombrement,enaidantlafilletteànouerlaceinturedesonpeignoir.
Aujourd’hui,iln’yauraquemoi,d’accord?
C’estsûr,Maraavaitvraimentuneminededéterrée.Unefoisdeplus,ellen’étaitpasparvenueà
se réveiller et, lorsque Jacqui l’avait secouée, elle avait marmonné quelque chose au sujet d’une
gueuledeboisd’enfer,cequicommençaitàdevenirunehabitude.Philippeétaitànouveausortifaire
une course pour Anna. Mara et Jacqui avaient convenu que, Jacqui s’étant occupée des enfants la
veille, Mara s’en chargerait aujourd’hui, afin de permettre à Jacqui de réviser ses cours. Mais
évidemment,Maral’avaitencoreplantée.
–OùestPhilippe?OùestPhilippe?demandaWilliam,chaussantsesbasketsàroulettes.
Jacqui détestait la personne qui avait inventé ces sacrés machins. À cause d’eux, William, se
déplaçantdeuxfoisplusrapidement,étaitdeuxfoisplusdifficileàattraper.
–Jenesaispastrop,réponditJacqui.Jecroisquevotremamanavaitbesoinqu’ilfassequelque
chosepourelleenville.
Laurieluiavaitexpliquéqu’Annasouhaitaitqu’ilrelisedesdocumentsfrançaisqu’elleavaitfait
traduire.Çaparaissaitvraimentlouche.Depuisqu’elleavaitacceptél’ultimatumd’Anna,Jacquis’était
efforcéed’éviterPhilippeafinderespectersonengagement.Cequiétaitloind’êtresimplepuisque,
chaquefoisqu’illasurprenaitseuledanslamaison,ildésiraitsavoirquandilpourraitlarevoir.Il
l’accusamêmed’êtreuneallumeuse,cequiétaittoutdemêmeuncomble!
–Jetel’aidéjàdit,c’estpasmamaman!hurlaWilliam,luiperçantlestympans.
–Trèsbien,trèsbien.Calme-tois’ilteplaît!Merda!s’exclama-t-elle.
Ellevenaitderéaliserqu’ellen’avaitpaspenséàmettreunecouche-culottedebainàCody.Celle
qu’ilportaitn’étaitpasétanche.
–Madison,tunousaccompagnesaujourd’hui?demandaJacqui.
Toutaulongdumois,Madisons’étaitmontréehautaineaveclegroupedesbaby-sitterspuisque,
officiellement,ilsn’étaientpluschargésdeveillersurelle.
–Oui.J’airendez-vousavecuneamielà-bas.
Elleétaitdrôlementélégante,avecsonmaillotdebainroseetsontee-shirtenéponge.Devantle
miroir,elles’appliquaitunedernièrecouchedemascara.
–Tutemaquillesunpeutroppouralleràlaplage,tunecroispas?
–Ettonmaillotdebainestlimiteindécent.Tunecroispas?rétorquaMadisonensepassantsur
leslèvresduglossrougefoncé.
Jacquisesentitblessée.ElleavaiteuunboncontactavecMadisonl’étédernier.Or,lagamine
étaitdevenueunevraiepeste.Etsabelle-mèren’avaitpasl’airdesesoucierquelagaminedeonze
anssepromèneattiféecommeunepetiteaguicheuse.
– C’est simplement qu’il fait très chaud sur la plage, et que ce n’est pas bon pour la peau,
expliquaJacquid’untonpatient.
–Jem’enfiche,rétorquaMadison.
JacquiplialapoussettedeCody.Elleétaitdésormaisbeaucouptroppetitepourlui.Sesjambes
lui arrivaient quasiment au menton lorsqu’il s’y asseyait. Le « bébé », bien qu’âgé de quatre ans,
préféraitroulerplutôtquemarcher.Hierencore,alorsqu’ellelepromenaitdanslarueprincipale,des
femmesluiavaientdemandésisongarçonétait«spécial»(c’est-à-dire,handicapé).
–Non,simplementparesseux!avait-ellerépondugaiement.
CarAnnaavaitbeauporteruneattentionextrêmeàleurrégime,àleurorientationscolaireetà
leurviespirituelle,Jacquin’avaitjamaisvudesgaminsàquil’essentielmanquaitàcepoint-là.
Alorsqu’elleconduisaitsontroupeauverslegarage,ilscroisèrentleDrAbraham,quisortait
d’unedesluxueuseschambresd’amisenmâchouillantunebanane.
–Alorscommeça,onvapasserlajournéeàlaplage?Attendez-moi!dit-il.
Jacquin’avaitpaseuletempsdeprotesterqu’ilressortaitdéjàdesachambre,sonsacdeplage
souslebras.
–Ondiraitquejevousaipourmoitoutseul!plaisantaleDrAbraham,enconstatantqueMara
etPhilippen’étaientpasdanslesparages.
–Faudraitpeut-êtrepasoublierlesgamins,rétorquaJacqui.
La seule voiture était la minuscule Toyota Prius et, entre le siège bébé de Cody et la forte
corpulencedudocteur,ycasertoutlemondenefutpasévident.Jacquilesconduisitàlaplagetoute
proche de Georgica, où les gamins se dispersèrent : Madison se lança à la recherche de ses amis,
Williamparcourutlechemindeplanchesdelongenlarge,etZoéallaramasserdescoquillages.
–Nevouséloignezpastrop!Ilfautquejepuissevousvoir!criaJacquienplantantsonparasol
etenétalantsondrapdebain.
ElleplaquasescheveuxenarrièregrâceaufoulardPucciprêtéparMarapuisfitglissersarobe
deplageenfaisantmined’ignorerlesregardsdudocteur.Elleespéraitqu’ilfiniraitparpigeretla
laisseraittranquille.
Le livre de préparation à l’examen d’entrée à la fac exigeait pas mal d’attention – la partie
linguistiquedel’examenavaitétéabordéelasemainedernière,lejouroùelleavaitséchésoncours
pour jouer au billard avec Philippe. Jacqui n’arrivait pas à saisir les questions de vocabulaire, du
type:
Lerocherestàlamontagnecequelaplumeest:
a)àl’aile,
b)aupoulet,
c)àl’oreiller,
d)auxquatrepropositionssus-mentionnées.
Enportugais,lemêmetermedésignaitle«rocher»etla«base»,ainsiquele«sol».Dansce
cas, la réponse pouvait être a), puisque les ailes étaient constituées de plumes. Mais les plumes
servaientégalementdebaseàlafabricationdesoreillers,auquelcaslabonneréponseétaitc).Tout
celaétaitdrôlementcompliqué.
–Tuparlesd’unbouquinbarbant!ditunevoix,au-dessusd’elle.
Jacquirelevalebordsoupledesonpanamaetsourit.
–HéKit.Tuvasbien?
–Ouais.Justeunpeucontrariéquet’aiespasappeléàlasecondeoùt’esarrivéeici,maisj’ai
survécu,lataquinaKitens’asseyantprèsd’elle.
Ilavaitdescheveuxblondsenbrosse,etleteintsipâlequesonnezpelaitdéjà.C’étaitl’undes
meilleursamisd’Eliza,etJacquiavaitapprisàmieuxleconnaîtreàPalmBeach.EllesavaitqueKit
avaitunfaiblepourelle,maisellepréféraitfairecommesiderienn’était.Kitluiplaisait,maispasde
cettefaçon-là.Etpuisilyavaitlarègled’or:Finilesgarçons!Puisqu’elleétaitforcéedel’appliquer
àPhilippe,ilfaudraitbienqu’ellel’appliqueégalementàKit.
– Je suis désolée. On a été tellement débordés, avec les gamins... J’ai pas pris un seul jour de
congé,expliquaJacqui.
–C’estqui,cenaze?demandaKit,faisantallusionaudocteur,quironflaitsousuneéditionde
pochedeLaFamilled’abord!duDrPhilMcGraw.
–Unfalsificação...undocteurbidon,ditJacqui,netrouvantpaslemotqu’ellecherchait.
–Uncharlatan?
–C’estça!(EllesepenchaversKit.)Jepeuxpasl’encadrer!
Kithochalatête.
–Pourquoinepaslesemer?dit-ilsuruntondeconspirateur.
–C’estquoi,tonidée?demandaJacqui,haussantsessourcilsparfaitementépilés.
Maraserait-elle
lanouvelleTaraReid?
Maranesesouvenaitpasdecequis’étaitpassélaveille.Elles’étaitréveilléeavecunhorrible
maldetête,etavaitsisoifqu’elleallaàlasalledebainsetbutdirectementaurobinet.Cesderniers
temps,Maraseréveillaitsouventdanscetétat.Ilétaitpresquemidiet,commed’habitude,Jacquietles
enfantsétaientdéjàpartis.Ellepritunelonguedouche,seséchalescheveux,enfilasatenuelaplus
pratique – un surmaillot à capuche et fermeture éclair – et dissimula ses cernes sous de superbes
lunettesd’aviateurOliverPeoples,articlesqui,grâceauplanMitzi,neluiavaientriencoûté.
Ellesedirigeaverslamaisonprincipale.Aupassage,elleremarquasurlechâteaudesReynolds
ledernierajoutendate:deuxstatuesgéantes–deschevaliersenarmureflanquantl’entréedepartet
d’autre.Elleallaàlacuisineetsepréparaunsmoothie.EllerinçaitlemixeurquandlePostretintson
attention.Ellefeuilletalejournal,allantdroitàsarubriquefavorite:lapage6.C’estalorsqu’ellela
vit.
–OhmonDieu!
Elle plaqua une main sur sa joue et jeta autour d’elle des coups d’œil nerveux. Regarda à
nouveaulaphoto.OhmonDieu!Desimagesdelaveillel’assaillirentsoudain,amplifiantsonmalde
crâne. Elle dansait sur la table. Hurlait sur Ryan. Traitait Eliza de garce. Mais, pire encore... cette
photoépouvantable,là,danslejournal!
EllequipensaitqueLuckyYapétaitsonami!Tuparlesd’unami!Laphotopriselaveilleau
soirs’étalaitaubeaumilieudelapage6,au-dessousdugrostitre«LANOUVELLETARAREID?».
Mara Waters, la gentille fille de Sturbridge (du moins, c’est ainsi qu’elle s’était toujours vue), se
penchaitversGarrettquiavaitlenezfourrédanssondécolleté,tandisquesesseinsjaillissaienthors
de son bustier Gucci. Nom de Dieu, un mamelon s’en était même échappé et, rose et effronté,
s’exhibaitfièrementàlafacedumonde!
Direqu’elleétaitmortifiéenesuffiraitpasàdécrirecequeMararessentitcematin-là.Perdreles
pédalesunsoir,c’étaitunechose.Voircefauxpasrendupublicdèslelendemain,c’enétaituneautre.
Ellesehâtadefourrerlejournalàlapoubelle,enespérantquepersonneneletrouverait.Surtoutpas
Ryan. C’était si humiliant. La nouvelle Tara Reid ? Tara Reid elle-même ne voulait pas avoir la
réputationdeTaraReid.
Mararougit.Elleavaittoujourseulesentiment,auplusprofondd’elle-même,denerienavoirà
envierauxPerry.Carilsavaientbeauêtrerichissimesetvivreuneexistencedeluxe,ellepossédait
quelquechosequ’ilsn’avaientpas:unefamilleforteetunie;desparentsquiavaientsuinculquerà
leurstroisfillesdesvaleursessentielles,tellesl’intégrité,lasincéritéetlarespectabilité.Or,avecla
publicationdececliché,queluirestait-il?SugaretPoppyelles-mêmesn’avaientjamaisétésurprises
dansunesituationaussicompromettante.Lescandaleavaitbienfailliéclaterlorsquel’ex-petitcopain
deSugaravaittentédediffuserlavidéomontrant leurs ébats torrides. Mais le cabinet d’avocats de
sonpèreetunbongraissagedepatteavaientrésoluleproblème.Maras’étaittrompéesursonpropre
compte. Peut-être, comme tous ces gens qui fréquentaient les Hamptons, était-elle prête à tout pour
attirerl’attentionetsefaireconnaître?
–Mara,jevousparle!Ilyaquelqu’unquivousdemandeàlaporte,ditLaurieenentrantdansla
cuisine.
Marasefigea,redoutantencoreDieusaitquoi.Ellen’attendaitpersonne.Laphotopouvait-elle
constituer une atteinte aux bonnes mœurs ? La police du mamelon venait-elle la chercher ? Mais
lorsqu’elleouvritlaporte,unsimplemessagerenuniformemarronsetenaitsurleseuil.
–Signezici!indiqua-t-ilenluifourrantsouslenezuneécritoireàpince.
Ellegriffonnasonnom,etilluifourraplusieursénormessacsdanslesbras,contenantencore
troismerveilleusesrobesShoshanna,etunesélectiondecardigansencachemireauxcouleurspastel.
Mara découvrit une note écrite à la main sur du papier coûteux : Excellent article dans le Post !
Continuecommeça.Bises.Mitzi.
Mamelonmisàpart,Maracompritqu’auxyeuxdeMitzi,laphotoétaitunsuccès.L’articledela
page6citaittouteslesmarquesqueportaitMara.
Àl’instantoùellerassemblaitsessacs,ellevitRyansegarerdansl’allée.Elles’arrêta,comme
pétrifiée.Ilsortitdelavoitureets’avançaverselle,lesyeuxcernésetlesmêmesvêtementsquela
veillesurledos.Malgréelle,Maraeutunserrementaucœur.
–Oh...euh...salutMara,bafouillaRyanendevenantécarlate.
–Salut,marmonna-t-elleavecunsignedetête.
Ilavaitpassélanuitavecunefille.Çasevoyaitcommelenezaumilieudelafigure.Maraétait
malade de jalousie. À ce qu’il semblait, Ryan ne serait jamais en manque de petites amies. Et pire
encore:ellenepourraitplusjamaisenêtre.
Lebonheur,
c’estunevoilegonfléeàbloc
ConnaîtreKitAshleighprésentaitbeaucoupd’avantages.Ilavaitlesensdel’humour,étaitloyal
enverssesamisetcollectionnaitlesgadgetshorsdeprix.Maissaqualitéessentielle,c’étaitdesavoir
s’amuser,etce,n’importeoù.Ilsemontrad’uneefficacitéredoutablelorsqu’ilfutquestionderéunir
les enfants : il promit à William qu’il pourrait barrer le voilier, autorisa Madison à emmener son
amie,racontaàZoéqu’ilsverraientdesdauphins,etportaCodyjusqu’àlavoiture.Touss’entassèrent
danssaMercedes-BenzCLKdécapotable(JacquiavaitlaissélesclésdelaToyotasousl’huilesolaire
dudocteur),etKitlesconduisitàSagHarbor,oùsonbateauétaitàquai.
–C’estunecoquilledenoix,ditKitàproposduPoisson-lune,maisilyadelaplacepournous
tous,etonpourrapeut-êtreapprendreànaviguerauxgamins.Monpèrem’aapprisquandj’étaistout
gosse.
–C’estça?demandaWilliam,guèreimpressionnéparlevoilierdehuitmètres.Celuidemon
pèreest...aumoinstroisfoisplusgrand!
–Lataillenefaitpastout,monami,répliquaKit.
Ildéroulalesvoilesetdéfitlescordages.
– Allez, donnez-moi un coup de main. Toi aussi, Madison. Et Zoé... vous pouvez tous vous
rendreutiles.
Avec Kit pour diriger les opérations, ils parvinrent à appareiller. Puis Kit prit la barre et les
emmenaaudockduBistroJLX,unrestaurantfrançaisbranchésituéauborddel’eau.Unserveurse
présentaaubateaupourprendreleurcommandeet,quelquesminutesplustard,leurtenditpar-dessus
le garde-fou plusieurs sacs pleins à craquer de fromage, de sandwichs au jambon fumé, de salades
tomates-mozzarella,debouteillesd’eaugazeuseetdecidre.
Celanemanquapasd’impressionnerJacqui.Kitdirigeaànouveaulebateauverslelarge.
–Onnepeutpasallerplusvite?gémitWilliam.
–Regarde,jevaistemontrercommentfaire,ditKitens’élançanthorsdelacabine.
Ils trouvèrent le vent, et tous se turent. La mer était calme et lisse, le voilier se balançait
délicatement au gré des vagues. C’était à la fois relaxant et excitant. Jacqui déballa le déjeuner et
distribualessandwichs.
–C’esttropnul!seplaignitAngelica,lacopinedeMadison.OnauraitdûresteràGeorgica.Ces
typeshyper-mignonsqueconnaîtmoncousinétaientcensésveniraujourd’hui.
Madison,quisemblaitjusque-làapprécierlabalade,s’empressadesemettreaudiapason.
–Tunevasquandmêmepasmangerça?demandaAngelica,tandisqueMadisonfaisaitglisser
danssonassietteunerondelledetomateetunetranchedemozzarella.
Madisonsehâtadelesremettredanslabarquette.
Jacquiassistasilencieusementàlascène.ElleauraitvoulupouvoirdireàMadisonquelesfilles
commeAngelica,tropmincesettropprivilégiées,dissimulaientleurpropremanqued’assuranceen
semoquantdetoutlemonde.Mais,conscientequ’elleneferaitqu’embarrasserlafillette,ellepréféra
setaire.
Aulieudeça,Jacquiamassadanssonassietteunequantitédefromage,desalami,depainetde
légumes au vinaigre et s’appliqua à ne pas en laisser une miette – sous le regard fasciné des deux
préadolescentes,quin’arrivaientpasàcroirequ’onpuisseautantmangertoutenayantlephysiquede
Jacqui.
AngelicaavaittentédeserendreaimableenflattantJacqui.Commeçan’avaitpasmarché,elle
s’était mise à l’appeler « la fille au pair » d’une voix snobinarde. Jacqui respira quand les deux
fillettesserésolurentàtirerlemeilleurpartideleurjournéeenselivrant,surlepont,àuneséance
silencieusedebronzage.
Jacquiregardaautourd’elle.Lesgaminsquis’amusaient,l’eauétincelante,lesoleilaveuglant...
Elle renversa la tête en arrière, sentit le vent s’engouffrer dans ses cheveux. Elle était heureuse
d’avoirunamitelqueKit.
Ilesttellementplusfacile
dementirautéléphone
Eliza tamponna son cou d’une nouvelle couche de fond de teint compact. Les suçons de Ryan
avaientfleuripendantlanuit.Elizasemblaitrescapéed’unchampdebataille,aveccestracesjauneet
violets’étalantpartoutsursondécolletéetdanssoncou.C’étaitdrôlementembêtant.Ellenepouvait
tout de même pas aller travailler avec cette allure de femme battue. D’où le fond de teint compact
BobbiBrown.Dieumerci,onavaitinventélemaquillageparfait!
Évidemmentc’étaitunpeubizarre...êtredenouveausortieavecRyan...EtJeremydanstoutça?
Devait-elle se considérer comme « infidèle » ? Étaient-ils seulement encore ensemble ? Eliza était
confuse,etunpeutriste.EtavecRyan...çavoulaitdirequoi,aujuste?Ellen’étaitpasamoureusede
Ryan,toutdemême?Ryanétait...unami.Non,plusquecela...c’étaitunfrère...enfin,pastoutàfait.
Cematin-là,ill’avaitréveilléeetportéejusquedanssonlit.
–Ilfautquej’yaille.Jesuispascertainquetesparentsapprécieraientdenoustrouverdansle
salon,chuchota-t-ilenfrôlantsonnezd’unbaiser.
–OK,approuva-t-elled’unevoixensommeillée.
–Àplustard,dit-ilenlabordant.
Elizasouritàcesouvenir,etachevaitdecacherunsuçonavecunsoupçondecorrecteurdeteint
vertlorsqueletéléphonesonna.
–SalutLiza,c’estmoi.
–Oh!dit-elle,samaintenantlefonddeteintcompactrestantfigéeàmi-hauteur.
Mara.Merde!Ryanluiavait-ilditquelquechose?
–Écoute...,commençaMara.
Elizaretintsonsouffle.
– Je suis vraiment, vraiment, désolée pour hier soir, continua Mara. Je ne sais pas ce qui m’a
pris.J’aijamaisétéaussisoûledemavie.
–Oh.C’estpasgrave.Net’inquiètepas!
–Jetiensàcequetusachesquejeneferaisjamaisrienquipuissetecauserdesennuis.Jesaisce
quecejobsignifiepourtoi.
–Jet’assure,tun’aspasdesouciàtefaire.
Ellenesouhaitaitqu’unechose:raccrocher.Maraétaittellementgentille,çarendaitleschoses
encoreplusdifficiles.MieuxauraitvaluqueMarasoituneauthentiquegarce,maiscen’étaitpasle
cas.
–Entoutcas,j’aivraimenthonte,insistaMara.EtdevantRyan,enplus!
–Mara...fautquej’yaille!l’interrompitEliza.
Ryan et elle avaient beau être d’accord pour considérer que l’épisode de la veille au soir ne
comptaitpasdavantagequeceluidePalmBeachetqu’iln’yavaitrienentreeux,Elizanes’ensentait
pasmoinsaffreusementcoupable.LefaitdesavoirqueMarasortaitdésormaisavecGarrettReynolds
n’atténuaitpassamauvaiseconscience.
–Oh...trèsbien.Onpourraitpeut-êtreprendreuncafécettesemaine,ouuntrucdanslegenre?
demandaMarad’unevoixmalassurée.
–Ouais.Jet’appellerai,OK?rétorquaEliza.
–OK,réponditMara.
MaisElizaavaitdéjàpressélatouche«findecommunication».
Danslacuisine,Mararaccrochaletéléphone.Elleavaitlecafard.Elizaluienvoulaittoujoursà
mort, c’était clair. Elle ouvrit la porte-fenêtre donnant sur le patio et s’étonna de voir Philippe
prendreunbaindesoleilaumilieudelapiscine,étendusurunmatelaspneumatique,sasempiternelle
cigaretteaubec.Ellecroyaitqu’ilétaitpartienville.Bienqu’ilfûtcenséfairepartiedugroupedes
baby-sitters,ellelecroisaitrarementdepuisqu’ilavaitététransférédanslademeureprincipale.
–Tasœuraappelé,dit-ilentapotantsacigaretteau-dessusdel’eau.
–Laquelledemessœurs?
Philippehaussalesépaules.
C’étaitsûrementMegan.Avecsestroisgamins,Maureendevaitêtretropdébordéepourpouvoir
passeruncoupdefil.MarasedemandapourquoiMegannel’avaitpasappeléesursonportable–cela
dit,ellenecaptaitpastrèsbien,danslesHamptons.Mararetournaàlacuisineetcomposalenuméro
detravaildeMegan.
–AllôMeg?C’estmoi!annonça-t-elle.
–Mara!LastardeSturbridge!répliquajoyeusementsasœuràl’autreboutdufil.
–OhmonDieu...Tuasvulaphoto?danslePost?
–Biensûrquejel’aivue.Ohé,Mara,c’estàtasœurquetuparles!Jet’aiaussivuedansUS
Weekly,l’autrejour.Tuesplusmignonnesurlapage6,bienqueleclichésoitunpeuosé,ditMegan
suruntondespécialiste.
Maradistinguait,enarrière-fondsonore,unbruitdeséchoirsetdeciseauxquiclaquent.
–Tum’asvraimenttrouvéemignonne?Etpapaetmaman,ilsl’ontvueaussi?demandaMara,
enjetantuncoupd’œilparlafenêtre.
Philippeseprélassaittoujoursdanslapiscine.AnnaPerryapparutdanslepatio,enbikiniblanc
etchaussuresàtalonstransparentes.Elleentraprudemmentdansl’eau,etPhilippel’aidaàs’installer
surunmatelaspneumatiquesemblableausien.Ilsselaissèrentglisserjusqu’àl’autreboutdubassin,
oùl’eauruisselaitencascadedansunjacuzzi.
–Tum’écoutes,Mara?
–Oui,euh,non...jesuisdésolée.Tudisais?
–J’étaisentraindetedirequej’avaisplanquélejournal.S’ilsl’avaientvu,tupouvaisfairetes
bagages!Tuconnaispapa...
–Merci.Jeterevaudraiça.
–Tucroispassibiendire!J’aidécidédevenirterendrevisitedansdeuxsemaines.Jeveuxvoir
oùmapetitesœurpassesontemps!
–C’estuneidéegéniale!répliquaMara.
–Jesais.Doncjen’aipasattenduquetum’invites,ditMegan.
–Qu’est-cequeturacontes?Tusaisquetuestoujourslabienvenue,protestaMara.
–C’estpourquoij’aidécidédevenir.Bon,fautquejetequitte.J’étaiscenséefaireunrinçagede
dixminutesàMmeNorman.Maintenantellevaavoirlescheveuxbleus...Onsevoitbientôt!
Mararaccrocha,ragaillardie.Megan,sasœurpréférée,allaitvenirluirendrevisite!Ceserait
extradepouvoirpasserdutempsavecelle.Etdefairedestrucsnormaux,commeallermangerdes
hamburgerschezO’Malley,àEastHamptonou,pourquoipas,sefairecuireunhomardsurlaplage.
Mara avait besoin d’un petit break, et il n’y avait rien de tel que la famille pour vous remettre les
piedssurterre.
Garrettramèneuneprise
Lesrichesétaientdifférents,Maral’avaitcomprisdèsl’étédernier,lorsqu’elleavaitrencontré
lessœursPerry,toujoursprêtesàdépenserhuitcentsdollarspourunerobegrifféemaisrechignantà
payer leurs propres consommations. Ou Ryan Perry, qui roulait dans une voiture de sport anglaise
conçuetoutexprèspourlui,maisutilisaitducarburantsansplombpouréconomiserquelquesdollars.
SeuleunefamillecommelesReynoldspouvaitsefaireconstruireunbassind’eausalée–unimmense
réservoiràpoissonsoùl’onpouvaitaussinager–àmoinsdedixmètresdel’océan.Garrettinvita
Maraàvenirlevoir,carilvenaittoutjusted’êtreapprovisionnéenpoissons.Maraentradansl’eau,
tièdeetrelaxante.
–Encoreune?suggéraGarrett,agitantunpichetdemargaritaàlamangue.
– J’en ai déjà bu deux, dit Mara, repoussant la proposition d’un geste. Je devrais peut-être me
calmerunpeu.Masœurarrivebientôt,etj’aipasenviequ’ellepenseque...
–...qu’ellepensequoi?demanda-t-il.
Il but directement au pichet puis, d’une main, s’essuya les lèvres. C’était une belle soirée, on
entendaitlechantdesgrillons.
–Jesaispas...j’aipasenviequ’ellepensequejesuisunefêtardeouuntrucdanscegoût-là.J’ai
quandmêmeunboulot,luirappela-t-elle.T’imagines,silesgaminsmevoientsurlapage6?dit-elle
d’unevoixhorrifiée.
–Tusaisquoi?Tudevraispast’angoisserpourça.C’estjusteunephotodansunjournal.Tu
saiscequelesgensenfont,desjournaux?demandaGarrettenagitantlepichet,cequifitjaillirune
partiedesoncontenudanslebassin.
Marasecoualatête.L’alcoolnerisquait-ilpasd’empoisonnerlespoissons?
– Ils les jettent à la fin de la journée, poursuivit Garrett. À Londres, ils enveloppent les frites
avec,pourqu’ilsabsorbentl’huile!
Iléclataderire,posalepichetauborddubassin.Ilnageaverselle,ets’amusaàl’éclabousser.
–Jet’aimebien,Mara.Jetetrouvemarrante.Reste-le!
Marasentitlajoiel’envahir.Ill’aimaitbien.Ilvenaitdeledire.Avecsescheveuxmouillés,il
étaitsibeau,onauraitditunanimalmarin,sombreetsouple.Illuisouritetellecaressasonvisage.
Lui,aumoins,nelajugeaitpas.ContrairementàRyanPerry,quilaprenaitsansdoutepourlapire
pochtronnedesHamptons.Garrettlatrouvaitmarrante.
Unbancdepoissons-clownsorangeetblancfila,telleuneflèche,verslecorailvoisin.Marase
resservitunverre.C’étaitexquis.Etpuis,siMegantenaitàvenir,n’était-cepaspourjouirduglamour
desHamptons?QuipréféreraitmangerdessandwichsauhomardàlaplagedeMontaukplutôtque
passersessoiréesdanslasalleVIPduSeptièmeCercle,entourédestarsdeciné?
Garrettluibalançadeslunettesdeplongée,untuba,et actionna l’éclairage subaquatique. Mara
plongea la tête sous l’eau, et regarda autour d’elle. L’eau était bleu ciel, claire comme le jour, et
peupléedecréaturesmarinesdetouteslestailles,detouteslesformesetdetouteslescouleurs.Ily
avaitdestortuesdemer,desmurènes,despoissons-zèbressobresmaissuperbes,despoissons-anges,
despoissonsarc-en-ciel,etdesempereursànageoirebleue.
Elleémergea,etextirpaletubadesabouche.
–C’estmagique,dit-elle.
–PourquoialleràStBarth,quandonpeutfairevenirStBarthchezsoi?demandaGarretten
ajustant ses lunettes de plongée. C’est l’inconvénient des Hamptons. Il n’y a pas de bon endroit où
fairedelaplongée.
Un banc de raies pastenagues leur frôla les genoux. Mara les suivit des yeux, émerveillée par
leurgrâce,tandisqu’ellesondulaientverslecorail.
Garrett lui prit la main et ils traversèrent le bassin à la nage. Il lui désigna des méduses
translucidesetdefrémissantesétoilesdemer.Puisilsedirigeaversunegrotteartificiellesituéeau
centredubassin,etfitsigneàMaradelesuivre.
Prenantsoindemaintenirsoncocktailhorsdel’eau,Marabaissalatêteetentradanslagrotte.
Elles’étaitimaginéquelesPerryvivaientdansleluxe,maislà,c’étaitunetoutautreconceptiondu
luxe... La demeure des Reynolds était un croisement improbable entre le château de Versailles et
Marineland.
–C’estl’endroitquejepréfère,ditGarrett,enl’attirantverslui.TuesdéjàalléeàCapri?
Marasecoualatête.Àl’exceptiondesHamptons,ellen’était,pourainsidire,jamaisalléenulle
part.
Ilenlaçasatailleetlaserracontrelui.
–Unjour,jet’yemmènerai,luichuchota-t-ilàl’oreille.
Marasourit.L’idéeluiplaisait.EllesedemandacequeRyanétaitentraindefaire,àcetinstant
précis.Etbalayaaussitôtcettepenséedesonesprit.
Danslapénombredelagrotte,lescheveuxdeGarrettavaientdesrefletsd’unnoirbleuté,etses
yeuxbrillaientdemalice.
–Jepariequejegardelatêtesousl’eaupluslongtempsquetoi!
–Ahouais?Jerelèvelepari!rétorquaMara.
Marasepenchaenemplissantsespoumonsd’air,décidéeàluidonnertort.Garrettpritlamain
de Mara, et tous deux s’enfoncèrent dans l’eau au même moment. Et il l’embrassa. Elle sentit le
souffle de Garrett, le goût salé, la tiédeur mouillée... et s’abandonna aux sensations nouvelles et
électrisantesquesescaressesluiprocuraient.Ellequipensait,depuisdéjàsilongtemps,queseulRyan
pouvaitluifaireéprouvercela...
Deuxdemi-amoureux
valent-ilsunamoureuxentier?
Chaqueété,aussiloinqu’Elizas’ensouvienne,leMeadowClubdeSouthamptonorganisaitun
tournoiamateurdestinéàsesmembres.Cequiavaitétéaudépartunecompétitiondiscrèteetprivée
étaitdevenu,aufildesans,unévénementsportifincontournable,quiavaitmêmesonsponsorofficiel
–d’oùlesurnomde«tournoiRolex».Ilétaitsusceptibled’attirerdesstarsdutennis,commeAndy
RoddickouLindsayDavenportetmêmed’ancienschampionsdel’envergured’IvanLendloudePete
Sampras. Le prix consistait en un disque d’argent et un chèque de dix mille dollars. Cependant, cet
été-là,aucundesjoueursn’étaitcélèbreouclasséauniveauinternational,àladésolationduclub,qui
comptaitsurlapublicitéqueluirapportaientlesvedettes.
Àlafindelasemaine,toutlemondesepressapourvoirlacompétition.Etc’estsouslesyeux
d’une foule fortunée, vêtue de chemises Lacoste et d’imprimés madras, que Philippe commit une
doublefautefaceàsonadversaire,unSuédoisbaraqué.
Jacqui était assise au fond des tribunes avec les enfants, qui avaient accepté, en échange
d’esquimaux,d’assisteraumatch.EllesavaitcombienPhilippetenaitàremporterlechampionnat.Or,
c’étaitmalparti.Jacquiremarquaque,danslatribuned’honneur,Annasuivaitelleaussilapartieavec
intérêt. Jacqui avait beau savoir qu’il lui fallait garder ses distances avec Philippe, voir Anna le
regarder ainsi ne faisait qu’attiser son propre désir. Elle se souvenait encore de ses baisers, sur la
tabledebillard.Endépitdetoussesefforts,ellen’arrivaitpasàoubliercemoment.
Sur le court adjacent, Eliza était en train d’égaliser contre la championne de la section sportétudesdel’universitédeStanford.Elleavaitremportélademi-finale,terrassantsonadversairedans
une manche haletante, et n’en revenait pas de se retrouver en finale ! Elle n’aurait jamais cru cela
possible. Heureuse d’être enfin le centre d’attention pour la première fois cet été, elle jeta un coup
d’œilauxtribunes.EllecroisaleregarddeRyan,assisaupremierrang,etluisourit.Jetantunsecond
coupd’œil,elleaperçutalorsJeremy.Elleloupasonservice,etlaballefrappamollementlefilet.
Maraétaitdansuneloge,aupremierrang,avecGarrett.JusteenfacedeRyan,maiselleetRyan
neseregardaientpas.SugaretPoppyétaientaveceux,àcôtédeMara.Elizaremarquaquelestrois
fillesétaientvêtuesderobespastelidentiques.Hallucinant!L’étédernier,lessœursPerrysavaientà
peinequeMaraexistait.
Elizas’efforçadeseconcentrersursonjeu.Onyétait:plusqu’unsetàjouer.Lachampionnede
Stanford envoya une balle très haute au milieu du court, à laquelle Eliza répliqua par un smash
puissant.Jeu.Set.Etmatch.C’estainsiqu’Elizaremportalapartie.
La championne de la section sport-études donnait des interviews dans les vestiaires, où elle
tentaitd’expliquercommentunelycéenneavaitpulabattre.Elizaentradiscrètement,pritunedouche
envitesseetpassauncaracoSabbiaRosaetunjeanblancChloé.Elles’empressaderegagnerlehall,
espérantpouvoirévitersadésagréableadversaire.
–Eh,tuasfaitunsupermatch!
Elizajetauncoupd’œilalentour.Ryansetenaitsouslavoûted’entrée,unbouquetdefleursàla
main.
–Ryan!Merci!dit-elle,raviedelevoir.Ellessontpourmoi?
Ryan lui tendit les fleurs et ils s’étreignirent chaleureusement. Il se penchait pour l’embrasser
surlajouelorsqu’ellesentituneautremainluitapoterl’épaule.Tournantlatête,ellevitJeremy,qui
souriaittimidement.
–Eh!s’exclamaEliza,ensejetantàsoncou.
Le visage pressé contre le polo de Jeremy, Eliza rayonnait, oubliant presque qu’il l’avait
totalementlaissétomberdepuisledîneravecsesparents.Ryantoussa,etElizaserappelasesbonnes
manières.
–Jeremy,tuconnaisRyanPerry,non?C’estunvieilamiàmoi,expliquaElizad’unevoixun
peunerveuse.
–Biensûr,j’aitravaillépourtafamille,l’étédernier,ditJeremyenserrantlamaindeRyan.
–Tuvasbien,mec?demandaRyan.
Ilsseserrèrentlamainavecunsourirecrispé.Ryanaffectaituneattitudenonchalante,maisEliza
voyaitqu’ils’agissaitd’unepose.
–Oh,Eliza,jeteprésenteCarolyn,ditJeremyensetournantversunegrandefilleauxcheveux
auburn,derrièrelui.ElizaThompson.CarolynFlynn.
ElizatenditlebouquetàRyan,afindepouvoirserrerlamainàl’amiedeJeremy.
–Tudevraisessayerdedevenirpro,ditcelle-ci.Tuasfaitunmatchincroyable!
–Merci,c’estgentil.Tusais,j’ail’impressiondet’avoirdéjàvue,ajoutaElizaenlaregardant
plusattentivement.TuesuneancienneélèvedeSpence,non?
–Jecroisquej’étaisunanau-dessusdetoi,confirmaCarolyn.
–Alorscommeça,vousvousconnaissez,touslesdeux?demandaEliza.
–OnestensembleenstagechezMorgan,expliquaJeremy.
Elizaavaitmalauxzygomatiquesàforcededevoirsourire.C’étaittellementchouette,derevoir
Jeremy...enfin!Etelleétaittellementtouchéequ’ilsesoitsouvenudutournoidetennis.Mais,selon
touteapparence,ilétaitvenu...avecunefille.
–Jesuisdésolédepasêtrepassétevoiràlaboîte,dit-il.J’aibossécommeundingue.
–C’estpasgrave,répliquaEliza.Rattrape-toienvenantcesoirauSeptièmeCercle,d’accord?
Ilhochalatête.
–J’yserai.
–Moiaussi,ditRyan,tenanttoujourssonbouquetdefleurs.
MaisElizaavaitdéjàfilé.
L’interdiction
estlepluspuissant
desaphrodisiaques
Jacquifrappaàlaporte.EllesavaitquePhilippeboudaitàl’intérieur.Aprèsavoirperdudela
manière la plus humiliante qui soit – 6-0, 6-0, 6-3 –, il avait rageusement quitté le court. Mais en
regardant Anna le regarder, pendant le match, Jacqui avait décidé de faire le maximum pour le...
consoler.Elleouvritlaporteetentra,aumomentprécisoùAnnas’apprêtaitàsortir.
–Oh!Excusez-moi!s’exclamaJacqui.Jevoulaisjuste...
–Leschambresdesenfantssontparlà-bas,Jacqui,rétorquaAnnad’untonglacial.
– Oui je sais, je... je cherchais la couverture de Cody, bredouilla Jacqui en quittant la pièce
précipitamment.
Elleparcourutlecouloiraupasdecourse.Etrevint,enmarchantsurlapointedespieds,lorsque
lespasd’Annasefurentéloignés.
–Ouvre!Vite!C’estmoi,chuchota-t-elle.
–C’estouvert,chuchota-t-ilàsontour.
Enentrant,elletrouvaPhilippeétendusursonlit,entraindefumerunecigarette.Ilparaissaitun
peuplusdétenduquelorsqu’ilavaitbalancésaraquettesurlesolenbétonetrepoussélescamérasde
télévision.
–Ilsepassaitquoi,là?demandaJacqui.
–Dequoituparles?répliquaPhilippe.
–Anna,dit-elleendésignantunpointpar-dessussonépaule.
–Quiça?
–Lapatronne.Elleétaitavectoi,là,àl’instant?
Philippehaussalesépaules.
Jacquiserraleslèvres.
Encorecouvertdesueur,sescheveuxd’unblonddemielhumidesetcollantàsonbeauvisage,
Philippeétaittoutsimplementirrésistible.L’interdictiondesortiravecluileluirendaitplusdésirable
encore.Maiss’ilavaitvraimentuneaventureavecAnnaPerry,leschosessecorsaient.
–Net’angoissepasausujetd’AnnaPerry,ditPhilippecommes’illisaitsespensées.Cen’estpas
tonproblème.Qu’est-cequej’ypeux,siellemetrouveséduisant?Moi,parcontre,ellenem’attire
pas.Etdonc,iln’yarienentrenous.
–Jenepensaispasàça,mentitJacqui.
Philippeprituneboufféedesacigarette,laissantlafuméetourbillonnerautourd’eux.
–Vraiment?répliqua-t-ildansunsourire.
Jacquiluisouritàsontour.NomdeDieu,cequ’ilétaitsexy!
–Alors,tutesenscomment?Çava?s’enquit-elled’unevoixdouce.
–C’étaitjusteunmatch,dit-ilenécrasantsacigaretteetenrajustantl’oreillersoussatête.
–Jesuisdésoléepourtoi,entoutcas.
Jacquijetauncoupd’œilàlaporte,craignantàchaquesecondedevoirsurgirAnna.
– Moi aussi je suis désolé. Mais comme disent les Américains, on perd un jour pour mieux
gagner le lendemain, n’est-ce pas ? demanda-t-il avec un sourire de mauvais garçon. À part ça,
qu’est-cequetufaislà?Ilfautquejeperdeunmatchpourquetudaignesfaireattentionàmoi?
–Ehbien...Tuétaispasmaloccupéavecquelqu’und’autre...,ditJacqui,s’asseyantauborddulit.
–EncoreAnnaPerry!Qu’est-cequejedoisfairepourteconvaincrequ’iln’yarienentrecette
femmeetmoi?s’exclamaPhilippe.
–Prouve-le-moi!lançaJacqui,entrouvrantseslèvresdansunsourireprovocant.
Philippel’attiraverslui.
–C’estcequetuveux?demanda-t-ilentredeuxbaisers.
Jacquiréponditàsonbaiseravecfougue.Maislorsqu’ilglissaunemainsoussonchemisieret
luicaressaledos,ellelerepoussa.
–Non...pasmaintenant,dit-elleenjetantunnouveaucoupd’œilàlaporte.
–Quand?
–Ontrouverabienunmoment,ditJacqui.
Ellelissasescheveuxetl’embrassaunedernièrefois.
Ellepassalatêtedansl’embrasuredelaporte.Lavoieétaitlibre.Ellefranchitleseuil,àl’instant
précisoùleDrAbrahamsedirigeaitverssachambred’unpasdéterminé.Alorsqu’ellefranchissait
le couloir en rasant les murs pour gagner les chambres des enfants, Jacqui les entendit discuter,
Philippeetlui,etsedemandadequoiilspouvaientbienparler.Décidément,lacompagniedePhilippe
étaittrèsappréciée!
LessœursPerry
trouventàMara
unnouveausurnom
Ilnefautpasjugerlesgensselonleurapparence.C’estcequeMaras’étaitentendurépétertoute
sa vie, elle qui avait grandi dans la petite ville de Sturbridge. Ses parents avaient un faible pour ce
genre d’expressions toutes faites, du type « Méfiez-vous de l’eau qui dort » ou « Aide-toi, le ciel
t’aidera », que sa mère avait brodées, encadrées et accrochées dans leur cuisine. Mara mettait
généralementenpratiquelepremierdecesdictons:elleétaittoujoursprêteàlaisserauxgensune
secondechance.
Garrett Reynolds, par exemple. Elle l’avait tout d’abord pris pour un play-boy fortuné qui ne
pensait qu’à une chose – or il s’était avéré qu’il s’intéressait réellement à elle. Elle s’était donc
trompéesursoncompte.Sepouvait-ilqu’elleaitégalementmaljugéPoppyetSugar?
Ça avait commencé de façon plutôt anodine, quand Garrett et elle, acceptant l’invitation de
Sugar,avaientassistéàl’anniversairedeCharlieBorshok.Ilsavaientpasséunebonnesoirée,etles
jumellesn’avaientpasuneseulefoismentionnésonstatutdefilleaupair.Àvraidire,contrairementà
l’étédernier,elleslatraitaientsurunpiedd’égalité.Poppy,àpeinerevenued’uneprétenduethalasso
en Arizona avec un tour de poitrine revu à la hausse et les cheveux teints en marron chocolat, se
montraparticulièrementamicale,suiteau«scandaledumamelon».
–C’estpasmal,d’êtreunpeucontroversée.Commeça,lesgenscontinuentdes’intéresseràtoi,
avait-elleexpliquéàMara.
Et en matière de controverse, Poppy s’y connaissait. Depuis qu’elle avait été évincée de
l’émission de télé-réalité, elle avait tenté de reconquérir l’attention du public par des moyens
alternatifs.Enpremierlieu,unenouvellegammedebougiesparfuméesinspiréesdesavietellement
glamour.Parmilesdifférentsparfums,ontrouvait«AmbianceNewYorkCity»,dontl’odeurétait
malheureusement semblable à celle de la ville évoquée, « Dernier verre », qui empestait comme
l’arrière-salled’uncaféglauque,et«Célébrité»,mêlantlavénéneuseodeurdesureauauxeffluves
capiteux et écœurants du gardénia. Leurs parents ne paraissaient pas s’inquiéter du fait que les
jumellesn’avaientvisiblementpasl’intention,nil’unenil’autre,deretourneraulycéecetautomne.
CommeledisaitSugar,ellespourraienttoujoursobtenirleurdiplômed’étudessecondairesplustard,
commelefaisaienttouteslesstarsdeHollywood.
Lejourdelasoiréedelancement,auSeptièmeCercle,de«DroguesDoucesparPoppyPerry»,
Poppyavaitbousilléle4×4delafamille.Kevin,furieux,avaitditauxfillesqu’ellespouvaientsoit
prendre la Volvo, soit s’acheter une nouvelle voiture. Ne souhaitant pas s’attaquer à leurs propres
fonds, les jumelles avaient demandé à Mara la jolie petite BMW décapotable avec laquelle elle se
trimballaitpartoutenville.
Elles étaient les deux dernières personnes sur terre avec lesquelles Mara aurait pensé pouvoir
sympathiser.Mais,commelesjumellesétaientinvitéesauxmêmesfêtesqu’elleetavaientlesmêmes
amis que Garrett, ça paraissait naturel. D’autant plus que Mara n’avait personne d’autre avec qui
traîner. Eliza lui avait dit ne pas s’inquiéter, n’empêche qu’elles ne se fréquentaient plus depuis la
fameuse soirée au Septième Cercle. Mara était très peinée qu’Eliza lui en veuille autant, mais ne
voyaitpascommentarrangerleschoses.
Plustarddanslasoirée,Maraseretrouvaassisesurlelitplate-formedeSugar,enpleineséance
demaquillageetd’essayageaveclesjumelles.
– Qu’est-ce qu’elle est belle ! s’exclama Mara en caressant une robe blanche Versace au
décolletéaudacieux,dansleplacarddeSugar.
– Je sais. C’est ma préférée, dit Sugar. Mais je ne peux plus la porter. J’ai été trop souvent
photographiéeavec.JeladonneraisbienàPoppy,maiselleneluiiraitplusàcausede...tuvoisceque
jeveuxdire,s’esclaffa-t-elleendésignantlapoitrinedesasœur.L’opération...
–Tais-toi!Çamefaitencoreunmaldechien!gémitPoppyensefrottantlesseins.Essaie-la,
Mara!Jepariequ’ellevasuperbient’aller.Allez,essaie-la!
– J’ose pas, dit Mara, alors qu’elle retirait déjà son short et faisait glisser la robe sur ses
hanches.
–Tumetsquoi,cesoir?
–J’aipasencoredécidé,réponditMaraenremontantlafermetureéclair.
–OhmonDieu!Poppy,regarde!
–Oh,c’estdingue!
–Qu’est-cequ’ilya?s’inquiétaMara.J’ail’airridicule?
PoppyfitpivoterMarapourqu’ellesoitfaceaumiroirenpied.
–Pasvraiqu’elleestlaplusmimidumonde?demanda-t-elleàsasœur.
–Çaoui...Onpeutdirequ’elleestmimi,approuvaSugar.
–Mimi...c’estça!C’esttonnouveaunom.Àpartirdemaintenant,ont’appelleracommeça.Ne
leprendspasmal,ditPoppylamainsurlahanche,maisMarac’estunpeunul!
–Cetterobeestfaitepourtoi!Tusaisquoi?Elletevatropbien,tudevraislagarder,déclara
pompeusementSugar.
Poppyhochalatête,emballée.
–Turessemblesàcemannequinrusse...cetteNataliaquelquechose!
–Ahoui,tutrouves?
Mararougit.Ellesecontemplaunenouvellefoisdanslemiroir.C’étaitlarobequ’avaitportée
Elizaàlasoiréed’anniversairedeP.Diddyl’annéeprécédente.Maraserappelaits’êtredemandéoù
Elizaavaitbienpuladénicher.Àprésent,ellelesavait.
–Jeteladonne.C’estuncadeau.Qu’est-cequ’onferaitpaspournotrepetiteMimi!
– Eh, les filles, vous savez si Ryan a une copine ? lança soudain Mara – elle avait remarqué
qu’AllisonnevenaitpluschezlesPerry,cesdernierstemps.
Sugarhaussalesépaules,etPoppygardaunvisageimpassible.
–Pasqu’onsache,assuraSugar.
OràpeineMaraeut-elleledostournéqu’elleadressaunclind’œilàsasœur.
–Allez,fautqu’onyaille.C’estmoiquiconduis!décrétaPoppyenagitantlesclésdelaBMW
deMara.
Elizasetenaitdevantlaboîte,gardiennedesonempiredequarantecentimètrescarrés,grelottant
dansuneénièmetenuearchi-légère.EllereconnutlaBMWquivenaitd’entrerdansleparking,mais
que faisait Poppy au volant ? Cette dernière lança les clés au voiturier, et Sugar sortit du côté
passager.Lesjumellesposèrentpourquelquesclichés.EllesignorèrentEliza,toutoccupéesqu’elles
étaientàglapirdes«Salut!»àl’adressedeKartik.
–Eh,attendez-moi!
Tournantànouveaulatêteverslavoiture,ElizavitMaraouvrirlaportièrearrièreets’élancerà
lapoursuitedesjumelles.Elizalasaisitparlebras,alorsqu’ellepassaitsanslaremarquer.
–Ohé,onseditplusbonsoir?
–Eliza!jet’avaispasvue!s’exclama-t-elled’unevoixhautperchée,imitantàlaperfectionles
intonationsdeSugar.Bravopourlematchd’aujourd’hui.T’asétégéniale!
–Mimi!Ramèneunpeutafraise!hurlaPoppydepuislaporte.
–J’arrive!criaMara,ens’empressantdelesrejoindre.Aurevoir,Eliza!
Mimi?sedemandaEliza.QuidiableétaitMimi?ElleregardaMaras’éloigner.S’imaginait-elle
deschoses,ouMaraportait-ellelarobeVersacedeSugar?Quiplusest,devantSugar!
Sous les yeux d’Eliza, Mara la brune et Poppy la nouvelle brune entourèrent Sugar la blonde
platine,ettoutestroisfirentleurentréedanslaboîte,laissantElizasegelersurplace.
Enrobédesucre,
çapassemieux!
Jeremyavaitpromisdevenir,maisminuitavaitsonnédepuislongtemps,etiln’avaittoujours
pasmontréleboutdesonnez.Elizaconsultaànouveausonportablepours’assurerqu’ellen’avait
pasloupéd’appel.ElleretournadanslaboîteetfitlecomptedestablesencorelibresdanslasalleVIP.
Celal’irritadevoirMarainstalléesurlameilleurebanquettedel’établissement,entouréedepartet
d’autreparlessœursPerry,devisantaveccertainesdesadolescenteslesplusfortunéesdelabonne
sociéténew-yorkaise.Etcelal’irritad’êtreirritée.EllenevoulaitpasêtrejalousedeMara,maisça
l’écœurait un peu de voir son amie, qui n’aurait pas su épeler le nom d’Hermès l’année dernière,
traîner avec la jeune héritière de la vénérable marque française. Mara frayait avec la crème de la
jeunessedoréeet,pirequeça,onauraitditqu’elleavaitfaitçatoutesavie.
Elle était d’une élégance incroyable. Elle portait la robe blanche de Poppy avec des spartiates
ImitationofChrist,etavaitunchouettepetitétuiàcigaretteArtdécoenguisedesacàmain.Eliza,
quantàelle,étaitvêtued’unerobedosnuAlaïa,achetéeparsamèredesdécenniesplustôt.Larobe
entissumétalliséassociaitunesortedecolroulésurledevantàundosnageur.Trèsmoulante,elle
épousait parfaitement les formes d’Eliza, et avait pour fonction de rappeler à Jeremy ce qu’il avait
loupécetété.Ensepréparantcesoir-là,Elizaavaitététrèscontented’elle-même.Àprésent,ellese
sentaitpresqueordinaire.
– Eh, jolie robe ! dit Sugar en croisant Eliza dans les toilettes, une pièce aux équipements en
acierinoxydable,oùunabreuvoirindustrieltenaitlieudelavabos.
–Merci,c’estunmodèlevintage,ditEliza,flattée.
Elle avait du mal à l’admettre, mais l’attention de Sugar lui avait manqué. Si celle-ci se
comportaitparfoiscommeunevraiegarce–Elizan’étaitpasprèsd’oublieràquelpointelles’était
montrée méchante après avoir découvert qu’elle travaillait chez les Perry –, elle savait aussi vous
enjôlerquandl’envieluiprenait.EtDieusaitpourquoi,c’estcequ’elleétaitentraindefaire.
–Super!s’exclamaSugarenserinçantlesmains.Eh,aufait,félicitations!
–Merci,soupiraEliza.
Certes,elleétaitcontented’avoirgagné–ellesauraitcommentutiliserl’argent,etadoraitêtrele
centred’attention.Maiscelanesuffisaitpasàlaconsoler:ilétaitdéjàuneheuredumatin,etJeremy,
bienqu’ileûtpromisdevenir,n’étaittoujourspaslà.
–Qu’est-cequinevapas,mapoulette?s’enquitSugarenserepoudrantlenez.
–Rien,réponditEliza,avecunhaussementd’épaules.C’estjusteque...j’étaiscenséeretrouver
unmecici,cesoir.
–Notreancienjardinier?demandaSugar,apparemmentsansmalveillance.
–Ouais,acquiesçaElizaenfronçantlessourcilsfaceaumiroir.
–JecroyaisquetuétaisavecRyan,ditSugar.
–Quit’aracontéça?répliquaEliza,stupéfaite.
Ryan et elle n’étaient sortis ensemble qu’une seule fois cet été, et ni l’un ni l’autre n’avait
l’intentionderemettreça.
Sugareutunsourireénigmatique.
–C’estmonfrère,tusais...Etpuis,ilyaeutoutecettehistoire,àPalmBeach.
Elizaétaitaffligée.Elleavaitoubliéquelesjumellesétaientaucourantdel’épisode.
–C’étaitriendutout.Onn’estpasensemble.
–Pourquoi?insistaSugar,s’adossantaulavaboetcroisantlesbras.Iln’estpasassezbienpour
toi?
–Maisnon.Çan’arienàvoir.
–Danscecas,pourquoivousnesortezpasensemble?proposaSugar,commesiellevenaitde
résoudreunproblèmedifficile.
–EtMara,danstoutça?demandaElizasuruntonnerveux.
Sugarlevalesyeuxauciel.
–Parcequetucroisqu’ellen’estpasaucourant?
–Maraestaucourant?rétorquaEliza,déconcertée.
Pourquoineluiavait-elleriendit,danscecas?Parcequ’elleétaitfurieuse?Ouparcequ’ellene
sesouciaitréellementplusdeRyan?
–C’estpassiterriblequeça!Detoutefaçon,maintenantelleestavecGarrett,déclaraSugar,
avantdeplaquerunbaisersurlajoued’Eliza.Àplustard.
Bienplustard,cettenuit-là,aprèsquetouteslescélébritésfurentpartiesetquetoutelacourde
Sugar, Mara comprise, eut quitté le Septième Cercle pour se rendre à une fête à Jet East, Eliza vit
qu’elle avait un message de Jeremy. Il avait visiblement été retenu à une soirée caritative avec son
patron dont il avait cru qu’il pourrait s’échapper, et blablabla... Eliza distinguait en arrière-fond
sonore le tintement des verres et des rires féminins. Il disait qu’il était vraiment désolé. Tu parles,
Charles!Elizaeffaçalemessage,tropfurieuseettropdéçuepours’ensoucierdavantage.
Ellesedirigeaversl’espaceVIP,oùellevitRyanPerry,assisseulàunetabledansuncoindela
salle.Elles’assitàcôtédeluietremarqualebouquetdefleursqu’ilavaittentédeluioffrir,plustôt
danslajournée.Cettefois-ci,ellen’oublieraitpasdelesprendre.
Commentondevient
mannequin
–Qu’est-cequivousfaitrire?
MaraétaitenretardaurestaurantoùelledevaitrejoindreJacqui,Philippeetlesenfantspourle
déjeuner.Elleavaitpassélamatinéechezlapédicure,encompagniedeSugaretPoppy,etsesentait
unpeucoupabled’avoirunefoisdeplusmanquéauposte.
–Cettefemme,là-bas,vientdenousdemandersinousétionsmannequins,expliquaJacqui,en
levantlesyeuxaucieletentendantàMaraunecartedevisitesemi-rigide.
MaratournalatêteetvitMitziGooberleuradresserdegrandssignesenthousiastes.Portantla
mainàseslèvres,Marafitminedeluienvoyerunbaiser.
–Mitzi...qu’est-cequ’ellevoulait?s’enquit-elle.
–Elleveutqu’onparticipeàundéfilé,réponditPhilippe.
Ilmontralecartond’invitationàMara.
Maraexaminalecartonauxcaractèresgravés.C’étaituneinvitationpourundéfilédemodeà
butcaritatifquiauraitlieuauclubdepolodeBridgehamptonlasemainesuivante.Ellel’avaitellemêmedéjàreçueparlaposte–onluiavaitréservéuneplaceaupremierrang.Depuislors,Sugaret
Poppy avaient du mal à parler d’autre chose. C’était visiblement l’un des événements les plus
importantsdelasaison.
–Vousdevriezlefaire,ditMara.
–Mannequin,ilyapaspluscrétincommeboulot!ditJacquiendécoupantlesharicotsvertsde
Cody.
MitziGooberaccourutàleurtableetfitlabiseàMara.
– Alors, c’est bon, vous êtes partants ? Reinaldo va vous adorer. Sérieusement, ce serait me
rendreunénormeservice:deuxmannequinsn’ontpaspuobteniràtempslerenouvellementdeleur
visa.
– On vous fait une faveur, alors ? Et vous, vous me proposez quoi, en échange ? demanda
Philippeavecunsourireaguicheur.
–Oh,maisquelvilaingarçon!gloussaMitzi.J’adoreça!Qu’est-cequevousvoudriezqueje
fasse?
–C’estbon,onestpartants!l’interrompitsèchementJacqui.
Philippedevait-ilforcémentflirteravectoutcequiluipassaitsouslenez?Ilétaitcenséêtreà
elle,mêmes’ilsn’avaientfaitqu’échangerquelquesbaisersclandestinsicietlàdepuisletournoide
tennis.S’ilsuffisaitàJacqui,poursedébarrasserdecettefilleexaspérante,d’accepterdeparticiperau
défilé,elleacceptaitdeboncœur!EtpuisMaraetElizayassisteraient.Ellevoulaittellementqu’elles
puissentseretrouver,touteslestrois,etredeveniramies.
– C’est top ! dit Mitzi en leur envoyant une quantité de baisers. À plus tard, beau gosse. Je
réservelachambred’hôtel,lança-t-elled’unevoixrauque,enmanièredeplaisanterie,àl’adressede
Philippe.
Unechambre...Ahouais?
Çac’étaituneidée!
Çanecomptepas,
maisçafaitdubien!
Siquelqu’uns’étaitavisédeluiposerlaquestion,Elizaauraitréponduqu’ellen’étaitvraiment
pas amoureuse de Ryan Perry. Mais vraiment pas du tout. Ils avaient tous deux leurs raisons pour
souhaiterqueleurrelation,sionpouvaitappelerçacommeça,restesecrète.
AprèsqueJeremyluieutposéunlapinlesoirdutournoidetennis,etqu’elleeutdécouvertque
MarasavaitpourelleetRyan–etqueçaluiétaitvisiblementégal–,Elizatrouvanaturelderemettre
ça.Illuiavaitoffertdesfleurs,nomdeDieu!Cesoir-là,ilsserendirentdoncdanslademeuredes
Perryet,sansbiencomprendrecomment,seretrouvèrentnusdanslesbrasl’undel’autre.C’étaitla
troisièmefoisdel’année.N’était-cepasentraindedevenirunehabitude?
Le lendemain matin, Eliza s’était esquivée discrètement, en prenant soin de ne pas emprunter
l’escalier de service menant à l’arrière de la maison, fréquemment utilisé par le groupe des babysitters.SugaravaiteubeauaffirmerqueMarasavait,Elizaétaitterroriséeàl’idéedelacroiser.Elle
nepouvaitsedébarrasserdel’impressionquefricoteravecRyanétaitcommejoueraveclejoujoude
quelqu’und’autre.
Àprésent,dixjoursplustard,Elizacommençaitàs’habitueràl’idée.Ilss’étaientrevusplusieurs
fois, avaient passé des moments drôles et relaxants. L’autre soir, après que le rappeur 50 Cent eut
célébré le lancement de son nouvel album au Septième Cercle, Ryan avait fait un saut à la boîte à
l’heuredelafermetureetilsétaientalléschezelle,sousprétextederegarderunautreDVD.Or,Dieu
sait comment, ils avaient glissé vers quelque chose de plus intime. Deux jours plus tard il l’avait
appelée, le soir où elle ne travaillait pas, pour lui proposer de venir voir Le Parrain III. Elle n’en
mourait pas d’envie (si Sofia Coppola était devenue une grande réalisatrice, elle n’avait jamais été
unebonneactrice,estimaitEliza),maiss’étaittoutdemêmeretrouvéedanslesbrasdugarçon.Eliza
décidaquesortiravecRyan,c’étaitcommemangerdeboutdevantlefrigo:çanecomptaitpas,c’était
duzérocalorie!
Àpartquesesparentssemontraienttrèsirritants,traitantRyancommesonpetitami–cequ’il
n’étaitcertainementpas.Unsoir,Ryanétaitpasséchezeux.Elizaetluis’étaientfaitréchaufferune
pizzaaumicro-ondesetavaienttraînéauborddelapiscine,aulieudeserendreàunefêteàlaquelle
ils avaient prévu d’assister au Club PlayStation2. Quand les parents d’Eliza étaient rentrés, plus tôt
que prévu, d’une soirée de bienfaisance, ils avaient fait tout un plat de la présence de Ryan. Certes,
c’étaitunvieilamidelafamilleettoutletralala,maisquandmême...Samèreleuravaitadresséun
clin d’œil et, le lendemain matin, son père avait dit à Ryan qu’il pouvait leur rendre visite aussi
souventqu’illedésirait.Intéressant:sitôtaprèsledîneravecJeremy,sonpèreavaitditqu’ilvalait
mieuxcesserd’inviterdesgens,carlamaisonn’étaitpasàeux.ElizaenconcluaitqueRyanavaitle
genrequiconvenait,etpasJeremy–dumoins,selonlescritèresdesesparents.
NonqueJeremyeûtjamaischerchéàlarevoir.Ellen’avaitpluseudesesnouvellesdepuisle
jourdutournoi.Biensûr,ellen’encontinuaitpasmoinsàconsulterfrénétiquementsesmessages.
– Tu appelles qui ? demanda Ryan, fourrant dans sa bouche une poignée de pop-corn et
répandantdesmiettespartoutsurletapis.
Ilétaitvenulachercherauboulotcesoir-là,etilsétaientlà,àregarderlatéléd’unœil.
–Jeconsultemesmessages,répondit-elle.
Ryanhochalatête.Àl’écran,uneactricecélèbreracontaitàOprahWinfreysadernièrerelation
amoureusedésastreuse.
Leproblème,c’estqu’ElizaaimaitbiencesmomentspassésavecRyan.Elleaimaitqu’ilvienne
la chercher au boulot : tout le monde le connaissait ou avait entendu parler de lui, et toutes les
serveuses le trouvaient super-mignon. Elle aimait bien n’avoir à se soucier de rien. Même sa
mauvaiseconscienceàl’égarddeMaras’atténuaitaufildesjours.SugarluiavaitditqueMarasavait
etqueçaluiétaitégal.Elizanefaisaitdoncriendemal.SortiravecRyanluirappelaitsonancienne
vieàNewYork,etl’époqueoùellepouvaitembrasserquiellevoulait,parcequec’étaitsondroit!
Elleabandonnasamessagerieetlevalesyeuxversl’écran.
–Eh,cen’estpasSugar?demanda-t-elle.
C’étaituneémissiondetélé-réalitédelachaîneE!.Ilsétaiententraindediffuserlematchde
tennis.
Ryangrommelaquelquechose.Ils’apprêtaitàchangerdechaînequandquelquechoseattirason
regard.Elizalevitaussi.Mara,dansuncoindel’écran,fixaitsurquelquechose,ousurquelqu’un,un
regardpleindelangueur.Lacamérasedéplaçaalorspoursuivresonregard:danslestribunesétait
assisRyan,totalementconcentrésurlematch.
Mincealors!
Lesmeilleureschoses
necoûtentrien
(maisellesontunefin)
–Nemedispasquecesontdesvrais?!hurlaMegan,sifortqueMara,occupéeàreleverses
cheveuxenqueue-de-cheval,faillitenavoirlestympanspercés.Ilssontgroscommedesglaçons!
Lejourdudéfilédemodeàbutcaritatif,Maraavaitreçulavisitededeuxpersonnes:sasœur
Megan–quitraînaituneénormevaliseenpiteuxétatetunetroussedemaquillagedeseptkilos–,et
un messager en uniforme marron venu livrer un petit sac noir. Dans le sac se trouvait un écrin en
velours. Il contenait une paire de boucles d’oreilles serties de diamants dix carats d’une valeur de
deuxcentcinquantemilledollars,prêtéesparl’undesnouveauxclientsdeMitzi.
Àprésent,lesdeuxsœursserendaientaurestaurantJean-LucEast,oùMaraétaitenbonstermes
aveclepatron.
– Nicole Kidman les a portées à la cérémonie des Oscars, répondit Mara. Je suis censée les
mettrecesoir.
Après qu’on les eut conduites à l’une des meilleures tables, sa sœur l’informa des dernières
nouvellesdeSturbridge:lesproblèmesrencontrésparleurpèresursonchantier,letravaildeleur
mèreàlabraderiedelaparoisse,maisMaratrouvaittoutcelatellementprovincial,tellementringard
qu’ellesesurprit,malgréelle,àpenseràautrechose.
–Etlereprésentantenproduitscapillairesestcraquant!glapitMegan,cequiéveillal’attention
deMara.
Chaque semaine, le salon de coiffure recevait de nouveaux produits et le représentant de la
marque,unIrlandaisdunomdeBobbyO’Donnell,étaitlederniermecsurquisasœuravaitflashé.
Mara regarda sa sœur de derrière les verres surdimensionnés de ses lunettes Chanel : plus
grande qu’elle, Megan avait les cheveux roux et bouclés et un sourire exubérant rappelant celui de
Julia Roberts. Elle était absolument ravissante, vive comme tout, et amoureuse d’un type qui, pour
gagnersavie,livraitdesbouteillesdeshampooingetd’après-shampooing.Qu’est-cequiclochait?
–TuméritesmieuxqueceBobbyO’Donnell,ditMara,coupantcourtàlaconversationsurle
représentantenproduitscapillaires.
ElleavaitoubliéàquelpointlavieétaitennuyeuseàSturbridge.Enavait-iltoujoursétéainsi?
Aprèsledéjeuner,Marasortitquelquesbilletsdebanquedesonsacàmainetleslaissasurla
table,obligeantMeganàrangersacartedecrédit.
–J’aiétépayéeaujourd’hui,expliqua-t-elleentapotantuneenveloppedepapierkraftbourréeà
craquer.
Ellesconsacrèrentlerestedelajournéeàécumerlesboutiquesd’EastHampton,etretournèrent
chezlesPerryafindeseprépareravantd’alleraudéfilé.Maraseregardadanslemiroir.Elleportait
unerobeDiorévanescente,ornéedeperlescousuesmain,etàl’ourletbrodédeplumes.Lecélèbre
maquilleurScottBarnes,quicomptaitparmilesclientsdeMitzi,étaitpassélamaquiller.Illuiavait
appliqué,enlescollantunàun,desfauxcilsenfourrurederenard,commeilfaisaitpourJennifer
Lopez. Edward Tricomi, qui coiffait le Tout-Hollywood, était venu en personne lui couper et lui
coifferlescheveuxpourlasoirée.Pourcouronnerletout,ellearboraitàchaqueoreilleundiamant
dixcaratsdelaplusbelleeau.
Megansortitdelasalledebains.
–Pasvraiqu’elleestterrible?demanda-t-elle.Jel’aidégotéechezLoehmann’s!
Elleétaitvêtued’unemini-robesixtiesMarcJacobsàgrosboutonsenplastique,etdecuissardes
blanches.Unlooktrèsenvogue...deuxsaisonsplustôt.
– Tu ne veux pas plutôt m’emprunter quelque chose ? suggéra Mara en désignant les portants
chargésduderniercrienmatièredevêtements.Jet’assure,çanemedérangepasdutout.
–Turigoles?J’aiachetéçaexprèspourcesoir!
Mara poussa un grognement. Cette tenue était manifestement passée de mode, ce qui n’était
certes pas l’idéal pour se rendre à un défilé. Mara comprit que ça n’allait pas coller et, pour la
premièrefoisdesavie,eutvaguementhontedesasœur.
Cen’estpas
parcequ’ellessontbelles
qu’ilfautêtrejalouses!
Danslescoulissesdudéfilé,l’assistantducouturier,unnomméOctavianquipréféraitsefaire
appelerMissO,rassemblalesmannequinsautourdelui.
–Écoutez-moi,lesamis!s’écria-t-il.Vouslesgarçons,vousjouezpaslesmachos.Etvousles
filles,vousêtesdesminettesenvacances!Etsurtout,soyezsexy!Pigé?Allons-y!
Jacqui portait sa première tenue, une combinaison-string archi-légère et un jean évasé taille
(très)basse.Lacombinaisonlaissaitsondosàmoitiédénudé,àl’exceptiond’unefinelignedetissu
coincéedanslaceinturedujean.
Elle avait bien failli louper le défilé et regrettait déjà que cela n’ait pas été le cas. Lorsque
Philippeetelleavaientacceptédejouerlesmannequins,ilsnes’étaientpasimaginéunesecondeque
çaallaitleurprendrelajournée.Heureusement,Annaavaitinsistépourquelesgaminspassentlanuit
aucampdevacancesdelaCabbale.Elletenaitabsolumentàcequ’ilsdeviennentamisavecLourdeset
Roccoquiétaientcenséss’ytrouvereuxaussi.
Pendantledéfilé,Jacquin’enrevenaitpasdelafaçondontlesmannequinsétaienttraités.Tous
lesstylistesetleshabilleusesleurparlaienttrèslentement,commeàdesenfants,ouàdeshandicapés
mentaux,ouàdesenfantshandicapésmentaux.Chaquemannequinétaitflanquéd’uneescortedetrois
personnes,pasmoins,pourlesaideràpasserdesmainsdesmaquilleursauxmainsdescoiffeurs,puis
desmainsdescoiffeursàcellesdeshabilleuses.
Octavianseprécipitaverselle.
–Jacqui!Jetecherchais.Reinaldoaeuunenouvellevisionpourlefinal.
Illaconduisitàl’espacecoiffure,oùd’audacieuxvisagistestransformaientlacrinièredesfilles
en nids de rats défiant les lois de la gravité, tandis que le créateur en chef, Reinaldo, donnait son
approbationàceschignonsentoutgenre.
–Jepensaisdonc,ditReinaldoencaressantlescheveuxnoirsetsoyeuxdeJacqui,àunecoupeà
laSineadO’Connor,avecunpetitcôtéGoodCharlotte.
–Génialissime!approuvaMissO.
Assisesursachaise,Jacquilesfixaitd’unairdubitatif.
Lecoiffeur-visagistetenaitunrasoir.
–Machérie,qu’est-cequetudiraisd’unecoupe«iroquois»?demanda-t-il.
–Vousplaisantez?réponditJacqui,levantlesmainspourseprotégerlatête.
Seslongscheveuxsombresetbrillants!
–Onnepeutpasfaireautrement!décrétaReinaldod’unevoixsoudaintrèsassurée.Lemariage
dupunketdurock.Durétroetdelavieilleécole...Tuasvucefilm...?dit-ilenclaquantdesdoigts,
lessourcilsfroncés,LaGuerredesétoiles,l’Attaquedesclones?
– Plutôt un faux iroquois, non ? Hérissé mais désordonné, précisa Octavian. Richard Avedon
rencontreHelmutNewtondansunefantaisiedeBazLuhrmann.
–Géant!
Sans laisser à Jacqui le temps de protester, il commença de lui raser un côté du crâne. C’était
douloureux. Quelques minutes plus tard, on balayait sur le sol les cheveux de Jacqui et elle se
regardaitdanslemiroiravecstupéfaction.
Elle n’avait jamais douté de sa beauté... mais à présent ? Elle leva la main, qui glissa sur son
crânecommel’eausurledosd’uncanard.
–Perfecto!Magnifique!s’extasiaitOctavian.
Detoutesavie,Jacquines’étaitjamaissentieaussilaide.
C’estcequ’on
appellelescélébrités
dedeuxièmezone,bébé
Le club de polo de Bridgehampton avait, pour le défilé de mode, dressé une immense tente
blancheaumilieuduterraindepolo.Unerangéedetablesblanchesinstalléeàl’entréeaccueillitMara
etMegan.Plusieursinvitésarpentaientleslieuxuncocktailàlamain,leurstalonss’enfonçantdansle
solàchaquepas.MararepéraEliza,derrièrelatoutepremièretable.Ellebousculalesgenspoury
parvenir,marmonnantdebrefs«pardon»tandisqueMegan,qu’elleentraînaitavecelle,serépandait
en excuses chaque fois qu’elles passaient devant quelqu’un. Alan et Kartik avaient « prêté » Eliza à
Mitzipourl’aideràdirigerlesopérations,carlamoitiédupersonneldeMitziavaitfaituneréaction
allergiqueàlanouvellecrèmepourlevisaged’undesesclients.Selontouteapparence,lesextraits
pursd’algueneréussissaientpasàtoutlemonde.
–Tuessûrequ’onpeutfaireça?demandaMegan.
– Pardon pardon pardon... vous pourriez nous laisser passer, s’il vous plaît ? lançait Mara en
fonçanttêtebaissée,sansmêmeattendreuneréponse.
Plusieursdamesdistinguéesleurjetèrentdesregardsagacés,queMaraignora.
–Liza!s’écria-t-elle.
Eliza, coiffée de son sempiternel casque et vêtue d’une jolie robe noir et blanc Temperley
achetéeavecl’argentdutournoi,leurfitsignedelarejoindre.
–Tuvois,qu’est-cequejetedisais...c’estuneamieàmoi,ditMara,ensegardantdepréciser
qu’Elizafaisaitpartie,l’annéedernière,dugroupedesfillesaupair.
MaraetElizasefirentlabise,sefrôlantàpeine.Leursrelationsavaientchangé,bienqu’ellesne
fussentpasfranchementfâchées.
–Eliza,voicimasœurMegan.
– Oh, salut ! fit Eliza avec un grand sourire. Waouh ! C’est fou ce que vous vous ressemblez
touteslesdeux!
–Tutrouves?rétorquaMara,nesachantsielledevaitleprendrepouruncompliment.
ÀforcedetraîneravecSugaretPoppy,ellefinissaitparcroirequetoutlemondeétaitironique.
– Tu es superbe ! dit Eliza, complimentant Megan, au grand soulagement de Mara. (Eliza
consultasalisteetfronçalessourcils.)Jen’aipaslenomdeMeganici,chuchota-t-elleàMara.
–Ahbon?demandaMara.
Elle avait eu l’intention de demander à Mitzi une place pour sa sœur. Or, ça lui était
complètementsortidelatête.
Elizajetaunnouveaucoupd’œilàlaliste.Plusieursdescélébritésattenduesn’étaientpasencore
arrivées,etilétaittrèsprobablequ’ellesneviendraientpasdutout.
–Suivez-moi,dit-elle,enécartantlerabatdelatente.
Les sœurs Waters suivirent Eliza à l’intérieur. Une longue allée au sol recouvert de plastique
avaitétéaménagéesurtoutelalongueurdelatente.Departetd’autre,deschaisespliantesblanches
formaientd’impeccablesrangées.Surchaquechaise,onavaitdisposéunpetitsacnoircontenantde
multiplesproduitsdebeauté,ainsiquedesmagazinesdemode.Or,lessacsdupremierrangétaient
nettementplusgrandsquelesautres.
–Latienneestici,ditEliza,lorsqu’elletrouvalachaiseaunomdeMara.
Elledécollal’étiquette,portantlenomd’unecélébrité,surlachaised’àcôté.
–Ettoi,Megan,mets-toilà!
–Merci,lançaMaraduboutdeslèvres.
Meganselaissatombersursachaise,fascinéeparl’agitationenvironnante.Auboutdel’allée,
lesphotographesinstallaientlesappareilsetleurstrépieds,etungroupeagitédepaparazzisprenait
desclichésdescélébritésoccupantlepremierrang.Ilyavaitdecélèbresrédactricesdemodecachées
derrièreleurslunettesgriffées;plusieursjeunesfemmes,blondespourlaplupart,portantdespulls
en cachemire aux coloris pastel autour du cou ; et un petit nombre d’actrices célèbres, assises aux
meilleuresplaces.Desémillants«journalistes»représentanttoutesleschaînesettouteslesémissions
traitantdelaviedesstarsinterviewaientleshabituéesdesdéfilés,lesfillesdelahauteetlesactrices
connues.
Mara croisa les jambes et orienta son visage pour pouvoir être prise sous le meilleur angle,
sachantqu’ilsn’allaientpastarderàvenirprendresaphoto.Elleprétenditnepasremarquerquesa
sœurétaitdéjàentraindefarfouillerdanslesac-surprise,etdes’exclamersurlestrésorsqu’elley
découvrait.
–Regarde,Mara!DubaumeàlèvresKiehlgratuit!s’exclamaMegand’unevoixtoutexcitée.
Marahochalatêteavecunsourire.
–Iln’yapasmieux,approuva-t-elle.
ElleneprécisapasquelacompagniedeMitziluiavaitenvoyé,l’autrejour,uncartonremplide
produits de la même marque. Mara sourit à une petite femme aux cheveux frisés, le nez chaussé
d’énormeslunettesdesoleil,quiétaitassiseàcôtédeMegan.
–OhmonDieu!J’adorevotresérie!Jem’identifietotalementàCarrieBradshaw!ditMegan,
tournéeverselle.
–Merci,réponditdiscrètementlastar.
–Jepourraisavoirunautographe?demandaMegan.
Mara faillit mourir de honte. Sarah Jessica Parker eut beau s’exécuter gentiment, Mara était
affreusementgênée.Lescélébritésnevenaientcertainementpasauxdéfiléspourêtreimportunéespar
desfans.Pourcouronnerletout,unefoisquelesphotographeseurentmitrailléJessicaSimpsonet
SarahJessica,pasunnes’arrêtapourprendreunephotodeMaraWaters.
Contrairementàcequ’elleavaitcommencéàcroire,ellen’étaitpassicélèbrequeça,aprèstout.
L’ambiance
devienttrèschaude
Jacquis’efforçad’éviterlesmiroirsquisetrouvaientpartoutdanslescoulisses.Sescheveux!
Ses splendides, ses épais cheveux noirs ! Disparus ! Remplacés par une coupe branchée, un faux
iroquois,avaitditlevisagiste.End’autrestermes,uniroquoisinabouti,quineressemblaitàrien.Les
cheveux,pluslongsaumilieu,avaientététravaillésdefaçonàformerunepointealorsquelescôtés
du crâne étaient coupés en brosse. Elle passa les doigts là où les cheveux étaient le plus court,
frissonnantaucontactdesanuquerasée.Onauraitditcelled’ungarçon.Maisiln’étaitplustempsde
selamenter,caronéteignaitlalumièreetOctavian,àl’entréedelapiste,hurlaauxmannequinsdese
mettreenligne.
Jacquis’efforçadetrouversaplace,lesyeuxhumidesdelarmescontenues.Commentaffronter
lafouleavecunecoupeaussiridicule?Elleentrepritderajustersacombinaison-machin-chose–ne
l’aurait-elle pas mise à l’envers, par hasard ? –, commença par retirer les bretelles, et le vêtement
restaàpendreautourdesataille.
–Jacqui?
Ellefitvolte-face,lesseinsàl’air.
–Oui?
–Oh!Salut!Oh!
KitAshleighsetenaitàl’entréedel’espaced’habillage,rougecommeunetomate.Iltenaitun
énormebouquetdefleurs.
–OhmonDieu!Jesuisdésolé!
Jacquiserralesbrassursontorsepourcachersapoitrine.
–Kit!
–Jesuisdésoléd’êtreenretard.Cesfleurs...ellessontpourtoi,dit-il,lesluitendantenprenant
soind’éviterdelaregarder.
–Ellessontmagnifiques!Obrigado.
Une habilleuse vint remonter les bretelles de sa combinaison, même si cela ne changeait pas
grand-chose.Jacquiétaittoujourstrèsdénudée.
Kitsursauta.Ilvenaitderemarquersescheveux.
–Tescheveux?
–Commenttutrouves?ditJacqui,entripotantnerveusementlespointes.C’estmoche,non?
–Tues...,bredouillaKit,lesyeuxbrillantsd’admiration.Tuesàtomberparterre!
–Tuessincère?
Jacquisouritetécarquilladesyeuxpleinsd’espoir.
C’estalorsquel’undesassistantsremarquaKit.
–Pasdepetitscopainsici!gronda-t-ilenluiindiquantlasortie.
–Jenesuispasson...
LevisagedeKits’empourpraànouveau.
–Tuesmagnifique,dit-ilàJacqui.Bonnechance!
–Salut!Merci!s’écria-t-elle,pendantquel’habilleuses’assuraitquesonstringétaitbiendroit.
Àcemoment-là,unesilhouettebronzéeetsculpturaleapparutdanssonchampdevision.Entre
deuxchangementsdetenue,Philippeexhibaitsoncorpsnu,soupleethâléàforcedejouerautennis.Il
faisait des tractions sur un portant et n’avait pas l’air de craindre que tout le monde puisse le voir,
lorsqueJacquisurpritsonregard.
Illagratifiad’unsourireprédateur.
–Joliecoupe!lança-t-il.
Ilyavaitunequantitédetrèsbellesfillesdanslescoulissesdudéfilé,mais,pourunefois,illui
consacrait toute son attention. Dans la salle, les lumières se tamisèrent, et Reinaldo les exhorta à
penser«ausexe,lesenfants,ausexe!».
AprèsavoirvuPhilippenu,cenedevaitpasêtretropdifficile.
Iln’yapasquedans
lesjardinsd’enfantsqu’on
joueauxchaisesmusicales
UndéfilédemodeétaitbienledernierendroitoùElizaauraitpensécroiserJeremy.N’empêche
qu’ilétaitlà.Elleaidaitàclasserleschèquesdesdonateursetàlesmettreenregarddesnomscochés
surlalistedesinvités,lorsqu’ilétaitapparuàl’entrée,encompagniedeCarolynFlynn.Tousdeux
étaient serrés l’un contre l’autre au second rang – le rang des sponsors, puisque la banque qui les
employait avait presque entièrement financé l’événement – en train de siroter du champagne et de
jeterdesregardsdéconcertéssurtoutcequilesentourait.
Elizalesobservait,sedemandants’ilsformaientuncouple,lorsqueRyanentraetallaprendre
place à côté de ses sœurs. Eliza eut un petit serrement au cœur. Et puis après tout... si Jeremy ne
l’aimaitplus,illuirestaitRyan,quiétaitunsupercopain,petitcopainouDieusaitquoi...Illuiadressa
ungestediscretdelamain,accompagnéd’unclind’œil.
Elizaluifitsigneàsontour,tandisquel’abordaitunefemmedefortecorpulence,dontlevisage
luiétaitvaguementfamilier.
–C’estvouslaresponsabledel’accueil?demandalafemme.
Elleétaitvêtued’unechemisepolodéfraîchieetd’unpantalonample,ettenaituntalkie-walkie.
–Euh...oui...sivousvoulez,bredouillaEliza.Enquoipuis-jevousaider?
–Macliente,ChaunceyRaven,vaarriverd’unesecondeàl’autre,ditlafemme.
Eliza se rappela alors où elle avait vu la femme. C’était la pontifiante agente qui, au début de
l’été,avaitpriéElizadenepaslaisserentrerOndineSylvesterdanslasalleVIP.
– C’est formidable. Nous sommes de grands fans de Chauncey ! répliqua Eliza, lui servant la
répliquequ’elleréservaitàtouslesagentsdestars.
–Ehbien...tantmieux...maisj’aibesoindesavoiroùelleseraplacée.Lesfilles,là-bas,m’ontdit
quetoutesleschaisesdupremierrangétaientprises.
–Oh!s’exclamaEliza.
Merde.Ledéfiléallaitdébuterdanscinqminutes!
LavoixgrinçantedeMitzibrailladanssoncasque.
–Eliza!Monchou!Ondéclenchelepland’urgence!ChaunceyRavenn’apasdeplace!
L’agentebaraquéefusillaitElizaduregard.
Celle-cinesavaitpasquoifaire.L’ordredeMitzi(«Arrange-moiça!»)neluiindiquaitenrien
lamarcheàsuivre.Commentfaire?Prierl’undesoccupantsdupremierrangdesemettreausecond
rang?Elleparcourutdesyeuxlasalleàprésentremplied’invités,ets’arrêtasurMaraetMegan.Sans
doute comprendraient-elles à quel point il importait d’installer Chauncey au premier rang. Eliza
parcourutlepassagerecouvertdeplastiquedansuncliquetisdetalonsetallatrouverlesdeuxsœurs.
–Mara,jepeuxteparleruneseconde?demandaElizaenluitirantlebras.
–Quesepasse-t-il?Ilyaquelquechosequinevapas?rétorquaMara.
–ChaunceyRavenvaassisteraudéfilé.
–Oh,super!
Mara avait tellement traîné avec Chauncey, au Septième Cercle, qu’elle la considérait comme
uneamie.
– Mais il n’y a plus de place au premier rang. Je suis vraiment, vraiment désolée. Ça vous
dérangerait,tasœurettoi,devousdéplacerausecondrang?Jepeuxvousmettrejustelà-bas,àcôté
dessœursPerry.
Maraseraidit.
– Mais pourquoi ? demanda-t-elle en voyant les sœurs Perry échanger des messes basses, de
l’autrecôtédupodium.
Sugar et Poppy ricanaient en jetant des coups d’œil à Megan et Mara rougit à la pensée des
commentairesquedevaitleurinspirerlatenuedesasœur.Elleavaitdumalàcroirequ’Elizaveuille
les faire bouger. Mara avait passé suffisamment de temps dans les Hamptons pour savoir qu’il n’y
avaitriendeplushumiliantqued’êtreforcéd’abandonnersaplace.
L’agentedeChaunceyRavensaisitElizaparlebras,etluimurmura.
–Chaunceyestentrée!Ellevaarriver!
–Jesuisvraimentdésoléededevoirvousdemanderça,insistaEliza,tournantledosàMara,et
suppliantMegand’ungestedesmains.Maisonaunepersonnalitétrès,trèsimportantequiarriveet
quiavaitoubliédeconfirmersaprésence.Onavraimentbesoindevosdeuxplacesaupremierrang.
Jesuisvraimentdésolée,Megan.
–Pasdeproblème!réponditMeganavecungrandsourire.C’estqui,lastarenquestion?
–Vraiment,Meg,tunedevraispastelever!s’obstinaMara,alorsqu’ElizaaidaitdéjàMeganà
libérersachaise.
– C’est Chauncey Raven. Merci, merci, merci ! dit Eliza en tendant ses affaires à Megan et en
l’installantausecondrang.Oh...saufqu’ilfautquetulaisseslesac-surprise.
Le visage de Megan se décomposa. Elle remarqua que les sacs du deuxième rang étaient
nettementpluspetits.
–C’estbon.Garde-le!ditEliza.
Chaunceyarrivaavecquinzebonnesminutesderetard,traînantdanssonsillagesonmari,Daryl
Wolf.Commeiln’yavaitqu’uneplacepourdeux,Chaunceyseperchaillicosurlesgenouxdeson
époux.
La salle fut plongée dans le noir et, soudain, une ligne de basse assourdissante s’échappa des
haut-parleurs, et la voix sensuelle d’une chanteuse se mit à roucouler en cadence. Les lumières se
rallumèrentetlesmannequinscommencèrentàtrottinersurlepodium,aurythmedutubeélectro-hiphopFuckthePainAway.
L’assistances’échauffasousl’effetdesparolesoséesetdestenuesarchi-révélatrices.Jacquifit
son entrée dans sa combinaison-string et avec son faux iroquois, et l’atmosphère devint électrique.
Toutcelaétaitsimauvais...etpourtantsidélicieux.Pasuneseuletenuen’étaitportable.Pasunseul
vêtementquieûtunquelconquerapportavecl’existencedesfemmesdel’assistance.Maiscelan’avait
aucuneimportance.Lacollectionétaitunhommageexubérantausexeetàlabeauté,etrecueillerait
unconcertdelouangesdanslesjournaux.Lorsqu’ellesfiniraientparatterrirdanslesboutiques,les
jupestransparentesseraientdoublées,lesminijupesramenéesàunelongueurplusconvenable.Quant
auxcombinaisons-strings,lemodèle,àvraidire,n’avaitétécrééquepourledéfilé.
Eliza glissa deux doigts dans sa bouche et siffla. Puis elle jeta un coup d’œil vers le premier
rang,maisellenevitpasMara,justeChaunceyRavenqui,assiseenbiaissurlesgenouxdesonmari,
devaitluibloquerlavuedudéfilé.
Ehbien,çaluiapprendraitàsecomportercommeunegarce!
Lesliensdusangrésistent
àtout...saufàlasalleVIP
AprèsquelepubliceutacclaméReinaldo,àlafindudéfilé,tousseruèrentsurlebuffet,quise
tenait dans le parc du Country Club. Garrett était arrivé à la toute fin et, jaugeant Megan d’un seul
coup d’œil, avait entrepris de l’ignorer totalement. Mara avait demandé à Megan de tenir son sacsurprise,letempsqu’elleaillesaluersesamis.
LorsquelesvraiescélébritésfurentrepartiesetqueGarretteutreparuàsescôtés,lespaparazzis
finirent par s’apercevoir de sa présence. Elle remarqua que Megan paraissait mal à l’aise, mais il
fallaitbienqu’elleailledirebonjouràtouscesgens–deséchotiers,desrédacteursdemagazines,et
divers spécialistes en relations publiques qui lui avaient fait porter, cet été, des créations de leurs
clients.
– Ma chérie ! s’exclama Mara d’une voix stridente, en saluant une fille un peu trop grasse
boudinéedansunerobeàimpriméLiberty.(CommeMitzi,elleavaitprisl’habituded’appelertoutle
monde«chéri».)Tuessuperbe!
Àpeinelafilleeût-elletournéledosqu’ellemurmura,àl’adressedeGarrett,deMeganetde
tousceuxquipouvaientl’entendre:
–Sitantestqu’onpuisseêtresuperbe,habilléeavecunetoilecirée!
Garrett éclata de rire, et les sœurs Perry les rejoignirent aussitôt pour profiter de leur bonne
humeur.
–Oh,waouh!lançaSugar.J’adoraiscetterobe!
–C’estvrai?ditMegan.Merci.
– Ouais, l’année dernière, ricana son interlocutrice. La mienne, je l’ai donnée à l’Armée du
Salut.
Mara fit celle qui n’avait rien entendu. Elle avait bien dit à Megan de lui emprunter quelque
chose,justementpouréviterça.
Meganseretirapoliment,l’airblessée,sousprétextedesedirigerverslebuffet.MaraetSugar
partagèrentunecigarette.
–MonDieu!Quelleidéedemangerdansunendroitpareil!s’exclamaSugar.
Marahaussalesépaules.
–OnvaauDragonbar,maintenant?demanda-t-elle,faisantallusionàlavraiesoiréed’after,à
laquelleseulsleshappyfewavaientétéinvités.
Plusieurs de leurs amis communs, parmi lesquels l’héritière de grands laboratoires
pharmaceutiques,sejoignirentàleurgroupe.
–Eh,Mimi,cen’estpastasœur,là-bas?demandal’héritièreendésignantMegan,quis’efforçait
denepasrenverserdeuxmini-assiettesrempliesdechampignonsfarcisetdepincesdecrabe.
–Euh...enfin...non,pasvraiment,réponditMara,embarrassée.
SiMegann’entenditpas,quelqu’und’autreentendit.Lorsqu’ellelevalesyeux,MaravitRyan.Il
laregardaitensecouantlatête.
–SalutRyan,crâna-t-elleenluisoufflantsafuméeauvisage.
–J’auraisjamaiscruçapossible,dit-il.
–Pardon?
– Tu es devenue... l’une d’entre elles, répliqua-t-il, faisant un geste vers la foule environnante.
Messœurssontdéjàpasmaldanslegenre,maistoi...Etmoiquitecroyaisdifférente!
–Qu’est-cequeçasignifie?demandaMara.
MaisRyanluiavaittournéledos,ets’éloignaitdéjà.
Mara jeta un coup d’œil alentour, espérant que quelqu’un aurait assisté à leur conversation, et
pourraitconfirmerqueRyandépassaitlesbornes.Maisiln’yavaitpersonnedanslesparages,hormis
unserveurquineparaissaitpasvraimentcontentd’êtrelà.ElleallaserasseoiràcôtédeGarrettet
regardaRyandirebonjouràEliza.Meganlarejoignit,tenanttoujoursuneassietteremplied’amusegueules.
–Mara,jesuisvannée.Jecroisquejevaisrentrertôt,dit-elle,l’airdécouragé.Etjepensequeje
reprendrailepremierbuspourSturbridgedemainmatin.
MaraétaittoujourssouslechocdesmotsdeRyan.«Tuesdevenuel’uned’entreelles.»Quiça,
elles?Meganluiparlait,maisMaraneprêtaitpasattentionàsesparoles.
–Euh...OK...trèsbien,répliqua-t-elled’untondistrait.
–Mara,tum’entendsouquoi?Jem’envais!insistaMegan.
MaisMarasecontentadeplongerlamaindanssonsacetd’ensortirsaclé.
–Laclécoinceunpeu,parfois,danslaserrureduhaut.Ilfautdonnerdeuxtours,dit-elle.
Meganhochalatête,lagorgenouée.
–Ehbien...parfait...Onsevoitàlafindel’été,alors,quandturentrerasàlamaison.
–Ouais,répliquaMara.
Elleselevaetétreignitmollementsasœur.L’uned’entreelles?Quiça,elles?SugaretPoppy?
Etalors?C’étaientsessœurs,aprèstout.Ellelesregarda,puisseregarda.D’accord,ellesportaient
toutes les mêmes sandales en cuir métallisé et les mêmes mini-robes asymétriques, mais ça ne
signifiaitpasqu’elleétaitcommeelles.Lesapparencessontparfoistrompeuses, songea Mara. Ryan
étaitmieuxplacéquepersonnepourlesavoir.
–Tasœurestpartie?demandaGarrettensepenchantversMara.
–Ouais.Elleétaittrèsfatiguée.
–Tantmieux,ditGarrettenluifrottantledos.
Marafittomberlacendredesacigarettedansunverreàvinvide,carlecendrierétaittroploin.
ElleaperçutElizaetRyan,retranchésdansuncoin,avecdesamisdeRyan.Ilsétaientassissiprèsl’un
del’autre,siprochesqueleurscuissessetouchaient,etElizaécartaitdesmèchesduvisagedeRyan.
N’importequilesauraitprispouruncouple.
Etpourtant,lesapparencessontparfoistrompeuses,serépétaMara.
Elleslesontparfois,maisçanesignifiepasqu’elleslesonttoujours.
Jevaistecasser
tasalegueuledeFrançais!
Lorsqu’ellearrivaauDragonbar,ElizatombasurKit,entraindesiroterundoublewhisky.
–Eh,monchou,qu’est-cequivapas?
KitluidésignaJacqui,quis’étaitinstalléedansuncoin,avecungroupedesublimescréatures.
Sitouslesinvitésétaientvêtusdefaçontrèsvoyante,lesvéritablesbeautés–dontJacquifaisait
partie–seprélassaient,quantàelles,ensweat-shirtsetentennis.Jacquiétaitassisesurlesgenouxde
Philippe.
–Allez,jet’enpaieunautre,ditEliza.Unwhisky,c’estça?
Kithochalatête,agitantlesglaçonsdanssonverredésormaisvide.
Philippevintverseux.AdressaàElizaunpetitsignedetête.
–Salut.Ons’estdéjàrencontrés,non?demanda-t-ild’untonaguicheur.
–Oui,réponditEliza,avecunsourire.
Philippe n’avait pas retiré son maquillage, ce qui lui donnait l’air assez crétin, vu de près. Il
appelalaserveuseetcommandauncosmopolitan.
–Philippe,voicimonamiKit.Kit,jeteprésentePhilippe.Iltravailleluiaussi,cetété,comme
baby-sitterchezlesPerry,expliquaEliza.
–Salut,ditKit,enregardantPhilippeavalerunegrandegorgéedesoncocktailpourfille.
Alors comme ça, ce mannequin avec de l’eye-liner plein les yeux aimait boire ce genre de
trucs...
–Tusorsaveccettefille?demandaKitendésignantJacqui.
Philippehaussalessourcils.
–Qu’est-cequeçapeuttefaire?rétorqua-t-il.
–Ehbien,c’estuneamieàmoi!ditKitens’efforçantdemaîtrisersavoixetsacolère.
–Ahoui?
–Ouais.Etsituluibriseslecœur,jecasseraitasalepetitegueuledeFrançais!menaça-t-il.
Ildonnauncoupdansleverreàcocktail,faisantgiclersoncontenusurletee-shirtd’andouille
dePhilippe,oùl’onpouvaitlire«LESMANNEQUINSCRAIGNENTUNMAX!».
–Merde!s’exclamaPhilippe.
Ilsedétourna,sansrépondreàl’insulte.Toutens’éloignant,iltentaitd’essuyerlatacherose.
–Net’inquiètepas,bébé,ditJacquiquandilserassit.Jenevaispastarderàteleretirer,ceteeshirt.
Elizafait
deséquationssentimentales
Certes,ill’avaitprésentéeàsonmeilleuramideprépa,MattHooper,dontilluiavaitparléàune
oudeuxreprises.Ça,iln’avaitpasmanquédelefaire.
–EhMatt,jeteprésenteEliza,avait-ildit.
Elizaavaitsouri.Mattavaitrépliqué«Salut»ets’étaitassis.Pointfinal.Ilnel’avaitpasdétaillée
depiedencapetneluiavaitpasadressélehochementdetêtesubtilquisignifiait:«Alorscommeça,
t’eslapetitecopinedemonpote!»ElizaétaittoutsimplementEliza.Unefillequitraînaitenboîte
avecRyan.
Ilssortaientdésormaisensembledepuisplusd’unmoiset,mêmesiellenes’attendaitpasàce
queRyanlaprésentecommesapetiteamie...d’ailleurs,ellen’étaitpassapetiteamie!Lapremière
foisqu’ilss’étaientretrouvésdanslesbrasl’undel’autre,ilétaittoujours,àsesyeux,l’amoureuxde
Mara.MaisétantdonnéqueMaraétaitvisiblementlanouvellepetiteamiedeGarrett,celasignifiait-il
queRyanétait...sonpetitamiàelle?Elleserécitalalistedetoutcequ’ilfaisaitpourelle.Ilallaitla
chercheraprèsleboulotpourqu’ellen’aitpasàrentrerseuleenvoiture.Ill’appelaittouslessoirs.Il
n’avaitpasbesoindel’appelerpourlavoirleweek-end,puisqu’ilétaitclairqu’ilsseverraient.Illui
avaitmêmeoffertcecollieravantqu’ilsnequittentPalmBeach.Elizadéliraitpeut-être,maistoutcela
paraissaitfaired’ellelapetiteamiedeRyan.
Maissielleétaitsacopine,pourquoineledisait-ilpas?Pourquoinepaslepréciseràsesamis?
Etpourquoiaucund’euxneparaissaitserendrecomptequ’ellen’étaitpasunefilleàquiRyanavait
juste donné rendez-vous pour la soirée, ni juste une amie, mais la fille avec qui il rentrait tous
les soirs ? Soudain, Eliza cessa de se sentir mal à l’aise, et commença à se sentir de plus en plus...
vexée.
–Ryan,onpeutparlerdeuxminutes?demandaEliza.
–Biensûr,bébé,ditRyanavecunsourire.
–Jeveuxdire,justetouslesdeux?précisa-t-elle.
Ellel’entraînadansuncoindelaboîte.
–Àtonavis,qu’est-cequ’onestentraindefaire,touslesdeux?
–Onboitunverre,répondit-ilenhaussantlesépaules,sanscesserdeluisouriretendrement.
–Non,jeveuxdire...touslesdeux...tuvoiscequejeveuxdire.
–Oh.
L’espaced’uneseconde,ilparutdéconcerté.Puisilréalisaqu’Elizalefixaitattentivement.
–Ehbien,voilàcommentjevoisleschoses...
Ilremualessourcils,cherchantdetouteévidenceàdédramatiserlasituation.
–Toietmoi,c’estdel’amitié...
AhAh.
–...avecdesavantagesenplus.Tusaisbien...
Ilhaussalesépaules,esquissaunsourirecharmeur.
–Commentça,desavantages?Quellesorted’avantages?
Elle comprenait très bien ce qu’il voulait dire par là, mais était suffisamment furieuse pour
exigerdesexplicationssupplémentaires.
–Tusais...onestamis,maisonaimebien...sefairedescâlins,etcegenredetrucs,répondit-il
ensourianttoujours.Viens,jet’offreunautreverre.
Quanddiableallait-ilcesserdetraiterlasituationtellementàlalégère?
–Alorscommeça,c’esttoutcequejesuis?Unbonplan?Histoiredepasserletemps?lança
Eliza.
– Eliza, ne prends pas les choses comme ça ! dit Ryan, en la pressant contre lui pour la
réconforter.Allez,c’estpascequetucrois.Netemetspasencolère.Tusavaiscequ’onfaisait,non?
–Vatefairevoir,Ryan!
Elizaretenaitseslarmes.Ellen’étaitpasunefillefacileetpourtant,c’estexactementcequ’elle
avaitlesentimentd’être.
–Eliza...attends...Eliza!répétaitRyan.Allez...
Plusieurs têtes se tournèrent vers eux, assistant à ce qui était de toute évidence une querelle
d’amoureux. Si certains des amis de Ryan s’étaient imaginé qu’Eliza et lui n’étaient guère plus que
desamis,ilschangèrentsansdouted’avisenlavoyantluienvoyersoncocktailàlafigure.
L’amourestaveugle,
maisMaraportaitpeut-être
deslunettesdesoleil
– C’était quoi, ce cirque ? demanda Mara en désignant Ryan qui, lancé à la poursuite d’Eliza,
sortaitdelaboîte.
Elleavaitassistéàlatotalitédelascèneet,bienqu’ellen’eûtpudistinguerleursparoles,ilétait
clairqu’ElizaetRyansedisputaient.
Qu’ils se disputaient comme seules deux personnes qui s’étaient retrouvées nues dans les bras
l’unedel’autreétaientcapablesdesedisputer.
Sugarricana,lenezdanssonverre.
–Tun’espasaucourant?
ElleléchaleborddesonverreàcocktailetadressaàMaraunsourirecandide.Poppydonnaun
coupdecoudeàsasœur.
–ElizaetRyansontsortisensembleàPalmBeach.Et,àcequej’aientendudire,ilsontremisça
toutl’été.Lestroisquartsdesontemps,illespassechezelle,ditSugar,d’unevoixdénuéedetoute
émotion.
Eliza... et Ryan ? Ensemble ? Sa meilleure amie ! Et son petit ami ! OK, son ex-petit ami ! Et
d’accord,sonex-meilleureamie!Mais...Ryan!EtEliza!ÀPalmBeach!Ensemble!Etquiplusest,
pendanttoutl’été!Commentavait-ellepul’ignorer?
Comment Eliza avait-elle pu trahir le premier commandement de l’amitié : Tu ne sortiras pas
avec le futur petit copain, le petit copain ou l’ex-petit copain de ton amie. Et le second
commandement : Tu ne mentiras pas à ta meilleure amie. Mais Eliza avait passé son temps, l’été
dernier, à rôder dans les Hamptons en cachant à tous ses anciens amis qu’elle avait déménagé à
Buffaloetqu’elletravaillaitcommefilleaupair.Peut-êtreMaras’était-ellefaitdesillusionssurelle?
– Ma pauvre petite... on croyait que tu le savais, dit Sugar en posant une main sur l’épaule de
Mara.
–Çava?demandaPoppy,apparemmentsoucieuse.
ElletenditàMarauneservietteenpapier.
–Tunepleurespas,toutdemême?
Marasecoualatêteetseforçaàsourire.
–Çava,jet’assure.
Maisc’étaitloind’êtrelecas.
Pourquoiletéléphone
sonne-t-iltoujours
aumauvaismoment?
Lacléd’unechambredemotel.
C’est ce que Jacqui glissa dans la poche du jean de Philippe sans qu’il s’en aperçoive, au
Dragonbar.
–Jenousairéservéunechambre,expliqua-t-ellelorsqu’illatrouva.C’estàMontauk,pasloin
delaplage.
AudiableAnnaetsesultimatums!Lejeuenvalaitlachandelle.
Lemotelétaitunbâtimentdélabré,enfrontdemer,datantdesannées1950.Leschambresétaient
propresetilyavaitdelamoquette.Cen’étaitpasuncinq-étoiles,maiscen’étaitpasnonpluslemotel
de Psychose. Jacqui disparut dans la salle de bains. Ils étaient enfin seuls, et dans un lieu privé où
Annanerisquaitpasdelessurprendre.Jacquiseregardadanslemiroir–elleavaitencoredumalà
s’habituerauxcheveuxcourts–etenfilaunensembleculottesoutien-gorgeAgentProvocateuracheté
pourl’occasion.
Philippeétaitcouché,etdéjànusouslescouvertures,lorsqu’ellesortitdelasalledebains.Ileut
ungrandsourireenlavoyant.
–Ah,l’ensembleAgentProvocateur!s’exclama-t-ilsuruntondeconnaisseur.
Jacquines’attendaitpasàunetelleréaction.Pourelle,unvéritablecompliment,c’était:«Tues
superbedanscetterobe!»etnon«CetterobeestgrifféeChanel».Maispeut-êtrePhilippefaisait-il
unefixationsurlamodeparcequ’ilétaitfrançais?
Ellesoulevalescouverturesetseglissaàcôtédeluidanslelit.
–Ohlàlà!Tuaslespiedsgelés!s’exclama-t-illorsqu’ellevintsepressercontrelui.
– Désolée, dit-elle en frottant ses pieds contre les draps. Le carrelage de la salle de bains est
froid.
Philippesecalmaetfinitparl’embrasser.Ellefermalesyeux,sentitsesmainssedéplacersur
son corps et défaire les nœuds délicats qui retenaient ses sous-vêtements. Mais soudain Philippe
s’appuyasuruncoude,etparcourutlachambredesyeux.
–Qu’ya-t-il?demandaJacqui.
–Montéléphone,répondit-ilenbondissanthorsdulit.
Ilseprécipitaverssonsacàdos,d’oùlasonnerieprovenait.Ils’agenouillaetdéfitlafermeture
delapochededevant,oùsontéléphoneétaitalluméetvibrait.
Jacquiselaissaretombersurlelitavecungrandsoupir,maisPhilippeavaitdéjàrépondu.
–Non,non,jen’airienprévu,disait-il.
IlraccrochaetregardaJacqui.
–Jesuisdésolé...j’aiune...euh...uneurgence!dit-il.
Jacquiattendit,bouchebée,pendantquePhilippeserhabillait.Lorsqu’ilallaserincerlafigure
danslasalledebains,elleseprécipitasursonsacàdos.Quidoncpouvaitêtreassezimportantpour
qu’ill’abandonne–nuequiplusest!–aumilieudelanuit?Elleparcourutfrénétiquementlaliste
desappelsreçus.Jusqu’autoutdernier:DomiciledesPerry.
Anna.
Évidemment.
Onnesesentjamaistrèsbien,
lematin,avecleshabits
delaveille
Iln’estjamaistrèsdrôledeseréveillerdansunlitinconnu.Lafaçondontlalumièredusoleil
voussurprend–jaunâtre,peuflatteuseetchargéedegrainsdepoussière–donnel’impressionquele
mondeveutvouspunirdevosturpitudesdelaveille.MêmesiMaraetGarrettn’avaientrienfaitla
nuitdernière–ils’étaitendormitouthabilléàlasecondeoùils’étaitcouché–lajeunefilleeutle
réveilamer.RyanetElizasortaientensemble,etcettepenséeluiserraitlecœur.
Garrettdormaitencorelorsqu’elleremitsesvêtementsdelaveilleausoir.Çaluiparaissaitun
peunaze,voirevulgaire,deporterunerobeàplumesdesibonmatin,etelleavaitdormiavectout
sonmaquillage.Ellecherchasessandales,sansparveniràlestrouver.
Garrettpoussaungrognement,ouvritunœilettentad’attirerànouveauMaradanslelit.
–Tuvasoù?
– Faut que je parte, dit Mara avec un sentiment de panique, en se dégageant de l’étreinte de
Garrett.
Elleramassasonsacàmainsurlamoquetteetsefaufilahorsdelachambre,sanssessouliers.
–Jet’appelleplustard,marmonnaGarrett.
Mara s’empressa de descendre l’escalier de service et de traverser le jardin qui séparait la
propriétédesReynoldsdecelledesPerry.
Ellevenaitdefranchirlahaie,devantlapiscine,lorsqu’ellevitRyans’avancer,sonsurfsousle
bras.Parfait!Justementlegarsqu’ellevoulaitcroiser!
Ryan enregistra la robe chiffonnée de Mara, ses pieds nus, son maquillage qui coulait, et la
directiond’oùellevenait.Ilaffichauneexpressiondemépris.
–Ons’estcouchétard?demanda-t-ilavecunrictuspleind’amertume.
Maraseredressa.Ilnes’étaitrienpassé,maispasquestiondeleluidire.Qu’ils’imaginedonc
qu’elleétaitrestéetoutelanuitavecGarrett,etquelui,Ryan,luiétaitonnepeutplusindifférent.
– Garrett ne m’a pas laissé fermer l’œil de la nuit ! déclara-t-elle en souriant aussi largement
qu’elleenétaitcapable.Jesuisépuisée!
Ryangrimaça.Onauraitditqu’elleledégoûtait.
–Jesuisaucourant,pourtoietEliza,ajouta-t-elle.Alors,nevapastefigurerquetuvauxmieux
quemoi!
–Maisdequoituparles?Tuasrompuavecmoiennovembre!hurla-t-il.
C’était la première fois que Mara voyait Ryan se mettre réellement en colère, montrer que sa
nonchalance et sa décontraction pouvaient être ébranlées. Exactement ce qu’elle aurait voulu voir
l’automnedernier,lorsqu’elleluiavaitannoncéqu’ilvalaitmieuxpoureuxsecontenterd’êtreamis.
–Sijel’aifait,c’estseulementparcequejenepensaispasquetu...Oh,laissetomber!ditMara,
enpivotantsursestalons.
Detoutemanière,ilétaittroptard.Désormais,ilsortaitavecEliza.Ellesedirigeaàgrandspas
verslecottagedesdomestiques,ens’efforçantdenepaspenseràcequivenaitdesepasser.
Lorsqu’ellearrivadanslachambre,iln’yavaitpersonne.Jacquin’étaitpasdanslesparages,et
Megan était partie. Sans même lui laisser un petit mot. Mara s’écroula sur le lit. Elle était épuisée,
mentalementetphysiquement.Lasonneriedel’interphoneretentit.Elledécrocha.
–Allô?
–C’estcommeçaquevousrépondezautéléphone?rétorquaAnna,desavoixaudébithaché.
–Oh,jesuisdésolée.
–Lesenfantsattendentleurpetitdéjeuner.Ai-jeraisondesupposerquevousêtesencoreànotre
service?
–J’arrivetoutdesuite,Anna!répondit-elleàcontrecœur,ensedemandantoùJacquiavaitbien
pudisparaître,etpourquoielleneluiavaitrienditausujetdeRyanetEliza.
Ça,desamies?
Lesgaminspleurent
quandonleurretire
leursbonbons
KartikavaitdépêchéElizaauprèsdeMitzipourl’aideràtoutremballeraprèsledéfilédemode.
EllerevintdoncauCountryClubaprèsquelquesheuresdesommeilàpeine.Lesmanutentionnaires
empilaient les chaises, et des sacs-surprises vides volaient à travers la tente comme des buissons
errants. Eliza assistait à une réunion en compagnie de Mitzi et de ses assistantes. Toutes bâillaient
derrièreleurslunettesnoiresetsirotaientdescafésaulaitécrémé,enressassantlespotinsdelaveille.
–Toutd’abord,ilfautfairelivrerunsac-surpriseàtouteslescélébritésquin’enontpaseuhier.
L’agentedeChaunceyRavenaappelé.Chaunceyenveutun.
Elizahochalatête.Ah,lescapricesdestars...Chaunceydevaitavoirquarantemillionsdedollars
enbanque,maisilluifallaitàtoutprixcebaumeàlèvresKiehletcetagendaélectroniqueincrustéde
cristauxSwarovski.
–Etpuis,ilyadeuxoutroisarticlesdontilfautqu’ons’occupeaujourd’hui...Onaprêtédes
robesàplusieursfillespourqu’elleslesportenthier,etilfautqu’onlesrécupère.Envoyez-leurles
coursiershabituels.Onauncasspécial,cependant.SugarPerryaunerobeChanel,etilfautqu’onla
récupèrepourledéfilédeKarl,demain,àParis.C’esttrèsimportant,carc’estleseulexemplairedont
nousdisposonspourl’instant.Eliza,tuconnaisSugar,non?Tupeuxtechargerdecettemission?
–Biensûr,réponditEliza,ens’efforçantdenepasleverlesyeuxauciel.
Ellesegaradansl’alléedesPerry,soulagéedeconstaterquelavoituredeRyann’étaitpaslà.
Hiersoir,Ryanavaittentéàsixreprisesdelajoindresursonportable.Ellen’avaitpasrépondu,et
avaiteffacélesmessagessanslesécouter.
Après lui avoir balancé son verre à la figure, Eliza avait quitté la boîte en courant et failli
heurterCarolynetJeremy.Cedernieravaittentédeluisaisirlebras,maisellenes’étaitpasarrêtée.
Bizarre,lafaçondontleschosesavaientévolué!Ellen’avaitsouhaitéqu’unechose:passerl’étéavec
Jeremy. Et à présent, il était là, en compagnie d’une autre. Et elle pleurait à cause d’un garçon qui
n’étaitmêmepasJeremy.Saufqu’auboutd’unmoment,alorsqu’elleroulaitverschezelleetquesa
voiture s’enfonçait dans les bois, c’est pour Jeremy qu’elle se mit à verser des larmes, et non plus
pourRyan.
Eliza sonna à la porte et demanda au majordome à voir Sugar. Elle se préparait à la bagarre.
Sugarn’étaitpaslegenredefilleàlâcherfacilementunmodèleuniquederobehautecouture.
En effet, quand Eliza entra dans sa chambre entièrement meublée et décorée de blanc, les
premièresparolesdeSugarfurent:
–Quit’alaisséentrer?
Elleétaitvêtueentoutetpourtoutd’untee-shirtetd’unboxer.Lescaméramansdel’émissionde
télé-réalitésuivaientlemoindredesesfaitsetgestes.
Elizahaussalesépaules.
–Mitziveutrécupérerlarobe.
–Quellerobe?demandaSugaraveccandeur,enfaisantdesflexionsdudos.
Elleseréveillaittoujourstôt,qu’elleeûtounonlagueuledebois.Cejour-là,elles’étaitlevéeà
l’aubepoureffectuersonsalutausoleil.
–LaChanel.C’estunmodèleunique,etonenabesoinpourledéfilédeKarl.
–Oh,celle-là,ditSugar.Jenesaisplusoùjel’aimise.
–Tul’asperdue?demandaEliza,incrédule.Tuestoutdemêmebienrentréeavec,cettenuit?
–J’imagine,gloussaSugar.Jemesouviensplusderien.
–Écoute,Sugar,c’estpasmonproblème.Jefaismonjob,pointfinal.Tuveuxbienmedonnerla
robe?Ellen’estpasàtoi,tusais.
–Trèsbien.
Elleouvritlaportedesapenderieetfouilladansuntasdevêtementsàmêmelesol.Etbalançaà
Elizauneespècedeloquedéchiquetée.
–OhmonDieu!s’exclamaEliza.Elleestfichue!
–Charlieamarchésurlatraîne,etjecroisquePoppyl’abrûléeaveclescendresdesacigarette.
Jesuisdésolée!conclut-elleavecunsourirehypocrite.
Elizatintlarobedesoierosepâledevantlescaméras.Ellen’arrivaitpasàcroirequ’onpuisse
êtreaussinégligent,mêmeenétantaussigâtéequeSugarPerry.
– Tu sais que Daria Werbowy est censée défiler avec, demain ! Mitzi t’avait demandé d’en
prendresoin!s’écriaEliza.
– J’en ai pris soin. J’y suis pour rien, c’est clair ? rétorqua Sugar d’un ton exaspéré. Et puis,
pourquoiilenfabriquepasuneautre,derobe?C’estsonboulot,non?
Eliza fourra la robe dans un sac et sortit en bousculant les caméramans. Elle savait que Mitzi
serait furieuse et que ce serait elle, et non Sugar, qui aurait à affronter sa colère. La célébrité
protégeaitdetout.Elizaavaitaumoinsappriscelacetété.
Lesmeilleureschoses
necoûtentrien(maisespérons
qu’ellessontassurées!)
LorsqueMararevintdesajournéedebaby-sitting,elleenvoulaitencoreterriblementàJacqui
denerienluiavoirdit,pourRyanetEliza.Cetété,elleavaitàpeinevucelle-ci.Enrevanche,Jacqui
etelleavaientpassépresquetouteslesnuitsdanslamêmechambre.
–LajoaillerieIvanaappelépourvous,luiditLaurie,tandisqueMaras’efforçaitdefaireentrer
lesenfantsdanslasalledejeux.
–Oh?
– Ils ont envoyé un coursier cet après-midi pour récupérer des... boucles d’oreilles ? Mais
commevousn’aviezpaslaissédepaquetouquoiquecesoit,ilssontrepartis.
Lesbouclesd’oreilles.Lesbouclesd’oreillesd’unevaleurdedeuxcentcinquantemilledollars.
Ahoui...Mitziluiavaitditqu’elleenverraitquelqu’unlesrécupérerlelendemaindelasoirée.Mara
avaitcomplètementoublié.
Elleseprécipitaaucottagedesdomestiques.Levoyantdurépondeurétaitallumé.Elleécoutale
message:
«Mara,salut!C’estMitzi.Tuétaissuperbehiersoir,machérie!Parailleurs,mabelle,fautque
jerendesesbouclesd’oreillesàIvan.Remets-lesdansl’écrinetlaisse-lesàtonassistante,defaçonà
cequelecoursierpuisselesrécupérer.Merci!Àplustard!»
Puislesuivant:
«SalutMara,c’estànouveauMitzi.Écoute,monchou,lecoursieraditqu’iln’yavaitpasde
paquetpourlui.Tuasdûoublier.Appelle-moipourmeteniraucourant,Ivanenavraimentbesoin,
JenniferLopezdoitlesporteràlacérémoniedesMTVMusicAwards.Merci,monchou.Salut.»
Mara mit toute sa commode sens dessus dessous. Elle aurait juré qu’elle les avait retirées en
rentrantaucottagelematinmême,etqu’ellelesavaitrangéesdanslepetitécrindevelours,àcôtéde
lamontredeJacqui.Maislorsqu’elleouvritl’écrin,lesbouclesnes’ytrouvaientpas.Ellesn’étaient
pas non plus dans son autre coffret à bijoux, ni sur le lavabo, où il lui arrivait parfois de laisser
traînersoncollierdeperles.Sepouvait-ilqu’elleleseûtoubliéeschezGarrett?
ElleappelaGarrettetluiexpliqualasituation.
– Non, t’as rien laissé ici. Il manque qu’une chose dans cette chambre, et c’est toi, poupée !
réponditGarrettavecnonchalance.
Elleraccrocha,saisiedepanique.
Sepouvait-ilqueMeganlesaitprises?Impossible:MeganétaitpartieavantleretourdeMara.
Etpuis...sasœur?Elleétaittellementhonnêtequ’illuiétaitarrivéd’appelerungrandmagasinpour
signalerquesoncompten’avaitpasétédébitésuiteàunecommande.Était-ilpossible,alors,qu’elle
les eût perdues pendant le défilé ? Mais les boucles d’oreilles ne tombent quand même pas toutes
seules!
Elleétaitcertainedelesavoirretiréescematinenarrivant,justeaprèsavoircroiséRyan.Mais
alors,commentsefaisait-ilqu’ellesnesoientpluslà?
Letéléphonesonna.Maradécrocha.
–Allô?
– Mara ! Ma chérie ! Je parviens enfin à t’avoir au bout du fil ! Écoute, tu peux laisser ces
bouclesdansunpaquet,qu’onpuissevenirlesrécupérerdemain.Merci,majolie!
–Biensûr,ditMarad’unevoixfaible,leventrenoué.
Elle avait signé, avec une totale insouciance, des documents où elle reconnaissait assumer la
responsabilitélégaleencasdepréjudicefinancierdûauvolouàlapertedesbouclesd’oreilles.Mais
cela devait arriver fréquemment, non ? Elle se souvenait avoir lu que Paris Hilton avait égaré un
braceletendiamantsdansuneboîtedenuit.
Maisvoilà...Parisétaitcélèbre.AlorsqueMara,ainsiqu’ellevenaitdeleréaliserlorsdudéfilé...
nel’étaitpas!
Avecdesamiespareilles,
quiabesoindessœursPerry?
JacquirevintdeMontaukbienplustarddansl’après-midi,Philippeayantprislavoiturelaveille
ausoirsanssedemandercommentJacquiallaitrentrer.Elleavaitdûprendrelebus,quifaisaittoutun
tas de détours et s’arrêtait toutes les cinq secondes. Au cours de cet interminable trajet, Jacqui eut
largementletempsdemesurerl’étenduedesabêtise:toutrisquerpourpasserdutempsavecPhilippe
quand, depuis le début, il n’avait cessé d’être le joujou d’Anna ! Elle s’en voulait terriblement de
s’être écartée de ses bonnes résolutions et d’avoir cru Philippe lorsqu’il lui avait affirmé qu’il n’y
avaitrienentreAnnaetlui.Maisaumoins,ilsn’avaientpasétésurpris,pasvraiment,entoutcas.Et
puis,mêmesiAnnaavaitPhilippe,lesprojetsdeJacquiétaientenbonnevoie,àcommencerparle
boulotàNewYork.
À son arrivée au cottage, elle trouva la chambre sens dessus dessous, et Mara au milieu du
chaos,lescheveuxenbatailleetl’airaffolé.Lesdraps,lesoreillersetlescouverturess’entassaient
aux quatre coins de la pièce. Toutes les affaires de Jacqui – chaussures, foulards, maillots de bain,
sous-vêtements,mouchoirsetmagazines–jetéessurlelit.
–Merde!Qu’est-cequisepasseici?Mara,tuveuxbienm’expliquer?
–Toi!lançaMaraeninterrompantsoudainsafouille.
Elleoubliamomentanémentlesbouclesd’oreilles.Elleavaitquelquechosedeplusimportantà
régleravecJacqui.
–Tuastoujoursétéaucourant,pasvrai?
–Moi?Aucourantdequoi?Dequoituparles?demandaJacqui,complètementperdue.
– Ryan et Eliza. Tu étais à Palm Beach. Tu savais qu’ils étaient sortis ensemble. Et tu ne m’as
jamaisriendit?
–Attendsuneminute!répliquaJacquienavançantdanslapièceavecprudence,commesiMara
étaitunanimaldangereux.
–Tuétaisaucourant,pasvrai?répétaMara,lesyeuxbrillantsdecolère.
– Pour Ryan et Eliza. Oui. Mara, je suis désolée. Je voulais te le dire mais... je pensais que
c’étaientpasmesoignons.
Mararéagitauquartdetour.
–Jetel’auraisdit,siç’avaitététonpetitami!
–Mara,cen’étaitpastonpetitami.Tuavaisrompu,tutesouviens?
Maran’avaitrienàrépondreàcela.Ellepoussaungrognementetrepritsesrecherches.
–Maisilsepassequoi,ici?demandaJacquienfaisantunpasdeplus,levantlesmainspourse
protéger comme si Mara risquait de se jeter sur elle à tout moment. Pourquoi est-ce que tu as tout
chamboulé?
–Jecherche...mesbouclesd’oreilles!gémitMarad’unevoixdéchirante.
–OK...,ditJacquiengardantlesmainslevées.Quellesbouclesd’oreilles?
–Cellesquem’aprêtéesIvan,delajoaillerieIvan.Cellesquej’avaishiersoir.NicoleKidman
les a portées aux Oscars. Elles valent deux cent cinquante mille dollars. Et il les leur faut pour
demain!
–Cellesquetuportaishiersoir?demandalentementJacqui.
–Oui,répliquaMara,d’untonimpatient.
Jacquiétait-ellesourde,ouquoi?
–Ellescoûtentsicherqueça?
–Oui.
–Merde,ditJacqui.
Ellecommençaàfarfouillerparmilesaffairesquijonchaientlelit,afind’aiderMara.
– Elles ne sont pas perdues. Je les avais ce matin. Je les ai retirées... et je les ai mises... là,
expliquaMaraendésignantlacommode.Tunelesaspasvues?
–Non...enfin...,bredouillaJacquienfourrageantdansunepiledesous-vêtements.
CommentMarapouvait-elleêtresinégligente?
–Jenesaispas...,continua-t-elle.Jen’aipasregardé...jevienstoutjusted’arriver.
–Bizarre.Toiquiastoujoursl’airdesavoiroùsetrouvetout!rétorquaMaraenregardantavec
insistancelefoulardPucciqueJacquiavaitnouédanssescheveux.
–Çasignifiequoi?
–Toutçaestvraimenttrèsbizarre,non?Ellesétaientlàquandjesuispartie...etellesnesont
pluslààmonretour.Etçan’apasl’airdetedérangerdeteservirdansmesaffaires,alors...
– Tu insinues que je les ai volées ? demanda Jacqui, pas certaine d’avoir bien compris les
parolesdeMara.
–Jedissimplementqu’ellesnesontpluslà.Etàpartmoi,iln’yaquetoiquipossèdeslaclédu
cottage.
Jacqui ne s’était jamais sentie aussi insultée de sa vie. Elle fixa Mara, et celle-ci lui apparut
commeuneétrangère.
– C’est peut-être toi qui les as volées, dit froidement Jacqui, cherchant sciemment à blesser
Mara.
–Pourquoijeferaisça?demandaMarad’unevoixeffrayée.
Jacqui haussa les épaules. Elle abandonna le tas de vêtements dans lequel elle était en train de
fourrager.Plusquestiond’aiderMara,àprésent.
C’est alors que la porte s’ouvrit. Eliza entra, sans réaliser qu’elle entrait dans un champ de
mines.
–Oh,regardez-moiça!Uneautresalegarce!ditMara.
ElleavaiteutoutletempsdemaudireElizaetRyan,pendantqu’ellecherchaitfrénétiquementles
boucles.
–Tulesasprisesexprèspourmenuire,c’estça?
–Dequoituparles?demandaEliza,perplexe.
Jacquiluiexpliqual’histoiredesbouclesd’oreilles.
–Écoute,Eliza.Jesaisquetum’asjalouséependanttoutl’été.Jesaisquetuveuxcequiestà
moi,maisj’auraisjamaiscruquetu...Jepensaispasquetuferaisquelquechosed’aussibas.
–Qu’est-cequeturacontes?demandaEliza,sepenchantenavantcommesicelapouvaitl’aider
àcomprendrepourquoiMarasemontraitaussimauvaise.
–JesaistoutausujetdePalmBeach,lançaMara.
Elizaeutl’airsurpris.
–Maisjecroyaisquetusavaisdéjà.Etqueçat’étaitégal.
–Quit’aracontéça?sifflaMara.
–Sugar.
–Çanechangerien,quejel’aiesuoupas.Jen’arrivepasàcroirequetuaiespumefaireune
chosepareille!
–Vousaviezrompu,Ryanettoi.Etj’avaisl’intentiondetoutteraconter...maisSugaretPoppy
m’ontditquetuétaisdéjàaucourantetquetut’enfichais...et...
Eliza s’interrompit en réalisant à quel point elle s’était trompée. Sugar avait menti, bien
évidemment.C’étaitlaspécialitédeSugar:mentir.
–Alors,tutrouvesçanormaldesortiravecmonpetitamidansmondos?
–Tonex-petitami.Tuasunnouveaupetitamidésormais,Mara.Tuasoublié,peut-être?Etnous
n’avonsrienfaitdansledosdepersonne.Nousnetenionspasàblesserquiquecesoit,c’esttout.
Nous. Nous. Nous. De toutes les paroles d’Eliza, c’est cela qui faisait le plus mal à Mara. Ce
«nous»désignantElizaetRyan.Ilsformaientdoncbienuncouple.
–MaistuconnaissaismessentimentspourRyan,ditMara.
Elle aurait pu supporter l’idée qu’ils aient passé une nuit ensemble, à Palm Beach. Mais l’été
entier...ensemble?Danssondos?CommentElizaavait-ellepuluifaireça?
–Tusavaisquejel’aimaisencore,ditMara.
–Etcommentjel’auraissu?Onnes’estquasimentpasvuescetété.
–Ouais,tuaspassétontempsàm’ignorer,répliquaMara.
C’étaitvrai.ElizaavaitévitéMara.Audébutparcequ’elleavaitmauvaiseconscience.Etpuis,au
fildesjours,épuiséeparsonboulotetdélaisséeparJeremy,elleavaittrouvéleréconfortdansles
brasdeRyan.Elles’étaitserviedeluicommed’unpansementpouroublierJeremy.Or,lablessurene
s’était jamais refermée : Eliza aimait toujours Jeremy. Or elle avait passé tout l’été avec Ryan, et
perdusameilleureamie...
Mara, Eliza et Jacqui se foudroyaient du regard, s’en voulant à mort pour d’innombrables
raisons.
C’estcequ’onappelle
unbeausalaud!
Maraavaitfouillélecottagedefondencomble,etpasséaupeignefinlessentiersetlesbuissons
autourdelapiscine,ainsiqueleparcduCountryCluboùelleavaitemmenélesgaminscejour-là–
bienqu’ilparûttrèspeuprobablequelesbouclesfussenttombéestouteslesdeux.Aufildesjours,il
devenaitdeplusenplusclairquequelqu’unavaitdûlesvoler.
MitziGoobers’étaitremiseàharcelerMaradecoupsdetéléphone–sonportable,letéléphone
ducottageetceluidelademeureprincipalesonnaientenpermanence.Chaquefois,Mitzi,oul’unede
sesassistantes,demandaitàMaraderappelerpourleurdirequandIvanallaitpouvoirrécupérerses
boucles d’oreilles. Mitzi était même venue en personne, puisque la cérémonie des MTV Music
Awardsétaitprévuepourlesurlendemain.Parchance,Maraavaitemmenélesgaminsàlaplage.Pour
finir,Ivanlui-mêmeavaitappeléet,enhurlant,avaitmenacédeporterplainte.
Onétaitjeudisoir,etGarrettétaitsupposépasserlachercheràseptheures.Ilsdevaientserendre
audînerquesesparentsdonnaientaurestaurantAlisonbyTheBeachpourfêterl’achatduscénario
deCasablancadansl’espaceparunecompagniedeproduction.Maisseptheuressonnèrentsansque
lalimousineapparaissedansl’allée.Septheuresetquart.Septheuresetdemie.Huitheures.Ledîner
étaitcensécommencermaintenant.
Mara consulta sa montre. Elle composa à nouveau le numéro de Garrett, qui ne répondit pas.
Ellesesentaitunpeuridiculeàtournerenrondenattendantsonarrivée,danssarobekimonoRoland
Mouret et ses escarpins à bout ouvert Prada. Elle décida donc de se rendre seule au dîner, avec la
BMW.Sansdouteétait-ilprévuqu’ilsseretrouventlà-bas?
Le restaurant était clair et aéré, avec son comptoir en cuivre, et ses draperies blanches
suspendues au plafond. Les Reynolds avaient loué le restaurant pour la soirée. Mara remarqua que
plusieurspersonneslaregardaientbizarrementtandisqu’elleparcouraitlasalledesyeux,cherchantà
apercevoirGarrett.
–Eh,tusaisoùestGarrett?demanda-t-elleàunefillequisortaitavecl’undesesamis.
–Ilestlà-bas,réponditlafille.Mais...euh...
Maral’ignoraetsedirigeaverslatableprincipale,aucentredelapièce,oùGarrettétaitassis,sa
chaiserenverséeenarrière,riantàgorgedéployée.Elleallaversluietpassalamainsursonbras.
–Euh...salut.Désoléed’êtreenretard,chuchota-t-elle.
Ellejetauncoupd’œilautourdelatable.Iln’yavaitpasdechaiselibre.
Garretttournalatête,visiblementétonnédelavoir.
–Mara,qu’est-cequetufaisici?
– Je t’ai attendu. Je croyais que tu devais venir me chercher, répondit Mara, en se demandant
pourquoiillaregardaitcommeça.
Illuiavaitparlédudînerlasemainedernière,etluiavaitfaitpromettrequ’elleyassisterait.
–Permettez-moidem’absenteruninstant,dit-ilàlatablée,enentraînantMaraàl’écart.
Celle-ciremarquaunegrandefilleauphysiqueexotique,quilesfusillaitduregard.
–Attends...Tuesvenueavecuneautrefille?compritMara.
– Tu n’as pas eu mon message ? chuchota Garrett d’un ton pressant, en l’éloignant davantage
encoredel’assistance.
–Quelmessage?demandaMaraenfaisantunpasdecôté,pourqu’unserveurpuisseapporter
unplateauchargédecoupesdechampagneàunetablevoisine.
Ilpoussaunsoupir,etsepassalamaindanslescheveux.
– Je... euh... je suis vraiment désolé, Mara. Tu es une chouette fille et tout ça... mais tu
comprends...ilfautpasm’envouloir.
– Pardon ? demanda-t-elle, en remarquant que tous les convives s’enfonçaient dans leurs
fauteuilsetquecertainslançaientàGarrettdesregardssoucieux.
–Écoute,dit-il,sapatiencevisiblementàbout.Jenepeuxpasmepermettred’êtrevu,pourle
moment,avecquelqu’uncommetoi.Monpèreestconstammentattaquéparlesjournauxausujetde
notremaison,ets’ildécouvrequelafilleavecquijesors...
Illaissasaphraseensuspens.
–Quoi?demandaMara.
–Oh,Mara.Toutlemondesaitquetuasvolélesbouclesd’oreilles,répondit-ilavecunsourire.
Jetrouveçagéant!FaireçaàMitzi,enplus!Sasociétén’estpasassurée,pasvrai?Sacarrièreestà
l’eau!gloussa-t-il.
– Mais je n’ai pas volé les boucles d’oreilles. Ce n’est pas moi, protesta Mara. J’arrive pas à
croirequetupuissespenserçademoi!
–Écoute,bébé.Cequejepensen’aaucuneimportance.Jetel’aidit.Çam’estégal,quetules
aiesprisesounon.Jetienssimplementàgarderunebonneimage,surtoutencemoment.Monpèreva
êtrefurieuxsimonnomresteencoreliéautiencetété.C’étaitdéjàassezgênant,toutescesrumeurs
ausujetdeton...tusais...detonmilieu.Maisça,c’estbienpire!
Marasecoualatête.EllenecomprenaitrienauxparolesdeGarrett.C’étaitquoi,ceshistoiresde
milieu,dejournauxetdebonneimage?D’ailleurs,commentsavait-il,pourlesbouclesd’oreilles?
Enfin,Mararéalisa:elleétaitdanslesHamptons.Toutlemondeétaitaucourantdetout.
–Alorscommeça,tumelargues?
–Mara,tuesunegentillefille.Etonapassédebonsmoments,pasvrai?ditGarrettavecunclin
d’œil.Çavalaitlapeine,rienqueparrapportàPerry.
–ParrapportàPerry?
Maras’apprêtaàluidemandercequ’ilvoulaitdireparlà,maisGarrettétaitdéjàretournéàsa
table.Illevaitsonverrepourporteruntoast.
Àlui-même,bienévidemment.
LeSeptièmeCercledel’enfer,
eneffet
–Tuvoiscettetable,là-bas?
ElizaacquiesçaenfixantlepointquedésignaitKartik.Cen’étaitpasunesimpletable.C’étaitla
table, celle sur laquelle Mara avait dansé le soir du cliché olé olé, et celle que Chauncey Raven
réservaithabituellement.
–Faisensortedelestraiterauxpetitsoignons,ditKartik.
Elizahochalatêteetsedirigeaverslatable,afindeleursouhaiterlabienvenue,àsamanière
habituelle:aprèsleuravoirfaitunpetittoposurlesservicesproposésparlaboîte,elleleurremettait
uncadeaudelamaison–unebouteilleduchampagnelepluscoûteux.Cenuméronemanquaitjamais
d’impressionnerlescélébrités.LeshommesbavaientsurEliza,ensedemandantsielleétaitcomprise
dansles«servicesproposés»,etlesfemmestentaientdecopineravecelle,carpresquetoutesavaient
étéserveusesouhôtessesavantdeconnaîtrelesuccès.
–Salut,jem’appelleEliza.JevoussouhaitelabienvenueauSeptièmeCercle,commença-t-elle,
avantderéalisercequiavaitconduitKartikàdistinguerlatable.SheridanDunlop?
–OhmonDieu,Eliza!
SheridanDunlopétaitunanau-dessusd’elleàlaSpenceSchoolmaiselleavaitlaissétomberses
étudesaprèssaterminalepours’installeràLosAngeles.Depuislors,elledécrochaittouslesrôlesde
blondes BCBG, d’autant que Gwyneth Paltrow avait lâché le créneau pour devenir mère au foyer.
Sheridan venait de recevoir une nomination aux Oscars pour son interprétation d’une prostituée
sourde-muette.Elleétaitassiseavecquelques-unsdesesvieuxamisdeNewYorketdesHamptons.
CarolynFlynnétaitlà,ainsiqueTayloretLindsayet...Jeremy?
–SalutEliza,dit-ild’untondécontracté,enluiprenantdélicatementlabouteilledechampagne
desmains.
IlétaitassisentreTayloretLindsay,etcettedernièreavaitlamainsurlegenoudugarçon.
Elizan’enrevenaitpas!Pendanttoutcetemps,elleavaitcruqueJeremysortaitavecCarolyn,
quandlaréalitéétaitbienpire.Lindsay...cettesalepetiteprétentieusequisedonnaitdesairs,avecson
nezmalrefaitetsonriredehyène.ÀsafaçonderegarderEliza,onauraitditqu’ellevenaitdegagner
unprix.
–SalutJeremy.Heureusedet’avoirrevue,Sheridan!lançaElizaens’éloignant.
Elle retenait ses larmes et fumait d’une main tremblante, lorsque Jeremy la rejoignit dans le
patiosituéàl’arrièredubâtiment.
–Lize,dit-il,luiposantlamainsurl’épaule.
– Elles t’utilisent, tu comprends ? bafouilla-t-elle. Ces filles-là sont... sont... ce ne sont pas de
vraiesamies.Ellesveulentseservirdetoi,c’esttout.Lindsayestloind’êtreunepersonnehonnête,tu
sais.
Jeremyécarquillalesyeuxetpinçaleslèvres.
–Tusais,jecroisquetun’espastrèsbienplacéepourparlerd’honnêteté.Jesuisaucourant,
pourRyanPerryettoi.
Oh!
Ilyadesgens
qu’onbalanceraitbien
aufondd’unétang!
Le lendemain matin, Mara était censée aller se faire masser avec Sugar et Poppy au centre de
naturopathie. Elle en avait bien besoin, avec tout le stress accumulé après la perte des boucles
d’oreilles.
– Vous avez vu les jumelles ? demanda-t-elle à Laurie, qu’elle croisa devant la chambre des
filles.
–Jecroisqu’ellessontparties.
–Ahbon?Commentça?
Celafaisaitdessemainesquelesjumellesn’avaientplusdevoiture.
–Ilmesemblequ’ellesontprislaBMWdePoppy,expliquaLaurie.
C’étaitsaBMWàelle,maisMaranesesentitpaslecouragedediscuter,d’autantqueLauriese
montraittrèsfroidedepuisqueMitziGooberl’avaitprisepoursonassistante,autoutdébutdel’été.
Contrariée, Mara entra dans la cuisine et se mit à feuilleter les journaux. « L’ÉTANG DE
GEORGICAASSÉCHÉENUNENUIT!»pouvait-onlireengrostitresurleEastHamptonStardaté
dujour.L’étangdeGeorgicaétaitunétangcôtiersituésurunepartieprotégéedulittoral,àmoinsde
deux kilomètres de l’océan. Ryan et elle avaient coutume de s’y promener l’été précédent, et les
gamins adoraient qu’on les y emmène. Il abritait également une colonie d’oiseaux en voie de
disparition,lespluvierssiffleurs.Or,quelqu’unavaitcreuséunerigoledanslalevéedequinzemètres
dehautquilebordaitafindedrainerl’étangpendantlanuit.Ilyavaitdesphotosprises«avant»et
«après»,etMaranereconnaissaitmêmepaslemarécageboueuxsurlesecondcliché.
Ezra Reynolds était désigné comme le principal suspect car il s’était plaint publiquement de
l’étang,dontledébordementgênait,selonlui,l’avancéedestravauxdesapropriété.Deplus,onlui
avait refusé l’autorisation de le vider. L’article rappelait que les habitants de Georgica « avaient
coutume de se considérer comme étant au-dessus des lois » et que le voisinage comprenait des
personnalités telles que Calvin Klein, Martha Stewart, Steven Spielberg et Ron Perelman, lesquels
avaienttousfaitdiffuserdescommuniquésoùilsaffirmaientn’yêtrepourrien.SeulslesReynolds
avaientgardélesilence.
Maraétaitprofondémentdégoûtée.Quelgenredepersonne–defamille–pouvaitfairepreuve
d’un tel égoïsme ? Pauvres pluviers siffleurs ! Elle ramassa le New York Post et l’ouvrit
immédiatement à la page 6 pour lire la version people du « Mystère de l’étang asséché ». Mais un
autre article attira son attention. « OÙ SONT PASSÉS LES DIAMANTS ? » Mara s’assit, la gorge
nouée.
Quelle fille de milieu modeste – ayant troqué cet été son prestigieux petit ami contre un autre
encoreplusfortuné–nes’estpasdonnélemalderendrelesbouclesd’oreillesd’unevaleurdedeux
centcinquantemilledollarsqu’onluiavaitprêtées?
C’étaitl’articleclassiquedelapage6,oùl’onnecitaitpasdenoms.Or,ilindiquaitunnombre
incroyabledeprécisions:
«Elleprétendlesavoirégaréesmais,sivousvoulezmonavis,ellelesavolées»,aconfiéune
sourceanonyme.«Jecroyaisquec’étaituneamiedessœursPerry,maisellevientd’uneespècede
troupaumé.»SugarPerry,questionnéeàcesujet,s’estcontentéederépondre:«Voussavez,ilya
tellement de gens qui prétendent être mes amis, alors que je ne les ai jamais vus de ma vie ! »
«Exactement!»aconfirmésasœurPoppy,quivientdesefaireteindrelescheveuxenbrun.
L’articledonnaittouslesdétailsexceptélenomdeMara,dontondevinaitaisémentl’identité.
–Jenelesaipasvolées!s’exclamaMara,livide,danslacuisinedéserte.
Elle comprenait que les sœurs Perry ne l’aient pas attendue ce matin : elles l’avaient déjà
envoyéeàlacasse.LeDailyNewspubliaitluiaussiunarticlesurlescandaledesbouclesd’oreilleset
unautrerédacteurlaprésentaitcommeunefilleaupairavideetmalhonnête.
Les réactions de Garrett et des jumelles, elle le savait, ne seraient que les premières d’une
longuesérie.Maranes’étaitjamaissentieaussidépriméeetrejetée.
Il pleuvait des cordes lorsque Jacqui revint de son cours, ce soir-là. S’approchant du cottage,
elle aperçut une silhouette qui tenait un parapluie et passait la pelouse au peigne fin à l’aide d’une
lampetorche.PauvreMara!BienqueJacquiluienvoulûttoujours,celaluifaisaitdelapeinedela
voirs’acharnerainsisouslapluiebattante.Maisalors,unéclairdéchiralecieletJacquiréalisaquela
silhouetteétaittropgrandepourêtrecelledeMara.
C’étaitRyan.
–Salut,s’écriaJacqui.Qu’est-cequetufais?
–Oh,salutJacqui,réponditRyanendirigeantversellelefaisceaulumineux.J’aiperdu...euh...
undemesverresdecontact,etjelecherchais.
–Jenesavaispasquetuportaisdesverresdecontact,répliquaJacqui.
Ryanhaussalesépaules,etJacquieutunsouriretriste.
SiseulementMarasavaitàquelpointRyanl’aimait!
Lespluvierssiffleurs
n’ontjamaisété
aussienvogue!
AlanWhitmanetKartiknepurentrésisteraudésirdesefairedelapubet,leweek-endsuivantle
scandaledel’étangdeGeorgica,ilsorganisèrentauSeptièmeCercleunesoiréecaritativeauprofit
despluvierssiffleurs–lesquelsétaientdésormaisSDF.
ElizatrouvaJacquiaumilieudelafouleetlaserradanssesbras.C’étaitlapremièrefoisque
Jacqui mettait les pieds au Septième Cercle, et la façon dont Eliza gérait la foule et la salle
l’impressionna. Ni l’une ni l’autre ne fit allusion à Mara, qui s’était montrée si blessante. Mais
chacunesavaitquel’autreypensaitaussi.
Eliza vit Ryan entrer et s’avança vers lui. Ils ne s’étaient pas vus depuis une semaine. Entretemps,Elizaavaitcessédeluienvouloirpourcettehistoired’«amitiéavecavantages»etsouhaitait
qu’ilsredeviennentamis.
–Salut,dit-elleenluidonnantunpetitcoupsurl’épaule.
Ryans’efforçadesourire.
–Saluttoi-même.
Ellel’embrassasurlajoue,frôlantsanslevouloirlecoindesabouche.
–Jesuisdésoléepourl’autresoir.
–Moiaussijesuisdésolé,répliquaRyan.Jen’avaispasréalisé...enfin...cequejevoulaistedire
c’est...jet’aimevraimentbeaucoup,Eliza.Etjesaispascequim’aprisdetedireça.Enfin...tusais
quepourmoi,tuesplusqu’uneamie.Onpeutformerunvraicouple,sic’estcequetusouhaites.
–Jesais,ditEliza.
Ryan tendit les mains, et Eliza se jeta dans ses bras. Elle pressa la tête sur son épaule et il lui
serra la taille plus fort. Cela aurait dû suffire, et pourtant... À cet instant précis, elle vit Jeremy et
LindsaypénétrerdanslasalleVIP.
Jeremyavaitplaquésescheveuxenarrièreetportaitunevestedesportencachemiremarronet
unjeanfoncé.Lindsayl’enlaçaitd’unemainfermeetleregardaitavecadoration.Ilsepenchapour
luichuchoterquelquechoseàl’oreille.Lindsays’esclaffacommesiellen’avaitjamaisrienentendu
deplusdrôle.Elizaeutunserrementaucœur.
Ryanallaleurchercheràboire,etElizasetournaverslavitrevoisine.Dehors,demêmequela
veille, il pleuvait des cordes, ce qui n’empêchait pas la foule de s’amasser à l’entrée de la boîte,
commetouslessoirs.C’estalorsqu’elleaperçutMara.Elles’abritaitsousunparapluieetl’undes
larbinsdeMitziluirefusaitl’entrée.
ElizavitMitziGooberfairecellequin’avaitrienvu.Maraétaitl’unedesrarespersonnesàse
soucierréellementdespluvierssiffleurs,etElizaréalisaitqu’illuiavaitfallubienducouragepour
oseraffronterunefoulepareille.JenniferLopezavaitarborédesbouclesd’oreillesHarryWinston
auxMTVMusicAwards,etMaraavaitétémisesurlistenoire.
LesassistantesdeMitziprièrentMarades’écarterdelafiled’attenteetElizasesentit,malgré
elle,solidairedesonancienneamie.Celle-cisedétournalentementnonsansavoir,auparavant,jeté
uncoupd’œilendirectiondelafenêtre,àl’instantmêmeoùRyanembrassaitElizasurlefrontetlui
tendaitsonverre.
Cen’estpascequetucrois,songeaEliza.ElleauraitvoulusortirdelaboîteetrappelerMara,
maiscelle-cis’éloignaitdéjà.
Quelquechosevacraquer!
Lelendemainmatin,JacquietMarafurentréveilléesparuncraquementretentissant.
–Merde!s’exclamaJacqui.
Ellerejetasescouverturesetregardaparlafenêtre.
–Qu’est-cequisepasse?demandaMara.
Ça faisait plusieurs jours qu’il pleuvait, mais là, c’était autre chose ! Le vent mugissait et se
déchaînait contre les carreaux. Les deux filles s’étaient habillées en silence, puisque Jacqui refusait
toujours d’adresser la parole à Mara. Elles coururent à la maison principale, où Laurie avait déjà
allumélatélévisionsurlachaîneinfo.L’ouraganTiffanyapprochaitdepuislaCarolineduNord.Au
lieud’avancersurlaterrefermecommeprévuetdeperdredelavitesse,ilsedéplaçaitsurl’océanet
gagnaitenintensité.
– Il va nous atteindre ce soir, dit Laurie d’un ton sinistre. Il va falloir préparer la maison. Où
sontlesenfants?
Philippe aida Laurie à trouver les volets extérieurs et entreprit de les clouer sur le bord des
fenêtres.
Uneinspectionrapidedugarde-mangerrévéladescarenceseneaupotableetautresproduitsde
base. Laurie appela donc Ryan sur son portable pour lui dire de se rendre au supermarché Home
Depotleplusproche,etdefairelepleindebouteillesd’eau,delampesdepoche,depiles,debougies,
deserviettesdebain,deboîtesdeconserveetdefruitssecs.
ZoéseprécipitaversMara.
–J’aipeur!dit-elle.
–Toutvabiensepasser,machérie,réponditMaraenlaserrantcontreelle.Jedoism’enaller,
maisjerevienstoutdesuite.
CarLongIslandavaitbeauseprépareraupassaged’unterribleouragan,leballetdesagentset
despublicistesnecessaitpaspourautant.MaintenantqueMaraétaittombéedesonpiédestal–et,àen
croire la rumeur publique, avait été larguée par Garrett Reynolds –, tous les couturiers voulaient
récupérer leurs vêtements. Sans délai. Ce qui signifie que Mara consacra la moitié de la journée à
chercherdeslampesdepocheetdesserviettesdetoilette,etl’autreàcouriraucottageetàrendretous
les paquets aux différents coursiers. Ce fut particulièrement humiliant, surtout lorsque l’une des
assistantesdeMitzivints’assurerquerienn’avaitétéoublié.
–CechemisierChloén’apaséténettoyé,ditl’assistanted’untonrevêcheenlebarrantsurl’une
de ses listes. OK... il ne nous manque donc que le jean Sally Hershberger, les sandales strassées
ManoloBlahnik,etlefoulardPucci,soupira-t-elle.
– Je... euh... je ne les ai pas, bredouilla Mara, consciente du mauvais effet que ça devait faire,
aprèsl’histoiredesbouclesd’oreilles.
Mêmelelivreurenuniformemarronparaissaitdésolépourelle.
–Trèsbien...jediraiàMitziquevouslesavezvolésaussi,ditl’assistantesuruntonsarcastique,
avantd’ouvrirsonparapluieetderessortir.
Jacqui ne put que remarquer le manège, à l’extérieur du cottage. Elle avait les bras pleins de
matériel pour renforcer la porte d’entrée et adressa à Mara un signe de tête, alors que celle-ci
conduisaitl’assistanteaugaragepourrendrelaBMW.
Poppy et Sugar rentraient justement à ce moment-là, au volant de la voiture. Quand elles
comprirentqueMitzivoulaitlarécupérer,toutesdeuxgrimacèrentdedépit.
–Commentça,elleveutlarécupérer?gémitSugar,avantderendrelesclés.Maisc’estnousqui
l’utilisonsàprésent!
–Tuesvraimenttropbête,Mimi,luilançaPoppytandisque,plantéesdevantlaporteouvertedu
garage,ellesregardaientlaBMWs’éloignerdansl’allée.
Vousn’avezpasidéeàquelpoint!songeaitMara.
Elizasaitfairelapart
deschoses
À midi, le ciel était complètement noir, et les rues étaient désertées. Tout le monde s’était
calfeutréchezsoipourseprépareràlapiretempêtedel’année.Elizasetenaitsurlaterrassedesa
maison de location. Emmitouflée dans une parka avec l’écusson de la Spence School, elle guettait
l’arrivée de Ryan, au volant de la Porsche. Ses parents lui avaient demandé d’aller chercher des
réserves,etRyanavaitproposédevenirlachercher.
Ryanluiouvritlaportièreducôtépassager.Luiaussiportaituncoupe-ventdecouleurjauneà
l’insignedesonlycée,avecsonjeanetsessempiternellestongs.Illuiditquelchaosc’était,chezlui.
Aucunedeslampesdepochenefonctionnait,etplusieursdesfenêtresn’étaientpaséquipéescontre
lestempêtes.Deplus,l’eauavaitcommencéàs’infiltrerdanslamaison,carilsn’avaientplusassez
deserviettespourcalfeutrerlaporte.
–C’estpareilici.Ons’imagineraitquelesgensquilouentcettemaisonsontéquipés,maison
n’arientrouvéàpartdeux,troisbricoles,ditEliza.
–Annaestenpleinecrisedenerfs,àl’idéed’unecoupuredecourant.Ellenepeutpasvivresans
sonsèche-cheveux!
Elizagloussa.EllecroisaleregarddeRyan,ettousdeuxrirentdeplusbelle.
Ils roulaient lentement sous la pluie battante. Toutes les voitures semblaient se diriger vers le
mêmepoint.Lorsqu’ilsarrivèrentausupermarché,ilnerestaitplusuneseuleplacesurleparking.
Par chance, une Bentley s’en allait justement à ce moment-là, un générateur attaché sur son toit, et
Ryanputsegarer.
La pluie ruisselait sur les vitres. Les arbres ployaient sous le vent. La tempête faisait rage,
secouantle4×4.
– Bon Dieu, regarde-moi ça ! s’exclama Ryan, lorsque le vent projeta un parasol à travers le
parking.
–Jesais.C’estdelafolie,approuvaEliza.Etilyaunautretrucquiestfou,tusaisquoi?
–Quoi?
Ryannevoyaitpasdutoutoùellevoulaitenvenir.
–Toietmoi.
Ryancessadesourire.
–Qu’est-cequetuveuxdireparlà?
ElizaregardaRyan.Sescheveuxavaientbeauêtreplaquéssursonfront,ilétaittoujoursaussi
beau. Mais justement, ils étaient presque trop bien ensemble. Trop semblables. Eliza aspirait au
mystère, à la spontanéité... Elle voulait le genre de garçon capable de se faire embaucher comme
serveurdansunesoirée,rienquepourpouvoirêtreprèsd’elle.EtRyanavaitbeauêtremerveilleux,il
n’étaitpascegarçon-là.
–Tun’espasamoureuxdemoi.
Ryansemitàprotester.
–Etmoinonplus,jenesuispasamoureusedetoi,l’interrompit-elle.
–Aïe!plaisanta-t-ilenportantunemainàsoncœurcommes’ilsouffraitaffreusement.
–Cetété...touts’estpassédefaçonsibizarre,tunetrouvespas?Jepensaisqueceseraitundes
meilleurs moments de ma vie, dit Eliza en s’enfonçant plus profondément dans son siège. J’avais
décrochéunsuperboulot,etils’estavéréqu’ilestcomplètementnul.Jepréfèrem’occuperd’enfants
quem’occuperdecélébrités.Crois-moi,Williamestmoinscapricieux.Tuasdéjàessayéderetirersa
bouteilledechampagneàunestar?demanda-t-elleenriant.
–Eliza?
Elletournalatêteverslui.
–Ouais?
–Tueslafillelapluschouettequejeconnaisse.
Ryansepenchaetpritdanssesmainslementond’Eliza.Puisilluibaissalatêteet,deseslèvres,
frôlasonfront.
–Amis,alors?
–Biensûr.Arrête,çachatouille!
Ilss’aimaient–commedesamis–etElizaeutledésirsoudaindevoirRyanheureux.Ellelui
jeta un nouveau coup d’œil. Il était grand, beau, riche et intelligent. Ils se connaissaient depuis
l’enfance,etc’étaitlegenredemecavecquisesparentsavaienttoujoursdésirélavoirsecaserun
jour,orElizasavaitqueRyanetellen’étaientpasdestinésl’unàl’autre.
RyanlaserracontreluietEliza,pressantsajouecontrecelledesonami,luichuchota:
–Jesaisquetum’aimes,maisjesaiségalementquetuesamoureuxdequelqu’und’autre.
Ilrelâchalentementsonétreinteetpoussaunsoupir.
–Jenevoisvraimentpasdequoituparles,dit-ilens’arrachantunepetitepeaudel’ongle.
– Cette fille que nous aimons tous deux, cette fille dont tu es amoureux, elle est toujours là,
insistaEliza.Jet’assure.Moiaussi,jeluienaivoulu,maiselleesttoujourslà.
Ryanhaussalesépaules.
–Maran’estpluslamêmepersonneàprésent.EllealaissélesHamptonsluimonteràlatête.
Elleachangé.
– Écoute, quand on a été la coqueluche du moment, on ne peut pas s’en tirer sans dommage.
Crois-moi,jesuisbienplacéepourlesavoir!Iln’yapasunefillequineprendraitpaslagrossetête!
Maisjecroisencoreenelle.Jeneleluiaipasdit,parcequ’onestplusoumoinsfâchéescestemps-
ci... mais je crois que si elle a rompu avec toi, c’est parce que... eh bien, c’est parce qu’elle ne se
sentaitpasàlahauteur.
Elizadittoutcelad’uneseuletraite,sansoserregarderRyan.Ellefinitparlefaire.Sonvisage
étaitdemeuréimpassible.
–EllesortavecGarrettàprésent,répliquaRyansuruntonsansappel.
Elizacompritaussitôtqu’elleavaitvujuste.Aucundoutelà-dessus:Ryanétaitencoreamoureux
deMara.
ElizaexaminaRyan.Ilsétaientplusprochesqu’ilsnel’avaientjamaisété.Peut-êtrecette«amitié
avecsesavantages»avait-elleunsensplusprofondqu’ilsnel’auraientcru?
–Bon,onferaitmieuxd’yalleravantqueleschosessegâtent,ditRyan.
–Aufait,MaraetGarrettontrompu.Jesuissurprisequetessœursnet’enaientpasparlé.Est-ce
qu’ellesnesontpasraidesdinguesdelui?
–Eliza,jenecomprendsmêmepascommentonpeutfairepartiedelamêmefamille!
Ils s’engouffrèrent dans le supermarché. Or, il ne restait plus rien : ni attaches métalliques, ni
panneauxdebois,nibâches,nilampes-tempête,nibougies,nipiles,niréchaudsàgaz,nigénérateurs,
nicordes,niclous,nisacsdesable...
–Quesepasse-t-il?demandaElizaàunvendeurvêtud’ungiletorange.
Celui-cihaussalesépaules.
– Quelqu’un a tout raflé, dit-il en désignant un gars qui, s’appuyant au comptoir, signait un
interminablereçudecartebancaire.
GarrettReynoldslevalesyeuxetfitsigneàRyanetEliza.
Commel’aditOscarWilde,
lesvraisamisvousfrappent
par-devant
Poppynes’étaittoujourspasremised’avoirperdu«sa»voiturelorsqu’elleetMaracoururent
danslamaisonpouréchapperauxviolentesrafales.
–C’étaittellementhumiliant!Onnem’ajamaistraitéedefaçonaussihumiliante!Est-cequ’ils
saventquijesuis?selamentait-elleensebattantavecsonparapluie.
Mara essorait ses cheveux trempés lorsque quelque chose de clair et d’étincelant attira son
regard.QuelquechosequePoppyportaitauxoreilles.D’énormespierresprécieuses.Desdiamantssi
lourdsqu’ilsdéformaientlelobedesesoreilles,etd’unesibelleeauqu’ilsrayonnaientdemillefeux
danslagrisailleduhalld’entrée.
– Poppy, dit Mara, tendant la main vers les boucles d’oreilles. Où est-ce que tu as trouvé ces
boucles?
Poppyportaaussitôtlesmainsàsesoreilles.
–Oh,celles-ci...?Euh...jetelesaiempruntées...Ellesétaientsurtacommode.Jet’avaisprêté
monsacàmain,alorsj’aipenséquesituempruntaismesaffaires,jepouvaisemprunterlestiennes,
dit-elleavecungloussementhautperché.Pourquoi?
PoppysecomportaitcommesielleavaitsubitementoubliéquesasœuretellesnobaientMara
depuisdeuxjours,sansparlerdesproposcitésdanslapage6.
–Ellesnesontpasàmoi,ditMarad’untonatterré.
–Ahbon?répliquaPoppyenbattantdescilsaveccandeur.
– Elles appartiennent à Ivan. Elles valent deux cent cinquante mille dollars. Tu n’as pas lu la
page6?Tuespourtantcitéededans.Lesgenspensentquejelesaivolées.
Poppyfeignitl’innocence.
–Jenesaisvraimentpasdequoituparles.Allonsnousréchauffer!Jesuismortedefroid!
–Uneseconde.Jeveuxquetumelesrendes!ditMarad’untoncatégorique,entendantlamain.
–OK,faispastacasse-pieds!Mincealors!rétorquaPoppy.
Elleretiralesbouclesetlesposad’ungestebrusquesurlapaumedeMara.
Mara se contenta de la fixer. Poppy était la personne la plus impitoyablement, la plus
agressivementégoïstequ’elleeûtjamaisrencontrée.Etc’étaitcegenredepersonnequ’elleavaittenté
d’impressionnertoutl’été!Maraétaitécœuréed’avoirperdutoutcetemps.
– Allez, Mimi, fais pas ta mauvaise tête ! Je te les ai empruntées, c’est tout ! dit Poppy, sur la
défensive.
–Nem’appellepascommeça!sifflaMara,labousculantpoursedirigerversletéléphone.
Lorsquelecoursiereutrécupérélesbouclesd’oreilles,Maraéprouvauntelsoulagement,une
telle joie, qu’elle ne savait comment les manifester. Elle se sentait libérée, soulagée d’un poids
terrible. Elle regardait s’éloigner le camion marron quand elle tomba sur Jacqui, qui s’apprêtait à
fairequelquescoursesavantquel’ouragannefrappepourdebon.
–Jacqui!OhmonDieu!Jacqui!s’exclamaMara.
Elleseprécipitaverselle,lasaisitparlesbrasetlafittournoyer.
–Quoi?Qu’est-cequis’estpassé?
Ellesnes’adressaientpluslaparoledepuisunesemaineet,pendanttoutcetemps,ellen’avaitpas
vuMarasourireuneseulefois.
–Jacqui!Jesuislareinedesidiotes!J’aiétéhorribleavecvous!Jesuisvraimentdésolée!
Poppy... c’est Poppy qui avait pris les boucles. Je sais pas si elles étaient au courant... je sais pas si
ellesl’ontfaitexprès.Jepensequeoui,maisjesuisvraimentdésoléed’avoircru...d’avoirpenséque
tuavais...jedoisêtrecinglée!
Jacquihaussalessourcils.LessœursPerry.Évidemment!C’estdansleschambresdesjumelles
qu’ellesauraientdûcommencerparchercher.
–C’estbon,dit-elleàMara.
– Je tiens à ce que tu saches que je suis vraiment, vraiment, vraiment désolée. Mais vraiment,
vraiment,vraiment...
–C’estbon,Mara.Jetepardonne,l’interrompitJacqui,enluiprenantlamain.
–C’estsimplementque...jesuistellementgênée.Jeregrettequetoutcelasoitarrivé.
–Écoute,leschosesn’arriventpassansraison.Net’inquiètepas!ditJacquienlaserrantcontre
soncœur.Maistun’aspasfinidefairedesexcuses,chica.
Jacquiavaitraison.Cen’étaitqueledébut.
Quoideplussexyqu’untype
avecunmarteau?
AumomentoùElizaetRyans’apprêtaientàquitterlemagasin,bredouillesetsansillusions,une
voixfamilièrelesinterpella.
–Eh,lesamis,vouscherchezàvouséquiper?demandaJeremy.
LuiaussiavaitétéprisaudépourvuparlarazziadesReynolds.Ils’avançaverseux,vêtud’un
ponchoennylonimperméableetd’unchapeaudepêcheurfroissé.
–Ilsn’ontplusrien,ditEliza.
–Oui,maisjesaisoùonpeuttrouverlenécessaire.IlyaunmagasinTarget,àRiverhead,qui
vend des fenêtres anti-tempête et tout le reste. La plupart des gens ne le connaissent pas, dans les
Hamptons,parcequ’ilestsurlabretellenord.Çavousditdemesuivre?Fautprendrel’autoroutedu
nordjusqu’àlasortie«Riverhead»,etc’estjustelà.
Ilfrottalesmainssursonjean,qu’ilavaitrentrédanssesgrossesbottesencaoutchouc.
Eliza le remercia d’un hochement de tête, et Ryan et elle suivirent le véhicule de Jeremy sur
l’autoroute inondée. Il y avait beaucoup moins de voitures roulant dans cette direction, et ils ne
tardèrentpasàarriveràdestination.
À l’intérieur du magasin, difficile d’imaginer qu’un ouragan se préparait. L’atmosphère était
gaie et lumineuse, et les rayons regorgeaient des choses dont ils avaient besoin. Plusieurs autres
personnesfaisaientleurscourses,maisilyenauraitlargementassezpourtoutlemonde.Lestrois
jeunesgenséchangèrentunsourirecomplice.
–Quivainstallervosfenêtres?demandaJeremyàEliza,alorsqu’ilss’approvisionnaienttous
deuxenlanternesetenfioul.
–Monpère,réponditEliza,bienquesonpèren’eûtpasloindesoixante-dixans.
–Jevaislefaire,ditdoucementJeremy.Écoutemonpote,jevaisraccompagnerEliza,ajouta-tilensetournantversRyan.Samaisonestsurmonchemin,detoutemanière.
–Çateva,Eliza?demandaRyan.
–Super,ditEliza.
Soncœurbattaitàtoutrompre.
Ryanl’étreignitbrièvement.
–Bonnechance!Etnevousfaitespastremper!leurlança-t-il.
Eliza grimpa dans la camionnette de Jeremy. Les sièges de cuir étaient usés, et elle ne
ressemblait en rien à la Porsche de Ryan, avec son intérieur cuir et son écran de navigation. Mais,
commeJeremy,ellesentaitbonlaterreetlasèvedepin.Elizaadoraitcetteodeur.
Ils roulèrent en silence jusqu’à la maison de location de Westhampton. Les parents d’Eliza
étaient en proie à la panique. Sans personnel à qui donner des ordres, les Thompson ne savaient
absolument pas quoi faire. La télévision ne marchait plus, et les plombs avaient sauté. Par chance,
Jeremydénichaviteledisjoncteurdanslacaveetparvintàrétablirlecourant.
–Dieusoitloué!ditMmeThompson,entripotantnerveusementsoncollierdeperles.
–Jenesaispascombiendetempsçavatenir,maisilfautviteenprofiter,déclaraJeremy.On
risqued’êtrebientôtprivésd’électricité.
Elizaregardalejeunehommeinstallerlesfenêtresanti-tempête.Ilfrappaitàcoupsdemarteau,
fixait, réussissait à décrypter des instructions compliquées. Elle espérait que ses parents
comprendraientcequ’elleluitrouvait.
Ils’occupaitdesfenêtresdugrenierlorsqu’elleluiapportaunebouteilled’eau.
–Elleesttiède,jesuisdésolée.
–Non,c’estparfait.Jeteremercie,dit-ilenessuyantlasueursursonfront.
Ilsepenchasurleclipdefixationetappuyadetoutelaforcedesoncorps.Lejoints’enclencha
dupremiercoupdanslafenêtre,etileutunsouriredesatisfaction.
–Voilà.Çadevraittenirlecoup!Vousavezassezdeserviettes,hein?Etuneradio?
– On a une microtélé qui fonctionne sur batterie. Mon père l’a trouvée dans la cave. Je crois
qu’onatoutcequ’ilfaut.
Jeremyhochalatête.
–Tantmieux.
Ils’assitparterreetbutl’eauàgrandstraits.
–Qu’est-cequit’apriscetété?demandaEliza,ens’asseyantprèsdeluisurlamoquette.
–Qu’est-cequim’apris?Qu’est-cequit’aprisàtoi,tuveuxdire?répliquaJeremyengrattant
l’étiquettedelabouteille.
–Jenesaispas...Onauraitditquetum’évitais.Jepensaisquetunevoulaisplusdemoi,avoua-telle.Tun’appelaisjamais.Tunecherchaismêmepasàmevoir.
–Eliza,sij’aifaitcestagechezMorganStanley,c’estpouruneseuleraison:jevoulaisdevenir
quelqu’unquetupourraisrespecter.Jevoulaisdevenirquelqu’un...detonmonde,expliquaJeremyen
mimantdesguillemetslorsqu’ilprononçalemot«monde».
–Tuasfaitçapourmoi?
–Oui,maisils’estavéréqueçanesuffisaitpas.Tesparentsmel’onttrèsvitefaitcomprendreà
ce dîner. Alors, j’ai songé « Pourquoi faire des efforts, alors qu’ils ne changeront jamais d’avis à
monsujet?»,dit-ilavecunhaussementd’épaules.
– Pourquoi faire des efforts ? demanda Eliza d’un ton incrédule. Parce que je ne pense pas
commemesparents,voilàpourquoi!Etc’estassezlamentabledejugerquelqu’unsursafamille.On
n’estpasresponsabledesonmilieu.
Jeremyeutl’airembarrassé,puisfinitparlâcher:
–Ouais,maisalorsj’aiappris,pourtoietRyan,etparconséquent...
Cefutautourd’Elizad’êtregênée.
–Tum’asmanqué,dit-ellesanssedémonter.
–Toiaussi,tum’asmanqué,admit-ilàsontour.Jet’aivueàlatéléhiersoir,ajouta-t-ilsoudain,
suruntonbadin.
–Ahoui?Oùça?s’étonnaEliza.
– Dans l’émission de Sugar. Tu voulais récupérer une robe, et elle refusait de te la donner,
répondit-ilenriant.Etàlafin,ilyavaitcevieuxcouturierfrançaisavecdegrosseslunettesnoires
quidisaitqu’iln’habilleraitplusjamaisSugarPerry.C’étaitassezrigolo.
–KarlLagerfeld?demandaEliza,maisJeremysecontentadehausserlesépaules.
Peut-êtreSugarserait-elleenfinpunie?
ElizaregardaJeremy.Mêmequandilparlaitd’uneémissiondetélédébile,ilrestaitdixfoisplus
touchantquetouslesgensqu’elleavaitconnusdanssavie.Illuiavaittellementmanqué.
–C’estjusteque...tuavaisl’airtellementoccupé,dit-elleentiranttimidementsurlajambede
sonpantalon.
–Ouais,tum’étonnes.Jedétestaisceboulot.Detoutefaçon,j’aidémissionné.Tun’imaginespas
lenombredeconneriesqu’ilfautavaler.JebosseànouveauchezlesPerryl’étéprochain.
–C’estvrai?
–Ouais,jeviensdeleleurdire.
Ilbutl’eauquirestait,etreposalabouteillevide.
Elizan’avaitpasencorefinid’assimilertoutescesinformations.
–Jecroyaisquetunem’aimaisplus,dit-elle.
– Eliza, qu’est-ce que tu racontes ? Je suis fou de toi. Depuis le jour où je t’ai vue pour la
premièrefois,auborddelapiscinedesPerry.
–EtCarolyn?EtLindsay?Qu’est-cequetufaisaisavecelles?
–Jelesairencontréesauboulot.Carolynestchouette.Etvousaviezlesmêmesamis,elleettoi.
Jem’imaginais...jemedisaisqueçat’impressionnerait,quejeconnaissedesgensquetuconnaissais.
Lindsay,c’étaitriendutout.Sijesuissortiavecelle,c’estuniquementpourterendrejalouse,comme
tuétaisavecRyan.
–Ryanetmoi...nousnesommespas...iln’yarienentrenous.Onestamis,riendeplus.
–C’estvrai?demanda-t-il,pleind’espoir.
–C’estvrai,répondit-elled’unevoixassurée.
–Alorscommeça...vousnesortezpasensemble?
–Non.
MaisElizadevaittoutluidire.
–Enfin...onnesortplusensemble.Ilestsuper,maisvoilà...c’esttoiquejeveux.
Jeremysourit,desonjolisourireenbiais.Levisaged’Elizas’illuminaet,leplusnaturellement
du monde, ils s’embrassèrent. Jeremy lui caressa les cheveux. Eliza posa la main sur sa joue,
réchauffantsapaumecontrelapeaudeJeremytandisque,dehors,l’ouraganfaisaitrageetébranlait
lamaison.
–Jet’aime,dit-il.Tueslaseulefillequicomptepourmoi.
Une telle joie envahit Eliza qu’il lui semblait que son être ne suffisait pas à la contenir. Et
lorsqu’ill’embrassaànouveau,ellesesentitaussilégèrequel’air,commeunebulledechampagne
quis’échapped’unebouteilleets’élèveendansantversleplafond.
Maradépouillelesriches
pourtoutdonner...
euh...auxriches!
À cinq heures, il n’y avait plus ni lumière, ni serviettes de toilette pour empêcher l’eau de
s’infiltrerdanslamaisonparlesintersticesdelaporte.Lesgaminscommençaientàs’agiter.Mara
avaitpassél’après-midiaveceuxàjoueraujeudesseptfamilles.Williamsetenaittranquille,pour
une fois. Zoé avait le chic pour gagner, et Cody lui-même se taisait. Quant à Madison, elle avait
trouvéunpaquetdechipsets’étaitmiseàenmanger,commelesautres!
Unvrombissementdemoteurébranlalamaisondepuisl’allée.Tousseprécipitèrentàlafenêtre.
UnénormecamiondusupermarchéHomeDepotsegaraitdevantlapropriétédesReynolds.
Maratombaitdesnues.RyanavaitappeléLauriepourdirequ’ilnerestaitplusrienaumagasin.
Ellen’avaitqu’àregarderlecamionpourcomprendrecequis’étaitpassé.
–Venez,lesenfants!s’exclama-t-elleenlesrassemblant.Onvafaireunraid!
Aprèss’êtreassuréequelesgaminsétaienttouschaudementvêtusdepullsetd’imperméables,
ellelesemmenadehors.Ilpleuvaitàverse,etcelanetarderaitpasàsedéchaînerpourdebon.Elle
leur fit franchir la haie séparant les deux propriétés et emprunter le passage secret que lui avait
montréGarrett,lequelmenaitausous-solduchâteaudesReynolds.
Les gamins étaient fous de joie. Mara et eux gagnèrent le rez-de-chaussée, depuis le sous-sol.
Elleentrouvritlaportedelacuisine.Lavoieétaitlibre!
–Venez!dit-elle.
Elle les conduisit à l’une des salles de bains situées à l’étage. Là, les étagères contenaient une
tellequantitédeserviettesdetoilettequ’onseseraitcrudansuneboutiquedelingedemaison.Mara
commençaàfairelepleindeserviettes,lespassantaufuretàmesureauxenfants.
–Tufaisquoi?demandaGarrettd’unevoixdécontractée,enentrantdanslasalledebains,une
bièreàlamain.
Illuiparutblafard,danssachemiseOxfordblanche.
Maraleregarda.Elleserappelasesremarquesblessantes,lafaçondontill’avaittoutdesuite
crue coupable d’avoir volé les boucles d’oreilles, et dont il l’avait larguée sans prendre le temps
d’écoutersaversiondel’histoire.
–Vousêtestropbienéquipés,cheztoi.Vousn’avezpasbesoindetoutça.Noussi.Alors,onle
prend,répliquaMara,commesic’étaitl’évidencemême.
–Vousn’avezpasledroitdefaireça,dit-il,suruntontoujoursironiqueetdétaché.
–Trèsbien.Danscecasjevaisteledemandergentiment.Onpeutvousprendredesserviettes?
S’ilteplaît?
– Non, rétorqua-t-il sèchement. Maintenant, tirez-vous, toi et les gosses, ou bien j’appelle les
gardiens!
–DésoléeGarrett,maisçanevapassepassercommeça,ditMara.William?
–Oui?fitlepetitgarçon.
–Tutesouviensdecetteprisequ’ont’aenseignée,danstoncoursdeboxefrançaise?demandat-elle,ensebaissantpourêtreàsonniveau.Tunecroispasquec’estlemomentdenousfaireune
démonstration?
ÀpeineWilliameut-ilcompriscequeMaraluidemandaitqu’unsourirediaboliques’affichasur
sonvisage.
–Hiii-yaaa!!!s’écria-t-il,s’élançantsurGarrettetluibalançantunsévèrecoupdepieddansle
ventre.
Garrettétaitpliéendeuxsousl’effetdeladouleur.
–Danslemille!hurlaWilliam.
Avant de partir, Mara remarqua quelque chose qui brillait... ses sandales strassées, qu’elle ne
trouvaitplus,derrièrelaportedelasalledebains.Ellelesramassa,triomphante.Mitziayantdéjàfait
unecroixdessus,ellepourraitlesgarder.
–SalutGarrett!lançaMaradansunéclatderire.
Enressortantlesbraschargés,ilsvirentsortirdeleurvoitureuncoupled’âgemûr,quivivaitun
peuplushaut.Ceux-ciremarquèrentlessacsqueportaientMaraetlesenfants.
–Eh,oùest-cequevousavezdénichétoutça?Ilsn’ontplusrien,ausupermarché!
–Tenez,servez-vous...Onenalargementassez!ditMaragaiement,enleurpassantdeuxsacsen
papierremplisdepilesetdebouteillesd’eau.
Ils se hâtèrent de retourner dans la maison, radieux, victorieux, et enchantés du résultat de
l’expédition.
– On a trouvé de l’eau ! s’écria Mara, entrant fièrement dans la cuisine et déposant deux
bombonnesdequatrelitressurlatable.Oh!
Sonvisagesedécomposa.
Surleplandetravailétaiententassésunequantitédebouteilles,deserviettes,depilesetdebois
decheminée.Ilyavaitaussidesbougies,dufioul,deslampes-tempête,plusieursmichesdepain,du
thon et des haricots en conserve, des serviettes, de la corde et des lampes de poche. Les gamins,
enchantés,sejetèrentsurlespaquetsdechipsetdesnacksentoutgenre.
Ryansetenaitaumilieudelacuisine,etrangeaitdesplatsdepâtesdéshydratés.
–Elizaetmoiavonstrouvéunmagasinouvert,expliqua-t-il,sanslaregarder.
–Oh...oh,super.
Elles’apprêtaitàquitterlapièce,lorsqu’illarappela.
–Attends,jeveux...ilfautqu’onparle,dit-il.
Ilfitvolte-faceet,pourlapremièrefois,Maravitàquelpointilétaitmalheureux.
Unchevalier
enimperméablejaune
–Merde!s’exclamaJacqui.
Elle venait de mettre le contact et le moteur de la petite voiture hybride avait émis un vague
crachotement,avantdecaler.Tous,chezlesPerry,comptaientsursafaibleconsommationd’essence
(moinsdecinqlitresauxcentkilomètres),etJacquinesouvenaitpasquequiconquesesoitdonnéle
mal,cetété,d’yremettreducarburant.Àprésent,iln’yenavaitplus,etJacquiétaitdanslamouise.
Elleétaitcoincéesurlaroute27,etlatempêtedevenaitdeplusenplusviolente.
Elletentad’appelerchezlesPerry,maisçasonnaitdanslevide–letéléphoneavaitsansdoute
étécoupé.Elleessayaleportabled’Eliza,pourtomberdirectementsurlamessagerie.Endésespoirde
cause, elle décida d’appeler Philippe, bien qu’elle lui en voulût encore. Elle aurait préféré ne pas
avoiraffaireàlui,d’autantplusqu’ilneluiavaitmêmepasdonnéd’explicationsquantàsondépart
dumotel.Lorsqu’ilss’étaientcroisésdanslamaison,ils’étaitcomportéavecellecommesitoutcela
n’avaitjamaiseulieu.
Ellecomposalenuméro.
–Allô?Allô?Philippe?Écoute,c’estJacqui,j’aibesoindetoi,c’esturgent.
–Allô?Quiparle?demandaunevoixféminine.
–Euh...c’estJacqui.
C’étaitquoi,cedélire?Pourquoin’était-cepasPhilippequirépondait?
–Ehbien,pourunemauvaisesurprise...,ditlavoixd’Anna,mielleuseàsouhait.Désoléedevous
l’annoncer,maisPhilippeaferméboutique.
Clic.
Quezaco?Jacquiraccrochad’unemaintremblante.AnnaPerry?Alorselleréalisa.Ellevenait
d’êtresurprise–oudumoins,Annapensaitl’avoirsurprise!C’étaitpresquecomique.Aprèsavoir
passétoutl’étéàembrasserlebeauFrançaisendouce,ellevenaitd’êtrepriseenflagrantdélit,alors
quePhilippeetelleavaientcessédesefréquenter.
Jacqui soupira, en prenant conscience de ce que ça signifiait. Elle pouvait dire « adieu » à ce
boulot,àNewYork.AdieulesPerry,adieuStuyvesant,adieulafac!Elleavaittoutfichuenl’airà
caused’unmec.D’unmecquin’envalaitmêmepaslapeine.D’unmecquiétait,detouteévidence,
l’amantdeleuremployeuse.Toutsonavenirétaitàl’eau!
Elle regarda par la vitre et frissonna lorsqu’un éclair déchira le ciel. Elle composa un autre
numéro,espérant,sanstropycroire,quelapersonneallaitdécrocher.
Un quart d’heure s’écoula, puis une demi-heure, puis quasiment une heure. La voiture était
ballottée par le vent. Il allait falloir qu’elle sorte de là rapidement, avant que le véhicule ne soit
emportéparlamontéedeseaux.
Enfin,alorsqu’ellevenaitd’abandonnertoutespoir,lespharesd’unpuissant4×4percèrentle
brouillard.UngarçonenimperméablejauneseprécipitaverslaToyota.
–Çava?criaKit,encapuchonnédanssoncoupe-vent.
Elle hocha la tête. Il l’aida à sortir de la voiture. Ils pataugèrent jusqu’au 4 × 4, de l’eau
jusqu’aux chevilles. Kit ferma soigneusement la portière de Jacqui, et contourna le véhicule pour
s’installerauvolant.
–Jeteremerciedufondducœur,ditJacqui.Jesuisvraimentdésoléedet’avoirdérangé.
–C’estunplaisir,répliquaKit,lesourireauxlèvres.
Jacqui lui rendit son sourire et, pour la première fois, se sentit troublée. Peut-être était-ce
simplementlesoulagementd’avoirfinalementétésecourue...Toujoursest-ilqu’ellenecessapasde
sourire,tandisqueKitroulaitsurdesroutesinondées.
Il lui expliqua que toutes les routes menant aux Hamptons étaient bloquées, et qu’ils feraient
mieuxdeserendrechezsesparentsàWainscott.C’estainsiqu’ilsdébarquèrentdanslapropriétédes
Ashleighquiétait,detoutelarue,laseuledemeureilluminée.Sileterrainentourantlamaisonétait
impressionnant,lamaisonenelle-même,destyletrèsmoderne,consistaitsimplementenunblocde
bétonallongé,auxproportionsmodestes,dontlesbaiesvitréesdonnaientsurl’océan.Kitexpliquaà
Jacqui qu’elle avait été conçue par le meilleur ami de son père, un célèbre architecte. De
toute évidence, elle était suffisamment petite – moins de trois cents mètres carrés – pour que le
générateurqu’ilsavaientinstalléfournisselademeureenélectricitéplusieurssemainesd’affilée.
KitgaralavoituredanslegarageadjacentetintroduisitJacquidanslamaisonparlacuisine,où
samèreétaitentraindepréparerledînersurunebellecuisinièreàgaz,dansunecuisineouvertesur
leséjour.ContrairementàlademeuredesPerry,lamaisondesAshleighétaitunvéritablefoyer,un
lieuoùlesgensvivaient,nonundécordigned’unmagazinedeluxe.
Il y avait bien une immense toile noire sur le mur, forcément une œuvre d’art très coûteuse,
quelquesdivansdesignetdeschaisesencuiretmétalchromé,maisilyavaitaussiunjournalouvert
surlatablebasse,despoilsdechiensurledivanetdestassesdecafésurlesdessertes.Lesétagères
étaient recouvertes de livres et seuls quelques disques de platine encadrés, discrètement accrochés
dansuncoin,laissaientdevinerquelepèredeKitétaitunimportantproducteurdemusique.
–Bonjourmonchéri.Oh,c’esttonamie?demandagentimentlamèredeKit.C’estaffreuxlàdehors,non?Vousdevezêtregelés.Christophermonchéri,tuneveuxpasallerchercherunpullet
unpantalondansmonplacard,pourqueJacquipuissesechanger?
Onétaitloindel’agitationfrénétiqueetdésordonnéequirégnaitchezlesPerry.Iln’yavaitpas
nonplusdeserviettessouslesportes.Lamaisonétaitunesortedebunker,uneoasisd’art,delumière
etd’exquisenourritureitalienne.
Jacquilaremercia,sesentantindigned’unetellehospitalité.Aprèsavoirprisunedouchedansle
baindevapeuretavoirpasséunépaispullnoiretunpantalondesurvêtement,elledînaavecKitetses
parents, qui se délectèrent de ses anecdotes sur le Brésil et de ses réflexions sur la vie dans les
Hamptons.Lorsquesesparentssefurentretirés,elleaidaKitàchargerlelave-vaisselleetànettoyer
lacuisine.
Ils ramenèrent l’édredon de Kit et se blottirent dessous, sur le divan, afin de regarder les
nouvelles. Plusieurs coulées de boue étaient signalées du côté des falaises, et le niveau de la mer
montaitdangereusement.
–J’espèrequelesPerrysontensécurité,ditJacqui,enserongeantlesongles.
Elles’inquiétaitpoureux,maiss’inquiétaitaussidecequirisquaitdesepasseràsonretour.Elle
étaitcertainedesefairerenvoyerparAnnaàlasecondeoùellepointeraitleboutdesonnez.
– Je suis sûr que tout va bien pour eux, dit Kit. J’ai parlé à Ryan, et ils ont l’air d’avoir la
situationbienenmain.
Jacquiposalatêtesurl’épauledeKit.Ellen’auraitjamaisimaginéqu’ilpuisseêtreautrechose
qu’un ami. Or, assise près de lui sur le divan, à l’abri de son foyer chaleureux et protecteur, elle
ressentaitlespremierssymptômesd’unsentimentplusprofond–unsentimentquidépassaitlasimple
convoitise–etelleréalisaquec’étaitpeut-êtrecelad’aimerquelqu’un,enoppositionàdésirer.
–Ilfautmelaisserunpeudetemps,murmura-t-elle,enposantlamainsurlajouedeKit.
Ilétaitsipâle,avaitlapeautellementsensible.Etsescheveuxétaientd’unblondpresqueblanc.
Pasdedoute...ilyavaitlàdupotentiel.
–Hein?demanda-t-ild’unevoixensommeillée.
–Rien,réponditJacqui.
–Çava,tuesbien?
Jacquihochalatête.Ellenes’étaitjamaissentie,desavie,aussiàl’aise.
Maran’ajamaisvu
unaussibeaupeignoir!
Mara eut presque pitié de Ryan. Il paraissait si triste, planté là, dans la cuisine, dégoulinant de
pluie,sonpaquetderisottoàréchaufferàlamain.
–Écoute,tunemedoisaucuneexplication,dit-elle.
Cette pensée lui brisait le cœur, mais si Eliza et Ryan étaient heureux ensemble, il lui faudrait
bientrouverlemoyendeseréjouirpoureux.
–Ahbon?demandaRyan,déconcerté.
– Je sais que vous sortez ensemble, Eliza et toi... Tant mieux. Je vous souhaite d’être heureux,
c’esttout,dit-elled’unevoixbrisée.
Ryans’avançaentraînantlespieds,etposasonpaquetderiz.
– Mais c’est ce que j’essaie de te dire... Je ne sors pas avec Eliza. Eliza et moi... sommes
simplementamis.(Ils’approchad’elle.)Detrèsbonsamis,maisriendeplus.
–Vousn’êtespasensemble?Elizaettoi?Mais...jenecomprendsplusrien.
Ellevitalorsqu’ilavaitleslèvresviolettes.
–Oh,monDieu,tuesgelé,s’écria-t-elle,avantqueRyaneûtpuajouterquoiquecesoit.
–Maisj’aiquelquechoseàtedire...,insistaRyan,toutruisselantdepluie.
–Trèsbien,maistoutd’abord,tuvasretirercesvêtementsmouillésettemettreauchaud.Allez,
viens.
–Oui...j’aifroid,dit-ilenclaquantdesdents.Tum’accompagnes?
Ilcommençaàretirerseshabits,toutensedirigeantverssachambre.Lorsqu’ilsparvinrenten
hautdel’escalier,Mararemarquaqu’undomestiqueavaitfaitdufeudanslacheminéedesachambre.
Ryans’assitjusteàcôtéetpeuàpeu,parutseréchauffer.
–Tiens,dit-elle,enluitendantuneserviettedetoiletteblancheetduveteuse.Fautquetutesèches,
turisquesd’attraperunrhumeouuntrucdanscegoût-là.
–Mara,uneseconde...Ilfautqu’onparle!répétaRyanensefrottantlanuqueaveclaserviette.
Çatedérangepas?demanda-t-ilentirantsursontee-shirttrempé.
–Euh...oh...non,balbutiaMaraentournantlatête.Vas-y,jeneregardepas.
Ryanéclataderire.
–Non,jeveuxdire...Tuveuxbienm’aider?
Maracessasoudaind’êtreembarrassée,tandisqu’ellel’aidaitàsedébarrasserdesesvêtements
mouillés.Ilretirasonjeanmouillé,etMaraluitenditlepeignoir.Illuisemblaitsibeau,avecsapeau
hâléecontreletissuéponge,etsoncorpspresquenu...
–AlorsMara...voilàcequejevoulaistedire...,bafouilla-t-il.Enfin...c’estpasfacile.
–Oui?demandaMara,leregardantavecespoir.
–C’estjusteque...ehbien...cetété...tusais...je...je...
Ilsecoualatêteetregardalesflammesavectristesse.
– Tu m’as manqué cet été, avoua-t-il enfin. Ce qui m’a manqué... ce qui me manque... c’est la
Marad’autrefois.
–Moiaussi,ellememanque,ditMara,lagorgenouée,ens’asseyantauborddulit.
La Mara d’autrefois. La Mara d’avant le scandale des boucles d’oreilles, d’avant l’épisode
Garrett,d’avantlesurnomdessœursPerry.Oùétait-elle,laMarad’autrefois?Silapetiteprovinciale
deSturbridgen’existaitplus,ellenes’étaitpasnonplustransforméeensnobinardedesHamptons.
–Ryan,j’aihontedemoi...jemesuistellementmalcomportée...je...
Sesyeuxs’embuèrentdelarmes.Puisellesemitàpleurer,sanspouvoirs’arrêter.
–Jemesuislaisséentraîner,poursuivit-elle,alorsquetoutcequejedésiraisc’étaitêtreavectoi.
Je ne sais même pas ce que je faisais avec Garrett pendant tout ce temps. Je voulais simplement te
rendrejaloux.
–Ehbien,çaamarché!
Ilrit,etvints’asseoirprèsd’elle.
–Jecroisqueluiaussin’étaitavecmoiquepourterendrejaloux,ditMara.Quandilarompu,il
m’aditqueçaavaitvalulapeine«rienqueparrapportàPerry»,ouuntrucdanslegenre...
Ryansecoualatête.
– Il est comme ça depuis qu’on est gosses. Il m’a piqué ma petite copine, quand on était en
sixième.Enseconde,j’aiamenéunefilleaubaldefindetrimestre,etc’estluiquil’araccompagnée
chezelle,dit-ilenhaussantlesépaules.C’estunenfoiré.
Mara lui serra le genou, et sourit de la façon dont Ryan venait de résumer le personnage de
Garrett.Effectivement,c’étaitunenfoiré.
–Tusais,j’aivraimentpasassuréquandtum’asditquec’étaitfini,repritRyan.J’auraisdûaller
àSturbridge.Etessayerdetefairechangerd’avis.
–J’auraisjamaisimaginésortiravecquelqu’uncommetoi,reconnut-elle.Jemesuisditqu’en
rompantlapremière,jesouffriraismoins.
Ils ne s’étaient pas regardés de toute la discussion, préférant adresser leurs confidences aux
flammes.MarafinitparsetournerpourfairefaceàRyan,etécartalesmèchesquiluiretombaientsur
lefront.
–J’aifaittellementdechosescetétéquejeregrette,soupira-t-elle.J’aiétéaffreuseavecElizaet
Jacqui.Etquandmasœurestvenue,jemesuismontréesigrossière.
–Eliza,Jacquiettasœur,ellesfinirontpartepardonner,larassura-t-il.Toutvas’arranger.
–Non.Toutlemondemedétesteet...
Avantqu’elleaitputerminersaphrase,ill’embrassait.Etelleluirendaitsonbaiser.C’étaitsi
douxquec’enétaitpresquedouloureux.
Ill’attiraverslui,etenfonçalesmainsdanssescheveux.Ellel’enlaça.Ilss’embrassèrentencore
etencore,sansmêmeprendreletempsderespirer,commesiseuleimportaitlacommuniondeleurs
deuxâmesàtraversleursbaisers.Ellefrissonna,ilouvritsonpeignoiretl’enenveloppa,elleaussi.
Marafermalesyeux,àlafoiseuphoriqueetnerveuse.Ilétaittoutpourelle,elleétaittoutpour
lui. Il était tout ce qu’elle avait toujours voulu et, bien qu’elle redoutât toujours d’avoir gâché
tellementdechoses,elles’abandonna.Onauraitditqu’ilsétaientfaitsl’unpourl’autre.Etleurscorps
sedisaientcequeleurscœursressentaientdepuisdéjàsilongtemps.
VoilàpourquoiWilliam
étaitincontrôlable!
Lelendemainmatin,l’eauavaitreflué,etleséboueurscommençaientàdégagerlesautoroutes
couvertes de branchages et d’arbres arrachés. Kit raccompagna Jacqui chez les Perry. Le 4 × 4
progressaitpéniblementdanslaboue.Leventnesoufflaitplusparrafales,etilavaitenfincesséde
pleuvoir. La tempête s’était déplacée vers le nord, mais avait dévasté les Hamptons. Plusieurs
demeuresbâtiesàflancdecoteauavaientététotalementdétruites.Et,lorsqueKitsegaradansl’allée
desPerry,JacquietluiremarquèrentquelechâteaudesReynolds,oùdumoinscequienrestait,était
dansuntristeétat.
–Mince!ditKitd’untonjoyeux.J’espèrequ’ilsétaientassurés.
–C’étaitunetellehorreur,çavautmieuxcommeça!
Elle regarda la maison des Perry, le ventre noué. Il était temps d’affronter ce qui l’attendait –
êtrevirée,quoi!Mais,tandisqu’ellerassemblaitsoncourage,etsepréparaitmentalementàfaireses
valisesetàretournersur-le-champauBrésil,unvieuxtaxipourris’arrêtadel’autrecôtédel’allée
circulaire.Philippeouvritlecoffreetentassasesvalisesàl’intérieur.
Ils’enallait?Jacquicroyaitqu’ilétaitcensérestertoutl’été.Certes,ilyavaitdestasdechoses
qu’elle ignorait à son sujet. Elle regarda le beau garçon, et se sentit idiote mais pas désespérée.
Philippeluiadressaunvaguesignedelamain.
–Tuvasoù?demanda-t-elle.
Ilhaussalesépaulesetmitseslunettesdesoleil.
–Aurevoir,machérie!
Ilextirpaunecigarettedesonpaquet,etmontaàl’arrièredutaxi.
Lauriesurgitdelamaison.
– Et ne revenez surtout pas ! Vous avez de la chance qu’on ne porte pas plainte ! Si on vous
épargnelesennuis,c’estseulementparégardpourvotretante!
LeDrAbrahambousculaLaurie,portantdesvalisescabosséesrecouvertesdetissuécossais.
–Attends,mongars!Moiaussi,j’aibesoinqu’onmedéposeàlagare!
LeDrAbrahamadressaàLaurieuntimidesignedetêteetmontaàsontourdanslavoiture.
Jacquigrimpalesmarchesimbibéesd’eau.LamaisonPerryparaissaitpresqueintacte.
–Ques’est-ilpassé?s’enquit-elleauprèsd’Anna,quiavaitsuivitoutelascènedepuisl’entrée.
Lablondeglacéeladétailladepiedencap.
–Vousn’êtespasaucourant?répliqua-t-elle,d’untonsoupçonneux.
–Aucourantdequoi?demandaJacqui,déconcertée.
–MaisvousavezappeléPhilippehiersoir...,ditAnna.
Jacquirougit.
–Je...j’étaiscoincéesurlaroute27.J’aieuunepanned’essence,etj’étaisprisedansl’ouragan.
J’aiessayélamaison,maislaligneétaitcoupée,expliqua-t-elle.
Levisaged’Annasedétendit.
–Alors,pourdebon,vousn’étiezpasaucourant?
–Aucourantdequoi?
–Philippeestuntrafiquantdedrogue,lançaLaurie.
Elleracontad’unevoixhaletantecommentAnnaavaitdécouvertquePhilippeetleDrAbraham
vendaient du Ritalin, de l’Adderall, du Valium et de l’Ambien dans les Hamptons et les banlieues
environnantes.
C’étaitdoncpourçaquesontéléphonesonnaittoutletemps!Vraisemblablement,Philippeavait
commencéàfaucherlesordonnancesdeWilliamafindesatisfairecertainescommandes.Ledocteur
s’était rendu compte du manège de Philippe et, au lieu de le dénoncer, lui avait fait d’autres
ordonnances et avait prélevé sa part des profits. L’ouragan avait plongé nombre de gens dans
l’angoisse, et Philippe avait fait beaucoup de livraisons, cette semaine-là. Anna avait découvert la
véritélorsqu’ellel’avaitsurprisentraindefourrerlespilulesdeWilliamdanssonsacàdos,alors
qu’elle parcourait la maison à la recherche de ses médicaments à elle. C’est pourquoi elle avait dit
«Philippeaferméboutique»lorsqueJacquiavaitappelé.
Désireuse d’éviter le scandale, Anna avait préféré renvoyer Philippe et le docteur plutôt
qu’intenter des poursuites. Elle était plus sensible à l’inconvenance de la chose qu’à son aspect
criminel.Ellenevoulaitpasvoirsonnomdanslesjournaux–dumoins,paspourcegenrederaison.
AnnacongédiaLaurie.ElletouchalebrasdeJacqui,dansungestecomplice.
–Aufait,jevousfélicited’êtreparvenueàgardervosdistancespendanttoutl’été,dit-elleavec
unclind’œil.Jesaisàquelpointilpeutsemontrercharmant.
BienqueJacquinefûtpastotalementparvenueàgarderlesdistancesavecPhilippe,elleévitade
lepréciser.Peut-êtrePhilippen’avait-ilpasétél’amantd’Anna–cecoupdefildudomiciledesPerry,
lesoirdumotel,avaittoutaussibienpuêtrepasséparleDrAbraham.Jacquinesauraitsansdoute
jamaislavéritéqui,aufond,luiétaitégale.
–Quoiqu’ilensoit,mapetiteJacqui,jetenaisàvousrappelerquevousdevrezêtrederetourà
New York à la fin du mois d’août. J’enverrai un billet d’avion chez vous, au Brésil. Ça vous
convient?demandaAnna.
–Vousvoulezdirequej’aileboulot?s’écriaJacqui.
– Évidemment. Et mon amie, à Stuyvesant, dit qu’on vous y admettra sans difficulté. Nous
n’allonspasenvoyerWilliamàEton,finalement,puisqu’ilaratél’examend’entrée.Etaprèstoutce
qui s’est passé avec Philippe, je ne pense pas que sa tante, notre nounou habituelle, reviendra
travaillerpournous.Nousauronsdoncabsolumentbesoindequelqu’unpours’occuperdesenfants.
Jacqui éclata de rire. Au bout du compte, elle obtenait tout ce qu’elle avait désiré. Et, en
regardantKitaiderRyanàramasserlesbranchescassées,elleréalisaqu’elleobtenaitpeut-êtrebien
plusquecequ’elleavaitmérité.
L’étésetermineplusvite
queprévumaisleprochain
arriverabienasseztôt
Cetaprès-midi-là,AnnaannonçaquelafamillePerryregagneraitNewYorkplustôtqueprévu.
Il restait encore deux semaines avant la rentrée. Or, s’attarder dans les parages pour nettoyer la
maison et le jardin ne correspondait pas à l’idée qu’Anna se faisait des loisirs. Les filles seraient
payées jusqu’à la fin de l’été, comme prévu. Mais, à partir du lendemain matin, on n’aurait plus
besoindeleursservices.
La cuisine étant inutilisable à cause des dégâts des eaux, Jacqui proposa de faire une véritable
churrascariabrésilienne(unegrilladedesteaks,desaucisses,depouletetd’agneau)pourfêterlefait
d’avoir survécu à l’ouragan. À présent que la tempête était passée, le ciel était clair et dégagé. La
soiréerêvéepourunbarbecue!Jacquipréparamêmeunpichetdecaipirinha,laversionbrésilienne
dumojito,certainequesesamiesapprécieraient.
ElleinvitaElizaàsejoindreàelles.Aprèsavoirunpeuhésité,celle-ciaccepta.Elleavaitpas
maldechosesàdireàMara,etlemomentétaitvenu.Jeremyetellearrivèrentaucrépusculedanssa
bonne vieille camionnette, manœuvrant prudemment sur les routes cahoteuses, et évitant les arbres
arrachés.Ilssedirigèrentverslepatiod’oùs’échappaitunedélicieuseodeurdeviandegrillée.Les
enfantsjouaientalentour,faisantdel’escrimeaveclesbranchesbrisées.
Eliza vit Mara et Jacqui, qui s’occupaient du gril. Mara était fraîche et rayonnante. Pour la
première fois cet été-là, elle portait ses propres vêtements – un tee-shirt blanc tout simple et un
pantalondetreillis.
–Hola,chicas!lançaEliza,imitantJacquidumieuxqu’ellepouvait.
Maralevalatêteausondesavoix.ElizaétaitvêtuedujeanSallyHershbergeretdutopMissoni
acheté en solde. Quant à Jacqui, elle cachait son faux iroquois sous le foulard Pucci. Mara était
heureusequesesamiesaienttoutesdeuxconservéunsouvenirdelagarde-robedeMitzi.
–Ilfautqu’onparle,Mara,ditEliza,rassemblantsoncourage.
Maraacquiesça.
–Ouais,ceseraitpasmal.
–Toiaussi,Jac,précisaEliza.Touteslestrois.Ilyatroplongtempsqu’onnel’apasfait.
Lesfillesmarchèrentlentementverslaplage.JacquisetenaitentreElizaetMara,espérantêtrele
beurre de cacahuète qui les souderait à nouveau comme un sandwich... Elles contemplèrent les
mouettes qui planaient au-dessus des vagues et l’océan qui scintillait dans l’or du soleil couchant.
L’ouragan avait remué les fonds sableux, et la plage était jonchée de coquillages brisés et autres
débris.
Enfin,ElizasetournaversMara.
–Jesuisvraimentdésolée.Pourtout.J’espèrevraimentque...enfin...tusais,j’espère,quejene
feraijamaisrienpourtenuire,dit-elled’unevoixtremblante.JesaisqueRyanettoi,vousêtesfaits
l’unpourl’autre.J’aicommisuneerreur,etjesuisréellementdésolée.Jeregrettedepast’avoirparlé
dePalmBeachplustôt.J’aiessayé,maisj’airenoncétropvite.
– Arrête, Liza... ne pleure pas ! dit Mara. J’ai été horrible avec toi le jour du défilé, et je t’ai
accuséed’avoirvolécesmauditesbouclesd’oreilles.J’aitellementhonte.Toutestmafaute,aussi.
–Non,c’estàcausedemoi,insistaElizaens’essuyantlevisaged’unemain.
Elle attrapa l’ourlet de son ravissant chemisier Missoni et se moucha avec. Ce geste lui
ressemblaittellementpeuqueMaraetJacquinepurentqu’éclaterderire.
Marahochalatête.
–J’aiconfianceentoi.
Et,écoutantsoncœur,ellesutquec’étaitvrai.ElleavaitvraimentconfianceenEliza.Lesgensse
trompent parfois. Elle était bien placée pour le savoir. Et, aussi heureuse fût-elle d’avoir retrouvé
Ryan,l’amitiéd’Elizaétaittoutaussiimportanteàsesyeux.Onnerencontrequequelquesvéritables
amis au cours d’une existence, et il faut tout faire pour conserver ceux qu’on a eu la chance de
trouver.
Lesyeuxd’Elizas’embuèrentànouveaudelarmes.
– Eh les filles, déclara-t-elle d’une voix brisée, j’espère que vous savez que j’ai jamais eu de
meilleuresamiesquevous!
Jacquipassalesbrassurlesépaulesdesesdeuxamies,ettoutestroissetinrentenlacées.Mara
commençaelleaussiàsangloteretJacqui,sansbiencomprendrepourquoi,s’ymitégalement.Elles
s’étaientsentiessiseules,lesunessanslesautres.
– Hé, regardez ! dit Jacqui en désignant des détritus qui s’étaient échoués sur la plage. Ça ne
seraitpasnotrebouteille?
Mara avait peine à y croire, mais c’était bien la bouteille de rhum dans laquelle elles avaient
cachéleurmessage,autoutdébutdel’été.Quellecoïncidenceextraordinaire!
Elizaretiralebouchonetextirpalemessage.Enhautdumorceaudepapier,leurmotàelles:
BonjourdeMaraWaters,ElizaThompsonetJacareiVelasco,danslesHamptons.Nouspassons
leplusbelétédenotrevie.Sivoustrouvezlabouteille,veuillezécrirevotrenometunpetitmot,etla
balancerdansl’océan.
Enbasdelapage,unemainavaitgriffonnélesmotssuivants:
BonjourdelaNouvelle-Écosse,auCanada,deSandraShepherd,AlanaKingetMargritteLyon.
Nousavonstrouvévotrebouteillequiflottait,surlaplagedeWhitePoint.Nousaussi,nouspassons
unétégénial!
Jacqui,ElizaetMaraéclatèrentderire.C’étaitunpetitmiracle.
–LaNouvelle-Écosse!MonDieu,c’esttrèsloin!fitremarquerEliza.
–C’estsansdoutel’ouraganquil’aentraînéeaussiloin,suggéraJacqui.Ouplutôtramenée.
–Jemedemandesiellesnousressemblent,ditMarad’untonsongeur,enportantlamainàson
cou.
LecollierdeperlesdechezMikimoto.Mitziluiavaitassuréqu’ellepourraitlegarder,audébut
de l’été. C’était le seul véritable cadeau qu’elle lui avait fait. Mara songea à une certaine grande
rousse...sasœurl’adorerait,c’estsûr.
–L’étéprochain...onreviendra!déclaraEliza.L’étéprochain...jesaisquevousalleztrouverça
ringard, mais je jure que ce sera le meilleur été qu’on passera jamais ! Ce sera le meilleur été de
notrevie!
JacquietMarasourirentavecindulgence.ToutespensaientàcetteannoncesurInternetquiles
avait réunies. Travailleraient-elles à nouveau pour les Perry ? Ryan avait parlé à Mara des petits
bungalowsqu’onpouvaitlouer,surlaplage.Elizaplanifiaitdéjàsonprochainstage,danslestylisme,
peut-être–entouslescas,pasdanslemilieudesboîtesdenuit!EtJacqui...Ehbien,Jacquisongeaità
Kit,quiluiavaitparusimignonlaveille,etàréalisersonrêve:entreràl’universitédeNewYork.
Aulendemaindel’ouraganrégnaientlecalmeetlapaix.C’étaitunepurification,unecatharsis.
LesHamptonsserelèveraient.Pendantl’automne,onrépareraitlesroutes,onreconstruiraitles
monstrueuses bâtisses. Et, en mai, une nouvelle équipe de filles débarqueraient, pleines d’espoir,
avides de soleil et de rires. Elles s’amuseraient, tomberaient amoureuses, et s’enivreraient de
champagnesurlesplagesdesableblanc.
Mara,JacquietElizafirentlesermentderevenirl’étéprochain.Unanseraitsivitepassé.
UNESAISONENBIKINI
Traduitdel’anglais(américain)
parValérieLePlouhinec
Àtouteslesfillesmerveilleusesquim’ontenvoyédese-mails,
desmessagesinstantanés,destextos,desblogsetdescommentaires
enligne:mercipourvotresoutiensansfaille,votreenthousiasme
réconfortantetvosnombreusesquestionsintéressantes!Cequisuit
estpourvous.Et,oui,ilestbeaucoupquestiondeMaraetdeRyan
danscelivre.Quantauxnouvelleslectrices…bienvenue
danslesHamptons!
Etmaintenant,rentrezchezvous.Non,jerigole.
Occupez-vousdusuperflu,lenécessaires’occuperadelui-même.
DorothyParker
Alltheriches,baby,won’tmeananything,
Alltheriches,baby,won’tbringyouwhatlovecanbring
«Touteslesrichessesdumonde,bébé,neveulentriendire
Touteslesrichessesdumonde,bébé,netedonnerontpascequedonnel’amour.»
GwenStefani,RichGirl
«Toutvientàpointàquisait
attendre»,dit-on:assise
ausiège12A,Maraespère
quec’estbienvrai
Lorsquelepiloteamorçasonvirageau-dessusdel’aéroportLaGuardia,MaraWaterséteignit
soniPodminietposalecataloguedel’universitédeDartmouthqu’elleétaitentraindelire.Àtravers
le petit hublot, elle contempla l’horizon de Manhattan : un lumineux panorama de verre et d’acier
adouciparlabrumedefind’après-midi.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleprenaitcettenavette
pour faire les quarante minutes de vol entre Boston et New York, elle en avait l’habitude. Le trajet
était agréable, avec magazines gratuits à volonté en salle d’embarquement et, pour compagnons de
voyage,deshommesetfemmesd’affairesencostumedelainageimpeccableouencompletdetravail
froissé,dontl’oreilletteBluetoothclignotaitavecdiscrétion.
C’était la première semaine de juin et, à peine quarante-huit heures plus tôt, elle avait
officiellement reçu son diplôme de fin d’études secondaires. La cérémonie s’était déroulée sans
surprise:aprèsunmornediscoursdumajor(myope)delapromotion,leslycéensavaiententonné
sansentrainBreakaway,deKellyClarkson.Lachansonavaitétéimposéeparladirectionquin’avait
pas apprécié le choix des élèves : American Idiot de Green Day. Seul événement notable : juste au
momentoùonluiremettaitsondiplôme,unmembredelafanfaredulycéeavaitsoulevésarobede
cérémonie sur l’estrade et prouvé qu’il ne portait rien en dessous. (Ses collègues de la fanfare, en
granduniforme,avaientalorsimproviséuneversionimpertinentedugénériquedelasérieTheStrip
ensetrémoussantetsedéhanchantd’unemanièretrèspeuprotocolaire.)
Mara avait reçu le prix d’excellence en anglais, ainsi qu’une bourse d’études de deux mille
dollars. Sa mère avait pleuré et son père avait pris bien trop de photos avec son nouvel appareil
numérique,tandisquesessœursl’acclamaientdepuislesgradins.Ausondesaccordsretentissantsde
laMarchesolennelle,elles’étaitjointeauxtroiscents«Tigresrugissants»–lesurnomdesélèvesdu
lycée–pourjeterenl’airsacoiffedediplômée.Ensuite,toutenbuvantdupunchcoupéd’eaueten
grignotant des biscuits rassis dans le gymnase, elle avait regardé ses camarades échanger leurs
nouvellesadressesélectroniquesàlafacetsepromettredeserendrevisiteàl’automne.
Siseulementelleavaitpuenfaireautant!
MararegardalecataloguedeDartmouthenfronçantlessourcils.Lesphotosd’étudiantsenpull
àtorsadesoccupésàrévisersurlespelousesluidonnèrentuneboufféedejalousie.Surlisted’attente.
C’estcequedisaitlalettred’unepagequ’elleavaitreçuedansuneminceenveloppeblanche.Niouini
non:«Peut-être».
Peut-être serait-elle informée de son admission une semaine ou même quelques jours avant la
rentrée.Aussibien,ellepouvaitnepasêtreadmisedutout.Parchance,elles’étaitvuproposerune
place à Columbia, assortie d’une généreuse aide financière, et elle avait versé un dépôt de garantie
pourréserversaplaceaucasoùcelanemarcheraitpaspourDartmouth.
L’étéquis’étendaitdevantelleseraitdoncremplid’angoisseetd’appréhension,carelleignorait
cequ’iladviendraitd’elleàl’automne.C’étaittellementinjuste!Dartmouthétaitsonpremierchoix,
son seul choix même, si elle avait pu en décider. Après tout, c’est là que Ryan allait entrer en
deuxièmeannée.
Ryan.Àl’évocationdesonnom,ellenepouvaits’empêcherdesourire.RyanPerry.Sonpetit
ami.Celaavaitfinipararriver:euxdeux,enfinréunis!Ilss’étaientrencontrésdeuxansauparavant,
lorsqu’elle était fille au pair chez lui et s’occupait de ses petits frères et sœurs. Dès le début, ils
s’étaient bien entendus. Mais les événements et les gens s’étaient rapidement interposés entre eux.
Lorsdecepremierété,MaraétaitencoreavecJimMizekowski,sonamoureuxdulycée.Elleavait
fini par le plaquer à huit jours de la fin. Ryan et elle avaient alors passé ensemble une dernière
semainederêvedanslesHamptons.Maisplustard,pendantl’hiver,Maraavaitrompu,effrayéepar
l’incompatibilité de leurs milieux sociaux. Car si Ryan était né avec une cuillère en argent dans la
bouche,Mara,elle,avaittoujoursdûtravaillerdurpourobtenirquoiquecesoitdanslavie.
C’est pourquoi ils avaient passé le deuxième été chacun de son côté. Mara avait trouvé refuge
dans les bras de Garrett Reynolds, le riche héritier et grand séducteur qui habitait la porte à côté ;
quant à Ryan, il n’avait pas cherché bien loin non plus : il s’était consolé avec Eliza, l’une des
meilleures amies de Mara. Mais tout cela, c’était du passé. Garrett était oublié, et Eliza, pardonnée.
Toutel’année,MaraétaitsouventalléeretrouverRyanàNewYorketdansleNewHampshire.Ryan,
lui,avaitfiniparfairelevoyagejusqu’àSturbridge.
Toutes ses craintes au sujet de ce qu’il allait penser – que sa maison était trop miteuse, ses
parentstropbizarres,sessœurstropbruyantes–avaientétébalayéesdèsl’instantoùRyanétaitarrivé.
Il avait sympathisé avec son père en parlant football, et avait repris trois fois du poulet frit de sa
mère:unrecord!Meganluiavaitsoutirétoutessortesdedétailscroustillantssurlescélébritésnewyorkaises (« Ton pote a léché de la tequila dans le décolleté de Lindsay Lohan ? Non, tu
plaisantes?»);MaureenavaitdéclaréqueRyanétaitunbeaunompourungarçon,toutencaressant
sonventredefemmeenceinte.Iln’avaitfaitaucuneremarquesurlasalledebainsinachevéeoùun
boutdetissuclouéàlafenêtretenaitlieuderideau,nisurlatempératurefrisquettedelamaison–
quinze degrés en plein hiver – à laquelle se tenaient ses parents pour réduire les factures de
chauffage.
Cetété-cipromettaitd’êtrelemeilleurdetous:ellen’avaitplusbesoindegarderdesenfants,
car elle avait trouvé un stage au magazine Hamptons grâce aux relations d’Anna Perry. C’était un
postededébutantetypique:fairelecoursier,passerdesfax,répondreautéléphonepourlarédactrice
enchef.Maisonpouvaitenespérerquelques(notezbienle«quelques»)petiteschancesd’écrire.«Il
nousfautquelqu’unpourlégendertouteslesphotosdesoirées»,luiavaitditsafuturepatronne.Mara
pressentait que cela demanderait plus d’aptitudes à distinguer l’une de l’autre les jet-setteuses
identiquementblondesquederéellesqualitésrédactionnelles,maisaumoinsc’étaitunpremierpas
danslemondedujournalisme.
Celanepayaitpasautantquelejobdenounou–uncomble!–,etlesgossesetlesfillesallaient
luimanquer.JacquiseraitladernièreàtravaillerencorepourlesPerry,puisqu’Elizaavaitautrechose
de prévu, comme d’habitude. Mais le mieux, avec ce boulot, c’est qu’elle serait libre de vivre avec
Ryanàbordduyachtdesonpère.Ilsallaientvivreensemble,commeunvraicouple.Ceseraitl’étéle
plusromantiquedumonde!
Mara soupira en rêvant qu’elle sillonnait la baie à la voile, Ryan à la barre tandis qu’elle se
prélassaitenbronzantsurlepont.Touslesdeuxs’embrassantsurfonddesoleilcouchant.
L’avionavançajusqu’àlapasserelleetMararallumasontéléphonequiémitimmédiatementla
sonnerieindiquantunappeldeRyan:l’airdufilmHalloweendeJohnCarpenter.Doo-do-do-dodoodo-do-do...
Ellesouritenouvrantd’ungesteletéléphone.Elleétaitsurlisted’attente?Labelleaffaire!Elle
allaitquandmêmepassersontroisièmeétédanslesHamptonsaveclegarçonqu’elleaimait,etqui
l’attendaitàl’aéroport.
Etcela,personnenepourraitleluienlever.
ÀSoHo,pourEliza,lamode
c’estlaguerredestranchées
–E-liii-zâ!
–E-liii-zâââ!
–Tum’écoutes?
Hein?Quoi?
Elizaclignadesyeux.Quelqu’unluiparlait.Plusprécisément,quelqu’unluiparlaitdehaut.Elle
posa ses baguettes et essaya de masquer son agacement. Dîner en paix, c’était vraiment trop
demander?
Il était minuit et demi. Elle était au show-room depuis neuf heures du matin et n’avait qu’une
envie:rentrerprendreunedouche.EllequiétaittoujoursparfuméeauCocoChanel,pourlapremière
foisdesavieellecocottaitgrave!Elleserenifladiscrètementchaqueaisselleetplissalenez.
–E-liii-zââ.Allôallô,laTerreparleàE-liii-zââ!
Eliza se frotta les yeux et finit par faire le point sur la propriétaire de cette voix. Paige
McGinley, aussi appelée Paige la Pénible. Sa soi-disant patronne. L’esclavagiste en chef du célèbre
stylisteSydneyMinx,propriétairedushow-room,leroidescapricesdestar,l’hommeàcausedequi
elleavaitdormiàpeineunedemi-heuredepuisdeuxjours.
SydneyétaitunstylistedemodegayoriginaireduBronx.Audébutdesacarrière,ilavaitréussi,
àforcedevigoureuxciragesdepompes,às’acoquineravecunebandedejet-setteursnew-yorkaisqui
l’avaient aidé à lancer une ligne de sportswear chic, décontractés et néanmoins hors de prix. Ses
collectionss’étaientparlasuiteétofféespourproposeraccessoires,parfum,objetsdedéco,bougies
etlingedemaison.Quiconques’habillait,dînaitetrêvaitpouvaitêtresûrd’utiliseràunmomentouà
unautreunarticleSydneyMinx.
Ce cabotin allait ouvrir, dans deux jours, sa première boutique dans les Hamptons. Le bureau
bourdonnait d’une activité frénétique pour préparer dans le moindre détail la grande soirée
d’inauguration et son défilé de mode. Comme tout le monde à New York, Eliza avait été une fan
absolue de Sydney à ses débuts : les pulls « clochard » en cachemire nid-d’abeilles d’un prix
extravagant,lespantalonstuyau-de-poêlesexy,lessacsaulogoartistementtagué.Maiscesderniers
temps, il dérapait. Les dernières collections avaient viré sans transition, d’une saison à l’autre, du
lookbombesexuelleenfolieàl’austéritélaplusamidonnéeetcolletmonté:lamarques’efforçait
laborieusementdes’adapteraupublicdeplusenpluscapricieuxdesacheteusesdehautecouture.Au
boutd’uncertainnombredecollectionsratées,onrisquaitforcémentdetomberdanslesoubliettesde
lamode.Aveccetteouverture,Sydneyjouaitgros.
La tension était si forte que si jamais Sydney, éternel insatisfait, convoquait encore une fois
l’équipe pour traiter d’imbéciles et d’incapables tous ses associés, assistants de production,
mannequins et stagiaires, quelqu’un allait forcément éclater en sanglots. Déjà, l’une des modélistes
avaitabandonnésamachineàcoudre,mortifiée,lorsqu’ilavaitqualifiéde«cameloteàdeuxballes»,
de«cauchemaroculaireinégalé»etd’«insulteaunomdelacouture»leprototypesurlequelelle
travaillait.
–Jepeuxfairequelquechose?demandaElizaavechumeurens’essuyantlaboucheavecune
servietteenpapier.
–Pourquoiest-cequetouslesT-shirtsnesontpasencorepliés?Jetel’aidéjàdit,ilfauttousles
emballer pour que les coursiers les apportent aux boutiques demain matin, fit Paige d’un ton
autoritaire.
Cette fille de vingt-deux ans aux cheveux noirs et aux traits durs, fraîchement diplômée du
FashionInstituteofTechnology,avaitrapidementgrimpéduposted’assistantepersonnelledeSydney
àlapositiondedirectricedecréationdelamarque.
Les T-shirts, décorés de la silhouette photoshoppée et nettement amincie du styliste, seraient
glissés dans les sacs de cadeaux offerts aux invités VIP de la fête de lancement à East Hampton, et
vendusaucommundesmortelssoixante-quinzedollarspiècedanslesboutiquesdetoutlepays.
– Parce que je suis en train de passer tout le tissu à la bombe or comme Sydney l’a demandé
pourlesmanteaux«Anna»,rétorquaElizaenrepoussantlesboîtesdenourriturechinoise.
Elle montra à Paige les coupons qui devaient être cousus sur un trench militaire grâce auquel
Sydney espérait attirer l’attention de la rédactrice en chef de Vogue. Il en restait encore la moitié à
peindre.
Elizas’essuyalesmainssurl’arrièredesonpantalondejoggingSoLowpuiscroisalesbras,
sur la défensive. Emballer des T-shirts, non mais, c’était une tâche de grouillot ! Elle était Eliza
Thompson ! Mentionnée une fois dans le magazine New York comme la fille la plus populaire du
circuitdeslycéesprivés!Sielleavaitprisceboulot,c’étaituniquementparcequ’elleaimaitlamode
etcroyaitqueceseraitleparadisdepasserl’étédansleshow-roomd’unstyliste.
– Ces coupons ne sont pas encore finis ? dit Paige, atterrée. Sydney en avait besoin il y a des
heures.
Elizas’efforçadenepasavoirl’airtropcoupable.Elleavaitpristoutsontempspourpeindrele
tissu, justement afin que personne ne lui demande de faire autre chose. Elle avait remarqué qu’en
prenantunairsuffisammentoccupé,ellepouvaitéviterlescorvéeslesplussoûlantes.
–Entoutcas,laissetomberpourlemoment.VaaiderVidalia,ellen’estpasfichued’enfilersa
robecorrectementpourlefilage.Ensuite,ilmefautcesT-shirts.
–D’accord,grognaEliza.
–Etqu’est-cequec’estquecetteodeur?
Elizasefigea,lesbrascollésaucorps.
–Berk!Quiacommandéduchinois?s’écriaPaigeensoulevantlaboîtedebœufauxoignonsà
moitiédévoréeparEliza.
–Euh...toutlemonde?luirappelaEliza.
Toutel’équipeavaitprisdelanourritureàemporter,vuquel’heuredudînerétaitpasséedepuis
longtempsetqu’ilsétaienttousmortsdefaim.Elleétaitentraind’engloutirvoracementlesnouilles
quandPaigeavaitinterrompusonrepas.
–Ehbien,débarrasse-nousdeça.SiSydneysepointeetretrouvesesvêtementsparfumésfaçon
Chinatown,ilvafaireunscandale.
Elizaenfournaencorequelquesbouchéesduplatodorantavantd’allerlejeteravecregretdans
levide-orduresdel’autrecôtéducouloir.Puisellerevintdansleloftdetroismillemètrescarrésde
SydneyMinx.Ilsetrouvaitautroisièmeétaged’uneancienneusinedeSoHo.Lestylistel’avaitacheté
danslesannéessoixante-dix,alorsquelebâtimentétaitencoreunsquatd’artistes.Sydneyavaitjuré
qu’ilnequitteraitjamaislequartier,maislorsquelesaffairesavaientdécolléils’étaitviterepliésur
uneadressehuppéedel’UpperEastSide,etleloftavaitététransforméenquartiergénéralpourses
collections.
Àpeineunesemaineplustôt,Elizaavaitbondidejoieenapprenantquesamèreavaitpersuadé
SydneyMinxdelaprendreenstage.Elleavaitmêmeratésacérémoniederemisedediplômepour
êtrelàcesoir.Aucuneimportance:aprèsunanpasséàSpence,àNewYork,etdeuxaulycéeHerbertHooverdeBuffalo,elleavaitfaitsadernièreannéed’étudessecondairesdansunepensionchicoù,
même en séchant la plupart des cours, elle avait réussi comme une fleur dans les matières les plus
difficiles.Enfilerunerobenoireetcoifferunchapeauencartonpourallerchercherunmorceaude
papier?Etpuisquoiencore?Elleavaitdemandéaulycéedeleluienvoyerparlaposte.D’ailleurs,
commechacunsait,lacoiffedecérémonieaplatitlescheveux.
Les Thompson avaient retrouvé leur fortune, et pour Eliza, tout était pour le mieux dans le
meilleurdesmondes.Lescandalequiavaitruinésesparentsetlesavaitprécipitésdansl’oubli(d’où
lepassageparBuffalo)étaitdel’histoireancienne.Grâceàdesrelationsbienplacées,sonpèreavait
investi pour une bouchée de pain dans des entrepôts abandonnés de l’ouest de Manhattan, qui
n’avaientpastardéàdevenirlesvaleursimmobilièreslesplusrecherchéesdelaville.Etvoilà!Les
affairesavaientreprispourlesThompson.EnrachetantleurpartdelacopropriétédeParkAvenueet
enreprenantuneinscriptionauprestigieuxKnickerbockerClub,ilsavaientretrouvéleurréputation
intacte,demêmequeleurscartesdecrédit.
Touslesrêvesd’Elizasemblaientenfinseréaliser:elleavaitétéadmiseenavanceàPrinceton,
l’universitédesesrêves–cequin’avaitjamaisvraimentfaitdedoute,avecsesnotesparfaitesetson
statut de future héritière. Mais en plus, cet été, elle n’aurait ni à s’occuper des enfants Perry, ni à
s’épuiser dans une boîte de nuit à servir des célébrités insupportables. Le stage chez Sydney Minx
étaitlacerisesurlegâteau.Illuiapporteraitdescontactsdanslemilieu(ellenecrachaitjamaissurde
bonnes remises pour rallonger son budget shopping, et elle avait entendu dire que les soldes de
presseétaientincroyables!)etenplus,ceseraitunemanièreamusantedepasserletemps.Cen’était
pasqueleboulotsoitagréableencemoment,maisilpourraitledevenir...siseulementonlalaissait
faire quelque chose de plus intéressant que peindre du tissu, repasser des vêtements et garnir des
cartons.
Quoi qu’il en soit, dès demain elle serait dans les Hamptons avec Jeremy et ses amies. Mara
devaitdéjàyêtre,etJacquin’allaitpastarderàarriverenavionaveclafamillePerry.
Elles ne s’étaient pas vues toutes les trois depuis les vacances de printemps, où elles avaient
réussi à se retrouver à Cabo San Lucas pour quelques journées gorgées de soleil. Elle bouillait
d’impatience de leur décrire son nouveau job. Bien sûr, l’agrafage des programmes de défilés de
moden’étantpasextraordinairementglamour,elleneraconteraitpeut-êtrepastoutdansledétail.
Enpassantdevantunmiroirenpied,ellevérifiarapidementsonreflet.Horreur!Lemanquede
sommeil lui avait accroché des valises sous les yeux, et sa chevelure blonde, habituellement
splendide, lui retombait à plat sur les épaules. Ses yeux bleus étaient humides entre des paupières
rougies.Pourtant,mêmedanslepireétat,elleparvenaitencoreàêtrelaplusjoliefilledelapièce.
Elleavaitnouésonamplechemiseblancheautourdesatailleaulieudelaboutonner,cequilaissait
entrevoir un ventre plat et bronzé au-dessus de son jogging baggy. Et les confortables claquettes
qu’elle portait aux pieds arboraient tout de même un discret logo Chanel de chaque côté. Elle
rassemblasescheveuxenunchignonlâchemaisélégant,qu’ellefixaàl’aided’unepairedebaguettes
propres.
Jeremyaimaitbienquandelleremontaitsescheveux,pensa-t-elleavecaffection.Ilétaitdéjàà
Montauk et l’attendait avec impatience. En le voyant quelques semaines plus tôt, à sa remise de
diplômeuniversitaireàBinghamton,elleavaitétésifièredelui!Jeremyétaitl’undesraresgarçons
àrendresexycetteridiculecoiffeencarton,avecsesbouclesbrunesquidépassaientsouslebonnet.
Unerelationàdistance,c’étaitdur,maisilsavaientréussiàlafairefonctionneretn’allaientpas
tarderàfêterlepremieranniversairedeleurhistoire.Onn’auraitjamaisditquecelafaisaitdéjàun
an:dèsqu’ilssetrouvaientensemble,c’étaitcommes’ilsvenaientdeserencontrer.Dufondducœur,
ellesesentaitplusamoureusequejamais.Elleavaithâtedelerevoir.Detouslesgarçonsqu’elleavait
connus,JeremyétaitleseulàvoirlavraieEliza,leseulàl’aimerparcequ’ellerecrachaitparfoisson
laitparlenezenriant.Leseulavecquiellesesenteassezàl’aisepourlaissertombersonnumérode
princesse-diva.Tantdetypesn’attendaientd’ellequ’uncomportementdemannequinparfait,dugenre
«soisbelleettais-toi».Jeremy,lui,latrouvaitbellelorsqu’elleavaitunboutonaumenton.
Ilsavaientprévudepasserlanuitensembledèsqu’ellearriveraitenville...etElizasavait,même
si Jeremy l’ignorait encore, que pour la première fois cela voudrait dire vraiment passer la nuit
ensemble;passepelotercommedesgamins,commeilsl’avaientfaitjusqu’àprésent.Auboutd’un
anderelationsérieuse–aprèsunerupturel’hiverdeleurrencontre–,elleétaitprêteàfairedelui
sonpremieramant.Ilétaitsonvéritableamour,etilattendaitdepuislongtempsqu’ellesesenteprête.
Elle avait dix-huit ans : pour elle, c’était le moment. Elle inspira profondément et se regarda de
nouveaudanslaglace.
Sitoutsepassaitcommeprévu,demainsoirelleneseraitplusvierge.Ellesedemandaitsielle
aurait quelque chose de changé. Plus vieille ? Plus mûre ? Plus expérimentée ? Est-ce que cela se
verrait?Ellen’allaitpastarderàlesavoir.
Dansl’UpperEastSide,Jacqui
constatequefairesesvalises
pourlesHamptonsn’arrange
enrienlagueuledebois
Lasonnetteretentitetcarillonnafortementdanslestudio,maisJacquiVelascon’yprêtaaucune
attention.Ellesedépêchaitdejetervêtements,chaussuresetsacsdeplagedansdeuxvalisesouvertes
aumilieudelachambre.Àpeineunedemi-heureplustôt,ellemontaitsurl’estradeaveclerestedesa
promotiondel’académieSainte-Grâcepourrecevoirsondiplôme.Elleportaitencorelajolierobeà
fleursBlumarineetlesescarpinsGucciàboutrondqu’elleavaitchoisispourl’occasion.
Sagrand-mèreétaitdéjàpartiepourl’aéroportafind’attrapersonvolderetourpourSãoPaulo.
Cela avait été un bonheur de voir son avó, rayonnante de fierté sous sa mantille en dentelle. Après
tout,JacquiavaitétéreçueavecunbonB+demoyenneetunprixd’excellenceenespagnol(biensûr,
parlercourammentleportugaisl’avaitaidée).Elleavaitfaitsesadieuxàsagrand-mèreàlaportede
l’auditorium;puis,dèsqu’ellel’avaitpu,étaitrentréeàtoutevitesseemballersesaffairespourles
Hamptons.LesPerryétaienttrèsàchevalsurleshorairesetn’enattendaientpasmoinsdesautres.
Maispourquoi,pourquoiavait-ellerepoussésilongtempslemomentdefairesessacs?Jacqui
continuaitàseledemander,mêmesielleneconnaissaitquetropbienlaréponse.Lafindesexamens!
AulieudepasserdutempsàsepréparerpourlepèlerinageannueldesPerryàEastHampton,Jacqui
avait choisi de faire la fête avec ses camarades. Les quarante-huit heures qui venaient de s’écouler
avaientétéuntourbillon:soiréealcooliséeauMaritimeHotel,golfminiatureauxChelseaPiers,nuit
passéedanslesCatskillsavecfeudecampetmarshmallowsgrillés.Entrelesfestivitésetlesmoments
oùelledevaittrimballerlesenfantsPerrydel’écoleàleursactivitésdiverses,ellen’avaitpastrouvé
uninstantpourremplirsesvalises.
Son pauvre crâne souffrait d’une gueule de bois carabinée, conséquence de la fête imbibée de
tequila de la veille. Elle ouvrait des tiroirs au hasard, choisissant et écartant des objets au petit
bonheur.FoulardPucci.Oui.Cardiganencachemire.Non.(Tropchaud.)DjellabaDuroOlowu.Oui.
Petithautsexy.Tropvul’andernier.Havaianas.Oui.Levi’sblanc.Absolument.
Elle passa la main dans son épaisse chevelure noire. La crête hérissée qu’elle avait dû porter
l’étéprécédentpourundéfilédemoden’étaitplusqu’unsouvenir.Lacoupepunkluiallaitbien,mais
elleavaitbesoindeseslonguesbouclesbrunespoursesentirelle-même.
SapremièreannéeàNewYorkavaitététoutsimplementmagique.LesPerryl’avaientinstallée
dans le studio de leur précédente nounou. Jacqui avait eu le souffle coupé en découvrant ces vingt
mètres carrés aménagés de manière charmante et confortable avec baies vitrées, jolie chambre en
alcôve,unevraiecuisineetunecheminéeenétatdemarche.Situéàunpâtédemaisonsdechezles
Perry, l’appartement était assez près pour que Jacqui y aille facilement garder les enfants, mais
suffisammentéloignépourqu’elleaitsonintimité.
Jacquis’étaitinscriteendernièreannéedelycéeàSainte-Grâce,unepetiteécolecatholiquede
filles du West Side, qui l’avait acceptée alors que Stuyvesant, l’une des écoles publiques les plus
cotées du pays, avait rejeté sa candidature. Les Perry lui payaient ses frais de scolarité, et ses
camarades de classe avaient rapidement idolâtré cette éclatante beauté brésilienne parachutée parmi
elles. Jacqui avait travaillé dur toute l’année, ce qui ne l’avait pas empêchée de se faire beaucoup
d’amies.Carelleétaitlaseuledel’écoleàavoirsonpropreappartement,etelleavaitdonnédesfêtes
sanscompter.
Elletrouvaunebouteilledebièrevidesoussonlitetlafourradanslapoubelle.
La sonnette tintinnabula de nouveau, et cette fois Jacqui entendit distinctement Anna et Kevin
Perrysedisputerderrièrelaporte.
–Jeteparle!Nerépondspasautéléphonequandjeteparle!
–Anna,c’estpourletravail.C’estimportant.Uneminute,d’accord?
–Tunem’écoutesjamais.Tufaistoujourspasserletravailavant!
–Chérie,s’ilteplaît,tais-toi.Ilfautquejeprennecetappel.
–Oh,vas-y,tiens!Oùest-elle?Jacqui!Jacqui!
–J’arrive,criaJacquiencourantouvrirlaporte.
Anna Perry, véritable apparition tout de blanc vêtue, en tenue de tennis Chanel, tapotait avec
impatiencedesafrench-manucuresurlechambranledelaporte.
–Lalimousineestlà.Nousdevonsêtreàl’héliportdela34eRueenvitesse,sinonnousallons
loupernotrecréneaudedécollage,ordonna-t-ellesansménagement.
KevinPerry,l’airtenduetchiffonnédanssoncostumedelainagegris,adressaàJacquiunbref
signedumentontoutenportantsontéléphoneàl’oreille.
–Oui,oui,désolée...uninstant...
Jacqui hocha la tête et referma la porte au nez d’Anna. Les Perry payaient peut-être cet
appartement,maisc’étaitquandmêmechezelle.Enoutre,ilfallaitabsolumentqu’ellecachelefûtde
bièrequitraînaitaumilieudusalon.
Marainfiltrelajeunessedorée
Maratraversal’aéroportàgrandesenjambéesrésoluesetpritunraccourciconnudepeudegens
pourrejoindrelazonederetraitdesbagages.Elleétaittellementconcentréequ’elleneremarquapas
lesnombreuxregardsadmiratifsquilapoursuivaient.AvecsonT-shirtblancMichaelStarsmoulant,
sonpantacourtLillyPulitzervertetroseetsessandalescompenséesToryBurchpourTRB–achetés
toutrécemmentgrâceauchèquedefélicitationsdesesgrands-parents–,elleétaitlaclassemême.Son
épaissechevelurenoisette,expertementcoloréeetcoiffée,luitombaitcoquinementjusteendessous
desépaules,etelleétaitbronzéegrâceàunweek-endpasséàBlockIslandpourfêtersondiplôme.
Ellerécupérasesvalises,lesempilasurunchariotetfranchitlesportescoulissantesenverreà
larecherchedeRyan.ElleletrouvaappuyéàuneFerrariEnzorougesurbaissée,garéeillégalement
lelongdutrottoir.
Ilcourutàsarencontreàgrandesfouléesbondissantes.
–Salutbeauté!dit-ilensaisissantunehousseàvêtementssurledessusduchariot.
– Salut toi-même, répondit Mara dont le cœur rata une marche... ce qui arrivait à chaque fois
qu’ellevoyaitsonbeauvisage.
Elleluisouritpar-dessuslesvalisesCoachassortiesencuirsouple,uncadeaudefind’étudesde
sa sœur Megan. Cette dernière avait quitté son salon de coiffure pour un job de représentante de
commerce,quiluioffraitdesremisesexceptionnelles.
LescheveuxdeRyanavaientpoussé,ilavaitunecouped’étudiantébouriffé,maisàpartcelail
n’avait pas changé : même bronzage cuivré, même look légèrement débraillé – un T-shirt
AbovegroundRecordssurunjeantrouéRoley,seséternellesclaquettesencaoutchouc,etdesRayBan aviateur vintage remontées sur la tête. Mara laissa le chariot sur le trottoir pour le rejoindre,
passantunbrasautourdesataillependantqu’ilfourraitlahoussedanslecoffre.
–Unenouvellecaisse?demanda-t-elleenadmirantlavoituredesportitalienne.
– Ouais. (Il haussa les épaules comme pour s’excuser.) C’est mon père. Je crois que c’est un
cadeauderattrapage.Ilaoubliémonanniversairecetteannée.
ChezMara,danscegenredecirconstances,onconfectionnaitplutôtdesbrowniesmaisoneton
offraituneviréeaucentrecommercial,paschezleconcessionnaireFerrari.
–Ettonanciennevoiture?
–SugarlapromèneàL.A.
Mararemercialesdieux,quelsqu’ilsfussent,quiavaientdécidéquelesjumelles,lesinfernales
sœurs de Ryan âgées de dix-huit ans, seraient absentes des Hamptons cette année. Sugar et Poppy
étaient«montéesàHollywood»,ettoutesdeuxécumaientlescastingsdefilms.Pourl’instant,elles
totalisaientàellesdeuxunfilmd’horreursortiuniquementenvidéo,maiselless’étaientdébrouillées
pourêtreprésentesàtouteslesavant-premièresdegala.Sugarenregistraitunalbum(MeltedSugar),
tandisquePoppyétendaitsonempired’unelignedeparfums–«Sniffers»byPoppyPerry–auxsacs
à main (« Stuffers ») et aux parfums d’ambiance (« Stinkers »). Elles étaient connues pour leurs
apparitions publiques généralement alcoolisées et dénudées et, cela va sans dire, elles étaient la
nouvellecoqueluched’Hollywood.
Marasecoualatêteausouvenirdesexploitsdesjumelles;elleleuravaitpresquepardonnéleur
rôledanssesdéboiresdel’annéeprécédente.Presque,maispastoutàfait.
– Tu m’as manqué, dit Ryan en se penchant pour l’embrasser. Ses lèvres se pressèrent contre
celles de Mara qui ferma les yeux et entrouvrit la bouche. Elle le sentit se coller à son corps et
resserrasonétreinte.Bientôt,ilssepelotaientcarrémentdevantl’aérogare.Ryanenfouitsonvisage
dans le cou de Mara qui respira son parfum familier : savon Ivory, eau de mer et crème solaire.
Miam.
Plusieurs automobilistes klaxonnèrent avec impatience, car la voiture de Ryan bloquait la
circulation.Ilssedécollèrentàregret.
–Mmm,fitRyanenluipressantlesépaules,jecroisqu’onferaitmieuxd’yaller.
–Tucrois?rétorquaMaraenclignantdel’œil,encoretoutheureuseetétourdiedesonbaiserde
bienvenue.
Ryanhaussaunsourcilenobservantlesbagages.
–Jenesuispassûrquetoutrentredanslecoffre.
Ilsecoualatête.
–J’enaiprisunpeubeaucoup.
– C’est ce que je vois. (Il hocha la tête en essayant de faire entrer une valise particulièrement
énormedanslepetitcoffredelaFerrari.)Sij’avaissu,j’auraisprislaRover.
–Désolée,fitMarad’unairpenaud.
Ryanjuraenplaisantantàmoitiélorsquelesroulettesdelavalisesecoincèrentdanslemontant
delaportière.Marareculapournepaslegêner.
– Qu’est-ce que c’est, SGH ? demanda-t-elle en remarquant un petit autocollant ovale sur la
gauchedupare-chocsdeladécapotable.
– Sag Harbor, là où nous allons passer l’été, expliqua Ryan en rougissant un peu. Anna en a
acheté pour toutes les voitures. Les leurs sont marqués « EH », East Hampton. Je n’ai pas pu
l’empêcherd’encollerunsurlamienne.C’estunpeuringard,jesais.
Maraeutunsourirenarquois.Unautocollantproclamantleurdestinationpourl’été,c’étaitAnna
Perrytoutecrachée:labelle-mèredeRyan,obsédéeparlestatutsocial,nelaissaitjamaispasserune
occasiondefaireétalagedeleurfortune.Ryanfinitparréussiràcaserleplusgrosdesbagagesdans
lecoffreetempilalerestesurleminusculesiègearrièredelavoituredesport.Maraposasonsacà
mainMulberrytoutneufsursesgenouxetcalalecabasassortisoussespieds.Elleétaitunpeugênée
d’avoir emporté tant d’affaires ; mais en tant que stagiaire pour le magazine le plus en vue des
Hamptons,elleétaitbiendécidéeàavoirtouslesattributsdelajournalisteglamour,neserait-ceque
pourcourirchezStarbuckschercherdescafés.ElleconnaissaitlesHamptonsdepuisassezlongtemps
pouravoirparfaitementintégrél’adage:«L’habitfaitbienlemoine».
Ryan se glissa sur le siège conducteur et la Ferrari démarra en rugissant. Comme son beau
fiancédoublaittouteslesvoituresenunéclairsurl’autoroute,levisagedeMaras’illumina.
Quiconquel’auraitvueainsiauraitcruqu’elleavaittoujoursétéunemoitiéégaledececouple
doré, qu’elle avait toujours baigné dans le genre de vie dont la plupart des gens ne font que rêver,
qu’elle était née belle, riche, bénie des dieux et pleine de confiance en elle. Pourtant, ceux qui
pensaientcelaétaientàmillelieuesdelavérité.
Elizapimenteunpeu
lacollection
–Eh,Vidalia!appelaEliza.(Ellesedirigeaversuntopmodeld’unmètrequatre-vingtsmince
commeunfil,emberlificotéedansunepièceoriginaledeSydneyMinx.)Paigem’aditquetuavais
besoind’aide?
–Jen’yarrivepasaveccetruc,seplaignitlemannequinavecl’accentnasillarddeCincinnati,sa
villenatale.
Eliza se demanda si Vidalia (tout court) avait pris un pseudonyme dans le but de donner une
image plus exotique d’elle-même ; ce faisant, elle s’était involontairement attribué le nom d’un
oignoncommun.
–Voyonsvoir,jecroisquec’estl’emmanchurequetuassurlatêteetqueça,çavalà;cecise
boutonnedececôté,etcemorceaupendlibrement,ditElizaenaidantVidaliaàsedébarrasserdela
robeavantdelafaireglissersursesépaulesetdeboutonneradroitementdespressions.
Enfin, elle tira sur la mousseline savamment déchiquetée jusqu’à ce qu’elle soit bien en place.
VidaliaetElizacontemplèrentl’imagerenvoyéeparlemiroir.
–C’esttout?demandalemannequind’unairdubitatif.
Elisahochalatête,maisellecomprenaitsaperplexité.Larobeàelleseuledevaitêtrelecloudu
spectacle,pourtantelleétaitunpeuordinaire.Ilmanquaitquelquechose...
Elizarepéraplusieurschaînesenor–desceintures–surunetabledecoupe.
–Tiens,dit-elleendisposantleschaînesautourducoudelafille.Metsça.
Elizaempilachaîneenorsurchaîneenor.PuiselletroqualessandalesdeVidaliacontreune
pairedecuissardesencrocodilemarron.C’étaitcenséêtreunecollectionprintemps/été,maistoutle
mondeallaitvouloirdesbottescetété:desbottesdecow-boy,desbottesdemotard,pourquoipasdes
cuissardes en croco ? Les sandales, c’était fini. Prise d’une bouffée d’inspiration, Eliza passa les
bordsdelarobeàlabombedoréepourcompléterl’ensembleavecpanache.
Lemannequinsesouritdanslaglace.C’étaitsexy,mignonethautdegammeenmêmetemps,le
parfaitdosageentreimpertinenceetsuperluxe.
–C’estmieux,non?interrogeaEliza.
–Perfecto,acquiescaVidaliaquisoudainn’avaitplusrienàenvieràunehéritièreeuropéenne.
Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre, euphorisées par la poussée d’adrénaline qui
accompagneuntravailbienfait,unetenuebienpensée.
Maislorsquel’exaltationretomba,Elizafutsaisieparl’angoisse.Elleavaitprisdegrosrisques
enaccessoirisantlarobeetenremplaçantlessandalespardesbottes.Seuleslesstylistesenchef–les
vieilles routardes de la 7e Avenue, rompues aux magazines et aux défilés de mode sous leurs
ceinturestresséesMarni–étaientcenséesarrangerlesvêtementsenvuedeleurprésentation.Quelle
seraitlaréactiondeSydneylorsqu’ilverraitcommentVidaliaportaitlarobe?Ilrisquaitdedétester.
Ilsepourraitqu’ilrenvoieElizaavecpertesetfracas.Elleavaitdéjàvuarriverdeschosespareilles:
l’étéprécédent,ellesetrouvaitdanslescoulissesd’undéfilélorsqu’unstylisteavaitjetéunecoupede
champagne à une maquilleuse qui avait eu l’outrecuidance de prêter ses lunettes masque à un
mannequin pour le show. Les lunettes n’étaient pas sur la liste pour cette tenue. Le styliste les avait
arrachéesdelatêtedumodèleavecunetelleviolencequ’ilavaitfaitsautersonpostiche.Elleavaitdû
défilerchauvecommeunnouveau-né.
Elizasemitàpaniquer.
– Tu sais quoi, Vidalia, si on retirait ces chaînes ? suggéra-t-elle. Sydney ne va peut-être pas
apprécier.
MaisVidaliasecontentaderepousserlamaind’Eliza.
–T’inquiète,c’estgénial.
Detoutemanière,ilétaittroptardpuisqu’onappelaittouslesmannequinspourundernierfilage.
Eliza inspira profondément et regagna le milieu de la pièce, en espérant que son premier jour au
studiodeSydneyneseraitpasledernier.
Jacquigardeuneenfant
detrente-troisans
Derrière la porte fermée, Jacqui entendait Anna et Kevin continuer à se quereller. Il était
questiondesonincapacitéàluiàécoutersafemme,etdesonincapacitéàelleàlelaisserfaireson
travail.Sonretardleurservaitsimplementd’excusepoursecrierdessus,cequ’ilsfaisaientbientrop
souventcesdernierstemps.Jacquisavaitqu’unepartieduproblèmevenaitdel’angoissegrandissante
d’Anna à l’idée de vieillir : elle avait failli buter son visagiste lorsqu’il avait remarqué quelques
mèchesgrisonnantesàsondernierrendez-vous.
Jacquinecomprenaitpascommentdeuxpersonnespouvaientsefairetournerenbourriqueàce
point.AnnareprenaitKevinsurtout,qu’ils’agissedesatenueàtableoudesondrivedegolf.Deson
côté,KevinsedisputaitavecAnnaausujetdesrelevésdecartesbancairesoudutravaildelafemme
dechambre.Annaavaitunefâcheusetendanceàluijeteràlatêtelesobjetsquiluitombaientsousla
main, si bien que, dans le feu de l’action, plusieurs de ses précieuses statuettes d’animaux Lladro
avaientdéjàétéréduitesenmiettes.
Lasemaineprécédente,avantundînerqu’ilsdonnaientchezeux,Kevinavait,dansunaccèsde
colère,brisélabrosseàcheveuxMasonPearsond’Anna.
–Unebrosseàsixcentsdollars!avaithurlécettedernière,àl’agonie.
Enreprésailles,elles’étaitbattueavecsonmarietluiavaittirél’oreillesifortquelecartilage
s’étaitbrisé.Kevin,fouderage,l’avaitaccuséedemauvaistraitementsetavaitmenacéd’appelerles
urgences.Ilsnes’étaientcalmésqu’avecl’arrivéedeleursinvitésquisedemandaientpourquoiKevin
avaitlatêtebandée.
Jacquiavaitviteapprisàéloignerlesenfantsdecesscènesdetroisièmeguerremondiale.D’un
tempéramentégaletd’unnatureljoyeux,elleaimaitqueleschosessepassentbien.Mêmesarupture
avecKitAshleighavaitétédespluscordiales.
Ils étaient sortis ensemble peu après l’arrivée de Jacqui à New York. Les débuts avaient été
merveilleux,maisilétaitrapidementdevenuévidentqu’ilsn’étaientpasfaitspourêtreencouple:Kit
s’énervait dès qu’un autre garçon osait ne serait-ce que poser les yeux sur Jacqui (ce qui était
fréquent),etJacquisefatiguaitdedevoirl’assurerdesonamourvingt-quatreheuressurvingt-quatre.
LacoupeavaitdébordéunsoiroùKitavaitrefusédel’emmenerdanslanouvelleboîtequ’illançait,
depeurqu’ellerencontred’autreshommes.L’unedeschosesquiavaientattiréJacquichezKitétait
qu’ilsavaittoujourss’amuser.Pourtant,curieusement,lefaitqu’ilssoientensemblenefaisaitquele
stresser.Elleétaitsûrequ’ilavaitpresqueétésoulagélorsqu’ellel’avaitquitté,commes’ils’yétait
attendu.Toutefois,elleétaitheureusequ’ilsaientréussiàseséparerbonsamis.
AprèsKit,elleavaitfréquentéquelquesgarçons,maisrienderemarquable,personnedontlavue
lui fasse perdre le souffle et picoter la peau. Cependant, Jacqui était une grande optimiste. Elle se
tiendraitouverteàl’amour,etseraitàl’écoutelorsqu’ilviendraitfrapperàsaporte.Aprèstout,elle
avaitletempsd’attendre.
Demêmequ’elleavaitletempsd’attendresonadmissionàlaNYU,l’universitédeNewYork.
On lui avait expliqué par e-mail que la décision tenait à un minuscule, un lancinant petit détail. Un
problèmed’équivalenceavecsonlycéeauBrésil.Uneembrouilleadministrative.Unefoisquecela
seraitréglé,enmoinsdetempsqu’ilnefautpourledireelleprendraitsesnotesentreunbébétop
modeletunejumelleOlsenesseulée.
RiennepouvaitvraimentatteindreJacqui.Aprèstout,quandonmesureunmètresoixante-seize,
qu’onestbâtiecommeGiseleBündchenetqu’onaunsourirepluséblouissantquelesoleil,àquoi
bon se faire du mouron ? En plus, elle s’apprêtait à passer un nouvel été dans les Hamptons –
retrouverMaraetEliza!–etiln’yavaitplusaucunexamenpourl’empoisonneretl’empêcherde
faireunenoubadutonnerre.Çaallaitdéménager!Elleméritaitbiendes’éclaterunpeu,aprèstoutle
durtravaildecetteannée.
Jacquiseremitàemballersesaffaires,posaundernierregardsurleplacard–robesdeplage?
espadrilles?strings?OK,OK,OK–etbouclasesdeuxvalises.Ellelestraînajusqu’àlaporte,où
Annaétaitseuleàl’attendre.
–OùestKevin?demandaJacqui.
Aucoursdel’année,sarelationavecsonemployeuse,femmeréputéepoursonexigence,était
devenue presque fraternelle. Anna n’était pas si terrifiante ni folle que cela une fois qu’on la
connaissait mieux. Elles étaient devenues tellement amies qu’Anna avait même commencé à se
confieràJacqui.
–Ilnevientpas.Ilestpartiàuneréunion.Ilyaungaladecharitéenfaveurdespersonnesâgées
cesoiràEastHampton,ehbienmevoilàsanscavalier.Ah,leshommes!
JacquisuivitAnnadansl’ascenseur.
–C’étaitsansdouteimportant.
–Qu’est-cequipeutêtreplusimportantquedepasserdutempsavecsafamille?Jetejure,unde
cesjoursjevaisappelerRaoulFelder,tupeuxmecroire!(Ellefaisaitallusionàuncélèbreavocatdu
divorce, qui réglait la désintégration des mariages les plus huppés.) Peut-être qu’au moins, comme
ça,ilferaattentionàmoi!C’estàpeines’ilmeregardeencore.
–Chut,ilnefautpasdireça,fitJacquiensesignant.
Elle était superstitieuse et n’aimait pas que l’on tente le mauvais sort. Autant qu’elle puisse en
juger,laséparationseraitlapiredeschosespoursortirAnnaduchaosquiembrouillaitsavie.C’était
le problème, de nos jours : on considérait que tout était jetable, qu’il s’agisse de vêtements, de
téléphones portables ou de relations. Jacqui, elle, savait que le jour où elle tomberait amoureuse,
vraimentamoureuse,ceseraitpourtoujours.Sielleavaitlechoix,iln’yauraitpasdedivorcedanssa
vie.Sesgrands-parentsétaientrestéscinquante-cinqansensemble,jusqu’àlamortdesonpapi,etses
parentsavaientdéjàaffrontévingtannéesdeviecommune.
–Etpourquoinepasledire?C’estvrai,ilmeconsidèrecommeunmeuble!Sijedivorce,il
réaliseraenfintoutcequejefaisdanscettemaison,boudaAnna.
ElleavaitracontéàJacquiqu’audébutdeleurliaison,Kevinnepouvaitpassedécollerd’elle;
ilsprenaientvolontiersdesjetsprivéspourlaBarbadeoupourCaprisuruncoupdetête.Hélas,des
annéesdemariageetderoutinedomestiqueavaienteuraisondesplaisirsdecegenre.
IlarrivaitàJacquidetrouverZoé,huitans,plusmaturequ’Anna.Ellenel’avaitpascompristout
de suite, mais elle se rendait compte à présent que son boulot de fille au pair consistait aussi à
s’occuperd’Anna.Commesielleavaitentendusespensées,cettedernièreposalatêtesursonépaule.
–Sansvous,ilseraitcomplètementperdu,luiassuraJacquid’unevoixapaisanteensortantde
l’immeublepourrejoindreavecellelalimousinenoireextra-longuegaréedevantleporche.
–Vadoncleluidire,fitAnnaavecamertume.(Ellesecoualatête.)Enfinbref,ettaremisede
diplôme?Ças’estbienpassé?
C’était gentil à elle de s’en souvenir. Jacqui grimpa dans la limousine et lui raconta un peu la
cérémonie.SapromotionavaitréussiàobtenirquelascénaristeetcomédienneTinaFeyprononcele
discours, grâce à la fille de sa bonne, qui fréquentait l’école. Ce n’était pas leur premier choix :
HillaryClintonétaitauprogramme.Maislasénatriceavaitannuléauderniermomentenraisond’un
problèmed’emploidutemps.AinsiallaitlavieàNewYork...
La voiture démarra et commença à traverser la ville en direction de l’héliport ; elle prenait à
gauchedansParkAvenuelorsqueJacquis’aperçutqu’elleavaitoubliél’articleleplusindispensableà
sonétédanslesHamptons.
SonbikiniRosaChápréféré,celuiquiétaitbordédecoquillages.AuBrésil,elleavaitmontréà
sesamieslesmaillotsquelesAméricainesconsidéraientcommesexy.Toutess’étaientesclafféesen
voyantlatailledesculottes.Ellesétaientgigantesquescomparéesauxpetitstangasquel’onportaitlàbas.
Si seulement elle avait pensé à le prendre ! Eh bien, tant pis. Puisque c’était ainsi, elle
s’amuseraitbienàentrouverunautre,quitteàle«brésilianiser»unpeupoursesentirvraimentellemême.
Quelquepart,ChrisMartin
chanteàcœurjoie
Lorsqu’ils arrivèrent au yacht-club de Sag Harbor, de petites lumières blanches éclairaient les
voilesimmaculéescontreuncieldéjàsombre.LeyachtdedouzemètresdesPerryétaitamarréàun
emplacementdechoix:c’étaitlepremierduquai,leplusprèsdeseauxlibres.Ryansegaraàcôtédes
autresvoituresrangéesenfacedunaviredeleurpropriétaire.
–Votrechâteau,milady.
Il plaisantait, mais ce n’était pas si éloigné de la vérité. Le voilier aux lignes pures était un
Catalinabimoteurdotéd’uncockpitspacieuxetélégant,debannettesd’invitésdisposéesenV,trois
sallesdebains,cuisine,salon,etlatélésatellite.
–Onpeutydormiràdix,jepensequeçadevraitsuffirepournousdeux.
Mara en eut le souffle coupé. Le bateau était encore plus grand et plus beau que dans son
souveniravecsespontsdeteckpolisàlamain,sesfinitionsélégantesenfibredeverre,etsonnom–
LaNégligence,ensouvenirdesprocèspourfauteprofessionnellequiavaientpayéleyacht–peintà
lafeuilledeplatinesurl’étrave.Troisfanionstriangulairesflottaientausommetdumât:labannière
étoilée,lelogoduyacht-clubetleblasonfamilialdesPerry.Maragagnaleboutduquai,retira ses
chaussuresets’engageaavecprécaution,piedsnus,surlepontdubateau.Là,elledécouvrituneallée
depétalesderosesquimenaitauxcabinesdubas.
–Qu’est-cequec’est?s’étonna-t-elleavecunregardinterrogateur.
Ryanlasuivitdansl’escalier,àmoitiéensevelisouslesbagages.
–Tuverras.
Enbas,ellecontinuaàsuivrelapistedespétalesquimenaitaupontavant.Là,unetableentourée
dedeuxchaisesétaitdresséepourledîner.
–Oh!fitMaraenjoignantlesmains.
SurlanappeblancheamidonnéesetrouvaientdeuxcouvertsdeporcelaineRoyalCopenhagenà
motifsdetoiledeJouy.Aumilieu,sousdesclochesd’argent,leurdînerlesattendaitsurunchauffeplat.Deseffluvesdepouletrôti,delégumesauxherbesetd’autresmetssucculentss’élevaientdela
table.Unseauàchampagneenargent,àcôtédubastingage,gardaitaufraisunebouteilledeVeuve
Clicquot.
Ryanlâchalesbagagesparterreets’approchadeMaradanssondos.L’entourantdesesbras,il
luichuchotaàl’oreille:
–Bienvenueàlamaison.
Marasentitsesyeuxseremplirdelarmes.C’étaitlachoselaplusromantiquequ’elleeûtjamais
vue–sansêtreringardniconvenucommeunépisodeduBachelor.C’étaitpourdevrai.Ettoutcela,
c’étaitpourelle.
Unmaîtred’hôtelenvestedesmokingblanchesortitdel’ombreets’inclina.
–Toutestàvotregoût,monsieurPerry?demanda-t-ilavecunepointed’accentfrançais.
–Oui,merci,Georges,acquiescaRyan.Nousdébarrasseronsnous-mêmes.Nenousattendezpas.
Passezunebonnesoirée.
–Trèsbien,monsieur,ditleFrançaisendisparaissantdanslanuit.
–J’aiobtenuqueJean-Lucprépareledîner.Normalementilsnecuisinentpasàdomicileetne
fontpasdelivraisons,maislepropriétaireestungrandamidemonpère,expliqua-t-il.Allezviens,
onvas’asseoir.
IltiralachaisedeMara.Elles’assit,encoreémerveilléepartoutcespectacle.Lanuitétaitdouce
etparfumée,unebrisefraîchesoufflaitdanssescheveux,etelleserappelacombienelleaimaitles
Hamptons.
Ils soulevèrent les cloches d’argent avec impatience. Les quatre heures de voiture leur avaient
ouvertl’appétit.
–DesnouvellesdeDartmouth?demandaRyanentredeuxbouchées.
Dartmouth.Merde.Marasecoualatête.L’espaced’uninstant,lamagieseternit.Cettehistoirede
listed’attenteétaitleseulobstaclequiempêchaitencoresavied’êtreparfaite,absolumentparfaite.
–Malheureusementnon.
–Ilsvontteprendre.Ilsnepeuventpasnepasteprendre,affirmaRyanenattaquantsonpoulet.
Ilcroyaitavecunoptimismeindéfectiblequetoutallaits’arrangerpourlemieux.
–J’espèrebien,soupira-t-elle.Detoutemanière,jenepeuxrienfairedeplus.
–Tusais,jepourraistoujourssuggéreràmonpère...ditRyanentendantlamainpourprendre
celledeMara.Ilconnaîttrèsbienleprésidentdel’université.
Mara secoua la tête. C’était gentil de le proposer, mais l’idée de demander à son père de la
pistonnerlagênait.D’unepart,elletrouvaitcettepratiqueinjuste,ellequiculpabilisaitdéjàd’avoir
obtenusifacilementlejobaumagazineHamptons.D’autrepart,ellevoulaitméritersonadmission
parelle-même.
Ilspoursuivirentleurrepaset,aprèsledessert,Ryansortitdesouslatableuneboîtequ’ilpoussa
versMara.Decouleurbleupâle,elleétaitentouréed’unrubanblancbienconnu.LecœurdeMara
bonditdanssapoitrine,maislaboîteétaittropgrandepourcontenirunbijou.
–Qu’est-cequec’est?
Ryanhaussalesépaules,feignantl’innocence,maissesyeuxpétillaient.
Maratirasurlerubanetouvritlaboîte.Nichéesdanslepapierdesoie,elledécouvritdescartes
devisite.Aucentredechacuneétaitgravéunminusculevoilier.Endessous,onpouvaitlire:Mara
Waters,SagHarbor.
Sanouvelleadresse.SurdupapierTiffany,riendemoins.
–Ryan,ilnefallaitpas...souffla-t-elle,lesyeuxbrillants.
–Oh,c’estrien.Jemesuisditqueçateplairaitpourtonnouveauboulot,tusais?Ilmesemble
quelesgensdesmagazinesadorentcegenredechoses.
–Lesgensdesmagazines,murmuraMaraencaressanttendrementlebristol.Queveux-tudire?
–Tusais,lesfillesdepapierglacé...
Sonvisages’illumina.Elleétaitune«filledepapierglacé».
Ryanselevaetsortitlabouteilleduseauàchampagne,laissanttomberdegrossesgouttesd’eau
sur le pont. Il prit une serviette, l’enroula autour du goulot, et fit sauter le bouchon. De délicates
vapeursfraîchess’échappèrentensifflant.Ilremplitprestementdeuxflûtesdevinpétillantetluien
tenditune.
–Ànotreété,proposa-t-il.
–Ànous,approuvaMaraenfaisanttintersonverrecontrelesien.
Ilsburentensilenceàpetitesgorgéesetlongèrentlebastingagejusqu’auboutdunavire.Mara
s’aperçutqu’ellenepouvaitpass’arrêterdesourire.
Lorsquelechampagnefutterminé,ilpritsonverreetleposasurlatableàcôtédusien.Etd’un
gestefluide,illasoulevadanssesbras.
Elleenfouitlatêtedanssoncou.Ilsn’avaientpasbesoindeseparler;toutcequ’ilsavaientàse
dire, ils l’exprimaient par les battements de leurs cœurs tout proches. Elle se sentait si légère, si
aérienne, féminine et aimée dans ses bras forts tandis qu’il descendait le long du bateau pour
rejoindrelacabineprincipale...
–Oups!lâcha-t-ilenglissantsurdespétalesderoses,maisilrepritsonéquilibreetluifitpasser
leseuildanssesbras.
EnvoyezColdplay,pensaMara.Ceciestladéfinitionmêmedumotromantique.
Ryan ouvrit la porte et déposa doucement Mara sur le vaste lit. Elle le regarda avec désir et
l’aidaàenleversonT-shirttandisqu’ilsoulevaitsonchemisier.
Ilss’embrassaientdenouveau,lalanguedeRyanprofondémentenfouiedanssabouche,lorsque
soudainilsentendirentunesonneriestridenteetlancinante.
–Qu’est-cequec’estquecetruc?s’inquiétaRyanenjetantdesregardsdanstouslescoinsdela
pièce.
– Aucune idée, dit Mara en se redressant sur les coudes. Elle n’avait plus que son string
Cosabella,etRyan,soncaleçon.
Ellerepérauneboîteencartonblanc,violetetorangequivibraitdansuncoin.
–Jecroisqueçavientdelà.
Ryans’extirpadulitpourallerprendrelaboîte.Illasouleva.C’étaitunpaquetFedEx.Ilexamina
l’adressesurl’étiquette.
–C’estpourtoi,dit-ild’unevoixneutre.
C’estbiençaqu’onappelle
lechicdughetto?
Lebrouhahadustudiofutinterrompuparun«chhhhut»craintifsuivideséclatsdevoixd’un
hommeentraindepester.
SydneyMinxétaitarrivépourledernierfilage.
Le styliste, un bonhomme court sur pattes arborant une longue queue-de-cheval blanche, ne
sortaitjamaissanssesénormeslunettesd’unnoirimpénétrable.Ilressemblaitàuneversionréduiteet
dodue de Karl Lagerfeld. D’ailleurs, l’imitation ne s’arrêtait pas là : il agitait furieusement un petit
éventailjaponais.
Touslesmannequinss’étaientalignéspouruneultimerépétitionavantledéfilédulendemainà
laboutiquedesHamptons.
–Qu’est-cequec’estqueça?Qu’est-cequec’est 1?C’esthorrible.Horriiiiible!s’exclama-t-il
enaffectantunaccentfrançaisridicule,ledoigtpointésurunmannequinvêtud’unetuniquebordéede
plumesd’autrucheetdupantalondesoieassorti.Cettetenuecoûtetroismilledollarsenboutique,et
on dirait un chiffon de supermarché à vingt-neuf dollars quatre-vingt dix-neuf ! Et ça ! Quelqu’un
peutmedireàquoic’estcenséressembler?brailla-t-ilendonnantuncoupd’éventailsurlederrière
d’unefille.Elleportaitunblousondemotoultracourtencotonpar-dessusunerobeléopard.C’estdu
DonatellaVersaceenpleinsuicide!Cen’estpasdutoutduSydneyMinx!Cen’estpasmavision!
Paige!Paige!
Elizasourit.Pourunefois,lafureurdeSydneyfaisaitplaisiràvoir.Ensaprésence,Paigeétait
réduite à une carpette larmoyante : on aurait dit cette mauviette de Simthers pleurnichant face à
l’apocalyptiqueMrBurnsdansLesSimpson.
–C’estlelookAspencôteEst?hasarda-t-ellefaiblementenréférenceàla«vision»deSydney
pour sa collection, qui devait mêler la coquetterie sans façons des stations de ski et la hauteur
aristocratiquedesestivantsdesHamptons.
–Cen’estcertainementpasAspencôteEst!CeseraitplutôtghettocôteOuest!
Les mannequins se recroquevillèrent, les couturières froncèrent les sourcils, et l’une des
assistantessemitàretireravecuneragefébrilelarobedelafillequisetrouvaitàcôtéd’elle.Retour
àlaplancheàdessin.
–Vous!criasoudainSydney,lesyeuxfixéssurVidalia.Parici.
Vidaliaavançaenhésitantverslecentredelapièce,devantSydney.Lesnombreuseschaînesen
orcliquetaientdoucementsursapeau.
–Tournez-vous!ordonna-t-il.
Elles’exécutaenquelquespas.
–Paige!C’estvousquiavezfaitça?Cen’estpascommeçaquelarobedevaitêtreprésentée!
Sonéventailétaitenproieàunefolleagitation.Paigesecouacatégoriquementlatête.
–J’aidemandéàunestagiairedel’habiller,pasderefairelestylisme!aboya-t-elle.
Eliza pâlit. Ça y était. Elle savait qu’elle avait totalement passé les bornes : son job consistait
justeàaiderlesfillesaveclesfermeturesÉclair,certainementpasàfaireunechoseaussiimportante
qu’accessoiriserlesrobes.
Sydneyparcourutattentivementlasalledesyeux.
–Quiestlaresponsable?
Elizaavalasasaliveavecdifficultéetlevalentementlamain.
–Votrenom,c’estquoi?demanda-t-ilenenlevantseslunettesnoiresetenlatoisantd’unœil
critique.
–ElizaThompson,monsieur.
Ilplissaleslèvres.
–LafilledeBillieThompson.N’est-cepas 2?
–Ouimonsieur...jeveuxdire,Sydney.
Sydney renifla comme s’il avait senti une mauvaise odeur. Il ferma les yeux. Toute la pièce
frémissaitdetension.LamoitiédespersonnesprésentesplaignaientEliza,lesautresétaientsoulagées
denepasêtresurlasellette.
L’ombrageuxstylisterouvritenfinlesyeux.IlregardadenouveauVidalia.
–Ehbien,Eliza,jedoisdirequec’esttoutsimplementfabuleux!
Eliza,commetoutlemondedanslapièce,poussaunsoupirdesoulagement.
–Quantaureste,c’estducacadechien.
Sonéventailvirevoltadenouveau.
–Euh,ehbien...merci,fitElizaeninclinantlatête.
Ellecoulaunregardenavantetréprimaunsourire.Paigeétaitvisiblementécœurée.
Sydney s’adressa à cette dernière en chuchotant derrière son éventail, puis il disparut. Paige
frappamollementdanssesmainspourattirerl’attentiongénérale.
–Bon,toutlemonde!C’estclairquenousavonsencorebeaucoupdetravail,alorsallons-y!
dit-elle.
Legroupesedispersapourreprendresestâches.
Eliza retourna à sa pile de T-shirts, le visage rayonnant. Sydney avait aimé la tenue, il avait
même considéré que c’était bon ! Non, il avait dit qu’elle était tout simplement fabuleuse ! C’était
comme si un éclair avait déchiré les nuages. Elle avait adoré participer au stylisme de la robe. En
travaillantsurlelook,elles’était,pourlapremièrefoisdesavie,réellementinvestiedanssontravail.
C’étaitlapremièrefoisqu’ellesepassionnaitpourautrechosequeleshopping.
Uneombres’abattitsoudainsurelle.Levantlesyeux,ellevitPaigequiladominaitdesahauteur.
Elleallaitlamassacrersurplace.
–Sydneysouhaitequetujettesunœilsurlerestedesacollection.Jeteremplaceaupliagedestshirts.
Chaquemotsemblaitluiécorcherlaboucheensortant.
ElizaredescenditsurTerreetluitenditlaplancheàplier.Elleavaitlespiedsencompoteetmalà
touteslesarticulations,maisundouxsentimentdesatisfactionluipermettaitd’oublierladouleur.
Toutd’uncoup,leboulotn’étaitplussoûlantdutout.
1. Enfrançaisdansletexte(N.d.T.).
2. Enfrançaisdansletexte(N.d.T.).
CommediraientlesStones,
«onn’apastoujours
cequ’onveut»...
La limousine avança au pas sur la longueur de plusieurs pâtés de maison, bloquée dans les
embouteillages du centre-ville. Tout autour d’eux, les rues étaient encombrées de banlieusards
soucieux,quitentaientdes’échapperdelavilleleplustôtpossibleencevendrediaprès-midi:onse
serait cru dans New York 1997. Parfois, il fallait plus de temps pour sortir de l’agglomération que
pourgagnerlesHamptons.
Jacqui étendit les jambes à l’arrière de la limousine pour somnoler pendant que les enfants
zappaientsurlelecteurdeDVDintégré,etqu’Annapassaitdescoupsdefil.SontéléphoneSidekick
se mit à vibrer et elle consulta l’écran. L’icône indiquant un e-mail clignotait. Elle cliqua dessus
distraitement,maisretintsonsouffleenvoyantl’adressedel’expéditeur:[email protected]
ne pouvait signifier qu’une chose : l’université avait enfin rendu son verdict. Elle inspira
profondémentavantdedéroulerlemessage.
À:[email protected]
De:[email protected]
ChèreJacareiVelasco,
Nous sommes au regret de vous informer qu’il nous est impossiblede vous
proposer une place en première année pour larentrée scolaire à venir.
Malheureusement, l’examen des équivalencesavec votre lycée de São Paulo
révèle que vous avez suivideux années seulement d’études secondaires en
sciences et enmathématiques. L’université de New York exige de tous ses
élèvesun minimum de trois années d’études dans ces matières.Nous vous
suggérons de poursuivre une année supplémentaired’études secondaires afin de
consolider votre candidature si vouschoisissez de la renouveler l’année
prochaine.
En vous remerciant de votre intérêt pour l’université de New Yorket en vous
souhaitantbonnechancepourl’avenir,
Cordialement,
Lecomitéd’admissiondel’universitédeNewYork.
Commentétait-cepossible?Elleavaitattendusilongtemps,elleavaittellementtravaillé!Entre
lescoursetsonactivitédefilleaupair,elleavaitàpeineeuletempsdesortiravecElizapendantles
vacances, lorsque cette dernière rentrait de pension. Elle avait passé les évaluations nationales pas
moinsdeseptfois,etelleavaitmêmeétéreçueauxexamensdeniveauavancéenanglais:unevraie
performance ! En outre, pour muscler sa candidature, elle avait consacré du temps à des tâches
d’intérêt général, au centre de dialyse, ce qui n’avait pas été une mince affaire compte tenu de ses
obligationsauprèsdesPerry.Elleavaitfaittoutsonpossible;elleavaitrécritsalettredemotivation
tellementdefoisqu’ellenesupportaitpluslerécitdesavienilepassagesur«lapersonnelaplus
influentedanssavie»(sagrand-mère).Surlepapier,elleétaitlacandidateidéale:équilibrée,bonne
moyenne, bonne éducation, une photo d’enfer (toutes les universités en demandaient de nos jours).
Alors,qu’est-cequin’allaitpas?
–Çava?interrogeaAnnaenhaussantunsourcil.
ElleavaitremarquéleregarddeJacqui,bizarrementfixe.
–Une-maildelaNYU,ditJacquid’unevoixcreuse.
Ellecrachalemorceau.
–Jesuisdésoléepourtoi,réponditchaleureusementAnna.J’aiétéélèvelà-bas.Jesaisquec’est
incroyablementdurd’yentreraujourd’hui.Jesuissûrequeturéussirastrèsbienailleurs.
Jacquiapprécialesparolesdeconsolationd’Anna;ellesavaitquesapatronneneluivoulaitque
dubien.Maisellen’avaitpasdesolutionderechange.L’universitéduMichigan?Ellen’auraitmême
passusituerleMichigansurunecarte.Wellesley?Unefacdefilles?Paslapeined’ypenser!Donc,
aulieudelafac,ilneluirestaitplusqu’àredoubler.Quellehumiliation!
Jacqui avait déjà entendu parler de cette solution honnie. Quelques élèves de dernière année à
Sainte-Grâceavaientfaitlamêmechose.Enrèglegénérale,c’étaientdesidiotesdefillesàpapaavec
untoutpetitcerveauetdesmontagnesdefric.Jacquin’arrivaitpasàcroirequ’elleenétaitaumême
point.Etd’abord,ellen’étaitpasriche.Quiallaitluipayerencoreuneannéedelycée?
Biensûr,ellepouvaitcontinueràtravaillerpourlesPerry.Elleétaitcertainequ’Annan’étaitpas
presséedechercherunenouvellefilleaupair.MaisJacquiavaittellementparlédelaNYU!Elizaet
elleavaientdéjàprévudeseretrouverenoctobrepourHalloween,etelleavaitfaitpromettreàMara
qu’ellespasseraientThanksgivingensemble,quellequesoitlafacoùseraitcettedernière.Elleavait
même décidé qui partagerait sa chambre : une amie de Sainte-Grâce qui savait déjà qu’elle était
admise.
Lacirculationsedébloquaenfinetlavoiturelesdéposadevantleportailhérissédebarbelésde
l’héliport de la 34e Rue. Anna et le reste de la famille s’extirpèrent de la limousine, laissant Jacqui
seuleàl’intérieur.
Pendant que personne ne la voyait, Jacqui essuya quelques larmes. Madison Perry, douze ans,
encoreplusmaigrequel’annéeprécédente,passalatêtedanslavoiture.
– Jacqui ? Il faut qu’on y aille. (Elle remarqua l’expression de Jacqui.) Quelque chose ne va
pas?Tutesensbien?
Jacquisouritcourageusementets’essuyalevisage.
– Je viens de réaliser que je ne porte pas la bonne tenue pour l’hélicoptère. Ma jupe va me
remonterdanslafigureavectoutcevent.
Madisoneutunpetitrirehésitant.
–CommeMarilynMonroe,tuvois:vlouf!plaisantaJacqui.
Elleseglissahorsdelavoiture.Àprésent,Madisonsemarraitfranchement.Jacquiseforçaà
rireelleaussietplaquasajupesursescuissesencourantdansleventdesrotors.Maissonsourire
s’effaçaàl’instantoùMadisonsedétourna.
LafilledusoleildeSãoPauloavaitlecœuraussiplombéquelecieldeNewYork.
Quandledevoirvousappelle...
leBlackBerrysemetàsonner!
RyanlançalaboîteFedExàMaraquiladéchirapourl’ouvrir.
–Maisqu’est-ceque...fit-elleenvoyanttomberunBlackBerryagitédevibrations.
Elleessayaderépondre.
–Allô?Allô?Allô?cria-t-elledansl’appareilentripotantlespetitsboutonssurlecôté.
–Jenecroispasqu’ilsonne,précisaRyanpourl’aider.Jepenseplutôtquetuasunmessage.
–Ahbon,ditMaraenparcourantlemenujusqu’àtrouveruneenveloppeclignotantesurl’écran.
Ellecliquapourl’ouvrir.
–Ohnon!
–Quoi?demandaRyanenseremettantaulitetenenvoyantbaladerlecartonvided’uncoupde
pied.
Ils’agenouillaau-dessusdeMaraetsemitàluifairedesbisousdanslecou.
–Quoiquecesoit,çanepeutpasêtreimportant,continua-t-il.
– Merde ! Ça y est, je suis morte ! s’étrangla-t-elle en voyant défiler le texte. (Elle regarda sa
montreetseremitàjurer.)Ilestonzeheuresetdemie!
–Maisquoi?Qu’est-cequisepasse?
–Ryan,s’ilteplaît,tupourrais...fitMaraenécartantsamainetensedétournantdesesbaisers.
C’estmapatronne!gémit-elle.Elleestlaseuleàconnaîtrel’adressedubateau.Bref,ilyaungrand
gala de charité au club Cain ce soir, pour un centre de personnes âgées, et leur chroniqueuse
mondaineestcoincéeàunmariageroyalàSaint-Tropez.(Maraavalasasaliveavecdifficulté.)Elle
veutquej’ysois...etquej’écriveunpapiersurlasoirée!
Ryansoupirabruyammentcontresonépaule.
–Etalors?s’étonna-t-il.Oùestleproblème?Tudevaisbienécrirepoureux,non?
Marasoufflasursafrange.
–Pasvraiment.Ellem’aditquej’auraispeut-êtreunechanced’écrireunpeu,maissurtoutdes
légendes.Pasunvraiarticle.Tunecomprendspas...Jen’aijamaisrienrédigédetel!Leplusgros
événementquej’aiecouvert,c’étaitlespectacledeMaryPoppinsmontéparmonlycée!Etelleveut
unpapier,avecdescitationsdecélébrités.Jenesaismêmepascommentons’yprend!
Maraétaitterroriséeàl’idéed’allerfourrerundictaphonesouslenezd’unepersonnecélèbre.
Aufait,avait-elleundictaphone?
–Facile.Tutepointesettuposesunequestion,réponditRyan.C’estriendutout,jevoistoutle
temps des reporters le faire. En plus, tu es déjà allée à au moins un million de soirées dans les
Hamptons.C’estlamêmechosetouslesans.
Maraselibéradesesbras.Elles’enveloppadansundrapetcourutàlarecherchedesesbagages.
–Tut’envas?demanda-t-il,incrédule.Maisonvientd’arriver!
–Bienobligée,argua-t-elleenregagnantlacabineavecunevaliseetunehousseàvêtements.La
soiréecommençaitàdixheures!Jesuisdéjàhyperenretard!Luckydevaitm’yretrouverilyaune
heure!
Elleouvritlahousseetsemitàlarecherched’unetenue.
–Ducalme.Ilnesepassejamaisrienavantminuit.
Ilgardalesilencependantqu’elleagrafaitsonsoutien-gorgeàbalconnetetseglissaitdansune
robeHollywoodmoulanteaudécolletéparsemédeperlesdeturquoise.
–Tum’aidesaveclafermetureÉclair?
Ryanbougonnaetseredressasurlesgenoux.Maraluitournaledosetilremontalezipavec
précaution.
Elleseretournapourlisserledevantdelajupe.
–Jesuisbien?
–Jepréféraisavant.
Ileutunpetitsouriremoqueuretallumaletéléviseuràécranplatdesoixantepouces.
–Tuneveuxpasveniravecmoi?proposaMaradontlevisages’illuminaàcetteidée.
Elleétaitnavréedel’abandonnerenpleinenuit.Elles’assitauborddulitpourenfilerunepaire
desandalesàtalondecuirPierreHardyetluijetaunregardencoin.
–Onvabiens’amuser,fit-elled’unevoixcâline.
–Naaan,ditRyanenselaissantretombersurlesoreillers.Jesuisclaqué,j’aifaitlaroutedepuis
leNewHampshired’abord,etensuitejusqu’ici.Vas-y.Sérieux.Çam’estégal.
–Allez,onvadanserunpeu,boirequelquesmargaritas...essaya-t-elle,aguicheuse,enfixantles
lanièresautourdeseschevilles.
–Desmargaritas«hypnotic»?demanda-t-ilenarrondissantunsourcil.
–Toncocktailpréféré.
–Mmm...
Il sembla un instant sur le point de se lever pour s’habiller, mais à la dernière seconde, il
retombasurlesoreillers.
–Jesuistropcrevé.J’ail’impressionquejenepeuxmêmepasbouger.J’aivraimentbesoinde
m’écroulercesoir.
–J’auraisbienaiméqu’onresteensemblepournotrepremièrenuit,fitMara,boudeuse.
–Jesais,bébé.Onpourrait,réponditRyanenseredressantpourpasserunbrasautourdeson
couetl’attirersurlelitaveclui.
Ilglissaunemainsoussarobeettirasursonstringd’ungestetaquin.
Pendantuninstant,ellesedétenditsoussonempriseetfermalesyeux.Ellelesentaitembrasser
doucementsanuque;ilauraitétésifaciledes’abandonner,decéder,deresteraveclui...Maiselle
posaunemainsurlasienneetlachassadesoussajupe.Àregret.
–Ilfautvraimentquej’yaille.Çam’embête,maisillefaut.
–Bon,soupiradenouveauRyan.Jecomprends.
Ellesetournapourleregarderdroitdanslesyeux.
–Sûr?
–Sûr.
Ilopinadumenton,maissesyeuxétaientvidésdeleurétincellehabituelle.
Ellehésitaitencore;unepartied’elle-mêmenesouhaitaitriend’autrequederesteraulitavec
lui pour toujours. Et l’autre partie s’inquiétait sérieusement pour son premier article de magazine.
Une mission en bonne et due forme ! Tout ce qu’elle aurait à faire serait de surmonter sa timidité
naturelle pour aller recueillir quelques citations auprès des célébrités présentes. Leur demander ce
qu’ellesportaient,avecquiellessortaient...et...quoid’autre?Elleavaitunecolonneàremplir,soit
huitcentsmots!Elleespéraitqu’elleallaits’ensortir.
–Jesuisdésolée,répéta-t-elle.
–Net’inquiètepas,dit-il.Onatoutl’étédevantnous.
Marasourit.Cetypeétaitformidable.Qu’est-cequec’étaitqu’unenuitmanquée?Ilavaitraison,
ilsavaienttroismerveilleuxmoisdevanteuxpourtoutfaireensemble.
Elles’emparadesclésdelaFerrari.
–Jepeuxlaprendrepouryaller?
Hélico,touchécoulé!
–Commentça,notrehélicon’estpaslà?aboyaAnnaenplantantsondoigtdanslapoitrinedu
contrôleuraérien,quin’enmenaitpaslarge.Noussommestoujourspremierssurlalistedesdéparts.
–Navré,madame,maisvousallezdevoirattendrequ’ilssoientpartis,expliquanerveusementle
technicien avec un geste du pouce par-dessus son épaule. Ensuite, votre pilote atterrira et vous
pourrezvousembarquer.
Annaregardadansladirectionqu’ilindiquaitets’étrangla.
–Maisqu’est-cequec’estqueça?Etqu’est-cequeçafaitànotreplace?
Surl’emplacementhabituellementréservéauxPerry,trônaitunsuperbehélicoptèreBlackHawk
de l’armée, redécoré avec détails personnalisés et finitions de luxe dignes d’un championnat de
tuning,depuislessiègesbaquetencuirmoelleuxjusqu’aumarchepiedrétractable.Cetappareil,conçu
pour affronter un tir nourri en Irak, servait tout simplement à transporter ses propriétaires de
ManhattanauxHamptonsenmoinsd’uneheure.
Unmonstrueux4x4Hummerjaunevif,massifetcarré,surgitsurletarmacetvints’immobiliser
à côté du Black Hawk dans un crissement de pneus. La portière s’ouvrit pour laisser sortir trois
ravissants garçons. Ils ressemblaient à un groupe de rock indépendant. Le premier était un grand
blond doté d’un visage agréable et d’un sourire amical, en T-shirt Atari violet et jean baggy. Le
deuxièmeavaitlescheveuxbruns,biencoupés,etdeslunettescarréesàmonturedeplastiquenoir:un
intellobranché,mignondanslegenrecérébral.Letroisièmeétaitdégingandéetnonchalant,cheveux
châtainsenbatailleavecdejoliespattessurlesjoues;ilportaitunechemiseàcolpelleàtartetrès
seventiesenpolyesterjaunesurunpantalonàcarreauxbariolé.Onauraitdittroisétudiantsdébutants
perdussurleurpremiercampus.
JacquiétaitàcôtédelabarrièreaveclesenfantsPerry.ElleportaitlesacàdosdeZoéettenait
Codyparlamain,etc’estàpeinesielleavaitremarquélestroistypes.Codyhurlaitqu’ilvoulaitfaire
pipi,etJacquiluiexpliquaitqu’ildevraitattendred’êtrearrivédanslesHamptons,cariln’yavaitpas
de toilettes sur l’héliport. Le pauvre gosse avait appris la propreté à l’âge de cinq ans, et il avait
encoreunaccidentdetempsentemps.Jacquipriaitpourquecelan’arrivepasmaintenant...àmoins
de le laisser faire dans un coin ? Ce n’était qu’un enfant après tout, et il semblait bien cruel de le
laissersouffrirainsi.
Elle réfléchissait à cette délicate question, son esprit cherchant frénétiquement une réponse
simpleàsesproblèmes;maislevacarmedesrotorsdel’hélicoptère,lastéréoduHummerpousséeà
fondetlesplaintesincessantesd’Annal’empêchaientdeseconcentrer.
Letriosortidu4x4sedirigeanonchalammentversleBlackHawk.
– Désolés pour le retard, s’excusa le grand blond au contrôleur aérien avec un sourire
malicieux. Ben avait un petit rendez-vous avec la veuve Poignet, ajouta-t-il, narquois, en levant la
main.
–Duffy,vieux,tusaisbienquec’estmameilleurecliente,intervintBen,celuiavecleslunettes.
Ilhaussalesépaulesenriant.
–Regardez-moiça,intervintlemignonaveclespattes.Laclasse!
Ilsifflaetseglissaauprèsdel’hélicod’unpassoupleetfélin.
Surlacarlingueétaitpeinteunemaindontl’indexetlemajeurdressésformaientunVtordu.En
dessous,onpouvaitlireenlettrescalligraphiées:TheShocker!
– Oh purée, Grant. (Duffy porta soudain un bras derrière sa nuque, l’air ennuyé.) J’ai
complètement oublié que je devais aller chercher mes parents à Martha’s Vineyard demain avec ce
truc!
–Peut-êtrequ’ilsnevontrienremarquer,lerassuraBenenôtantseslunettespourlesessuyer
suruncoindesachemise.Tupeuxtoujoursleurdirequec’estunsignedepaix.
–Ouais,c’estça,jetaDuffd’unairsombretandisqueGrantluicognaitl’épauleens’efforçant
denepasriretropfort.
Toustroisgrimpèrentsurlemarchepiedets’installèrentdansl’hélicoptèresansunregardpour
leclanPerry.
C’estalorsqu’ilsremarquèrentJacqui,ungenouàterre,quiessayaitdecalmerCody.
–Tupeuxfairelà,Cody.Personneneteverra,disait-elleenaidantl’enfantàdéboutonnerson
pantalon.
–Àdixheures,fitCodypourindiqueràsesamisladirectiondeJacqui.Chauddevant.
Benreposaseslunettessursonnezpourmieuxl’examiner.
–Sûrqu’onn’apasdefillescommeçaàHarvard,regretta-t-il.
Granthochalatête.
–PasétonnantquelesMissUniverssoienttoujoursdesSud-Américaines.
Sescamaradesleregardèrentdetravers.
–Tut’yconnais,pourcesconneries!letaquinèrent-ils.
–Ças’appelleavoirdessœurs,rétorquaGrant,vexé.
Ilarrangeasonlargecoldechemiseetlissasescheveuxchâtains.
Jacqui n’avait même pas remarqué les trois garçons qui l’observaient avec une intensité à la
limite de l’irrespect. Dans le soleil de l’après-midi, des reflets violets émaillaient sa chevelure
sombre et son bronzage intense rayonnait. L’adorable découpe de sa robe soulignait son décolleté
généreux,etlapositionaccroupieàcôtédeCodytendaitlesmusclesdesesjambesfinesetfermes.
–Voilà,trèsbien,dit-elle,soulagéequel’enfantaitréussiàuriner.
Ellechassasescheveuxdesesyeux,soulevantetétirantsapoitrineplantureuse,cequiarracha
auxoccupantsduBlackHawkunchœurd’exclamationsétranglées.
–Yo!fitDuffy,adepted’uneapprochedirecte.
–Excusez-moi!criaBen,optantpourlapolitesse.
Grant se contenta de se renverser dans son siège et d’observer Jacqui, pensif. En général,
c’étaient les filles qui venaient à lui, et il ne voyait pas l’intérêt de se ridiculiser. D’autant que les
appels frénétiques de ses camarades étaient étouffés par le vacarme des rotors passant à la vitesse
supérieure.
–C’étaitqui,àvotreavis?s’interrogeatouthautBentandisquel’hélicoptèrelesenlevaitdans
lesairs,horsdeportée.
–Unedéesse,décidaDuffy.
–Ducalme,lesmecs,onvadanslesHamptons.Etlà-bas,ellessonttoutescommeça,croyezmoi,assuraGrant.
Maissesamisluijetèrentunregardsceptique.Jusqu’àpreuveducontraire,iln’yavaitqu’une
seuleJacqui.
Règlen°1delachronique
mondaine:fairecroireque
toutlemondes’amuse!
Dans les Hamptons, même une soirée de collecte de fonds pour un centre de personnes âgées
attiraitlesplusgrandsnomsetuneassistancebrillante.LapremièrepersonnequevitMaraenentrant
n’était autre que Mitzi Goober, la redoutable attachée de presse. L’année précédente, celle-ci s’était
improviséemeilleureamiedeMaraetl’avaitcouvertedecadeaux,avantdelalaissertomberàcause
d’un malentendu – une histoire de boucles d’oreilles à deux cent cinquante mille dollars que J.Lo
devaitporteràlasoiréedesMTVMusicAwards.Maisqu’est-cedoncqu’uneopérationderelations
publiquesratéelorsquel’onestamies?ÀlagrandesurprisedeMara,Mitzil’accueillitd’unHello!
strident et l’attira pour la serrer violemment dans ses bras. Mara eut l’impression d’embrasser un
squelette.
Mitziétaitplusbronzéeetplusblondequejamais.Maissisesbrasétaienttoniquesetmusclés,
sonventreressemblaitàunballondebasket:elleétaitenceintedesixmois.Arborantundébardeur
moulant,quiproclamait«Jevislerêveaméricain»,elleexhibaitfièrementsagrossesse,lenecplus
ultra des accessoires de mode cet été-là. Les « mamans appétissantes » étaient au top, la fertilité se
portait bien. Bien sûr, les enfants à peine nés étaient prestement renvoyés en coulisses aux mains
d’une équipe de nounous. Les fashionistas se pâmaient à l’idée d’une grossesse chic, mais battaient
viteenretraitedèslorsqu’ils’agissaitd’éleverunenfantpourdevrai.
–MaChêêêrie!roucoulaMitzienaspirantduRedBulldansunecanettebleuetargentàl’aide
d’unefinepaillerouge.
Lacaféine?Pasunproblèmepourcettefuturemère.
–Salut,Mitzi,ditMara,soulagéedevoirquelqu’unqu’elleconnaissait.
OùétaitLucky?Elleespéraitbienletrouverafindesavoiraujustecequ’elleétaitcenséefaireà
cettesoirée.
– Comment vas-tu ? Et qu’est-ce que tu racontes de nouveau ? babillait Mitzi de sa voix
musicale. Il paraît que tu es engagée à Hamptons cet été ! C’est trop ! Il faut que tu rencontres nos
clients,onadeschosesfantastiquesdeprévuespourlasaison.Ons’occupedelasoiréeinauguralede
Sydney,jeverraisbienunreportagedesixpages!
–Euh...
Mara ne savait pas quoi répondre. C’était absurde de penser qu’elle pouvait être décisionnaire
pourunechoseaussiimportantequ’unarticledeplusieurspages.Ellen’étaitqu’unesimplestagiaire.
–Parlons-en,d’accord?Jet’enverraideséchantillons.Bye!serépanditMitzienluiposantune
biseagressivesurchaquejoue.
À l’instant où elle fut libérée, diverses personnes que Mara avait rencontrées les deux années
précédentes se glissèrent à ses côtés. Tout le monde savait qu’elle travaillait pour le magazine
Hamptons. Ceux-là mêmes qui l’avaient zappée à la fin de l’été dernier faisaient tout pour se
retrouverdanssespetitspapiersetluirappelercommeilsseconnaissaientbien.Maraétaitenpartie
écœuréeparleurhypocrisie,maisd’unautrecôtéelleadmiraitleurténacité.Onpouvaittrouvercette
amitié intéressée, mais ainsi allait la vie dans les Hamptons. À leur manière, ces personnes lui
rendaient hommage. Il était évident, à voir leurs marques d’attention, qu’à leurs yeux Mara jouait
dans la cour des grands. Même Alan Whitman et Kartik, les copropriétaires du Septième Cercle –
l’endroitoùilfallaitêtre,unanplustôt–,vinrentluiprésenterleursrespects.
Les anciens patrons d’Eliza apprirent à Mara qu’ils revenaient de Las Vegas, où ils avaient
ouvert un Septième Cercle dans le désert. À la soirée de lancement, des danseuses topless avaient
recréélafameuserevuedeShowgirls.
–Maisjepeuxteledire,fitAlanenhochantlatête.Ilfautquetuviennesvoirnotrenouvelle
boîte.LeVolcan.Onaunefontainedevraielave.C’estintense.
–Viensdîner,tuesinvitéequandtuveux,ajoutaKartikenserrantMaradanssesbrascommeun
vieuxcopain.Mitzit’appellera.Passenousvoir!
Marasouritsanss’engager.«Passenousvoir!»étaitleleitmotivdelasoirée:toutlemonde–
jet-setteursprêtsàtoutetleursattachésdepresse,fillesdevestiaire,serveurs–essayaitdeseplacer
auprèsd’elle,d’obtenirunementiondanslemagazine.
Dans un coin du club, elle reconnut Anna Perry. Cette dernière semblait terriblement décalée,
trophabilléedanssalonguerobedesoirée.Ledînerdecharitéavaitrassemblélegratindelabonne
société,alorsquelafêtedansantequisuivaitétaitplutôtdestinéeauxjeunes.D’habitude,Annapartait
tôt,aveclesautresépouses;maiscesoirelleétaitencorelà,poséesurundivancapitonné,unverre
enéquilibresurlegenou.
Mararemarquaàsescôtésl’undes«accompagnateurs»lespluscélèbresdesHamptons.Ces
hommesgaysavaientpourfonctiond’escorterlesfemmesmariéesquineparvenaientpasàentraîner
leurmaridansletourbillondelaviemondaine.OùdoncétaitKevin?Elles’arrêtapoursaluerAnna
quisemontrachaleureuse.
– Tu as vu toutes les photos des enfants ? Ils sont mignons, non ? lui demanda son ancienne
patronneavecmélancolie.Codyatellementgrandi!Celamemanquedeneplusavoirdebébéàla
maison.
–Tevoilà!
Pour la première fois de la soirée, Mara se sentit authentiquement heureuse à la vue de
quelqu’un.LuckyYap,lephotographemondainàlalanguebienpendue,sefrayaituncheminjusqu’à
elle.
–Excusez-moi,Anna,priaMaraensetournantverssonami.
LuckyportaitunevolumineuseredingotedevelourssurunT-shirtmarqué«FashionVictim!»
(l’ironie était à la mode cet été, contrairement aux boubous africains de l’année précédente), son
fidèleNikonnumériqueautourducou.Ilobservaattentivementl’assembléeenhaussantlesourcil.
–Rienquedesex,desfrèresetsœursetdesbeaux-enfantscesoir,constata-t-ilavecregret.
Ilvoulaitdirequel’assistancenerassemblaitquedesinconnusayantunerelationplusoumoins
ténueaveclesvraiescélébrités.
–Qu’est-cequejedoisfaire?l’interrogeaMaraavecardeur.
–Cequenousfaisonstoujours:mentir,mentiretencorementir!Toutescessoiréessontd’un
ennuimortel,maispersonnenedoitlesavoir,sinonnousserionstousauchômage.
Mara s’esclaffa. Elle savait que Lucky plaisantait, ou du moins elle l’espérait. Elle lui fit le
compte-rendu de ses observations. Elle pensait avoir repéré une jet-setteuse célèbre – une nièce de
Bush –, mais sans certitude. Elle avait aussi aperçu près du vestiaire un joueur de polo marié qui
embrassaitunestarlettedelatélévision,égalementmariéedefraîchedate.
–Tucroisqueçasuffitpourmonarticle?
–Biensûr,mabiche!Tupeuxparlerdestourtereauxadultèresdanslarubrique«incognito».Et
jemettrailaphotodelastarlettejusteau-dessus,commeçatoutlemondecomprendradequiils’agit,
expliquaLuckyavecmalice.
–Ah,tantmieux,ditMara,soulagée.
–MademoiselleMaraWaters,grondaderrièreelleunevoixfamilièreetnéanmoinssexy.
Elleseretourna.
–MonsieurGarrettReynolds,gazouilla-t-elleàsontourencroisantlesbras.
Garrettécartadesesyeuxunecoquinemèchenoire.Bronzé,ilportaitunechemisedelinblanc
etunpantalonécru.Ill’embrassasurlajoueetsecomportaenvieilami,commes’ilnes’étaitjamais
rien passé entre eux – comme s’il ne l’avait pas laissée tomber comme une vieille chaussette
lorsqu’elleavaitétévictimedemédisances.
–Alors,onbosse?
Ellehaussalesépaules.
–Bonnechance,reprit-ilenremuantsonverredewhisky.C’estmadernièresoiréeici.
–Oh,tunerestespasdanslesHamptonscetété?
Garrettéclataderire,commesic’étaitlachoselaplusdrôlequ’ileûtjamaisentendue.
– Bien sûr que non. Les Hamptons, c’est tellement dépassé ! Nous avons mis la maison en
location. Je serai au Cap, en Afrique du Sud : tout se passe là-bas à présent. Mais amuse-toi bien,
ajouta-t-il,narquois...Jesaisquetutrouveraslemoyendet’attirerdesennuis.
NisacondescendancenisondédainneréussirentàatteindreMara.Garrettétaitunâne,etelle
étaitheureusequ’ils’enaille.Ellesedemandaitcequ’elleavaitpuluitrouver.
Soudain, Ryan lui manqua. Il s’était sûrement écroulé devant Aqua Teen Hunger Force,
l’hilarante série animée. Elle s’apprêtait à rentrer se glisser auprès de lui dans le lit lorsque Lucky
Yapl’appelapourluiprésenterJillKlompenhower,laseuleauthentiquecélébritéprésente.Selonla
rumeur,cetteactriceoscariséevenaitd’annulersonmariageavecunrockerchrétiendeuxsemaines
aprèslanoce.Soudain,Marafutbientropoccupéeàessayerdeserappelertouslesdétailsdelavie
deJillpourselanguirdesonamoureuxendormi.
CommediraitHeidiKlum:
Elizaest«in»
etPaigeest«out»
Elizaaidaencoreunmannequinàarrangersatenue,inclinasacasquettedelivreurdejournaux
pourluidonnerunpetitaircanaille,luifitmettrelecaracodedentellepar-dessuslarobeetnonen
dessous. Puis elle passa à la fille suivante, et à la suivante encore, en apportant de petites
améliorations:unepairedebouclesd’oreillespar-ci,uncollantrésillepar-là...Enunriendetemps,
elleavaitcomplètementmodifiélelooketl’ambiancedelacollection.
Voilà ! pensa-t-elle. C’est mieux comme ça. Tous les vêtements déclinaient un thème cohérent
avec quelque chose de très sexy, très plage, très jet-set. Cela rappelait les anciennes collections
SydneyMinx.Elledevaitbiensel’avouer:elleétaitungénie!
–Qu’est-cequetufabriques?sifflaPaige.
Sortant du bureau de Sydney, elle venait juste de remarquer que presque tous les mannequins
portaientleurtenuelégèrementdifféremment.
–Oh,Paige!Tum’asfaitpeur.
Elizagrimaça.
–Sydney,regardezcequ’elleafait!s’écriaPaige,menaçante.Toutachangé!
Lestylistesurgitdesonbureau.Ilfronçalesourciletsepritlementondanslamain.
–Voyonsvoir.
Eliza se figea et retint sa respiration. Tout son courage l’abandonna momentanément. C’était
faciled’êtreinspiréeetsûredesoidevantlesmannequinsquipoussaientdes«oh»etdes«ah»au
moindrechangement,maiscen’étaientquedesmannequins...Qu’est-cequ’ellesyconnaissaient?La
plupartd’entreellesnesavaientmêmepasépelerleurnomdescène.
– Bien, bien, fit Sydney. Continuez comme ça, dit-il à Eliza. Et Paige, donnez-lui un coup de
main.
CefutpourElizaunmomentdetriomphe,maisteintéd’amertume.Cartandisqu’elleprenaitdes
décisionsets’affairaitàpeindre,déchiqueteretaccessoiriserchaquetenue,Paigesetenaitenretrait
sans l’aider, morte d’ennui, bouillant d’une rage qu’elle ne se donnait même pas la peine de
dissimuler.
–Tupeuxmepasserunpistoletàcolle,s’ilteplaît?luidemandaElizatoutentirantsurunejupe
etenpinçantletissupourformerdesruchés.
–Tiens,grognaPaigeenlejetantparterre.
LefracasfitsursauterElizaquitroualetissuavecsesciseaux.
–Mincealors!piaillalemannequin.
–Oh,merde!gémitElizaenvoyantletrou.
Elle regarda Paige qui avait l’air d’une parfaite petite sainte. Eliza savait qu’elle l’avait fait
exprès,etellen’ypouvaitrien.
Elleeutuneidée.
–Bougepas,dit-elleaumodèle.
Elledécoupaundeuxièmetroudanslajupe,puisuntroisième,etunautreencore,créantainsiun
motifajourésexy.
Quelquesminutesplustard,c’estdufonddelasallequeluiparvinrentdeséclatsdevoix.
–C’esttroppetit!selamentaitunmannequin.
Sarobedecuircouleurcaféétaittellementcourtequ’elleluicouvraitàpeinelesfesses.
–Qu’est-cequisepasse,encore?Jevouspréviens,lesfilles,jenepeuxpasmepermettreune
nouvelle crise ! Je n’ai déjà plus de Xanax ! cria Sydney, déboulant en trombe pour juger de la
situation.
–Elizam’aditdelamettreausèche-linge...etregardezça!ditPaiged’untonsuffisant.Latenue
estbousillée.Elleneserajamaisprêtepourledéfilé.
– Je voulais un effet de cuir vieilli, expliqua Eliza en examinant d’un œil critique le matériau
détruit.
Elle avait demandé à Paige de régler la machine sur « délicat », mais de toute évidence
l’assistantemalveillantes’étaitfaitunplaisirdelaprogrammersur«maximum».
Lecuir,enlambeaux,avaitbeletbienrétréci.
–Tiens,tranchaElizaentendantaumannequinunjeancoupéauxgenoux.
Elletiralajupesurlebustedelafille.
–C’estunhaut!
–Biensûr!approuvaSydneyenagitantsonéventail.
–Biensûr,répétaElizaengratifiantPaigedesonsourireàunmilliondedollars.
Paigeauraitbeautouttenterpoursabotersesefforts,Elizanepouvaitpasperdre.
Siseulement
touteslespartiesdefoot
seterminaientcommeça!
Jacqui arriva dans les Hamptons au coucher du soleil. La propriété des Perry, Creek Head
Manor,étaitplusimmaculéeetplusimpeccablequejamais,commesielleattendaitlesphotographes
de Metropolitan Home pour un reportage. Laurie, la joviale assistante d’Anna, était venue une
semaine à l’avance pour tout préparer dans les règles de l’art : tous les vases étaient garnis de lys
blancs à longue tige, et tous les lits, de draps frais en lin d’Italie. Anna avait une fois de plus fait
rénoverlamaisonpendantl’hiveretfaitinstallerunsolarium,ainsiqu’unpetitbaréquipédel’eau
courantedansleplacarddelachambre.Lasalledebainsdesparentsabritaitégalementl’ancienbidet
deJackieOnassis(achetéunefortuneensalledesventes),assortiauxcarrelagesMarie-Antoinette.
Jacquifitdînerlesenfantsetdonnalebainauxpetits.Aprèslesavoirbordésdansleurslitset
rappeléàWilliametMadisondenepassecouchertroptard,ellefutenfinlibredevidersesvaliseset
des’installer.Ellegrimpalesmarchesbranlantesentraînantlespiedsetouvritlaporte,déchirantune
toiled’araignée.
Aprèsuneannéedefastecitadin,leretouraucottagedesfillesaupairétaitunpeudéprimant.La
pièce,sombreetrenfermée,sentaitlemoisi.Jacquiouvritlafenêtreengrandeteutimmédiatementla
nostalgieduconfortclimatisédesonappartement.Elletrouvadesdrapsenpercalefroissésdansles
tiroirs et les envoya sans enthousiasme sur le matelas taché et bosselé du lit à une place. Ce n’était
pluspareil,sansElizapourseplaindredelaminusculesalledebainsniMarapourexhortertoutle
monde à se préparer pour la prochaine journée de travail. Cafardeuse, elle s’assit au bord du lit et
allumaunecigarette,jetantdistraitementlescendresdanslajardinièrequicontenaitunficusdesséché.
Jacquisegrattalajoueetinhalaunelonguebouffée.ElizaétaitencoreàNewYork,etMaraétait
surlebateauavecRyan:mieuxvalaitleslaissertranquillestouslesdeuxpourlanuitdeleurarrivée.
Alors qu’elle déballait ses affaires, elle vit l’éclairage de la piscine qui illuminait l’allée du jardin.
Quellebonneidée!Elleattrapauneservietteetsortitrapidementducottage.
C’étaitexactementcedontelleavaitbesoinpoursesentirmieux:unpetitbaindeminuit.Anna
était à son gala de charité, il était tard, les enfants dormaient... il n’y avait personne d’autre à la
maison...L’eauétaitbonneetvivifiante:lesPerryavaientfaitpomperetfiltrerl’eaupureetfraîche
d’unpetitcoursd’eaudunorddel’île.Ellefitquelquesbrassesnonchalantes,puisselaissaflotterun
momentsurledos.Elleregagnaensuiteleborddubassin,oùelles’étaitpréparéunverrebienglacé.
Heureusement,ellesavaitoùétaientcachéeslesclésdubar.
Aprèsquelquesminutes,elleeneutassezetretraversalapiscinepourgagnerl’alléequimenait
au cottage. Elle sortait de l’eau, ruisselante et nue, lorsque soudain les buissons qui délimitaient
l’espacedelapiscineexplosèrentdansungrandfracas.
Jacquihurla.
Troisgarçonsàlapoursuited’unballonenmoussevenaientdedébouleràtraverslahaiequi
séparaitlapropriétédesPerrydecelledesReynolds.
–Droitdevant,droit...devant!s’étranglaDuffy,serrantencorelaballecontrelui.C’estelle!
– Sainte mère de Dieu, s’exclama Ben en allongeant le cou. Je jure solennellement que je ne
retourneraijamaisàHarvard.
–Señorita,veuillezexcusermesimbécilesd’amis,ditGrantavecsonaccenttraînantdusud,qui
auraitétécharmants’iln’avaitpasétéétaléparterre,levisageécrasédansl’herbe.
Lesyeuxronds,ilscontemplaientJacquidanslasplendeurdesanudité,vêtueuniquement«àla
brésilienne»...nousvoulonsparler,biensûr,desonépilationbrésilienne.
–Merda!jura-t-elleens’enveloppantdelaservietteetencourantverslecottage,laissantdans
sonsillagetroisgarçonsfousd’amour.
MaraadesdoutesXXL
sursonnouveaustatut
Peu après deux heures du matin, Mara remonta sans bruit à bord du Catalina. Elle tourna
lentementsaclédanslaserrureetentrasurlapointedespiedsdanslecockpitsombre.Laluneentrait
àflotsparlehublot,etMaradistingualalongueformedeRyanblottiesousl’édredonblancenduvet
d’oie.
Ellesedébarrassadesessandalesàtalonetsemassalaplantedespieds.Jilllesavaitinvitésdans
la maison qu’elle louait à Bridgehampton, et après quelques vodkas et une partie de « Célébrités »
bienarrosée(lastaravaitgagnéhautlamaingrâceàsonimitationdeNicoleRitchie),chacunétait
rentréchezsoi.
Mara tapa sur son BlackBerry le récit de l’annulation de mariage de Jill et le compte-rendu
détaillé du gala de charité, espérant envers et contre tout que son texte parviendrait jusque dans le
prochainnumérodumagazine.Luckyluiavaitassuréquel’articleétaittrèsbien,maisellen’enétait
passisûre.Etsisachefn’appréciaitpassesblaguessurles«accompagnateurs»?Ouseséquations
sur la vie mondaine, postulant que deux assistants de stars équivalaient, de nos jours, à une star de
troisièmecatégorie?ParexempleCaCeeCobb(assistante personnelle et meilleure amie de Jessica
Simpson) + Trace Ayala (assistante personnelle et meilleure amie de Justin Timberlake) = Brooke
Burke.
Sespiedss’enfoncèrentdansletapismoelleuxavecunbruitspongieux,etelles’enfermadansla
salledebainspoursedémaquiller,sedoucheretsechanger.ElleenfilaunvieuxT-shirtencotonde
Ryan,dontelleaimaitladouceursursapeau.
Ellesefaufilasouslescouverturesetseblottitensilencecontresontorse,glissantlesbrassous
sesaissellesetseserrantcontrelui,lesjambespasséessouslessiennes.
–Mmmmppf,murmuraRyanenluitapotantdistraitementlebras.Ilsoupira.
– Ry, tu m’entends ? Ryan ? chuchota-t-elle. Je crois qu’ils ont fait une grosse erreur en
m’envoyantàlasoirée.Jeneconnaisrienàl’artd’écrireunechroniquemondaine.Jenesuismême
pasdanslescerclesmondains.
Énervéeparlavodka,elles’inquiétaitpoursonarticle.Siseulementilpouvaitseréveillerpour
qu’ellepuisseenparleraveclui!Elleauraitvraimenteubesoindesonsoutienencemoment.
– Mmmppff... hein ? dit Ryan d’une voix endormie. T’en fais pas, tout va bien se passer,
marmonna-t-il.
Marasetordaitlesmains.Etsisachefdétestaitsontexte?Elleseraitbonnepourpassersonété
à rédiger des légendes de photos. L-R, héritier du ketchup ; Trophy Wife, chirurgien esthétique des
stars...
–Ryanchéri,tum’écoutes?Jesuistellementnerveuse...
Pour toute réponse, Ryan émit un ronflement sonore. Il lui tourna le dos et serra son oreiller
contrelui,laissantMaraseuleetabandonnéedesoncôtédulargelit.
Bon,ehbien...c’étaittoutpourcesoir.Detoutemanière,resterperchéesurdestalonspendant
troisheuresétaitunevraietorture,elleavaitbienbesoinderepos.
Elle posa un dernier baiser sur la joue de Ryan et pivota face au mur en remontant les
couverturessursapoitrine.
Ils dormirent ainsi, dos à dos, pratiquement sans se toucher. Le lit se balançait doucement au
rythmedesvagues,etquandMarafermalesyeux,ellerêvaqu’elleflottaitseuledanslevide.
Riendetelqu’unboulotbien
faitpourvousgonflerlemoral
Enfin le dernier ! Eliza maintint les bords du carton en place pendant que l’autre stagiaire les
scotchait.Ilétaitofficiellementsixheuresdumatinetl’équipeaucompletavaittravaillétoutelanuit.
Elizasesentaitenproieàunlégerdélire,maiselleexultait.Sesdernierschoixpourledéfiléfaisaient
uneffetbœuf:elleavaitplacédesbijouxextravagantssurtouslesmannequins,jouéaveclestextures
etlesmotifs,etréussiàcréerunspectaclehyperglamour.Sydneyétaitaucombledelajoie.EtPaige,
aucombledelacontrariété.
Elizaétaitsurunpetitnuage.Jamaisdesavieellen’avaittravailléaussidur,nines’étaitsentie
aussibien!Lacollectionétaitincroyable:mêmePaigeavaitdûadmettreàcontrecœurquetoutétait
sublime.Elizaétaittellementfière!C’étaitencoremeilleurqu’unementiontrèsbienauxexamens.
Ils avaient emballé chaque tenue dans du papier de soie avant de les suspendre, avec leurs
houssesenplastique,dansunearmoireportative.Celle-ciseraitchargéedanslecamionenpartance
pour les Hamptons. Les livreurs arrivaient dans une heure, et les vêtements seraient en magasin le
lendemainmatin,lejourdulancement.
Eliza prévoyait de dormir quelques heures, puis de gagner les Hamptons en voiture dans
l’après-midi.Ellesaluad’unsignedetêtelerestedel’équipeetrentrachezelleprendreunedouche
bienméritée.
Dansunaccèsdegénérositéquineluiressemblaitguère,Sydneyavaitpermisàtoutlemondede
rentrerenvoitureavecchauffeurauxfraisdelacompagnie,etuneflottedeLincolnnoiresétaitgarée
devantl’immeuble.ElizaenvoyalasiennesurParkAvenue.
Le portier toucha sa casquette et lui tint la porte ouverte. Elle ressentit un afflux de plaisir
indescriptible en pénétrant dans le hall de marbre décoré de fresques rococo aux couleurs pastel
pleinesdenymphesetd’angelots.Elleempruntal’ascenseurgarnidemiroirsetd’unépaistapis,qui
la déposa au vingt et unième étage. L’appartement des Thompson était dans la famille de sa mère
depuis le début du XXe siècle. C’était un « six pièces classique », mais on aurait pu l’appeler un
«douzepiècesluxe»,carilfaisaitledoubledelasurfacehabituelle,avecuneentréequis’élevaitsur
lahauteurdetroisétagesetunbalcondominantCentralPark.
SesparentsétaientdéjàdanslesHamptons,dansleur«cottage»d’Amagansett(seuleunepub
Ralph Lauren aurait pu décrire comme « rustique » leur maison de campagne de dix chambres).
Quelle merveille d’être chez soi, vraiment chez soi. C’était étrange : Eliza ne se serait jamais vue
commeunebosseuse,maisunejournéeaustudiodeSydneyavaittoutboulversé.
ToutessesamiesdeSpencesecontentaientd’allerchezlecoiffeur,defairedushoppingetde
parler garçons. Bien sûr, il y avait quelques filles brillantes qui partaient faire du théâtre à
Williamsburg,d’autresquieffectuaientdesstagesd’étédansdesmagazinesouàlaMaison-Blanche,
maisElizan’avaitjamaiseuenviedeleurressembler.
Ellen’auraitjamaispenséqu’unedurenuitdetravailpuisselaremplird’énergie,aulieudela
vider. Cette occasion qui lui avait été donnée d’exprimer sa créativité, d’exploiter ses talents innés
pour produire quelque chose de beau, lui apportait une satisfaction qu’elle n’avait jamais ressentie.
Elizasesentaitinspirée,elleétaitheureusedefairecestagechezSydney.Elleavaithâtequeledéfilé
commence.
Quelquesheuresplustard,rafraîchieparunesiesteetunebonnedouche,Elizabouclaledernier
desessacsmonogrammésGoyardetfitappeleruntaxi.Ellerejoignitlegaragefamilialdel’autre
côtédelaville,oùl’attendaitsonnouveauvéhicule:uneLandRoverLR3sportflambantneuve–un
net progrès par rapport à la berline de location de l’été précédent. Ses parents lui avaient offert la
voiturepourlaféliciterdesonadmissionàPrinceton,l’universitéoùsonpèreavaitfaitsesétudes.Le
4x4étaitrutilant.Elizabalançasesaffairesàl’arrièreetsautasurlesiègeconducteur.
Unevoixsynthétiqueàl’accentbritishl’accueillitdèsqu’elledémarralemoteur.
–Bonjour,Eliza.Oùvoulez-vousalleraujourd’hui?
–Bonjour,voiture!pépiaElizaenretour.
Çalafaisaittoujoursmarrerd’avoiruneconversationavecsacaisse.Ellesaisitleuradresseà
AmagansettdansleGPSautomatique.
Lavoituresemitàluidonnerdesinstructions.Elizasortitduparkingetsemêlaàlacirculation.
«Téléphone»,l’informalavoituretandisqu’unvoyantsemettaitàclignotersurletableaudebord.
–Décroche,ditEliza.
–Vousêtesenligne.
Elizaentenditunbruitdevagues,etJeremyquisedébattaitavecsontéléphoneportable.
–Allô?Allô?fit-il.Eliza,tueslà?
–Salut,bébé.
–Salut...
Savoixgraveetprofondelafaisaitfondre.Elizaeutunpincementdepitiépourtouteslesfilles
dontlecopainn’avaitpasunevoixaussisexyqueJeremy.ElleserappelaqueCharlieBorshok,son
précédentamoureux,avaitunevoixhaut-perchéetricanaitcommeunehyène.
–Jeviensdequitterleparking,jevaisentrerdansuntunnel.Jeserailàdansquelquesheures.
(Ellesemitàroucoulercommeunecollégienne.)Jet’aimanqué?
–Pasdutout,plaisanta-t-il.
Elles’engageadansleprofondtunnelquitraversaitlavilleetlesignalfaiblit.
–Jer,jenecapteplus.Jeterappellequandjesuissurla27,OK?Jet’aime.
Pasderéponse.Elleavaitperdulecontact.Elleeutunfrissonenpensantàlaparuredelingerie
surmesure,spécialementpréparée,quil’attendaitdanssesbagages.Delasoierosetrèspâle,avecdes
rubansensatin.Jeremyl’ignoraitencore,maiscesoir,c’étaitlegrandsoir.Elleespéraitbienquele
monden’allaitpass’écroulerd’icilà,carellen’avaitaucuneintentiondemourirvierge.
Lediablesechausse
enLouboutin
Premier indice que ce boulot n’allait pas être banal : les escarpins de sa chef posés sur son
bureau. Mara les admira du coin de l’œil. C’était des Louboutin de cuir rose bonbon, avec leurs
semelles rouges comme un camion de pompier – le fameux détail qui, partout dans le monde,
prouvaitauxfollesdechaussuresquec’étaientbiendesarticlesdeluxeàcinqcentsdollars.
Pendant dix ans, Sam Davis avait régné sur les médias de New York. À elle seule, elle avait
transformé plusieurs magazines léthargiques et déphasés en vaches à lait ultra-rentables. Elle avait
commencé par American Teen et gravi les échelons du « ghetto rose » de la presse féminine, de
Sophisticatedàl’espagnolAnnaClaudia,puisàGlitter,plusgrandpublic,jusqu’àlapluscélèbrede
sesrecréations,Them:untabloïdpeoplequi,chaquesemaine,abreuvaitsonpublicdedétailssurla
vieprivéedesstarlettesdelatélé.C’étaitlafautedeSamDavissilajeunechanteusepopChauncey
Raven,récemmentmariéeàsonancienchoristeDarylWolfetmamand’unpetitLiamSpenserRaven
Wolfdequatremois,avaitdéjàratatinédeuxdécapotablesMercedes,poursuivieàfonddetrainpar
despaparazzienpleinMalibu.
Sam Davis pliait le monde des médias à sa volonté et son ascension semblait sans limites.
Pendantdesannées,ilavaitsembléqueriennel’arrêterait.Convaincuequ’ellepouvaittoutconquérir,
elle s’était mis en tête de réinventer le marché de la presse culturelle. Elle avait alors proposé un
magazineàmi-cheminentreHarper’setInStyle,quidevait«rendresexylesgensintelligents».Ce
qu’ellefitenaffublantdesprixNobeldetenuesdénudéesetendemandantàdesacteursdecritiquer
les dernières sorties littéraires. Les sommets furent atteints lorsqu’un présentateur de reality show
résuma ainsi un ouvrage – couronné par le prix Pulitzer – sur la famine en Afrique : « Un livre
succulent, à dévorer sans hésiter ». Le magazine cessa de paraître après trois numéros, le contrat
mirobolant de Sam fut rompu, et aussi rapidement qu’elle était devenue la reine de la ville, elle en
devintlarisée.
D’où son exil dans les Hamptons. Elle jurait que c’était pour se rapprocher de sa famille
(d’après ses employés, elle travaillait seize heures par jour alors que son fils de cinq ans était
hospitalisé pour une tumeur au cerveau), pour profiter de la tranquillité qu’offrait le journalisme
dans les Hamptons (expositions florales, concours hippiques, frime en tout genre). Mais New York
connaissaitlavérité:elleétaitfinie.
Finie peut-être, mais pas morte. Sam Davis avait hâte d’imposer sa griffe sur Hamptons et de
faireànouveauparlerd’elle.
Mara attendait avec impatience qu’elle ait terminé de harceler son assistante au téléphone au
sujetdesoncafé.
–Combiendefoisfaudra-t-ilquejevousledise?Uncappuccinodrynemoussepas!
Elleavaitencoredumalàréaliserqu’elleaitpudécrocherunjobaussiconvoité.Larapiditéde
tout cela lui faisait encore tourner la tête. Toute sa vie, on lui avait inculqué que la réussite était le
fruit du travail et de la discipline... mais comment y croire alors qu’un simple coup de fil – une
relation–luiavaitapportéleboulotdesesrêves?Celanesemblaitpasjuste.Quediredetoutesles
candidatesauposte,quin’avaientpaslachanced’avoirbossépouruneanciennecamaradedefacde
SamDavis?
D’aprèsEliza,c’étaitunraisonnementvaseux.Lemondenefonctionnaitqu’aucarnetd’adresses.
Toutcequicomptait,c’étaitquionconnaissait.Pluslesgensétaientimportants,mieuxc’était.Mara
s’étonnaitdeconstaterqu’àdix-septans,elleavaitrencontrédéjàbeaucoupdecesgens.
–Oui?demandaSamenprenantenfinactedelaprésencedeMara.
C’étaitunesolidefemmedetrente-sixansauvisageduretridé.Sescheveuxd’unnoirdejais
étaientcensésfairepunk,toutcommesoncollierdechien.Pourtant,boudinéedansunpullVivienne
Westwood trop petit et un jean Shagg qui lui moulait les cuisses, Sam Davis trouvait le moyen de
ressembler à n’importe quelle mère de famille banlieusarde s’accrochant désespérément – mais en
vain–àsajeunesserebelle.
–JesuisMaraWaters.Votrenouvellestagiaire.J’airédigél’articlesurlegaladecharitéd’hier
soirauclubCain.
– Le quoi ? interrogea Sam. (Elle fit disparaître ses pieds sous le bureau dans un éclair de
couleur.)Ahoui.J’aieuvotrepapier.Onl’acoupé.
–Oh,fitMara,déçueetpeinée.
Tout ce travail, devoir laisser Ryan en plan... et l’article n’était même pas passé ! De plus, ses
pirescraintesseconfirmaient:ellenesavaitpasécrire.Ellen’étaitmêmepascapablededivertiravec
unechroniquemondaine.C’étaitsérieusementdéprimant.
Cematin-là,Maras’étaitréveilléeseuledanslelit.Ryanavaitlaisséunmotpourdirequ’ilétait
partisurfer.C’étaitsonhabitudedeseleveràl’aubepourallerattraperlesvagues.Maras’enétaitun
peu attristée : la veille au soir, ils avaient eu trop sommeil pour se retrouver, et voilà qu’ils
n’arrivaient pas à passer la matinée ensemble. Elle avait prévu de leur préparer un petit déjeuner
romantiquedanslacuisinedubord,maisdutserabattresurunpetitpainfroid,touteseuledevantla
télé.
–J’aibienpensélepublierlasemaineprochaine,maisceneseraientplusdesnouvellesfraîches.
EtnousnedonnonsquedesnouvellesfraîchesdansHamptons,déclaraSamDavisavecemphase.
–Biensûr,acquiescaMaraens’apprêtantàremettresoncarnetdenotesdanssonsac.
Manifestement, elle allait être reléguée à la gestion des fournitures de bureau. Ses épaules
s’affaissèrent.
Cependant,àsagrandesurprise,Samluifitsignedes’asseoirenfaced’elle;Maraobéit,une
foislesiègedébarrassédespilesdemanuscrits,demagazines,d’enveloppesetdeboîtesFedExqui
l’encombraient.
–C’estpeudechose,voussavez.Çaarrivetoutletemps,luiexpliquaSamenlevantlesyeuxau
ciel.C’étaitunpeulourdsurlesjeuxdemots,maispasdéplaisant.Unrienverbeux.Vousavezgâché
la chute en parlant du joueur de polo et de la starlette dès le quatrième paragraphe. Mais vous
apprendrez.
Maraseragaillardit.
–C’estvrai?
Samfarfouillasursonbureauettrouvaunesortiepapierdel’articledeMara.Ellelereluten
diagonale.
–Ilyadebonneschoseslà-dedans:les«équationsmondaines»,c’estamusant.J’aimebien.Il
nousfautplusdecela.
Mararayonnait.Elleétaitcontentedesatrouvaille.
–Voussavezquoi?Lasecrétairederédactionaengagéunenouvellestagiaire,pourfaireplaisir
àlabelle-sœurdel’éditriceoujenesaisquoi.Sibienquenousn’avonsplusbesoindevousenstage,
expliquaSam.
AvantqueMaraaiteuletempsdeserenfrogner,ellepoursuivit:
– En revanche, j’ai besoin de quelqu’un pour rédiger l’Agenda mondain régulièrement.
CourtneyvonWildingaappelé.Ellepassel’étéenMéditerranéesurleyachtdejenesaisquelprince
grec,ellenerentrerapasàNewYorkavantl’automne.(Samsoupira.)Voilàcequiarrivequandon
embauchedejeunesjet-setteusespourécrirel’Agendamondain.Impossibledelesinstallerdevantun
clavier:çaabîmelamanucure.
Elle dénicha quelques vieux numéros du magazine qu’elle fit glisser vers Mara à travers le
bureau.
–Vouscouvrirezlesdéfilésdemode,lepolo,lesgalasdecharité,lesdîners,quiestin,quiest
out, ce qui se porte, qui couche avec qui, qui se fait snober aux feux d’artifice cette année. On va
secouerunpeutoutcemonde!LeurdonnerquelquechoseàlireentrelespagesdepubpourCartier.
Maraopinaenprenantdesnotesàtoutevitesse.Quiin/out,lireentrepubsCartier.
– Sydney Minx inaugure sa nouvelle boutique demain. Je veux que vous y soyez. Et surtout,
interviewez-lebien.Nousallonsréaliserunportraitcomplet.Jeveuxquevousdonniezencoreplus
souventvotrepointdevued’étrangèrerécemmentintégrée.Onferapeut-êtrelacouvertureavecça.
Voyonscequelevieuxrenardadanssamanche.Jeveuxtroismillemotspourlundi.
Trois mille mots ! Pratiquement un roman ! Et Sam Davis avait-elle bien dit « couverture » ?
C’étaitsagrandechance!
–Ah,avantd’oublier,unechosequ’ilmefautabsolument,lançaSamDavis.Deschaussettes.
–Deschaussettes?
Samdésignasespieds.
–Deschaussettes.Pourmonmatchdetennis.Ilm’enfaut.Arrangez-vouspourqueSydneym’en
envoie.Dites-luiqu’onvalesphotographierpourunepagedemode.
–Pardon...fairevenirdeschaussettes?
–Vousêtessourde?Voilàlenuméro,insista-t-elleenpassantunecarteàMara.Jesuisenretard
pourmondéjeunerchezNickandToni’s.
Surcesmots,SamDaviss’enalla.
Mararegardaitfixementlemorceaudepapierdevantelle.Sapatronnevoulaitvraimentqu’elle
demande à un styliste d’envoyer une paire de chaussettes par coursier ? Pourquoi pas simplement
descendreenacheterunepairedansunmagasin?Oupasserenprendrechezelle?
Ellecomposalenuméro.
–GooberRelationspubliques,chantaunevoixsoyeuseàlaquelleMarareconnutl’assistantede
Mitzi.
Mara raccrocha immédiatement. Elle ne pouvait pas se résoudre à demander à quelqu’un
d’envoyer des chaussettes, et encore moins à Mitzi. Même avec l’excuse débile d’en avoir besoin
pour une séance de photos. Ce n’étaient que des chaussettes blanches, en vente dans n’importe quel
supermarchépour1,99dollars.Peut-êtreferait-ellemieuxdecourirenacheter,toutsimplement.Mais
siSamremarquaitquecen’étaientpasdesSydneyMinx?LeschaussettesSydneyMinxavaient-elles
quelquechosedeparticulier?
Parchance,elleeutuneautreidée.Ellecomposarapidementlenumérodeportabled’Eliza.
–Liza?
–Mar!Holla!
ÀCabo,ellesavaientécoutél’albumdeGwenStefanienboucle,às’enécorcherlesoreilles,sur
l’iPoddeMara.
–Hollaback,girl!T’esoù?demandaMaraquelavoixrauqued’Elizasubmergeadeplaisir.
Cet été, toutes les trois seraient de nouveau réunies... Qui savait quelles bêtises elles allaient
encoreinventer?
–Coincéedanslesembouteillagessurla27,commetoujours.Maisjedevraisêtrearrivéedans
uneheure.
– Écoute, il me faut des chaussettes. Pour ma chef. Sam Davis. Tu crois que vous pourriez en
envoyer?
–Deschaussettes?
Maras’expliquarapidement.
–Ahoui.Net’inquiètepas.Ilparaîtqu’ellefaitçatoutletemps,ellecommandedestrucsàtout
boutdechamp.Personneneluiprêteplusdevêtementsparcequ’ellementtoujoursendisantquec’est
pour un reportage photo, et ensuite on les voit sur elle à une avant-première. Par contre, elle et
Sydney, c’est une longue histoire, paraît-il. Je vais charger une des filles du magasin d’en envoyer
unepaire.Quelletaille?
MarapoussasubrepticementdupiedlaboîteàchaussuresLouboutinquitraînaitsouslebureau
demanièreàvoirl’étiquette.
–Duquarante-quatre.C’estBertheaugrandpied,dit-elleavecunpetitrire.
Elizalamitenattente,puisrepritlaligne.
–Tulesaurasàmidi.
–Tuviensdemesauverlatête.
–Ouplutôtlespieds,gloussaEliza.
–Tusaisquoi?JedoisécrireunarticledefondsurSydneyMinx!pépiaMara,surexcitée,tout
engribouillantsursonbloc-notes:ParMaraWaters,puis:L’Agendamondain,parMaraWaters, et
enessayantd’imaginersesquelqueslignesdebiographie:MaraWatersvitàSagHarbooravecson
fiancé.Ceciestsonpremierarticlepourlejournal.
–Arrête!s’étranglaEliza.
–C’estvrai!Onm’aconfiélarédactiondel’agendamondain.C’estpasdingue,ça?
– Complètement dingue, s’enthousiasma Eliza. Oh mon Dieu, tu vas être, genre, hyper
importante!
–Tais-toi!rigolaMara.
Eliza avait tendance à exagérer, mais c’était tout de même agréable à entendre. Elle posa ses
piedssurlebureaucommeSamDavis.Detoutemanière,iln’yavaitpersonnepourlavoirdansles
environs.
–Tumeciterasdanstonarticle?J’aiaccessoirisétoutelacollection.
–Jeverraicequejepeuxfaire,réponditMarad’untonfroidementprofessionnel.
–Oh,fitEliza,déçue.
–Andouille,jeplaisantais.Biensûrquejeparleraidetoi,promitMara.
–Ouf!Pendantuninstant,j’aicruquej’allaisdevoirt’apportermasuper-machine-à-dégonflerles-grosses-têtes,lataquinaEliza.
–OnsevoitchezlesPerry?
–Unpeu,monneveu!conclutEliza.
Maratsouritenraccrochant.Elleétaitfolled’impatiencederevoirsesamies.
Jacquibrouillelesondes
deRadio-instance-de-divorce
Lesenfantsavaientbeaus’efforcerdefairecommes’ilsn’entendaientrien,lamaisonrésonnait
desarcasmesetdeproposacides.KevinetAnnasedisputaientparinterphoneinterposé.Unefoisde
plus.
Jacqui contempla le boîtier blanc fixé à côté du grille-pain en regrettant de ne pas pouvoir
couperleson.L’interphonedecettemaisonétaitdifférentdeceluideNewYork.Là-bas,lorsqu’on
appelait une pièce, la conversation s’établissait discrètement entre les deux postes. Dans les
Hamptons, où le système était plus ancien, lorsqu’on appuyait sur le bouton votre voix sortait par
quinzehaut-parleursàlafois.
– Bon sang, où sont encore passés mes clubs de golf ? Comment se fait-il que je ne retrouve
jamaisriendanscettemaison?beuglaitKevin.
–Pasmafaute.Cen’estpasmoiquilesaidonnésàrevernir,grinçaAnna.
–Çac’estsûr,tunefaisjamaisriendanscettemaison.Àpartclaquerdufric!Etaufait,tonpetit
exploitavecmonoreille,c’estgrave.Lemédecinditquec’estinfecté.
– Et alors ? Je m’en fous. J’en ai marre de la manière dont tu me traites. Je ne suis plus ton
assistante,jesuistafemme!hurlaAnna.
–Ouais,j’avaisremarqué.Monassistantes’activeplusquetoi!rétorquaKevin.
–Vatefairefoutre.Jeveuxdivorcer!
–Parfait!C’estd’accord!répliquaKevin.Iltefautsansdoutequelqu’undeplusjeune,puisque
tuneveuxjamaisfairelamêmechosequemoi.
–Allô,laTerreparleàKevin!Tesamissontchiants!
–Ehbiencommeçatun’aurasplusàlessupporter,hein?
–C’estsérieux,cettefois!menaçaAnna.Jeveuxdivorcer!
–Vas-y!Appelletonavocat!
–Ilestdansmesnumérosabrégés!Regarde-moifaire!
– Ils ne disent pas ça sérieusement, dit Jacqui en versant dans les bols des enfants des flocons
d’avoineirlandaisebiologiquecomplète.Ilsn’enpensentpasunmot.
Lamenacedudivorceétaitsisouventbrandiequ’elleenavaitperdusonefficacité.
Madisonlevalesyeuxauciel.Elleaffectaitl’indifférencefaceauxquerellesentresonpèreetsa
belle-mère, mais comme Anna était la seule mère qu’il lui restât – leur vraie mère, Brigitte, s’était
enfuiedansunashramauSriLankasansunregardpoureuxdepuisdesannées–,ilétaitévidentque
les disputes la terrifiaient. Lorsqu’un long cri d’Anna déchira l’interphone, Madison renversa
accidentellementsonverredejusd’orange.
–Net’inquiètepas,larassuraJacquienl’aidantàessuyerlatableavecdupapierabsorbant.
William,onzeans,nelevapaslesyeuxduromand’aventurequ’ilétaitentraindelire.Lepetit
garçonhyperactifs’étaitcalmé,curieusementsansl’aided’aucunmédicament,etunetransformation
radicales’étaitproduite.Alorsqu’avantleproblèmeétaitdelefairetaire,àprésentilétaitdélicatde
luiarracherunmot.Ilavaitgrandi,maigri,etsaressemblanceavecRyans’accentuaitdejourenjour.
Silesdeuxaînéss’efforçaientdemasquerleuranxiété,levacarmeperturbaittrèsclairementZoéetle
bébé–commeilsappelaientencoretousCody.
LalèvreinférieuredeZoétremblait,etlapetitefillesemblaitsurlepointdesemettreàpleurer;
quantàCody,leseulenfantbiologiqued’Anna,ilhurlait,lesmainsplaquéessurlesoreilles.
À bout de patience, Jacqui traversa la cuisine pour aller débrancher le boîtier qui cessa
immédiatementdeglapir.OnentendaitencoreladisputedesPerryrésonnerdanslesprofondeursde
lamaison,maislesonétaitlointainetétouffé.
–Allez,mangezvosfruits,lesamadoua-t-elleenfaisantpasseràlarondeunboldepruneauxet
deraisinssecs.
–Y’aquelqu’un?claironnaunevoixjoyeuseàlaporte.
Jacqui leva les yeux. Mara entra, les bras chargés d’un grand panier rempli de muffins tout
chauds,sortantdufour,dechezlaComtesseauxPiedsnus.Leurparfumdecannelleetdemuscade
envahit la cuisine. Et pour la première fois depuis qu’elle avait reçu les mauvaises nouvelles de la
NYU,Jacquieutréellementenviedesourire.
–Saluttoutlemonde!ditMara.
–Holla!
Maras’approchapourembrasserJacqui.
–Tuessuperbe!
Jacqui exécuta une pirouette. Elle portait un débardeur ajouré et blousant Derek Lam avec un
étroitbermudaàcarreauxgris.
–Toiaussi.C’estunetuniqueTory?J’adore!
Mara acquiesça en s’asseyant au comptoir de la cuisine ; les enfants avaient immédiatement
abandonnéleursfloconsd’avoinepourdévaliserlepanierdemuffins.
–MonDieu,William,tuaspoussécommeduchiendent!s’exclamaMara.EtMadison,tuestrop
mignonneaveccettechemise!
–OnditBill,maintenant.Ilneveutplusqu’onl’appelleWilliam,précisaaffectueusementJacqui.
EtnousavonstrouvécettechemiseensoldechezJeffreylasemainedernière,n’est-cepas,Mad?
William adressa à Mara un sourire timide et retourna s’asseoir. Mara leva les sourcils en
regardant Jacqui qui se contenta de hausser les épaules. Deux étés de suite, le petit garçon les avait
terroriséesavecsescrisesdenerfs;ilétaitdifficiledeconcevoirquelesalegossequilespoursuivait
desonpistoletàeausoitdevenucetenfantsageplongédansunlivre.
MaraébouriffalescheveuxdeCodyetembrassaZoé.
–Alors,comments’estpasséelapremièrenuitde«laCroisières’amuse»?lataquinaJacquien
traçantdesguillemetsimaginairesavecsesdoigtsavantdedébarrasserlesbolsintacts.
MararougitetjetaunregardsignificatifverslespetitsfrèresetsœursdeRyan.
Jacquihochalatêteetluiexpliquaàmi-voixquedèsqueleursgrands-parentsarriveraient,elles
pourraient discuter tranquilles. Les parents de Kevin emmenaient les enfants dans leur propriété de
l’autre côté de l’île, où ils allaient passer la journée à pêcher dans l’étang et à faire du cheval. Les
grands-parentsPerry,desgenspleinsdebonsens,étaientcontrelesnounous,sibienqueJacquise
retrouvaitavecunejournéedecongé.
Quandlesenfantsfurentpartis,MaradécrivitàJacquiledînerincroyablementromantiqueque
Ryanluiavaitpréparé,etlamanièredonttoutavaitétéinterrompuparunemissionprofessionnelle.
–J’aiétéobligéedelelaisser...Jen’avaispasvraimentlechoix,sedéfenditMara.
–C’estdur,admitJacqui.
–Oui,maisbon,çava.Onatroismoisàpasserensemble.
Puiselleluiracontatoutsursonnouveauboulotetsadinguedepatronne.
–C’estgénial,Mar!Tues,genre,unevraiejournaliste,s’émerveillaJacqui.Jesuishyperfière
detoi,chica.
Mararayonnait.Jacquisavaittoujoursexactementquoidire.
Elles comparèrent ensuite leurs cérémonies de remise de diplôme, et la conversation tomba
bientôtsurleurfutureuniversité.
– Je suis encore sur liste d’attente pour Dartmouth, tu te rends compte ? gémit Mara. Quelle
poisse.Ettoi?DesnouvellesdelaNYU?
Enuninstant,l’estomacdeJacquisecontracta.Ellenesavaitpasquoirépondre.Elleserefusait
à admettre son échec, surtout après avoir laissé entendre à Mara que tout roulait pour elle. Et puis,
c’étaittropdouloureuxàavoueràhautevoix.Jamaisellen’avaitétéaussigênéeavecsonamie.
MaisJacquifutsauvéeparlegonglorsquedeuxlongscoupsdeKlaxonrésonnèrentdansl’allée.
–OÙSONTMESHARAJUKUGIRLS 1?braillaElizadepuislaported’entrée.
1. Harajukugirls est une chanson de Gwen Stefani qui fait allusion aux collégiennes habillées de manière délirante du quartier de
HarajukuàTokyo(N.d.T.).
Pourfêterleursretrouvailles,
lestroismousquetairesfont
unepausecigarette
Elizasortitdesavoiture.ElleportaitunelonguerobebustierblancheàtailleEmpire,enjersey
de coton à smocks, qui mettait en valeur ses épaules bronzées. Son petit nez était surmonté d’une
gigantesquepairedelunettesDita:c’étaitladernièreobsessionmodedescélébrités,etelleavaitdû
les pister jusque dans une boutique de West Hollywood. Elles étaient tellement grandes qu’elles lui
mangeaientlamoitiédelafigure,maisillesluifallait.(ToutlemondepouvaitporterdesChanelet
des Gucci ordinaires, mais quand on était au parfum, c’était des Dita qu’il fallait !) Ses cheveux
étaientnouésenunelonguetresse.Elleavaitlesjouesrosesetlesdentsbrillantes.Elleétaitl’image
même de l’été, et ses vieilles bottes de cow-boy apportaient une touche branchée qui complétait
parfaitementl’ensemble.
Mara et Jacqui admirèrent la robe d’Eliza et décidèrent immédiatement qu’elles voulaient la
même.C’étaitl’effethabitueldesvêtementsd’Elizasurlagentféminine:onconvoitaittoujoursce
qu’elleportait.Heureusement,Elizaétaitdecellesquipartagentvolontiersleurssecretsdeshopping.
– Trop mignonne, non ? Planet Blue à Malibu. Je suis allée en Californie avec mon père la
semaine dernière. Pas de panique, j’ai le numéro ! dit-elle avec animation en embrassant
chaleureusement ses amies sur les deux joues – une nouvelle habitude, prise après une journée de
travailenstudiodemode.
–Jacqui,personneneportelebermudacommetoi.Ilvientd’où?OldNavy?Tuplaisantes?On
diraitunepiècedecréateur!Mar,tescheveuxsonttropbien!Tuasfaitquelquechoseàtessourcils,
aussi?Maisavantqu’onseracontetout,quelqu’unpourraitm’apporterunebouteilled’eau?Jecrève
desoif!
MaraallaenriantchercheràlacuisineunebouteilledeGlaceauSmartwatergivréequ’ellelui
tendit.Lapremièrefoisqu’elleavaitvuEliza,ellel’avaitcataloguéecommeuneinsupportablepetite
princesse, mais depuis, son amie lui avait largement prouvé son erreur. Même si elle faisait le
maximumpourvivredansunmondeoùtoutcequiestplusfroidquezérocontientduchampagneet
ducaviar,ellesavaitaussicequec’étaitquedemangerdesrestesdansunvieuxfrigoàBuffalo.
–Regardez-moiça!ditElizaenleurmontrantlaLR3noiregaréedansl’allée,unefoisqu’elle
eutdévissélabouteilleetprisunelonguegoulée.
Marahochalatête,impressionnée.Elizaleuravaitbienditquesafamilleavaitretrouvétoutesa
fortune;lavoitureleprouvaitsanséquivoque.
–Elleestnickel,approuva-t-elle.
–Oùsontlesmioches?demandaEliza.
–Chezleurmamie,expliquaJacqui.AgradeçaaDeus.Dieusoitloué.
–Iln’yapersonne,alors?Super,onpeutfumer,ditElizaentirantunpaquetdesonsacàmain
Chloé Silverado. Vous aimez ? Je sais, je n’ai pas été sage, avoua-t-elle en parlant du prix à cinq
chiffresdusac.
Touteslestroiss’installèrentconfortablementsurlesmarchesdevantlamaisonpourpapoteren
fumant des cigarettes. Elles avaient conscience que c’était peut-être leur dernier été ensemble – qui
pouvaitpronostiqueroùellesenseraientl’anprochain?–,etcettepenséelesrapprochaitencoreplus.
Sansquecesoitdit,toutestroisétaientheureusesd’avoirencoreunesaisonbaignéedesoleilàpasser
danslesHamptonspourfairedushopping,s’amuseretfaireunefiestad’enferavantd’entrerenfac.
Leurpapotagefutinterrompuparlebruitd’untaxibrinquebalant,quis’arrêtadansl’allée.Une
filleminusculeapparutàlaportearrière.CettecréaturetoutemenueétaituneCoréenneextrêmement
jolie. Ses cheveux courts ébouriffés encadraient des lunettes œil-de-chat à monture d’écaille. Le
chauffeurl’aidaàsortirsesbagages–desvalisesassortiesvertoliveornéesdulogoFendi–,etelle
tiradesonsacGucci,pourlepourboire,quelquesbilletsdeundollarfroissés.
Elleconsultalepapierqu’elletenaitàlamainavantdeleverlesyeuxsurlesfilles.
–Excusez-moi.CreekHeadManor,c’estbienici?
–M-mm,acquiescaMara.
–Onpeutvousaider?demandaJacqui.
Lafillelesobservatouteslestroisavecattention,commesiellevenaitjustedelesremarquer.
–OhmonDieu!dit-elle.Vousêteselles!
–Qui,elles?répétaMaraensetournantverssesamiesd’unairperplexe.
–Vousêtescélèbres!piaillalafilled’unevoixsuraiguë.Vousêteslesfilleslesplusclassedes
Hamptons,jesaistoutsurvous,jel’ailudansTeenVogue!
L’étéprécédent,pourfaireplaisiràMitziGoober,touteslestroiss’étaientprêtéesàunportrait
des « filles de l’été » dans le magazine. Mara y était photographiée au bras de Garrett Reynolds,
sortant d’une Bentley. Eliza, elle, était présentée dans sa minirobe à paillettes Sass & Bide, une
planchetteécritoireàlamain,devantuneboîtedenuit.QuantàJacqui,elleoccupaitladoublepage
centraledanslatenuefinaledudéfilédemode.
–TuesMara,n’est-cepas?ditlafilleenluitendantbrusquementlamain.Jet’aivuedansle
realityshowdeSugarPerry!
–Oh,euh...ehbienmerci,bredouillaMara,encoreunpeudésarçonnée.
Lafillehochavigoureusementlatête.
–Toi,tudoisêtreEliza,lafolledemode,dit-elleensetournantversEliza.Etdonc,toi,tues
Jacqui...mapréférée!couina-t-elleensejetantàsoncou.
Mara et Eliza échangèrent des coups de coude pendant que Jacqui esquivait poliment les
embrassadesdelafille.«Préférée?»Pourquilesprenait-elle,despersonnagesdesérietélé?
Lanouvellevenuesemblaitsurlepointdetournerdel’œil.
–C’esttropcool,quandjepensequejevaistravailleravecvouscetété!
–Travailleravecnous?demandaElizalesyeuxplissésenécrasantsacigarettecontrelasemelle
desachaussure.
–Jem’appelleShannonShin.Lanouvellefilleaupair!Etjesuisprêtepourlemeilleurétéde
mavie!
Lesmalentendusfont
bonménageavecl’abus
demargaritas
Toutensirotantleursmargaritas«hypnotic»bleulagonàlaterrassedel’hôtelSunset,lesfilles
analysaientlesderniersévénementssurvenuschezlesPerry.ElizalesavaitconduitesàShelterIsland
pourboireunpetitverrependantl’happyhouravantd’allerchercherJeremyàsontravail.Ilvenaitde
monter son entreprise de paysagisme, et n’avait eu aucun mal à recruter comme clients tous ses
anciensemployeurs.Elizaetluiavaientrendez-vousàsonappartementdansquelquesheures,etelle
voulaitprendredesforcespourlegrandévénement.Elleavaitdécidédeperdreenfinsavirginité,pas
sonsang-froid.
–Tusavaisquetuallaisavoirdurenfort?demanda-t-elleenallumantunecigaretteetenposant
lespiedssurlemuretquilesséparaitdelaplage.
Ellesétaientinstalléesdanslesfauteuilsenosierdubar,alignésfaceàl’océan.Jacquisecouala
tête.
–Annaadûoublierdem’enparler.Grossesurprise.
Maraopinaduchef.
–Lanouvelleal’airtrès...enthousiaste.
Elle n’en revenait toujours pas de la manière dont Shannon les avait traitées. Comme des
célébrités.
–Jetrouveçasuper,approuvaEliza.Çatefaitquelqu’unàquidonnerdesordres!
Toutes les trois avaient pris un coup de vieux. Déjà deux ans qu’elles se connaissaient,
vraiment?LefraisvisagedeShannon,quinzeans,leuravaitrappelécombienellesétaientjeuneset
naïves lors de leur première embauche comme filles au pair. Shannon n’avait fait aucune difficulté
pour rester seule à la maison, à attendre le retour des enfants, pendant que Jacqui sortait boire un
verre en vitesse avec ses copines. Anna avait recruté la nouvelle de la même manière qu’ellesmêmes:paruneannoncesurInternet.Shannonleuravaitracontéqu’elleavaitenvoyéunportfoliode
qualitéprofessionnellecomprenantundossierdedixpagessursescompétences,aveclesémouvants
témoignagesd’enfantsqu’elleavaitgardés.Elleavaitétéengagéesur-le-champ.
Jacquiculpabilisaitbienunpeudel’avoirlaisséetouteseulepoursonpremierjour,maisd’un
autre côté Eliza avait raison. C’était elle qui commandait, et ce serait bien d’avoir quelqu’un pour
l’aider.
–Bonalors,ilfautqu’onpasseunétéfantastiqueavantderentreràlafaccetautomne,ditEliza.
Onseraaupolotouslessamedisaprès-midi.Sansexception.Ilparaîtqueçavaexplosercetteannée.
DesgensdetoutepremièreimportancesouslestentesVIP.
–J’aiunecartedepresse,intervintMara.Jecouvrelepolo.
Ellen’enrevenaittoujourspasdel’avoirméritée...maisSamDavislaluiavaitremisecetaprèsmidimême.C’étaitunepièced’identitéplastifiéequiportaitlamention«PRESSE»enmajuscules
rougesau-dessusdesonnom.Rienqu’àlaregarder,elleenavaitdesfrissons.
–Cool.Jesuissurlaliste.Jet’yferaiinscrireaussi,Jac,promitEliza.(Àprésentquesafamille
faisait de nouveau partie du gratin, elle naviguait avec assurance dans les courants de la vie
mondaine.)IlyaaussilegaladecharitéL’ArtpourlaVie,etlebanquethawaïenpourlarecherche
contrelesida.Etpuis,peut-êtrequ’undecesweek-endsonpourraitpousserjusqu’auxvignoblesdu
nordpourunepetitedégustationdevin?
–Perfeito,approuvaJacqui.
–Quedirais-tud’unefêtesurlebateau,Mar?lançaEliza.
– Bien sûr. Pour le 4 Juillet, peut-être ? suggéra Mara en imaginant comme ce serait joli de
lancerunfeud’artificedepuislepont.
Ils pourraient avoir une glacière remplie de bières, et quelques feux de Bengale et chandelles
romaines pour les garçons. Jeremy les renseignerait sûrement si jamais Ryan ne savait pas où en
trouverenville.
–Jem’occupedesgrillades,proposaJacqui.Vousavezunbarbecuesurlebateau,oui?
–JedemanderaiàRyan,maisjecroisbienenavoirvuun,ditMara.
–Commentva-t-il,aufait?demandaElizad’unevoixlégèreensoufflantunronddefumée.
EllejouaitavecsabaguedeCladdagh,uneallianceirlandaisequeJeremyluiavaitoffertepour
sonanniversaire.Elizalaportaitaveclecœurtournéverslebas,ensignequesonproprecœurétait
pris.
–Cemecsurfevingt-quatreheuressurvingt-quatre,septjourssursept.Ildoitavoirdel’eaude
merdanslecerveau,jevousjure,plaisantaMara.
–Dites,onm’adéjàproposéd’adhéreràunclubdegastronomieàPrinceton,annonçaEliza.
–Tuvasaccepter?Ilparaîtqu’ilssonthypersnob,objectaMara.
– Mais il le faut ; c’est le seul moyen de s’alimenter, rétorqua Eliza. Personne ne mange à la
cafétéria,ausecours!
Eliza ne trouvait pas cela snob, simplement pratique. Les clubs de gastronomie offraient de
meilleurs cuisiniers et des aliments bio. L’un d’eux proposait même un régime végétarienmacrobiotique.Ellen’avaitaucuneintentiondeprendrelescinqkiloshabituelsenarrivantàlafac.
Elleleurexpliquacommentelleavaitplanifiélesquatreannéesàvenirgrâceàunguidedescoursles
plusfacilesetdesprofslesplusindulgents.Elleallaitpassersesexamensobligatoirestranquilleles
deuxpremièresannées,ensuitepartirunanàParis,etprésenterlediplômel’annéesuivante.Riende
tropcrevant,puisqu’elleétaitassuréedereprendreunjourlaboîtedesonpère.C’étaitcequetoutle
mondeattendaitd’elle,etsurtoutsesparents.
–Ehbien,tuasdéjàtoutprogrammé,admiraJacqui.
Elleeutunpincementdetristesse,carpourunefoisdanssavieelleaussiavaitfaitdesprojets,
maisilsn’avaientpasmarchécommeprévu.
–Eneffet,j’aimebienêtreorganisée,admitEliza,modeste.Ettoi,Mar?Desnouvelles?
–Pasencore,râlaMaraenfronçantlessourcils.C’estdelatorture.Ilsnedevraientpasavoirle
droitdenousinfligerça!C’estinjuste!
–Jesais,c’estnul,maisColumbia,çapourraitêtregénialaussi.C’estenpleineville.
Marahochalatête.
–MaisRyann’yserapas,dit-elled’unetoutepetitevoix.
Elleécrasasacigarettedanslecendrierenplastiqueetregardaungroupedejeunesreplierun
filetdebeachvolley.Elizahaussalesépaules.
–C’estpasloinduNewHampshire.
–Sansdoute,soupiraMara.
–Ettoi,Jac,commentças’estpasséaveclaNYU?poursuivitEliza.
–Oui,raconte-nous.Aumoins,sijemeretrouveàColumbia,jesauraiquetuesenvilleavec
moi,avançaMara.
Jacquiposasonverreets’éclaircitlagorge.Ellesesentitpiquerunfardenformantlesmots.
–Ehbienoui...
–Ehbienoui?lacoupaMaraenécho.
–Tuasétéprise?enchaînaElizad’unevoixperçante.
–Félicitations!s’exclamèrent-ellestouteslesdeux.
Mara et Eliza couvrirent Jacqui de gros baisers et de grandes embrassades. Elles savaient
combienellevoulaitentreràlaNYU,etcommeelleavaitbûchépouryarriver.
Jacqui sourit. Le sourire resta longtemps figé sur son visage. Il y était toujours lorsque la
conversation retomba sur l’heure du rendez-vous pour la soirée d’inauguration de Sydney Minx le
lendemain.Cen’étaitqu’unmalentendu;ellen’avaitpaseuenviedeledissiper,voilàtout.Oùétaitle
mal,ensomme?Ellen’avaitpasencoreenviequecesoitréel,toutsimplement.Àcemomentprécis,
toutcequ’ellevoulait,c’étaitboireencoreunverreavecsesamies.
Lediables’habilleenbikini
bleupétard
Unvold’oiseauxdemertraversaitleciellorsqueMaraarrivaauport.Elizaladéposaetluifit
aurevoirdelamain.Ellesavaientpassétouteslestroisl’essentieldelajournéeàSunsetBeachet,
aprèsavoirattenduqu’Elizaaitdessoûlé,ellesétaientrentréesenchantantàtue-têtesurl’albumde
GwenStefani,lesvitresbaisséesàfondpoursentirleventdel’océanleursoufflerdanslescheveux.
–Soissage!luicriaEliza.
–Nefaisrienquejeneferaispas!lataquinaJacquidepuislesiègepassager.
–Ça,çalaisse...beaucoupdemarge!réponditMaraenriantetenagitantlamain.
ElleentenditlavoixdeRyansurlepont.Ildevaitdiscuteravecdespotesdesurfpasséslevoir.
Leurspremiersinvités!Marasedemandas’ilyavaitdequoileurpréparerunpetitquelquechoseà
mangerdanslefrigo.Ellesentaitvenirsonheuredegloireentantquemaîtressedemaison.Ceserait
amusantdedéployersestalentsdeparfaitehôtesse.
Marasedépêchaderejoindreleboutduquaietpritpiedsurlepontarrière.Elleposasonsac
dans le salon et se dirigea vers la proue, où elle le trouva. Ryan était à genoux, en caleçon à fines
rayures,occupéàcirerlepont.Ilétaitennage,etMaraletrouvaplussexyquejamais.Iln’yavait
qu’unproblème.
Cen’étaitpasàunpotedesurfqu’ilparlait.
Une donzelle en bikini turquoise grattait le bateau d’à côté. Elle se pencha par-dessus le
bastingageetéclaboussaRyandemousseavecsonéponge.Ilripostaenluienvoyantsonchiffon.
Soudain, Mara ne se sentit plus du tout accueillante. Le fantasme de servir des canapés et des
cocktailsfutévacuéaussisec.
Toutel’année,elles’étaitdemandécommentellesupporteraitdesavoirqueRyanétaitdugenre
àavoirbeaucoupd’ex-petitesamies,etdesamiesfilles,etdesfillesquivoulaientêtreplusquedes
amies. Le problème, c’était qu’il adorait tout simplement la compagnie des femmes. Il avait une
relation naturelle avec elles, ayant beaucoup de sœurs, et il se fichait complètement que Mara
n’appréciepassonintérêtprononcépourlesmembresdusexeopposé.Surtoutenminusculebikini
stringturquoise.
– Ce ne sont que des copines, l’assurait Ryan. Tu sais bien que tu es la seule qui compte pour
moi.
Mais il était naturellement séducteur – c’est ce qui faisait son charme – et, même si Mara ne
voulaitpaslechanger,levoirbadinersifacilementavecuneautren’amélioraitpassaconfianceen
ellenisonassurance.Elleavaitdéjàeuassezdemalàsurmonterl’affaireEliza.
–Eh,çafaitlongtempsquetueslà?fit-il.
–Pasvraiment,répondit-ellefroidement.
–Tinker,voicimacopine,Mara,dit-ilenprenantcettedernièredanssesbras.
–Ah,salut!ditTinker.J’aibeaucoupentenduparlerdetoi,ajouta-t-elleamicalement.
–Tinkerestdansmaconfréried’étudiants,expliquaRyan.
Mara lui adressa un signe de tête. Elle savait que Ryan faisait partie d’une confrérie mixte à
Dartmouth. Bizarrement, elle s’était toujours figuré que les filles qui avaient envie d’intégrer ce
genredegroupesdevaientêtredesespècesdegarçonsmanqués...maisTinkerétaitfémininejusqu’au
boutdesongles.
–CommejeledisaisàRyan,messœursetmoionvapasserl’étésurlebateaudenosparents,
ditTinker.
Marasouritens’efforçantd’avoirl’airraviedecettenouvelle,puisellesetournaversRyan.
–Tusensmauvais.
–Ahoui?répondit-ilenjouantàfairesemblantdel’étouffersoussesaisselles.
–Arrête,gloussaMara.
–Allez,quoi,ditRyan.Onvaprendreunedouche?Onpourraitselaver...,luichuchota-t-il.Ettu
pourrais,tusais...tefairepardonnerdem’avoirabandonnéhiersoir...
CommeMarasentaitsesgenouxflageoler,illuiserralamainavecforce.Elleallaitluimontrer
combien elle était désolée de l’avoir laissé seul la veille. Combien elle était vraiment, sincèrement,
complètementdésolée.Elleluienvoyaunsouriremalicieux.
–Tuesvraimentunsalemec,dit-elle.
Pourtouteréponse,illuisouffladoucementdansl’oreille.
– Contente de te connaître, euh... Tinker ! s’écria-t-elle, envahie par un frisson d’impatience
tandisqueRyanl’entraînaitverslagrandechambre,oùilsallaientprofiteraumaximumdeladouche
tropicale,duJacuzzi,del’immenselit...
Tropserréespourêtreàl’aise
Deretouraucottage,Jacquiconstataavecstupéfactionquelaplupartdesesaffairesavaientété
fourréesenvracdansdeuxpetitstiroirs,etqu’unoreillerinconnuétaitposésurleseulvrailit.
Shannonsortitdelasalledebainsenpeignoir,latêteenturbannéedansuneserviette.
–Oh,salutJacqui!J’aidûdéplacerunepartiedetesaffaires,ellesprenaienttoutelaplacedans
leplacard.Tun’étaispasprévenuequej’allaisarriver,n’est-cepas?J’aibienremarquéqu’Annaétait
unpeufofolle.
Jacquis’apprêtaàdirequelquechose,maislafillecontinua.
–Etj’espèrequeçanet’embêtepas,maismonmédecinditquej’aiunproblèmededos,alorsje
nepeuxvraimentpasdormirsurlelitsuperposé.Çateconvient?
Cette fille minuscule battit des paupières, et Jacqui en resta momentanément sidérée. Elle était
censéeêtrelasupérieure,etpourtant,enunclind’œil,Shannons’étaitappropriétoutcequ’ilyavait
demieuxdanslachambre.
Jacquinesesentaitpasenétatderépondre;elleétaitencorepompetteàcausedesmargaritas,et
énervéeparlemalentenduqu’elleavaitomisdedissiper.Àlaplace,ellesemitàouvrirlestiroirs
pourrepliersoigneusementsesvêtementsenréfléchissantàunplan.
Uneheureplustard,pendantqu’ellespréparaientledînerdesenfants,JacquiexpliquaàShannon
combiencetétéseraitimportantpourelles.IlleseraitentoutcaspourJacqui,carcommeelledevait
redoublersadernièreannéedelycée,elleavaitbesoinqu’Annal’emploieencoreunan.
–Jedoisjustet’avertirquelapremièreannéeoùj’aitravailléici,onaapprisqu’Annaavaitviré
lesfillesaupaird’origineavantnotrearrivée,dit-elle.Donc,onnepeutpasvraimentserelâcher.Ce
n’est pas la fête sur toute la ligne, OK ? Et les enfants Perry ne sont pas toujours faciles, surtout
Madison.Ilfautlessurveillercommelelaitsurlefourenpermanence.Jacquivoulaitdire«comme
le lait sur le feu », mais elle se mélangeait encore un peu dans les expressions quand elle était
énervée.
Shannonopinaenéminçantlescarottes.
–Oh,biensûr,dit-elleaveceffusion.Maisjenesuispasinquiètedutout.Lesenfantsm’adorent.
Jacqui garda le silence en mettant l’eau à chauffer pour les pâtes, un petit sourire aux lèvres.
AveclesenfantsPerry,Shannonn’avaitaucuneidéedecequil’attendait...
Audîner,elleprésentaShannonauxenfants.
–Écoutez-moi,toutlemonde,voiciShannonShin.Ellevam’aideràm’occuperdevouscetété.
Shannons’agenouillapoursemettreàlahauteurdeZoé.D’unepetitevoixhautperché,ellelui
demanda:
–Bouzour,Zoé.Commentçavaauzourd’hui?
Zoéladévisagead’unœiltorve.
–Trèsbien,merci,répondit-elled’unevoixposée.
CodyhurlaetrefusadeseséparerdeJacquilorsqueShannontentadeleprendredanssesbras.
–Jetedéteste!Jetedéteste!répétait-ilensecouantlatête.
Complètementdécontenancée,Shannontentadesympathiseraveclesaînés.
–Salut,jem’appelleShannon.Jacquim’aditquetut’appelles...Bill?demanda-t-elleentendant
lamainàWilliam.
Ilétaitrestépratiquementmuet,etsonvisageviraaurougetomatelorsqueShannons’adressaà
lui.Ilgardalesyeuxfixéssursonassietteetenfournaimmédiatementunecuilleréedefettucini.
Jacqui se mordit les lèvres pour ne pas rire. Exactement comme elle s’y attendait, les enfants
n’étaient pas décidés à se laisser amadouer facilement. Elle était même assez fière d’eux. Elle avait
travaillédurets’étaitdévouéepourgagnerleurconfianceetleuraffection;Shannonaussidevraiten
passerparlà.
Maisilyavaitencoreunenfantàtable.MadisonPerryétaitassisedevantuneassiettedefeuilles
delaitueramollies,qu’ellechipotaitavecsafourchette.
Jacqui lui donna un coup de coude pour l’encourager à manger, mais au lieu de s’exécuter,
MadisondévisageaShannond’unœilfuribond.
–C’estqui,celle-là?Qu’est-cequ’ellefaitlà?demanda-t-elleàJacqui.
–C’estlanouvellefilleaupair.Soisgentilleavecelle.
Shannonvints’asseoiràcôtédeMadison.
– Oooh, tu as une Technomarine ! s’exclama-t-elle en désignant la montre rose de Madison
incrustéedediamants.
– M-mm, concéda Madison en levant le poignet pour que Shannon puisse l’examiner de plus
près. Mon père l’a achetée dans une vente de charité. Elle a appartenu à Paris Hilton. Elle a cinq
braceletsdifférents.Monpréféré,c’estceluiencrocorose.
– Trop bien. J’ai toujours voulu en avoir une. Je m’appelle Shannon. Toi, c’est Madison, pas
vrai?J’adoretescheveux.Tulesfaisdéfriser?
LevisagedeMadisons’illumina.Ellespenchèrentlatêteensemblepouradmirerlamontrede
Madison.
– Tu as douze ans ? Tu fais plus, tu as l’air tellement mûre. Moi, je viens d’avoir quinze ans,
continuaShannon.Onestpratiquementcommedessœurs!
Uneflatterieaprèsl’autre,ShannonseretrouvaviteentraindebavarderavecMadisoncomme
unevieillecopine.EnaidantCodyàcoupersescarottes,Jacquineputréprimerunlégersentimentde
trahison.
Elizaenvoieunmessage
àtouteslespatrouilles
pourretrouverunerobe
Letéléphonesonnait:NowIain’tsayin’sheagold-diggerbutsheain’tmessin’wit’nobroke...
Elizaouvritunœil.Jeremypoussaungrognement.Ellesepenchapar-dessussontorseetfarfouilla
dansletiroirdesatabledenuitàlarecherchedesontéléphone.
–Allô?fit-elled’unevoixensommeilléetandisqueJeremyenfouissaitlatêtesoussonoreiller.
–Hmpprff,seplaignitJeremy.
– Chut, souffla-t-elle en pressant l’oreiller contre son visage, taquine mais à moitié morte de
trouillequel’onpuissel’entendre.
Elle l’avait fait entrer en douce, la veille au soir, lorsqu’il était sorti du travail et qu’elle était
revenue de boire un verre avec les filles. Pourtant, l’opération « date d’expiration » ne s’était pas
dérouléecommeprévu.Jeremyavaitpassétoutelajournéeàplanterdesérablesjaponais,etilétaitsi
fatigué qu’il avait eu du mal à garder les yeux ouverts. Ils en étaient encore aux préliminaires
lorsqu’ils’étaitmisàronfler.
Elisa se disait qu’ils pourraient réessayer ce matin. Elle comptait sur son père pour partir tôt
joueraugolf,etsursamèrepourserendreàuneréuniondecharité.Ensuite,Jeremyetelleauraient
toute la maison pour eux. Elle avait prévu de sortir discrètement du lit, de se brosser les dents,
d’enfilersaparuredelingerieetderevenirseglisserentrelesdrapspourêtreparfaitelorsqu’ilse
réveillerait. Mais c’était compter sans cet appel matinal de la personne qu’elle détestait le plus au
monde.
–Eliza,s’écriaunevoiefrénétique.
–Paige?Qu’est-cequisepasse?demanda-t-elleenseredressant.
–Uneurgence!
–Qu’est-cequinevapas?s’enquitEliza,lecœurbattantàtoutrompre.
Un certain nombre de scénarios catastrophe lui traversèrent l’esprit : Sydney avait changé
d’avis,ildétestaittouteslestenuesqu’elleavaitconçues.Oualors,lesvêtementsétaientarrivésettous
lestissuspeintsàlabombeavaientdéteintsurlesautres.Ouencore,lapeintureavaitprisunevilaine
couleurenséchant.
–Ilmanqueunetenue,ditPaiged’unevoixpaniquée.CellequeVidaliadoitporterpourlefinal.
Je suis à la boutique sur Main Street avec Sydney, on a tout déballé, mais on ne la trouve pas. Elle
n’estpaslà.
–Maisjel’aiemballéemoi-même,sedéfenditEliza.Elleestforcémentlà.
–Ehbennon,etSydneyestentraindefaireunecrisecardiaque.Tusaisquec’estlatenuelaplus
importantedudéfilé.Toutestfoutusanscetterobe.
–Jesais,jesais.
–Ilfautabsolumentquetuarrangesça.C’esttoiquiasfaitcepaquet,insistaPaige.Ceserata
fautesiellen’estpasaudéfilécesoir...
– C’est bon, t’inquiète pas. Je m’en occupe, promit Eliza en faisant son possible pour ne pas
paniquerelle-même.
Elle raccrocha et resta assise au bord du lit, pensive. Toutes ses idées de séduction matinale
s’étaientenvolées.
Réfléchis,Eliza,réfléchis,s’exhorta-t-elleenessayantdeserappelertouslesdétailsdelaveille...
la chronologie des événements... et en s’efforçant de comprendre ce qui s’était passé. Elle avait
demandé à Vidalia d’enlever la robe et de l’accrocher au portant pour emballage, mais dans la
frénésiedumomentelleavaitoubliédevérifiersilemannequinl’avaitbienfait.EllerevoyaitVidalia
disantqu’elleavaitundînerhabillécesoir-làetqu’illuifallaitquelquechosedefabuleuxàporter:
elle voulait être prise au sérieux par les responsables cosmétiques d’Estée Lauder pour qu’ils lui
proposentuncontratexclusif.
Elizas’étrangla.Cesatanémannequinavaitsortilatenueendouce!Ellel’avaitportéeaudîner
Lauder!Elizaenétaitsûre.
–C’étaitquoi?Toutvabien?demandaJeremy.
–Toutvas’arranger,ditElizajusteaumomentoùunhélicoptèreBlackHawkpassaitau-dessus
deleurstêtesdansunfracasdetonnerre.
Elleleregardaparlafenêtreensedemandantcequevoulaitdirelelogoàdeuxdoigtspeintsur
lecôté.Ildisparutparmilesnuagesenémettantduhip-hopàpleinstubes.
ElizaramassasonsacàcôtédulitetcaressasacarteAmericanExpressTitanium...
Plusfortquelacrise
desquaranteans:
lacrisedesdixans?
Shannon était déjà dans la salle de projection lorsque Jacqui arriva ce matin-là. La nouvelle,
installéeauboutdelatabledejeu,bavardaitgaiementavecAnnaPerry.
–Ah,Jacqui,tevoilà.Tusaisquenousessayonsdecommenceràl’heure,machère,ditAnnaen
luifaisantsignedevenirs’asseoirprèsd’elle.
Jacquieutunregardfuribond.
–Euh...iln’yavaitplusd’eauchaudeaucottage,sejustifia-t-elle.
–J’auraisdûteprévenir,intervintShannonavecsonairsainte-nitouche.Jesuisobligéederester
trèslongtempssousladoucheàcausedemonproblèmededos...
Jacqui opina sèchement. Au réveil, elle avait trouvé la porte de la salle de bains verrouillée
pendantunebonneheure.Elleavaitdûrenoncerauxbienfaitsd’unebonnedouchepourallerpréparer
lepetitdéjeunerdesenfants,etàsonretouraucottage,ilnerestaitplusdanslestuyauxquedel’eau
froide,glacéemême.
– Je suis contente que vous ayez fait connaissance. Shannon a beaucoup d’expérience et
d’excellentesréférences,luiexpliquaAnna.
Jacquiregardalajeunerecruedetravers.Laveilleausoir,Shannonluiavaitavouéque,quoi
qu’endisesonimpressionnantCV,lesseulsenfantsqu’elleeûtjamaisgardésétaientsespetitsfrères
etsœurs.Etpourtant,ellesemblaitinnocentecommel’agneau.
Annajoignitlesmains.
– Bien, nous y voilà, en route pour un nouvel été dans les Hamptons ! dit-elle avec un
enjouementforcéalorsqueJacquil’avaitentendue,pasplustardquelaveilleausoir,sedisputeravec
Kevinausujetdesrelevésdecartesdecrédit.
Annaenétaitdéjààsatroisièmetassedecafé.Visiblement,latensiondesonmariageenmiettes
luiportaitsurlesnerfs.
Jacquiouvritsoncalepin,styloenmain,prêteànoterlalistedesactivitéséducatives,spirituelles
etsportivesexigéesparAnnapourlestroismoisàvenir.
–Cetteannée,riendeprévupourlesenfants,annonça-t-elle.
Jacqui faillit en tomber de sa chaise. Chaque été, Anna élaborait un emploi du temps serré,
strictement réglé heure par heure, et dressait toute une liste de buts impossibles à atteindre. Elle
attendaitdesenfantsqu’ilss’ytiennent,etdesfillesaupairqu’elleslesyaident.L’annéeprécédente,il
yavaitmêmeeuuneheuredeprésentationPowerPoint.
–Rien?repritJacquibouchebée.
–J’ailubeaucoupdechoses,cesdernierstemps,surles«minicrisesexistentielles»;surles
enfantstellementstimulésqu’ilss’angoissentàl’excèsetdéveloppentunsyndromedestressjuvénile.
Voussavez,commelespetitsJaponaisquisejettentparlafenêtreaumomentdesexamens,dit-elle
avecunregardsignificatifendirectiondeShannon.
– On les appelle les karoshi, précisa joyeusement Shannon. Suicide pour cause de surmenage.
C’estunphénomèneenhausse,surtoutàl’écoleprimaire.
–C’estça,ditAnnaavecunepointedenervosité.Entoutcas,jeneveuxpasdecelapourmes
enfants.Parconséquent,cetété,ilsneferontquejouer.Jeveuxqu’ilssedétendent,qu’ilss’amusent.
Qu’ilssoientlibres...
–...defairetoutcequ’ilsveulent,terminaShannon.
–Exactement.Jecroisquec’esttoutàfaitça.
–C’esttout?demandaJacqui,encoreincrédule.
–C’esttout,confirmaAnna.
Jacquin’encroyaittoujourspassesoreilles.Pasdereprisesd’équitation,pasdestagedesurf,
pasdecampdelaCabale,dekrav-maga,decoursdeconversationenfrançais,italien,cantonais?Les
enfants,libresdefairecequileurchantait?Joueràdesjeuxvidéo,regarderdesfilms,alleraucentre
commercial,sebaigner,traîneravecleurscopains...rien,absolumentriend’éducatifnidestimulant?
Ensortantdelasalledeprojection,JacquineputseretenirdeconfieràShannonàquelpointcet
étés’annonçaitdifférentdesprécédents.
Shannoneutunsourirerusé.
– À ton avis, qui lui a envoyé l’article du Time sur les écoliers stressés ? Je les connais, ces
mèresmodèles.Hé,ho,jesuisvenuedanslesHamptonspourm’amuser,moi!Aufait,paslapeinede
meremercier.
Jacquiduts’inclinerrespectueusementdevantsanouvellecollègue.ShannonShinétaitpeut-être
une petite manipulatrice, mais en une journée chez les Perry elle avait compris comment prendre
Anna...Toutcomptefait,ellepourraitbienserévélerutile.
–Tuasuneinvitationpourl’ouverturedeSydneyMinx?luidemandaJacqui.C’estcesoir,etil
paraîtqueceseralameilleuresoiréedel’été.
–Non,ditShannonens’assombrissant.Jeneconnaispersonneici,àparttoi.
–T’inquiète.
–C’estuneinvitation?
–Jecroisquec’estunetrêve,murmuraJacquipourelle-même.
–Pardon?
–Rien.Bon,voyonsunpeucequetuvasmettrecesoir...
Soussesdehorsparfaits,Ryan
estungrosporcdansl’âme
Ryan avait eu beau assurer à Mara qu’en quelques jours elle ne remarquerait même plus le
balancementdubateau,elleseréveilladesasiestedemauvaisehumeur,avecl’impressionden’avoir
pasdormidutout.
Elle avait passé la matinée dans les bureaux de Hamptons, à réunir des informations pour
l’article sur Sydney Minx et à faire venir des sacs-cadeaux pour Sam. La rédactrice en chef en
exigeait un pour chaque événement chroniqué dans le magazine, même si elle n’y assistait pas en
personne. Parfois, elle en faisait livrer d’Europe si elle avait entendu dire que leur contenu était
particulièrementintéressant.
Aprèsletravail,MaraavaitregagnéleCatalinapourfaireunepetitesiesteavantlesfestivitésde
lasoirée.Àsonréveil,elleconstataqu’ilneluirestaitqu’unedemi-heurepoursepréparerpourle
défilé.
Ausalon,elletrouvatoutl’équipementdeRyanseméauhasarddanslapièce.Sesmallesétaient
arrivéesdelafacparcamionUPSlematinmême,sibienquel’endroitressemblaitàuneantennedu
ministère des Sports. Il y avait un wakeboard, plusieurs snowboards, des raquettes de tennis et de
badminton,descrossesdehockeysurglaceetsurgazon,desballonsdebasket,desballesdegolf,des
ballons de football américain. Ryan lui avait déclaré un jour que c’était insultant de l’appeler un
«sportif».Letermeapproprié,luiavait-ilexpliqué,étaitathlète,carsportifévoquaitunebrutalitéet
une étroitesse d’esprit auxquelles il ne souscrivait absolument pas. Fort bien, songea Mara en
contemplant tout son équipement. Donc, ce n’était pas un sportif... mais il était, sans aucun doute,
athlétique.
L’une des malles étant ouverte, Mara put constater qu’elle contenait vraiment toutes sortes de
vêtements:T-shirtpropres,chaussettesetserviettessales,vestesdecostumesurleurcintre,encore
enveloppéesdanslahousseenplastiquedupressing.Apparemment,Ryanavaitsimplementjetétoutet
n’importequoidanslapremièremallevenuesansprendrelapeinedetrierquoiquecesoit.Nichés
dansletasdevêtements,MaradistinguadesétuisàCD,desboîtesàcigarettes,uncendrier(sale),une
chopeàbière(propre),etmêmeunecorbeilleàpapierquicontenaitencorelesbrouillonsfroissésde
sonmémoiredefind’année.Marasecoualatête...ellen’avaitpasréaliséqueRyanétaitbordéliqueà
ce point. Il lui avait promis de mettre de l’ordre dans ses affaires, mais de toute évidence il avait
abandonnéceprojetpourallertaquinerlesvagues.Commed’hab’.
Ilentrad’unpasnonchalantaumomentoùelleessayaitdedégagersasecondevalise,coincée
sousl’unedesnombreusesplanchesdesurf.
– Attends, je vais t’aider, dit-il en soulevant la planche comme une plume pour lui permettre
d’attrapersonsac.
–Moncœur,tucroisqu’onpourrait,euh...rangerunpeu,enquelquesorte?seplaignitMara.
–Maisoui,maisoui,temporisa-t-ilens’approchantpourl’embrasser.
Ilétaitmouillé,couvertdesable,etilsentaitlamer.Sescheveuxbrunsluicollaientaufront.En
tempsnormal,MaraauraitfonduenlevoyantmoulédanssacombinaisonNéoprènenoire;maislà,
ce qui l’intéressait, c’était de trouver son carton d’invitation et la liste des personnes qu’elle devait
interviewerpoursonarticle.
–Jeneretrouveriendanscebazar!râla-t-elle.
Descanettesvidess’éparpillaientpartoutdanslapiècedepuisunsoiroùdescopainsàluiétaient
passés. Ses fantasmes de parfaite maîtresse de maison avaient vite volé en éclats lorsqu’elle avait
comprisqu’ilspréféraientsetaperdelapizzafroideetdelabièreordinaire.
–Pourquoitustressesautantsurcedéfilé?demandaRyan.
Mara commençait à avoir l’impression qu’il ne faisait aucun cas de son travail, d’autant que
plusieursdesfillesqu’ilfréquentaitavaientrédigélachroniqueavantelle.Elleétaitcontrariéequ’il
necomprennepascombiencelacomptaitpourelle.
Ryans’affalasurlecanapé.Mêmesilemeubleneluiappartenaitpas,Marafutagacéedevoirsa
combinaisontremperlecuiritalien,quigarderaitunetacheindélébile.Celal’énervaitqueRyann’ait
mêmepasconsciencedecegenredechoses:lecanapévalaitsansdoutedesmilliersdedollars,mais
quesignifiaitunesipetitesommepourungarçonquiavaitdéjàtout?
–Jepeuxteretrouverlà-bas?demanda-t-ilenlançantunemainderrièresondospourdescendre
lafermetureÉclairdesacombinaison.Ilfautquejemedoucheetquejemechange.
–Jedoispouvoirtrouverquelqu’unpourm’emmener,concédaMara.
EllecomposarapidementlenumérodeLucky,quiheureusementn’étaitpasloindeSagHarbor
etpouvaitpasserlaprendre.
– Cool, fit Ryan en lui plantant un baiser sur le front avant de se diriger en sifflant vers la
douche.
Mara haussa les épaules en ouvrant sa valise. Il était l’amour de sa vie, mais parfois sa
négligence la rendait dingue... Elle commençait à découvrir que le chemin de l’amour n’était pas
toujourspavédepétalesderoses.
Parfois,ilétaitjonchédevieillescanettesdebière.
Alors,onbosseouonbulle?
Ah,çac’étaitcequ’onappellepasserunbonété!
Ledécretd’Annainstaurantlalibertétotalen’étaitpastombédansl’oreilled’unesourde,sibien
queJacquiavaitdécidé,enaccordavecShannon,depasserlajournéeàtraînerauborddelapiscine.
Williamétaitplongédansunlivre,Madisonbronzaitsurunmatelasgonflablequidérivaitmollement
aumilieudubassin,etZoéetCodys’entraînaientàfairel’équilibredanslepetitbain.
Shannonrêvassaitsousleparasoldanssonminusculeune-piècenoirtandisqueJacqui,àcôté
d’elle,étrennaitsonbikinirougetoutneuf.Lematinmême,elleavaitachetécenouveaumaillotàl’un
descamionsambulantsJ.CrewquisillonnaientlesHamptonspourparerauxurgencesdecegenre.
Jacquiaimaitlamanièredontleminishortpouvaitêtrerouléd’unsimplegestepoursetransformer
enslipsexyéchancrésurleshanches.
Jacqui ferma les yeux et savoura le soleil qui chauffait son visage et décrispait ses muscles
tendus.Auboutdequelquesminutes,elleseredressasursontransatpourfeuilleterlederniernuméro
deW.C’étaitlabellevie:lesenfantsoccupés,sacollèguedevenueuneamie,unpichetdelimonade
glacéeà portée de main. Elle s’installa en vue d’une lecture croustillante sur les derniers scandales
mondains.
C’est alors que, de l’autre côté de la piscine, derrière la haute haie, elle entendit ce drôle de
bruit:poum,poum,poum.Silence.Puisencorepoum,poum,poum.Lesonladistrayait,l’empêchaitde
seconcentrersursonmagazine.Ellefinitparseleverpourallervoir.
Elle franchit les buissons épais qui délimitaient la hideuse propriété des Reynolds, une
monstruositédetrentemillemètrescarrésbâtieparlesvoisinsboursouflésdesPerry.Ungigantesque
châteaugonflabledépassaitau-dessusdelahaie;lastructurerenfermaittroistypesquiculbutaient,
rebondissaientetriaientcommedesfous.Destypesqu’elleavaitdéjàvusquelquepart...
–Excusez-moi,criaJacqui.
Lescabriolesstoppèrentnetetlestroisgarçonstournèrentlatêteverselleavecunsourireidiot.
Elle ne put s’empêcher de leur rendre leur sourire. À la lumière du jour, ces garçons étaient
carrémentmignons.Cettefois,laNYUétaitvraimentoubliée.Pourquois’inquiéterpourlafacalors
qu’ilyavaitdesbombessexuellesdanslecoin?
–Toutesnossincèressalutations,ditGrantKotackenfaisantunbondspectaculairepourvenir
atterrirjustedevantelle.Sauferreurdemapart,nousnoussommesdéjàrencontrés,ilmesemble,
continua-t-ilavecsonsoyeuxaccentdusud.
– Une bien brève rencontre, malheureusement, précisa Duffy en traversant à pas de géant le
plastiqueondulantpourfinirdansl’herbeaprèsunegalipette.
–Quiafaillinousbriserlecœur,approuvaBenensurgissantduchâteauvacillantàlasuitede
sesacolytes.
Cequis’étaitpassépendantsonbaindeminuitnegênaitabsolumentpasJacqui:elleétaitfière
desoncorpsetn’yvoyaitriendehonteux.
–JacquiVelasco.JetravaillechezlesPerry,dit-elleentendantlamainaugarçonleplusproche,
celuiquiavaitlescheveuxenbatailleetlespattes.
–GrantKotack,souritGrant,toutcontentqu’ellesesoitadresséeàluienpremier.Enchanté.
Illuifitunbaise-mainavecunegrâceraffinéed’unautreâge,particulièrementplaisanteàvoir
chezungarçonenpantalondechantieretT-shirttropgrandornédulogod’unemarquedebeurrede
cacahuète.
–JohnDuffy,ditlegrandmaigreauxcheveuxfins,interrompantleurssalutations.
Il était mignon comme une star de Hollywood : mâchoire carrée, mèches blond cendré lui
tombantdanslesyeux,etlegenredesourirequinaissaitlentementsurleslèvrespourilluminertout
levisage.Appelle-moiDuffyouDuff,commetoutlemonde.
–BenDefever.
Le troisième lui adressa un signe de tête. Avec ses grosses lunettes noires, il n’était pas sans
ressemblanceavecRiversCuomo,desWeezers,l’undesgroupespréférésdeJacqui.
–Onpeutfairequelquechose?ajouta-t-il.
–VoustravaillezpourlesReynolds?demanda-t-elle.
–Lesqui?fitDuffydansungrandsourire.
–Lescrétinscoincésàquiappartientcettetaule,ditGrantavecunclind’œilpourJacqui.
–Onl’alouéepourl’été.C’estuntrucdeouf.Tusaisqu’ilyaunepiscined’eaudemerbourrée
depoissonstropicauxlà-basderrière?Avecunegrotte?demandaBen.Ilfautquetuviennesvoirça
avecnousundecesjours,ajouta-t-iltimidement.
–Etpourquoipasmaintenant?proposaDuffy.C’estunbonmoment,maintenant,non?Jevais
chercherlesmasquesetlestubas!
–Netesenspasobligée,précisaBenavecunaccentdesincérité.
– Peut-être plus tard, dit Jacqui sans cesser de sourire. Mara lui avait décrit la grotte en détail
l’étéprécédent.
Ellerougit;Duffyétaittropmignonavecsonairgamin,Grantétaitl’imagemêmed’undieude
laguitarerock,etBenétaittoutsimplementadorableavecseslunettes.Etvoilà:ellelesentaitbien
nettement,cepicotementdansl’échine,cesentimentquiluiavaitmanquétoutel’année.
–Tuveuxsauter?proposaGrantenagitantlepouceendirectionduchâteaugonflable.
–Volontiers,maisj’aiquelquesgaminsavecmoi...ilspeuventvenir?demandaJacqui.
–Ilssontàtoi?fitDuffyd’unairperplexe.
–Non,jesuislafilleaupair,s’esclaffaJacqui.
–Ahbon,tantmieux,parcequependantuninstanttunousasvraimentfaitpeur,lataquinaGrant.
EllecompritqueDuffyvenaitdesepayersatête.
–«Plusonestdefous,plusonrit!»conclutBen.Amène-les!
Jacquilesremerciad’unsourireetcourutporterlabonnenouvelleauxenfants.Ellelesramena
encompagniedeShannondontlesyeuxs’agrandirentàlavuedecestroisjolisgarçons.
–Qu’est-cequisepasse,parici?Salut,moic’estShannon!dit-elleensouriantlargementaux
troismâles,lesmainssurseshanchesminces.Cool,lechâteau!
MaisquandJacquiétaitdanslesparages,Grant,BenetDuffy,commetouslesgarçons,avaient
dumalàvoir–etencoreplusàentendre–quiquecesoitd’autre.
Personnen’ajamaisdit
quel’humourpotache
étaitraffiné
LaboutiquedeSydneyMinx,aucentredel’avenueprincipaled’EastHampton,étaitflanquéede
deuxénormesprojecteursquidessinaientlesinitialesdeSydneydansleciel.Àlaportesepressaitla
foulehabituelledeceuxquiessayaientd’entrer,agitantenvainleursinvitationsroseetoraunezdela
brigadedecerbèresimpitoyablesquinelaissaientpasserquelesjournalistesetlesVIP.
Maramontrasacartedepresseetfutimmédiatementadmiseàl’intérieur.EllerepéraJacquiau
bar,occupéeàtenterd’attirerl’attentionduserveur.
–OùestEliza?demanda-t-elleencriantpoursefaireentendrepar-dessuslatechnohurlante.
Elleregardaautourd’elle.Pourlasoiréedelasaison,c’étaitétonnammentbanal.Àmoinsque
Marasoitblasée,àforced’avoirassistéàcegenrederéceptionslesétésprécédents:quelquesjetsetteurspar-ci,quelquescélébritésdedeuxièmeordrepar-là,unsacsurprise...bof.Toutcomptefait,
iln’yavaitpasgrandedifférenceavecuneinaugurationdeboutiquestandard.C’étaitmêmepeut-être
unpoilennuyeux.Maisledéfilédemodeallaittoutchanger,dumoinsellel’espérait.Aumilieudela
boutiquetrônaitunpodiumrecouvertdeplastique.
Jacqui haussa les épaules. Elle se tordit le cou, légèrement agacée, pour tenter de croiser le
regard du barman. D’habitude, elle n’avait aucun mal à capter l’attention d’un homme, mais le bar
étaitdévalisé,etc’estàpeinesisademandeavaitétéremarquée.
–Champagne,madame?offritDuffyquivenaitd’apparaîtrecommeparmagieavecuneflûte
qu’illuimitdanslamain.
–Oh,merci!Etuneaussipourmonamie?demanda-t-elle.
–Aucunproblème,ditBenensematérialisantavecunesecondeflûte.
JacquilapassaàMara.Ellestrinquèrentrapidementetchacunepritunelonguegorgée.
–Ilyenaencoreàlasource,leurassuraGrantenremplissantdenouveaulesverresgrâceàune
bouteilledeVeuveClicquotqu’ilcachaitsoussonbras.
–D’oùçavient,ça?s’étonnaJacqui.
–Nousavonsnosméthodes,ditBenmystérieusement.
–Piquéedanslescuisines.
Duffysouritlargementenrévélantdeuxautresbouteillessoussonmanteaudetoile.
–Engraissantroyalementlapatteaubarman,expliquaGrant.Aufait,lesdeuxbouffons,vous
medevezdessous.
MaraetJacquipouffèrentderire.Lestroisgarçonsformaientunarcdecercleprotecteurautour
d’elles.
–Lesmecs,voiciMara.Mara,voilàlesmecs,ditJacquienguisedeprésentations.
Marasouritetlesremerciapourlesboissons.
–OùestShannon?demandaMara.
Ellesavaittoutdesesmachinationsausujetdulitetduplacard,maisconvenaitavecJacquique
sonrôledanslerevirementd’Annavalaitlargementquelquespetitsinconforts.
–Elleestlà-bas,ditJacqui.
Mara regarda dans la direction de la fille aux cheveux noirs, qui inspectait furieusement les
portants, méthodiquement, un par un. Shannon lui rappelait quelqu’un. Quelqu’un qui menait son
shoppingcommeunecampagnemilitaire.ElleétaitfrappéedelaressemblanceavecEliza,dumoins
danssamanièredefairelesboutiques:commesisavieendépendait.
– Il fait un peu chaud là-dedans, non ? dit Jacqui sans s’adresser à personne en particulier, en
éventantledécolletédesarobevintageOscardelaRenta.
–Jem’enoccupe!s’exclamaDuffyensejetantprestementdansl’action.
Ilétaittellementravid’avoirunemissionqu’ilfaillitrenverserunmannequinsursonpassage.
–Hé,monpote!cria-t-ilauserveurleplusproche.Montelaclim,yo!ajouta-t-ilenluicourant
après.
–Laissetomber,jesaisoùestleclimatiseur!intervintBenenpoussantDuffysurlecôtépour
satisfairelui-mêmeledésirdeJacqui.
– Ne bouge pas d’ici, chuchota Grant en lui serrant le bras. Je connais l’organisateur de la
soirée.Jevaisluidiredes’enoccuper.
–Maisquisont-ils?demandaMaralorsquelestroisgarçonseurentdisparudanslafoule.Tes
esclaves?
Jacquiéclataderire.
–Ilssontmignons,hein?
–Pasmal.
–CesontlestypesquiontmontéDortoirEnFolie.com.Ilyaeuungrandarticlesureuxdansle
supplément Styles du dimanche, il y a quelques mois, tu te souviens ? Ils ont démarré le site web
pendantleurpremièreannéeàHarvard,etauprintempsdernierilsontramasséquelquechosecomme
plusieurscentainesdemillionsdedollars.
Mara hocha la tête pour indiquer qu’elle voyait de quoi il s’agissait. Le site, un véritable
panthéon de l’humour potache, vendait des T-shirts ornés de la citation tirée d’un célèbre sketch,
«Vivelescloches»,oudeblaguessurl’abstinence,comme«J’aijuréd’arrêterautroisièmerendezvous».Ilétaitcélèbrepoursonlogo«TheShocker»,ungestegrossierdifférentdusimpledoigt
d’honneur:deuxdoigtslevésformantun«V»tordu.Ilsenavaientfaitdesmainsgéantesenmousse
commecellesqu’onachètenormalementpourlesmatchesdefootball.Ryanavaitunjourexpliquéà
Mara ce que signifiait « The Shocker » : elle avait d’abord été dégoûtée toute une journée, puis
étonnée de constater à quel point les garçons pouvaient avoir l’esprit mal tourné. Mais le plus
surprenantétaitleurjeunesseetleurfortune.Aucundestroisn’avaitplusdevingtetunans.
–Bref,ilsontlouélechâteaudesReynoldspourlesvacances.C’estleurpremierétédansles
Hamptons,alorsjeleuraiditquejeferaisleguide,expliquaJacqui.
Marahaussalessourcils.
–Àtouslestrois?
–Jem’amusejusteunpeusansfairedemalàpersonne,s’esclaffaJacqui.
–Ohattends,voilàSydney.Ilfautquej’yaille,jedoisl’interviewer,interrompitMaraenépiant
lestylistequisemêlaitàlafoule.
–Sydney,bonsoir!MaraWaters,deHamptons;nousfaisonsunarticlesurvous...Puis-jevous
poser quelques questions ? demanda-t-elle en lui fourrant son dictaphone iPod sous le nez – elle
l’avaitachetéaussitôtqu’onluiavaitconfiécettemission.
– Pas maintenant, dit Sydney en se cachant le visage derrière son éventail noir. Comme vous
pouvezlevoir,jesuisextrêmementoccupé.
–Jesais,navréedevousdéranger,monsieurMinx,maissivouspouviezjustemedirequelques
mots?insistaMara,intimidéeparsonimpatience.
–Paige!Paige!criasoudainSydneysansprêterattentionàMara.Voyezavecmonassistante,
Paige.Elles’occuperadecequ’ilvousfaut...
–Ah,bien,bien,ditMara,vaincue,enéteignantl’appareil.Pensez-voustrouverunpeudetemps
pourbavarderaprèsledéfilé?
–Regina,machérie!Tuesmerveilleuse!Oui,merci.C’estlafolie,n’est-cepas?EtCecily!Tu
la portes ! Quel amour ! continuait Sydney sans un regard pour Mara, absorbé par la foule des
personnalitésmondainesquilefélicitaientpoursasoirée.
Maraseretirasurlecôtéenattendantpatiemmentlafindesaconversation.
–MonsieurMinx,croyez-vousque...
– Vous pourriez vous pousser ? Vous me bloquez la lumière, ordonna Sydney sans la laisser
finirsaphrase.Paige!hurla-t-il.C’estpourquand,cetterobe?
–Elizaaditqu’elleseraitlàd’uneminuteàl’autre,l’assuraPaiged’unairsoucieux.
–Elleaintérêt,menaçaSydney.Ledéfilévacommencer!
Mara était énervée et contrariée. Elle avait été balayée comme un laquais de bas étage, pas
commequelqu’unquiavaitsaproprechroniquedanslemagazineleplusludelarégion.Elizaaurait
peut-êtrepul’aideràseremettreenselle...saufqu’Elizan’étaitnullepart.
Maraluttaitcontrelapanique,maissiellenedécrochaitpasuneinterviewdeSydney,comment
allait-ellebienpouvoirécriresonarticle?
SurMainStreet,Elizarejoue
leDébarquementfaçon
hautecouture
Maraserongeaitlesongles,inquiètepourlesortdesonarticle,ensedemandantoùpouvaitbien
êtreRyan.Elleavaitessayédel’appelersurlebateau,maisiln’avaitpasdécroché.Ilauraitlargement
dûêtrelà,àl’heurequ’ilétait.Elleétaitsurlepointdelerappelerlorsqueleslumièressetamisèrent
danslaboutiqueetquelepodiums’illuminad’unhalorose.Lesconversationsseturentetlesinvités
applaudirentsansénergie,leursonglesmanucuréscliquetantsurlecristal.
De la techno française pour défilés tonna dans les haut-parleurs accrochés au plafond, et le
premiermannequin,vêtud’uncaftanàmotiftigrépeintàlabombe,sortitdel’arrière-boutiquepour
s’avancersurlaplate-forme.Lesmodèlessesuccédèrent,enchaînantlesvariationssurlethèmedela
jungle, et Mara remarqua que les vêtements étaient réellement intéressants à regarder. Avec leurs
détailsteintsentye-and-dyeourepeintsàlabombe,ilsindiquaientunchangementdedirectionradical
etmêmelégèrementavant-gardistepourlacollectiondeSydneyMinx.
Mara prit frénétiquement des notes pendant que Jacqui sifflait son champagne. Au bout d’un
quart d’heure, le dernier mannequin, en tunique mandarine et minishort turquoise moucheté de
peinture or, s’arrêta brusquement à mi-parcours. La musique fut soudain noyée dans un fracas
assourdissantvenudel’extérieur.Lepublicsedétournadupodiumets’attroupaderrièrelesvitrines
pourdécouvrirlacausedecetteinterruption.
Unhélicoptèrenoirdel’arméetournoyait,menaçant,au-dessusdumagasin.
–C’estnotreBlackHawk?demandaDuffy.
–Nonnon,pasdelogo.Ilsontdûlelouer.
Mara et Jacqui suivirent la foule à l’extérieur. Une échelle de corde était apparue sous
l’hélicoptère,etunesilhouettebienconnueprogressaitverslebitume.
–OhmonDieu!s’étranglaMara.C’estEliza!
C’était bien elle. Eliza faisait sa descente en robe audacieuse de mousseline déchiquetée et
cuissardesencrocodile.Degrosseschaînesenors’entrelaçaientautourdesoncou.Alorsquelevent
desrotorsfaisaittourbillonnerlajupe,ellepassatranquillementdel’échelleautrottoir,entradansla
boutiqueetparcourutlepodiumdumêmepasassuré.
Lesphotographesl’inondèrentd’untorrentdeflashesetlafoule,uninstantfrappéedestupeur,
explosa en acclamations enthousiastes, sifflets et youyous. Ils en avaient pourtant vu dans les
Hamptons,maisunfinaldedéfiléenhélicoptère,c’étaitunegrandepremière.
Elizaposapourlesphotographesavecunlargesourire,baignéedanslalumièredesprojecteurs.
Çaavaitmarché!Elleyétaitarrivée!ElleavaitréussiàtraquerVidaliajusquedanssoncinquième
sans ascenseur de l’East Village. Au départ, elle avait l’intention de lui laisser l’honneur, mais le
mannequinavaitunetellegueuledeboisaprèssondînerdelaveille,qu’iln’yavaitpasmoyendela
rendre présentable pour le défilé. Eliza avait donc enfilé la robe en remerciant le ciel de lui avoir
donné les mensurations adéquates. Puis, grâce à sa nouvelle carte Marquis Jet (merci American
Express !), elle avait loué un hélicoptère qui l’avait enlevée en un éclair depuis New York. Ces
chouettespetitsBlackHawks,c’étaitbienpratique!
Elleregardal’endroitoùPaigeetSydneysetenaientdansuncoin.Ellen’yvoyaitpastrèsbien,
éblouieparlesflashes,maiselleétaitcertainequ’ilsallaientlaféliciterd’avoirsibienfaitsonboulot.
Elles’enétaitsortietouteseule,etàcoupsûrc’étaitunspectacledontonparleraittoutl’étédansles
Hamptons.
Mayday!Mayday!
–Onyestarrivés!triomphaElizaendescendantdupodiumetentendantlesbraspourserrer
PaigeetSydneysursoncœur.C’estincroyable,pasvrai?s’écria-t-elletandisquelesphotographes
continuaientdelamitrailler.
C’estseulementlorsquelesflashess’éteignirentqu’ElizapritconsciencequeSydneyetPaigene
partageaient pas son enthousiasme, mais alors pas du tout. Bien sûr, elle s’attendait à un peu de
jalousiedelapartdePaige,maisn’était-cepasellequiavaitexigéd’Elizaqu’ellerègleleproblème?
Elle ne pouvait pas avoir l’air un peu contente de la voir se débrouiller ? Au lieu de cela, Paige
semblaitsurlepointdevomir,etSydneyavaitunregardmeurtrier.Maisquoi,elleavaitratéquelque
chose?
Lesourires’évanouitdesonvisage.
–Qu’est-cequ’ilya?Vousn’avezpasaimél’hélicoptère?Nevousenfaitespas,jecouvreles
frais.J’aiunecarteMarquisJet.Jenevousfacturerairien,c’estmoiquioffre.
–Paige,tusaiscequ’ilteresteàfaire,ditSydneyd’untonlugubreavantdesedétournersans
mêmeunregardpourEliza.
–Eliza,jepeuxtedireunmot?demandafroidementPaige.
Quoi,encore?Elleavaitréussiàsauverlasoirée,etilssecomportaientcommesielleavaitfait
quelque chose d’épouvantable. Comme si elle avait échoué à livrer la marchandise au lieu d’y
parvenir avec panache. C’était tout le contraire de ce à quoi elle s’attendait. Elle suivit Paige dans
l’arrière-boutique.
–Qu’est-cequisepasse?demanda-t-elle,levisageencoreluisantdelachaleurdesprojecteurs.
–Tuesvirée,ditPaige,impassible.
Elizanotatoutefoisqu’ellenepouvaitpasdissimulerunenotedejubilationdanssavoix.C’était
cequ’ellevoulaitdepuisledébut.Cettepetitelèche-bottes,quin’auraitpasétéfichued’accessoiriser
unetenuemêmesionluiavaitbraquéuneagrafeuseàstrasssurlatempe,n’avaitfaitqu’attendreun
fauxpas.Elizavoyaitmalcommentelleavaitputoutgâcheràcepoint.Quelquechosenecollaitpas.
–Maisjenecomprendspas...
–C’étaitunesoiréepourSydney.SydneyMinx.Ettusaiscequiestentraindesepasser?De
quoitoutlemondeparle?
–Quoi?répétaEliza,encoredéconcertée.
– Toi. C’est de toi qu’on parle. Qui était la fille dans l’hélicoptère ? Qui est ce mannequin
descendudescieux?C’étaitqui,lafilledanslarobe?Quiestcettefille.Iln’yaquetoisurtoutesles
lèvres.J’aidûépelertonnomàplusieursreportersduNewYorkPost!
Elizafaillitrépondre:«Ilssaventexactementcomments’écritmonnomauPost!»,maiselle
choisitsagementdelaboucler.
–Allez,Paige,soissympa,implora-t-elle.VaparleràSydney,ilt’écoute.C’estvrai,quoi,jel’ai
rapportée,larobe,non?
–Tuasrapportélarobe,maistuasvolétoutel’attentiondelapresse,répliquaPaige.
Comme par un fait exprès, un important reporter people de l’East Hampton Star frappa à la
porte.
–Hé,MissHélico!Vouspourriezmedirequelquesmots?
Paigelevalesyeuxauciel.
–Biensûr,j’arrivedansuneminute,souritEliza.
Lorsquelejournalistefutparti,elleattrapaPaigeparlebras:
– Tu n’es pas sérieuse ? Vous ne pouvez pas me faire ça ! C’est mon stage d’été, mes parents
vontpéterunplombs’ilsl’apprennent.
Elizaétaiteffondrée.Ellevenaitjustededécouvrirsapassion,decomprendrequ’ilyavaitdes
chosesplusintéressantesdanslaviequ’uneMastercard.Elleavaitvraimenthâted’enapprendreplus
surl’industriedelamode.Commentpouvait-onluienlevercelamaintenant?
–Tuesvirée,Eliza.Merciderendrecetterobeetdeviderleslieuximmédiatement.
Etc’estainsiqueMissHélicofutdescendueenflammes.
Danslejournalismepeople,
lerefusdecoopérer
n’estjamaisunproblème
Lafêteétaitfinie,Jacquietlestroistypesdusitewebrentraientcontinuerlanoubaauchâteau
des Reynolds. Mara monta en voiture avec eux et leur demanda de la déposer chez Starbucks, à
quelques pâtés de maisons du port. Elle passerait y prendre un double crème pour se redonner de
l’énergie,puisrentreraitchezelleàpied.
Elle était complètement coincée. Elle n’avait rien à raconter. Sydney Minx l’avait royalement
ignorée toute la soirée. Il avait refusé de lui accorder une interview. Elle qui avait quatre pages à
remplir!Desdizainesdecentimètresdetexteencolonne!Lereportageétaitdéjàmisenpagespar
lesmaquettistes,ilsn’attendaientplusqueletexte.
Quefaire?Cettefoisc’étaitsûr,elleallaitsefairevirer.SamDavisluiavaitconfiéunemission
enor,etMaraseretrouvaitenpleinedéconfiture.Cen’étaitpascommesielleavaitdûdécrocherune
interviewduPrésident,bonsang!SydneyMinxétaitunstylistedemode!Lesstylistesnevivaientque
pourlapresse!Etpourtant,elleavaitencoretrouvélemoyendetoutrater.
À ce compte-là, Mara se dit qu’elle ferait mieux d’oublier ses ambitions dans le journalisme
sérieux:ellen’avaitmêmepasétécapabledemeneràbienunarticlepeople.
Quelques personnes traînaient devant le café. Lorsqu’elle eut retiré son double crème sans
matièregrasseaucomptoir,elles’assitprèsdelafenêtreetsaisitsonBlackBerryd’unemainmoite.
Leplustôtseraitlemieux.
–Bonsoir...Sam?C’estMara.
–Ah,bonsoir.
Onentendaitleshurlementsd’unbébéenbruitdefond.
–Désoléed’appelersitard...
–Pasdeproblème.Qu’est-cequisepasse?demandaSamd’unevoixaimableetprofessionnelle.
–C’estjusteque...àproposdureportagesurSydneyMinx...
Maratournaitautourdupot.
–M-mm?Heathcliff,poselebébé,poseBébéKathytoutdesuite!Mamanadit!ordonnaSam.
–Jen’aipaseu...
–J’aidit:onécouteMaman!VilainHeathcliff!Vilaingarçon!criaSamd’unevoixstridente.
–Jen’ai...
–Qu’est-cequevousdites?demandaSam,unpeuessoufflée.Désolée,c’estunasiledefousici.
Troisenfantsdemoinsdecinqans,etlanounouquiaprissajournée.
Marasoupiraaveccompréhension.
– Sydney m’a refusé l’interview... je n’ai rien pour l’article. Je suis vraiment désolée, avoua
Maraenserrantsongobeletdecafé.
–Levieuxcabotinm’enveutencorepourcetarticledansThem,hein?demandaSam,unepointe
d’amusementdanslavoix.
Marafutétonnéed’entendresachefrirecommesitoutallaitbien.
–Bon...cen’estpasgrave.Onvacontournerleproblème.
–Commentça?
–VousappelezdesprochesdeSydneypourleurdemanderquelquesmots:ceuxquil’ontconnu
àl’époque,ceuxquilefréquententmaintenant,ceuxquisaventcommentilfonctionneetcommentil
secomportedansleprivé.Ilnousenfautaumoinsdeuxàciterofficiellement,touslesautrespeuvent
resteranonymes:«unesourceproche»ou«unintime».Vousavezfaitdesrecherchesaujourd’hui,
non ? Retournez dans la base de données LexisNexis, utilisez votre compte client... et on écrira
l’articlesanslui.
–Onpeutfaireça?
–C’estcequ’onfaittoutletemps,l’assuraSam.Laroutinehabituelle.
–Ah.
–Alors,troismillemotspourdemainmatin?
–OK,promitMara,reconnaissanted’avoirétérepêchéed’unavenirpasséàdisposerdespetits
fourssurdesplateaux.
Touteàsajoiedenepasêtrerenvoyée,elleneréalisaitpasencorequ’ellenesavaitpasdutout
paroùcommencer.Maisçanefaisaitrien.Ellevenaitdeserappelerqu’unedesesamiesétaittrès
prochedesonsujet.
Uneespionnechezlesstylistes
Virée.
Dubalai.
Fichueàlaporte.
Avecperteetfracas.
Comme un pauvre concurrent d’un reality show à qui le milliardaire au regard d’acier et au
brushing impeccable, ou l’ancien top model, ou le gourou du développement personnel, ou
l’aventurier en veste saharienne, dit « Au revoir ! » en lui montrant la sortie et le chemin du
confessional.
Touteseuledanslestoilettesexiguësdel’arrière-boutique,elleseretenaitdepleurer.Aulieude
cela,elleretiraleschaînesenoruneàuneetlesaccrochaàlapoignéedelaporte.Elledescenditla
fermeture Éclair des bottes en croco et déboutonna la robe de mousseline, qu’elle pendit
soigneusement à un cintre capitonné. Paige lui avait aboyé ses ordres sans se demander un instant
comment elle s’habillerait une fois qu’elle aurait tout enlevé. Heureusement, Eliza avait réussi à
mettrelamainsurunsac-cadeauavantqu’ilssoienttouspartis.Elleenfilal’undesT-shirtsSydney
Minxofferts.C’étaitunegrandetaille,sibienqu’illuicouvraitlescuissescommeunerobe.Çairait.
Elle sortit des toilettes pieds nus, vêtue uniquement du T-shirt. Dans son sac, son Palm Treo
sonna.Quoi,encore?
This-shit-is-bananas,B-A-N-A-N-A-S,chantaitjoyeusementletéléphone.
Mara.
–’llô?saluaEliza.
Elle écouta son amie raconter son histoire. Mara avait un problème avec son article, vu que
Sydneyluiavaitrefusél’interview.
– Alors il me faut des noms, des gens qui voudront bien me parler de lui : comment c’est de
travailler avec lui, où il trouve ses idées, ce genre de trucs, disait-elle. Et toute info croustillante
exclusiveestlabienvenue.Tucroispouvoirm’aider?
Mêmenoyéedanslebrouillarddel’humiliation,Elizadistinguaclairementuneoccasiondese
venger.
–Aucunproblème,dit-elle.Ilfautquetuparlesavecsonancienassocié,RichardMendelsohn:
c’estluiquiafinancélescollectionsjusqu’àleurséparationl’andernier.Etavecquelques-unsdeses
graphistes;ilyenaquinebossentplusici.Sesamismondains.Àuneépoque,ilsortaitbeaucoup
aveclamèredemonamieTaylor,Pringle.Oh,etAnnaPerry,aussi.Sûrqu’elleleconnaîtdepuisun
bonboutdetemps.Jesuiscertainequ’ilsaurontdestasd’anecdotesscandaleuses.
Unsourirevindicatifnaquitsursonvisage.
–T’eslameilleure!ditMara,reconnaissante.
–Ehoui,c’esttoutmoi.Lameilleure,soupiraEliza.
–Liza,çanevapas?Tuasl’airbizarre.
–Non...rien.Jesuisfatiguée,c’esttout,sedérobaEliza.
Lavengeanceétaitdouce,maisellen’offraitqu’unemaigreconsolation.CrucifierSydneydans
lapresseneluirendraitpassonboulot.Elleregrettasoudaincecoupdepoignarddansledos,maisse
justifiadesonmauvaisgesteensedisantqu’elleaidaituneamie.
–Bon,d’accord,fitMara,peuconvaincue.Aufait,c’étaitdingue,tonentrée.Toutlemondene
parlequedeça.
C’estbienleproblème,pensaEliza,maisellenerévélarienàMara.Ellessedirentaurevoiret
Elizaraccrocha.Ellesortitdevantlemagasin,àlarecherchedeJeremy.Ill’avaitprévenueparSMS
qu’ilseraitunpeuenretardàcaused’unrendez-vousavecunclient,maisqu’ilviendraitlachercher
dèsqu’ilauraitterminé.
Elleletrouvadeboutdevantsacamionnette,enpleineconversationavecPaigesurletapisrouge
àprésentdéserté.Hein?Pardon?Commentetpourquoiseconnaissaient-ils?Ellelevitembrasser
Paigesurlajoue.Elizarestacachéedansl’ombre.Ellesesentaitcommeuneintruse.
LorsquePaigeeutenfindisparudansuntaxi,Elizas’approchadeluienfaisantattentionoùelle
posaitlespieds.
– Salut mon bébé ! Jeremy lui sourit largement et la serra brièvement contre lui. C’est ça que
portentlesbeautifulpeoplecetété?DesT-shirts?Oùsontpasséesteschaussures?
– D’où tu la connais ? demanda Eliza en grimpant dans la camionnette sans relever la
plaisanterie.
– Qui ça ? dit Jeremy en passant un bras par-dessus l’appui-tête d’Eliza pour faire sa marche
arrière.
–Lafilleavecquitudiscutais.PaigeMcGinley.
– Oh, Paige ! On a grandi ensemble sur l’île. C’est une vieille copine. On peut dire qu’elle a
gravileséchelonssansperdredetemps,hein?Impressionnant.Tutravaillespourelle?
Formidable,pensaEliza.Toutàfaitcequ’elleavaitbesoind’entendre.Jeremyfraternisaitavec
l’ennemi.
–C’estunelonguehistoire.
– Ah oui ? Qu’est-ce que j’ai raté ? demanda-t-il, car il était arrivé à la soirée trop tard pour
assisteràsonentréedestar.
–Rien,rien,répondit-elleensecouantlatête.Àcemomentprécis,ellen’avaitpasenvied’entrer
danslesdétails.
Maraalesensdel’humour
àmaréebasse
Le café crème mousseux fut un remontant parfait et, armée des renseignements e-mailés par
Eliza,Marasesentaitdébordanted’énergie,prêteàpasserunenuitblanchesursonarticle.Ellerentra
à pied du Starbucks jusqu’au port de Sag Harbor. Les bateaux se balançaient doucement, et Mara
parcouruttoutelalongueurduquaiavantderéaliserqu’elleavaitdépasséleuremplacement...Oùétait
passéeLaNégligence?Ellearpentalajetéedelongenlargeetfinitparcomprendre:ellen’étaitplus
là,toutsimplement.
Levoilier–et,encoreplusimportant,sonordinateur–avaitdisparu!
Volé!Cefutlapremièrepenséequiluivintàl’esprit...Vite,ilfallaitappelerlessecours!Ryan
n’avaitpaspuveniràlasoirée,ilétaitarrivéquelquechosedeterrible!Ilfallaitqu’elleaillesignaler
undétournementdebateau!Sonimaginations’emballasurdesimagesdedealerscolombiensetde
trafiquants d’armes arraisonnant le yacht pour mener à bien leurs sinistres intentions ! Pendant un
moment,ellefutabsolumentpersuadéequeRyanavaitétékidnappé!
Uneminuteplustard,elleserenditcomptequ’elleétaitcomplètementridicule.Lebateaun’avait
éténipiraténivolé.Detouteévidence,Ryanétaitpartifaireunepetiteexpéditionnocturne.Quelque
choseluidisaitqu’ilavaittrouvécelaplusimportantqued’allerlaretrouveràlasoirée.
Elle composa frénétiquement son numéro sur son BlackBerry. Son ordinateur était à bord, et
ellen’avaitplusquequelquesheurespourrendresonarticle.Maisiln’yavaitpasderéseaudansla
baie.Maratombasurunevoixsynthétiquequiluidélivracesinformations:«Votrecorrespondantne
peutpasêtrejointpourlemoment.Veuillezvérifierlenuméroetréessayerultérieurement.»
Ehmerde.
Elle regarda désespérément autour d’elle et vit les jeunes du bateau d’en face quitter leur
emplacementsurdeuxjet-skis.
–Voussortezdanslabaie?leurdemanda-t-elle.
–Ouais,quelqu’unfaitunefêtemonstresurunyacht.
VoilàquiressemblaitbienàRyan.
–Vouspouvezm’emmener?
–Monte.
Ils sillonnèrent les eaux jusqu’à repérer La Négligence. Les projecteurs étaient allumés et on
distinguait une soirée de folie en plein boum. Les basses résonnaient à fond dans les enceintes du
yacht. Plusieurs personnes en gilet de sauvetage s’amusaient à sauter du plongeoir à la poupe du
navire.Quelqu’unescaladaitlegrandmâtpourhisserundrapeaudepirates.
Lejet-skiserangeaàcôtédubateau,etMaragrimpasurlepont.Ellebouillaitderage.Ellejura
quedèsqu’ellemettraitlamainsurlui,elleallait...elleallait...
–Mara!
Ryanlapritdanssesbras.
–Tevoilà!Jet’ailaissépleindemessages.
Ilavaitunénormesourireauxlèvresetunbockdebièreencoreplusénormeàlamain.
–Çam’auraitembêtéqueturateslapremièregrossefêtedel’été.
Ilavaitl’airabsolumentfoudejoiedelavoir,etluiplantaungrosbaisersurlabouche.
Quelsmessages?sedemandaMara.Ellen’avaitpasreçuunseulappeldelui.
–Tun’espasvenuaudéfilé,l’accusa-t-elle.
– Je me suis endormi, fit-il, penaud. À l’heure où je me suis réveillé, je savais que ce serait
terminé. Et puis Tinker et ses sœurs sont passées, on a appelé d’autres gens... et puis on est allés
chercherdesbières...et...
Etvousavezdécidédefairelafêtedusiècle,pensaMara.Çaavaitl’airplutôtmarranteneffet,
maisellen’avaitpasletempspourlarigolade.Elleétaitcharrette.
–Allez,viensteservirunverre,ditRyan.
–Tum’asplantée,ditMaradontlacolèrenes’apaisaitpassifacilement.
–Maisdequoituparles?
– Je suis arrivée sur le quai et il n’y avait plus rien... ce bateau, c’est ma maison, Ryan, tu ne
comprends pas ? Pour l’été. C’est chez moi. Mon ordinateur est ici. Et j’ai du boulot. Je me suis
pointée,etlebateaun’étaitpluslà,et...
–Attends,attends...jet’ailaissélenumérodubateau-taxisurtaboîtevocale.Tun’aspaseumes
messages?
–Non.
–Maisjen’aipasarrêtédet’appeler,insista-t-il,perplexe.
–TuasappelésurmonBlackBerryouàmonanciennuméro?demanda-t-elle.Jet’aiditdene
m’appelerquesurmontéléphoneprofessionnel.Jenemesersplusduvieux.
–Oh,fit-ilavecunsourirecoupable.J’aioublié.
Ellesedétournadelui.Luiarrivait-ildel’écouter?Etquandallait-ilarrêterdetraîneravecdes
joliesfillespendantqu’elleétaitauboulot?Avait-ilaumoinsconsciencedusaleeffetquecelalui
faisait?
Sansajouterunmot,elledescenditdanslecockpitcommeunefurie,plantantlàRyansurlepont,
peinéeténervé.
–Mara,allez,neleprendspascommeça!
Uncoupled’invitéssepelotaitsurlecanapédusalon,maisc’estàpeinesielleleremarqua.Elle
filadroitdanslachambre,claqualaporteets’assitàsonbureau.Elleallumal’ordinateurd’ungeste
vengeur.
Quandelleauraitfinisonpapier,elleallaitletuer.Maisd’abord,ilfallaitqu’ellepassequelques
coupsdefil.
Quiatout...abeaucoup
àperdre
–Allez,quoi,qu’est-cequinevapas?(Jeremypassalamaindanssonépaissechevelurechâtain
bouclée et tendit la lèvre supérieure vers Eliza.) Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter la soupe à la
grimace ? demanda-t-il, déconcerté par son attitude. Je croyais que tu passerais la nuit chez moi,
ajouta-t-il,légèrementblesséparlechangementdeprogramme.
Elizagardalesilence.PaigeMcGinley.Justeunevieillecopine.Onagrandiensemblesurl’île,
ruminait-elle.Génial.Lafemmequivenaitdeluiimposerl’humiliationdesavieétait«unevieille
copine»desonamoureux.Rienn’auraitpuêtrepirepourlemorald’Eliza.
ElleavaitprévuderesterchezJeremy,danssonappartementdeMontauk:elleavaitdéjàraconté
àsesparentsqu’elledormaitchezuneamie,elleétaitcouverte.Elleavaitmêmedéposéunpetitsac
d’affairescontenantsaparuredelingerieàl’arrièredelacamionnettecematin.
Elles’étaitditqu’aprèsuncoupd’éclattellementtriomphalaudéfilé,ellecouronneraitlasoirée
en perdant sa virginité. Et elle en avait vraiment eu l’intention ; mais maintenant que son ego était
piétiné,ellen’enavaitplusenviepourcesoir.Toutcequ’ellevoulait,là,c’étaitengloutirunpotde
glaceBen&Jerry’sets’endormirdevantRoomRaiders.
Jeremylaissalemoteurtournerdansl’alléedevantchezelle,tousfeuxéteints.
–Tuessûrequetuneveuxpasvenir?
Ilposaunemainsursongenouqu’ilsemitàmasser.Sesdoigtsfortsdescendirentlelongdeses
molletsenpétrissantdoucementlesmuscles.
Elizahésita.Elleenavaitenvie...maisellevoulaitqueleurpremièrefoissoitparfaite,etpour
ellelasoiréeétaitdéjàgâchée.
– J’aimerais bien, mais j’avais oublié : j’ai promis à mes parents d’aller observer les oiseaux
aveceuxdemain,ilfautquejemelèvetôt,dit-elleàregret.
C’étaitunpurmensonge.Sonpèrel’avaiteffectivementinvitéeàsejoindreàeux,saufqu’elle
avaitdéjàdécliné.
Ilôtalamaindesongenouetlapassaautourdesesépaules,l’attirantpourlaserrercontreson
torse.Sesdoigtsluicaressèrentlebrasaveclégèreté,luienvoyantdesdéchargesélectriqueslelong
del’échine.
–Allez,resteavecmoi.Jeveuxtemontrermonnouvelappartement.J’aifaitleménagerienque
pourtoi,dit-ild’unevoixrauque.
À ces mots, Eliza sentit qu’elle commençait à fondre. Elle ferait mieux de le suivre ; Paige
n’avait qu’à aller se faire voir. Mais soudain, le souvenir de Jeremy embrassant l’ennemie gâta cet
instantetraffermitsavolonté.
– Je ne peux pas. J’aimerais bien. La prochaine fois, d’accord ? conclut-elle en l’embrassant
rapidementsurleslèvres.Jet’appelle.
Elle lui fit un signe de la main depuis les marches de l’entrée et regarda la camionnette
disparaîtrederrièreleshaiesdupassageprivéquimenaitchezelle.Enentrant,elletrouvasesparents
quil’attendaientdanslacuisine.Sonpèretenaituneliassederelevésdecartedecrédit.
–Salutm’man,salutp’pa,dit-elleenleurposantunebiserapidesurlajoue.
–JecroyaisquetudormaischezTaylor?s’étonnasamère.
–Changementdeprogramme,fitgaiementEliza.Qu’est-cequevousfaitesdeboutàcetteheureci?
–Nousavonsreçuunappeld’AmericanExpressaujourd’hui.
Elizahochalatêteenouvrantletiroirenacierinoxdufrigo.Ellefarfouillaàlarecherchedes
potsdeglacequ’elleétaitsûred’ytrouver.Elledénichaundemi-litredePhishFoodetl’attaquaàla
cuillère,àmêmelaboîte.
–TuasachetéunecarteMarquisJet?demandasamère.Etjet’enprie,prendsunbol.Tuasété
élevéedansuneétable?
–M-mm,opina-t-elleenenfournantunecuillerée.
–L’étableoulacarteJet?
–Jet,ditElizad’unevoixdéforméeparlaglace.
–EttuasaffrétéunhélicoptèredeNewYorkàEastHamptonaujourd’hui?
–M-mm,répéta-t-elleenléchantlacuillère.
– Depuis quand es-tu autorisée à être aussi extravagante ? Cette carte, c’est pour les urgences,
poursuivitsamèreavecemphase.
Maisc’étaituneurgence...oudumoins,c’étaitsonimpressioncematin.
–Papaettoi,vousavezNetJets,alorsjemesuisdit...sedéfenditEliza,rappelantàsesparents
qu’ilsétaienteuxaussiabonnésàunservicedejetsprivés.
–Eliza,noust’avonsdéjàachetéunevoiturepourcetété.Tupasseslesbornes.Lesjeunesfilles
de dix-huit ans ne louent pas d’hélicoptères privés. Nous avons résilié ton compte, lui dit sa mère
d’unevoixbasseetglaciale.Papaetmoi,nousnoussommesaussiaperçusquetoutestesautrescartes
de crédit avaient déjà atteint leur plafond. Ces cartes, c’était ton argent de poche pour toutes les
vacances.
Houlà.
–Ilfautabsolumentquetuapprenneslavaleurdeschoses.Tunepeuxpasjeterl’argentparles
fenêtres.C’estexactementcegenredecomportementquinousaattirédesennuis.Tuvasdevoirme
rendrelescartes,ditsamèred’unairsévère.
–Toutes?demandaEliza,catastrophée.
Ellelançaàsonpèreunregardmalheureux.Illalaissaittoujoursfairetoutcequ’ellevoulait,et
l’argentn’étaitjamaisunproblèmelorsqu’ils’agissaitdesapetitefille.Maiscettefois,ilsecontenta
de secouer la tête en l’évitant du regard. Ça craignait un max. D’habitude, c’était sa mère qui était
stricte,maisalorslà,sisonpèreétaitfâchéaussi,elleétaitcarrémentmal.Etsurtout,elleétaitpauvre.
Commentallait-ellepouvoirs’ensortirsansl’aidedesesamiesVisaetMastercard?
–Toutes,insistasamèreenluitendantlamain,paumeouverte.
–Maiscommentjevaisfairepouravoirunpeudeliquide?s’inquiétaElizaentirantdesonsac
sescarteschéries.
–Tuastonindemnitédestage,luirappelasamère.
–Plusmaintenant,avoua-t-elle,l’estomacrévulsédedéceptionetdefrustration.
Elledonnaunviolentcoupdecuillèredanssaglace,projetantenl’airungrosmorceauquialla
s’écrasersurlesoldemosaïque.
–Merde!jura-t-elle.
–Ques’est-ilpassé?demandasamèreavecuneinquiétudevisiblementsincère.Jecroyaisque
toutsepassaitàmerveille,tudisaisquetuadoraiscequetufaisais?
–Jepréfèrenepasenparlermaintenant,réponditElizacalmement.C’estcompliqué.
Elleseremitàpelleterfurieusementsaglace.
–Ehbienmachérie,tuvasdevoirtetrouverunnouveaujobsituveuxdel’argentcetété,luidit
samère.
Letondesavoixindiquaitqueletribunalparentalavaitrendusadécision,etquelejugement
étaitsansappel.
Anna,l’épousequicriait
auloup!
Peuaprèsseizeheurestrentelelendemain,Jacqui,Shannonetlesenfantsvenaientderentrerde
laplagelorsqueLaurapénétradanslacuisine,visiblementnerveuse.
–Ilyaquelqu’unàlaporte,dit-elle.
Jacqui aidait Cody à retirer son masque de plongée et Shannon ramassait les serviettes
mouillées. La voix de Laurie leur fit lever la tête. Les enfants s’égaillèrent dans leurs chambres en
laissantdestracesd’eauetdesablesurleparquetenzebrano.
–Quiest-ce?demandaJacqui.
–Unhomme.IlveutparleràAnna.
Jacquihaussalesépaules.
–Tuluiasditquequelqu’unvoulaitlavoir?
–Elleestenpleinsoinduvisage,expliquaLaurie.
Anna avait récemment pris l’habitude coûteuse du spa à domicile. Une fois par semaine, une
esthéticienne,unemasseuseetunemanucurevenaientlapomponnerchezelle.
– Je lui ai dit de revenir dans une heure, mais il ne veut pas bouger d’ici. Il affirme que c’est
important.
Laurietortillaitnerveusementlesboutsdesachemisedecotonunie.
–Tuveuxquej’aillelaprévenir?demandaJacqui,comprenantsoudaincequeLaurieattendait
d’elle.
Cettedernièreopinad’unairsoulagé.
–Tuveuxbien?Ellem’aavertiequ’ellenevoulaitvoirpersonne,etsijedisquoiquecesoit
j’aipeurqu’elle...
Jacquiselevaethaussalesépaules.
–Çam’estégal.Jenevaispasmemettrelatêteaucourt-bouillon.
–Larate,lacorrigeaShannonenpouffantderire.Larateaucourt-bouillon.
Jacqui toqua doucement à la porte de la chambre d’Anna. Des sons de ruisseau cascadant, de
carillonsàvent,dechantsdebaleiness’échappaientdelapièce.
–Anna,ilyaquelqu’unàlaportequidemandeàvousvoir.
Pasderéponse.
–Anna?Anna?
Soudain,laportes’ouvritavecfracasetAnnaapparutdanssonpeignoirenépongeblanc,laface
couverted’unmasquegrumeleuxàbased’avocat.
–Qu’est-cequ’ilya?J’aiditàLauriequejenevoulaispasêtredérangée,siffla-t-elle.
– Il y a un homme... à la porte... Il prétend qu’il doit absolument vous voir... On lui a dit de
revenirplustard,maisilrefusedes’enaller,expliquaJacqui,soudainaussinerveusequeLaurie.
–Ilseprendpourqui?murmuraAnnad’unairmauvaisendescendantbruyammentl’escalier
quimenaitdanslehall.
Elleouvritlaporte.Unhommeencostumesombreetlunettesnoiresattendaitpatiemmentsurle
seuil.
–Oui?
–AnnaPerry?demanda-t-il.
–Elle-même,répondit-elleavechauteur.
–Madameestservie,dit-ilenluitendantuneépaisseenveloppejaune.Bonnefindejournée.
Illasaluaenportantlamainàsatempeets’éloigna.
–Quoi?s’exclamaAnnaenblêmissantautantquec’étaitpossiblesoussonmasque.
Elledéchiral’enveloppeetensortitundocumentépaisdeplusieurspages.
–QUELCONNARD!hurla-t-elle.
Ellejetalespapiersenl’air,traversaencoupdeventlapluiedefeuillesquiretombaientcomme
desconfettis,etmontareprendresessoinsdebeauté.
–Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’aitpriseaupieddelalettre.
Jacquigrimaça.
Shannon,planquéedanslecouloirdelacuisine,regardaJacquid’unœilinterrogateur.
–Qu’est-cequis’estpassé?
–JecroisqueKevinvientdedemanderledivorce,ditJacquienramassantlespapierséparpillés.
Vasurveillerlesenfantsdehors.Neleurdispasunmotdetoutça!
Ellelutunepageendiagonale.Contratenvuedeladivisionprédéterminéedesavoirs,accords
depensionalimentaireouautrespensionset/ouallocationdesfraisd’avocatassociésàladissolution
dumariage.
Elle feuilleta la seconde liasse. C’est seulement en voyant les signatures au bas de la dernière
pagequ’ellecommençalentementàcomprendrecequ’elleavaitentrelesmains.L’accordprénuptial
d’AnnaetKevinPerry!
Elle le parcourut des yeux et tomba sur un paragraphe encerclé et marqué d’une flèche. Un
avocatavaitgriffonnédanslamarge:Jusqu’au26août.
LaclauseencercléestipulaitquesiKevinetAnnarestaientmariésmoinsdecinqans,Annane
recevrait pas un centime à la suite du divorce. À New York, c’est ce qu’on appelait la « clause
Trump»,enréférenceàDonaldTrump.LemilliardaireétaitcélèbrepouravoirplaquéMarlaMaples
àunmoisdeleurcinquièmeanniversairedemariageafindenerienluidevoir.SiAnnaparvenaità
s’accrocher au-delà de cinq ans, elle recevrait la moitié de tout. Dans le cas contraire, elle n’aurait
rien.
Jacquisentitsonestomacseserrer.AnnaétaitsurlepointdesefaireTrumper!
Kevinl’avaitfait!Ellelutlepremierparagraphe.Danslescausesdedissolution,l’avocatavait
coché maltraitance physique et citait l’usage excessif de la force (ouais, une oreille tirée) ayant
entraînéuntraumatismemajeur(c’est-à-direuncartilagecassé)etunemiseendangerdel’intégrité
physique(maiscen’étaitqu’unepetiteinfection!)
Puislaréalités’abattitsurelle:silesPerrydivorçaient,Kevinprendraitlesenfants(ilsétaient
presque tous à lui), et si Anna était ruinée, Jacqui se retrouverait au chômage. Elle ne pourrait pas
redoublerlelycéeetdevraitrentrerauBrésil.PasdeNewYork,etcertainementpasdeNYU.L’été
sansstressetsanssoucisc’étaitfini.Undivorce,çacraignaittotalement.Nonseulementcelaferaitde
JacquiuneSDFàl’automne,maislesenfantsnes’enremettraientjamais:ilsenavaientdéjàtropvu
quandKevinavaitdivorcédesapremièrefemme.
JacquiavaitentendudirequeZoén’avaitpasprononcéunmotpendantsixmois.Madisons’était
réfugiéedanslaboulimie,etc’étaitàcetteépoquequeWilliamavaitcommencéàmontrerdessignes
d’hyperactivité. Ils s’étaient enfin stabilisés avec Anna comme belle-mère... qu’allaient-ils devenir
lorsque Kevin la chasserait de leurs vies ? Et ce pauvre Cody qui ne pourrait plus voir ses demifrèresetsœu

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