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Pourlaprésenteédition: ©ÉditionsAlbinMichel,2013 ISBN:978-2-226-29809-6 Sommaire Pagedetitre PagedeCopyright Unétépourtoutchanger Lacapitainerie.Prise1:Elizaexpérimentelestransportsencommun Lacapitainerie.Prise2:Marafaitploucdelatêteauxpieds Zonederécupérationdesbagagesdel’aéroportJFK:Jacquinesecontentepasderamasserses bagages OùElizaracontedeuxoutroismensongespassipieux OùMaraapprendàrespecterlesrèglesdanslebusdesHamptons Quelquepart,surl’autoroutedeMontauk:Jacquitientvraimentbienl’alcool EastHampton,ÉtatdeNewYork.MonDieu,cequeçaamanquéàEliza! RyanPerry=Adonisenbermuda MaraestlevilainpetitcanarddeLilyPondLane Commentviventlesgensquibrûlentdesbilletsdebanquepourseréchauffer Nevousinquiétezpas,lesfilles,c’estuntravaild’équipe! Iln’yapasdefuméesansfeu MainBeach:pourEliza,pasquestiondeselaisserabattre AuResort:lasoiréelapluscouruedesHamptons,dumoinsjusqu’àlasemainesuivante Retouràlaplage:quandElizaboit,Maratrinque RetourauResort:Jacquial’œil,pourcequiestdestissus Ducôtéd’Eliza:dublanc,durougeetungroscoupdeblues Unejournéebrûlanteàlaplage Derrièrelesboiseriesd’époque,lesfillesontfiniparrepérerleminibar Lemeilleurmoyendepercerunsecretàjour?Unebouteilledevodkaetlejeudelavérité Maraaunequalitébienàelle:ças’appellelagentillesse Pasbesoinderespecterlecodevestimentaire,pourpeuqu’onsoitjolie Vousappelezçadesprogrès? Lebronzageestlesportfavorid’Eliza GrâceàEliza,lejardiniercommencebienlajournée Avenueprincipaled’EastHampton:queferait-onsanscartedecrédit? Contrairementàcequ’onracontedanslesmédias,touslesgaysnesontpasdesbêtesdemode QuelquepartdanslesHamptonsBays,Jacquireconnaîtquecen’estplusvraimentça... RyandécouvrequeMararéservebiendessurprises Leslendemainsdefêted’Eliza...Oùl’onsejettesurlespancakesetsurlapage6 Explicationsavecuneex-danseuseétoile TrophéedepoloMercedes-Benz:touslesjolisgarçonsnesontpaspleinsauxas IlestdeschagrinsquemêmeleBacardi151nepeutatténuer Unclouchassel’autre:leremèdeanti-chagrind’amourdeJacqui Maraserebiffeenfin Ryann’estpeut-êtrepasentraindeprendrelepetitdéjeuneraulit,mais... Elizaapprenduntasdechosescetété–entreautres,quelesrégimeshypocaloriquesneserventà rien Jacquin’enfinitpasdetestersonproverbe Marafinitparcommanderlabonneboisson L’éducationdeRyan Lesfillesnecollentpasforcémentàl’imagequ’onsefaitd’elles Pauvreex-petitefilleriche! Lesseulesparolesagréablesqu’AnnaPerryaitjamaisprononcées Ryanprésideàuneréuniondepremièreimportance...danssonjacuzzi Elizaobtienttoujourscequ’elleveut,mêmelorsqu’ellen’enveutplus Jacquiatoujoursétéplusmalignequ’onnel’imagine ElizaenseigneàJeremylesrèglesdujeuàboired’«OregonCoast» LukeetLéoontbeauêtreblancsetriches,ilss’imaginentsortirdroitdughetto Maraadumalàresterhabillée Quandonsedisputetoutnu,difficiled’êtretroppéremptoire Lesvacancesnesontjamaisassezlongues,pasvrai? Lasituationestdeplusenplustendue Elizaaunpanierpercéenguisedesacàmain Unjour,Maraauraassezd’argentdecôtépours’acheterlanationentière Jacquipourraitbiengagnersonproprepari LeSuperSamedin’adesuperquelenom Jacquin’estpasunenanaquiselâche! OnoublieparfoisquelesHamptonssetrouventàLongIsland Eliza,MaraetJacquidécouvrentlemeilleurdesHamptons Marapasseenfinàl’action! ElizavaàMontaukpourlapremièrefoisdel’été Maraatrouvélebonheur...dansunhamac Jacquiaccomplitdesprodiges Nouvelaccèsd’amabilitéd’AnnaPerry QuandPuffDaddydonneunesoirée,ilnefaitpasleschosesàmoitié Çaasesavantages,dedonnerunbonpourboireauvoiturier Ças’appellelekarma Finduséjour,maisdébutdetantd’autreschoses Fabuleuxbainsdeminuit OùElizaapprendquefeuetsoufresonttrèstendancecetété Ensoixantesecondeschrono,Mararedevientquelqu’un Jacquiretrouvesonsérieux...enmatièredeshopping Elizaapprendquel’enferestpavédecélébrités OùMarafait(involontairement)unnumérodigned’unestrip-teaseuse Danslejargondesfilles,«Cequetuasbonnemine!»signifie«Jesuistellementcontentedete revoir!» ChezlesPerry,lesfillesrencontrentlederniergadgetimportédeFrance... Lesrèglesnesont-ellespasfaitespourêtreenfreintes? Desretrouvailles...pasfranchementréussies LesenfantsPerryontbeaucoupdechosesàapprendre...etbeaucoupdemédicamentsàprendre Pourprendreunbaindeminuitnuecommeunver,mieuxvautêtrerondecommeunebarrique! AnnaPerryestbeaucoupplusjeunequesesinjectionsdeBotoxnelelaissentsupposer Riendetelqu’unevoituredeluxepourremonterlemorald’unefille Lescélébritéssontcommedesgaminsdedeuxans:ellesfontdescapricesetpiquentdescrises Jacquiprendunevague,maislaisselegarçonluifilerentrelesdoigts C’estpourçaqu’onappellelapage6page666 Riennesoulagemieuxlespeinesdecœurqu’unevoiturepleinedecadeaux! Devinequivientdînercesoir? LapotionmagiquedeJacqui,c’estlesgarçons! PersonnenecacheMaradansuncoin! Necomptezpassurunegaminedeseptanspournepascafter Lesmeilleureschosesnecoûtentrien Lemondeestplusbeauvuduhaut(d’unetable) Onn’oubliejamaissonpremieramour Décidément,ledocteurcraintunmax! Maraserait-ellelanouvelleTaraReid? Lebonheur,c’estunevoilegonfléeàbloc Ilesttellementplusfaciledementirautéléphone Garrettramèneuneprise Deuxdemi-amoureuxvalent-ilsunamoureuxentier? L’interdictionestlepluspuissantdesaphrodisiaques LessœursPerrytrouventàMaraunnouveausurnom Enrobédesucre,çapassemieux! Commentondevientmannequin Çanecomptepas,maisçafaitdubien! Lesmeilleureschosesnecoûtentrien(maisellesontunefin) Cen’estpasparcequ’ellessontbellesqu’ilfautêtrejalouses! C’estcequ’onappellelescélébritésdedeuxièmezone,bébé L’ambiancedevienttrèschaude Iln’yapasquedanslesjardinsd’enfantsqu’onjoueauxchaisesmusicales Lesliensdusangrésistentàtout...saufàlasalleVIP JevaistecassertasalegueuledeFrançais! Elizafaitdeséquationssentimentales L’amourestaveugle,maisMaraportaitpeut-êtredeslunettesdesoleil Pourquoiletéléphonesonne-t-iltoujoursaumauvaismoment? Onnesesentjamaistrèsbien,lematin,avecleshabitsdelaveille Lesgaminspleurentquandonleurretireleursbonbons Lesmeilleureschosesnecoûtentrien(maisespéronsqu’ellessontassurées!) Avecdesamiespareilles,quiabesoindessœursPerry? C’estcequ’onappelleunbeausalaud! LeSeptièmeCercledel’enfer,eneffet Ilyadesgensqu’onbalanceraitbienaufondd’unétang! Lespluvierssiffleursn’ontjamaisétéaussienvogue! Quelquechosevacraquer! Elizasaitfairelapartdeschoses Commel’aditOscarWilde,lesvraisamisvousfrappentpar-devant Quoideplussexyqu’untypeavecunmarteau? Maradépouillelesrichespourtoutdonner...euh...auxriches! Unchevalierenimperméablejaune Maran’ajamaisvuunaussibeaupeignoir! VoilàpourquoiWilliamétaitincontrôlable! L’étésetermineplusvitequeprévumaisleprochainarriverabienasseztôt Unesaisonenbikini «Toutvientàpointàquisaitattendre»,dit-on:assiseausiège12A,Maraespèrequec’estbien vrai ÀSoHo,pourEliza,lamodec’estlaguerredestranchées Dansl’UpperEastSide,JacquiconstatequefairesesvalisespourlesHamptonsn’arrangeenrien lagueuledebois Marainfiltrelajeunessedorée Elizapimenteunpeulacollection Jacquigardeuneenfantdetrente-troisans Quelquepart,ChrisMartinchanteàcœurjoie C’estbiençaqu’onappellelechicdughetto? CommediraientlesStones,«onn’apastoujourscequ’onveut»... Quandledevoirvousappelle...leBlackBerrysemetàsonner! Hélico,touchécoulé! Règlen°1delachroniquemondaine:fairecroirequetoutlemondes’amuse! CommediraitHeidiKlum:Elizaest«in»etPaigeest«out» Siseulementtouteslespartiesdefootseterminaientcommeça! MaraadesdoutesXXLsursonnouveaustatut Riendetelqu’unboulotbienfaitpourvousgonflerlemoral LediablesechausseenLouboutin JacquibrouillelesondesdeRadio-instance-de-divorce Pourfêterleursretrouvailles,lestroismousquetairesfontunepausecigarette Lesmalentendusfontbonménageavecl’abusdemargaritas Lediables’habilleenbikinibleupétard Tropserréespourêtreàl’aise Elizaenvoieunmessageàtouteslespatrouillespourretrouverunerobe Plusfortquelacrisedesquaranteans:lacrisedesdixans? Soussesdehorsparfaits,Ryanestungrosporcdansl’âme Alors,onbosseouonbulle? Personnen’ajamaisditquel’humourpotacheétaitraffiné SurMainStreet,ElizarejoueleDébarquementfaçonhautecouture Mayday!Mayday! Danslejournalismepeople,lerefusdecoopérern’estjamaisunproblème Uneespionnechezlesstylistes Maraalesensdel’humouràmaréebasse Quiatout...abeaucoupàperdre Anna,l’épousequicriaitauloup! Maraestvertedejalousie Quandonchercheàseperdre... Mêmeavectoutunattelage,onnepourraitpasarracherRyanàseschèresvagues Maraestunefillecool,maisunpeuvieuxjeusurlesbords «Tumefaistournerlatête...monmanègeàmoi,c’esttoi...» Voilàcequis’appellesauterdelamarmitedanslefeu Celuiquiadit«c’estenforgeantqu’ondevientforgeron»devraitessayerlesurf,pourvoir Jacquiveuttournerunremakede«Ànousquatre» Lebluesdel’employée DurififiauParadis Voilàqu’ellepasseauxjeuxàboire,maintenant! NewYork,parfois,çareposedesHamptons. Shannonsefaitlamainsurunepetiteusurpationd’identité Lascienceconfirmecequetoutefillesavaitdéjà:letauxdedopaminemonteenflèchequandon faitdushopping Mararegardepousserlelierredanslagrossepomme Dansunebatailledenourriture,ilfauttoujoursavoirdesmunitions Commenttrouverchaussureàsonpied LesfillesbraquentlesflèchesdeCupidondroitsurlesPerry Elizaa-t-elleplusàoffrirqu’unejoliefrimousse? Alors,«quiriraledernier»? Parfois,lesvœuxseréalisent... DonnaKaran,attention:bientôt«tun’aurasplusquetesyeuxpourpleurer» Ellen’estpasfolledetoi,c’esttout... SiNickyHiltonpeutlefaire,pourquoipasEliza? Simamannesaitpas,demandezàsafille... FashionFiasco Quelquespetitsproblèmestechniques Jacquiaupaysdesmerveilles PleinsfeuxsurEliza C’estencoremieuxladeuxièmefois Recherchemariéedésespérément LesPerrynesontplusseuls Toutcomptefait,Stingavaitraison Uneporteseferme,maisc’estunefenêtrequis’ouvre UNÉTÉPOURTOUTCHANGER Traduitdel’anglais(américain) parFlorenceSchneider Pourpapaetmaman.PourChito,Aina,SteveetNico. Cariln’estpasdemeilleuresvacances quelesmomentsquenouspassonsenfamille. PourKimDeMarcoetDavidCarthas, lesgenslesplusépatantsdesHamptons. Pourmonmari,Mike,avecquichaquejour estunjouràlaplage. Iln’yaquelestraqués,ceuxquitraquent,ceuxquis’agitentetceuxquisontlas. F.ScottFitzgerald,GatsbyleMagnifique «It’sallabouttheBenjamins,baby.» PuffDaddy,NoWayOut FILLESAUPAIRRECHERCHÉESDETOUTEURGENCE Pourquatreenfantsvigoureux âgésde3à10ans Rejoignezunefamillenew-yorkaise etpassezunétéderêve! EastHampton,du4juilletaupremierlundi deseptembre Salaire:10000dollars Permisdeconduireexigé ConnaissancedesHamptonsbienvenue EnvoyerCVetphotosd’identitéà: [email protected] Lacapitainerie.Prise1: Elizaexpérimente lestransportsencommun ElizaThompsonn’avaitjamaisconnupareilinconfort.Assiseaufondducar,elleétaitpriseen sandwichentrelestoilettesparticulièrementodorantesetunevoisinetropaffectueusequiprenaitson épaulepourunrepose-tête.Lavieillepeauportaituntee-shirtimprimédelabannièreétoilée,etde petitesbullesdesaliveseformaientaucoindeseslèvres.Elizaselamentauninstantsursonsort:ses parentsn’auraient-ilsvraimentpaspusefendred’unbilletd’avion? Lecauchemaravaitdébutéunanplustôt,quanddesgens,fourrantlenezdanslescomptesde son père à la banque, avaient dégoté des « dépenses non justifiées ». Certains détails avaient été divulgués – parmi lesquels le fameux porte-parapluies à mille dollars classé en « frais professionnels»dontlesjournauxavaientfaitleurschouxgras.Lesnotesdesavocatss’accumulèrent vite,etbientôtleschargesdecopropriétédeleurappartement–comportantcinqchambresàcoucher etautantdesallesdebain–furentau-dessusdeleursmoyens. Les Thompson vendirent leur « cottage » d’Amagansett – en fait aussi spacieux qu’un hangar d’aéroport–pours’acquitterdefraisdejusticedeplusenplusimportants.Ilssedéfirentensuitede leurappartementenfrontdemerdePalmBeach.Etpuis,unaprès-midi,enrentrantdesontrèschic lycéeprivépourfilles(quiavaitcomptéGwynethPaltrowparmisesélèves,rienqueça!),elleavait trouvé la femme de chambre en train d’emballer le contenu de sa chambre dans des cartons. Avant d’avoirréalisécequisepassait,ellevivaitdansuntroispiècesminable,àBuffalo,oùsesparents– quipartageaientdésormaisuneHondaCivicvieillededixans–l’avaientinscriteaulycéeHerbertHoover.Ellepouvaitdireadieuàsonannéedeprépa.ÀsonadmissionàPrinceton.Àl’annéequ’elle étaitcenséepasseràParis. Ses parents avaient raconté à tout le monde qu’ils partaient dans le Nord, pour se remettre de tout ça. Sans préciser jusqu’où dans le Nord ils avaient l’intention d’aller. Pour les habitants de Manhattan,ladifférenceentrelesCatskillsetBuffaloestaussigrandequ’entreChaneletPetitBateau. MaisilyavaitunDieupourlesgossesderiches!Lequels’étaitmanifestélaveille,parlebiais d’un coup de fil de Kevin Perry. Il cherchait une fille au pair pour l’été. Eliza pouvait-elle arriver avant le coucher du soleil ? Si son père avait pu éviter la prison, il le devait en grande partie au cabinet d’avocats de Kevin Perry. Celui-ci était donc l’un des seuls à être réellement au courant de leur situation. Ce boulot de fille au pair permettait à Eliza de quitter cette maudite ville. Elle allait devoirtravaillerpourdevieuxamisdelafamille,etaprès?Aumoins,ellen’auraitpasàseprésenter lundimatinaucentrecommercialdeBuffalo.Songerqu’elle–quienvoyaitautrefoissesdomestiques fairesescourseschezBergdorf–avaitbienfaillidevoiraiderdescamaradesdeclasseboutonneuses àenfilerdesvêtementsdepolyesterextensibledeuxtaillesau-dessousdelaleur...Cetteseulepensée luidonnaitlachairdepoule. À côté d’elle, la femme poussa un grognement et exhala une bouffée d’air. Eliza vaporisa un nuage de parfum autour d’elle, afin de neutraliser les effluves nauséabonds. Machinalement, elle toucha l’une des boucles d’oreilles en diamant que Charlie Borshok lui avait offertes pour son seizième anniversaire. Eliza avait beau ne pas être sentimentale, elle les portait tout de même, bien qu’elle eût rompu depuis plus de six mois. Ç’avait été une réaction d’autodéfense, à vrai dire : commentexpliquerBuffaloetlafailliteàl’héritieruniqued’unefortunepharmaceutiquesechiffrant en millions de dollars ? Elle avait aimé Charlie autant qu’elle en était capable, mais n’avait pu se résoudreàluirévéler–pasplusqu’àn’importequid’autre–l’étenduedeleurspertes.Commesile fait de dire les choses à voix haute leur conférerait une réalité indéniable. Or, Eliza avait bien l’intention de faire en sorte que nul ne découvre la vérité. Elle ignorait encore comment elle parviendraitàladissimuler,maiselles’ensortirait,aucundoutelà-dessus.Elleparvenaittoujoursà s’entirer. Cejour-là,parexemple.D’accord,illuiavaitfalluprendrelecarjusqu’àManhattan...maiselle avaitdéjàtrouvélemoyend’éviterdeprendrelebusjusqu’auxHamptons.EllecomptaitsurKitpour l’yconduire,ainsiqu’ill’avaittoujoursfait.Biensûr,elleauraitpupasserquatreheuresdanscebus de légende – car en dépit de sa prestigieuse réputation, le fameux « Jitney » restait un bus. Or pourquois’imposerçaquandKit,l’été,serendaittouslesvendredisauxHamptonsdanssajoliepetite Mercedesdécapotable?Ellen’auraitqu’àluidemanderdeladéposer.Kitetelleavaientgrandisurle mêmepalier–ilsétaientcommefrèreetsœur.CebonvieuxKit!Elleavaithâtedelerevoir–tout commeelleavaithâtederevoirquiconqueétait«quelqu’un». Lecars’arrêtadanslabaieduport,prèsdelacapitainerie,etdébarquasespassagerssousun auventdebétoncrasseux.Elizaglissasursonépaulesonfourre-toutVuitton(l’uniquespécimenque samèreluieûtpermisdeconserver,parmilacollectionqu’ellepossédaitautrefois)ets’éloignaaussi rapidementquepossibledecetendroitsordide. Ellejetauncoupd’œilcirculairesurl’immensegareroutière.Leslumièrescriardes,lafoule estivalesebousculantpouralleradmirerlesfeuxd’artificesurlesjetéesdela34eRue,lesgroupes detouristesàlaminedepapiermâché,armésdedrapeauxaméricainsetlenezcollésurleshoraires de trains. C’était ça, vivre de l’autre côté de la barrière ? Pousser, tirer, courir pour attraper des trains...Beurk!Ellen’avaitjamaiseu,jusque-là,àutiliserlestransportsencommun.Elleauraitloupé soncar,cematin,siellen’avaitréaliséàtempsqu’ilpourraitbienavoirl’audacedepartirsanselle. Danslavie,elleavaittoujoursétéattendueetchoyée.N’avaitjamaisportédebracelet-montre, par exemple. À quoi bon ? La fête ne commençait jamais avant son arrivée. Eliza était une fille splendide,touteenblondeuretenfossettes,dontlephysiqueévoquaitceluidesmannequinsdansles brochuresdevoyagesdeluxe.Ilneluimanquait,pourcompléterletableau,qu’unbeaubronzageet une grosse chaîne en or autour du cou. Le bronzage ne tarderait pas – elle atteindrait le point de perfection,puissetartineraitd’écrantotal.Quantàlachaîneenor,detoutefaçon,c’étaittoutcequ’il yaderingard. Elleerraunpetitmoment,commesonnée,cherchantdesyeuxlespancartesindiquantunesortie, agacéepartoutecetteagitationpopulaire.Unemèreportantlescouleursduclubdefootballdeson fils,arméed’unepoussettesurchargée,laprojetasurlecôté.Elizaheurtaunefillebruneplantéeau beaumilieudelagareroutière,tenantunplanentresesmains. –Oh,pardon,jesuisdésolée,ditlafilleenaidantElizaàseremettresurpied. Elizalaregardadetravers,marmonnantàcontrecœurunvague«C’estbon»,bienquelafille nefûtenrienresponsabledesachute. – Excusez-moi... Vous savez où se trouve la... ? demanda celle-ci, mais Eliza s’était déjà précipitéeverslasortielaplusproche. Surla42eRue,lesvéhiculesprisdansl’habituelembouteillageprotestaientvainementàgrands coups de klaxon. Une longue file d’attente serpentait le long du pâté de maisons et les taxis étaient rares. Pourtant Eliza jubilait : elle était de retour à New York ! Sa ville ! Elle se pénétra de l’air enfumé. Elle espérait – sans trop s’inquiéter pour autant – arriver chez Kit à temps, n’ayant pas vraiment de solution de rechange. Mais une des choses qu’elle préférait chez Kit, c’était son côté prévisible. Elle dépassa la file d’attente, alla se poster au coin de rue suivant, mit deux doigts dans sa boucheetémitunsifflementstrident. Un taxi se matérialisa devant ses tongs turquoise. Eliza sourit et fourra ses bagages dans le coffre. –Àl’angledeParkAvenueetdela63eRue,jevousprie,lança-t-elleauchauffeur. MonDieu,quelbonheur,d’êtrederetourchezsoi! Lacapitainerie.Prise2: Marafaitplouc delatêteauxpieds MaraWatersconsultalepetitmorceaudepapiercrasseuxqu’elleavaitdanslamain.M.Perry avaitmentionnéunautocarpourlesHamptons,maisMaraavaitbeauregarderdetouscôtés,ellene voyaitaucunepancartesignalantcettedestination.Ellecommençaitàsesentirnerveuse.Pasquestion d’arriverenretardpoursonpremierjourdetravail. Elle n’en revenait toujours pas d’être à New York ! Comme c’était excitant, de voir clignoter toutescesenseigneslumineuses,desemêleràlacohuegrouillanteetdemarcherdumêmepas...etce n’étaitencorequelagareroutière!ÀSturbridge,lagareroutièreconsistaitenunmalheureuxbanc situéàunanglederuedésert.L’endroitauraitméritéd’êtremisenvaleurpourcélébrerlefaitque quelqu’un quitte enfin ce trou paumé – mais non, rien ne venait l’embellir. En recevant le coup de téléphone, la veille, elle avait pensé que c’était trop beau pour être vrai. Elle était là, déguisée en « institutrice du temps jadis », dans « l’école du temps jadis » du « Sturbridge du temps jadis », à transpirer sous sa perruque poudrée qui lui donnait envie de se gratter et à aider les troupeaux de touristes arrogants du Middle West à parcourir le XIXe siècle, quand la nouvelle était tombée : elle avait décroché l’emploi de fille au pair ! Dans les Hamptons ! Avec une paye de dix mille dollars pourdeuxmois!Unetellesommedépassaitsesplusfollesespérances.C’étaitbiensuffisantpourles fraisd’inscriptionàl’université,etpeut-êtreluiresterait-ilassezpouracheterlajoliepetiteToyota Camry qu’elle avait repérée chez l’oncle de Jim, vendeur de véhicules d’occasion. Bien sûr, Jim n’avaitpassautédejoieenapprenantqu’ellelelaisseraitseultoutl’été.C’étaitpeudire:enfait,il était carrément dépité. Tout était allé si vite que Mara n’avait pas encore eu l’occasion de lui dire qu’elleavaitpostulépourceboulot,etJimn’étaitpasdugenreàapprécierqueMarafassedesprojets dans son dos – des projets dont il ne faisait pas partie ou qui n’avaient pas été soumis à son approbation. Cette histoire des Hamptons le prenait au dépourvu. Ça gâchait tous les plans du 4 Juillet ! Il avait prévu d’exhiber l’El Dorado, dont il avait gonflé le moteur, lors du show automobilerégional.SiMaral’abandonnait,quil’aideraitàastiquerlecapot? Jim et elle étaient inséparables depuis la seconde. Au fil des ans, nombre de personnes lui avaientfaitremarquerqu’elleétaittropbienpourlui.Maisvuquelespersonnesenquestionfaisaient presquetoutespartiedesafamille,fallait-ils’enétonner?Marasesentitsoudaincoupableàl’idéede s’enaller,maisbalayaaussitôtcettepensée.Elleavaitd’autreschatsàfouetter.D’unpashésitant,elle sedirigeaversunemployéenuniformequisetenaitderrièreunguichet,ettapotacontrelavitre. –Ouais?lança-t-ilsèchement,mécontentd’êtredérangé. –Bonjour,m’sieur.Pourriez-vousmedireoùjepeuxprendreleJitneypourlesHamptons? –VousvoulezdirelalignedeLongIsland? –Non,jesaispas...Heu,ças’appellele«Jitney»? –LeJipney? –C’estunbus...àdestinationdesHamptons. – Là-derrière, c’est la ligne du New Jersey, répliqua-t-il avec un mouvement du menton. Vous allezauxHamptons?PrenezlalignedeLongIsland,surla8eAvenue. Danslafiled’attentevoisine,unhommesurpritleursparoles. –Cen’estpasiciquevoustrouverezvotrebus,dit-il.C’estsurla3eAvenue. – Mais, croyez-moi, vous feriez mieux de prendre le train. Au moins, il n’y a pas d’embouteillages,glissaunefemmequisetenaitderrièrelui,chargéedesacsdecourses. –Laisseztomberletrain.Cebusvautledétour,insistal’inconnu. – En tout cas, je ne comprends pas que les gens fréquentent encore les Hamptons, siffla la femmed’untonagacé.Avectoutescespersonnesépouvantablesquidéferlentenété!Woodstockest tellementplusagréable. –Jen’ensuispassisûr.AlleztrouverdessushisdignesdecenomdanslesCatskills!protesta l’homme. TousdeuxselancèrentdansunediscussionaniméesurlesméritescomparésdesHamptonsetde lavalléedel’Hudson,oublianttotalementlaprésencedeMara. –La3e...?la3eAvenue,c’estbiença?demandaMara. –Hein?Ouais,ouais,c’estça,vousprenezle19jusqu’àTimesSquare,puislanavettejusqu’à Lex...Delà,vousremontezlarueendirectiondela43e.Fautquevousalliezverslesud. Toutça,pourelle,c’étaitduchinois.Ellehochamollementlatête,sesentantpluspauméeque jamais. –Maisjevousledis,monpetit,letrainestbienpluscommode!crialafemmeauxsacs. Maras’éloignadelafiled’attente.Elledéfroissaitunenouvellefoislemessagepours’assurer qu’elle avait bien lu les indications, quand une fille la heurta de plein fouet, et faillit tomber face contreterre. –Oh,jesuisdésolée,dit-elleenaidantlajolieblondeauxcheveuxlongsàserelever. Mararemarquaqu’elleportaituneraquettedetennisenbandoulière.Ellevoulutluidemanderoù seprenaitlebuspourlesHamptons.Mais,lorsqu’ellelevalesyeux,lafillen’étaitpluslà. Avecunhaussementd’épaules,elledécidaquelameilleuresolutionétaitdeprendreuntaxiet ellesejoignitàlafiled’attentecompactequis’étaitforméedevantlastation.Ellejetaautourd’elleun regard ému. C’était si exaltant de se trouver loin de chez soi que peu lui importait le temps qu’il faudraitpourarriveràdestination. Zonederécupération desbagagesdel’aéroportJFK: Jacquinesecontentepas deramassersesbagages C’estça,rince-toil’œil,etunpetitcoupàgauche...Lespectacleteplaît,pasvrai?Jevoisbien queoui,espèced’obsédé!Trois.Deux.Un... BINGO! Le gars de trente et quelques années aux cheveux gominés coiffés en arrière, portant un jean délavé et des mocassins sans chaussettes, avait touché le bras de Jacarei Velasco. C’était un attouchementdesplusdiscrets–unsimpleeffleurement,àvraidire.Cegestedeluitapoterlebras semblaitplutôtvouloiresquisserunecaresse. –Manuela? Ça,enrevanche,ellenes’yattendaitpas. –Que?demanda-t-elleenrelevantseslunettesdesoleilàmonturecouvrantepourmieuxjauger soninterlocuteur. Teint cuivré par le bronzage. Spectaculaire Rolex au poignet. Lunettes d’aviateur. Quant aux chaussures,ellesétaientmanifestementfaitesmain.Ilferaitl’affaire. –Désolé,ilmesemblaitqu’ons’étaitrencontrésquelquepart.ÀMiamiBeach,peut-être?dit-il avecunsourirequifitapparaîtredecharmantesridulesaucoindesesyeuxbleuvif. Ilhaussalesépaulesetsedétourna.Ehbien,sicen’étaitpasleplusvieuxtrucdumonde!Mais ellen’allaitpaslelaisserfileraussifacilement. –C’estpossible,dit-elled’unevoixforte. Letypefitvolte-face. –AubarDelano?L’annéedernière? Jacquisecoualatêteavecunsourire. –Enfin,quoiqu’ilensoit...JesuisRupertThorne,dit-ilenluidonnantunevigoureusepoignée demain.C’estàvous?demanda-t-il,remarquantunepairedesacsencuirvernisurletapisroulant. Jacquihochalatête. –JacquiVelasco.Enchantée. D’ungeste,ilindiquaaussitôtauchauffeurenuniformedelesramasser. –Vousallezoù?demanda-t-il. –Dansles...lesHamptons? – C’est justement ma destination, dit-il, hochant la tête en signe d’approbation. La ville est si étouffante,l’été.Onpourraitsefairedesœufsauplatsurlebitume.Quantauxodeurs,n’enparlons pas,ajouta-t-ilavecunegrimacededégoût. –VousêtesdeNewYork?demandaJacqui,amuséeparceslamentations. –Àl’origine,oui.OnaunepropriétéàSagHarbour.Maisjesuistoujoursentredeuxavions. Tenez,là,jesuistoujoursàl’heuredeMalibu. Ellesourit,lelaissantjacassertandisquesonespritvagabondait.Ellesedemandaitoùtoutcela allait la mener. À São Paulo, elle était tellement habituée à taper dans l’œil d’hommes plus âgés qu’elle, que de deviner quel profit elle allait pouvoir en tirer était devenu l’un de ses passe-temps favoris.ChezDaslu,legrandmagasinlepluschicduBrésiloùelletravaillaitcommevendeuse,elle aidait les femmes les plus riches du pays à remonter la fermeture éclair de robes haute couture importéesdeParis.Loind’êtreuneemployéesurexploitée,ellesevoyaitplutôtcommeunesortede conseillère en stylisme, vu que le magasin n’embauchait que des filles provenant peu ou prou des mêmes milieux que ses clients. Bien que la famille de Jacqui ne roulât pas sur l’or, sa grand-mère l’avaitenvoyéedansunprestigieuxlycéereligieux–oùJacquiétaituneélèveconvenable,sansplus. ChezDaslu,saspécialitéconsistaitàfairesemblantdeflirteraveclesépouxdesesclientes.Distraire lemari,pendantquelafemmedépensaitlestroisquartsdesapayeenpantalonsdecuirVersacesur lesquelsJacquiempochaitunejoliepetitecommission,voilàquifaisaitpartieintégranteduboulot. EtJacquin’avaitpastropd’effortsàfaire:depuisqu’elleavaitcommencéàremplirletopde sonbikinibonnetsC,leshommesnelarataientpas.Leursregardss’attardaientsursapoitrine,surses hanches et sur ses longs cheveux noirs, à tel point qu’elle finissait par penser qu’elle n’était bonne qu’àcela:êtrebelle.Entoutcas,lesgensnes’intéressaientjamaisqu’àcetaspectdesapersonne. Mais tout avait changé quand elle avait rencontré Luca. Le sincère, le tendre Luca. Le jeune AméricainrencontréàRiopendantlecarnaval.Legarçonausourireunpeufou,nelâchantjamais sonsacàdos.Et,detouslestypesqu’elleavaitcroisés,lepremierànepasflashersurelledansla seconde.Commepresquetousceuxquifêtaientlecarnaval,elleétaitdéguisée.Maiscontrairementà laplupartdesesamisquititubaientdanslesruespavéesens’efforçantdetenirl’alcool,Jacquiavait préférédemeurerspectatrice–aprèstout,c’étaittouslesanslemêmedélire.Ellel’ignoraitencore, mais elle avait soif de changement. Il s’était manifesté lorsque Luca, un lycéen américain, lui avait demandésoncheminavantdes’éloigner,alorsmêmequeJacquilegratifiaitdesonpluschaleureux sourire.Ilsavaientàpeineéchangéquelquesparoles,maislorsqu’ilfitvolte-facepourrepartir,ilprit àJacquil’enviedelesuivre.Etc’étaitbienlapremièrefoisqu’elleéprouvaitunpareildésir. Contrairement aux lourdauds de sa ville natale, tout juste bons à la siffler comme le loup des dessinsanimés,Lucan’avaitmêmepasparuattiréparelle,audébut–cequiavaitévidemmentpiqué savanité.Jacquinefeignaitpasd’ignorersabeauté.Sescheveuxtombaientenvaguesbrillantessur sesépaulesdorées.Quantàsoncorps,ilavaitdequoirendreGiseleBundchenvertedejalousie. Luca,quipassaitsesvacancesdeprintempsàexplorerl’AmériqueduSudjusqu’àMachuPicchu après avoir suivi la piste des Aztèques, avait semblé totalement insensible au glamour de Jacqui. Il l’écoutaitcommes’ilsesouciaitréellementdecequ’ellepensait,etellen’avaitpastardéàsuccomber au charme de son sourire flegmatique et de son énorme sac à dos. Ils avaient passé ensemble deux semainesmerveilleuses–àcourirlesclubsdesamba,àengloutirdeslitresdecachaça,àgravirle sommetduCorcovadoetàprendredesbainsdesoleilàIpanema.Ill’avaitmêmeconvaincued’aller camper à Tijuca avec lui, un week-end. Ils s’étaient blottis l’un contre l’autre dans son sac de couchage,ets’étaientembrasséssouslecielnocturne. Luca lui avait dit que ce qu’elle avait de plus sexy, c’était son esprit. À croire qu’il était le premier type à se rendre compte qu’elle en avait un. Pendant leur première nuit, Jacqui n’était pas parvenue à s’endormir. Elle n’arrêtait pas de sourire, n’en revenant pas d’être aussi vernie. Elle se tournait et se retournait dans son lit, se pressant le ventre, dans un mélange d’euphorie et de peur. C’étaitdoncça,l’amour? Etpuis,auboutd’unesemaineincroyable,ils’étaitenvolédanslanature.Sansun«aurevoir», sansavoirgriffonnésonadresseélectroniquesurunboutdepapier.Jacquienfutbouleversée.Pour lapremièrefoisdesavie,elleétaitamoureuse.Pourleretrouver,ellepossédaitununiqueindice:il avaitdit,unjour,quesafamillepassaitlesvacancesd’étédansunlieubaptisé«lesHamptons». Àpeinedeuxjoursplustôt,Jacqui,surfantsurl’ordinateurdugrandmagasin,avaitlancéune énièmerecherchepour«lesHamptons».Maiscettefois-ci,ilyavaitdunouveau:lapetiteannonce de Kevin Perry lui promettant « un été de rêve » à East Hampton. La réponse lui était parvenue presqueaussitôt(saphotod’identitéavaitceteffetsurlesgens).Leposteétaitàpourvoird’urgence. Pouvait-ellesauterdansunaviondèslelendemain,afind’êtreenvillele4juillet?Claroquesim! Elle était convaincue qu’elle retrouverait son Luca quelque part dans les Hamptons. Et sinon, elle pourrait toujours reprendre l’avion en sens inverse. Après tout, ce n’était pas comme si elle avait vraimentbesoindecejob. Rupertjetauncoupd’œilàsamontreetJacquirevintàlaréalité. –Sionparttoutdesuite,onpeutespérerêtresurlaplageavantlecoucherdusoleil.Mavoiture estgaréelà-dehors,dit-ilendésignantletrottoiraubordduquelattendaitlalimousine. –Parfait,fitJacquienhaussantlesépaules. Ellen’avaitpasencoreréfléchiaumoyendeserendredanslesHamptons.Elles’étaitditqu’une solutionseprésenterait,commec’étaittoujourslecas. Jacqui lui décocha son sourire UltraBrite. Celui qui conduisait toujours les hommes à lui promettredesvestesdechinchillaetàtendreleurcarteAmericanExpress. –Jevoussuis. OùElizaraconte deuxoutroismensonges passipieux LetaxilaissaElizadevantsonancienimmeuble,unbâtimentd’avantguerreconstituantl’unedes adresses les plus recherchées de la ville. Ses portes en bronze doré brillaient dans la lumière du soleil.Commeilluimanquait!ÀBuffalo,safamilleoccupaitlerez-de-chausséed’unemaisondans uneruepavillonnaire.Lasalledebainsn’avaitjamaisétérefaite,etElizaauraitjuréqu’ilyavaitdela moisissuresouslabaignoire.Chaquefoisqu’elleprenaitunedouche,ellesesentaitplussaleaprès qu’avant. Son ancienne salle de bains – dotée d’une vue panoramique sur Central Park – était équipée d’une étincelante baignoire blanc cassé qu’Eliza avait personnellement choisie dans le magasin d’exposition Boffi où elle avait accompagné le décorateur de sa mère. Les couloirs étaient ornés d’originaux de Jackson Pollock et de Willem De Kooning hérités de sa grand-mère, qui avait fréquenté les expressionnistes abstraits du temps de sa jeunesse dorée, dans les années cinquante. WoodyAllenavaitrepéréleurappartement,envisageantd’ytournerl’undesesfilms.Elizanevoyait vraiment pas quel film on pourrait bien tourner dans leur nouvelle demeure, hormis un remake de Massacreàlatronçonneuse.D’accord,elleexagérait.Maisàpeine. Le lino éraflé dans la cuisine. Le plan de travail en aluminium gondolé. La moquette couleur avocat pourri. Tout ça dans un misérable cinquante-cinq mètres carrés ! Même leurs anciens domestiquesavaientétémieuxlogés.Sesparentsnecessaientdeluirépéterqueç’auraitpuêtrepire. Bienpire,àvraidire.Papaauraitpuseretrouveren...maisçadépassaitl’imaginationd’Eliza.Qu’une tellechoseeûtétépossibleétaitdéjàbienassezterrible! Leportierdeserviceleweek-endouvritlaportièredutaxietlareconnutimmédiatement. –MademoiselleEliza! –Salut,Duke. Ilportalamainàsacasquette. –Çafaitunboutdetemps. –Àquiledites-vous! –Vousêtesderetourdansl’immeuble,lafamilleetvous? – Pas vraiment, dit-elle du ton le plus décontracté possible en jetant un coup d’œil le long du trottoir.(AucunetracedeladécapotabledeKit.)Kitestdanslesparages? –M.Christopher?demandaDuke,segrattantlefrontdesamaingantéedenoir–legantfaisait partiedel’uniforme,mêmepartrente-septdegrésàl’ombre.Jecroisqu’ilvientdepartir. Ellejuraentresesdents.Ellen’arrivaitpasàcroirequ’elleeûtratésonchauffeur! –M.etMmeAshleighsontenhaut,celadit.Jepeuxlesappeler. – Ce n’est pas la peine, merci, dit Eliza en luttant contre l’envie de se ronger les ongles.Commentdiableallait-elles’ensortiràprésent? À cet instant précis, une décapotable rouge qu’elle connaissait bien s’arrêta devant l’auvent rouge du porche. Un garçon séduisant, aux cheveux blonds coupés en brosse, bondit hors de la voituresansattendrequeDukeluiaitouvertlaporte.Lorsqu’ilaperçutEliza,ilenrestabouchebée. –Liza! –Kit! –Qu’est-cequetufaislà,nomdeDieu?demanda-t-ilavantdelaprendredanssesbrasetdela serreràl’étouffer. Elizafitcellequin’avaitrienentendu. – Comme je suis contente de te voir ! s’exclama-t-elle en passant les doigts dans ses mèches hérisséesetenluitapotantlatête. –J’aioubliéquelquechose...Fautquejeremonteenvitesselechercher.TuvasàAmagansett? lançaKit,enfonçantàreculonsdanslehalldemarbredel’immeuble.Hé,jetedépose? –Avecplaisir!répliqua-t-elle,soulagée. CebonvieuxKit!ElizalaissaDukedéposersessacsdanslecoffreets’installaàl’avantpour attendresonami. –Mince,qu’est-cequetum’asmanqué,majolie!ditKit,unefoisredescendu. IlmitlecontactetilsfilèrentdansParkAvenue,capotebaisséeetcheveuxauvent. –Tuas...disparudujouraulendemain. – Ouais, mais avec tout ce qui s’est passé, répondit-elle d’un ton désinvolte, mes parents ont vouluquitterlavillepourseremettredeleursémotions,tucomprends?Alors,ilsm’ontenvoyéeen pensionnat...Quellebarbe! Eliza trouva les cigarettes de Kit sur le tableau de bord et en prit une. Sa main tremblait légèrementtandisqu’ellefouillaitdanslaboîteàgantsàlarecherched’unbriquet. – Extinction des feux à onze heures. Notre chef d’étage est une andouille, précisa-t-elle en allumantlebriquetetentirantsursacigarette. Kitémitungrognementdesympathie. –Papaamenacédem’yenvoyerunefois.Maisjen’aipasd’assezbonnesnotespourAndover. Heu...àpartça...commentvonttesvieux?demandaKitd’unevoixhésitante. –Ils...heu...nequittentpluslaFloridecesdernierstemps,improvisa-t-elle. Tout le monde avait lu ce que les journaux avaient publié, Eliza le savait, mais personne ne connaissait précisément l’étendue du désastre. Les pages économiques et les rubriques « people » avaient cessé de s’intéresser à eux lorsque son père s’en était tiré sans inculpation. Sitôt après, les Thompson, feignant d’être épuisés et assommés par toute cette agitation, avaient quitté Manhattan pourdebon. – J’ignorais que vous étiez tous descendus à Palm Beach ! dit-il en frappant le volant, visiblementsoulagé.Ilfautqu’onseretrouvepourlesvacancesdeNoël. –Formidable! Çalarendaitmaladededevoirmentiràl’undesesmeilleursamis.Surtoutquandils’étaittout de suite imaginé que les Thompson s’étaient mis au vert à Palm Beach. Nom de Dieu, ce que leur appartementdeMar-a-Lagopouvaitluimanquer! Toutétaitlafautedesonpère.Ellesesentitunefoisdeplusenvahieparunressentimentetune amertumequineluiétaientquetropfamiliers.C’étaittellementinjuste.Sesparentspouvaientbiense terreràBuffaloetévitertousleursanciensamis.Maiselle...Ellen’avaitqueseizeans–passoixante – et toute la vie devant elle. Pas question de laisser passer sa chance. Elle voulait retrouver sa vie d’autrefois,àtoutprix. –Alors,cetété,tuestouteseule?demandaKit. –Ouais.Heureusementquejesuistombéesurtoi!J’aicruquej’allaisêtreobligéedeprendrele bus.Beurk.Tusaisqueladernièrefois,ilsm’ontjetéedehorsparcequej’airefuséd’éteindremon portable. Kiteutunlargesourire. –Jemesouviens.C’étaitdanslejournal. –Enfin,quoiqu’ilensoit,jevaischezmononcleàGeorgica. Cen’étaitpassiloindelavérité,aprèstout.KevinPerryétaitl’undesavocatsdesonpèreet, aprèslesévénementsdel’annéedernière,quasimentunmembredelafamille.Elizadécidaqu’elley allait pour « donner un coup de main ». Et si on la payait pour ça, eh bien, où était le mal ? En y réfléchissant, sa situation serait plutôt celle d’une invitée qu’on recevrait avec les honneurs. Après tout,elleavaitgrandiaveclesjumellesdelafamillePerry,SugaretPoppy. –Super.Cen’estpastrèsloindenotrenouvellemaison.Tuasquelquechosedeprévu,cesoir? –Non,pourquoi? –DeuxgarsdelabandevontauResort.IlyaunesoiréedanslasalleVIPversminuit.Etaprès, ilyalasoiréebleublancrougedePuffDaddyauClubPlayStation2. –Çam’al’aircool,approuvaEliza. Elle connaissait les types qui dirigeaient le Club PlayStation2 : deux « organisateurs d’événements » new-yorkais qui avaient convaincu Sony de l’intérêt de financer une boîte où se tiendraient,leweek-end,dessoiréescensées«lancersurlemarché»leursnouveauxjeux.Dansles Hamptons, ç’avait la réputation d’être une piste d’atterrissage pour mannequins. Dans le genre du ManoirPlayboy,maisavecdesfillesdedix-huitansplatesetàpeineforméesqueleurmorphologie destinaitplutôtàparaderdanslesdéfilésqu’às’étalerenpagecentraledumagazine. –Jevaist’inscriresurlaliste. –Hé,aufait,tuasvuCharliedanslesparages? Kitluijetauncoupd’œilenbiais. –Auxdernièresnouvelles,ilsortaitavecunebimboqu’ilarencontréeàl’universitéd’été. –Ahoui? –Jesuissûrquec’estpassérieux. –Kit,tuestropadorable! Ellerevitl’expressioncrispéeetincréduledeCharlielorsqu’elleluiavaitdit,àNoël,qu’ilétait préférablequ’ilscessentdesevoir.Àlasuitedequoiilavaitlaissédesmessagessursonportable pendantdessemaines,luidemandantoùelleétaitpassée.Ellen’étaitplusaulycée.Ellen’étaitplusau JacksonHoleaprèslescours.Ellen’étaitpaschezBarneyslessamedismatinouauBungalow8les jeudis soir. Lorsqu’elle dut changer son numéro de portable pour adopter l’indicatif de Buffalo (certainsluxesrelèventdelanécessité),lesmessagescessèrentdeluiparvenir.Elizaavaitpenséqu’il seraitplussimplepourelledesecontenterdedisparaître;ellesavaitqu’ellerisquaitdecraqueretde toutluiavouers’ilssevoyaient,etellenepouvaitsepermettredecourirunrisquepareil. Roulantaupas,ladécapotablefinitparatteindrelasortiedelaville.Kitpayalepéageaupontde Triborough. Comme ils filaient vers l’est, Eliza se réjouissait à la vue des panneaux indicateurs : Hicksville,Ronkonkoma,Yaphank.Toutescesvillesauxdrôlesdenomsluisouhaitaientlabienvenue àLongIsland,laramenaientàcemondequiétaitlesien. Pour la première fois de la journée, elle se détendait. Jusqu’ici, tout se passait bien. Kit avait gobé son histoire de pensionnat et de vacances chez son « oncle ». Elle était déjà invitée à de fabuleuses soirées dans les Hamptons et, même si son ex était temporairement indisponible, Eliza l’aimaitetcomptaitbienrécupérercequiluirevenaitdedroit. OùMaraapprend àrespecterlesrègles danslebusdesHamptons –Ah,lesHamptons,trrrèstrrrèstrrrèsrichesgenshabiterlà-bas,répliqualechauffeurdetaxi barbuàMara,lorsqu’elleluieutditoùelleallait. –C’estcequej’aientendudire,acquiesça-t-elle. Sa sœur Megan, accro au magazine people US Weekly, lui avait fait un compte rendu détaillé avantsondépart: – À ce qu’on raconte, le Resort est tout ce qu’il y a de plus branché cet été, mais mieux vaut éviterleStarRoom–c’estcomplètementpassédemode.EssaiededégoterunetableauBamboositu peux. Comme si Mara comprenait quoi que ce soit à ce jargon. Tout ce qu’elle connaissait des Hamptons,elleledevaitàcetépisodedeSexandtheCity où Carrie va séjourner chez une amie et voit, sans le faire exprès, le mari de cette dernière nu comme un ver. Mara savait qu’il s’agissait d’une sorte de station balnéaire pour gens fortunés – mais elle allait à Cape Cod tous les étés et, franchement,çanedevaitpasêtresidifférentqueça... –Oui,desgenstrrrèstrrrèsriches.VousconnaîtrrreJerrySeinfeld?BillyJoel?Eux,êtrrretout le temps dans les Hamptons. Le type qui sorrrtait avec Jennifer Lopez avant ce gars... Affleck. Lui fairrregrrrossefêteceweek-end.PiffDaddy. –PuffDaddy?demandaMaradansunéclatderire. – Oui, c’est lui. Avant, je conduirrre limousine pour lui. Grrrosse fête. Beaucoup beaucoup beaucoupfeuxd’arrrtifice.Parrrtoutdesgensélégants.Trrrèstrrrèsminces.Lesfilles,toutesminces, minces,minces. Puis,ayanttournélatêtepourévaluerMara: –Vousêtrrremince.Etrrriche,aussi? –Non,jenesuispasriche,réponditMara.Jevaistravaillerpourdesgensriches,celadit. –Ah,pasrrriche.Trrravailleuse,c’estça? –C’estça. – Voilà. 3e Avenue – 43e Rue. Jitney juste là, précisa-t-il en agitant le bras en direction d’un énorme bus vert et argenté avec HAMPTON JITNEY joyeusement inscrit en grosses lettres, à l’arrière. –Génial!s’exclamaMaraenluiremettanttrèsexactementlasommeinscriteaucompteur. –Voilà.Merci.Mercibeaucoup! Elles’empressadesortirdutaxietclaqualaportière. – Pas pourrrboirrre ? demanda le chauffeur déconcerté, alors qu’elle n’était plus là pour l’entendre. Se précipitant vers le bus, Mara constata qu’elle allait devoir se coltiner une autre longue file d’attente. À force de traîner les pieds, elle finit par voir son tour arriver. Devant elle, une femme d’âgemûràl’airpascommodeportaitunebananeautourdelatailleettenaitunbloc-notesàlamain. –Votrenom? –MaraWaters. –Waters,Waters,Waters...Heu...Jenevousvoispas.Vousêtessûred’avoirréservé? –Ilfallaitréserver?demandaMarad’untonnerveux. –Désolée.Cebusestcomplet.Vafalloirvousmettresurlalisted’attenteduprochain.Maisjene croispasquevouspourrezleprendre.Onestleweek-enddu4Juillet! –OhmonDieu...C’estsérieux?Jenevaispaspouvoirleprendre? –Sansréservation,certainementpas. –Mais...mais...jenesavaispasque... –Écartez-vous,mademoiselle,lançalacontrôleuseavecbrusquerie. –Laissez-moivousexpliquer!Jevaisarriverenretardàmontravail...Ilfautvraimentqueje soisàEastHamptonavantcinqheures.Jevousenprie... –Jenepeuxrienpourvous.Essayezdemain. Sonnée, Mara se laissa mollement dériver sur le côté. Elle était en route depuis six heures ce matinettoutçapourça!EtceKevinPerryquin’avaitmêmepaspenséàmentionnerlaréservation obligatoire,s’imaginantqueMaraconnaîtraitlachanson,commetousleshabitantsdeNewYork! –Jevousenprie...Iln’yapasmoyende...?demanda-t-elleenregagnanttimidementledevantde lafile. –Mademoiselle,jevousaiditdeVOUSÉCARTER! – Pardonnez-moi ! Pourquoi cette discussion ? intervint une femme élégante coiffée d’un chapeaudepailleàtrèslargebord,avecuntoutpetitchiendépassantdesonsacàmain. –Pasderéservation,grommelalasorcièreaubloc-notesendésignantMara. –Jenesavaispas.Ilfautvraimentquejemontedanscebusoubienjevaisarriverenretardà montravail,expliquaMaraleslarmesauxyeux. – C’est bon, c’est bon, soupira longuement la femme derrière ses énormes lunettes de soleil. Vous pouvez prendre le siège de Muffy, à condition de le tenir sur vos genoux, ajouta-t-elle d’une voixdemartyre. – Oh, merci ! Merci infiniment ! s’exclama Mara, tandis que la femme lui fourrait chien et panierdanslesbras. Embarrassée et toujours un peu secouée, Mara fut enfin autorisée à monter dans le car et à y prendre place. Elle se serra à côté de sa bienfaitrice, qui mit aussitôt un masque sur ses yeux et s’endormit,tandisquelecardémarrait. Le visage collé à la vitre, Mara regarda s’éloigner le paysage de New York. À Queens, ils passèrent devant le stade Shea, décoré de drapeaux américains et de tout l’attirail patriotique. Une heures’écoula.Surl’autoroute,çaroulaithorriblementmal.Marapressasonvisagecontrelavitre,et compta les piscines surélevées qui poussaient comme des champignons dans chaque jardinet dès qu’ilseurentatteintLongIsland. ÇaluirappelaitSturbridge.Ilfaudraitqu’elleappelleJim,pouressayerd’arrangerleschoses. Celaneluiplaisaitpas,qu’ilssesoientquittéscommeça.Ellenesupportaitpasqu’onluienveuille. Alorsqu’ellesedemandaitsiellepouvaitrattraperlecoup,sontéléphonesonna. Lesilenceetlesommeildesunsetdesautresfutsoudaintroubléparunsonoreta-ta-ta-ta-ta-ta, ta-ta-ta-ta-ta-ta–lespremièresmesuresdeSweetChildofMine. –Leportable!sifflasavoisine,enrelevantsonmasquepourlesyeux.Àquiestleportable? –Éteignez-le!Éteignez-le!demandaunefilleàl’airpincé,unpeuplusâgéequeMara,enlevant lesyeuxdesontricot. –Cebruit!Cebruit!lançad’unevoixtremblotanteunmonsieurd’uncertainâgeenbrandissant ledernierHarryPotter. Mara se mit à chercher frénétiquement son minuscule portable dans son sac bourré à craquer. Unevoixstridentesefitentendre,àl’avantducar. –Lesportablesnesontpasautorisés!Veuillezl’éteindreimmédiatement! Toustendaientlecoupourvoirquiavaitoséenfreindrel’unedesrègleslesplussacréesdubus deluxepourlesHamptons.Cinquanteregardsfuribondsetensommeilléssebraquèrentsurelle.La matrone chargée du placement, qui avait déjà tancé Mara pour être montée dans le car sans réservation,gesticulafrénétiquement: –Hep,vous! – Je suis désolée ! Je suis désolée. Je n’étais pas au courant ! rétorqua Mara en tripotant son téléphoneetenbalayantsafranged’unemainnerveuse. –Mar!C’estmoi,c’est... – Jim ! Je peux pas te parler maintenant ! dit-elle en raccrochant sans lui laisser le temps de protester. Danssesbras,lechihuahuaàpoillongladévisageaavecunairindigné. –Qu’est-cequinevapas,toutou?murmura-t-elled’unevoixtendue,enserrantlechiencontre elle.Pourtouteréponse,illuiurinasurlesgenoux. –Hé!gémitMara. – Oh, il y a des gens à qui il fait ça, fit remarquer sa maîtresse dans un bâillement. Vraiment, vous auriez dû éteindre votre portable. Vous n’avez pas vu le signe ? ajouta-t-elle en désignant l’imaged’unportabledansuncercleviolemmentbarréd’untraitrouge. Maras’enfonçadanssonsiège.Letrajetrisquaitdeluisemblertrèslong. Quelquepart, surl’autoroutedeMontauk: Jacquitientvraimentbien l’alcool Le producteur mielleux commençait à lui paraître très très séduisant. Mais sans doute était-ce l’effetduwhisky,seditJacqui. Jusque-là,Ruperts’étaitcomportéengentleman.Ilnes’étaitquasimentpassouciéd’elle,sice n’estpourluireverserduwhiskyquandsonverreétaitvide.Ilétaitrestéscotchéàl’oreillettedeson portable,àhurlerdanslepetitrécepteurausujetd’uncontratcinématographiquefoireux.Lorsqu’ils atteignirentNoyak,JacquiavaitdéjàregardétroisépisodesdeThat70’sShowàlatélé,faitplusieurs parties de Halo sur la console Xbox, et contemplé les modifications du paysage : à la métropole grouillanteavaientsuccédélesterrainsvaguesdebanlieue,puisdepittoresquesvignobles. –Jesuisdésolé,majolie,dit-ilenprenantletempsdeluipresserlegenou. Hmmm...Ellenesavaittropqu’enpenser. Peut-être se sentirait-elle plus à l’aise après un dernier verre, songea-t-elle en tendant la main verslacarafedecristal.Rupertluiavaitditde«fairecommechezelle»,etellen’étaitcertespasdu genre à bouder les agréments de la limousine. Qui sait quand elle aurait de nouveau l’occasion de voyagerdansunevoiturepareille? Rupertfinitparreposersontéléphoneetsetournaverselle. – Je suis désolé. Cette garce avait signé le contrat, et voilà qu’elle essaie de s’en dépatouiller pourtournerunfilmavecTomCruise.Jenevoulaispasêtremalélevé. Jacquibalayalaremarqued’ungestedelamain,sanslâchersonverre. Avecunsouriresuffisant,ilseservitunautrewhisky. –Àlavôtre!lança-t-il. –Saùde.Àvotresanté! Ilstrinquèrent.Rupertavalaunelonguegorgéeetsepassalalanguesurleslèvres. – Ça va beaucoup mieux ! s’exclama-t-il en déboutonnant le haut de sa chemise de popeline. Alors,qu’est-cequevousvenezfairedanslesHamptons,cetété? –Lafilleaupair. –Paspossible!Vousparlezsérieusement?J’auraisjuréquevousétiezmannequin,ouuntruc danscegoût-là.Jedispasçaenl’air,croyez-moi.Avecleboulotquejefais,jevoisdesjoliesfillesà longueurdetemps. Jacquisecoualatête.Ellen’avaitaucundésird’attirerencoredavantagel’attentionsurelle. –Alorscommeça,vousêtesbonned’enfants? –Filleaupair,rectifiaJacqui. –D’accord,d’accord,concéda-t-ilensouriant.Quiestl’heureusefamille? Elle lui parla des Perry et lui donna leur adresse sur Lily Pond Lane. Cela sembla l’impressionner. –Perry?PasKevinPerry? Ellehochalatête. –Onpeutdirequ’ilestverni,lesalaud!s’exclamaRupert,quisouriaitàprésentdetoutesses dents. On les connaît bien, Maxine et moi, dit-il en posant la main sur son genou. Ma femme... On s’estmariésl’annéedernière.Uneidéeàelle,précisa-t-ilenfaisantremontersamainsurlacuisse haléedeJacqui. Ils’arrêtajusteàlalisièredesaminijupeenjeanetlaissasamainposéelà,pourvoircomment elleallaitréagir.L’alcoolavaitdûfairesoneffetcarJacquin’étaitpasaussichoquéequ’elleauraitpu l’êtreend’autrescirconstances. – Il faut compter au moins une heure avant d’arriver à East Hampton, au train où ça va, chuchota-t-ilensepenchantversellepourreniflersescheveux.Qu’est-cequevousendites? Jacqui gloussa, le nez dans son verre. Franchement, les hommes étaient beaucoup trop prévisibles. – Je ne sais pas. Et vous, qu’est-ce que vous en dites ? demanda-t-elle en repoussant enfin sa main. – Eh bien, je pense que nous devrions essayer de nous connaître un peu mieux..., suggérait-il, lorsqu’ilsfurenttousdeuxsecouésparl’embardéequefitlalimousinepouresquiveruneMercedes décapotable. Jacquiregardaparlavitreetvitunbeaumecfaireunbrasd’honneuràlalimousine,pendant qu’uneblondes’esclaffaitàsescôtés. –Luca?s’écria-t-elle. Illuiressemblait–dumoinsdedos–maisétait-cevraimentlui?Ellen’auraitsuledire.Penser à Luca la dessoûla net. Que fichait-elle donc, à l’arrière d’une limousine, avec un type qui avait le doubledesonâge? Ilétaittempsdereprendrelecontrôledelasituation. – Rupert..., dit-elle en se tournant vers lui pour lui faire savoir qu’elle avait besoin d’être déposéetoutdesuiteàEastHamptonetqu’ellen’avaitplusenviedebatifoler. MaisRupertétaitdéjààl’autreboutdelabanquette,entrainderépondreautéléphone. DieusoitlouépourlescapricesdesstarsdeHollywood! EastHampton,ÉtatdeNewYork. MonDieu,cequeçaamanqué àEliza! Trois heures après avoir quitté Park Avenue, Kit et Eliza déboulaient dans la rue principale d’East Hampton. Eliza sentit une vague de nostalgie et de tendresse l’envahir à la vue de la rue commerçante qu’elle connaissait par cœur, avec son alignement d’arbres et, tout au fond, la façade brillantedeCintarella–uneépiceriefinequivendaitdesfeuilletésausaumonetdesfeuillesdevigne farcies encore meilleurs que ceux de la boutique de l’Upper West Side. À quelques blocs de là, se dressait,teluncoffretàbijouxrose,laparfumerieCreed–oùelleavaitpassédesheuresàessayer des parfums l’été dernier. Elle avait fini par en choisir un spécialement créé pour la duchesse de Windsor. C’est pour cela, avant tout, qu’Eliza adorait les Hamptons : on y trouvait, dans un cadre plus agréable,lesboutiquesetlestraiteurslesplussélectsdeManhattan.LesHamptonsétaientexactement commeNewYork,saufqu’iln’yavaitqueledixièmedeseshabitants–lehautdupanier.Auxyeux d’Eliza,c’étaitl’équivalentmondaindeHarvard.Biensûr,laplèbecommençaitàenvahirleslieux– desaspirantsàlacélébritéquis’entassaientàcinquantedansdesmaisonslouéesaunoir,oùleslits étaientcolléslesunsauxautrescommedanscessallesdegymdesécolesreconvertiesenhôpitaux lors d’inondations, d’incendies, de tornades ou autres désastres se produisant loin, bien loin des Hamptons. Hélas, ceux-ci attiraient chaque année davantage l’attention des médias. Il y avait eu quantité d’éditionsspéciales,dedocumentairesetde«révélations»surlesujet,traitantaussibiendeslieuxde rencontre pour célibataires que des problèmes écologiques. C’était l’une des cibles favorites des rédacteursflemmardsdespages«société»,quinecessaientdeclamerquelesHamptonsétaientfinis, queplusriennes’ypassaitd’intéressantetquesaplageétait«défiguréeparlacivilisation».Cequi n’empêchaitpourtantpaslesstarsmontantesdeHollywood,lesvainqueursdesGrammyAwards,les vedettesdesitcom,lesagentsderappeurs,lespontesdel’édition,ainsiquelesambitieuxdetoutpoil d’y jeter l’ancre et d’y passer les trois mois d’été. Après tout, une plage de plus de soixante kilomètresdelongàquatrepetitesheuresderoutedeManhattan(deuxsivouspreniezlaroute27et mettiezlagomme,ledimanchesoir,aprèsledîneretLesSopranos)étaituncadeauduciel. –Tupeuxmelaisserlà,ditElizaàKit.Jedoisretrouvermononcleaumoulin. –Trèsbien,approuvaKitentrouvantunendroitoùsegarer. Ilouvritlecoffreetsortitsessacs. –Onteverracesoir,alors? –Ouais,biensûr. –Géant!N’oubliepas...siontedemandequoiquecesoit,tuessurmaliste.Situaslemoindre souciàl’entrée,passe-moiuncoupdefil,dit-ilenfaisantlegestedetéléphoner. Ill’embrassasurlajoue. –Àplus! –Àplus!répondit-elleavecunsignedelamain. Elle se dirigea vers l’arrêt où un bus était en train de larguer ses occupants. Une fille renfrognée,quiessuyaitunetachesurlebasdesonchemisier,sortitduvéhiculeetvints’asseoirà côtéd’elle. Eliza la remarqua à peine. Elle était dans sa bulle, uniquement soucieuse de trouver le moyen d’abandonner son boulot ce soir afin de se rendre à la soirée. Elle ne connaissait pas trop bien les règlesdumétier,maissilafêtecommençaitàminuit,iln’yavaitpasderaisonpourqu’ellenepuisse pasyaller,non?Aprèstout,Kevinnefaisaitquerendreserviceàsonpère.Cen’étaitpascommesi lesPerrys’attendaientréellementàcequ’ellegardeleursenfants. RyanPerry=Adonis enbermuda –Beurk,c’estirrécupérable!selamentaMaraenfaisantunderniereffortpournettoyerlatache. Dégoûtée, elle balança dans la poubelle le mouchoir en papier, dont la trajectoire décrivit un parfaitarcdecercle.Etdirequec’étaitsonchemisierdesgrandsjours!Unjolimélangerayonnepolyester acheté chez Marshall, pour lequel elle n’avait pas déboursé moins de trente dollars ! Sûr qu’iln’étaitplusaussipimpant,maintenantquecepetitmonstredeMuffyavaitfaitpipidessus. Marajetauncoupd’œilàlaronde,ignorantlespittoresquesboutiquesàl’alluredechaumières et aux devantures affichant des noms prestigieux. Sur un cottage à façade blanche, on pouvait lire l’enseigne Tiffany & Co. Sur un autre, Cashmere Hampton. Un spectaculaire assortiment de Mercedes-Benz,Jaguar,BMWetautresPorscheformaitunelenteparaderonronnanteendirectiondu centre-villeoù,aucarrefour,sedressaitunimmensemoulinàvent.Maran’avaitjamaisvudeBentley pourdevrai–etàEastHampton,endeuxminutesàpeine,elleenavaitdéjàrepérédeux. Touslespassantssedéplaçaientd’unpasnonchalant.Desélégantesavecdescarrésdesoieaux coloris psychédéliques noués sur la tête portaient des chiens blancs et pelucheux dans des paniers Hermès. Dans le parc voisin, des hommes dégarnis marchaient bras dessus bras dessous avec des femmes deux fois plus jeunes qu’eux. Des adolescentes gloussantes vêtues en tout et pour tout de mini-robes moulantes et de hautes chaussures à semelles compensées se faufilaient entre les véhicules. –Vousavezl’heure?demandalafilleassiseàcôtéd’elle. Mara eut une seconde d’hésitation. Les longs cheveux blonds, l’expression contrariée, la raquettedetennis...Elleavaitvucettefillequelquepart,maisoù? –Ilestcinqheuresdix,répliquaMaraendétaillantdiscrètementlatenuedelafille. Elle regrettait déjà de ne pas avoir songé à se mettre en jupe courte et en tongs. Elle avait chaussésesbottesdecow-boyencuir,danslevainespoirdefaireboneffet.Latempératuredépassait lestrentedegrésetelleétaitentraindebouillirsurplace. Lafillehochalatêteetconsultasonagendaélectronique. –Jevousdemandepardon...,ditMara. Lablondehaussalessourcilssansquitterl’écrandesyeux. –Vousn’étiezpasàlacapitainerie,cematin? –Non. –Oh,jesuisdésolée...j’auraisjurévousêtrerentréededans. –Non,erreursurlapersonne,répliqualablonded’untonsecensedécalantversleboutdubanc histoired’enfoncerleclou. –Oh,trèsbien.Désolée,ditMara. S’ensuivitunsilenceembarrassé.Assisessurlebanc,lesdeuxfilless’ignoraientsoigneusement. UneAstonMartinVanquishdécapotables’arrêtadevantlebancetaussitôt,ellesseredressèrent unpeu.Ungrandtypebronzévêtud’untee-shirttrouéportantlelogo«Martha’sVineyard»etd’un bermudaraccourciensortit,prenantsontemps,ets’engageapiedsnussurletrottoir.Lerêve,quoi. Lesgarçonscommeluisonttropbienpourmoi,songeaMara.Nonqu’elleencherchâtun–elle avaitdéjàuncopain,là-bas,chezelle.C’estquoi,déjà,sonnom?Jim.C’estça. Biensûr,lebeaugossesedirigeadroitverslablonderevêchequis’étaitmontréetellementmal élevéeuninstantplustôt.Logique. –RyanPerry!Depuisletemps!gloussa-t-elle. –Hé!ditRyanensepenchantetenluifaisantrapidementlabise.Ças’estbienpassé,letrajeten bus? –Queltrajetenbus?JesuisvenueavecKit,envoiture. –Super.Commentilva? –Pasmal.Ilyaunesoirée,aujourd’hui.AuResort,dit-elleenfaisantvolersescheveux,avecun airsuffisant. –Ouais,ouais,jesuisaucourant,répliqua-t-ilavecungrandsourire.J’aireçul’invite. –Jetelaisseraipeut-êtreêtremoncavalier,letaquina-t-elle,sedélectantdesonattention. Ryan Perry était le genre de type sur qui les filles se pâmaient, et que les mecs considéraient comme leur meilleur pote. Si sa beauté fatale participait de son charme, elle ne suffisait pas à l’expliquer:ilavaitcetteprésencesolaire,cecaractèreenjouépropreauxindividusgâtésàlafois parlanatureetparlavie.Ilportaitsonauradeprivilégiéavecnatureletauraitététoutaussiséduisant auvolantd’uneFordPintoqu’auvolantd’unePorsche.C’étaitlegenredegarsquisecomportaitbien avecsespetitesamies,etsurquionpouvaitcompterpourapporterlaplusgrossebouteilledetequila dansn’importequellesoirée.Biensûr,onpouvaitaussicomptersurluipourlavider. Mara les regardait flirter sans que cela suscite en elle la moindre jalousie. À ses yeux, ils venaient quasiment d’une autre planète. Mara s’était toujours sentie « plus ou moins »... « Plus ou moinsjolie»,«plusoumoinsintelligente»,«plusoumoinspopulaire».Maisriendespécial.Si bienquelorsqueRyanPerryprononçasonnom,illuifallutlerépétertroisfoistantelleétaitsurprise d’êtreremarquée–et,afortiori,reconnue.Ellen’étaitpaslaseule.L’autrefillelaregardaitàprésent avecunintérêtnouveau,nondénuéd’hostilité. –Mara?MaraWaters?demandaRyan,enluidonnantl’occasiond’admirersesfossettes–une surchaquejoue...c’étaitplusqueMaranepouvaitendurer! –Heu...moi?glapit-elle. –JesuisRyanPerry,dit-ilenluitendantlamain.Monpèreétaitcensévenirvouschercher,mais illuiafallufaireunecoursepourAnna.Cesonttesbagages?demanda-t-ilensoulevantsonénorme valiseàroulettes. –Heu...oui,confirmaMara,croyantmourirdehontetandisquesavalisecliquetaitsurlepavé. Elle aurait voulu disparaître sous terre lorsque celle-ci se renversa brusquement sur le côté et quelesmagazinesqu’elleavaitfourrésdanslapocheextérieures’enéchappèrent.Ellesejuraquela premièrechosequ’elleferait,unefoissapayeencaissée,seraitdedécouvriroùseprocurerl’unde cesjolispetitssacsentoileàpoignéesquetoutlemondeiciparaissaitarborer. RyanouvritlaportièreafindelaisserentrerMara. –Et...vousavezdéjàfaitconnaissance?demandaRyan. –Oui,réponditMara. –Non,rectifial’autrefille. Ryanéclataderire. –Jevois...Eliza,voiciMara.Mara,voiciEliza.Noussommestousvraimentcontentsquevous venieztouteslesdeuxtravaillericicetété.Depuisdeuxjours,Annanesaitplusoùdonnerdelatête. Quittantlaroute,ils’engageasurlechemind’unepropriétéprivée,signaléeparunepancarte. Surprenantdanslerétroviseurl’expressioninquiètedeMara,Ryanlarassura: –Oh,nevousinquiétezpas.LesMortonnouslaissentl’utiliserautantqu’onveut.Ilyatellement d’embouteillagespariciqu’onnepeutallernullepartàmoinsd’emprunterlescheminsprivés. –Àquiledis-tu!approuvaEliza. Mara hocha la tête. Mais son esprit restait fixé sur les paroles prononcées par Ryan un instant plus tôt : « Nous sommes vraiment contents que vous veniez toutes les deux travailler ici... » Ah ouais ? Visiblement, cette Eliza était beaucoup plus (ou beaucoup moins) intéressante qu’il n’y paraissait. Maraestlevilainpetitcanard deLilyPondLane Ils longèrent une enfilade ininterrompue de haies de trois mètres de haut – à peine Mara distinguait-elle le toit des maisons. Ryan roulait au pas sur la route à une seule voie, adressant de tempsàautreunbonjourouunsignedelamainàdesgroupesmarchantsurleborddelachaussée, chargés d’équipements de surf ou autres sports nautiques. Certains faisaient du vélo sur des bicyclettesdemarqueRaleigh,auxsacochesbourréesdecartonsdebeignetsdechezDreesen.Près d’une voiture sur deux était une décapotable. Eliza passa tout son temps scotchée à son portable, appelantlesunsetlesautresafindelesinformerdesesprojetspourlasoirée. – Hé, est-ce que c’était pas... ? demanda Mara, tournant si brusquement la tête qu’elle faillit se tordrelecou. –Oui,c’estStevenSpielberg.Ilsontunemaisonàcôtédecheznous,versl’étang.Onlescroise toujourschezNick&Toni,précisaRyanavecdésinvolture. Sonpèreavaitsatableattitréedanscerestaurant,l’unedesadressespréféréesdescélébrités. –Waouh!fitMara,s’efforçantdenepasparaîtretropimpressionnée.J’aivuTomHanks,une fois,ajouta-t-elle. –C’estvrai?Oùça?demandaRyan,sincèrementintrigué. –Àl’aéroport,répondit-ellesuruntonpiteux.Ilasignéunautographeàmasœur.Ellel’avait poursuivijusquedanslestoilettes. Ryanéclataderire. – Tom et Rita venaient tout le temps assister aux fêtes de charité de ta mère, pas vrai, Ryan ? demandaElizad’unevoixextrêmementlasse,sedétachantquelquesinstantsdesontéléphone. SesparolesfirentàMaral’effetd’unegifle. Ilslongèrentd’autreshaies,jusqu’àatteindreunealléeprivéequimontaitenserpentantversune imposante demeure blanche, ornée d’énormes colonnes grecques. Au bout étaient garés un monospace Mercedes, une Range Rover, une Corvette décapotable, une Porsche Cayenne et deux scooters.Tuparlesd’unshowautomobile! –Nousysommes!lançaRyanenarrêtantlavoituresurl’alléedegravier. Unelimousineinterminable,dontlesjantestournaientsurelles-mêmesensensinversebienque levéhiculefûtàl’arrêt,étaitgaréedevantlamaison. –MonDieu!s’exclamaMara.Regardez-moiça!Quellevoitureridicule! –C’estuneStretchHummerH2.Letopabsolu,fitremarquerElizad’unevoixagacée. Unchauffeurquittalesiègeavantetparcourutlesquatrelongueursdevoiturepourallerouvrir laportière.Enémergeauneinterminablepairedejambesbronzéess’achevantpardespiedschaussés debottinesenmoutonretourné. Jacqui Velasco savait, de toute évidence, faire une sortie – ou une entrée, si vous préférez – remarquée.Ellelaissalesnouveauxvenusprendreactedesaprésence,puisfitvolte-faceet,avecun déhanchement,sepenchaàl’intérieurdelavoiturepourdireaurevoiràsonbienfaiteur. –Obrigada,dit-elle,toujoursunpeuchancelanteàcausedesinnombrablescocktailsengloutis pendantletrajet. – Non, merci à toi, bellísima, rétorqua Rupert Thorne avec un clin d’œil, l’attirant à lui pour l’embrasser. – Méchant garçon ! fit Jacqui en agitant un doigt, tandis que Rupert léchouillait plutôt qu’il n’embrassaitsonvisage. –Onseretrouveradanslecoin,undecesquatre,promit-il. Passijepeuxfaireensortedel’empêcher,seditJacqui,déterminée.Elleseredressa,claquala portière et se trouva face à Ryan, Eliza et Mara qui l’observaient tous avec des expressions différentes.Ryanavaitl’airamusé,Maraintimidé,Elizaimpressionné. –Ellessontd’enfer,tesbottines!ditElizaàJacqui. Visiblement,songeaMara,çapouvaitpasser,lesbottesenété... – Merci, répliqua Jacqui avec une pointe d’accent. Elles nous sont arrivées direct d’Australie l’autrejour. Puis,souriantàEliza: –Jem’appelleJacquiVelasco. – Eliza Thompson. Ça, c’est Ryan Perry, notre employeur, gloussa-t-elle. Et... heu... je me souviensplusdetonnom...Mary,c’estça? –Mara,corrigeacelle-cid’unevoixferme.(Ellen’avaitpasl’intentiondeselaisserrudoyerpar cetteblondinette.)MaraWaters.Enchantéedefairetaconnaissance. –Tuasfaitcommentpourlesavoir?Tuasdûtemettresurlisted’attenteouuntrucdansce goût-là?demandaEliza,semettantaudiapasondeJacqui. Toutesdeuxsedirigèrentversleseuil,sanscesserdeparlerchaussures,leurslunettesdesoleil identiques portées en serre-tête. Mara, un peu perdue, se demandait si elle devait les suivre et se sentaitdéjàcomplètementhorsducoup. Ryansortitducoffresavalisecabosséeetlatenditàunmajordomeenvesteblanche. –NetelaissepasimpressionnerparEliza,dit-il.Ellepeutêtredésagréable,maiselleaunbon fond.Ilfautdirequ’elletraverseunepériodedifficile. Maranevoyaitpascommentunepareilleposeusepouvait«avoirunbonfond»,maissouhaitait fairebonneimpression.Siseulementellepouvaitnepasrougirchaquefoisqu’illaregardait! Une gamine grassouillette d’une dizaine d’années surgit d’une porte latérale, les cheveux bouclésenbataille.Elleportaitunmaillotdebainrosevif,deslunettesdeplongéeetdespalmes. –Tueslemeilleur!dit-elleenfonçantsurRyan. –MadisonAvenue!s’exclama-t-ilenlasoulevantdanssesbrasetenlafaisanttournoyer. –Arrête!Arrête!gloussa-t-elle.Laisse-moidescendre. Ryanlalibéra. –Hé,disbonjouràMara.Mara,voicimapetitesœurMadison. Madisonseprécipitaàl’intérieur,etRyanetMarasuivirent. – Au fait, fit remarquer Ryan en lui tenant la porte. Moi aussi, j’ai trouvé cette limousine ridicule. Maraneputs’empêcherdesourire,mêmeaprèsqu’ileutdisparu. Commentviventlesgens quibrûlentdesbillets debanquepourseréchauffer –Hé!BienvenueaumanoirdeCreekHead! Une grosse femme mal fagotée, portant un sweat-shirt rose et un portable autour du cou, leur adressaungrandsourirelorsqu’ellesentrèrentdanslamaison. –JesuisLaurie,l’assistantepersonnelled’Anna.Ellen’estpasencorerentréedesaséancede méditation,etm’aparconséquentchargéedevousaccueilliretdevousfairevisiterlamaison. Ellepoussaunpetitcriàlavuedeleurschaussures. –Jesuisdésolée,maisjevaisdevoirvousprierderetirervossouliersavantd’entrer.Leparquet enzebranon’atoujourspasétéhuilé. Laurie expliqua fièrement qu’Anna avait fait venir un artisan d’Amérique du Sud, afin qu’il travailleavecI.J.PeiserandSonssurlaconceptiondesessols.ÀencroireLaurie,ilsfaisaientles planchersdetoutlemonde–bienqueMaracrûtcomprendrequece«toutlemonde»désignaitdes gensquin’avaientriendecommunavecaucunepersonnedesaconnaissance. Elizaronchonna,Jacquiéclataderire,etMararougitàl’idéederetirersesbottesdecow-boy– unedeseschaussettesgrisesavaitunénormetrouauniveaudesorteils.Lauriecontinuaitàcaqueter tandis que, sur la pointe des pieds, elles rasaient les murs du vaste salon. L’un de ses côtés était constituéd’uneimmensebaievitréequicourait,dusolauplafond,surtoutelalongueurdelamaison. –Ça,jenem’enlassejamais!s’extasia-t-elle. Elleappuyasurunboutondanslemur,etlesrideauxautomatiquess’écartèrent,révélantunevue panoramique de la côte atlantique. Les vagues battaient délicatement le rivage et des mouettes se dandinaientlelongdelaplage. –Onleuramisdupainempoisonnépouressayerdes’endébarrasser,maisçanemarchepas, soupiraLaurie.Chhh...Allez-vous-en! Maraécarquillaitlesyeux–lavueétaitàtomberparterre.Elizas’absorbadansl’observationde ses cuticules – elle était déjà venue en tant qu’invitée, et l’ancienne demeure de ses parents offrait quasimentlamêmevue(enmieux,àvraidire,vuquelesvoisinslesplusproches,uncélèbreacteur de Hollywood et sa starlette d’épouse, adoraient prendre des bains de soleil nus sur la terrasse). Jacquibâillait–toutça,c’étaitdelagnognottecomparéauxplagesdoréesd’AngradosReis,surla Costa Verde. Aucune ne se risqua à faire le moindre commentaire sur le plan d’extermination des mouettes. Dans la maison régnait un parfum agréable, quoiqu’un peu étouffant. Partout, on voyait d’énormesbrasséesdefleursfraîches,enbouquetssavammentcomposés.Surlatablebasseenverre sculpté, de luxuriantes roses couleur pêche jaillissaient d’une carafe en cristal. Les dessertes regorgeaient de roses trémières, d’iris et de lys calla. Dans l’entrée, un gigantesque vase Ming contenaitunemagnifiquegerbedetournesolsjaunevif,hautsdedeuxmètres. LeportabledeLauriefitentendreunesonnerieperçante. –IciLaurie.SalutAnna.Oui,ellessontbienarrivées.Non,jen’aipasencorevud’invitationde CalvinKlein.Oh,OK.Jevaisessayer. Elleraccrochaet,s’adressantauxjeunesfillesaupair: –Annavousditbonjour. Ellelesconduisitdanslacuisine,unepiècespacieuseetlumineuse,oùlesboiseriesrustiqueset lesplansdetravailenmarbredissimulaienttoutl’électroménager.Laurieexpliquad’unevoixexaltée que les meubles avaient été fabriqués avec le plancher récupéré dans un château français du XVIIIe siècle. Afin de ne pas trahir cette ligne esthétique, le réfrigérateur, le congélateur et le lavevaisselleavaientétéencastrésetcamouflésdanscesmêmesboiseries.Oh,monDieu!Maradevaitse faireviolencepournepass’extasieràvoixhaute. La cuisine donnait sur une imposante salle à manger où une trentaine de personnes pouvait facilement tenir. Un énorme lustre pendait du plafond extrêmement haut. À côté, se trouvaient une secondesalleàmangerdestinéeauxrepasdetouslesjours,etunepiècedestinéeauxpetitsdéjeuners, avecunpetitcoindouillet.Lerez-de-chausséecomportaitaussiunbassinintérieur,unesalledeyoga etunesalledegymentièrementéquipée.Danslasalledebillard,lacollectiondelivresrépliquait,au volume près, la bibliothèque du roi George – sans exclure une première édition de Shakespeare, conservée dans une vitrine fermée à clé. Laurie en caressa le verre comme s’il s’agissait de son trésoràelle. Commeellesgagnaientlaportesituéeàl’arrièredubâtiment,ellescroisèrentRyanqui,unlivre souslebras,grimpaitlesescaliers. – Comment trouvez-vous la rénovation de la maison ? demanda-t-il. Par rapport à l’année dernière,c’estlejouretlanuit,précisa-t-il,nonsansmélancolie. –C’esttrèsjoli,réponditpolimentMara. Ryanfitunclind’œil. –Laurie,n’oubliezpasdeleurtoucherunmotausujetdumiroirdelasalledebains.C’estla répliqueexactedeceluideMarie-Antoinette,dit-il,nonsansironie. Les filles caressèrent les plus folles attentes quand Laurie leur apprit que la demeure abritait plusieurschambresd’amis.Enfin,onpassaitauxchosessérieuses...Elizaespéraitqu’elleretrouverait lachambrequ’elleavaiteuel’étéprécédent,quandlamaisondesesparentsavaitétédésinfectéepar fumigation. Mais l’assistante à l’étonnante gaieté les fit sortir, les conduisit jusqu’au logis des domestiques(unpetitcottagebienentretenusituéàcinqbonnesminutesdelademeureprincipale)et lesabandonnadansunepièceexiguë,souslescombles. Lecontrasten’auraitpuêtreplussaisissant.Lemobilierconsistaitendeuxlitssuperposés,unlit uneplace,deuxcommodes,unfauteuiluséjusqu’àlacorde.Danslasalledebains,uneampoulenue pendaitauplafond. Unearaignéecourutsurletapiscrasseux,uniqueoccupanteàlesaccueillirdansleurnouveau foyer. Nevousinquiétezpas,lesfilles, c’estuntravaild’équipe! –Plusdedeuxmillemètrescarrés,etfautqu’onsepartageuneseulefichuechambreàtrois? grommelaitEliza,enfumantàlaminusculefenêtredelamansarde. Mara défaisait sa valise en silence. Vu qu’Eliza s’était attribué le lit une place et Jacqui la couchettedudessus,ilneluirestaitplusquelecauchemardesclaustrophobes:lelitdudessous.Mais ellen’étaitpasd’humeuràseplaindre.Elleétaitsidéréeparl’immensitédudomaine–prèsdecinq hectares,avaitpréciséLauriedansunmurmure.Maran’auraitjamaispenséquedespersonnesréelles vivaient ainsi, et que les salles de bains en marbre qui faisaient la taille de sa maison se trouvaient ailleurs que dans des épisodes de Sagas ou de Combien ça coûte ?. Autant qu’elle sache, les Perry n’étaientpascélèbres,cequin’empêchaitpasqu’ilssoientpleinsauxas. –Qu’est-cequ’onpeutyfaire?ditJacquienhaussantlesépaules.Onnenousdemandepasnotre avis. Elleempruntalacigaretted’Elizapourallumerlasienne. –Çavousdérangerait,denepasfumerdanslachambre?demandaMara,agitantlesmainsen signedemécontentement. Pourtouteréponse,Elizafitunronddefumée. Enentendantfrapperàlaporte,lesdeuxfillesécrasèrentleurscigarettessurlasemelledeleur chaussure.Puis,dupied,Elizalespoussasouslelit. –Entrez!s’écria-t-ellegaiement. Unedomestiquevêtued’ununiformeblancetnoirglissalatêtedanslapièce. –MmePerrysouhaitevousvoir.Suivez-moi,jevousprie. Toutes trois furent conduites dans le jardin du manoir, une stupéfiante étendue de verdure entourant une piscine à débordement aux dimensions olympiques, dont l’eau ruisselait en cascade dansunjacuzziàlasurfacebouillonnante.Mararepéra,auloin,deuxcourtsdetennis,unterrainde golfetunterraindebasket.Danssafamille,àSturbridge,lejardinconsistaitenunepetiteparcelle terreuse,délimitée,detouslescôtés,pardugrillagedebasse-cour.Plusieurschaisesypourrissaient pouravoirpassétropd’hiversàl’extérieur,etunvieuxbarbecuetraînaitsousunérableagonisant. Dans le patio, plusieurs gamins se poursuivaient avec des pistolets à eau géants, tandis qu’un petitgarçonportantdesbrassardsdebaincouraitentrelesjambesdetoutlemondeenpoussantdes cris.Aumilieudetoutecetteagitation,setenaituneblondemince,lisseetpimpantedanssonmaillot doréetsesmulesàtalonsaiguilles. –Cody!Cessecevacarme!Çasuffit!Lâchemajambe...Jetedisdelâchermajambe! D’un geste brusque, elle retira les minuscules mains du bambin de sa jambe bronzée pas plus épaissequ’uneailedepoulet. –Pouah!fitlafemme,avecunegrimacededégoût. Lorsqu’elle se redressa, elle se retrouva nez à nez avec un garçon de neuf ans brandissant un pistoletàeau. –Lesmainsenl’air!glapitlegosse. –William!Sij’étaistoi,jenem’aviseraispasde...,lança-t-elled’untonmenaçant. Vainemiseengarde.Ilappuyasurladétente,luienvoyantsurlatêteunpuissantjetd’eau. –MONDIEU!Tun’aspaspristesmédicaments,ouquoi?REGARDEUNPEUCEQUETU ASFAIT!hurla-t-elleenlesaisissantparsesfrêlesépaulesetenlesecouantcommeunprunier. Ilsemitàbrailler. –OK,OK,c’estbon.Jesuisdésolée.Allez,file!conclut-elleenluifaisantsignededécamper. Elleseretournaverslestroisadolescentes,balayantd’ungestedelamainsafrangetrempée. –JesuisAnnaPerry.Jevouspriedem’excuserpourtoutcedésordre,dit-elleavechauteur. Elle serra mollement les mains de Mara puis de Jacqui mais, lorsqu’elle se tourna vers Eliza, sonexpressions’adoucit. –Oh,Eliza,machérie!Tuesbienarrivée.Formidable!s’exclama-t-elle,tendantsajoueàEliza pourquecelle-ciluifasselabise.Commentvatamère?Tulasaluerasdemapart.Elleareçules livresquejeluiaienvoyés? Elizaserralesdentsetsourit. –Oui,Anna,ilssontbienarrivés. Croyant rendre service, Anna avait expédié à la mère d’Eliza plusieurs ouvrages de la série «Guidespourlesnuls»...(J’apprendsàconnaîtrelesvins,Jegèrelesdépensesdufoyer,Jetrouvedu boulotaprèscinquanteans,etc.)Surlacartejointe,elleavaitécrit:«Àprésentquetun’asplusde domestiques,voilàquipourrat’aider,j’espère,àt’adapteràtanouvelleexistence.» – Je suis tellement contente que vous soyez toutes là. J’étais un peu inquiète, à cause des embouteillages.Enfin...commevouslesavez,monmari,Kevin,vousaengagées.Oh,Dieumerci,le voilàquiarrive. Tournant la tête, les filles virent s’avancer vers elles un homme chauve et robuste, vêtu d’un bermudaetd’unechemisehawaïenneparfaitementrepassée. –Kevin,tun’aspasoubliéd’envoyerlabouteilledepetrusànotrehôtessepourlaremercierde sasoirée?OK,parfait.Tuaspayécombien? Illeluidit.Ellefitlagrimace.Çaleurcoûtaitlapeaudesfessesd’entrerdanslesbonnesgrâces desgrandesdamesdesHamptons,maisAnnaétaitbiendécidéeàcoprésiderlacollectedefondsau profitdelarecherchecontrelecancerdesovaires,lemoisprochain. –KevinPerry,dit-il. Ilserrachaleureusementchacunedesmainsqu’onluitendait,ens’attardantunesecondedetrop surcelledeJacqui.Classique,songeacelle-ci.Quisait,çapourras’avérerutile. –Commentvatonpère?demanda-t-ilàEliza. –Toujourspareil,répondit-elleenhaussantlesépaules. –Pourquoinepasnousasseoirici?proposa-t-ilendésignantlatablerondedupatio. Annalesuivitenvacillantsursestalons,etmanquadeglissersurlecarrelagemouillé.Lesfilles s’assirent.Mararemarquaitquel’onavaitfaittournertouteslesvisdelavérandaenteckdefaçonque lesrainuresdeleurstêtesformentunangledroitaveclesplanches.LesPerryattendaient-ilslemême degrédeperfectiondetoutcequilesentourait? –NoustenonsàvousaccueillircommeilsedoitdanslesHamptons,commençaAnnad’unton sec.Commevouspouvezl’imaginer,nousallonsavoirunesoiréetrèschargée.Jemesuisditqu’il seraitbondefaireunpetitbarbecuepourlesenfants,vuquenoussommesle4Juillet.D’habitude, nousorganisonsquelquechosedeplusélaboré,maiscommeplustardnoussommesinvitéschezles Perelman... Elles’interrompituninstant,pourlaisserlenomfairesoneffet...héoui,ilsfréquentaientRon Perelman!LepatrondeRevlon,mariéavecEllenBarkin–letopdutopdugratindesHamptons! Malheureusement,niMaraniJacquin’avaientjamaisentenduparlerdelui.QuantàEliza,elles’en souciaitcommed’uneguigne.Perelmann’avaitpasdegossesdesonâge. – Par conséquent, ce soir, on va faire simple, gloussa Anna. Pas question de mettre les petits platsdanslesgrands.Quelqueshamburgers,ouquelqueshot-dogs.Qu’est-cequevousenpensez? –Oh,c’estparfait,approuvaKevin. –Onaungrillà-derrière.Onpourraitaussifairerôtirduthon,non?Ilyaunesaladed’avocats danslefrigo,quiiraittrèsbienavec.Maislethonn’estpeut-êtrepasassezpatriotique?demanda-telleavecunpetitrire. –Lethonmesembleunebonneidée,hasardaEliza. – C’est de l’albacore du Pacifique. Il vient d’arriver par avion de Hawaii, précisa Anna. Un délice!Onpourraleserviravecunpeudesaucemirin?Commel’annéedernière? Pourfêterle4Juilletdel’annéeprécédente,lesPerryavaient organisé, sur leur plage privée, unegrandesoiréeavecbuffetetserveursenlivrée.Elizaserappelaitl’exquispavédethonservisur desassiettesenargent. –Trèsbien,ditElizaavecunhaussementd’épaules.Avecunpetitvinblanc,peut-être? – Le menu idéal ! Sauf que les enfants ne pourront bien sûr pas boire d’alcool. Et ce sera tellement plus intime ! dit Anna en souriant sans laisser voir ses dents. Le dîner aura lieu à sept heures,vuquelespetitsn’ontpasledroitdemangeraprèslecoucherdusoleil. –S’ilteplaît,machérie,onpeutenrevenirànosmoutons?demandaKevin –Biensûr,biensûr,réponditAnna. – Nous tenons à souligner qu’il s’agit d’une collaboration. Vous faites désormais partie de la famille.Appelez-nousAnnaetKevin,jevousprie,dit-il.Nousvoudrionsquecesoitl’occasion,pour nosenfants,depasserunétéformidable.Jecroisqu’onvatousbiens’amuser,pasvrai?conclut-ilen faisantunclind’œilàJacqui. –Maiscelanenousempêchepasd’avoirdesobjectifs,continuaAnna.Pourcommencer,ilya William.Onadiagnostiquéchezluiuntroubled’hyperactivitéavecdéficitd’attention.Ilnetientpas unesecondeenplaceetoublieconstammentdeprendresesmédicaments.Cetété,ildoitàtoutprixse calmer. Il faut qu’il apprenne à se tenir tranquille ou bien, à l’automne, ils ne le reprendront pas à Saint-Bernard. Elleleurpassalalistedesmédicamentsàluifaireprendrequotidiennement. Marafixaitlaprescription,éberluée.Neufans,etdéjàdrogué? Eliza n’était nullement déconcertée. Certes, le traitement de William était plus lourd et plus compliqué que celui que son père prenait tous les jours pour le cœur, mais c’était ça de nos jours, d’être parents... Et, sur cette pensée, son regard se perdit dans le vague. Qu’est-ce que je vais me mettrepourlafêtedecesoir? Jacqui s’impatientait. Quand pourrait-elle enfin partir à la recherche de Luca ? Quand cette sauterelleblondeva-t-elledonccesserdejacasser? – Ensuite, Madison doit perdre du poids. À mon avis, elle a sept kilos à perdre. Les gosses peuventêtresicruels,etjerefusequemafillesoit«lagrossevache». Elle ne fit pas le signe d’ouvrir et de fermer les guillemets avec ses doigts, mais tous les perçurenttrèsnettement. –J’aicommencéàluifairesuivreunrégimeàhuitcentscalories,poursuivit-elleenleurtendant undépliantdétailléavecinformationsnutritionnellesetnombredecaloriespouruneportiondonnée. J’aimerais vraiment mieux qu’elle ne mange que des aliments crus. Cela a réellement amélioré ma digestion,etc’esttrèssain,commemanièredevivre. Elle tendit soudain le cou, comme un chien sur la piste d’une mauvaise odeur, et hurla, en directiondelapiscine: –MADISON!Posecebiscuit.Pose-leimmédiatement!Tuveuxêtreunegrossevachetouteta vie,ouquoi? Desalimentscrus?serépétaitMara.C’estquoi,cedélire? LedosnuChristianDior?rêvassaitEliza.OuledébardeurGucci? J’aisoif,donnez-moidel’eau,songeaitJacqui,haletante.Toutcewhiskybudanslavoiturelui donnaitunegueuledeboisprématurée. –ZoëasixansetelleentreenCPàl’automne.Jetiensàcequ’elleapprenneàlirecetété.Onl’a envoyée dans les meilleurs jardins d’enfants et pré-jardins d’enfants, et elle ne sait toujours pas l’alphabet.C’estterriblementgênant,fitremarquerAnnaensecouantlatête. Sixans.Elleapprendàlire.Pigé,songeaMara. OubienlaminijupeDolce&Gabbana,sedemandaEliza. Jacquiétaitàdeuxdoigtsdetournerdel’œil,tantelleavaitsoif.Elleagrippalesbordsdeson siègepournepaschanceler. –QuantaupetitCody...,repritAnna,avecuneexpressionadoucie,ilfautqu’ilsurmontesapeur del’eau.Toutdemême,noussommesdanslesHamptons...etilrefusedes’approcherdelapiscine! Quoi d’autre ? Ah oui, le règlement intérieur. Le couvre-feu est à minuit. Idem pour les jumelles. Vous avez fait la connaissance de Ryan. Vous pouvez vous servir de n’importe quelle voiture disponibleetvousenaurezbesoin,pourallerenvilleetaccompagnerMadisonetZoëàleurscours de danse classique et de yoga, et pour conduire William chez ses trois psychothérapeutes. Tous les dimanches,nousferonslepointdesprogrèsdelasemaine.Vousserezpayéesentroisfois,etvous recevrez le premier règlement d’ici quelques semaines. À part ça, nous n’avons pas vraiment beaucoupderèglesici. Ehbien,c’estbonàsavoir,sedisaitMara. Dieumerci,songeaitEliza. Del’eau!pensaitJacqui. –Pourfinir,jetiensabsolumentàcequevouspassieztoutestroisunmerveilleuxétéennotre compagnie.Commenousl’avonsditdansl’annonce,ceseraleplusbelétédevotrevie!Prenezle tempsdevousinstaller.Onseretrouveplustard,pourlebarbecue? –Çavaêtresuper,ditMara. –Onseralà,assuraElizaàl’attentiond’Anna. Thongrillé,saladed’avocats?Elleenavaitdéjàl’eauàlabouche.Jacqui,elle,acquiesçasans unmot. –Ciao,ditAnna,enagitantlamain. Onlescongédiait,detouteévidence. –Heu...machérie?demandaKevinPerry. –Oui? –Tunepensespasqu’ilseraitbondeleurprésenterlesenfants? Iln’yapasdefumée sansfeu –Alors,commentvoustrouvezlamèrePerry?demandaElizalorsqu’elleseurentregagnéleur chambre. – Problema. Des femmes comme ça, j’en vois des tas dans mon magasin. Meu deus ! Jamais satisfaites. –Commentas-tuconnulesPerry?demandaMaraàEliza. –C’estunelonguehistoire. Elizahaussalesépaules.Qu’est-cequeçapouvaitbienleurfaire? –MonpèreétaitavecKevinàl’université.Ilaappelépoursavoirsij’étaisdisponiblecetété.Si j’aiaccepté,c’estjustepourrendreservice.Jeconnaiscesgosses.Devéritablespetitespestes.Sij’ai unconseilàvousdonner,c’estdenepaslesapprocher. Pascommode,songeaMara,vuqu’onaétéembauchéespourveillersureux. –QuantàAnna,c’estunevraiesorcière.C’estlasecondeépousedeKevin.Cody–celuiquia troisans–estleseulenfantquisoitd’elle.LesautressontceuxdeBrigitte.Elleétaitfolle.Annaétait l’assistante personnelle de Kevin. Et sa maîtresse depuis des années, expliqua Eliza en se regardant danslemiroir. Débardeurblanc,minijupeàsequins,sandalesblanchesavecrubansmontantjusqu’àmi-mollet. Oui,ceseraitparfaitpourcesoir.Jacquienfilaunjeantaillebasseetuntopmoulant.Maraquittason chemisierpuantpourpasseruntee-shirt,unshortetdestennis. Secondeépouse.Beaux-enfants.Assistantespersonnelles.Maîtresses.C’enétaittroppourMara. Que venait-elle faire dans ce soap de douzième zone ? Elle était encore en train de se demander commentelleparviendraitànepasdépasserles37,5°C,enchauffantlesalimentsdeMadison«pour enconserverlespropriétésessentielles». Au coucher du soleil, toutes trois se dirigèrent vers la piscine, où une forte odeur d’essence flottaitdansl’air.Prèsdubarbecuefumant,étaiententassésdessteakshachésdansleuremballage,des petitspainsausésame,etdequoifairedeshot-dogs.Nevoyantpersonnedanslesenvirons,lestrois filles se mirent à table – laquelle avait été dressée pour le dîner : nappe en lin blanc, couverts en argentmassif,assiettesenporcelaine... –Elleapourtantbienditseptheures?demandaEliza. –Oui,confirmaMara,nonsansinquiétude. Quelquechosenetournaitpasrond.Jacquiseleva. –Ilestoù,levin,àvotreavis? Elle farfouilla dans la glacière qu’elle trouva à côté des bougies à la citronnelle en pots. Soudain,lesquatregossessurgirentdansl’encadrementdelaportevitrée,réclamantlanourritureà grandscris: –Çasentbizarre,fitremarquerWilliamenremuantlenezdevantlebarbecuefumant. –Ilyaquelquechosequibrûle?demandaMadison. –J’aifaim!ditZoë. –Moiaussi,rétorquaEliza. Quesepassait-ildonc?Oùétaitlanourriture? –Camillemefaisaittoujoursundoublecheeseburger,ditMadison.Avecdestasd’oignonsetde cornichons. –Quic’est,Camille?demandaMara. –Elleétaitlàilyatroisjours,réponditMadisonentriturantsaserviettedetable.Maiselleafait unebêtiseetelleaétéobligéedepartir. C’est alors qu’Anna s’avança nonchalamment, en fredonnant un air. Elle portait un paréo pardessussonbikinietuneorchidéeplantéedanssachevelure(pasencoretotalementremisedel’attaque àpistoletàeaudeWilliam). –L’invitationdit«PagnesetVahinés»gloussa-t-elle,enentrantdanslepatio.N’est-cepasque c’estamusant?J’aicommandécettetenueàMichaelKorstoutspécialement. Kevinlasuivait,vêtud’unsmokingclassiquepar-dessussachemisehawaïenne. –Alors,toutlemondeestcontent?demandaAnna. –Non!grommelaWilliam.Iln’yarienàmanger! –Onafaim!pleurnichaMadison. –Commentça?ditAnna,s’avançantpourvoirceladeplusprès,ettrouvantlestroisfillesau pairassisesdevantdesassiettesvides. –Commentsefait-ilqueriennesoitencoreprêt?Jemesouvienspourtantbienvousavoirdit qu’onfaisaitunbarbecuecesoir. –Oh!s’exclamaMara. Elless’étaientfiguréêtreinvitéesaubarbecue.Aucuned’entreellesn’avaitsaisiqu’ellesétaient censéeslepréparer. –Vousnousaviezditd’êtreiciàseptheures,ditElizad’unevoixfaible. La prise de conscience du malentendu s’accompagna d’un silence glacial. Anna fronça les sourcils. –Heu...Ehbien...Kevinetmoidevonsdetoutefaçonnousrendreànotresoiréedansquelques minutes,çanechangedoncpasgrand-chose.Après,vouspourrezlesemmenersurMainBeach,pour yadmirerlesfeuxd’artifice. – Pas de problème. On s’y met tout de suite, dit Mara en se plantant près du barbecue et en tendantunespatuleàJacqui. – Et n’oubliez pas le thon, pour Madison, leur rappela Anna en quittant le patio avec force claquementsdetalonssansmêmeavoirditbonsoirauxenfants. –Maman!Maman!Jeveuxmamaman!criaCody,quandelleeutdisparu. –Chut...chut...,fitMarad’unevoixapaisante.Maraestlà. MaisCodycontinuaàhurler. –Onn’estpasdanslam...,commençaEliza,avantdeseraviser,tandisquedelagraissegiclait sursajupeetqueJacquilaissaitbrûlerunsecondsteakhaché. Mara chercha le thon des yeux. Elle se demandait s’il était bien prudent de le servir cru à Madison.Lepoissonn’avait-ilpasbesoind’êtrecuit?Maradécidadenepasytoucher.Avecunpeu dechance,Annaneverraitpasqu’elleavaitenfreint,dèslepremiersoir,larègledesalimentscrus.Il luifaudraitsesouvenirdedemanderàMadisonquiétaitCamille,etpourquelleraisonelleavaitété renvoyée. –Ilsn’ontpasdecuisinier?demandaMara. Elleavaitremarquéunetellequantitédedomestiques. –Oh,si.Unchef.Maisilnecuisinepaspourlesgosses,àcequ’ilsemblerait.C’estsansdoute tropbaspourlui. Eliza haussa les épaules. Le personnel tatillon, elle connaissait. Laurent, leur ancien cuisinier français,refusaitdepréparerautrechosequedelagastronomie.Ilpiquaitdescriseschaquefoisque sonpèreluidemandaitunsteakcuitàpoint.Samèreavaitfiniparleremplacerparquelqu’undeplus accommodant. –Hé,vousn’avezpasvuleresteduthon?demandaEliza. –Ilyajustecemorceaurikiki,ditMara. Jacquihaussalesépaules.Elleavaittrouvéunpackdebièressouslescannettesdesoda,ets’en étaitouvertune. –Unebièreallégée?proposa-t-elleauxautres. Eliza secoua la tête. Elle défit frénétiquement les emballages de tous les paquets, mais tous contenaientdelaviandehachée.Pasdethon.Detouteévidence,Annan’avaitpasvouludonnerdes perlesauxpourceaux... Ellepritsoudainconsciencedesaconditionréelle:onl’avaitinstalléedanslegrenier,nondans unechambred’amis.Onluidonnaitdeshamburgersàmanger,nondespavésdethon.Ellen’étaitpas chez les Perry en tant qu’invitée. Eliza Thompson, ancienne coqueluche des Hamptons, n’était plus qu’uneemployéedemaison. MainBeach: pourEliza,pasquestion deselaisserabattre LaplageétaitaussipeupléequeCentralParkunsoirdeconcertgratuit.Lefeud’artificeavait commencé et, alors que les fusées s’élevaient en sifflant vers le ciel, les accords de la Cinquième Symphonie de Beethoven jaillissaient des haut-parleurs installés pour la circonstance. Des piqueniqueurs raffinés assis sur des nappes à carreaux faisaient sauter les bouchons de champagne, se délectaient de homards d’un kilo et demi, et prenaient et envoyaient des photos avec leur portable, afin d’indiquer aux derniers arrivants où ils se trouvaient. Nul ne leva les yeux vers elles. Tous avaientmieuxàfaire:sautillersurlescouverturespoursefairechaleureusementlabise,etéchanger dediscretscoupsd’œilsurleursmodèlesrespectifsdesacsMurakamiàmotiffloral. Grâce à l’opiniâtreté d’Eliza, les trois filles au pair s’assurèrent une position de tout premier choixausommetdelacolline.Aprèsavoirtrouvécetteplace–delatailled’untimbre-posteetsituée entredeuxcouverturesensoiejacquardrigoureusementidentiques–Elizafitensorted’étendreleur territoire:ellelaissaCodybrailleràpleinspoumons,tandisquelesfuséesexplosaient.Riendetel qu’unbambinirritablepourpousserlescélibatairesnombrilistesdesHamptonsàdégagerlavoie. Marasurprenait,malgréelle,desbribesdeconversation. –Commentsontlesraviolisàlatruffenoire?demandaunefemmeàsesinvitésenleurtendant des assiettes en porcelaine remplies de pâtes fermes et brillantes, noyées sous une béchamel crémeuse. –Exquis.Etlacervelledecanutestdivineavecleriesling. –Quelqu’unaapportélesjumellesdethéâtre?s’enquitunautreentendantlamain. Ellen’avaitjamaisvupersonnepique-niquerainsi.Chezelle,lespique-niquesétaientconstitués d’un ou deux sandwichs, d’un sachet de chips et d’une bouteille de soda. Et non de quatre plats accompagnés de quatre vins différents. S’arrachant à la contemplation du festin d’à côté, elle se retournaverssonpropregroupe. –Madison,oùas-tutrouvécettebarrechocolatée? Madisonlevalesyeux,l’aircoupable,etfourralatotalitédelabarrechocolatéedanssabouche. Marasecoualatête.Ilfaudraitqu’elletrouveoùlagamineplanquaitsacame,oùc’enétaitfinipour elles.Ellecomptarapidementlesenfants.Un,deux,trois...Paspossible! –William!Eliza,Jacqui,est-cequevousavezvuWilliam? Toutesdeuxhaussèrentlesépaules. –Vousdeux,restezici.Jevaisessayerdeleretrouver,ditMaraensentantlapaniquel’envahir. Ellearpentasoigneusementlesalentours,appelantl’enfantd’unevoixaussidoucequepossible. – William ? murmurait-elle. William ? Où es-tu ?... Désolée, désolée, ajouta-t-elle en contournant,surlapointedespieds,ungroupebruyantdetypesBCBG,vêtusdetreillisetdesandales desportassorties,quitiraientsurleurscigaresetacclamaientlesprouessespyrotechniques. – Pas de problème ! Pourquoi ne pas vous joindre à nous ? proposa l’un d’entre eux en lui offrantungobeletenplastiqueremplidechampagne. –Nonmerci,réponditMaraensecouantlatête.Àvraidire,jechercheunpetitgarçon. – Il y a que des grands garçons ici, reprit le type avec un clin d’œil. Allez, restez un petit moment. Ilavaitdanslesvingt-deuxans,lesjouesrouges,etneparaissaitpasunmauvaisbougre.Mais Mara ne s’intéressait pas aux garçons plus âgés (et encore moins aux garçons plus âgés aussi immaturesquedesados). –Jenepeuxvraimentpas.Jetravaille. –Ahoui,vousfaitesquoi? –Jesuisfilleaupair. Àpeineeut-elleprononcécesmotsqu’ilchangead’attitude.Illadétailladepiedencap. – Dans ce cas, vous n’avez aucune raison de refuser de nous tenir compagnie. Ce n’est pas commesivousaviezunvraiboulot,pasvrai? Marapivotasursestalonssanssedonnerlapeinederépondre,affreusementblessée. –William!!!hurlaMara,aucombledel’irritation,necraignantguèredecauserunesclandre. L’hyperactif de neuf ans finit par reparaître, en faisant des bruits d’avion et en poussant des braillementschaquefoisqu’unefuséeexplosait. – Ne refais jamais ça, tu m’entends ! gronda Mara. Tu ne peux pas filer comme ça ! C’est dangereux! – TU N’AS PAS À ME DIRE CE QUE JE DOIS FAIRE ! cria William. TU N’ES PAS MA MAMAN! –Jesaisquejenesuispastamère,maisjetravaillepourtamère. –Non.TutravaillespourANNA!éructaWilliam. Unefoisderetourparmilesautres,Mararépétacequeluiavaitditl’étudiantpropresurlui. –Quandj’aidit«filleaupair»,c’estcommesij’avaisditquejefaisaisletapin. Elizalevalesyeuxauciel.Elleauraitdûlamettreengardecontrel’usagedel’expression«au pair». –Laplupartdecesjeunesloupsdelafinancequitraînenticisefigurentquelesfillesaupair sontdescoupsfacilesquin’ontrien,oupasgrand-chose,àfaire.Évite-lescommelapeste:ilslouent desmaisonsenpréfabriquéàWestHamptonetneméritentpasqu’onleuraccordelemoindreintérêt, luiconseillaEliza. Madisonsortitdesapocheunepochetteenplastiquepleined’oursonsgélifiés.Ellefonçadansla brècheouverteparsonfrère. –Lesautresfillesaupairétaientbeaucoupplusgentilles. –Uneseconde!répliquaMara.Quellesfillesaupair? Zoëajoutasongraindesel: – Camille, Tara et Astrid. Elles s’occupaient de nous parce que Nounou est retournée en Angleterrecetété. –Qu’est-cequileurestarrivé?demandaEliza,n’ytenantplusdecuriosité. –Ellesontétérenvoyées,réponditWilliamd’unevoixjoyeuse.C’étaitmarrant. Serrantsesgenouxcontrelui,ilserappelaleslalomdelaPorscheCayennedanslesruesd’East Hampton, le coup de frein brutal devant l’arrêt de bus et les gros mots proférés par sa mère lorsqu’elleavaitjetéleursbagagesparlaportière. –Renvoyées?demandaMaraavecunpincementaucœur. Unetelleéventualiténeluiavaitmêmepastraversél’esprit.Sicelaseproduisait,ellepourrait direadieuàlafac–fauted’avoirdequoipayersesdroitsd’inscription. Renvoyées?songeaEliza.Sûrqueçacompliqueraitlasituation.Elleétaitcenséepassertoutl’été ici.Pourvuqu’onnelaréexpédiepasdeforceàBuffalo!QuantàJacqui,ellenesesouciaitguère d’êtrerenvoyée.Ilfaudraitjustequecesoitaprèsqu’elleeuttrouvéLuca. –Ellesmemanquent,ditZoë.Taraavaitpromisdemefairedestressesaujourd’hui. –Maisqu’avaient-ellesdonc...? Mara n’avait pas eu le temps de finir sa phrase qu’un pétard particulièrement assourdissant explosa,etqueCodyseremitàbrailler. –Oh,monDieu,tuneveuxpasleprendredanstesbras?Qu’est-cequ’onfaitdanscescas-là? –Chhhh...chhhh...,fitMara. Ellelepritsursesgenoux,lecalmaets’efforçadefredonneruneberceuse. –Celle-ciditqu’elleafaim,ditJacquienmontrantMadisondudoigt.Ondevraitpeut-êtrelui donnerquelquechoseàmanger?suggéra-t-ellequandMaraavaitledostourné. –Ilyaquoi,danslepanier?demandaEliza. –Deschips. –Ouais,super,fitElizaavecunhaussementd’épaules. –Hétoi,ditJacquientendantleschipsàMadison,c’estquoitonnom? –Madison.CommeMadisonAvenueàNewYork,réponditfièrementlapetitefille. –Ah,ditJacqui.Moi,jem’appelleJacarei.Chezmoi,c’estaussilenomd’unlieu. MaiscepremieréchangefutinterrompulorsqueMaralevalesyeux. – Hé, où est passé William ? William ! Reste ici ! Sur la couverture ! Ne bouge pas ! s’écria Mara, de sa plus belle voix de déléguée de classe. Zoë, trésor, regarde-moi toutes ces couleurs ! N’est-cepasquec’estjoli? Puis,rassurantCody: – Tout va bien bébé, ce ne sont que des pétards. Je sais, ils font beaucoup de bruit, mais c’est rien. Quelquesminutesplustard,touslesgaminsétaientregroupésautourdeMara,quiavaitpasséun brasautourd’eux. –Regardezça!Ledrapeauaméricain!Vousavezdéjàvuquelquechosed’aussibeau?demanda Maraauxpetitesfillesqui,fascinées,regardaientfixementlecielnocturne. Les deux garçons sommeillaient sur la couverture ; William épuisé d’avoir couru après les libellules,Codydanssapoussette,suçantsonpouce. Elizaconsultasonportable.Ohoh.Ilétaittempsdebouger. – Hé, vous savez quoi ? Faut que je file. Je dois retrouver des amis..., commença Eliza en essuyant,sursesgenoux,lestraceslaisséesparl’herbe. –Pardon?demandaMara. –Tuvasoù?s’informaJacqui. –Àunesoirée.Tuveuxvenir? –Sim,acquiesçaJacquienselevant. –Ouais,aprèstout,tucontrôlespasmallasituationici,pasvrai,Mary?demandaEliza. Mais sans laisser à Mara le temps de répondre, Eliza et Jacqui se mirent à dévaler la colline aussirapidementqueleleurpermettaientleurstalonsaiguilles. AuResort: lasoiréelapluscourue desHamptons,dumoins jusqu’àlasemainesuivante ElizarespiraungrandcoupenparcourantdesyeuxlafouledevantleResort.Environcinqcents personnesjouaientdescoudespourserapprocherducordonrougedel’entrée,etunevingtainede limousinesgaréesdanslacontre-allées’apprêtaientàdébarquerleurscélèbrespassagers–quandil ne s’agissait pas simplement de m’as-tu-vu. Des femmes fines comme des cure-dents, au décolleté ravageur et au visage recouvert de couches de fond de teint, vêtues de débardeurs aux couleurs criardesetdejupesmoulantess’arrêtantaugenou,sefrayaientuncheminsurlegravier,perchéessur leurs sandales à hauts talons. Leurs petits copains, des types plus âgés à l’allure prétentieuse, exhibaient,outreleurbronzageartificiel,d’énormesbraceletsenorsurleurspoignetsvelus. Deuxprojecteursorientésverslecieléclairaientlascènecommeundécordecinéma.Plusieurs RP débordés s’efforçaient de maîtriser la foule tandis que des videurs carrés d’épaules de cent cinquantekilosfusillaientduregardlesfêtardstropimpatients. Elizaforçalepassagejusqu’àl’entrée,arméedesmotsmagiques:«Jesuissurlaliste!». –ElizaThompson,hurla-t-elleàunefilleassailliedetoutespartsetcoifféed’uncasque. Aprèsavoirpasséenrevuedesfeuillesetdesfeuillesdenoms,lafilleditsèchement: –Vousn’êtespassurlaliste.Rejoignezlafiled’attente. –ParmilesinvitésdeKitAshleigh? –Fallaitlediretoutdesuite,quevousétiezsurlalistedeKit!maugréalafille.C’estquoi,déjà, votrenom? –ELIZATHOMPSON! –Ah,vousvoilà. Lafillefitsigneaugorilledelalaisserpasser.Àcontrecœur,celui-cirelevalecordonrouge. ElizapritJacquiparlebrasettoutesdeuxfurentpropulséesversl’intérieurdelaboîtedenuit. À l’intérieur, la soirée battait son plein, et Jacqui éprouva ce frisson d’excitation qu’elle avait coutume de ressentir dans tout endroit nouveau, inexploré, voire un peu dangereux. Elle passa la languesurseslèvres,excitéed’avance.ElleétaitcertainequeLucasetrouvaitlà,quelquepart.Ellele sentait. –Attends!ditElizaensaisissantJacquiparlebras.Jevoismesamislà-bas. Kitétaitassissurlaplusgrandebanquette,aumilieudelasalleVIPbondée.Sonvisages’éclaira lorsqu’ilaperçutEliza. –Liza! – Kit-Cat ! gloussa-t-elle, lui faisant la bise comme s’ils ne s’étaient pas vus à peine quelques heuresplustôt. –Tunemeprésentespastonamie?demandaKit,écarquillantlesyeuxàlavuedeJacqui. –JacquiVelasco.ElleestvenueauxÉtats-Unispoursesétudes...ellevitdanslafamilledemon oncle,ditElizaavantqueJacquiaiteuletempsd’ouvrirlabouche. Duregard,ellelasuppliadejouerlejeu. –Sim,acquiesçaJacqui,toutensongeantC’estquoi,cedélire? –Cool,ditKit.Ettuétudiesquoi? –Ledesign,réponditJacqui. –L’anglais,lançaenmêmetempsEliza. Ellesseregardèrent.Elizaeutunpetitrirenerveux. –Ledesignanglais,c’estbiença,Jac? –Toutcequetuvoudras,concédaJacqui. Elle était trop occupée à fouiller la salle du regard dans l’espoir d’y voir son bien-aimé pour prêterattentionauxparolesd’Eliza.MaistoutdemêmeassezpoliepoursourireàKitquilaregardait avecunairextatique. –C’estpastroptôt!s’exclamaTaylor,lapetiteamiedeKit,enseglissantentresonhommeetla bombelatino. –Tevoilàderetour!s’écriaLindsay,uneautreamievenuesejoindreàeux. –Ah,mescopineschéries!ditEliza,d’unevoixtriomphante. Une telle quantité de gens venaient la serrer dans leurs bras et lui faire la bise qu’elle avait l’impressionqu’onvenaitdelanommerreinedubaldefind’année.Saufqu’elleseseraitfaittuer plutôtquedeparticiperàquelquechosed’aussiringard.Disonsquec’étaitsamanièreàelled’être reinedubal:margaritasglacées,champagnecoulantàflots,beauxgarçons,chaussuresélégantes,et voituresencoreplusclassegaréesdehors. –Machérie,tuesresplendissante!ditTaylor,d’untonadmiratifetnondénuédejalousie. –Tudoistepriverdetout!ajoutaLindsay,spécialisteducomplimentàdoubletranchant. –Charlieestlà?demandaElizad’unevoixunpeutropimpatiente. –Pasencore.Pourquoi?s’enquitLindsayenplissantlesyeux. –Pourrien.C’estjustequeceseraitsympadelevoir,ensouvenirdubonvieuxtemps,répliqua Elizaenhaussantlesépaules. LindsayetTayloréchangèrentunregardcomplice. –Ehbien,regardezquiestlà!susurraunevoix,derrièreleseauàchampagne. Uneblondeauxyeuxenamandeetàlamouemauvaiselesjaugeaavecfroideur.Elleportaitun béretrose,deslunettesd’aviateuretunminitee-shirtdévoilantunventreparfaitementplat. –Sugar!ditEliza,ensepenchantpourluidirebonjour. –Attention...jeviensdemefairefaireunbrushing,répliquaSugarPerryensedétournantavant qu’Elizaaitpus’approcherdavantage. –Commentvas-tu?demandaElizaenseglissantàcôtéd’ellesurlabanquette. Sugarétaitlafillelapluspopulairedulycéeprivéd’Eliza.Dumoins,depuisledépartd’Eliza. –Jevaisbien,réponditSugard’unevoixtraînante. Ellepritunecigarettedanslepaquetd’Elizaetlatapotacontresamain. –J’enaitellementassezdetoutça. –Jesais,c’estvraimentrasoir.Touslesans,c’estlamêmechose. Elizasavaitquec’étaitlachoseàdiredanslesHamptonsmêmesi,aufond,elleétaitravied’être deretour. –Tuasundecesbols,quetesparentst’aientenvoyéeenpensionnat.Cequejedonneraispour pouvoiréchapperauxmiens! –Onpeuttoujoursrêver!interrompitunevoix,aussirauquequecelledeSugar. Levantlesyeux,ElizavitPoppy,sasœurjumelle,quisetenaitau-dessusd’elles. –Eliza,terevoilàparminous,ditPoppyd’unevoixblasée. Commesasœur,elleavaitdegrandesmèchesblondesàlaDonatellaVersaceetuneindolence pleinedeséduction.MaisalorsqueSugaravaittoutd’unepin-up,Poppy–plusgrandeetplusjeune dedeuxminutes–paraissaitpluscandide.Sugarétaitsexy.Poppyétaitmignonne,sansplus. Constatantqu’iln’yavaitplusdeplacesurlabanquette,Poppys’affalasurlesgenouxd’Eliza, sans la moindre hésitation. Celle-ci n’eut pas le courage de protester. Elle craignait trop d’avoir à répondreàdesquestionsgênantes.TayloretLindsay,reléguéesausecondplan,faisaientminedene passesoucierqu’ElizaleseûtaussirapidementremplacéesparSugaretPoppy. De son côté, après avoir sifflé deux coupes de champagne et papoté un peu avec les amis d’Eliza,Jacquis’étaitremiseàfouillerlasalleduregard.Touscesgensétaientplutôtagréableset,de touteévidence,riches...maisdepuissarencontreavecLuca,Jacquisesouciaitmoinsdecegenrede choses. Autrefois, elle se serait sans doute frayé un chemin jusqu’à ce bel homme frisant la quarantainequil’observait,àl’autreboutdelasalle.Jacquin’ignoraitpaslesavantagesqu’offraitla fréquentationd’unhommeplusâgé(bonjourlesnotesdefrais!),maisLucaavaittoutchangé.Pour unefois,elleétaittombéesuruntypequil’aimaitréellementpourcequ’elleétait,etpasseulement poursonphysique. Jacquijetauncoupd’œilalentour,évitantleregarddel’hommeplusâgé,quilafixaittoujours. Jevoistonallianced’ici,songeait-elle,lorsqu’ellecrutdistinguerdesrayuresfamilières.Était-ce...? Impossible... C’était absolument impossible... mais autant s’en assurer. Elle se leva, releva sur ses hanchessonjeantaillebassequirendaitfacultatifleportdesous-vêtements,etsemitàsuivreletype grandetmincequiportaitlachemisederugbyqu’elleconnaissaitsibien. Retouràlaplage: quandElizaboit,Maratrinque Mara n’en revenait pas qu’elles lui aient fait un coup pareil le premier soir. Elle rangea la nourrituredanslepanieràpique-nique,ens’efforçantdenepasquitterdesyeuxlesun...deux...trois... quatregamins.Dieumerci,lecompteétaitbon! –Allez,lesenfants,suivez-moitous! –Veuxpasm’enaller!Veuxzouerdehors!geignitZoë. –Onpeutallerparlà-bas?Ilyadesglaces,ditMadisonentirantMaraparlamain. – Pourquoi tu veux de la glace, espèce de Peggy la cochonne ? Peggy la cochonne ! la railla William,enfaisantdesbruitsavecsonaisselle. –William!...William! –QUOI??? –Arrêteçatoutdesuite!grondaMara. William,quis’amusaitvisiblementbeaucoupàtorturersasœur,éclataderire.Madisonétaitau borddeslarmes. –Hé,monpote,c’estpasgentil,tusais? Levantlesyeux,MaravitqueRyanPerrysetenaitprèsd’elle,sonskatesouslebras.Ilportaitun sweat-shirtauxcouleurspasséessursonshorteffiloché.IlsouritàMarapuis,posantlamainsurla têtedeWilliam,fitpivoterlepetitgarçon. –DemandepardonàMaddy. –Chuisdésolé,marmonnaWilliam. Madisontiralalangue–pleinedechocolat–àsonfrère. –J’aivuElizaetJacqui,là-bas,àlamaison.Jemesuisditquetuauraispeut-êtrebesoind’un coupdemain,expliqua-t-il. –Oh...c’estvraimentgentil.Àvraidire,toutsepassebien,dit-ellealorsque,Williamayantfait unepriseàMadison,tousdeuxtombaientetcommençaientàdévalerlapente,endirectiondel’océan. –Non...non...non...revenez!hurlaMara. – Ne t’inquiète pas, ils n’iront pas bien loin, la rassura Ryan en ramassant le panier à piquenique. – Hé, super, tu as apporté le Scrabble ! dit-il en remarquant le jeu de société au milieu des Tupperware. –J’aipenséqueçapourraitêtredrôle,tusais,pourapprendrel’alphabetàZoë,expliquaMara enhaussantlesépaules.Jel’aitrouvédansleplacarddenotrechambre. –Tujouesbien? –Jesuispasmauvaise,réponditMaraavecunsourire. –Jepariequejetebats. – Oh, c’est pas si sûr... Je suis la pro des « mot compte triple ». Je connais tous les mots qui commencentparlalettrex. –Tous?demandaRyanenécarquillantlesyeux. –Mets-moiàl’épreuve. –Jerelèveledéfi. –Topelà!conclutMaraensouriantdeplusbelle. Ryanfourralejeusoussonbrasquitenaitleskateboardtandisque,del’autre,ils’occupaitdela poussettedeCody.IlfitmonterZoësursesépaules. –Relève-toi,Ryan!dit-elle. –Accroche-toi,Zo. Tousquatremarchèrentencontrebas,versl’endroitoùlesdeuxminuss’affrontaientsanspitié. –WILLIAMADDISONPERRY!MADISONALEXANDRAPERRY!rugitRyan. WilliametMadisonsefigèrentaussitôt. –Çasuffit!ordonnaRyan. – Tu n’es pas vraiment en colère, hein, Ryan ? demanda Madison, en lâchant prise et en se relevantpourprendrelamaindesongrandfrère. –Moi!moi!moi!pleurnichaWilliam,s’efforçantdetrouverluiaussiuneprise. CommeRyann’avaitplusdemaindisponible,ilsaisitleborddesontee-shirt. –Vas-ymollo,mongrand,ditRyan. IlsregagnèrentlaRangeRover.Ryanrangeasonskateàl’arrièreet,aprèsavoirparcouruprès deunkilomètre,ilsatteignirentlamaison. –Jesuisdésolédeleurmauvaiseconduite,maiscen’estvraimentpasleurfaute.Personnene leuraapprisoùétaientleslimites. –Lesgamins?demandaMara.Net’inquiètepas,j’aieuaffaireàpire. Maraluiparladucauchemardesonquartier–TommyBaker,huitans,connupoursamaniede s’enfermerdanslestoilettespendantdesheures,etden’ensortirquelorsqu’ilentendaitsesparents garerlavoituredansl’allée.Tommy,quifaisaitpipiparterreàlasecondeoùilsentraient. – Chaque fois que je l’ai gardé, il m’a fait le coup. Et ses parents ne m’ont jamais donné de pourboire. –Lessalopards!ditRyan. –Regarde!murmuraMaraensetournantverslabanquettearrière,oùtouslesenfantss’étaient endormis.Ondiraitdesanges.Onnes’imagineraitpasque... Maralaissasaphraseinachevée–ilétaittoutdemêmeleurfrère. Ryanleurjetauncoupd’œildanslerétroviseur. –Desangesauxfiguressales,suggéra-t-ilengratifiantMarad’unsourirefranc. Ilss’arrêtèrentdansl’allée.MaraportaCodyjusqu’àsonlit,tandisqueRyanconduisaitletrio ensommeilléàleurschambres. –J’aideuxoutroiscoupsdefilàpasser.Onseretrouvedanslacuisine,dit-il.Çateditdefaire unepartietoutàl’heure,MmeX? –Ouais,biensûr. –Tunevaspastedéfiler,hein? –Non,promit-elleenrougissantunpeu. Ellebordalesgaminset,aprèss’êtreassuréequetousquatreavaientabordéaupaysdessonges, descenditàlacuisinesurlapointedespieds. –Hé,çayest,ilsdormentcommedesmarmottes...tuveuxsortirleScrabble?Ryan?Ryan? appela-t-elleenchuchotant. Mais elle ne le voyait nulle part. Elle erra quelques instants dans les pièces plongées dans l’obscurité,espérantqu’ilallaitmiraculeusementsurgirdel’uned’elles. Maisilétaitintrouvable.Marasentitsabonnehumeurlaquitter.Lemaldupayslasaisitsoudain, au milieu de la cuisine immaculée, lorsqu’elle aperçut un post-it sur l’une des vieilles boiseries françaisesqui,conclut-elle,dissimulaitforcémentlefrigo: «M.:Jesuisdésolé,ledevoirm’appelle.Onferalapartieunautrejour?–R.» Bien sûr, il avait mieux à faire. Ou plutôt, quelqu’un de mieux à voir, pensa Mara avec une ombredejalousie.Ellesortitsonportableetcomposaunnuméro. –Jimmy?Tunedorspasencore?C’estmoi,Mara. RetourauResort: Jacquial’œil, pourcequiestdestissus Jacquisefrayarapidementunchemindanslafoule,sansquitteruninstantlesrayuresdesyeux. Son cœur battait à tout rompre. Elle haletait. Il n’y avait pas moyen d’y échapper, non ? C’était le destin. Ça devait arriver. Elle n’avait rêvé que de ça, depuis qu’elle s’était réveillée seule dans sa chambredeSãoPaulo...Ceslargesépaules,cettenuquecouverted’unfinduvetsoyeux...cettenuque qu’elleavaitembrasséetantdefois... Elleavançadesdoigtstremblants,posalamainsursondos. –Luca? Jacqui n’en croyait pas ses yeux. C’était lui ! Luca, avec sa peau pâle constellée de taches de rousseur,sachevelureblonddoré,sonbeauregardvertderrièreseslunettesd’intellobranché. –Luca?dit-elled’unevoixétranglée. –Excusez-moi... LukeVanVarickseretournaavecunpetitsouriresuffisant.Ilécarquillalesyeux,puislescligna, nesachantpastropcommentréagir.Puisillagratifiad’undemi-sourire. – Jacarei ! dit-il en se penchant pour lui embrasser le front. Qu’est-ce que tu fais là, nom de Dieu? –Jetravailleici,réponditJacquienriant. Elleétaitsiheureusequ’ellecriaitpresque.Luca!Ici!AuxHamptons! –Ici?demanda-t-ilendésignantlapisteaveclapailledesongin-tonic. Ilvacillaitunpeuetsonhaleinesentaitl’alcool. –Non,enhautdelarue.Jesuisfilleaupair. –Ça,c’estcoolalors!Jenesavaispasquetutravaillaisaveclesgosses.Jecroyaisquetuétais justevendeuse. C’esttotalementdélirant,songeaitJacqui.Onnes’estpasvusdepuisdeuxmoisettoutcequ’il veut,c’estpapoter?Aprèstoutcequ’onavécuensembleàSãoPaulo? –Écoute,çateditpasdesortir?demandaLukeenparcourantlasalledesyeux. –Sim,réponditJacqui. Voilàquicollaitmieux!Elleluipritlamain.Ellel’aimait.SonLuca.Ellelesuivraitn’importe où. Quelquesminutesplustard,Jacquiluitenaittoujourslamaintandisqu’ilralentissaitsurlaroute deMontauk,auniveaudeBridgehampton,oùsetrouvaitlademeuredesesparents.Laquellen’avait rien à envier à celle des Perry. Luke la conduisit jusqu’à l’entrée privée de son appartement – un quatre pièces situé dans « son » aile. C’était la classique piaule de célibataire, avec baby-foot d’origine,consoleMissPacMan,cibledejeudefléchettes,panierdebasketetlingesalerépanduun peupartoutsurlamoquette.Ilappuyasurlatouched’unetélécommandeetunetélévisiond’unmètre cinquantesurgitdusol.Jacquis’assitsurleborddulitetpromenasesregardssurtoutessesaffaires –sestrophéesdefootball,sonordinateurG4,unpanneauoùétaientfixéesdesphotosdesesvoyages autour du monde. C’était donc ici qu’il vivait. Qu’il dormait. Elle dévorait tout cela des yeux... désireused’enapprendreautantquepossiblesurletypequiétaitparvenuàtouchersoncœuretàla chamboulerdespiedsàlatête. Lukesetenaitdevantelle,unebouteilledevodkaàlamain.Ilenbutunelampée.Ilavaitpassé sonautremainsoussachemise,etsegrattaitleventre.Illacontemplait,leregardenflammédedésir: –Tusais,tuesencoreplusbellequedansmonsouvenir,dit-ilenposantlabouteilleetentendant lesdoigtsversl’interrupteur. –Tutesouviensdequoi,encore?demandaJacquid’unevoixenjouée. Unefoisleslumièreséteintes,Lukes’affala,brasetjambesécartés,surl’édredonenduvetd’oie. Jacqui se blottit contre lui. Il l’enlaça d’un bras, et elle posa la tête sur son torse. Elle l’écoutait respirer,heureusedelesentirànouveausiproche. –Jemesouviensdeça,dit-ilenluipassantundoigtsurlajoue. Ellesentitbientôtsamainglisserverssonsein,enépouserlescontoursàtraversl’étoffedeson chemisier, puis s’insinuer lentement dans l’échancrure. Elle ne portait pas de soutien-gorge, et ses doigtsétaientfroidssursapeau. –Oh...Luca,dit-elleenseretournantpourl’embrasseràpleinebouche. Ill’attiraau-dessusdeluietl’étreignitdetellemanièrequ’ellesentaitgrandirsonexcitation. Ils s’embrassèrent avec voracité, de façon si rapide et si pressante que Jacqui avait peine à reprendresonsouffle.Pendantcetemps,Lucatiraitsursonchemisier.Pourfinir,illeluifitpasser au-dessusdelatête,etlejetadansuncoindelapièce. Elleserenditcomptequ’elletremblaitunpeu–illuiavaittellementmanqué.Ellen’avaitrien voulu,riendésiréd’autredepuisqu’ill’avaitlaisséeseuleàSãoPaulo. Elleseredressa,lecontempladehaut.Mainsenlacées,ilsseregardaientfixement. Leclairdelunerévélasoudainunephotographieposéesurlatabledenuit. C’étaitsonLuca,souriantauxanges,unbraspasséautourd’unefille. –Oh... Jacqui se figea, lâcha les mains de Luca. Celui-ci voulut lui toucher le visage, mais elle le repoussa. –Quic’est?demanda-t-elleendésignantlaphoto. – Oh, ça ? Personne, dit-il en haussant les épaules et en retournant le cadre. Quelqu’un que je fréquentaisavantdeterencontrer,riendeplus. Jacquirespira.Maiscelaavaitcassélamagiedumoment.Elleroulasurlecôtéetseglissasous lesdraps. Illarejoignit,pressantsontorsecontresondos.Commençaàl’embrasserentrelesomoplates, lapartielaplussensibledesoncorps.PuissamaindéboutonnamaladroitementlejeandeJacqui,et sesdoigtsdescendirent. –Pascesoir.D’accord,bébé?demandaJacquienserrantsamainetenlamaintenantauniveau desataille. –Mmmmm?fitLuked’unevoixensommeillée.Tuessûre? –Oui,oui. –Mmm...OK. Ilsdemeurèrentquelquesinstantssilencieux.Jacquiécoutaitsonsoufflerégulier. –Luca?Jet’aime,chuchota-t-elle. Ilsn’avaientjamaisprisletempsdesedirecela,aucoursdecesdeuxsemainespasséesàSão Paulo. MaisLukeronflaitdéjà. Ducôtéd’Eliza: dublanc,durouge etungroscoupdeblues – Eliza, on bouge..., annonça Sugar, interrompant sa conversation. Elle se tenait en dehors du cercleetfaisaitclaquersurlesolsesmulesàtalons. –Onteretrouveàlasortie,luilançaPoppy,ignorantlesregardsservilesdel’assistance. Lesdeuxsœursseretirèrentd’unpasaltier,conscientesquetousavaientlesyeuxfixéssurleurs fessesaugalbeparfait. –Désolée,toutlemonde.Onseretrouveplustard?demandaEliza. –Tulogesoù?s’enquitLindsay,faisantlegestedepasseruncoupdefil. – Chez mon oncle... heu... à Sagaponack. Il est sur liste rouge... mais ne vous inquiétez pas, je vousappelle,ditElizaenposantsonverre.Sugar!Poppy!Attendez-moi! Elles’élançaàleurpoursuite,lesrattrapantaumomentoùlesjumelless’étaientarrêtéesafinde poserpourlespaparazzisrassemblésdevantl’entrée.Elleattendit,hésitante,horsdeportéedesflashs. – Hé... pourquoi on n’en ferait pas une avec votre copine ? demanda l’un des photographes, remarquantElizaetl’invitantàprendrelaposeaveclesjumelles. Elizasecoinçaentrelesdeuxsœurs,avecunsourireembarrassé. –Magnifique!LestroisGrâces! Lespaparazzismanifestèrentleuradmirationpardessifflements. – Ça suffit maintenant, décréta Poppy lorsque l’employé du parking apparut au volant de leur monospaceMercedes. Illeurtintlaportièreetleurtenditunticket. – Oh, non... j’ai laissé mon portefeuille à la maison, dit-elle en tapotant son sac à main et en jetantdescoupsd’œilimpatientsàlaronde. –Nemeregardepas!ditSugar.Tusaisquejen’aijamaisdeliquidesurmoi. – Attendez, j’en ai, lança Eliza en fouillant dans sa pochette Louis Vuitton en cuir épi. Ça fait combien? –Quarantedollars,miss. Nom de Dieu... L’équivalent d’une demi-journée de salaire ! Eliza régla la note de parking pendantquePoppys’installaitauvolant. –Jememetsàl’avant!criaSugar. Lesfilless’engouffrèrentdanslemonospaceetPoppysemitàtripatouillerl’écranduGPS. –J’aijamaiscompriscommentmarchecetruc,marmonna-t-elletandisque,desenceintes,fusait lavoixdeJustinTimberlake. Sugar était sortie avec lui pendant une minute et aimait prétendre que cette chanson lui était dédiée, même si ce n’était pas vrai. Elle plaqua ses mains sur le toit ouvrant et poussa des glapissements,tandisqu’ellesfaisaientleurgrandesortie. –Cequec’étaitchouette!criaElizasurlesaccordsdeRockYourBody. Elle était ivre, grisée, folle de joie d’être de retour. Après avoir passé le printemps enfermée danssachambreparcequ’ellenesupportaitpasl’idéedepasserunesoiréedeplussurunterrainde sportmouillé,àboiredelabièreallégée–laseulechosequifaisaitofficedeviesocialeàBuffalo– Elizasesentaitredevenueelle-même. –C’étaitgénial,cetendroit!dit-elle. –Turigolesouquoi?C’étaitpleindenullards,sifflaPoppy. –TuasvucethonenGuccidel’annéedernière?surenchéritSugar.Plusringardetumeurs. Elizatiradiscrètementsursaminijupe,qu’ellen’avaitpasvraimentachetéelaveille.Ellesejura d’écumerlesboutiquesdanstroissemaines,dèsqu’elleauraittouchésonpremierversement. –Alors,qu’est-cequevouscomptezmettrepourlasoiréedePuffDaddy?demandaPoppy,en grillantunfeu.Oberonditquelesinvitéssontobligésdeporterdubleu,dublancetdurouge. –Cequec’estnaze!ditSugardansunbâillement. –C’estauClubPlayStation2,non?glissaEliza. –C’estpaslàqueJenniferLopezafêtésonanniversairelasemainedernière?demandaSugar d’untonrêveur.Jecroisquecen’estmêmepasouvertaupublic. –Apparemment,mêmeBradetJenniferontdûappelerpourréserver. –Géant! Eliza tendit le cou entre les deux sièges avant. Elle mourait d’envie de revoir de véritables célébrités.Dutempsoùellehabitaitencoreàl’angledela63eRueetdeCentralPark,elleleurprêtait àpeineattention.VoirJuliaRobertshéleruntaxiouSarahJessicaParkerpromenersonbébédanssa poussettefaisaitpartiedudécorquotidien.Allezdonctrouverdequoisusciterl’intérêtdelapresse peopleàBuffalo... – C’est ta rue, non ? demanda Poppy en s’arrêtant dans une allée privée, à quelques blocs du club. –Heu...Àvraidire... –Vousn’avezpaslouévotremaison,quandmême?s’enquitPoppy,enécarquillantlesyeux. –Ehbien...commentdire... –Allez,crachelemorceau!ordonnaPoppy. –Enfait,c’estchezvousquejedors,ditpiteusementEliza. –Hein?s’exclamaPoppy,tandisqueSugarluienvoyaitungrandcoupdecoudedanslescôtes. – N’en veux pas à ma sœur, elle est fâchée avec les bonnes manières. Bien sûr que tu peux pioncercheznouscesoir.Tupeuxnousemprunterquelquechose.Tufaisdu36commemoi,non? –Non...cen’estpasça...enfaitjesuisplusoumoins...ehbien...Kevinaappelémonpèrel’autre jour.Ilm’ademandésijepouvaisaiderAnnaàs’occuperdespetitscetété,achevaElizad’unevoix tremblante.C’estpaslafindumonde. Sauf que pour les jumelles, ça l’était. Ce que leur avait dit leur père au sujet des soucis des Thompson leur revint à l’esprit. Non qu’elles y eussent accordé beaucoup d’importance sur le moment... –Oh!ditSugar.(Lespiècesdupuzzles’assemblaientdanssatête.) –Jetedemandepardon?demandaPoppy,seretournantsousl’effetduchoc. Lemonospaceroulasurundosd’âneettoutestroistouchèrentletoitduvéhicule. –Ohhé,surveillelaroute!ditSugarenfoudroyantsasœurduregard. –Désolée,répliquaPoppy.Tuesunedesfillesaupair?demanda-t-elleàElizaenluijetantun coupd’œildanslerétroviseur. –Plusoumoins,reconnutEliza. Unsilencedemauvaisaugureaccueillitsesparoles. –Mmm...Ehbien,çavaêtremarrant,non?D’êtretoutestroisenfinréunies!s’exclamaSugar d’untonjoyeux. Lavoitures’engageadanslapropriétédesPerry.Poppysegaradansl’alléeetcoupalecontact. –Nousyvoici!lança-t-ellegaiement. – Bon, je monte en vitesse. Je dégote quelque chose de patriotique, je me change et on se retrouveici?suggéraElizaenouvrantlaportière. –Tusaisquoi?Jenetiensplusdebout!lâchaSugardansunbâillement. –Moinonplus,ditPoppy.MonDieu,c’estquelasoiréeaétélongue! –C’estvrai,concédaEliza. –Jecroisqu’onferaitmieuxd’allerdormir.Onanotrecoursdetennisvraimenttôtdemain,pas vrai,Pop?demandaSugar.Alors,àplus,Eliza. –Bonnenuit,ditEliza,s’extirpantdelavoitureetposantunpiedmalassurésurlegravier. –Bonnenuit,rétorquèrentlesjumelles,déjààmi-chemindelamaisonprincipale. Elizasedirigeaversl’alléepavéeetouvritleplusdélicatementpossiblelaporteducottage.Elle s’efforçaitdenepasfairedebruitet,àvraidire,yparvenait.Maisalorssontalonsepritdansletapis et elle s’étala de tout son long. Lorsqu’elle heurta une table de nuit avec un bruit sourd, la lumière s’alluma. –Qu’est-cequisepasse,bordel?demandaMaraenclignantdesyeuxcommeunhibou–elle n’avaitpassesverresdecontact. Ellechaussaseslunettesetconsultasonréveilàaffichagenumérique. –Eliza,ilestdeuxheuresdumatin! –Etalors?rétorquaElizaenserelevantetenselaissanttombersursonlit.Ilesttôt! –Pourtoi,peut-être,rétorquaMara.Maisilyenaquiontbosséaujourd’hui.Qu’est-cequivous aprisdevoustirer?Hé,tuessoûleouquoi? –NomdeDieu,gémitEliza.Faisuneffort,Mara!Jenesaispascommentt’annoncerça,mais onestauxHamptons...tusaisis? –Jelesais,répliquasèchementMara. Onnediraitpas,songeaEliza. –OùestJacqui?demandaMara. –Jen’ensaisrien.Sansdouteàs’éclaterquelquepart,contrairementàd’autres,répliquaEliza. Tuasloupéunesupersoirée. –Jen’aipasétéinvitée,répliquaMara. Exact.Elizasesentitsoudainmalàl’aise.Elleavaitoubliécedétail.Cen’étaitpastrèsgentilde sapart,alorsqu’elleavaitunbonfond–si,si.Elleétaitjusteunpeunégligente.Maisfallaitbienque quelqu’unrestepoursurveillercessalesgosses. Elleretiraprécautionneusementsondébardeur,s’extirpaavecdifficultédesajupeetpassason caraco en soie préféré et un pantalon de pyjama Brooks Brothers. Elle était encore grisée par sa soirée. Lorsqu’elle aperçut un bout de la piscine, éclairée par les lumières de l’allée, une idée lui traversal’esprit...lepackdebièresqueJacquiavaittrouvéétaitencoredanslaglacière. – Hé, Mar, ça te dirait pas qu’on..., commença-t-elle, en se tournant vers sa camarade de chambre. MaisMaras’étaitdéjàrendormie.Décidément,cettefilleétaitunepetitesainte. Elizaselaissatombersursonlit.Àpeineavait-elleposélatêtesurl’oreillerqu’elledistingua, au-dehors,unronronnementqu’elleneconnaissaitquetropbien.Non,paspossible!sedit-elleense redressantbrusquement. –Monte!ordonnalavoixrauquedeSugar. ElizaseprécipitaàlafenêtreetvitPoppy–vêtued’undébardeurrouge,bleuetblancetd’un jean blanc – se ruer hors de la maison en jetant des coups d’œil furtifs, par-dessus son épaule, au cottage des jeunes filles au pair. La gorge nouée, Eliza vit la voiture faire une discrète marche arrière,tousfeuxéteintsjusqu’àcequ’elleeûtquittél’alléepours’engagersurlaroute.C’estmoiqui aiinventécetruc!songeaEliza. Ellesallaientàlasoirée,commeprévu. C’étaitbiensympadetraîneravecelledansuneoudeuxsallesVIP,maisquandils’agissaitde passerauxchosesvraimentsérieuses,ellen’étaitplusqu’unboulet. Lavéritélafrappadepleinfouetet,l’espaced’uneminute,elleeutlasensationd’êtrederetourà Buffalo, et de passer un vendredi soir de plus cloîtrée dans sa chambre. Personne ne lui avait demandédefairepartieducomitéd’organisationdubaldulycée,bienqu’ellefût,detouteévidence, la plus élégante de sa classe. Ils l’avaient tous prise pour la reine des snobinardes quand elle était arrivée,poursonpremierjouraulycée,avecunevesteenvison.Mais,mincealors,c’estqu’ilfaisait unfroiddecanardlà-bas! Cetétépromettaitd’êtredifférent.Elleétaitcenséeêtredenouveausouslefeudesprojecteurs, retrouversavieillebandedepotesetl’existencedoréequiavaittoujoursétélasienne.Ellesefigurait queSugaretPoppyétaientsesamies. Ellerepensaàlasoiréeécoulée,cherchantdessignesavant-coureurs.Ils’étaitpassécietça.Elle avaitbutantetplus.Ilneluienrestaitplusqu’unbrouillardchargéd’effluvesd’Envy,leparfumde Gucci. Maisellesesouvenaitd’undétailprécis:lesjumellesnel’avaientmêmepasremerciéed’avoir payélevoiturier. Unejournéebrûlante àlaplage Marasecoual’épauled’Eliza.Ilétaitpresquemidi,etelles’inquiétait.Jacquin’étaitpasdansles parages et Eliza avait dormi toute la matinée. Mara s’était chargée seule de faire petit-déjeuner les enfantsdanslademeureprincipale(unpamplemoussepourMadison,despancakessansglutenpour ZoëetWilliam,durizsouffléécrasépourCody). –Quelleheureilest?demandaElizad’unevoixpâteuse. –Midi.Dépêche-toi.Annaveutqu’onamènelesgaminsàlaplage.Ilssontdéjàdanslavoiture. Elizaronchonnaensehissantsurlesoreillers.Ellejetauncoupd’œilàlaminusculechambre mansardée.Qu’est-cequejefichedoncici?sedemanda-t-elle.Etpuis,celaluirevint.Jesuisdansles Hamptons.JetravaillecommefilleaupairchezlesPerry.MonDieu.Cequec’estdéprimant! –OùestJacqui? Marahaussalesépaules. –Jenecroispasqu’elleaitdormiici,répondit-elleavecunenuancededésapprobation. –Tantmieuxpourelle!ditElizadansunbâillement. Elle se dirigea à petits pas vers la salle de bains pour aller se préparer, lorsque Jacqui fit son entrée. –Olameninas!s’exclamaJacqui,visiblementeuphorique. Elle était fraîche et radieuse, bien qu’elle portât toujours, comme Mara ne manqua pas de le remarquer,sesvêtementsdelaveilleausoir. Marafronçalessourcils. – Anna est dans tous ses états. Je vous suggère de nous rejoindre d’ici cinq minutes dans la maison,moietlesgamins,sivousnevoulezpasavoirdegrosennuis. Mara leur en voulait du sale tour qu’elles lui avaient joué et était décidée à ne plus se laisser marchersurlespieds.Ellesortitcommeunefurie.ElizaetJacquiéchangèrentunregardconsterné. –Qu’est-cequ’elleaànousprendrelatête,celle-là?demandaEliza. Mincealors,ellen’avaitpasprojetédepassersesvacancesavecuneploucdechezploucqui,de plus,étaitvisiblementdugenreàmoucharder. Jacquihaussalesépaules.Lematin,Lucaetelleavaientlargementrattrapéletempsperdu,etelle était toujours sur un petit nuage. Elle arborait quelques suçons sur le cou, marques de leurs retrouvaillespassionnées. –Elleabesoind’umamante.D’unamant,diagnostiquaJacqui. C’étaitsasolutionàtouslesproblèmes.Depuissestreizeans,Jacquin’avaitjamaisétéenpanne depetitami:c’étaitnécessaireàsonbien-être. –Onenesttouteslà!soupiraEliza. Ellessechangèrentet,unefoisleursshortsetmaillotsdebainsenfilés,rejoignirentMaraetles enfantsdansl’allée.Williamsautillaitsurlegravier,Codybraillaitdanssonsiègebébéetlespetites, assisesaufonddumonospace,avaientl’airdesemorfondre. –William!Montedanslavoiture,s’ilteplaît,suppliaMara. –Allez,viens!ditElizaensoulevantWilliametenlefourrantàl’intérieur.Tuasintérêtàbien tetenir,situveuxpasquejet’inscriveaucoursdedanseclassiqueavectessœurs. Çalecalma.Mararegrettadenepasyavoirsongé. Elizasedirigeaversl’avant. –Jevaisconduire.Jesaiscommentonyva. Mara hocha la tête, reconnaissante. Ils s’entassèrent dans le véhicule et Eliza les conduisit à GeorgicaBeach.EllesdéposèrentJacquiausnackpourqu’elleachètedequoidéjeuner,etElizalui indiquaoùlesretrouver.Ellesparvinrentànepasperdredegaminenroute,etElizadégota,surla plage,uncoinsuffisammentéloignédel’endroitoùtraînaitsavieillebandedecopains.Elleétendit lesserviettesets’allongeadansuntransat.Ellesouffraitd’uneterriblemigrainedueauxexcèsdela veille, et les gémissements des gosses n’arrangeaient rien. Mais bon Dieu, ce que c’était bon de retrouverGeorgica! MaracoiffaCodyd’unchapeauàlargebordetsemitàtartinerlesfillettesd’écrantotal.Une foisMadisonetZoëbienprotégées,elletentasachanceavecWilliam. –Restetranquille!Nebougepas!Fautquej’enmettesurtondos!suppliaMara. MaisWilliamcontinuaitàfairedesbondsetàsetortillerdanstouslessens. –J’abandonne!soupira-t-elle. Ellejetauncoupd’œilàlaronde.Elizas’étaitendormiesursondrapdebain.Jacqui,qu’elles avaient déposée au snack près d’une heure plus tôt, n’était toujours pas revenue. Comme c’était surprenant! –Qu’est-cequiluiestarrivé?demandaEliza,horrifiée,quandelleseréveilla,quelquesheures plustard,etvitlevisagerougeetenflédeWilliam. –Dequoituparles?répliquaMara. ElleavaiteutellementàfaireaveclesfillesetCodyqu’ellen’avaitpasremarquéqueWilliam étaitentraindecuire.Elles’étaitsentiesisoulagéelorsqu’ilavaitcessédejouerdanslesvaguespour s’étendre sur une serviette, qu’il ne lui était pas venu à l’esprit que cela était un chouia inhabituel, venantdupetitgarçon. –Jemesenspasbien,ditWilliam. Tout son corps était cramoisi, à l’exception de quelques traces de main, là où Mara était parvenueàpasserunpeudecrèmeprotectrice. –Tun’asjamaisentenduparlerd’écrantotal?demandaElizad’unevoixaccusatrice. –J’aiessayédeluienmettre.Maisilnevoulaitpastenirenplace,ditMarad’unevoixfaible. Elleposalamainsurlefrontdel’enfant. –Ilestbrûlant! –C’estuneinsolation.J’aivudestouristesàquic’estarrivé,c’estpasbondutout.Ilfaudrait l’amenerchezledocteur,commentaJacquienconstatantlesdégâtsd’unœilcritique. Lesfillesfurentprisesdepanique.Williamcommençaàhaleter.LecœurdeMarabattaitàtout rompre.Ellepritlegarçondanssesbrasetcourutàlavoiture.ElizaetJacquirassemblèrentsacset gaminsrestantsetleuremboîtèrentlepas. Àl’hôpital,ilslaissèrentunWilliamfiévreuxetsansconnaissanceauxbonssoinsd’unegentille infirmièreetd’unaimabledocteur,etconfièrentlestroisautresàLaurie,quilesavaientretrouvées surplace. –JenedirairienàAnna.Pourlemoment.Maisappelez-moi,sic’estnécessaire,dit-elled’un tonsévèreenregagnantsonvéhicule. –C’estmafaute,murmuraMara. Elle s’en voulait terriblement d’avoir négligé l’enfant. Que Jacqui et Eliza eussent elles aussi leurpartderesponsabiliténeluiauraitmêmepastraversél’esprit. –C’estvraiqu’iln’apasvoulurestertranquille,concédaEliza. Elle n’irait pas plus loin dans le mea-culpa. N’empêche qu’elle s’inquiétait vraiment pour le gosse...etpasseulementparcequ’ellesrisquaienttoutestroisdesefairerenvoyer. Jacquichuchotaunebrèveprière.Ellenonplusn’avaitpaslaconscienceenpaix,ayantfiléen doucedéjeuneravecLuca. Elles patientèrent dans la petite cour faisant office de salle d’attente, en se demandant si elles devaientounonappelerAnna.Maradisaitoui.Elizadisaitnon.PourfinircefutJacquiqui,d’un«Ce qu’elleignorenepeutpasluifairedemal»fitpencherlabalanceducôtédunon. Le docteur réapparut avec de bonnes nouvelles. Insolation sans gravité. Rien qui ne puisse se guérir avec des poches de glace, une bonne réhydratation et du repos. Tout juste si elles n’acclamèrentpasWilliamlorsqu’ilsortitencourant,aussiturbulentqu’àsonhabitude. Elizaluiébouriffalescheveux. –Tunousasfaitunedecespeurs! –Laprochainefois,tutelaisserasfaire?demandaMara. Pourtouteréponse,Williamarboraunsourireradieux.Jacquileserradanssesbras. –C’estquoi,cequetuassurlecou?luidemanda-t-il. Jacquirougit. Elles espéraient, en rentrant, ne pas croiser Anna. Raté. Elle revenait justement de chez le coiffeur,etellegarasavoituredevantlamaisonaumêmemomentqu’elles. –Quelqu’unpeutsedonnerlapeinedem’expliquer?demanda-t-ellelorsqu’ellevitWilliam. –Mmm...c’estl’écrantotal.Jecroisqu’iln’estpasassezpuissant,expliquatranquillementEliza. –Maisilvabien,ajoutaJacqui.Pasvrai,Will? Williamsecontentadesourireetdemontrerdudoigtsonsuçon.Pasdedoute,ilétaitremis. –Lesmarquesqu’ontrouveenpharmaciesontvraimentinefficaces,ditElizaenchatouillantle snobismed’Anna.Maisilyenaun,fabriquéàZurich,quiestàtomberparterre. – Commandez-en pour demain, dit Anna, avant de pivoter sur ses talons sans même avoir dit bonjourauxenfants. Les trois filles poussèrent un soupir de soulagement. Et William détala, comme s’il ne s’était rienpassé. Derrièrelesboiseriesd’époque, lesfillesontfiniparrepérer leminibar Deux semaines après que les jumelles l’eurent laissé tomber, avant la soirée du club PlayStation2,Elizasetenaitdevantlelavabodelabuanderie,oùelletentaitderetirerlestachesde bouesurlatenuedetennisdeSugar.Ellen’étaitpaspréparéeàçalorsqu’elleavaitditàKevinPerry qu’elle«leurdonneraituncoupdemainaveclesgamins,cetété». L’affront de Poppy et Sugar l’avait atteinte de plein fouet, mais elle s’était débrouillée pour retournersurledevantdelascènegrâceàsesvieillescopinesTayloretLindsay,quiavaientaccèsà touteslesmondanitésdelaville,desinaugurationsdeboutiquesauxavant-premièresdefilms.Elles passaienttoutesleurssoiréesdansuneboîtedifférente,évitantstratégiquementlesjumellesPerry.Il étaitplusdifficiled’ignorerleurexistenceàl’intérieurdelamaison,oùlespetitespestesblondesne cessaient de lui imposer des tâches ingrates. Eliza ne s’en affligeait pas vraiment, vu que Sugar et Poppy ne s’étaient pas avisées de révéler sa nouvelle condition au reste de la clique. Était-ce par négligence,ouparindifférence?Elizan’enavaitpaslamoindreidée,maisleurétaitreconnaissante dusursisaccordé–enpublic,toutaumoins. –Voilà,dit-elleenexaminantàlalumièrel’étoffesalie.Çadevraitaller. Sesonglesétaientfichusmaisellen’auraitpas,àsonréveil,àentendreSugarluidemander,de savoixéraillée,pourquoisajupedetennisn’étaitpaspenduedansleplacard.Ellesedirigeaversla cuisine,oùMara,assisedevantunbol,manipulaitunepetitechoseverteavecprécaution. –Qu’est-cequetufais?demandaEliza. –Àtonavis?J’épluchelesraisinsdeMadison,expliquaMaracommes’iln’yavaitriendeplus naturelaumonde. –C’estpasvrai,nomdeDieu! Elizan’enrevenaittoujourspasdecequ’ellesétaientparfoisobligéesdefairepourcesgosses. Mara saisit le raisin et en retira soigneusement la peau. Le bol contenait deux douzaines de spécimensainsipelés. –OùestJacqui?demandaEliza. –EllefaitdînerCody.C’estsontour. Et,pourunefois,Jacquiétaitlàpourl’assumer. Elizafitlagrimace.Tuparlesd’unecorvée!Lesfillesavaientapprisànepassetenirdansla lignedetirlorsqueCodyvomissait,aprèschaquerepas. –Merda!s’exclamaJacquiendéboulantdanslacuisine. Unegerbedevomivertes’étendaitsurtoutelalongueurdesarobedecoton. –Pourquoinedoit-ilmangerquedesalimentshachésàlamain?fulminaitJacqui.Cettefemme n’ajamaisentenduparlerdespetitspotspourbébé?Sonestomac...ilesttoutenjoado! Ellesgrommelèrentensignedecompassion. Madisonentradanslacuisineetpritunraisin. –Beurk!dit-elleenrecrachantunecochonnerieàdemimâchée. –Qu’est-cequ’ilya,cettefois-ci?soupiraMara. –Ilsnesontpasassezfroids.Etilresteencoreunpeudepeausurcelui-là. Pourunpeu,Maraseseraitarrachélescheveux.LesraisinsdeMadisonn’étaientjamaisassez froidsoucorrectementpelés.Lerestedutemps,ilsétaientlaissésdecôtésousprétextequ’ilsavaient « l’air bizarre ». Mara avait beau savoir que l’enfant ne faisait que se révolter contre le régime draconienédictéparsabelle-mère,çan’encommençaitpasmoinsàluipourrirsérieusementlavie. –Jenevoispascequ’ilsontdebizarre,ditElizaenprenantunfruitetenlefourrantdanssa bouche. Miam ! J’aimerais bien avoir quelqu’un pour m’éplucher mes raisins. Tu es une petite veinarde. Madison regarda Eliza d’un air sceptique, mais mangea les raisins sans une parole de protestation.Unvraimiracle. La porte s’ouvrit toute grande et, cette fois-ci, c’est Anna qui fit son entrée. Les trois filles restèrentfigéessurplace,sedemandantcequin’allaitpas,cettefois-ci. –Quelqu’unavulecourrier? Ellessecouèrentlatête.Laurieleuravaitditqu’Annaattendaitfébrilementuneinvitationpourun dînerchezCalvinKlein.Malheureusement,celle-cineluiétaitpasencoreparvenue. –Anna?Vouspermettezqu’onvousposeunequestion?hasardaMara. –Oui? –Lespetitsn’arrêtentpasdeparlerdecesautresfillesqui...heu...quis’occupaientd’euxavant nous...Voussavezàquoiilsfontréférence? –DesfillesdunomdeCamilleetTara,ouquelquechosedanscegoût-là,précisaEliza. Annafronçalessourcils. –Oui.Ellestravaillaientici.Maisnouspréféronsnepasyfaireallusion,répondit-elled’unton pincé.Mesuis-jebienfaitcomprendre? Elleshochèrentlatête.Visiblement,c’étaitunsujettabou.Cequinefitqu’augmenterlacuriosité desfilles.Qu’avaient-ellesdoncfaitdesiterrible?Siseulementquelqu’unvoulaitbienleleurdire. Detouteévidence,ellesn’avaientpaslaisséungamingrillerausoleilcommeunechips.Ça,ellesmêmes l’avaient fait et elles étaient toujours là. Il leur fallait apprendre ce qui s’était passé car, commeellesenconvenaienttoutestrois,ellesnepouvaientpassepermettredefairelamêmeerreur. Après avoir nettoyé la cuisine et couché les enfants, les filles au pair regagnèrent d’un pas chancelantleurchambremiteuse. –MonDieu!Quellesemaine!s’exclamaElizaenselaissanttombersurl’uniquefauteuil. Entre la préparation des repas, le ménage et la fuite à toutes jambes chaque fois qu’elle apercevaitlatêteblondedesjumellesdansunesalleVIP,Elizaétaitvannée. –Tum’étonnes!approuvaMara,enrepensantàcettesemainepasséeàsatisfaireauxcapricesde cesquatregaminsadorables,maistropgâtés. Jacquis’étaitprécipitéedanslasalledebainspoursechanger.Pourdîner,elledevaitretrouver LucaauLaundry,unrestaurantfrançaistoutcequ’ilyaderomantique. Elizajetauncoupd’œilàl’horloge.Neufheures.Troptôtpourallerenboîte. –Tusaisquoi?Onmériteunpetitbreak. –Tuasquelquechosedeprécisentête?demandaMara. Elizaeutunsouriremalicieux. – Regarde ce que j’ai trouvé ! s’exclama-t-elle, radieuse, en exhibant une clé ancienne qui s’avéraitouvrirleplacardàalcoolsdesPerry. Ilétaitgrandtempsqu’elless’amusentunpeu. Lemeilleurmoyendepercer unsecretàjour? Unebouteilledevodka etlejeudelavérité Unebouteilledevodkavideroulasurletapisuséjusqu’àlacorde. –Etenvoilàuneautre!s’exclamaElizaentredeuxhoquets,sortantunesecondebouteilledeson sac. –Nonmerci...j’aimadose,ditMara. –Pasquestion.Sijem’ensersunautre,vousm’accompagnez. Jacqui leva son verre. Elle n’était pas du genre à refuser une telle proposition. Voler deux bouteillesdanslaréservedesPerryleuravaitparutotalementjustifié,vuqu’ellestravaillaientcomme desforçats.C’étaitunesortedeprime,avaitdécidéEliza. –Jouonsaujeudelavérité,proposaElizaenfaisanttournerlabouteillecouchée. LegoulotdésignaJacqui. –Qu’est-cequevousvoulezsavoir?demandaJacqui. Luca avait appelé plus tôt pour lui dire qu’ils se retrouveraient finalement à onze heures au TurtleCrossing.Elleavaitdoncunbonmomentàperdreavecsescamaradesdechambre. – Tu as déjà été amoureuse ? demanda Eliza, en se disant qu’il valait mieux, au début, y aller mollo. Jacquisoufflalafuméedesacigaretteetconsidéralaquestion. –Évidemment. –Etencemoment,tuesamoureuse?demandaMara. –Çasepourrait,concédaJacqui. –Ças’appellelejeudelaVÉRITÉ!protestaEliza. –OK,OK.Oui,jesuisamoureuse,gloussaJacqui. ElleleurparladeLuca,letypequ’elleétaitvenueretrouveràl’autreboutdumonde,etdupeu detempsqu’illeuravaitfallupourretomberdanslesbrasl’undel’autre.Leurconfiaaussiquerien n’avaitchangé.Vraiment?Ellesegardadelementionner,maisLucanel’emmenaitjamaisdansles endroitsenvue.Aulieudeça,ilspassaientuntempsfoudanssachambreàcoucherouàmangerdu crabe dans les gargotes miteuses et isolées au nord de l’embranchement (dans ce qu’on appelait la «mauvaise»partiedesHamptons).«Jeneraffolepasdelavienocturnecetteannée,Jac»,luiavait-il expliquéunsoir,tandisqu’ilsétaientsurlepointdesecoltinertoutelaroutejusqu’àunbardélabré deShelterIslandoùl’onservait,d’aprèslui,«lesmeilleurshamburgersdesHamptons». Jacqui n’avait rien trouvé rien d’exceptionnel aux hamburgers de chez Dory. Mais elle avait retrouvésonhomme,etêtreavecluisuffisaitàlarendreheureuse.Ellefittournerlabouteille.Mara futdésignée. –Zut!dit-elle.Bon,demandez-moicequevousvoulez. –Tuascouchéaveccombiendetypes?luidemandaElizaavecungrandsourire. Ellevoulaitlasecouerunpeu.Marapouvaitêtresicoincée. Àlagrandesurprised’Eliza,Marasecontentadeleverlesyeuxauciel. –Unseul. ElleleurparladeJim,sonpetitamiqu’elleavaitlaisséàSturbridge.D’ailleurs,iln’avaitpas échappé à ses camarades qu’après sa journée de travail, Mara s’empressait de connecter son ordinateur portable pour envoyer des e-mails ou profitait au max de chaque minute de son forfait pour discuter tous les soirs avec lui. Comme si ça lui servait à quelque chose. Même Jacqui avait remarquéqueMaranepouvaitposerlesyeuxsurRyanPerrysanspiquerunfard. –Etalors?C’étaitcomment? Maraserebiffa. –Jenecroispasqu’onaitledroitdeposerplusieursquestionsdesuite! –Pasterrible,hein?lataquinaEliza,quetroisvodkas-tonicavaientmisedebonnehumeur. –Ettoi,tuascouchéaveccombiendemecs?luidemandaJacqui. –C’estpasmontour!protestaElizaenrougissant. –Allez!Combien?insistaJacqui,pleinedecuriosité. –Jevouslediraipas. –LAVÉRITÉ!LAVÉRITÉ!LAVÉRITÉ!exigeaMara. –OK...trèsbien.Aucun,réponditElizasuruntondedéfi. –Waouh! JacquietMaraécarquillèrentlesyeux.Voilàquidevenaitintéressant. –J’aifailli,unefois.AvecCharlie,monpetitami,précisaEliza,enprenantuneexpressionplus douce.Onfêtaitnossixpremiersmoisensemble,etilvenaitdem’offrircesbouclesd’oreilles,ditelleeneffleurantl’uned’elles.Jem’étaisachetécetadorablepetitensembleLaPerla. –Qu’est-cequis’estpassé? –IlavaitlouéunechambreauCarlyle.Maisàpeinearrivé,ils’estendormi,àcauseduvinqu’il avaitbuaudîner.Onarompulasemainesuivante,sibienquel’occasionnes’estpasreprésentée. –Qu’est-cequiestarrivé?demandaMara. –Leschosessesont...heu...compliquées,expliquaEliza.Ilafalluquejem’enaille. –Tuétaisamoureusedelui?repritMara. –Oui...enfin,jecrois. En tout cas, elle avait aimé être la petite amie de Charlie Borshok, faute d’aimer Charlie luimême. Le titre apportait tellement d’avantages. Les cadeaux (qui lui étaient toujours remis en main propre par un messager spécial). Les vacances (les week-ends dans la Locust Valley, le ski à Telluride,lesescapadesdedernièreminuteàSaint-Bart’).Lajalousiecriantedetouteslesfillesdesa classe. –Vousêtesrestésencontact?demandaMara. –Pasvraiment.Maisilpassesesvacancesicicetété.Jesuissûredetombersurluiundeces quatre. –Quisait,vousallezpeut-êtrerenouer?suggéraMara,enincorrigibleromantique. – On verra bien, dit Eliza. J’ai entendu dire qu’il sortait déjà avec quelqu’un d’autre. (Elle consultal’heuresursonportable.)Fautquejemeprépare. –Tuvasoù? –Ilyaunesoiréedebienfaisanceauprofitdelapréventiondentairepourlesenfants,àTrupin Castle.C’estcetteénormepropriétéquecegarss’estfaitconstruireàSouthampton.Ilaviolétoutes les règles d’aménagement du territoire pour le faire. À ce qu’on raconte, il a payé six millions de dollarsd’honorairesd’avocats.Quoiqu’ilensoit,l’endroitn’aencorejamaisétéouvertaupublic,et lenouveaupropriétairevientdelefairerénover. –Commenttufaispourentrerdanstouscestrucs?Ilsnevérifientpas?demandaMara. Elizaprituneboufféedesacigaretteetlaposasuruncendrierimprovisé(lecouvercled’unpot decirecoiffante). –J’aiunefaussecarted’identité.Etpuisc’estunesoiréeprivée.Dumomentquetuessurlaliste, tout va bien. Ça coûte deux cents dollars par tête, mais Kit m’a donné trois billets d’entrée. Hé, les filles,çavousditdevenir? Sousl’effetdescocktailsetdessecretspartagés,Elizasesentaitparticulièrementgénéreuse.Ces nanasnesontpeut-êtrepassiépouvantables,aprèstout,songea-t-elle. –Non,j’airendez-vousavecLuca. –J’aipromisàJimdel’appeler. –Commevousvoudrez,ditElizaenpassantunjeanmoulantetunhautasymétriqueluidénudant l’épaule. Ellesecouasacrinièreblondeetjetaunderniercoupd’œilaumiroir. –Àplus,lança-t-elleavantdedisparaîtredansunnuagedefuméeetdeparfum. Il était vingt-trois heures. Tôt, selon les critères des Hamptons. La soirée ne faisait que commencer. Maraaunequalitébienàelle: ças’appellelagentillesse À minuit pile, le réveil fit entendre sa sonnerie perçante dans la chambre des filles au pair. Hébétée, Mara appuya sur le bouton d’arrêt. Elle ouvrit un œil. Elle dormait depuis moins d’une heure.C’étaitquoi,ça? Soudain,çaluirevint. Zoë. Elles’extirpadulit,passasarobedechambreetsespantoufles,etsetraînajusqu’àlamaison principale. Là, après quelques rapides tentatives, elle désactiva l’alarme anti-vol. La demeure était plongéedansunsilenceinquiétant.Maramontaaupremierétageetsedirigeaverslachambresituée àl’angle.Elleouvritlaporteet,surlapointedespieds,allajusqu’àlapetiteformeblottiesurlelit. –Zoë,lève-toi!dit-elle. –Hein? –C’estl’heured’allerauxtoilettes,ditMaradansunbâillement. Un matin, Mara avait découvert Zoë baignant jusqu’au cou dans son propre pipi. Nul, dans la maison–sabelle-mèreencoremoinsquelesautres–nesemblaitsavoirousesoucierdufaitquela fillettedesixansmouillaitencoresonlit.Lagaminefichaitenl’airuneinvraisemblablequantitéde draps Frette à tissage serré. De plus, des rougeurs étaient apparues sur ses jambes, du fait de ses émissions nocturnes. Mara n’en revenait pas que l’enfant n’ait pas été habituée à aller au pot. Toujours est-il qu’après s’être procuré à la librairie Bookhampton un exemplaire très usé du manuelduDrSpock,Marasefaufilaitquotidiennementàminuitdanslachambredelafillettepour l’accompagner aux toilettes. Zoë s’extasiait, chaque matin, de se réveiller au sec. Mara était une magicienne. –J’aifini,Mara,criaZoë,depuislestoilettes. – La prochaine fois, tu n’auras peut-être pas besoin que je te réveille, dit Mara d’un ton plein d’espoir. Zoëhochalatête.EllecommençaitàcroiretoutcequedisaitMara. Celle-cirefermalaporteetregagnalepalieraumomentoùRyanPerrysortaitdesachambre, habillépoursortir.Sescheveuxétaientencoremouillésdeladouche,ilsentaitlesavonetl’eaude Cologne.Ilportaitunsweat-shirtenlinetunjeanfoncé.Maranepouvaitsefigurerplusbeaugarçon. –Ohé!fit-il. Ils ne s’étaient pas beaucoup revus, depuis le premier soir. Il s’était excusé d’avoir loupé la partiedeScrabble,invoquantcommeexcuseuncopaindontlaJeepétaittombéeenpanne. – Salut, répliqua Mara en regrettant d’être vêtue d’une robe de chambre en tissu écossais, de pantouflesenformedelapinsetd’unechemisedenuittrouéeavecécrit«JENEDORSQU’AVEC LESMEILLEURS!»engrosseslettresroses. –Chouettechemisedenuit,ditRyanavecungrandsourire.C’estvrai,aumoins? –Masœurmel’aoffertepourmesonzeans,réponditMara,embarrassée. –Dessoucisaveclesgamins?demandaRyan. –Non.JecroyaisavoirentenduZoësonner,maisenfaitelledort.Tuvasquelquepart? PasquestiondetrahirlesecretdeZoë,mêmesiellen’avaitquesixans. –Mesamism’ontdébauché,dit-ilenfaisantcraquersanuque.Unesoiréepoursauverlesbébés, oujenesaisplustropquoi. –ÀTrupinCastle? Sonvisages’éclaira. –Ouais.Tuyvas? Elleéclataderireetregardasespantoufles. –Àtonavis? LesouriredeRyansefigeaunpeu. –Tuveuxvenir?Çadevraitpasêtredifficileàarranger. Ellesecoualatête. –Non,çavabien,jet’assure. –Laprochainefois,alors? –Avecplaisir. Mara retourna au cottage, en se demandant si elle n’aurait pas dû accepter la proposition de Ryan.ElletrouvaJacquiassisesurleperron,l’airabattu. –Qu’est-cequis’estpassé?OùestLuca? –Ilaannulé.Jesuisrestéeuneheuredehorsàl’attendre,etilaappelépourdirequ’ilétaittrop fatigué. –Jesuisdésoléepourtoi. –J’aiquandmêmeenviedesortir.Estaumanoitebonita.Pastoi? –Jesuisenpyjama,fitremarquerMara. –Tun’asqu’àtechanger. –Jenesaispas... –Allez.J’aiappeléEliza,etellem’aditqu’ellenousavaitfaitmettresurlaliste,pourlecasoù onchangeraitd’avis. Mara se tâta. En deux semaines, elle n’était pas sortie une seule fois de la propriété des Perry aprèslatombéedujour.EtRyanyseraitluiaussi.Ilétaitpeut-êtretempspourelledevoircet«autre aspectdesHamptons»surlequelElizaétaitintarissable. Jacquiluijetaunregardsuppliant. –Oh,etpuiszut,onyva! Et,sitôtdit,MaraetJacquis’empressèrentdemontersechanger. Pasbesoinderespecter lecodevestimentaire, pourpeuqu’onsoitjolie Pour la énième fois depuis son arrivée, Mara se demanda pourquoi il y avait tant de monde, partout dans les Hamptons. Pour un lieu où les gens venaient se relaxer le week-end, on y jouait beaucoupdescoudes. Jacquietelleprirentuntaxi,etdurentmettreencommunl’argentqu’ellesavaientsurellespour réglerlacourse–dontlemontantleslaissasansvoix.Maiselleshésitaientencoreàuserdeleurdroit d’«utilisern’importequellevoituredisponible».Deplus,ellesétaientunpeuéméchéesàcausedela vodka.Àleurarrivéeauxportesduchâteau,Maraauraitjuréqu’ellesneparviendraientpasàentrer. Les gens, au contrôle, ne comprenaient pas l’accent de Jacqui. Lorsqu’ils le comprirent, ils ne trouvèrentpaslenomd’Elizasurlaliste.Lorsqu’ilsl’eurenttrouvé,l’undesphysionomistessecoua latêteàlavuedeschaussuresdeMara. –Ilyauncodevestimentaireici,mesdames,dit-ild’unevoixdésapprobatrice. JacquiavaitconseilléàMaradelaissertombersesReebok.Maislorsqu’elleavaitvulesorteils –nécessitantunepédicuriedetouteurgence–deMara,ellen’avaitpasinsisté.Pasquestionqu’elle portedeschaussuresouvertes.Parchance,Jacquiavaittapédansl’œild’unautrephysionomiste,qui décidadeleslaisserentrerquandmême. –Vousavezréussiàentrer!ditElizalorsqu’elleleseutretrouvéesprèsdubar.Qu’est-ceque vousvoulezboire?Jeconnaislebarman,précisa-t-elleenluifaisantsigne. Ellesfirentpartdeleurssouhaits,etfurentserviesaussisec. – Matez un peu l’aquarium à requins ! fit-elle en montrant du doigt le centre de la pièce, où étaientexhibésdesrequins-marteauxdeprèsdedeuxmètres. Mararetintuncridesurprise.N’yavait-ilaucunelimiteàtouscesexcès? –J’airéussiàdébaucherMara.Incroyable,non?s’esclaffaJacqui. –OùestLuca? Jacquihaussalesépaules. –Ilavaitdeschosesàfaire. –Jacqui,tuconnaisdéjàLindsayetTaylor,ditElizaendésignantsesdeuxamies,quidétaillèrent ostensiblementlesnouvellesvenues. –Ouais,l’étudianteétrangère,ditLindsayengratifiantJacquid’unsourireglacial. Lindsayn’aimaitpaslesfillesquiressemblaientàJacqui:rivaliseravecellesétaitau-dessusde sesmoyens. L’étudianteétrangère.Quezaco?Maran’ycomprenaitrien. –EtvoiciMara,uneautreamieàmoi. –Etça,c’estquoi?demandaLindsayendésignantl’AmstelLightdanslamaindeMara. –Delabière.Pourquoi?rétorquaMara. Taylorgrimaça. –Beurk!Commenttupeuxboireça?C’estinfect. Mara but une petite gorgée et jeta un discret coup d’œil à la ronde. Tous les gens présents tenaientdescoupesrempliesdecocktailscolorés.Nepouvait-ellerienfairecommelesautres?Etoù étaitRyan?Ellenelevoyaitnullepartmais,avecunefoulepareille,çan’avaitriend’étonnant. –Taylor...onvachercheràboire?demandaLindsay,alorsquesonverreétaitencoreàmoitié plein. Toutesdeuxenprofitèrentpourfiler.Ellesenavaientsoupédes«nouvellesamies»d’Eliza. –Neregardepastoutdesuite,maisilyaCharliequiarrive,luiglissaTayloravantdes’éclipser enindiquantunpetitmecvêtud’unblazerbleuquipiquaitdroitsurelles. Elizaseretournaenmontrantsonmeilleurprofiletensevoûtantlégèrement.Avecsestalons, elleétaitplusgrandequelui,etiln’avaitjamaisaiméça. CharlieBorshokétaitlegossedemillionnairetype.Selonlarumeurpublique,safamilleavait déjàdépenséundemi-milliondedollarspourluifaireremodelerlevisage.Onluiavaitrefaitlenez, recollé les oreilles, renforcé le menton, rehaussé les pommettes, remonté le front et Dieu sait quoi d’autreafindeluidonnerunsemblantdeséduction.Uncertaindocumentaireavaitfaitgrandbruit, peudetempsauparavant:iltraitaitdesgossessuper-riches,etlebruits’étaitrépanduqueCharlieétait l’unedesesstars.«L’accordprénuptial!L’accordprénuptial!Onm’enfonceçadanslecrânedepuis quej’aitroisans»,avait-ilconfiéauxcaméras.«Etsielleneveutpassigner,c’estqu’iln’yaquele fricquil’intéresse,cettegarce!»MaislafamilleBorshokavaitmissuffisammentdemoyenslégaux enœuvrepourquelemetteurenscènelaissetomberCharlie,etquelesscènestournéesfinissentsur lesoldelasalledemontage.Iln’empêchequetoutlemonde,évidemment,enavaitentenduparler. Eliza connaissait une demi-douzaine de gamins qui avaient été interviewés pour le film, et dont les parentsavaienttentédefairelamêmechose. Mais pour Eliza, tout cela n’importait guère. Charlie était toujours le type génial qui lui avait offertdesbouclesd’oreillesHarryWinstonendiamantsdedeuxcaratspourfêterleurssixpremiers mois.C’étaitpasdel’amour,ça? –Çafaitunbail!ditElizaaussichaleureusementqu’elleenétaitcapable. Charlieetelleétaientfaitsl’unpourl’autre;decela,elleétaitcertaine. Ilhaussalesépaules. –OnracontequetuasétéexpédiéeàFarmington. Elizas’efforçadenepasparaîtremalàl’aise.Elleavaittoujoursprissoindenepasmentionner le pensionnat dont elle était censée être élève, au cas où l’un des membres de la clique connaîtrait quelqu’undanslamêmeécole.Mais,pouronnesaitquelleraison,larumeurvoulaitqu’elleeûtété envoyéeàlaMissPorter ’sSchool,unlycéepourfillestrèssélectduConnecticut. – Ne m’en parle pas ! Charlie, je voudrais te présenter mes amies, Mara et Jacqui. Les filles, voiciCharlie,ditElizad’unevoixtriomphante. –Enchanté.Commentavez-vousrencontréEliza? –Oh,ontrava...,commençaMara. –C’estmacamaradedechambre!l’interrompitEliza,réagissantauquartdetour. –Etçasepassebien?demandaCharlie. – Pas trop mal. Les gamins sont parfois pénibles, et notre chambre est vraiment petite, mais à partçatoutvabien,réponditMara.Notrepatronneestunpeuexigeante,toutdemême. – C’est comme ça qu’on surnomme la prof principale, dit Eliza avec un rire perçant, en suppliantMaraduregard.Lepensionnat,c’estvraimentnaze. Lepensionnat? –Heu...oui...,repritMarad’unevoixhésitante.Oui,lepensionnat.Lesuniformescraignentun max. C’étaitquoi,cedélire? –Mais...heu...Là-bas,Elizaestl’élèvelapluspopulaire,ajouta-t-elle,suruneinspirationsubite. –Ehbien,çanem’étonnepas,ditCharlieendétaillantsonex-petiteamie. Charlie regardait les femmes comme il jaugeait les pur-sang – flancs, dents, chaussures – et Elizaavaitpartout10sur10.Ilétaitencorefroisséparleurrupture.Lestypesdel’espècedeCharlie Borshokadmettaientmald’êtrelarguésdujouraulendemain.MaisElizan’enrestaitpasmoins,etde loin,laplusjoliefilled’EastHampton. –Ilfautqu’onserevoieundecesjours,dit-ilàElizaenluiembrassantlajoue. Les yeux d’Eliza s’embuèrent de larmes. Lui pardonnait-il ? La laisserait-il faire à nouveau partiedesavie?Sonexistenceredeviendrait-elleparfaite?Lasauverait-ildecegrenierinfestéde cafardsetleurréserverait-ilunesuiteàl’hôtelBentley? –Visiblement,vousallezvousremettreensembletouslesdeux,fitremarquerMaraaprèsque Charliesefutéloigné. – Mon Dieu, j’espère. Les parents de Charlie possèdent un yacht énorme ! dit Eliza, sans se soucierdeparaîtreterriblementsuperficielle. –Maisc’étaitquoi,cettehistoire...qu’onseraitdescopinesdelycéeettoutça?demandaMara. EtenquoiJacquiest-elleuneétudianteétrangère? –C’estcommeça...,marmonnaElizaensemordillantlalèvre. Devait-elle leur dire ? Pouvait-elle leur faire confiance ? Elles l’avaient protégée jusqu’à présent.QuieûtcruqueMarapouvaitmentirainsi?Ellesluiavaientpermisdesauverlafacedevant Charlie.Peut-êtreleurdevait-ellelavérité,mêmesansbouteilledevodkavidepourladésigner. Elizalesentraînadanslecoinlepluscalmequ’elleputtrouver–derrièrelacolonne,nonloin d’ungrouped’adosàl’œilvitreuxsefaisantpasserunecigaretterouléeàl’odeursuspecte.Elleleur racontatout–Buffalo,lafaillite,lemensongedupensionnat. –Jeneveuxpasquemesamis–etenparticulierCharlie–apprennentquejetravaillecetété... voussavez...commefilleaupair... MaraetJacquiéchangèrentunregard.Pourquoiuncirquepareil? – Je sais que c’est idiot, mais voilà, j’ai l’intention de m’amuser cet été. Vous ne direz rien ? implora-t-elle. Jacqui bâilla. La confession d’Eliza ne lui faisait pas le moindre effet. Cette fille pouvait bien raconteràtoutlemondequ’elleétaitlareined’Angleterre,elles’ensouciaitcommed’uneguigne. QuantàMara,elleavaitplusdemalàcomprendre.Quellehonteyavait-ilàvivreàBuffalo? Hé,elleétaitbiendeSturbridge.Elizaavaitvisiblementdegrosproblèmes,maisMarasesavaitmal placéepourleluidire. –Alors,lesfilles,vousnedirezrienàpersonne? Lesdeuxautreshochèrentlatête.Avecelles,sonsecretétaitbiengardé. Vousappelezça desprogrès? Lejourdupremierrapporthebdomadairefinitpararriver,mêmesilesfillestravaillaientalors chezlesPerrydepuisprèsdetroissemaines.Lauraleurassuraque,cettefois-ci,KevinetAnnales attendraient dimanche matin à dix heures, dans la salle de projection. Les filles avaient de bonnes raisons d’être nerveuses. Les gamins leur tapaient sur le système en ne cessant de les comparer à celles qui les avaient précédées. « Astrid nous faisait des sandwichs au thon épicés. » « Camille ne nouscouchaitjamaisavantdixheures.»«Taraétaittellementplusjoliequetoi.»Àdeuxreprises,les fillettes étaient arrivées en retard à leur cours de danse parce que Mara, la seule qui se levait suffisammenttôtpourlesaccompagner,seperdaittoutletempsdanslespetitesrues. Deplus,ellesavaientapprisparl’unedesfemmesdechambrequelepremiergroupedejeunes fillesaupair,employédepuislemoisdejuin,avaitétérenvoyésanspréavis.Ellesn’avaienttoujours paslamoindreidéedecequis’étaitpassé. –Vite,c’estquoiledernierlivrequenousavonsluàCody?demandaEliza. –Saute,monchien!,hasardaJacqui. –C’estquoi,ça?Ondiraitletitred’unfilmporno. –Tuasl’espritmaltourné.C’estunlivreduDrSeuss! –C’estça! –Jemedemandesic’étaitpasPokeylepetitchien,ditJacqui. –Saute,PetitPokey!C’estça!s’exclamaElizaenhochantlatête. –Madisonamangéquoi,pourlepetitdéjeuner?demandaMarad’unevoixanxieuse. –Àtonavis?Uncornetdeglaceetdesbiscuitsfourrésauchocolat,réponditElizaenlevantles yeuxauciel.Commetouslesmatins. –Noooon!!!Ellesuitunrégimediététiqueàbased’alimentscrus!Eliza,j’ailaissélesrecettes surtonlit.Tuétaiscenséet’enoccuperpendantqueJacquietmoiconduisionslesgarçonsaukravmaga!grommelaMara. Annaavaitinscritlesgarçonsàdescoursdecetartmartialisraélien,bienqueleplusjeuneeût encoredumalànepastomberquandilmarchait.Visiblement,lekaraténelabranchaitpas. –C’estquoi,leursnoms,déjà?demandaJacqui. –Tublaguesouquoi? Jacquisecoualatête.Ilsétaientsinombreux,difficiledenepass’emmêlerlespinceaux.Etpuis, elle n’était pas très souvent dans les parages – dès qu’elle avait une minute de libre, elle filait rejoindreLuca. –Heu...William.EtManhattan? –MADISON! –D’accord.Zooey...et...Cory? –Cody. –Zoë.Parle-moideZoë,ditEliza.Ilyaquelquechosequejedevraissavoirsurelle? – Qu’est-ce que je pourrais te dire... Elle suce encore son pouce et se comporte davantage commeunegossedetroisansquecommeunefillettedesixans.Sonprofesseurdeyogas’estplaint qu’elleaitfrappéquelqu’un,l’autrejour,danslaclasse. –Coitada!marmonnaJacqui. –Àvotreavis,qu’est-cequ’ilsvoudrontsavoird’autre?demandaElizaensetordantlesmains. Elle ne voulait surtout pas fiche ce bon plan en l’air. Mara s’occupait quasiment seule des gamins,pendantqu’elleetJacquipassaientlanuitàfairelabamboulaetlajournéeàseremettrede leurgueuledebois. –Toutvabiensepasser,ditMara–bienquesoncœurbattîtàtoutrompre. Codyn’avaitpasmisunpieddansl’eau,Madisonavaitprisunkilo,Williamavaitcommencéà secognerlatêtecontrelesmurs,etZoëétaitloindeconnaîtrel’alphabet. –Ehbien,allons-y! Eliza hocha les épaules en ouvrant la porte du sous-sol que les Perry avaient transformé, au printemps,ensalledeprojection.Lemurdufondavaitétééquipéd’unécrandecinqmètresdelong sur deux mètres cinquante de haut. Les trois filles s’installèrent sur des fauteuils réglables en cuir noir. Ellesattendirentdixminutes...unquartd’heure...unedemi-heure... Jacqui s’endormit. Eliza feuilleta un Vogue, heureuse de pouvoir respirer un peu, à l’abri des petitsmonstres.Maraconsultaitnerveusementsamontre. Enfin,Esperanza,lagouvernanteàdemeuredesPerry,apparutsurleseuil. –MeuDeus,j’aioubliédevousprévenir...Lauriem’aditdevousdirequeMissAnnaestallée fairelesboutiquesetqueMisterKevinjoueautennis. Oh. Lebronzage estlesportfavorid’Eliza – Mara, passe-moi l’huile solaire ! commanda Eliza, derrière ses lunettes noires à monture couvrante. Ilfaisaitunsoleiléblouissant.Maissiellenelesavaitpasretiréesdelajournée,c’étaitpourune toutautreraison. Plus tôt dans la matinée, les jumelles l’avaient surprise en train d’essuyer les traces du vomi quotidiendeCody,danslacuisineinondéedelumière.Ellesétaientvêtuesàl’identique,denuisettes ensatinetdepeignoirsencachemire. –Beurk!C’estdégueulasse!s’étaitexclaméSugar,ens’écartantprécautionneusement. –Commenttupeuxtoucherça?demandaPoppy. Les joues d’Eliza s’empourprèrent tandis qu’agenouillée, elle frottait le sol. Elle n’avait pas prévuquelesjumellesselèveraientsitôt. – Tu as appelé Kit ? lança Poppy à sa sœur. À quelle heure il vient nous chercher pour nous emmeneràSunsetBeach? Sugar la fit taire en désignant Eliza d’un geste pas très discret. Mais celle-ci distinguait parfaitementleursparoles,mêmesilesjumellesluitournaientledos. –Jenesaispas,onverraçaplustard,ditSugarenprenantunebananedanslecompotier. –Hé,Eliza,tuaspenséàappelerpournousréserverunetablechezJean-Luc?demandaPoppy. –Oui,c’estnotépourhuitheuresetdemie,marmonnaEliza,ensoulevantlebébédesachaise haute. –Tuasbiendemandélatableàl’angle,hein? –Oui.Ilsm’ontditquec’étaitbon. –Mmm...Sionnousmetn’importeoùailleurs,jerisqued’êtrevraimentfurax,menaçaPoppy. SugarhaussalesépaulesetgratifiaElizad’unregardmi-méprisant,mi-compatissant,avantde suivresasœurdehors. Lorsqu’elles furent parties, Eliza sanglota doucement dans la poubelle à couches de Cody. C’étaitsiinjuste...Elleétaitunechicfille,soussesrefletsàcinqcentsdollars(quiavaientbienbesoin d’être ravivés). De sa vie, elle n’avait rien fait pour mériter pareil traitement. Cody l’observait, fasciné,commeellereniflaitetsemouchaitbruyamment. – Un jour, quand tu seras grand et que tu prendras possession de ta fortune, jure-moi de tout fairepourlesdéshériter!dit-elleenluidonnantunepetitetapesurlementon. Sesyeuxrougesetgonfléstémoignaientencoredesarencontreaveclesdeuxméchantessœurs, lorsqu’ellesortitrejoindrelesautresauborddelapiscine.MaislesgrosseslunettesdesoleilGucci avaientétécrééesspécialementpourcesmoments-là. –Mara...tumepasseslalotionsolaire,s’ilteplaît?répétaElizad’untonsec,tendanttoujoursla main. –Oh,jesuisdésolée,ditMaraenlevantlesyeuxdelapiscineàdébordementdanslaquelleelle tentait,àforcedecajoleries,defaireentrerCody. Elle commençait à en avoir assez de voir Eliza et Jacqui se comporter comme si elles étaient payées à glandouiller et à prendre des bains de soleil dans leurs mini-bikinis. Toutes deux avaient passé l’après-midi vautrées dans des chaises longues, et n’avaient pas levé le petit doigt pour se rendreutiles–pasmêmelorsqueWilliamétaittombédansl’eauetavaitfaitminedesenoyer. –Jet’aibieneue!avait-ilhurléquandMaraavaitplongé,enshortettee-shirt,pourlerepêcher. QuantàMadison,ellecontinuaitàs’empiffrer,maispersonnen’avaitlecouragedecherchersa nouvelleplanqueàsucreries. L’uniquefoisoùellesavaientmontréuntantsoitpeudemotivation,c’estquandKevinPerry,se rendant au terrain de golf, était passé devant la piscine. Eliza s’était empressée d’aider William à mettre son masque de plongée, pendant que Jacqui prétendait s’intéresser au livre que Zoë faisait semblantdelireàvoixhaute. Malheureusement,loindelirelesmotsqu’elleavaitsouslesyeux,lapetitefilles’amusaitjusteà répéter les instructions que sa belle-mère donnait chaque matin à leur gouvernante. « Faites bien attentionàrangerlesépicesdugarde-mangerparordrealphabétique.»«Quandmoncoacharrivera, dites-luidemeretrouverdanslasalledegym.»«Assurez-vousdebienutiliserlenettoyantcarrelage bioquej’aifaitvenird’Amsterdam.» – Alors, comment vont nos filles au pair ? demanda Kevin Perry, les yeux rivés sur le corps spectaculairedeJacqui,àpeinecouvertpardeuxpetitstrianglesaucrochetenformedecoquillageet unstringassorti. –Là...vousenavezoublié,dit-ilens’avançantversJacquipourétaler,sursonépaule,unepetite traînéed’écrantotalqu’ilfitpénétreravecsonpouce.Voilà.C’estmieuxcommeça. MaraetElizablêmirent.MaisJacquinecillapasetluiréponditparunsourireaudacieux.Avec unpeudechance,peut-êtren’aurait-elleriend’autreàfairecetétéquenourrirlesfantasmesdupère defamille.Etpuis,rienn’auraitputempérersoneuphorie:Lucaavaitpromisdel’emmenerdînerce soir au Farmhouse, un charmant restaurant pittoresque à souhait – qui se trouvait à East Hampton, justeenbasdelarue,etnonàuneheurederoute. Une fois Kevin parti, Jacqui et Eliza se laissèrent retomber sur leurs chaises longues. Mara soupira.Ellenesavaitquelleattitudeadopteravecsescollèguesdetravail.Elleavaitespéré,envain, que l’insolation de William et le jeu de la vérité les rapprocheraient. Or, Jacqui était obsédée par Luca,etElizasemontraitdistante.Sibienquetoutestroiss’adressaientàpeinelaparole,sicen’est lorsqu’elless’occupaientdesgamins,oupourseplaindredesPerry.Nonqu’elleseussentréellement desraisonsderâler–AnnaetKevinn’étaientpresquejamaislà.Parailleurs,Maraavaitelleaussides soucis. Ces derniers temps, Jim ne cessait d’insister pour qu’elle prenne un week-end de vacances, s’embarquesurleferrydelacompagnieNewLondonetramènesapoireàSturbridge. –Tiens,ditMara,selevantetluiflanquantlabouteilleorangedanslamain. –Merci. Eliza s’enduisit le corps d’huile, tout en s’efforçant d’exorciser l’affront des jumelles. ContrairementàSugaretPoppy,quirougissaientousecouvraientdetachesderousseur,elleavaitla chanced’avoirunepeauquibrunissaitharmonieusement. Bienqu’ellenepossédâtpasleurargent,elleavaitunechosequelesjumellesn’avaientpas. Ellebronzaitbien. GrâceàEliza,lejardinier commencebienlajournée Leclaquementd’unsécateurfitsursauterlesfilles.Tournantlatête,ellesvirentuntrèscharmant jeunehommebrun,entee-shirttrouéetjeandélavé,taillerleshaies.Elizaleconsidéraaveccuriosité etletypecroisaunesecondesonregard,avantdesereplongerdanssatâche. Ilestentraindemeregarder,songeaEliza,àlafoisennuyéeetintriguée. Elle déplia ses jambes et se cambra en frictionnant son décolleté et son ventre nu de lotion solaireaujusdecarotte.Lorsqu’ellesecouchasurledosetdéfitlesbretellesdesonsoutien-gorge, ellesurpritunenouvellefoisleregarddujeunehomme.Pouah!Cequ’ilétaitmalélevé!Elleleva les yeux au ciel. Mais, une minute plus tard, elle lui jeta un coup d’œil furtif, à travers ses lunettes Gucciabaissées. Lesépauleslarges...Lesyeuxbleus,souslebobcraignos...Mmmm...plutôtmignon,àcequ’il semblerait. Commes’ilavaitlamoindrechanceavecelle. Allez,qu’ilserincel’œil!songeaEliza.C’estsûrementleplusbeaujourdesavie. –Viens,Cody.C’estlepetitbain,etpuiscen’estquedel’eau,çanevatefairedemal,ditMara, s’efforçantdemettreenconfiancel’enfantapeuré. –MAISSI!AHAHAH!s’exclamaWilliam,avantdesauterdanslapiscineenl’éclaboussant copieusement. –Nefaispasattentionàlui. –Allez,fiche-ledoncàl’eau!lançaunevoixjoviale,surletondelaplaisanterie. Levantlesyeux,ellesaperçurentRyanPerry.Torsenu,ils’étiraitlesjambes,sepréparantàfaire sesquelqueslongueursquotidiennes. –Hé,mec,tuvasàcetrucauSunsetcesoir?criaEliza. Qu’est-cequinecollaitpas,avecRyanPerry?sedemandaEliza.Ilétaithyper-sexyetpourtant, il ne lui avait jamais fait le moindre effet. Sans doute parce qu’ils se connaissaient depuis qu’ils étaientgosses.Etpuis,sérieusement,commentaurait-ellepuneserait-cequ’envisagerdesortiravec lefrèredecesdeuxsorcières?Trèspeupourelle.Cequinel’empêchaitpasdesefairevaloiraux yeuxdeJacquietMara,eninsistantsurlacomplicitéquilesliait–vuqu’elleétaitunevieilleamiede lafamilleettoutletralala. –C’estpossible,réponditRyan. Mais son attention était ailleurs. Il s’agenouilla près de Mara, qui enveloppait Cody dans une serviettedebain. –Hé,quandest-cequ’onlafait,cettefameusepartiedeScrabble? –Hein?Ahoui...Quandtuveux,réponditMaraavecuneexpressionradieuse. –Super. Ils échangèrent un sourire, et Ryan plongea, tête la première, dans la piscine. Jim manquait à Mara,maisilyavaitdeschosesqu’ellesupportaitmal–chaquefoisqu’ellel’appelait,ilétaitsoiten traindesesoûleraustadeavecsespotes,soitentraindes’occuperdesclients(ouplutôtdesclientes, aux voix affreusement jeunes et féminines) chez son oncle le vendeur de voitures. Et Ryan était tellementgentilavecelle.Sielleavaitpuêtrehonnêteavecelle-même,elleauraitreconnuqu’ill’était beaucoupplusqueJimnel’avaitjamaisété. –Hé,lesfilles,j’avaisoubliédevousdire...Annaveutqu’onaccompagnelesgaminsaumatch depololasemaineprochaine,ditJacqui.Ellealaissédesinstructionspourl’accèsauxpavillonsdes VIP. AumotdeVIP,Elizatenditl’oreille. –Paspossible...Vousavezunetribunecetteannée?cria-t-elleàRyan. Celui-cihochalatête,depuislegrandbain. –OhmonDieu!Maisjen’airienàmemettre!glapitEliza. Seredressantd’unbond,elleenoublialejardinieretluimontrainvolontairementsesseins. –Oups!fit-elle,remontantsesbretellesetrenouantlehautdesonmaillot. Lesécateurtombaàterre. –Pourquoifaireuntelplatàproposd’unmatchdepolo?demandaMara. – C’est le Trophée Mercedes-Benz, répondit Eliza sur le même ton que « c’est le discours d’investitureàlaprésidencedesÉtats-Unis».Toutlemondeysera.C’estunweek-endvraimenttrès important. –C’estjusteunmatch,non?demandaJacquienhaussantlesépaules. Dupolo.Deschevaux.Desmaillets.Tuparlesd’uneaffaire!Elles’entapaitunpeu,destrophées internationaux! Elizasecoualatête.Inutiledetenterd’expliquerlaviemondainedesHamptons–onavaitçaen soi, ou pas. On était pris ou pas. Et, malheureusement, Jacqui et Mara ne captaient pas. Elles ne saisissaient pas la chance qu’elles avaient de se retrouver à East Hampton – elles auraient pu aussi bienêtrecoincéesàMontauk,nomdeDieu! –L’important,cen’estpaslematch.Toutlemondesefichepasmaldesavoirquivagagner.Ce qui compte, c’est le champagne dans les pavillons. C’est le moment où tout le monde va fouler au pied le terrain, entre le troisième et le quatrième chukka ! C’est une sorte de tradition. Stephanie Seymour vient toujours avec des talons de douze centimètres qui s’enfoncent dans la boue ! Une année,leprinceHarryaconcouruavecl’unedeséquipes. Elizaretintsonsouffle,enserappelantàquelpointelles’étaitamuséel’annéeprécédente. – De toute façon, tout le monde est sapé à mort. Mais décontracté, à la mode de Los Angeles. Seulementjen’airiendeneuf!s’exclama-t-elle,prisedepanique.Ilfautquejefasselesboutiques. Elizamouraitd’impatiencededépenserl’argentgagnéàlasueurdesonfront. Après la réunion annulée, on remit aux filles un mot d’Anna et trois enveloppes bourrées de liquide(3334dollars,trèsprécisément).«Mercid’avoirtravaillésidur.Désoléed’avoirdûannuler lerendez-vous.Lecoiffeurnepouvaitpasmeprendreunautrejour.Essayezdenepastoutdépenser d’uncoup.Anna»,pouvait-onliresurl’épaissecartegaufrée. –Oui...,ditJacquid’untonmélancolique.ÀDaslu,j’avaischaquesemaineunetenuedifférente. J’aivuunerobeGuccisublimedansVogue,avecuneceintureserpent.Elleseraitparfaite,avecmes nouvellesmules. Elleavaitl’airsidésemparéqueMaraavaitpresqueenvied’enrire. –Hé,lesfilles,sivousvoulezfairedushopping,jepeuxrestericiàsurveillerlesenfants. –Tuessûre?glapitEliza. –Fantástico!s’exclamaJacqui. Toutesdeuxcommencèrentàramasserserviettesetsacsdeplage,raviesdutourqueprenaient lesévénements. –Vousmettezlesvoiles?demandaRyan,sehissanthorsdelapiscineetrépandantdesflaques d’eausurleciment. –Ellesdeuxseulement,expliquaMara.Ellesveulentfairelesboutiques,alorsjeleuraiproposé degarderlesenfants. –Tudevraisyalleraussi.Jevaislessurveiller,proposaRyan. Maran’enrevenaitpas. –Vraiment?demanda-t-elle. Faire les boutiques la tentait, et elle commençait à se sentir mal fagotée, entourée de ces deux bêtesdemode.Çaneluiferaitpasdemaldesedégoterunpetitquelquechose–unenouvellejupe, peut-être,ouunepairedecesgrosseslunettesavecunGsurlecôtéquetoutlemonde,ici,paraissait porter.Etpuis,ellepourraitpasseràlabanquedéposerdel’argentsursoncompte. –Allez,Mara,viens,laisse-les-lui.Iln’arienàfairedetoutelajournée,ditEliza,griséeparla perspective de consacrer la journée à son loisir favori – si grisée qu’elle se réjouissait presque à l’idéequeMaralesaccompagne. –Oh,OK.Maisonseralà,disons,dansunquartd’heure,promitMara. Unquartd’heure?ElizaetJacquiéchangèrentuncoupd’œil.Visiblement,Maran’avaitjamais faitlesboutiquesavecdesfillescommeelles. Avenueprincipale d’EastHampton: queferait-on sanscartedecrédit? Les filles traînèrent du côté des saris et des satins aériens de la boutique Calypso, où Jacqui choisit d’ajouter un énième bikini Eres à la quinzaine de maillots qu’elle avait apportés. Puis elles filèrentchezTraceyFeith,pourjeteruncoupd’œilauxnouvellesrobesbaindesoleil,s’arrêtantau passagechezStevenStolman,carElizasouhaitaitvoirsilessacsJellyKellymodèle«arc-en-ciel» étaientenstock–cequin’étaitmalheureusementpaslecas.Ilsavaienttousétévendus,etlesclientes devaientsemettresurlisted’attente.ChezJimmy,lesrobesdesoiréeornéesdeperlesleurcoupèrent lesouffle. Arrêtsuivant:ScoopontheBeach. –Maboutiquefavorite!s’exclamaElizaensedéplaçantentrelesportants. Robesbustiersentissuéponge,caracosetdébardeurs,minijupesencotonauxcolorisacidulés, étagères de tee-shirts archi-moulants et de sweaters rétrécis, à capuche – la tenue officielle des Hamptons. La boutique était remplie de femmes émaciées âgées de vingt ou trente ans, essayant des teeshirts Petit Bateau (destinés à l’origine aux tout-petits). Les couples mère/fille étaient légion. Mara distinguait deux tendances : les mères qui s’habillaient plus jeune que leurs filles – vêtues de débardeursetdepantalonsentissuéponge,quandleursfillesarboraientdesvestesChanel;lesmères etlesfillesquis’habillaientpareil,enrobesLacostenoiressansmanchesetespadrilles. –Jepeuxvousaider?lançaunevendeuseexubérante,quidevaitavoirleurâgeetportaitunteeshirtavecJUICYécritsurlapoitrine.Vouscherchezquelquechoseenparticulier?demanda-t-elleà Maraquiparaissaithésiterunpeu,tandisqu’ElizaetJacquifouillaientdéjàfrénétiquementparmiles présentoirs. Marahaussalesépaules. –Passpécialement. – Venez me voir si vous avez besoin d’un renseignement, dit la fille d’une voix haut perchée, abandonnantMarapours’occuperdeclientesplusdégourdies. Constatantquelaplupartd’entreellesétaientrassembléesautourdetablesoùs’empilaientdes jeans pliés, Mara suivit leur exemple. Il y avait des jeans clairs, des jeans foncés, des jeans à fines rayures,desjeansdecouleur,desjeans«salis»,despattesd’éléphant,destaillesbasses,destailles super-basses,desjeansàcoupeévaséeoumoulante,desjeansavecpochesàrabatssurledevant,les fessesoulacuisse.Unedéclinaisoninfiniedesvariationslesplusinfimes.Pourtant,autourdeMara, toutes les clientes discutaient des modèles qu’elles possédaient déjà et de ceux qu’il leur restait à acquérir.Mararegardaleprixsurl’étiquette.Centsoixante-quinzedollars!Pourunjeanquin’était pasbiendifférentdesonbonvieuxLevi’s! – Maman, qu’est-ce que tu en penses ? demanda une jeune sylphide à sa mère en sortant de la cabined’essayagevêtued’unerobeentissulégertrèsdéshabilléeavecdécolletéplongeant. Samère,uncanonauxbrasbronzésetmusclésetauventreplat,secoualatête. –Tunecroispasquec’estunpeuoléolépourquelqu’undetonâge? –J’aidouzeans!protestasafille. Une femme d’une trentaine d’années sortit à son tour des cabines, portant rigoureusement la mêmerobe.Ellejetauncoupd’œilàl’adolescente,etsoupira. –Jeseraisprêteàtuer,pouravoirunesilhouettepareille! L’alertevendeusedonnauncoupdemainàJacquietàElizalorsqu’elless’engouffrèrentdans lescabinesavecunepileinformedevêtements.Marademeuraenretrait,horrifiéeparlesétiquettes. Elletrouvaunjolichemisiersansmanchesàmotifbandana,maislereposaàlasecondeoùellevit sonprix.Deuxcentcinquantedollars!Pourunhautencoton?Iln’yavaitdoncrienau-dessousde cinquantedollars,danscetteboutique?Ahsi...untasdeceinturesencoton,dansunecorbeille,près delaporte.ElizaémergeadelacabinedansuneondoyanterobeportefeuilleasymétriquedeDiane vonFurstenberg. – Oh, mon Dieu, ça vous va trop bien ! Reese Witherspoon a acheté la même hier, s’exclama l’employéedumagasin. Citerunecélébritéétaitlemeilleurmoyendedoperlesventes.MêmeMaralesavait. –Vraiment?demandaEliza.Jelaprends! La vendeuse eut un grand sourire. Mara connaissait cette expression : elle signifiait « pauvre poire!».MaisElizaétaittropsatisfaitedesanouvellerobepours’ensoucier. –Tuastrouvéquelquechose?demandaElizaàMaraquiserraitautourdesataillelaceintureà moinsdecinquantedollars,enexaminantsasilhouetted’unœilcritique. –Heu...non.Jepréfèrevousattendre,lesfilles.Oubien...vaudraitpeut-êtremieuxquejerentre. –Qu’est-cequeturacontes!ditElizaens’avançantd’unpasdécidé. ElletiraduportantunerobebustierShoshanna,rougeetmoulante,vendueavecuneculotteen dentellerougeassortie. –Essaieça!Avectescheveuxnoirs,çavat’allersuper. –Jenesuispassûre...,protestaMara. Lamèreetlafillequisedisputaientausujetdelarobetropsexysedirigèrentverslacaisse. –Pousse-toi,maman.Jelaprends,ditlafille,tenantlecintred’unemainetbrandissantsacarte bleuedel’autre.Ceseraparfait,pourlabarmitzvahdeTiffany. SamèrepoussaunsoupiretjetaàMaraunregardsemblantsignifier:«Ah,c’estçalesenfants, denosjours...qu’est-cequevousvoulezmabonnedame!» Maraserefusaàexprimerlamoindresympathie.Ellen’étaitpasfavorableàcequelesgamines de douze ans se baladent en petite tenue. Mais vu qu’elle était de Sturbridge, qu’est-ce qu’elle y connaissait ? Sur la plage, elle avait vu des fillettes de l’âge de Zoë porter des tee-shirts « Star du porno». Jacquisortitdescabinesavecunechemisepoloriquiquisansmanchesetunminusculeshorten jeanrayé. –Commentvoustrouvez,lesfilles? – C’est mortel ! s’écria Eliza. Tu es à tomber par terre ! Dis, Jac, tu ne trouves pas que Mara devraitessayerça?demandaElizaenagitantlarobe. –C’estperfeito.Fautquetul’essaies.Oninsiste,approuvaJacqui. EllespoussèrentMaradansunecabined’essayage. –Oh,OK.Maisjustepourrigoler,alors,ditMara. Zutcequec’étaitserré...Quidiablepouvaitglisserseshanchesdanscetruc-là?Elleremontala fermetureéclairdansledoset,par-dessussonépaule,jetauncoupd’œilàsonrefletdanslemiroir. Çaluicouvraitàpeinelesfesses!Cequiexpliquaitlaculotteassortie. – Hé, les filles, qu’est-ce que vous en pensez ? demanda-t-elle en sortant prudemment de la cabine. –Muitobonito,déclaraJacqui. – Qu’est-ce que je t’avais dit ? ajouta Eliza. Mais il te faut des chaussures. Désolée, mais tes Reeboknevontpascoller.Quantàtesbottesdecow-boy,j’espèrequetun’imaginespaspouvoirles porteravecça! Jacquihochalatêteetsaisitunepairedemulesàtalonsenplastiquerouge. –Tiens.Passe-les!dit-elleenaidantMaraàlesenfiler. LestalonsaffinaientlesjambesdeMara,muscléesetbruniesparleurexpéditionquotidienneà GeorgicaBeach. –Parfait!jubilaEliza.Sauflescheveux.Tulesastoujourseuscommeça? –Pourquoi?Qu’est-cequivapas? – On va devoir faire appel à Pierre, dit-elle en composant un numéro sur son portable. Allô... Pierre?C’estEliza.Tucroisquetupourraispassermevoir,unpeuplustard?J’aiuneamiequia vraimentbesoindetonaide. – Jim ne me laisserait jamais porter ça en public, fit remarquer Mara en s’examinant dans le miroir. –C’estqui,Jim? –C’estmonpetitami,leurrappelaMara. Lesdeuxjeunesfillesparaissaientfrappéesd’amnésiepourtoutcequeMaraleuravaitraconté desavie. –Déjàqu’ilm’enveutàmortdel’avoirlaisséseulcetété. –Ahoui,M.Numéro1,lataquinaEliza.Etpourquoi?Ilnepeutpasvenirtevoir?Tun’aspas ditquetuétaisdeBoston?Cen’estqu’àquatreheuresderoute. –DeSturbridge.Oui,c’estvrai,cen’estpasloin.MaisJimesttrèscasanier. –NomdeDieu,quelbébé!s’exclamaEliza.Entoutcas,àsaplace,jenetelaisseraispassans surveillance. –QuisesouciedeJim?Esqueceele.Ryanvaenresterbaba,ditJacqui. –Qu’est-cequetuveuxdireparlà?s’écriaMara. –Nevaspasnousraconterquetun’aspasremarquésafaçondeteregarder?Ilesttoutletemps super-gentilavectoi,ditElizaavecungrandsourire. Leshoppinglamettaittoujoursd’humeurgénéreuse. –Ilestgentilavecnoustoutes,insistaMara. –OK.Situytiens...,conclutElizaavecunhochementd’épaules. Parréflexe,Jacquisemitàrangerlespullsqu’ellesavaientsortis,prenantplaisiràreplierles cardigansavecsoin,defaçonàformerdescarrésparfaits.Mais,tandisqu’ellelesreposaitdansles rayons,ellejetauncoupd’œildanslavitrineetfaillitlâchertoutelapiled’uncoup.Là-dehors,c’était Luca ! Son cœur battit à tout rompre. Ils ne se voyaient quasiment plus pendant la journée. Il avait toujoursunebonneraison–ilfallaitqu’ilailleenvillepouruneréuniondefamille,ouqu’ilparte pêcheravecsonpère. –Luca!Luca!Ummomento!lança-t-elled’unevoixfébrile,enfonçantverslaporte,toujours vêtuedeshabitsdumagasin.Elles’apprêtaitàcourirl’embrasser,maisàpeineeut-elleposéunpied surletrottoirquelavigilantevendeuselarattrapad’ungestebrusque. – Oh, miss. Vous allez où, comme ça ? dit-elle en refermant son poing sur son épaule, tel un étau. –SalutJacqui.Quelplaisirdeterencontrer!Jolipolo!s’écriaLuca,sansmêmeralentirlepas, depuisletrottoird’enface. Ça alors ! Jacqui suivit à contrecœur la vendeuse à l’intérieur. Il n’avait peut-être pas voulu gâcherledînerromantiquequ’ilsavaientprévucesoir?Çaluiparaissaitunpeutiréparlescheveux, commeexplication.Etpuis,ellecommençaitàenavoirassezdeluitrouverdesexcuses. –Honnêtement,ilesthorsdequestionquej’achètecetterobe.Elleestimportable,etelleestaudessusdemesmoyens. – Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Eliza. J’ai vingt-cinq pour cent de rabais dans cette boutique.La«remiseVIP»,çateditquelquechose?Cetterobeestfaitepourtoi.Etonvienttout justed’êtrepayées,pasvrai? Jacquipayasatenue,etElizadéposatoussesarticlessurlatablette.UnsacàmainMarcJacobs, plusieurstee-shirtsC&C,quatrepairesdesandalesJimmyChooetunenouvellerobeTheory–le toutdépassantdecinqcentsdollarslasommequ’ellevenaitdegagner. –MettezlerestesurmaVisa,lança-t-elleàlavendeuse. Marahésita,maiselleavaitbesoind’unerobe,etcesmulesétaienttellementmignonnes. –OK.Jelesprends,dit-elleàcontrecœur. Chargéedesessacsdeshopping,Elizalesconduisitàsasecondeadressepréférée:leglacier Scoops,oùtoutestroiscommandèrentdescoupesglacéeschocolatchantilly. Contrairementàcequ’on racontedanslesmédias, touslesgaysnesontpas desbêtesdemode Ayantenfinregagnéleurchambreaprèsavoircouchélesgamins,lestroisfillesaupairfaisaient desplanspourlasoirée. –Mara,tusorscesoir?demandaEliza.Tunevaspasrefuserunefoisdeplus! Mara n’était pas très chaude, mais vu qu’elle n’avait rien de mieux à faire... Elle avait déjà accompagnéZoëauxtoilettes,etn’étaitdoncpasobligéederester.EtJimlaboudaitdepuisqu’ellelui avaitditqu’ellenepourraitpasprendresonweek-endetvenirlevoir.Elleavaitbeaueuluienvoyer uncolis-cadeaupleindesconesetdemuffins,çan’avaitpasapaisésacolère. –Oh,d’accord.Maisonnerestepaslongtemps,hein?Lesfillesontleurcoursdedansedemain matin. – Ouais, c’est ça, on va rester une minute ou deux, répliqua Eliza en faisant un clin d’œil à Jacqui. Marasortitsanouvelleroberouge. – Qu’est-ce que tu fais ? demanda Eliza en la lui prenant des mains, et en la remettant sur le cintre. –Heu...jem’apprêteàenfilermanouvellerobe? –Non,malouloute.Elleestpourlematchdepolo.C’estpasdutoutcequ’ilfautauJetEast.Tu comprends, c’est une robe d’après-midi. Tu ne vas tout de même pas te pointer au match dans une robequetoutlemondeauradéjàvue,soupiraEliza.Tiens...metsça!ajouta-t-elleentendantàMara un de ses propres chemisiers – un dos nu drapé en jersey noir, à décolleté plongeant. Tu peux le porteravectonjean...çava,ilestbien.Etavectesnouvellestongs. Jacqui sortit de la salle de bains vêtue d’un top en dentelle noire et d’un pantalon en soie à pochesàrabats,spécialementachetépoursonrendez-vousdecesoiravecLuca.Ellevintseplanter devantlevieuxmiroirfêlé. –Net’attachepaslescheveux.Laisse-lestomberlibrement,ditJacqui. Pierre,l’amicoiffeurd’Eliza–autoproclamé«laReineduCheveu»–étaitpasséleurcouper les cheveux gratis, cet après-midi-là. En échange de quoi, il les avait prises en photo avec leurs nouvellescoupes,pourlesmettredanssonportfolio.JacquicoiffaMarad’unemainexperte. – Tu vois, tu gardes le mouvement ici, tu lisses un peu là – et après, tu secoues la tête pour donnerunlookdécoiffé. Jacquisortitsatroussedemaquillage–dumatérieldeproquidevaitpeserdanslescinqkilos– et commença à appliquer fond de teint, poudre, eye-liner, fard à paupières et rouge à lèvres sur le visagedeMara. Lorsqu’elleeutfini,MaraseregardadanslemiroirdepochequeluiavaitremisJacqui. –Tunetrouvespasquec’estunpeuexagéré? Detoutesavie,ellen’avaitjamaisétéaussimaquillée.Pasmêmelorsqu’elleavaitassistéavec Jimàlafêteduderniertrimestre,l’annéedernière. – Tu es presque plus belle que moi ! s’exclama Jacqui, un peu envieuse. « Presque » souligné deuxfois,plaisanta-t-elle. Maraéclataderire. Elles dirent bonsoir à Jacqui et Eliza leva triomphalement le poing lorsqu’elle vit que les jumellesn’étaientpasencoreparties.LeurmonospaceMercedesétaitencoregarédansl’allée. Elizasehissaderrièrelevolant. –Monte!lança-t-elleàMara. –Etlesjumelles? – Anna et Kevin ont dit qu’on pouvait prendre n’importe quelle voiture, répliqua Eliza en haussantlesépaules.IlleurrestetoujourslaVolvo,non? Lelongdutapisrouge,unefiledepaparazzishurlaientlesnomsdediversespersonnes.Eliza s’avança lentement, dans l’espoir d’être prise en photo. Mais tous avaient les yeux rivés sur une starlette pop, la blonde Chauncey Raven, accompagnée d’une escouade de gardes du corps. L’adolescentededix-huitans–surtoutconnuepourexhibersonventreplatetbronzéjusqu’aubassin, et pour proclamer sa virginité en roulant des patins à tout ce que Hollywood comptait de jeunes rebelles–étaitlanouvellecoqueluchedesjournauxpeople. – CHAUNCEY ! CHAUNCEY ! PAR ICI, CHAUNCEY ! ! ! hurlaient les photographes, au combledel’excitation. Maislastarétaitentièrementdissimuléeparsesgardesducorps,d’anciensjoueursdehand-ball hautsdeplusdedeuxmètres. ElizaetMaraentrèrentdansleclub,justeaprèselle,danslaplustotaleindifférence.Unefoisà l’intérieur, Eliza se mit à chercher des yeux ses amis, avant de s’engouffrer dans une arrière-salle. Mararestaprèsdumur,unverreàcocktailàlamain,aveclavagueimpressiondenepasêtreàsa place.Elleposasonverreetsedirigeaverslestoilettesdesfemmes,oùelletombasurunhommeaux traitsasiatiquescoincédansl’encadrementdelafenêtrejusqu’àmi-corps,etdontlesbraspendaient lamentablementau-dessusdeslavabosdeporcelaine. –Hévous,là,aveclechemisieràdeuxcentsdollarsetlacoupeJenniferAniston.Aidez-moi! Marasaisitl’unedesesmains–pascellequitenaitunvolumineuxappareilphotoNikon–etle tiraàl’intérieur. – Dieu du ciel ! s’exclama le type en s’essuyant le front. Il faut vraiment que je me tienne à distancedubuffet,laprochainefois.Tropdebonneschoses,celanemeréussitpas! L’hommequisetenaitdevantMaraétaitd’originechinoise,minuscule,dotéd’unénormeventre etd’undoublementon.Ilportaitunevesteàmotifléopardsurunechemiseàimpressioncachemireet un pantalon en polyester brillant. Tout était trop petit et trop étroit – comme s’il avait doublé de volumed’uninstantàl’autre. –LuckyYap!dit-ilentendantlamainàMara. –MaraWaters. –Vousm’avezsauvé!FautquejeramèneunclichédeChaunceyRaven,sijeveuxpasquemon bossmefassemafête.Cettepetitepétassenes’estmêmepaslaisséprendreenphotodevantlaboîte. Etilsneveulentpasmelaisserentrer,bienquejesoissurlaliste! –Non...!ilsontledroit? –C’estpourçaqu’ilssontpayés,monchou!SonRPestunenfoirédepremière.Maisbon...la photoqu’onaprised’ellelasemainedernièreneleurapasfaittellementplaisir,ricanaLucky.«Elle s’évanouit au Tavern et doit être évacuée de la piste de danse. » Le Star a payé l’exclu cent mille dollars. Marapouffa. –Allez,venez!Jecroisquej’airepéréuneentréesecrète,verslapiècedufond. Ils se glissèrent à travers une fente, dans les rideaux qui séparaient les tables des VIP du toutvenant.Àl’intérieur,assisesurlesgenouxdesondernierchevalierservant,Chaunceyl’embrassait avecfougue. – Parfait ! lança Lucky, cherchant son angle de vue. C’est ça, bébé, vas-y ! Waouh ! À moi l’oseille! Lesflashsseperdirentdanslesfaisceauxlaser,battantaurythmedelamusique. – Dieu soit loué, on voit son string ! Ils paient toujours mieux, pour les clichés déshabillés, expliquaLuckyendissimulantsonappareilphoto.Vousêtesmonangegardien. –Toutleplaisirestpourmoi. Mara sourit. Sa rencontre avec Lucky lui avait valu – jusque-là – son meilleur moment de la soirée. – Je vais faire un tour de piste pour voir si je peux surprendre en fâcheuse posture des gens dignesderemplirlespagespeople.VoussavezsilessœursPerrysontdanslesparages?Sugaret Poppy? –Heu...jenesuispassûre,réponditMaraensedemandantsilesjumellesoseraientaffronterla vienocturnedesHamptonsdanslaVolvomiteuse.(Miteuse,laVolvo?Apparemment,lesHamptons commençaientàluimonteràlatête.) Elle salua chaleureusement le piquant paparazzi. Mais, à présent que leur petite aventure était terminée,ellehésitaitàrester.Ellen’avaitencoreriendécidélorsqu’ellesentitquelqu’unlafrôler. –Hé,toi!ditRyanenluidonnantunepetitetapesurl’épaule. – Ryan ! Salut ! s’exclama-t-elle, si soulagée de voir un visage familier qu’elle l’entoura instinctivementdesesbrasetluiplaquaunbaisersurlajoue. –Waouh!Tuessuperbe!dit-ilenreculantunpeupourmieuxlacontempler. –Parceque,pourunefois,jenesuispascouvertedebavedebébé?letaquinaMara. –Non,non,enfin,tuestoutletemps...tuestoutletempsbelle.Cequejevoulaisdire,c’estque..., bafouilla-t-il – ce qui n’était guère dans ses habitudes. Alors... heu... je croyais que tu restais à la maisoncesoir,conclut-ild’untonpiteux,s’efforçantdechangerdesujet. –J’aichangéd’avis. –J’ensuisbiencontent,ditRyand’unevoixunpeuplussérieusequenécessaire.C’estElizaqui m’aditquetuétaislà.Vienslà-derrière,jevaisteprésenterdesamis. –Volontiers. Illapritparlamainetlaconduisittoutaufonddelasalle.Là,ungroupedejeunesgensvautrés sur des divans en velours fumaient des cigarillos, leurs petites copines délicatement perchées sur leursgenoux. –Ohhé,lesgars,jevousprésentemonamieMara,ditRyan.Mara,jeteprésentelabandeau complet. Sonamie!pensaMara,transportéedejoie.Iln’avaitpasdit«Jevousprésentelafilleaupair!» Ni«Voiciunejeunefillequenousavonsembauchéepourl’été!»Sonamie! Àcôtéd’elle,ungrandtypeaucrâneraséfitminedevouloirluibaiserlamain.Maraéclatade rire,etRyanbalayad’ungestelamaindesonami. –Çasuffitcommeça!Tuveuxquelquechoseàboire?demanda-t-ilàMara. –Oui,pourquoipas? Alorsqu’ilss’apprêtaientàsedirigerverslebar,LuckyYappassaprèsd’eux. –Hé,monsieurPerry!lança-t-ilenenvoyantunbaiseràRyan. –Toutsepassebien,Lucky?demandaRyanens’esclaffant.CommentvaFrederic? Comme tout habitué des Hamptons, Ryan savait que Lucky Yap était l’homme à tout faire de FredericO’Malley,lephotographedesmondanités. – Il va bien. Il est à Cannes, pour le festival. Et il me laisse là, avec toutes les célébrités de secondezone!Maisiln’yapersonneici!Jen’aimêmepasvutessœursdelasoirée.Tenez,àla place,jevaisvousprendreenphototouslesdeux,ditLuckyd’untoncatégorique. Ryan et Mara échangèrent un regard dubitatif, puis Ryan passa le bras sur l’épaule de Mara et tousdeuxfixèrentl’objectif. – Parfait ! Merveilleux ! Sexy ! s’extasia Lucky, avant de les laisser jeter un coup d’œil au résultatsurl’écrandesonappareil. Iltiraunbloc-notesdel’unedesespoches. –RyanPerryet...MaraWaters,c’estbiença?dit-ilengriffonnantleursnoms. Ryanécarquillalesyeux,surprisquelepaparazzileplusconnudelavilleconnaissedéjàlenom deMara. Celle-cisecontentadesouriremystérieusement. Quelquepart danslesHamptonsBays, Jacquireconnaît quecen’estplusvraimentça... Jacquienavait...c’étaitquoi,cetteexpressiondontseservaitMara?Pleinledos.Oui,c’estça... elleenavaitvraimentpleinledos! Retrouver Luca aurait dû la rendre réellement, sincèrement, totalement heureuse. À vrai dire, elle avait passé le mois entier à se répéter qu’elle était folle de bonheur et que c’était une chance incroyablequetoutsefûtpasséainsi,commedanssesrêveslesplusextravagants.Maisc’étaitlàle problème...Jacquisavaitquesielleavaitfranchementéprouvéuntelbonheur,ellen’auraitpaseuà s’en convaincre en permanence. Au fil des semaines, elle finit par s’avouer que le qualificatif «malheureuse»convenaitmieuxàsonétat.Oui,elleétaitmalheureuse,décida-t-elle. Luca avait, pour la énième fois, annulé le dîner romantique. Au lieu de l’emmener au Farmhouse, il avait suggéré un autre type de soirée « romantique » : un pique-nique sur la plage. Aprèsavoirrouléuneheure,ilss’étaientarrêtésdansunpetitrestaurantdélabréoùLukeavaitacheté deuxpaniersd’huîtresimbibésd’eaudemeretunpackdebières.Ilsn’étaientmêmepasseuls.Léo, unamideLuca,lesavaitrejointssurlaplage. Lesgarçonssedonnèrenttoutdemêmelapeinedefaireunfeudecamp,cequipermitàJacqui denepasgelersurplace,peuvêtuecommeellel’était.Grelottantdanssonlégerpullencoton,ellese demandaitquandilallaitenfinlaramenerchezelle. Autrechoseajoutaitàsamisère:Lucaneluiprêtaitpaslamoindreattention.C’étaitlecœurdu problème.Leresten’importaitguère–ilsauraientpumangerdeshamburgerstouslessoirs,çane l’auraitpasdérangéeplusqueça.Maisellecommençaitàréaliserquelegarsqu’elleavaitretrouvé n’était pas celui qu’elle avait connu à São Paulo. En fait, tout ce qu’il avait fait ce soir-là, c’était roulerdeuxgrosjointsqu’ilavaitfumésseul.IlavaitbienproposéquelquesboufféesàJacquietà Léo,maisl’herbedonnaitdesmigrainesàJacquietLéoavaitdécrétéquelabièreluisuffisait. –J’aiplusdefeuillesàrouler!Surtout,pasdepanique!s’exclama-t-ilenpartantdansunrire hystérique. Jacqui l’observait en silence. Il était l’amour de sa vie, mais dans de tels moments, elle reconnaissaitqu’ilavaitl’aird’uncrétin. Luke se leva et courut sur la plage, en direction de l’endroit où ils avaient garé la voiture, derrièredesdunesdesable. –Tupassesunbonété?demandaLéo,s’appuyantsurunbrasetlevantlesyeuxverselle. IlnepossédaitnilesmerveilleuxyeuxvertsnilenezparfaitementdroitdeLuca,maisilavaitun visagesympathique. –Oui,super,réponditpolimentJacquienserrantsesgenouxcontresapoitrine. –NefaispasattentionàVanVarick.Illuiarrived’êtreunpeudur,ditLéod’unevoixdouce. Jacquihochalatête.Ellen’étaitpascertained’avoircompris. –Alors,c’estcomment,leBrésil? Jacqui réfléchit. Vaste question. Mais elle se retrouva vite à raconter à Léo sa vie, là-bas : ses deux frères cadets qui étaient encore chez leurs parents à Campinas. Son quotidien dans la grande ville,oùellehabitaitavecsagrand-mère.LecouventdeSainte-Anita–prestigieuseécolefréquentée par les filles du président – où l’avait envoyée celle-ci. Le peu de fortune de sa famille, qui l’avait contrainteàprendreunboulotdevendeusechezDaslupourpayerlesfraisdescolarité. Léo était un auditeur curieux et attentif. Il posait les bonnes questions, l’encourageait à se confier.ÇafaisaitdubienàJacqui,quequelqu’uns’intéressâtréellementàsespropos. Ilsriaientd’uncommentaireparticulièrementamusantqu’ellevenaitdefaireausujetd’unmatch defootball,quandLukesurgitdederrièrelacolline. –Qu’est-cequ’ilyadedrôle?demanda-t-ild’untonsoupçonneux. –Rien...rien,ditJacqui,gloussanttoujoursàlapenséeducafouillagedeDavidBeckham. Lukefixasonamiavecinsistance.Léohaussalesépaulesetdétournalesyeux.Jacquiconnaissait ceregard.Ilsignifiait:«Baslespattes,mongars!» Lukes’accroupitàcôtédeJacqui. –Hé,bébé,çatedirait,unepetitebalade?Qu’onpuissediscuterunpeusansquecebouffonsoit làpournousentendre?demanda-t-ilavecuneœilladelascive. Jacquihochalatêteetluitenditlamain. –J’emmèneJacquifaireunepetitepromenadeauclairdelune,lança-t-ilàLéo. Illaconduisitàl’écart,prèsdesfourrés. –Vienslà!ordonna-t-ilentapotantlesable. – Regarde la lune ! s’exclama Jacqui en s’asseyant près de lui. Tu te souviens, quand tu m’as récitécepoèmesurlesétoiles?demanda-t-elled’untonrêveur. –Mmmm...,fitLuke,necomprenantabsolumentpasàquoiellefaisaitallusion. – Walt Whitman... Tu me l’as lu quand on a dormi à la belle étoile. « L’astronome... » «L’astronomequelquechose...» –Lorsquej’entendisledocteastronome...,commençaLukesuruntonimpatient. ÀSãoPaulo,Lukeluiavaitrécitécepoèmependantqu’ilscontemplaientlecielnocturne. Ouais, il avait quand même retenu deux trois trucs du lycée. Mais pas question de répéter le poème–ouderevivrecettescène.Ilavaitautrechoseentête.Avantqu’elleaitpuluiposeruneautre question,ilétaitsurelleetglissaitlamainsoussonchemisier.Elletressaillitlorsqu’illuifourrasa languemouilléedansl’oreille.Ilsentaitlemollusque. –Tusaisquelejointmedonnedesidéeslubriques...ettuesdufeudeDieu,cesoir,bébé!Nom deDieu,tusaispasl’effetquetumefais!dit-ilenluiléchouillantlecouetlesépaules. Jacqui jeta un coup d’œil à la lune blanche et pleine, aux étoiles silencieuses. Ce n’était pas romantique,etçanelarendaitpasheureusemais,bizarrement,çanel’empêchaitpasdedésirerLuca. RyandécouvrequeMara réservebiendessurprises Lafêteétaitfinie.ChaunceyRavenetsacourd’unetrentainedepersonnesavaientlevélecamp depuislongtemps.Seulstraînaientencoredanslaboîtequelquesmalheureuxesseulésespérantencore trouver chaussure à leur pied, une poignée d’alcoolos au dernier degré, et une ou deux serveuses. MêmelesRPetlespaparazzisétaientalléssecoucher.Elizaétaitpartieaveclemonospace.Etc’est pourquoiMaraétaitencoreassiselà,aufonddel’arrière-salle,seuleavecRyan. – On devrait y aller, non ? demanda-t-elle lorsque les lumières, au-dessus d’eux, se mirent à clignoter. –Tucrois?répliquaRyanavecungrandsourire. Ils se dirigèrent vers l’Aston Martin décapotable, un des seuls véhicules encore garés sur le parking.Lesvoituriersavaienteuxaussiquittélaplace.RyanouvritlaportièreetMaramonta. –Jen’avaispasréaliséqu’ilétaitsitard,dit-elle. Ellesefrottalesyeux,sebarbouillantlevisagedemaquillage. Elleabaissalemiroirdupassageretconstatalesdégâts. –NomdeDieu,j’aiunetêteàfairepeur!dit-elle. Ryansetournaverselle: –Tufaisuntrèsjoliratonlaveur. Elle s’essuya le visage avec des mouchoirs en papier, stupéfaite par la quantité de maquillage qu’elleparvenaitàretirer.Jacquiavaitvraimentexagéré. Ils effectuèrent le trajet de retour dans un silence paisible. La nuit exhalait une odeur de fraîcheur,d’humidité,etMarasentait,danstoutcecalme,cequecetendroitavaitdeparticulier.Même silesgensétaienttropposeurs,cequec’étaitbeau... –Ehbien,bonnenuit...,ditRyanenaidantMaraàmonterlesmarches. –Bonnenuit. Elle lui sourit, l’œil ensommeillé, et prit le sentier du jardin, en direction du cottage des domestiques. Ryanrestaplantésurleseuil,sourcilsfroncés. –Hé,tuvastecoucher? –J’allais...,hasardaMara. –Jepensaisfaireunfeusurlaplage.C’estunebellenuitet...enfin...j’aidessacsdecouchage. Marasouritdansl’obscurité. –C’estunesuperidée.Donne-moijusteletempsdemechanger. Quelquesminutesplustard,MararegardaitRyancreuseruntroudanslesable,etleremplirde bois et de vieux journaux. Elle portait un tee-shirt et un pantalon de pyjama, et avait réussi à se débarrasserdetoutsonmaquillage. Ilfitcraqueruneallumette.Lepapierprit,maispaslebois. –Jecroisqu’ilestunpeuhumide. –Attends,laisse-moitedonneruncoupdemain. Maraétaitexpertedansl’artdefairedufeu.Sesparentsaimaientchaufferleurmaisonaupoêleà bois,durantlesrigoureuxhiversdelaNouvelle-Angleterre.Ilstrouvaientçapittoresque.Mara,quant àelle,jugeaitqueleurranchdeplain-piedn’avaitpasgrand-chosedepittoresque. –Ilfautmettreplusdepapier,etsoufflersurlafumée... Elle disposa les morceaux de bois de façon à former un tipi, par-dessus le papier journal. Lorsquelaflammeinitiales’éteignit,quelquesbraisessubsistèrent. –Souffle,souffle!ordonna-t-elle. Tousdeuxsoufflèrentdetoutesleursforcessurlesminusculeslueurs.Ellesgrossirent,lefeu pritenfin.MaraetRyanpoussèrentdescrisdejoie. –J’aitrouvédesmarshmallowsdanslegarde-manger,annonçaRyanenouvrantunsachet. Ilcueillitunecannedejoncetenfitunlongbâtonauboutduquelilplantaunmarshmallow.Ille tenditàMara.Ellelemaintintau-dessusdufeu.Lesucre,enfondant,devenaitmarronetluisant. – Quand j’étais petite, je laissais toujours les marshmallows trop longtemps, si bien qu’ils finissaientparbrûlerettomber,ditMaraenprenantunebouchée. – Mais il faut les laisser le plus longtemps possible, protesta Ryan. C’est là qu’ils sont les meilleurs! Iltardaàretirersonbâtondesflammes.Lemarshmallowgrésillaettombadanslefeu. –Qu’est-cequejet’avaisdit!s’exclamaMara,enriantdel’airmortifiédeRyan. Ryanpiquaunautremarshmallow: –Cettefois-ci,tuvasresterlà!luiordonna-t-il. Ils savourèrent le silence qui s’ensuivit. Mara enfonça ses pieds nus sous le sable jusqu’à le sentirimbibéd’eaudemer.Ellevoyaitserefléterleurfeu,minusculepointorange,dansl’incessant roulementdesvagues.Derrièreeuxsedressaientlesdemeureslesplushautesqu’elleeûtjamaisvues. Maislaplagel’impressionnaitdavantage. –Autrefois,j’étaispersuadéquejevivraisicipourtoujours,ditRyan,l’interrompantdansses pensées. –Qu’est-cequetuveuxdireparlà? – Quand j’étais gamin, et qu’on séjournait dans les Hamptons, je ne voulais jamais repartir, quand arrivait le mois de septembre. Je me suis juré, alors, que quand je serais plus grand, j’habiteraislàtoutel’année. –Ildoitparfoisfairetrèsfroid,ici.Avecl’océansiproche. –Oh,épouvantablement...,confirmaRyand’unevoixenjouée.Maisiln’yapluspersonne,alors. C’estçaquiestchouette. –Etmaintenant? –Jenesaispas.Lamaisonn’estpluslamême. –Jesuisdésolée. Elizaluiavaitracontéquelamaison,autrefois,étaitbiendifférente–plusaccueillante,moins «musée». – Ne sois pas désolée. Il n’y a pas de quoi. Qu’est-ce que je pourrais trouver à faire ici ? demanda-t-ilenhaussantlesépaules.Ettoi...qu’est-cequetuvoulaisfaire,quandtuétaisgamine? –Jevoulaisêtrechercheuseensciences,ditMara.Quandj’avaisneufans,j’étaissûrequec’était cequejevoulais.Jepensaisqueceseraitchouette,deporteruneblouseblancheetderegarderdes trucsaumicroscope. –Etmaintenant? –Ehbien,jesuisnulleensciences!Etj’aihorreurdesmaths.Parconséquent,non,jenepense pasdevenirscientifique. –Qu’est-cequetuveuxfaire,alors? Mara se pencha sur la question. Ce qu’elle désirait vraiment, c’était écrire. Elle ne savait pas vraimentquoi.Peut-êtredesarticlesdejournaux.Oubiendesromans.Maisçaluiparaissaittellement horsdeportée.Unpeucommedevouloirgagnerunoscar.Çanepouvaitpasarriverpourdebon.De plus,sesparentsluiavaienttoujoursrépétéquesielleparvenaitjusqu’àlafac,ceseraitpourdevenir avocateoubanquière–afindegagnerbeaucoupd’argent.Sesrêvesétaientau-dessusdesesmoyens. –Jenesaispas...écrivain,peut-être,murmura-t-elle. Bizarrement,ellen’avaitaucunmalàseconfieràRyan.Sansdouteparcequ’ilétaitsifacilede parleraveclui.Ouparcequ’ellesavaitqu’ilneluidemanderaitpasdes’expliquerdavantage. –C’estchouette,dit-ilenhochantlatête. Ilsmangèrentencorequelquesmarshmallowsetcontinuèrentàdiscuterparintermittence.Mara appréciaitlespausestoutautantquelaconversation.EllenefitpasallusionàJimcarilétaitbon,pour unefois,denepasêtreentoutetpourtout«lapetiteamiedeJimMizekowski».PourRyan,elleétait simplementMaraet–pourunefois–çaluiréussissaitd’êtrejusteelle-même. Comme l’aube commençait à poindre, ils remontèrent la fermeture éclair de leurs sacs de couchage.Etpuis,dansunmomentdesilence,bercésparlebruitdesvaguessebrisantsurlaplage, RyanetMaras’endormirent. Lelendemain,ilyavaitdeuxphotosenpage6duNewYorkPost.UnedeChaunceyRavendans lasalleVIP,assisesurlesgenouxduvainqueurentitredeWimbledon.UneautredeMaraetRyan, sousletitre:«L’héritierdesPerrya-t-iltrouvél’amour?» Leslendemainsdefêted’Eliza... Oùl’onsejette surlespancakes etsurlapage6 – Nom de Dieu ! Je suis encore complètement soûle, annonça Lindsay d’une voix rauque en s’envoyantunbloodymary.Regardezcommej’engouffrecestrucs-là,ajouta-t-elleens’empiffrant defritesentredeuxboufféesdeCamelsansfiltre. –Lavache!Vousm’auriezvue,hiersoir,ditTaylor.J’aivomipartoutdanslasalledebainsde lamèredeKit. – Oh hé, les filles, au moins, vous, vous aviez des gens pour vous raccompagner, claironna Eliza. Alors que je me suis réveillée... dans un genre de fossé. À croire que... Excusez-moi, mais commentjemesuisretrouvéelà? Lestroisfillesselivraientàunesortedeconcours,sedisputantletitredecellequiavaitlapire gueule de bois. Elles occupaient leur table habituelle, au 75 Main Street, un joli café situé au coin d’une rue de Southampton. Derrière leurs lunettes noires, elles ne perdaient rien du spectacle de la rue. – Psss... Visez un peu ! dit Lindsay, alors que passait la charmante épouse d’un célèbre présentateur,poussantunepoussettedouble. –Etlà,ceneseraitpas...?commençaTaylorenobservant,par-dessussonépaule,unestaraux yeuxcernésdontladernièrecomédieromantiqueavaitfaitunbide. –Ouaisouais.Vousavezvucelifting.Siellecroitfaireillusion!Mamèreditqu’ellea...jesais pas...danslescinquante-deuxans. –Paspossible!glissaEliza,sedélectantd’unetelleconversation.LemagazinePeople prétend qu’elleatrente-huitans! –Lesoleilmatinalnelaisserienpasser,tranchaLindsay. Elles s’attaquèrent à leurs assiettes pleines de pancakes et de tartines en se sentant jeunes – et donc,supérieures. –J’aiachetélejournal,annonçaTaylor. Elle plongea la main dans son sac et en sortit le New York Post. Elle passa directement à sa rubriquefavorite,page6. –Lindsay,ilyaunephotodetasoirée!s’exclamaTaylorenlaleurmontrant. «L’HÉRITIERDESPERRYA-T-ILTROUVÉL’AMOUR?»pouvait-onlire,engroscaractères, au-dessusdelaphotodeMaraetRyan. –OhmonDieu!NemeditespasqueRyanPerryadéjàunepetiteamie!s’écriaLindsay.Jesuis dégoûtée!Etàmasoirée,enplus! D’un point de vue technique, Ryan et ses amis s’étaient contentés de traîner dans la boîte. Ils n’étaientmêmepasaucourantdelasoiréedeLindsay.MaisElizaetTaylorsegardèrentdecorriger l’assertiondeleuramie. –Donne-moiça!ditLindsayenarrachantlejournaldesmainsmanucuréesdeTaylor. –C’estQUI? –Elleestcanon,entoutcas,fitremarquerTaylor. –Laputaindeveinarde!sifflaLindsay. –EtelleporteledosnuChloëquejevoulaisàtoutprixl’annéedernière.Maisilsavaienttout vendu! –Pourquoifaut-ilquetoutlemondesoitplusbeauquemoi?selamentaLindsay.C’estpasjuste. C’estunevraiepoupéeet,évidemment,elleseretrouveavecletypeleplussexy. –MaraWaters...Waters...Jemedemandesic’estpaslacousinedeTobyEasley?Voussavez,je croisquejel’aivuequelquefois,danslecoin. Elizademeuraitsilencieuse,vaguementconscientedecequetoutcelaavaitdesuperficiel.Sices fillessavaientqueMaraétaitfilleaupair,ellesenparleraientsurunautreton.Àsupposerqueleur radar eût enregistré son existence. En examinant la photo, Eliza ressentait une certaine fierté. Mara étaitsublime,certes,maisc’étaitunpeugrâceàelle...etàJacqui,bienentendu.MaisElizapréférait s’attribuerpresquetoutleméritedelatransformation. –Jesaispas,lesfilles.Ellealatailleunpeuhaute,voustrouvezpas?Ellealesjambes...jesais pas...jusqu’aumenton,ditEliza,commesiçapouvaitêtreundéfaut. –Ouais,t’asraison,approuvatropvivementLindsay. Toutes trois entreprirent vite de trouver des défauts à Mara. Ses yeux étaient beaucoup trop grands,sonnezbientroppetit,sonsouriretroplarge.Quandelleseurentfinideladisséquer,c’était pratiquementQuasimodo. –EtjenepensepasquecesoitlacousinedeToby.J’aientendudirequ’elletravaillaitpourles Perry,ditEliza,chuchotantlanouvellescandaleuse.C’estunedomestique,pourainsidire. –Ohhh... LindsayetTaylorétaientestomaquées.Pourunscoop,c’enétaitun! –JeletiensdeSugaretPoppy,etellessontbienplacéespourlesavoir,ditEliza. Certes,elletrahissaitMara–maisellevoulaitsurtoutsavoircequesesamiespensaientdetout ça. –RyanPerrysortavec...labonne?demandaTaylor,lesyeuxécarquillés. –Non,elleestfilleaupairouuntrucdanslegenre,expliquaEliza,faisantmachinearrière. – Fille au pair ? ricana Lindsay. C’est comme ça que ça s’appelle, maintenant ? C’est pas un euphémismepour«callgirld’origineétrangère»? Elizaauraitvoululeurpréciserque,parmielles,uneseuleétaitétrangèreetqueleursfonctions, authentiquesà100%,consistaientàs’occuperdequatregaminsdemoinsdedouzeans.Maisellese ravisa. –Ryansortaveclagouvernante!Ça,c’esttropdrôle!gloussaTaylor. –Ensomme...ils’encanaille,ditLindsayavecuntonsuffisant.OndevraitinformerlePost.Leur direqu’onaunbienmeilleurscooppourlapage6! Lesourired’Elizasefigeaitdeplusenplus. Lorsqu’elleseneurentfini,ellesbalancèrentlejournalparterre. –Alors,lepensionnat?Tuvasaussiypasserl’annéeprochaine?demandaLindsay. –Ouais,jecrois.Hé,dites-moi,lesfilles,vousallezaumatchdepolo? –Biensûr,réponditLindsay.Ettoi? – Charlie et moi devons plus ou moins y aller ensemble, leur confia-t-elle avec un sourire satisfait. –Oùvousenêtes,alors?Voussortezdenouveauensemble? –Pasvraiment,ditEliza. Oudumoins,pasencore.Maisilluiavaitdemandédel’accompagneraumatchdepolo,etelle luiavaitditqu’elleleretrouveraitsurplace.Elleauraitàfairelà-bas,vuqu’elledevaits’occuperdes gamins. Mais ça devrait aller, car Charlie jouait dans l’une des deux équipes et ne pourrait par conséquentpaspasserbeaucoupdetempsdanslespavillons.Iln’avaitpasévoquél’éventualitéd’une réconciliation, mais elle espérait que tout allait changer au match de polo. Heureusement qu’elle s’étaitachetécettepetiterobeportefeuilletellementsexy.Charlienepourraitpasrésister. –OKlesfilles,c’étaitsuperfun,maisilfautquej’yaille,dit-elleenflanquantunbilletdevingt dollarssurlatable.(Leparlercalifornien,sipriséàBuffalo,refaisaitsurface.) Lindsayécartalebilletd’ungeste. – J’ai la carte bancaire de mon père. Pourquoi tu pars si tôt ? Je pensais qu’on irait faire les boutiquesaprèsledéjeuner. –Non,j’aiditàmatantequejel’accompagneraisàuneexpodepeintureàWaterMill,mentit Eliza. Enréalité,onl’avaitchargéed’allerchercherMara,Jacquietlespetitsàl’institutdebeautéFifi Laroo,oùAnnaavaitréservédesséancesdemassagepourlesgamins. Alors qu’elle roulait, les mots de ses amies résonnaient dans son esprit : « C’est pas un euphémismepourcallgirld’origineétrangère?»...«RyanPerrysortavecLABONNE?» Pourvuquecesfillesneviennentjamaisàdécouvrirlavéritéàsonsujet. Explicationsavec uneex-danseuseétoile MmeSuzetteétaituneanciennedanseuseétoile.ElleavaitdansépourBalanchine,Baryshnikov et pour l’American Ballet Theater, dont elle avait été la star. Elle avait connu nombre d’hommes richesetcélèbres,etsuscitél’adorationdel’éliteculturelle.Cequiexpliquaitpourquoisoncoursde dansedesHamptonsétaitl’undesplusrecherchés. Parunsamedimatinensoleillé,ungroupedefillettesenjustaucorpsnoirsetcollantsrosesse tenaient,parordredetaille,devantunmiroir. –Plié,plié,grandplié,plié,ordonnaitMmeSuzetted’unevoixsècheenallantetvenantlelong de la barre. Pointe tendue ! lançait-elle en examinant les orteils tendus des petites filles. Chhh... Madison!Arrêtez!Lesorteilsendehors!Commeça! MmeSuzetteétenditlepiedpourmontreràMadisonsesorteilsdépliésdefaçonàformerpointe. Madisons’efforçamaladroitementdel’imiter.MmeSuzettesoupira. –Allez...toutelarangée.Plié,plié,grandplié... Aucoursdelaleçon,MmeSuzetterevintplusieursfoiscorrigerl’attitudedeMadison,lesgestes desesbras,sesrondsdejambepatauds. – Les orteils en dedans, les chevilles à l’extérieur ! Qu’est-ce que tu ne comprends pas ? demandaMmeSuzetteenforçantlespiedsdeMadisondanslapositionvoulue. Plusieursfillettesricanaient.Madisonavaitlesjouesenfeu. –C’esttasœur,non?demandal’uned’ellesàZoë. Autermed’uneheureéprouvante,l’assistantedeMmeSuzetteapportadulaitetdesbiscuitspour récompenserlesélèvesdeleursefforts.Pendantcetemps,MmeSuzetteleurdistribuaitdesnotations surdescartesdevisitegravées. –Madison,ilfautquetufassesdesprogrès.Quetut’améliores.C’estunart.Unepratique.Tu n’aspasuncorpsàfairedeladanseclassique.Tudevraispeut-êtreessayerlecoursdejazz. Madisonbaissalatêteettenditlebraspourprendreunbiscuit. MmeSuzettefitclaquersalanguesursonpalais. –Pasdebiscuitspourtoi.Tun’aspasuncorpsdedanseuseclassique. LorsqueMara,ElizaetJacquivinrentchercherlesfillettes,ellestrouvèrentMadisonquiversait deslarmessilencieuses,etZoëquiretenaitlessiennes. –Qu’est-cequis’estpassé?demandaMaraens’empressantdeprendreMadisondanssesbras. Madisonsecoualatête.Quelquesélèvessortirentducourspouralleràlarencontredesparents oudesbonnesd’enfants. –Madison!Pasdebiscuits!Tun’aspasuncorpsàfairedeladanseclassique!lataquinal’une d’elles. Lesautresfillettess’esclaffèrent. –Pardon?s’exclamaEliza.Cen’estpastrèsgentil,cequetuviensdedire. Labonned’enfantsluijetaunregarddésoléetrassemblalesfillettesdansuneMercedes. JacquiessuyalevisagebaignédelarmesdeMadison. –Nefaispasattentionàelles! – Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Mara lorsque Madison lui tendit le rapport de MmeSuzette. Maraparcourutlacarte,atterréeparlescommentaires. –Écoutezça:«JerecommandevivementàMadisondes’essayeràunautretypededanse.Elle n’apasuncorpsàfairedeladanseclassique.C’estunepertedetemps.» Elizahochalatête. –MmeSuzetteestplutôtdure. Elleaussiavaitendurésoncoursd’été,etn’avaitpasoubliéleregardassassinduprofesseurde danse. –C’estabsolumentinacceptable!s’exclamaMara.Ellen’aquedixans. JacquiremarquaqueZoëmâchonnaitunemadeleine,alorsqueMadisonn’enavaitpas. –Tuasdéjàmangélatienne?demanda-t-elle. –Maddyn’enapaseu,fitremarquerZoë. –Tais-toi,Zoë!rétorquaMadison,humiliée. –Commentça,ellen’enapaseu?demandaMara.Etpourquoiça? –MmeSuzetteaditqu’elleétaittropgrosse,expliquaZoë. Mara n’en croyait pas ses oreilles ! Madison était une enfant vigoureuse. Qu’importait qu’elle eût encore des rondeurs enfantines autour des hanches ? Quel genre de personne – quel genre de professeur–oseraits’adresserainsiàsesélèves? –Jevaisdiredeuxmotsàcettesorcière!lançaMara,furieuse. –Nefaispasça!Elleest...commentdire...française,ditEliza.Elleestméchante.C’estpourça qu’onnousenvoyaitchezelle. –Tuyesallée? – Ouais. Comme tout le monde. Elle est célèbre. Elle sortait avec Onassis ou un truc dans le genre. –Çam’estégal!Onnetraitepasunegaminecommeça!Regarde-la! Madison était assise par terre, recroquevillée sur son sac de danse. Mara connaissait cette manièrederentrerlesépaules,quisignifiait:Nefaitespasattentionàmoi,jevousensupplie.Jene méritepasd’êtreregardée.Maraavaitétéuneenfantgrassouillette.Ellesavaitcequ’onressentait. –Cen’estpasnormal,Eliza,ditJacqui.Ladansedevraitêtreunplaisir. –EtMadisonaimeça,pasvrai?demandaMara. –Hmm,hmm,approuvaMadison. Elleaimaitvraimentça.ÀpartMmeSuzette,toutluiplaisait:lamusique,lespianos,lespectacle annueloùellessemaquillaient,mettaientdestutusetauqueltoutlemondevenaitassister. –Jevousdemandepardon?MmeSuzette?demandaMara. –Oui? MmeSuzettejaugeaMara,derrièresonpince-nez. –Jesuisla...latutricedeMadison,improvisaMara.C’estàproposdecequevousluiavezdit cetaprès-midi...Jen’appréciepasquevousluiparliezainsi. –Jevouspriedem’excuser?répliquaMmeSuzette. Après toutes ces années passées à apprendre aux enfants gâtés à faire des pliés, c’était une première. En général, les mères étaient si intimidées par son passé prestigieux qu’elles n’osaient émettrelamoindreprotestation.MaisMarasefichaitbienqueleNewYorkTimeseûtunjourdéfini MmeSuzettecomme«ladanseuselaplusexquiseaprèslaPavlova». – Elle n’est peut-être pas très gracieuse, mais elle fait de gros efforts. Cela compte, tout de même? – Non, répliqua Mme Suzette. Ce qui compte, c’est le résultat. Qui est incapable d’exécuter correctementlesmouvementsneméritepasd’assisteràmoncours. –Allez,viens,Mara,ditElizaenlatirantparlebras. –C’estquoi,cesconneries!s’écriaMara. –Partons!s’exclamaJacqui. Elles s’empressèrent de faire descendre aux petites l’escalier branlant. Mara était encore très contrariée. –Cettefemmenedevraitpasavoirledroitd’approcherdesenfants! – Il y a un super Studio Pilates qui vient d’ouvrir. J’ai rencontré l’une des profs, l’autre jour, chezScoop.Unecrème!Figurez-vousqu’ilsontuncourspourlesenfants.JevaisenparleràAnna, suggéraEliza. –J’aipratiquélaméthodePilates,c’estbienmieuxqueladanseclassique,ditJacquiauxdeux petitesfilles.C’estplusdrôleetc’estplusrelaxant. Lelendemain,toutétaitréglé.ZoëetMadisonétaientinscritesaucoursPilatesetlesjeunesfilles aupairlesemmenèrentacheterdejoliesnouvellestenues,pourcompenserl’abandondesjustaucorps noirs.Quantauxcollantsroses,toutlemondeétaitd’accord:c’étaitbonpourlesbébés. Trophéedepolo Mercedes-Benz: touslesjolisgarçons nesontpaspleinsauxas Surleterrain,lessabotsdeschevauxévoquaientdesroulementsdetonnerre.Ungros«paf»se fit entendre lorsque l’équipe des rouges, frappant la balle d’un grand coup de maillet, l’envoya directement à l’autre bout du terrain, égalisant à un but partout. Le très médiatique avant-centre, un Argentindedix-neufans,levaunpoingtriomphant. –Pasvraiqu’ilestsexy?s’extasiaEliza. –C’estqui?demandaMara. –NachoFigueroa.LepèredeCharliel’avoléàl’équipedePeterBrantcetteannée. –Ilestmagnifique,reconnutMaraenlecontemplantcommeuneœuvred’art. –Jel’aivulapremière!plaisantaJacqui. Lesfillesgloussèrent.CraquerpourNacho,c’étaitcommeavoirlebéguinpourOrlandoBloom. GiseleBundchenetl’autremannequinbrésilienquiavaitposépourlecataloguedeVictoria’sSecret étaient là, à l’encourager dans les tribunes VIP. Il n’était pas de ces hommes sur lesquels Mara ou Elizapouvaientraisonnablementavoirdesvues.Maisçanefaisaitpasdemalderegarder. Nachomarquaunautrebutetlepublic–surtoutféminin–devinthystérique. Dans les pavillons VIP, personne ne prêtait tellement attention au match. Les invités étaient occupés à remplir leurs assiettes de caviar, à vider des bouteilles de champagne et à commenter la tenue des autres. Mara et Eliza rejoignirent Jacqui qui cherchait une table pour les quatre gamins. Ryansechargeaitdeschaises.Ilavaittraînéaveceuxtoutelamatinée,histoiredeleurdonneruncoup demain. –M.Perry!LeBradPittdesHamptons!EtMissWaters!Dansunerobeàquatrecentsdollars soldée à deux cents chez Scoop ! s’exclama Lucky Yap en faisant la bise à Mara avant de serrer énergiquementlamaindeRyan.Prenonsunephoto! Maraposa,jolimentmiseenvaleurparsanouvellerobe.Ellenesesentaitpastoutàfaitàl’aise avec,etnepouvaits’empêcher,parinstants,detirerdessuspourqu’elleluicouvrebienlesfesses– uniquementaprèss’êtreassuréequeRyanavaitledostourné.Or,parcourantlafouleduregard,elle constata que la robe mini et les talons hauts constituaient la tenue féminine de rigueur, dans les Hamptons. Ryans’absentapourallerchercherdeuxcoupesdechampagne.Detempsàautre,ilseretournait pour jeter un coup d’œil aux jambes de Mara. Lorsque, un peu plus tôt, elle s’était avancée vers la voiturevêtuedecetterobe,Ryan,assisauvolant,avaitfaillitomberensyncope.Elleétaittellement jolie.Etlemeilleur,c’estqu’ellenelesavaitmêmepas. –Hé,Lucky!Quelplaisirdevousrevoir,ditMara. –Oh,vousn’allezpastarderàenavoirassez.Onmevoitpartout,monchou.Vousavezvuvotre photodanslePost?demanda-t-il. –Non,répliquaMara,stupéfaite. Luckyhochalatête. –Jetez-yuncoupd’œil.Elleestencoreenligne.Fautquejefile.JevoisLaraFlynnBoyleavec unénormecornetdeglace!dit-ilenbondissantverssaproie. Ryanrevintaveclechampagne,ettrinquaavecMara.Ils’apprêtaitàluiavoueràquelpointilla trouvaitravissante,quandsontéléphonesemitàsonner. –Oh,jesuisdésolée,dit-elled’untonnerveux,manquantderenversersonverreenouvrantson portable.Allô?Jim!Salut!Commentçava? Ryanfutcoupédanssonélan.Jim?C’estqui,cefichuJim? –C’estqui,Jim?demandaRyan,commemalgrélui. –Monpetitami,réponditMaraensedétournant,letéléphonecolléàsonoreille. Petit ami ? Comment ça ? Elle n’y avait jamais fait allusion. Pas même la nuit où ils s’étaient endormisensemblesurlaplage.Illaregardas’éloigner. –Ryan?appelaunevoix,derrièrelui. Ilpivotasursestalons. – Hé, tu te souviens de moi ? demanda une jolie rousse moulée dans du lycra noir, avec un souriredésarmant. – Camille Molloy ! s’exclama-t-il en lui rendant son sourire. Comment ne pas se souvenir de toi? Ils’approchaettousdeuxfurentviteplongésdansuneconversationanimée. Pendantcetemps,àl’autreboutdupavillon,Maraavaitdumalàcapter. –Etlà,tum’entends?hurlait-elle. JimMizekowskiétaitborné,mignoncommeunbouledogueetonnepeutplusprovincialavec sa casquette John Deere et son pick-up Nissan complètement rouillé. En arrière-fond sonore, Mara entendaitduDaveMathews.MarasavaitqueJimaimaitsepasserduDaveMathewsdanssesmoments deréflexion. –C’estbon?Tum’entendsmieux?MonDieu,j’ail’impressionqueçafaitdessièclesqu’onne s’est pas parlés, disait Mara lorsque Madison commença à tirer sur sa robe. Qu’est-ce que tu veux monchou?Non,pastoi,Jim...Jetravaille...Àvraidire,cen’estpaslemomentidéal... –Mara,j’aienviedevomir,gémitMadison,plutôtlivide. –Attends,trésor...Jim,jesuisdésolée,maisl’undesgaminsest...Non,jet’enprie,neraccroche pas! Madison se tenait le ventre, qui émit un gargouillis. Elle avait abusé des sandwichs au concombre,etcommençaàvomirdesmorceauxàdemimâchés,vertsetblancs. MarajetaàElizaunregardsuppliant.EllenevoulaitpasinterromprelaconversationavecJim. Pasquandilétaitrestésilongtempssansappeler. –Liza,jet’enprie,chuchota-t-elle. Elizasoupira,etpritMadisonparlebras. –Jet’avaisbiendit,queledernierétaitdetrop,lagronda-t-elle. –Jeveuxmamaman!pleurnichaMadison,delasaliveblanchâtreluidégoulinantsurlementon. VuquelavraiemamandeMadisondevaitsetrouveràdesmilliersdekilomètresdelà,Elizase risqua à regarder du côté d’Anna. Celle-ci saluait des amis et paraissait inaccessible, dans son fourreau Valentino et son énorme chapeau orné d’une plume d’autruche. Eliza comprit que la dernière chose qu’Anna souhaitait au monde était d’être importunée par une belle-fille couverte de vomi.ElleemmenadoncMadisonversleparking,afindelanettoyerdanslestoilettes. –Madison,situtesensànouveaul’enviedevomir,débrouille-toipourquecenesoitpassur mesnouvelleschaussures,d’accord?demandaEliza,ens’agenouillantpouressuyerlevomisurle chemisierbrodédeMadison. L’odeurlafitgrimacer. –Beurk!Etjen’aiplusdemouchoirsenpapier!selamenta-t-elle. Levantlesyeux,ellevitlebeaujardinierdesPerry–celuiquil’avaitdévoréedesyeuxquelques joursplustôt–quisetenaitprèsd’elleettenaituneserviette. –Jemesuisditqueçapourraitterendreservice,dit-ilenlaluitendant. Ses boucles noires lui retombaient sur les yeux et il portait une combinaison portant l’inscription«J.Stone»surlapochegauche. –Nonmerci.Jecontrôlelasituation. –Commetuveux,répliqua-t-ilavecunhaussementd’épaules. –Tun’aspasd’arbreàélaguer,ouuntrucdanscegoût-là?demandaElizasuruntonhautain, sanscesserdefrotterlachemisedeMadison,etfaisantpénétrerlasaletédansletissuplutôtqu’autre chose. – J’ai ma journée. Je m’occupe du terrain de polo. Je voulais m’assurer qu’ils n’abîment pas mongazonvedette,expliqua-t-il.Jem’appelleJeremy. –Jesaisquitues,rétorqua-t-elle. Ilrangealaservietteetcommençaàs’éloigner.Àcetinstantprécis,Madisonvidasesintestinsen pleinsurleschaussuresd’Eliza. –Nooonnn!!!gémitcelle-ci,pétrifiéed’horreur.Jeviensdelesacheter! Jeremyexaminalesdégâts. –Ellessontencuir.Çavapartir,dit-ilens’agenouillantetenprenantl’undespiedsd’Elizapour ledéchausser.Sijepeuxmepermettre... Ilsemitànettoyerlesendroitssouillés. –Sérieusement,tunerenoncesjamais,pasvrai?demandaEliza,unpeuamadouée. Ilétaitvraimentjoligarçon. –Passijepeuxéviter,reconnut-ilavecungrandsourire. –Enfait,çavaaller.Jevaismedébrouiller.Nonquejen’appréciepastoutça...,dit-ellepassant surl’autrepied,pourpermettreàJeremydenettoyerl’autrechaussure.Tupourrais...heu...passerun petitcoupici?demanda-t-elleendésignantunetache. Auregardqu’illuijeta–lequelsemblaitsignifier«Tutefichesdemoiouquoi?»,Elizaneput querépondreparunsouriregentil. –J’imaginequeçasignifiequejen’aiplusledroitdet’ignorer. – Dans certaines cultures, on serait quasiment mari et femme après ça, plaisanta-t-il en se relevant.Àbientôt...Eliza. – D’où tu connais mon prénom ? Et où tu vas comme ça ? demanda-t-elle en feignant d’être contrariée. –Fautquej’yaille!Jevaisboireunebièreaveclescopains,cria-t-ilenpartant.J’auraispascru queçat’intéresseraitàcepoint-là! –Çanem’intéressepas!protesta-t-elle,sanspourtantcesserdesourire.AllezMadison,dit-elle en prenant la fillette par la main. Cesse de pleurnicher ! Tu vas bien à présent, non ? La prochaine fois,tuécouterascequejedis? Ellesretournèrentdanslepavillon.MaraétaittoujoursabsorbéedanssaconversationavecJim, etJacquiétaitDieusaitoù.Zoë,CodyetWilliamétaientassisàunetable,às’envoyerdesassiettesde palourdes crues, aliment autorisé par leur régime hyperprotéiné et pauvre en hydrates de carbone. Eliza repéra Lindsay et Taylor en train de fumer au-delà de la zone délimitée par les cordes, et s’empressad’envoyerMadisonrejoindresesfrèresetsœurs.Puisellesedirigeaverssesamies,afin deleurfaireadmirersatenue. –Charlietecherchait,ditTaylorsuruntondereproche. –Ilétaitlà?demandaEliza.Etmaintenant,ilestoù? –Parti.Ilparaissaithorsdelui,ajoutaLindsay,trèsmélodramatique. Eliza baissa les épaules. Pendant qu’elle était dans le parking, du vomi jusqu’au cou, à flirter aveclejardinier,sonex-petitcopainlacherchaitàl’intérieur. –Jesuiscertainequ’ilvam’appeler,ditElizaens’efforçantdeparaîtresûred’elle. À peine eurent-elles tourné le dos qu’elle se précipita vers la table des enfants pour voir si le compteyétait.William.Madison.Cody.Etl’autrepetitefille,oùétait-elle?Oh,elleétaitlà,sousla table,entrainderamasserunecoquilleSaint-Jacques. Dieusoitloué!Ilsleurdonnaientdufilàretordre,maisellecommençaitàs’attacheràcespetits morveux. Ilestdeschagrins quemêmeleBacardi151 nepeutatténuer Madison avait exigé une seconde portion de crevettes et Jacqui, se disant que ça n’allait pas à l’encontredurégimedelafillette,étaitalléeluienchercher.C’étaientdescrustacésaprèstout–çane faisaitsansdoutepasgrossir?Alorsqu’elledisposaitquelquesgrosspécimensrosessuruneassiette de porcelaine, son regard se porta sur la pelouse. Le moment était venu de piétiner le terrain, et le matchs’étaitinterrompupourlaisserlesspectateursécraserlesaspéritésdusol.Desdamesenrobes desoie,desmessieursenblazersbleumarineettreillisbienrepasséssepressaientpourallerfouler aupiedlesmottesdeterrearrachéesparlesruadesetlessoubresautsdesponeys.Ilsremettaientles mottesenplace–côtéherbuverslehaut,bienentendu. Àl’autreboutduterrain,unetignasseblondeetdeslunettesattirèrentsonattention.Mais...Luca n’avaitjamaisparléd’assisteraumatch!Ellereposasonassiette,oubliantbrusquementsonintention denourrirlafillette. Uneminute...Quoi?Lucatenantunefilleparlamain?Satêtemeditquelquechose...pourquoi latient-ilparlamain...?Maisill’embrasse...surlabouche...paspossible! Ellefonça,bouillonnantdecolèreàlapenséedetouslesmalentendusethumiliationsaccumulés aucoursduderniermois. –Luca!hurla-t-elle. MaisLuke,quil’avaitvues’approcher,étaitprêtpourlarencontre. –Jacqui,dit-ild’unevoixdécontractée,enluiplaquantunbaisersurlajoue.Quelplaisirdete rencontrer! Illuipassaunbrassurl’épaule. – Permets-moi de te présenter ma petite amie Karin. Karin, voici Jacqui. Nous nous sommes connusàSãoPaulo,auxvacancesdePâques.Etvoilàqu’elletravaillechezlesPerry!Lemondeest petit,n’est-cepas? IlfoudroyaJacquiduregard,pourladissuaderdeparler. –BonjourJacqui,ditgentimentKarin. C’étaituneblondeauxtraitsagréables,auvisagerondetaunezretroussé.Elleportaitunejupeà fleursLauraAshleyquiluiarrivaitàmi-molletsetfaisaitl’effetd’unsac. JacquiserramécaniquementlamaindeKarin. –Enchantéedevousconnaître,marmonna-t-elle. Lafillen’yétaitpourrien,Jacquilesavait...Toujoursest-ilqu’ellen’avaitpasfinidechercher sesmots,enanglais,queLukeluiavaitdéjàtournéledosets’éloignait,entraînantKarin. –Mmmm...enchantéedevousavoirrencontrée!luicriaKarin. Trop blessée pour lui courir après, Jacqui s’éloigna. Ses talons s’enfonçaient dans la boue épaisse. Elle croisa plusieurs joueurs de polo sud-américains qui se dirigeaient vers le terrain et échangeaientdesparolesenespagnoletenportugais. –Cuidado!s’exclamal’und’euxenlarattrapantauvol,alorsqu’elletrébuchait. –Jeconnaismonchemin!sifflaJacquienlesbousculantpresque,totalementindifférenteàleurs regardsadmiratifs. –Bonita!s’écriaNachoFigueroa,lebeaucapitainedel’équipe. Jolie,etalors?Celanel’empêchaitpasd’êtremalheureuse.Ellecontinuaàmarcher,hébétée,et seretrouvadevantunetablerecouverted’unenappeblanche,derrièrelaquelleofficiaitunserveuren smoking. –UnBacardi151.Sec.Double,commanda-t-elle. Elle en but quatre verres coup sur coup et retourna à la table des Perry, où Eliza et Mara se disputaient ferme sur la question de savoir s’il était temps, oui ou non, de ramener les enfants à la maison. –Jet’assure,çaleurestégal!insistaitEliza. Elle était pressée de détaler avant que Taylor et Linsay ne la surprennent en train de jouer les MaryPoppins. –RegardecommeZoëal’airfatigué. –MaisAnnaetKevinn’ontrienditàcepropos,protestaMara,sceptique. –Tucroisvraimentqu’ilstiennentàcequeleursenfantsassistentàlafindumatch?Regarde autourdetoi,Mara!Toutlemondes’enva! C’étaitvrai.Àprésentquelescamérasdelatéléetlespaparazziss’étaientretirés,laplupartdes invitésparaissaientjugerqu’euxaussiavaienteuleurdose. –Hé,Jacqui,oùest-cequetuétaispassée?lançasèchementEliza,regrettantsontondèsqu’elle vitl’expressiondesonamie. –Qu’est-cequinevapas?demandaMara,inquiète. C’étaitlapremièrefoisqu’ellesvoyaientleurcamaradedechambre,d’habitudesisûred’elle, perdretoussesmoyens.Jacquitremblait,avaitlesyeuxrougis,paraissaitsurlepointdefondreen larmesetsentaitlerhumàpleinnez. Maraposalamainsurl’épauledeJacqui. –Cequetuesfroide!s’exclama-t-elle. –Qu’est-cequis’estpassé?demandaEliza. –C’est...c’estLuca...Ila...unepetiteamie...Ilm’amenti,balbutiaJacqui,lagorgenouée. –Quoi?ditEliza. –C’esthorrible!s’écriaMara. –Jeviensdelevoir...àl’autreboutduterrain...Ilprétendaitquec’étaitunehistoireterminée... maiscen’étaitpasvrai...nossa...c’estpourçaqu’ilnevoulaitjamaism’emmenernullepart...j’étais juste...uncoup...uncoupfacile...etmoiquicroyais...moiquim’imaginais... –Quelsalopard!s’exclamaMara. –Tais-toi!ditJacqui,queleurcompassionrendaitencoreplusmalheureuse.Ilestjustederrière toi. Elizaseretourna,etvitLukeVanVaricketKarinEmerson. –C’estlui,tonLuca?Jacqui,tuauraisdûmeledireplustôt!C’estLukeVanVarick.Leplus grandbaratineurdel’ÉtatdeNewYork.Unpurcrétin.Jeleconnaisdepuisdesannées.Karinetlui sortentensembledepuislecollège,etill’atoujourstrompée. Jacquihochalatêteetsemorditlalèvre.Elles’étaitattendueàquelquechosedanscegoût-là, maisavaittoutfaitpours’endissuader.Àprésent,voilàqu’elleétaitcoincéedanscettemauditeville desÉtats-Unisalorsqu’elleauraitpuêtreàRioavecsesamis. –Tunepouvaispassavoir,larassuraMara. –Ilfaittoujourscecinémaàlanoix,àjouerlesindifférents,maisc’estunerusedeguerre.Ilest hyper-arrogant. Beurk ! Tu aurais pas pu trouver pire, dit Eliza. Une chance, que ce soit fini ! Bon débarras! –Oquequerque.J’aibesoindeboireencoreunverre,sebornaàcommenterJacqui. Eliza et Mara échangèrent un regard d’impuissance, avant d’accomplir les gestes qui leur venaient naturellement à l’esprit en période de crise : Mara prit un mouchoir et essuya le mascara souslesyeuxdeJacqui,pendantqu’Elizaluitendaitdeuxcoupesdechampagneàmoitiépleines.Pour l’instant,ellesnepouvaientguèrefairemieux. Unclouchassel’autre: leremèdeanti-chagrind’amour deJacqui Uneheureplustard,Jacquiétaittoujourssouslemêmepavillon,lenezplongédanssonverre. Le serveur avait décoré son mojito d’une petite ombrelle aux couleurs vives, mais la vue de cet ornementguilleretnefaisaitqu’ajouteràsatristesse.Elleposasonverresurunetablevoisinepour chercherunecigarettedanssonsac. –Excuse-moi...,dituntypeenplaçantsonverrevideàcôtédeceluideJacqui.(Ils’apprêtaità regagnerleparking,lorsqu’ill’avaitaperçue.)Jacqui? Levantlesyeux,ellereconnutLéo–legentilLéo,l’amideLuca–arborantunsourirebéat.Il portait une veste en cloqué semblable à celle que Luca portait cet après-midi-là, avec les manches relevéesjusqu’auxcoudesetunjeanextra-large,d’oùdépassaitunboxerenflanelle.Unlookhip-hop BCBG,onnepeutplustendancedanslesHamptonscetété-là. – Je suis content de te voir. Hé, il y a quelque chose qui ne va pas ? demanda-t-il lorsqu’il remarquasonexpression. –Non,répondit-elle. Ellenevoulaitrienavoiràfaireaveclui.NiluiniquiconqueluirappelantLuca. – Allez, tu peux me dire ce qui ne va pas, insista-t-il d’une voix douce en posant la main sur l’épaulenuedeJacqui. –Vraiment,c’estrien.Naoénada.Lemaldupays,riendeplus. Àpeinel’eut-elleformulé,qu’elleréalisaquec’étaitvrai.LeBrésilluimanquait.LesHamptons, c’étaitmarrantettout,maissansLuca,cen’étaitqu’unedecesvillesaméricainespourrichards.Elle avaitenviedevoirsagrand-mère,unevieilledameobstinéequitravaillaitdelonguesheurescomme géranted’uneusinedetextile,afinquesonuniquepetite-fillecontinueàfréquentersonlycée. –Çatedirait,d’allerdînerquelquepart?demandaLéo.Jeconnaisunendroitpasloind’icioù onmangelesmeilleurstacosaupoissondelaville. –Jenesaispas.Ilfaudraitpeut-êtrequejeretournetravailler. Elle fouilla du regard le pavillon – qui s’était presque totalement vidé de ses occupants – à la recherchedesenfantsPerryetdesescamaradesdechambre. –Allez,accepte...Çavavraimenttefairedubien...,repritLéo,enluiprenantlebras. Elleétaitalorstropsoûlepourrefuser. Ill’emmenadansunsnackàAmangasett,oùilsmangèrentdestacosaupoissonsousuntoitde paille branlant. Léo avait raison, manger lui faisait du bien. Elle était encore sonnée, furieuse et blessée,aupointdenemêmepasvouloirtropréfléchiràcequ’elleéprouvait–lesentimentd’être nonseulementseuleettristemaisstupideethonteuse. Ilyavaiteudessignes,biensûr.Laphotographie.LarépugnancesuspectedeLucaàs’afficher avec elle dans les lieux branchés. Ses excuses et ses absences répétées. Il l’avait menée en bateau. Jacquiauraitdûseméfier. Par-dessuslatable,elleregardaLéotoutenmâchantdedélicieuxtacosépicés.Illuirappelaitun peuLuca,avaitsachevelurecouleurmiel.Mêmesonodeurétaitsemblable–unmélanged’Égoïste deChaneletd’after-shave.LeurgoûtsvestimentairesétaitsiprochesqueJacquidevinaitlamarquedu boxer, sous le pantalon baggy. Il lui ressemblait jusque dans sa façon de parler. À vrai dire, en fermantlesyeux,ellepouvaitpresques’imaginerqu’elleétaitencoreavecsonLuca. C’est pourquoi, lorsqu’elle sortit en titubant de la gargote et que Léo lui proposa de... heu... resterencoreunpeuet,pourquoipas,devenirjeteruncoupd’œilàsacollectiondeguitaresouun trucdanscegoût-là,elleneditpasnon;etqu’unefoisarrivéechezlui,lacollectionconsistanten toutetpourtoutendeuxFendermiteuses,elleluirenditsonbaiserlorsqu’ilessayadel’embrasser; etque,lorsqu’illuiretirasachemiseetdéfitlafermetureéclairdesonpantalon,ellelelaissafaire sansprotester.Aprèstout,commeditleproverbe:unclouchassel’autre. –Alors,c’estvraimentfini,vousdeux?demandaLéo,après,tandisqu’étendussursonlit,ils regardaientàlatélévisionunprésentateurvedetteasticotersonmalheureuxinvité. Ellehochalatête. –Tantmieux,parcequejenevoudraissurtoutpasmemettreentrevous,tumecomprends? –Sim. –Tusais,dèsquejet’aivue,j’aiétéscotché. –Moiaussi,mentit-elle. Illaserraplusfort. Elle s’apprêtait à lui dire que c’était une erreur, que ça n’avait aucun sens. Qu’il valait mieux qu’ils ne se revoient pas. Que cela blesserait Luca, d’apprendre qu’elle avait couché avec son meilleurami. Uneminute. CelablesseraitLuca.Oudumoins,celaporteraitungrandcoupàsonamour-propre. Jacquieutuneinspiration.Toutàcoup,çaneluiparaissaitplusunesimauvaiseidéedesortir avecLéo. Maraserebiffe enfin Le lendemain matin, Mara fut réveillée par le refrain, répété à l’infini, de la sonnerie de son portable. – Hmm... qui c’est ? demanda-t-elle en frottant ses yeux ensommeillés. Non, non, j’ suis réveillée.SalutJim! Maratenaitlecombinéàdistancedesonoreille.L’enthousiasmedeJimétaitinsupportable,sitôt danslajournée. – J’ai un super projet... Tu vas adorer ! Mes parents partent ce week-end, si bien que j’ai la maisonpourmoitoutseul.Toujoursest-ilquejemesuisdit,jetiensvraimentàcequemanana...àce quemaMarasoitlà,tucomprends?Parcequeçavadéchirer!Jevaisfaireunesoirée,jetedispas! Et,tusais,ilvamefalloirquelqu’unpourm’aideràfaireleménagelelendemain,ajouta-t-ilenriant desapropreblague. MaisMaracommençaitàsaisirqueJimneplaisantaitpasréellement. –J’adorerai,Jim,maisjenepeuxpas,répondit-elle. –Commentça,Mara,tunepeuxpas? –Jenepeuxpas.Ilfautquejetravaille.Jenepeuxpasdisposerdesweek-ends,tusais.C’estun boulotàpleintemps,oùilfautêtredisponiblevingt-quatreheuressurvingt-quatre. – C’est ce que tu dis tout le temps, grommela Jim. J’en crois pas un mot, Mara. Ces sales richardspourquitutravaillesnetelaissentmêmepasprendreunfichuweek-end?Tuesleuresclave, ouquoi?C’estn’importequoi! –Cen’estpasn’importequoi!Tutrouvesquetoutcequejefaisestidiot,maistutetrompes. C’estvraimentimportant.Jegagnebeaucoupd’argentici,ettusaisbienquemesparentsnepeuvent paspayerlatotalitédesfraisd’inscriptionàl’université. –Peut-être,mais...ilsepassequelquechose,Mara.Jelesens.Tun’espluslamême,etjesuispas sûrqueçameplaise. –Oùest-cequetuveuxenvenir?demandaMaraensecalantsursesoreillers. –Jesaispas.Tuesvraimentbêcheuse,toutd’uncoup... –Jetedemandepardon? –Tutecomportesdemanièreunpeuégoïste,tusais?Àcroirequ’iln’yaquetoiaumonde.Ça merendmalade,jetejure,vraimentmalade. Àcesmots,Maraseredressabrusquement. –Égoïste?C’estmoiquisuiségoïste?s’écria-t-elle,soudaintrèsencolère.Oh,jesupposeque quand j’ai lavé ton maillot de foot pour la finale au lieu de réviser mon contrôle d’anglais de fin d’année, je ne pensais qu’à ma pomme ? Et quand je t’ai donné mon hamster lorsque ton Bobo est mort,c’étaitégoïste?EtlejouroùjevousailaisséentrerdanslaTaverneduTempsJadis,toiettes crétinsdecopains,parcequevousvouliezsavoirquelgoûtavaitlabièreauXIXesiècle?Etlafoisoù jesuisalléeàEastRiverquandtut’esfaitfairetonlavaged’estomacàl’hôpitalBellevue–alorsque j’avaisletestd’aptitudepourl’entréeàlafaclelendemain? Maraauraitpucontinuerpendantdesheures. – Ou encore... je sais pas... la fois où j’ai vendu ma maison de poupées ancienne pour que tu puissesacheterdenouveauxenjoliveurspourtavoiture? –Bon,d’accord,c’estvrai,Mar... MaisMaraenavaitassezentendu. –Tusaisquoi,Jim?Tuasraison...j’aichangé...ettoutça,jeneleferaijamaisplus! Et alors, elle coupa la communication en appuyant, de toutes ses forces, sur une touche. Ce n’étaitpasaussimélodramatiquequederaccrocherbruyammentuncombinésursonsupport,mais c’estça,lesprogrèsdelatechnologie... –Grrrr!vociféraMara,danslachambrevide. Ryann’estpeut-êtrepasentrain deprendrelepetitdéjeuner aulit,mais... Mara dévala les escaliers, franchit le seuil du cottage et claqua la porte derrière elle. Quelle mouchevenaitdepiquerJim?Égoïste,elle? Maratraversalapelouseenvitesse,endirectiondelamaisonprincipale.Ilétaitpresquemidi– mon Dieu, ce qu’elles étaient rentrées tard hier soir ! L’heure vers laquelle Ryan revenait habituellementdesesmatinéesdesurf. Ilétaitsansdouteàlacuisine,entraindepréparerundesessandwichsàdeuxétagesfavoris–la gouvernanten’oubliaitjamaisd’envoyerfairechercher,àsonintention,delamortadelle,dujambon cru, de la saucisse sèche et du salami chez Papassini. Tous les samedis, Mara et lui avaient pour habitudededéjeunerd’unénormesandwich.Sontimingétaitdoncparfait. Elle parcourut rapidement l’allée pavée jusqu’à la cuisine encadrée de baies vitrées. Comme prévu,Ryanétaitlà–encorevêtudelamoitiédesacombinaisondeplongée(lachaleurl’avaitobligé à descendre le haut). Il maniait un couteau couvert de moutarde de la main droite, et de la main gauche...tenaitparlatailleunetrèsjoliefille,portantlamêmecombinaisonnoirerepliéeetunhaut debikinirouge. Maraétaitsûred’avoirdéjàvucettefillequelquepart.Avecunpincementaucœur,elleréalisa que c’était la fille du match de polo. La rousse avec qui Ryan discutait pendant qu’elle se disputait avecJimautéléphone. – Ryan... arrête... non ! gloussait la fille, tandis que Ryan faisait mine de lui tartiner la joue de moutarde. –Tuadoresça!répliqua-t-ilavecungrandsourire. Illuifourradanslaboucheunetomatecerise,qu’ilfitsuivred’unbaiser. Oh. Mara resta plantée devant la vitre de la cuisine, toute décontenancée, incapable de réagir. Elle étaitsisurprisedeletrouveravecquelqu’un. Avec quelqu’un d’autre, s’entend – bien qu’elle s’efforçât d’ignorer ce dernier point. Allez, aprèstout,jenem’attendaispasàcequ’il...Aprèstout,jeneleconsidèrepascomme...EtilyaJim, bienque... Alorsqu’unesoudaineprisedeconsciencecrispaitlevisagedeMara,Ryanlevalesyeux. –Mar... MaisMaraavaitdéjààmoitiédescendul’escalierdeservice,plusembarrasséeetconfuseque jamais. Elizaapprenduntasdechoses cetété–entreautres, quelesrégimeshypocaloriques neserventàrien Dans l’allée, Eliza jugea qu’elle avait la situation bien en main. Les gamins avaient mis leurs maillotssanstropprotester.Williamétaitdéjàmaintenuenplaceparlaceinturedesécurité,etCody installésursonsiègebébé,sibienqu’ilnerestaitplusqueZoëetMadisonàembarquer. –Oùest-cequ’onva?demandaMadison,enserrantsursapoitrineunexemplairetrèsabîméde MaxetlesMaximonstres. –Commed’habitude,réponditElizaencherchantsaceinture. –J’aifaim,fitremarquerMadison. –Tuastoujoursfaim,soupiraEliza. –Salut,Jer ’my,criaZoë,depuislabanquettearrière. Tournantlatête,ElizavitJeremysortirdelaremiseéquipéd’unrâteauetd’untuyaud’arrosage. Ilportalamainàsacasquette. –SalutJeremy!lançaWilliam,commeenécho. –Viensmangeruneglaceavecnous!ditMadison. –Ouais,viensmangerdelaglace!approuvaZoë. Williamsemitaudiapasonetbientôt,touslesgaminssuppliaientJeremydelesaccompagnerau FlocondeNeige. –Vousprenezquoi,descoupesglacées?demandaJeremy.C’estlesquelles,vospréférées? –Saucechaudeaucaramel,répliquaaussitôtWilliam. –C’estunbonchoix,mongarçon,acquiesçaJeremy. –Nougatine,ditZoë. –Demieuxenmieux. –Tupeux?Tupeux?Tupeux?demandaZoë.Tupeuxveniravecnous? –Sitoutlemondeestd’accord.J’aifinimajournée. –Çanemedérangepas,ditElizaavecunhaussementd’épaules.J’allaisattendreMara,maisje l’aientendusedisputeravecsonpetitamiautéléphone.Jemesuisditqu’elleauraitbesoind’avoirun momentàelle. –Alors,c’estjustenous?demandaJeremyavecunsourire. LeFlocondeNeigeétaituncharmantpetitrestaurantdestyleannéescinquante,célèbrepourses hamburgersjuteuxetsesénormesportionsdecrèmeglacéeartisanale.Elizagaralavoituredansle parking, à côté de la monstrueuse sculpture d’un hot dog, haute de près de deux mètres. Elle était célèbredanslesHamptonssouslenomde«l’étrangehotdog». LesgaminsPerryserraientlesrangsdevantlecomptoir,jetantdescoupsd’œilaucongélateur. –JeveuxduDéliceLight,décidaMadison.C’estcequecommandenttoujoursPoppyetSugar. –Ilsnefontpasdecrèmeglacéeallégéeici,ditElizad’untonpatient.(Celaexpliquaitenpartie lesuccèsdulieu.)Etdetoutefaçon,cen’estvraimentpasbonpourtoi,machérie.Ellescontiennent plusdesucrequelesglacesnormales,sibienqu’uneheureplustard,tuasdenouveaufaim.Etpuis, ellessontloind’êtreaussibonnes! Eliza plaignait la gamine. Sugar, Poppy et Anna, avec leurs régimes diététiques capricieux et leursphobiesalimentaires,neconstituaientpasuntrèsbonexempleenmatièredenutritionsaine.Ces dernierstemps,Madisonimitaitleursfantaisies–nerienavalerpendantdesheures,puiss’empiffrer, cequiétaitpirequetout.Maisellenepratiquaitpasencorele«truc»desjumelles–allersefaire vomirdanslasalledebainsaprèschaquerepas.Dumoins,pasencore. –Mangersainementestunequestiondemodération,ditEliza.Pourquoinepasconsommerune seule boule de glace à la noix de pécan plutôt qu’une coupe glacée Chantilly, comme tu le fais d’habitude?Tutesentirasmieuxettun’éprouveraspaslebesoindemangerdesbonbonsplustard. S’ilyavaitundomainedanslequelElizaenconnaissaitenrayon,c’étaitbienlesrégimes:South Beach, Aitkins et autres... Elle savait qu’il y avait beaucoup de choses à jeter – qui pourrait laisser tomber les glucides pour de bon ? – mais elle n’en avait pas moins pris à cœur, depuis plusieurs années,lesgrandsprincipes. Unefoislesenfantsrepus,tousseserrèrentànouveaudanslavoiture.Elizasortitduparkingen marchearrièreetpritladirectionhabituelle. –VousêtesdéjàallésàlaplagedeTwoMileHollow?demandaJeremy. –Cen’estpaslaplagehomo? –Ouais,maisseulementtoutaubout.Del’autrecôté,iln’yaquedesfamilles.Etc’estgénial. C’estdésert,rienàvoiraveclecirquedeGeorgica.Ilfautqu’onyaille. –Tucrois? –Ouais,prendslaprochaineàdroite,etensuitetoutdroit. La plage de Two Mile Hollow était telle que Jeremy l’avait décrite : un paradis, comparé aux serviettescolléesbordàborddeGeorgica.Elizaexaminaàladérobéelesgroupesquisetrouvaient plus loin – de beaux gays déployés autour de pique-niques somptueux, comprenant champagne et caviar,pendantquequelquescouplesisolésdelesbiennesprenaientlesoleilsousleursparasols. –C’estgénial!s’exclamaElizaendéfaisantlafermeturedesontopàcapucheetenretirantson short. Son deux-pièces, noir et brillant, était constitué d’un bandeau et d’un boxer portant un E en monogramme. Elle faisait penser à l’une de ces pin-up des calendriers d’autrefois, avec ses longs cheveuxblondscoiffésenqueuedechevalsurlehautdelatêteetmaintenusparunlargeserre-tête noir. –Jevienstoujoursici,ditJeremy.C’estlameilleureplagedesHamptons.C’estsitranquille. Lesenfantsparaissaientl’approuversurcepoint.Williamétaitdéjàplongédanslaconstruction duplusgroschâteauqu’ilpuisseimaginer–illuifallaittoujourssebattrepourchaquecentimètrede terrain,surlesautresplages.Madisonavaitretirésonshort–complexéecommeellel’était,ellenese montrait jamais en maillot de bain. Mais ici, elle ne semblait guère s’en soucier, vu qu’il n’y avait personnepourlesobserver.ZoësecontentadevenirseblottircontreEliza,quisemblaitbeaucoup plusaimablequandellenecherchaitpasàéchapperauxregardsdesesamis. Elizasortitunmagazinedesonfourre-tout.ZoëavaitoubliéMax et les Maximonstres chez le glacier,maisElizaétaitdécidéeàlafairelire.Ellefeuilletalarevue.Peut-êtrequesiZoën’apprenait pas, c’est parce qu’on lui donnait tous ces bouquins barbants à propos de fleurs et de petits chiens. Peut-êtrequ’enluidonnantdeschosesplusintéressantesàlire... – Hé, Zoë, on va commencer avec ça, dit Eliza lorsqu’elle eut trouvé une page prometteuse. «Commentlerendrebabaenvingt-sixleçons». Elizadésignal’articledudoigt.C’étaitunabécédaire!Unevraieméthodepédagogique, se ditelle. –«A»comme«apprendreàtoujoursêtreprête». –Apprendreàtoujoursêtreprête,répétaZoë,écarquillantlesyeuxdevantlaphotod’unefemme ennuisette,étenduesurdesdrapsdesoie. –Prêteàquoi?demanda-t-elleàEliza. Elizanevoyaitpastropcommentrépondreàlaquestion. – Mmmm... essayons autre chose, dit-elle en parcourant les pages « mode ». J’ai trouvé... «Qu’est-cequej’emportepourunweek-endàlacampagne?» Jeremy,quiavaitjusque-làgardélesilence,affligé,éclataderire. –Chichequet’osespasl’embrasser!lançaZoë,ensetournantversJeremy. Ilrougit. – Je suis obligé de relever le défi, dit-il d’un ton grave, avant d’effleurer d’un baiser la joue d’Eliza. Elle se sentit flattée. Elle n’en revenait pas de s’amuser autant. C’était toujours tellement compliqué,detrouveràsegarer,depouvoirseposerquelquepart,etdeveilleràcequ’aucundeses ex-camarades de lycée ne la surprenne avec les gamins. Enfin, elle parvenait à se détendre. Et ce baisern’étaitpasmalnonplus. – Tu fais quoi plus tard ? demanda Jeremy. Mes amis vont faire un feu de camp, ce soir, à Montauk. Eliza était sur le point de lui demander à quelle heure, quand son téléphone fit entendre sa sonnerieperçante. –Excuse-moi.Jedoisrépondre,dit-elle.Oh,Lindsay,salut!Charliefaitunesoirée?Non,ilne m’apasprévenue.Cesoir?Oh,monDieu,moiquimouraisd’envied’yaller.Évidemmentquej’ai riendeprévu!Onseretrouveàquelleheure? Elleraccrocha,arborantunsourireradieux. ElizavitJeremysedétourneretfixerl’océand’unaircontrarié. J’aivraimentfaitça?Planifiéautrechosedevantluialorsqu’ilvenaitàpeinedem’inviterà sortir? –Pourenreveniràcesoir...,ditElizad’unevoixmalassurée,onvientdemeproposerquelque chosepourplustard.Maisçanenousempêchepeut-êtrepasdedîner,ouquelquechosecommeça? –Biensûr,approuvaJeremy. En temps normal, il aurait refusé. Mais il y avait un je ne sais quoi, chez Eliza, qui faisait accepterauxgarçonsdestasdechosesqu’ilsn’auraientacceptéesdepersonned’autre. Jacquin’enfinitpas detestersonproverbe Pendantcetemps,quelquepartàBridgehampton,deuxformesétaientblottiessousuncouvrelit...Jacquietsonnouveaupetitamifolâtraient,etellegoûtaitlachaleurdequelqu’untoutprèsd’elle. Ellenes’étaitpassentieaussibiendepuisdessemaines. –Oh...Luca...,murmuraJacqui. Unetêteécheveléeseredressasoudain. –Qu’est-cequetuasdit?demanda-t-ilàJacqui.Tum’asappelécomment? – Léo... Léo... J’ai dit « Oh, Léo », mentit Jacqui en recouvrant son visage de baisers. J’ai dit «Léo»meuamor. Léoserecouchaprèsd’elle,bienqu’ilnefûtpastotalementconvaincuqueJacquipensaitàlui. Étenduesurlelit,celle-cinepouvaits’empêcherdesongerqueLéon’étaitpasunebonneidée.Mais elle n’y pouvait rien. Elle était le genre de fille qui avait toujours un petit ami, et il lui avait fallu trouverquelquechosepournepaspassersontempsàpleurer.Lesbrasmaigresmaisréconfortants deLéosemblaientfairel’affaire. Après ce qui s’était passé au match de polo, elle n’avait pas eu le courage de se remettre au travail.Commenttravaillerquandvotrecœuravaitétépiétinéetjetéauxchiens?Aulieudeça,terrée danslachambredeLéo,elleavaitpassésontempsàregarderdesprogrammesdetélédébilesetà viderlefrigo.ElleétaitretournéechezlesPerrypourprendredesvêtements,àunmomentoùelle savaitqu’ElizaetMaraseraientsortiesaveclesenfants. Ellenevoulaitpasseretrouverfaceàelles.Elless’étaientmontréesvraimentgentilleslejourdu match, mais elle avait besoin d’être seule... enfin, aussi seule qu’elle était capable de l’être. Elle se doutaitqu’elleallaits’attirerdesennuis,orelleétaitdansunpaysétranger,unendroitquin’avaitde senspourellequedanslamesureoùl’hommequ’elleaimaits’ytrouvait.Ettoutesleschosesqu’elle savait vraiment importantes – comme son boulot – avaient perdu toute leur réalité. Elle songeait à s’embarquerdansleprochainavionpourSãoPauloetàoublierqu’elleavaitjamaismislespiedsaux Hamptons. De l’argent qu’elle avait gagné jusqu’à présent, elle n’avait rien dépensé. Ce matin, elle avaitregardélesprixdesbilletsd’avion,surl’ordinateurportabledeLéo.Mais,pourlemoment,elle n’avait même pas la force de quitter le refuge que constituait la chambre de Léo, et elle avait le sentimentquecetteimpressionn’allaitpaslaquitterdesitôt. Anna allait certainement la renvoyer à son retour, mais Jacqui était trop affectée pour s’en soucier. Qu’elleavaitétébêtedecroirequequelqu’unpouvaitl’aimerpourdebon!Cesdeuxsemainesà São Paulo n’avaient été qu’un mirage. Qu’avait dit Eliza, au juste ? Que c’était un baratineur. Quelqu’un qui avait fait mine d’être amoureux d’elle, alors qu’il n’aimait que son corps. Comme n’importequelautretypesurcetteplanète!Nulnecherchait,au-delàdesonphysique,quielleétait vraiment. Léoparaissaitdifférent,celadit.Ouais,iln’arrêtaitpasdeluirépéterqu’elleétaitbelle,maisen précisant qu’il n’en revenait pas de la chance qu’il avait. Lorsqu’elle le regardait, elle n’avait pas l’impressiond’êtresurunpetitnuageetquandill’embrassait,ellenefermaitpaslesyeuxetnevoyait pasdefeuxd’artifice.Maisellepouvaitfairesemblant.Pourça,elles’yconnaissait. Ilétaitgentil.C’étaitunchictype.Et,pourlemoment,illuifaudraits’encontenter. Marafinitparcommander labonneboisson Toutensirotantsasecondemargaritaàlacarambole,Marasedisaitqu’ellepourraits’habituerà cegenredevie.Lemélangeglacé,acideetsucréavaitungoûtparadisiaque,etelleplanaitunpeu, sous l’effet de la tequila. Mieux encore, Ryan l’avait invitée à l’accompagner à la soirée – en tant qu’amie, bien entendu. Il ne s’agissait pas d’un rendez-vous amoureux, ou quoi que ce soit de ce genre.Maiselles’étaitsentiesuffisammentflattéepours’efforcerd’oublierlesentimentdemalaise éprouvécematin-là. Ilsétaientassisentêteàtête,àunetableroyaleavecvuesurl’océan,sousunelampechauffante. LuckyYapétaitpasséencoupdeventetlesavaitprisunenouvellefoisenphoto.Àprésentqueça devenaitunehabitude,Maraavaitapprisàprendrelaposelaplusflatteuse. Ryanexpliquaquec’étaitunesoiréeenl’honneurd’unvieilamiàlui.Quelquesoitcetami,il devaitêtretrèsenvue,jugeaMara.Autourd’eux,desmembresdelajet-setsemêlaient,passantd’une table à l’autre. Mara avait déjà repéré la star adolescente du film de l’été, le bloqueur vedette du championnat national de base-ball de l’année précédente, ainsi qu’une quantité de pseudo-célébrités issues de la télé-réalité – depuis les jeunes mondains envoyés dans des camps d’entraînement militairesjusqu’aucouplequis’étaitrencontréetmariéàl’occasiond’unshowtélévisé. SiseulementMeganpouvaitmevoirencemoment!songea-t-elle,sesentantunpeunostalgique àlapenséedesapétulantegrandesœurquitravaillaitdansl’institutdebeautédeleurville,etpassait sesjournéesàrelookerlaclientèlelocaleenfonctiondesoninterprétationdesdernièrestendances hollywoodiennes.Marasejuraderetenirlemoindredétaildelasoirée,afindepouvoirenfairele compterenduprécisàsasœur. Mais elle ne parvenait pas à chasser de son esprit la scène de la cuisine. Bon... Ryan avait une petiteamie,etalors?Elledevaitsanscesseseremettreentêtequ’elleaussiavaitunpetitami. Ryanabienledroitd’aimerlesrousses,non?Toutlemondelesaime!pensaitMaraentirant inconsciemmentsursesbouclesbrunes.Lafilleétaitjolie,Maralereconnaissait.Tropjolie.Etpuis, elle savait faire du surf. Mara était nulle en sport. On la choisissait toujours en dernier, lorsqu’il s’agissait de former une équipe. Jolie, sachant surfer, dotée d’un corps sexy et d’une poitrine qui remplissaitbienlehautdesonmaillotdebain.Quandonparleduloup... –Tevoilàenfin!ditlafilled’unevoixessoufflée. ElledonnaàRyanunrapidebaisersurlaboucheets’assit. Maras’efforçadesourire,maisseslèvresrefusèrentd’obéir. –Salut,jem’appelleCamille!lança-t-elleenluimettantlamaindevantlevisage. –Mara. Camillesepenchapourmurmurerquelquechoseàl’oreilledeRyan. Tousdeuxéclatèrentderire,etMarasesentitextrêmementmalàl’aise. –Désolée.C’esténervant,pasvrai?demandaCamille. –Vousvousêtesrencontréscomment,touslesdeux?voulutsavoirMara. Ryanetelleavaientévitéd’enparlerjusqu’àprésent.MaisMaraétaitau-dessusdeça.Dumoins, elleessaieraitdel’être. –Oh,jetravaillaispourRyan! –Qu’est-cequetuveuxdireparlà? – C’était... heu... une des filles au pair... avant que vous n’arriviez, expliqua Ryan sur un ton d’excuse. – Ouais. Me faire virer est le meilleur truc qui me soit jamais arrivé ! J’ai dégoté un job au BambooetjelogechezunecopineàNorthHaven.Etjen’aipasàmesentircoupabledesortiravec lefilsdupatron! Ryaneutunrirenerveux. –Ensomme,Mara,tum’asremplacée!plaisantaCamille.Commentvontlesgamins? –Bien.OnlesemmènetouslesjoursàGeorgica,réponditMara. –GEORGE-i-ca,rectifiaCamilleenbattantdescils. –Qu’est-cequej’aidit?demandaMara. –George-I-ca. –Oh. Maranesaisissaitpasladifférence. – L’accent tonique est sur la première syllabe, pas sur la deuxième, expliqua Camille. Les nouveauxarrivantsfontsouventl’erreur.Tuviensd’où?DuNewJersey? MaraavaitpassésuffisammentdetempsdanslesHamptonspoursavoirreconnaîtreunaffront. Elleneréponditpas. –Ryan,allonsdanser!Allez!s’ilteplaît!gémit-elle,enentraînantRyansurlapistededanse tandisqueMararestaitseuleàlatable. Mara commanda un autre verre, décidée à ne pas se sentir abandonnée. Elle n’aurait su dire pourquoielleéprouvaitunetelleirritation.Elizadéboulaàboutdesouffleetselaissatombersurla chaiselibre. –Jesuistellementdésoléed’arriversitard.JeremyetmoisommesallésdînerchezLunch.Ona pris des homards et du pain au maïs. Tous ces glucides... J’ai l’impression que je vais exploser ! gloussaElizaenfaisantlabiseàMara. –Jeremyausécateur?TuessortieavecJeremy?demandaMara. Elle avait fait sa connaissance dès la première semaine. Il l’avait gentiment aidée à se repérer danslapropriété.MararegardaElizad’unœilneuf.Jeremyétaituntypevraimentchouette–ungars solide.Ellen’auraitjamaisimaginéqu’unefillecommeElizapuisses’intéresseràungarçoncomme lui. –Ouais,onapassétoutelajournéeensemble.C’étaitgénialissime!Oh,regarde,voilàLindsay. Ohé!fitElizaenagitantlamain. –Maisalorspourquoinepasl’avoiramenéici?Tun’aspasdroitàuninvitéenplus? Maraavaitapprisquetouslesgensquiétaient«quelqu’un»avaientdroitàlamention«plus un»surlalistedesinvités. –Oh,iln’auraitpassaplaceici,réponditEliza,enselevantpoursaluerdesamis. –Qu’est-cequetuveuxdireparlà?demandaMara. –Onn’amènepasdesgenscommeJeremydanscemonde-là,expliquaEliza.Oups!Attention! s’exclama-t-elle,tandisqu’uninvitétropenthousiasterenversaitsonwhiskyontherockssursarobe. –Cequelesgenspeuventêtremalélevés!ronchonna-t-elle. –Dansquelmonde?insistaMara. SonélandesympathieenversElizas’étaitbrisé.JeremyétaitdumêmemilieusocialqueMara– son père à lui était charpentier, quand son père à elle travaillait dans le bâtiment ; sa mère était professeur, celle de Mara assistante sociale. En fait, chez elle, elle était beaucoup plus proche de Jeremyqued’Eliza. –Tusais,toutça,ditElizad’unairdégagé.Oh,voilàCharlie!Ohhé!Elleselevaetseprécipita verslui.Ellevoulaitsefairepardonnerdel’avoirloupé,lejourdumatchdepolo. QuetraficotaitdoncEliza?CouriraprèsCharlie,quandellevenaitdedîneravecJeremy?Mara fronça les sourcils. La rencontre avec Camille l’avait déjà contrariée, et voilà qu’Eliza venait en rajouterunecouche,avecsesgénéralisationsdésinvoltesetsonsnobismeinsouciant. MaracommençaitjustementàapprécierEliza,mêmesielleavaitdesmanièresdeprincesseetse comportaitparfoisbizarrement.Elizapossédaitunesortederayonnement,auquelMaraétaitsensible. Etpuis,elleluiétaitreconnaissantedel’avoirrelookée.Sescheveuxn’avaientjamaisétéaussibeaux. Or,voilàque... Sontéléphoneportablefitentendrelesaccordshabituels.Oh,oh,oh,sweetchildo’mine... Mararegardalenomdelapersonnequiappelait. JIMMs’afficha. Pouah! Elle l’éteignit. Ryan avait peut-être une petite copine, mais ça ne voulait pas dire qu’elle était prêteàseréconcilieravecsonpetitami.Dumoins,pasencore. L’éducation deRyan Àlafindelasoirée,touslesamisdeRyanfilèrentàl’afterdeCharlieàl’AmericanHoteltout proche.Elizalessuivit.CamilleétantpartieetMaraayantplaidél’épuisement,Ryanproposaàcellecidelaraccompagner. –Pourfinir,onn’ajamaisfaitcettepartiedeScrabble,ditRyanensegarantdansl’allée. –Ouais,j’imaginequ’onétaittouslesdeuxtropoccupés,ditMarad’untonpluscassantqu’elle nel’auraitvoulu. Ryanlaregardaducoindel’œil. –Tuveuxfaireunepartie? –Biensûr. Ilsinstallèrentlagrilledanslacuisine,etMaracomptalesjetons.Elleadoraitlesjeuxdesociété. Elle savait que c’était franchement ringard, mais c’était plus fort qu’elle. En cinquième, elle avait remportéuntournoideTrivialPursuit,etelleétaitaccroàlachaînedesjeuxtéléviséssurlecâble. Ils menèrent une lutte acharnée, mais Mara le ratiboisa en opposant des mots comme «sacristie»,«tentation»et«gigolo»aux«car»,«mou»et«yak»deRyan. Pourfinir,Ryanformalemot«ixe». –Cen’estpasunmot,protestaMara.C’estunelettre. – Mais non, tu sais, la génération « X » : ces gens un petit peu plus vieux que nous et qui ont bradétoutelaculturegrungepourdescappuccinosàcinqdollars,expliqua-t-ilensouriant.Voyons... jesuissurunmotcomptetriple... –«Ixe»n’estpasunmot. –Sisi. –Tuveuxqu’onvérifie? –Cen’estpasunmot!insistaMaradansunéclatderire. –Tumetues!s’exclamaRyan. –Paslapeinedevérifier,cen’estpasunmot.Oh,etpuis,laisse-le,aprèstout.Detoutefaçon,tu nepeuxpasgagner. –Oh,quifaitlafièreàprésent? –Ilyadequoi!ditMaraavecungrandsourire. –Jetefaisgrâcedetapitié,ronchonnaRyanenreprenantsesjetons. –Laisse-les!Laisse-les!Jeplaisantais,s’esclaffaMara. IlsrangèrentlejeudesociétéetRyanouvritunebouteilledevin,qu’ilsburentencontemplantle paysage,depuislavéranda.Maisleursilencen’étaitpasaussipaisiblequelesfoisprécédentes. –Alors,qu’estdevenueCamille?demandaenfinMara. –EllevoulaitalleràunesoiréedebienfaisanceàWainscott.Çamedisaitriendemetaperune autrefête. –Elleesttrès...heu...mignonne,hasardaMara. Ryanhaussalesépaules. –Elleestsympa,dit-il(commesurladéfensive). –Ilyalongtempsquevoussortezensemble? –Pasvraiment,répliquaRyan.EtJimettoi?Çafaitlongtemps? – Officiellement, depuis la seconde. Officieusement, depuis quelque chose comme le CE2, dit Mara,commesicetteconversationn’étaitpasincroyablementforcée. –Mmm...,fit-il.C’estl’anniversairedeCamillelasemaineprochaine.Àtonavis,qu’est-ceque jedevraisluioffrir?Desbijoux,c’esttrop,non?C’esttoujourstellementdifficiledesefigurerce queveulentlesfilles. –Mmm...,fit-elleàsontour,nesouhaitantpasvraimententendrequelsétaientsesprojetspour l’anniversairedesapetiteamie.Cequec’estbeauici!s’exclama-t-elle,histoiredechangerdesujet. Tunesaispasquellechancetuas. –Si,si.Détrompe-toi. –Jesuisdésolée...Jeneledisaispasdanscesens-là. –Pasdeproblème...,dit-ilavecunlégersourire. –Cedoitêtreagréable...d’êtreriche,jeveuxdire,ditMara,quelquepeuchoquéedesapropre sincérité. –Monpèreestriche.C’estsonargent,paslemien,expliquaRyan.Jeneconfondspaslesdeux choses.Maisjenesuispasdupenonplus. Maranesaisissaitpasprécisémentcequ’ilvoulaitdireparlàmais,commeilss’étaientattaqués auxdeuxsujetslesplusdélicatsencequilesconcernait–leursamoureuxrespectifsetl’argent–elle préféraitenresterlà.Elles’efforçaitaussidenepaslaisservoiràquelpointelleavaitétéblesséepar Camille et ses remarques sur l’accent du New Jersey. Avec de telles réflexions – ajoutées à celles d’Elizaconcernantle«statut»deJeremy–,Marasesentaitplusquejamaisétrangèreàcemonde. –Qu’est-cequetucomptesfairedetavie?demandaMara.Surferdegrossesvaguesengrosses vaguesàHawaii? Oups,pastrèsgentildemapart,réalisaMara. –Non...c’estjusteunhobby.J’aiunoncleàParis,dit-ilaprèsunepause.Jesongesouventàaller m’installerlà-basetàl’aiderdanssonaffaire. –Génial...etilfaitquoi? –Ilaunegalerie.C’estlefrèredemaman.Pasd’Anna.Demavraiemère. –Elleestoù? L’espaced’uninstant,levisagedeRyans’assombrit. –Sincèrement,j’ensaisrien.Elleaditqu’ellevoulaitexpérimenterjenesaisplusquelashram tibétain.Oubien,elleestenAfriqueduSud,enpleinsafarideremiseenforme...Jenesaisjamais trop.Ellemanqueauxgamins.Elleétaitvraimentmarrante,avantdedevenirfolle. –Commentça?Qu’est-cequ’elleafait? –Oh,unenuit,elleestrentréecheznousenayantdépenséprèsdelatotalitédeleurcompteen banque pour une voiture et deux manteaux de fourrure. Puis elle avait pris le volant et remonté la 5eAvenuesouslaneige,vêtueentoutetpourtoutdesessous-vêtements.Lesdocteursontditqu’elle étaitmaniaco-dépressive.Mêmesanseux,jem’enseraisrenducompte.Ellepouvaitfairedesgâteaux auchocolatetorganiserunanniversairesurpriseavecdesdrôlesdepetitschapeauxenpapierettout letralala...etuneheureplustard,seretrouveràsangloterdansuncoinenmenaçantdes’ouvrirles veines. –C’esthorrible.Jesuisdésolée. Ryansoupira. –Çafaitdubiend’enparler.Papafaitcommes’ilnes’étaitrienpasséetqu’Annaavaittoujours étélà.Ettafamilleàtoi,elleestcomment? – Terriblement banale, répondit Mara en haussant les épaules, et en regrettant son mouvement d’humeur. –Unefamillebanale,quelbonheur! –Monpèretravailledanslebâtiment.Iltravaillepourdegrospromoteurs,etseplainttoujours dupiètreboulotqu’ilsfont.Luiessaietoujoursdefairedesonmieux,maispersonneneveutpayer. Ilsmettent...jenesaispas,moi...desfenêtresenplastiquedanssesmaisons.C’estunbravetype.Ma mèreestassistantesociale.Elletravailleavecdesgaminsautistes,leurdonnedescoursàdomicile.Je suislacadette.MasœurMollyestmariéeetvitavecsonmariàSouthBoston.Elleadeuxenfants. Megan,monautresœur,estcoiffeuse.C’estunnuméro.Ellefabriqueelle-mêmetoussesvêtementset ressembleàJuliaRoberts. –Vousm’aveztoutl’aird’êtreunefamilleunie. –C’estcequenoussommes,ditMara,sesyeuxs’embuantdelarmes.(Lessiensluimanquaient vraiment.) Chaque été, on va passer une semaine à Gloucester. C’est chouette. Rien à voir avec ici, celadit. –Qu’est-cequit’apousséeàaccepterceboulot? – Le besoin d’argent, admit Mara. Et en parlant de banalité, il ne se passe jamais rien à Sturbridge. –Ehbien,entoutcas,jesuisheureuxquetutesoisdécidée,ditRyan,sepenchantetplongeant sesyeuxdanslessiens. Maraétaitunpeuivre,etellenedétournapasleregard.Ryanétaitsibeau–etbienplusquecela encore. Il était intelligent, drôle – tout simplement adorable. Elle baissa les paupières. Sentit son soufflesursajoue.Tenditleslèvres,pourrencontrerlessiennes... Ets’écartaenentendantclaquerlaportedupatio. Poppysetenaitsurleseuil,unecigarettedansunemainetunebièredécapsuléedansl’autre. –Ryan!Jet’avaispasvu!Tum’asfaitpeur! –Salut,sœurette,ditRyanenserenversantsursachaise. –CommentétaitlasoiréedeCharlie?demandaPoppy,adosséeàlabaievitrée.Hé,tuesunedes fillesaupair,non?demanda-t-elle,setournantversMara. Marahochalatête. –C’estMara.Mara,tuconnaismasœurPoppy,n’est-cepas?demandaRyan. –Jecroisquejevaisallermecoucher,ditMara. Elleselevad’unbondetleursouhaitabonnenuit. –Bonnenuit,répliquaRyanententantderencontrersesyeux. MaisMaraesquivasonregard. Poppy haussa les épaules. Tant de gens allaient et venaient, dans leur maison. Pas facile de suivre. –Ry,tuasdufeu? – Tu ne devrais pas fumer, répliqua Ryan à sa sœur cadette, en rentrant dans la maison. C’est mauvaispourleteint. –Vatefairevoir!rétorquaPoppy,avecunsouriresarcastique. Songrandfrèreétaituntelrabat-joie. Lesfillesnecollentpas forcémentàl’image qu’onsefaitd’elles –Cody!Reviensici,tum’entends?Cody!hurlaitEliza,àboutdenerfs. Legamindetroisanss’étaitprécipitéhorsdelamaisonengloussant,nucommeunver. À l’intérieur, William lançait joyeusement sur le plancher des biscuits au chocolat imbibés de lait,pendantqueZoëetMadisonsedisputaientlederniersconeauxmyrtilles. Elizafitunultimeeffortpourtenterdemaîtriserlebébé.Jacquin’étantpasdanslesparageset Marasouffrantd’uneépouvantablegueuledebois(lemélangemargaritasàlacaramboleetcabernet sauvignon s’avérait tout compte fait une très mauvaise idée), seule Eliza était disponible pour s’occuperdesenfants. – Tu as besoin d’aide ? demanda Jeremy, en soulevant Cody par les coudes et en le balançant danslesbrasd’Eliza. –Ilsnem’écoutentjamais!selamentaEliza. Avec l’aide de Jeremy, Eliza fourra dans la voiture enfants, panier à pique-nique, Elmo Chatouille-moi,Elmodormeur,Elmorockʼnroll,bébésBratz,livresdecoloriage,pellesetseaux. –J’aivraimentpasséunebonnesoirée,hier,dit-ellecommeJeremysepenchaitàlavitre. –Moiaussi. Mueparuneimpulsion,elleluidonnaunrapidebaisersurleslèvres. –Oh,lesamoureux!scandaMadison.Ohlesamou... –Chut!l’interrompitElizaenplaquantlamainsurlabouchedelapetitefille. EllegratifiaJeremyd’unsourireaffectueux. –Onsevoitplustard,luidit-elle. –Àplustard. Ilfitunepetiterévérenceetpartitendirectiondujardin. Eliza mena le petit troupeau à leur endroit habituel, sur Main Beach, à côté de la zone des gardes-côtes. Il n’y avait pas de véritables toilettes à Two Mile Hollow, et ça avait fini par poser problème, l’autre jour. Les gamins étaient surexcités, et ça barbait vraiment Eliza d’être l’unique baby-sitteropérationnelle. Mais,àquelquespasdedistance,elleaperçutMara.CettebonnevieilleMara!Elleportaitdes lunettesdesoleilauxverresdisproportionnés,etsirotaituneboissonénergétique.Maiselleétaitlà. Dieusoitloué. – Il était temps que vous arriviez, dit Mara en sortant Cody de sa poussette en le chatouillant gentiment. –Qu’est-cequis’estpassé?Tuétaisàmoitiécomateusecematin,ditEliza. –Oui,eneffet.MaisRyanm’afaitprendreceremèdeincroyablecontrelagueuledebois–dela sauceWorcestershire,mélangéeàunjauned’œuf. –Beurk!fitElizaavecunegrimace. –Jesais,maisçaamarché.Jen’aiplusmalàlatête,mêmesijemesensencorecomplètement déshydratée,ditMaraenbuvantunenouvellegorgée. –Commenttuaspuarriveraussivite? –Ryanm’aaccompagnée. « Évidemment ! » faillit s’exclamer Eliza. Mais elle se ravisa. Mara était si bizarre en ce qui concernaitsesrelationsavecRyan.Elizanesouhaitaitpasl’embarrasserdavantage. Maraemmenalepetitauborddel’eau.Elizaetlesautressuivirent. –Allez,Cody,encorequelquespas.Allez,çanevapasfairemal!Jetetiens! CodysuivitMarad’unpasmalassuré,maiss’enfuitenhurlantlorsqu’unevaguevintsebriserà leurspieds. – Ça ne sert à rien. Ce gosse n’apprendra jamais à nager, soupira Mara. Allez, viens, Cody ! Regardecommec’estdrôle!dit-elleenfaisantgiclerl’eau. –J’aivuJeremycematin...Ilétaittropmignon!Ilm’aaidéeàfourrertouslesenfantsdansla voiture.Onavaitl’airtoutdébraillés...,racontaElizad’untonrêveur. Depuisquandest-cequejesorsdesmotscomme«débraillés»,sedemanda-t-elle,songeuse. –Ilportaitlacombinaisonlapluscraquante...Tul’asvu?reprit-elle. –Çasuffit.Jecroisquejevaisvomir,plaisantaMara. Elle était de bien meilleure humeur, après avoir vu Ryan ce matin – ils s’étaient comportés commes’ilnes’étaitrienpasséd’anormal,cequiluidonnaitlesentiment...qu’ilnes’étaitrienpassé d’anormal.ElleétaitmêmeprêteàpardonneràElizasonmanquedetactdelaveille.Nuln’estparfait, etMaraauraitjuréqu’Elizanepensaitpaslamoitiédecequ’elleavaitdit.Ilsuffisaitdevoircomme ellerayonnaitchaquefoisqu’elleprononçaitlenomdeJeremy. –Cequetuesmauvaise!ronchonnaEliza.Jetrouveenfinunmecquimeplaîtvraiment,etjene peuxmêmepasteparlerdetoutescesadorableschosesqu’ilfait! –EtCharlie,danstoutça? –Oh,j’ensaisrien,répliquaElizaenhaussantlesépaules.Jeremyesttellementmerveilleuxet puis,ils’yprendsibienaveclesenfants... – Sérieusement, Liza, je vais vomir, si tu ne files pas tout de suite, dit Mara avec un sourire moqueur. –Sijenefilepas? Marabalayasaperplexitéd’ungestedelamain. –Tuasbiencompris.Valeretrouver!Tum’assauvélamise,l’autrejour,aumatchdepolo. Allez!Vas-yvite! –Jeterevaudraiça!s’écriaElizaenlaprenantdanssesbrasetenluidonnantunbaiser. Elledévalaladune,espérantsurprendreJeremyavantqu’ilnesoitrentréchezlui. Pauvreex-petitefille riche! Eliza s’introduisit discrètement dans la propriété, se cachant derrière l’un des ornements en pierredujardin,lorsqu’elleaperçutKevinPerryquis’apprêtaitàserendreauyachtclub.Ilsortaitla goélette ce jour-là, et avait même invité Jacqui à se joindre à lui. Kevin attendait devant sa Ferrari Spider,etconsultaitsamontre.Maislorsqu’ilfutcertainqueJacquin’allaitpassemontrerdesitôt,il semitauvolantetdémarrarageusement. Eliza se faufila à l’intérieur par l’entrée de service et trouva Jeremy en train de planter des jacinthesàcôtédesarceauxdecroquet. –Devinequic’est!demanda-t-elleenplaquantlesmainssurlesyeuxdujeunehomme. – C’est toi, Sugar ? Là, tout de suite, je suis totalement vanné, plaisanta Jeremy. Ou bien c’est Poppy,quiauraitbesoind’unpeud’action? –Cen’estpasdrôle,dit-elleens’éloignant,unpeublessée. Rienquifûtenrapportaveclesjumellesnepouvaitl’amuser. –Désolé,désolé,ditJeremyencourantpourlarattraper.Jefaisaisl’idiot,c’esttout. Il lui donna une petite tape sur le ventre et Eliza sourit. Elle était incapable de lui en vouloir longtemps. –Viens!dit-elleenluiprenantlamainetenl’entraînantdanslecottagedesjeunesfillesaupair. Ilsseglissèrentdanslachambremansardéequi–ouf–étaitvide.Çan’arrivaitpassisouvent queça,aprèstout. –Chouettepiaule!fitremarquerJeremy,enjetantuncoupd’œilàlachambrededeuxmètres cinquantesurtrois. –C’estpasleRitz,c’estcertain,soupiraElizaens’asseyantsurleborddulit. Elle le regarda avec une certaine appréhension. Elle avait séché le boulot pour traîner un peu aveclui,maisn’étaitpascertainedecequ’ilsallaientfaireàprésent. Elles’efforçadeparaîtreaussiattendrissanteetcandidequepossible,danssarobebaindesoleil roseetsesespadrillesentoile,tandisqu’elleattendaitqu’ilfasselepremierpas. Jeremys’installaàcôtéd’elle. –Alors? –Alors? Ilssetournèrentl’unversl’autreet,avantmêmequ’Elizaaitprisconsciencedecequisepassait, ill’embrassait.Doucement,audébut,surseslèvrestremblantes.Ellefermalesyeux.Ilembaumaitla terresombreetmouillée,mêléeàunelégèreodeurdesueuretdesoleil.Illuiébouriffaitlescheveux d’unemainet,del’autre,luicaressaitlecreuxdesreins. Elle lui rendit ses baisers avec fougue, explorant la saveur de sa bouche. Il avait un goût de menthe.Iltrouvaitqu’ellesentaitlavanilleetlanoixdecoco. Ill’attirasursesgenoux,ellepressasonvisagecontresontorse. –C’estagréable,dit-elle. –Mmmm? –Jet’aidit,hiersoir,quejevivaisdésormaisàBuffalo? –Non,justequetuavaisgrandisurParkAvenue. –C’estvrai,soupira-t-elleenenfouissantsonvisagedanslecreuxdesoncou(etenconstatant qu’elle aimait le contact de sa barbe naissante). Mon père était l’un des grands manitous de Wall Street.Tuaspeut-êtreentenduparlerdelui.C’étaitunesortedecélébrité.Ilyaeuunscandaleducôté delacompta,ilaperdusonboulot,etonadûquitternotreappartement.Mesparentsontétéobligés detoutvendre–lacollectiondetableaux,lamaisonet...onadéménagéàBuffalo. –C’estpassimal,Buffalo. –Si,justement,selamentaEliza.C’esthorrible.Là-bas,touslesgensdemonâgesefigurentque je suis la reine des snobinardes, personne ne m’adresse la parole. Le pire, c’est que je ne fais rien pour ça. Je ne vois pas pourquoi je les traiterais de haut. Mon père est au chômage, et ma mère a dégotéunjobdansuneboutiquedephotocopiespourqu’onpuissejoindrelesdeuxbouts. Jeremyrestasilencieux.Illuicaressalescheveux. –Toutvafinirpars’arranger,murmura-t-ilenfinenlaserrantcontrelui. Elizan’avaitjamaisconfiéàpersonnecequiluiétaitarrivé–àquoiressemblaitvéritablement savie.Çaluifaisaitdubiendeparlerdetoutcela.Ellesesentaittellementàl’aiseaveclui.Elleétait certaine qu’il ne la jugerait pas. Elle savait, au fond d’elle, qu’elle pouvait tout lui dire, tout lui révélersursavie,etqu’ilnel’enaimeraitpasmoins. – Avant ça, je n’avais jamais réalisé que j’étais si gâtée. Je déjeunais tous les jours dans un restaurant chic – je prenais des hamburgers à trente dollars et ce genre de trucs – sans la moindre hésitation.J’allaisdanslesgrandsmagasinsetj’achetaistoutcedontj’avaisenvie.Ilm’arrivaitmême d’insister auprès des vendeurs pour qu’ils fassent venir les articles d’un autre magasin, s’ils ne les avaientpasdansmataille. Ellesetutausouvenirdesjoursbénisetenivrants,oùelleavaitsavoitureavecchauffeuretsa cartebancairesanslimitededépenses. –Jesaisqueçadoitsemblerfutile,maisçamemanqueterriblement.Çamemanquebienplus que je ne l’aurais jamais imaginé. Autrefois, dès que j’entrais dans une pièce, les gens voyaient au premiercoupd’œilquejesortaisdulot.SugaretPoppyfaisaientpartiedemonclan,aulycée.Elles étaientdansmabande.C’estmoiquiavaislescheveuxlesplusblonds.Jemefaisaisrefairedesreflets tous les treize jours. Je battais aussi tous les records de minceur. Même l’immeuble dans lequel on vivait...c’étaitceluioùilétaitleplusdifficiled’obtenirunappartement.Jen’avaisquecequ’ilyade mieux, tu comprends ? Mais à présent, c’est au-dessus de mes moyens. Faut que je me contente de ressembleràtoutlemonde. Elle le regarda, redoutant de lui voir une expression moqueuse. Eliza était consciente qu’il ne s’agissaitquedechosesidiotesetmatérielles.N’empêchequ’elleavaitcrumourirdechagrinlejour où la sangle de son sac à main Mombasa l’avait lâchée. Elle savait qu’elle ne pourrait jamais s’en offrirunautre. –Biensûr,jesaisqueçadoitfairebizarre.Jesaisqu’ilyadesendroitsoùlesgensmeurentde faim.Maistoutdemême,çanem’empêchepasd’être...unpeutriste,dit-elle. –C’esttoutàfaitnormal,l’apaisaJeremy.MaisEliza...tun’asaucuneraisondet’inquiéter.La premièrefoisquejet’aivue,jen’aipasputequitterdesyeux.Etc’étaitpasparcequetuportaisdes fringuesDolce&Gambinoouvasavoirquoi...Ilyacerayonnementquiémanedetoi... Ilpritsonvisageentresesmains,luirelevalementon. –Tuestotalementbelle.Et,bienqu’oncommencetoutjusteàseconnaître,jepensequetues aussibelleàl’intérieurqu’àl’extérieur. C’étaitlachoselaplusgentillequ’onluiaitjamaisdite. Ellel’embrassalonguement,etavecfougue.Unjour,elleluimontreraitàquelpointilcomptait pourelle. Lesseulesparolesagréables qu’AnnaPerryaitjamais prononcées Lundi matin, Anna Perry les convoqua, de bonne heure, dans son bureau. Mara et Eliza montèrentaudeuxièmeétage,leseulniveauqu’ellesn’avaientpasencoreexploré.Ellestrouvèrent leur patronne dans une somptueuse pièce aux murs tapissés de livres, assise devant un ravissant secrétaire,occupéeàdicterunelettreàLaurie.Laquelle,styloenmain,attendaitlasuite. –C’estpourquoijecroisqu’ilestdansl’intérêtdechacunquejecoprésidelacollectedefonds de cette année, dit Anna d’un ton sec. Je m’engage, grâce au grand couturier que je choisirai, à recueillirdesmilliersdedollarsdedonations. Annalevalesyeuxet,d’ungestedudoigt,priaMaraetElizadenepasl’interrompre. –Cordialement,signéMmeAnnaFarnsworthPerry.Lenuméroestsurlefax. Ellefitsigneauxfillesdes’asseoir.Ellesselaissèrenttombersurlesfauteuilstendusdevelours. Mara promena son regard sur les magnifiques ouvrages reliés remplissant les rayonnages. Elle se demandasiAnnaavaitjamaiseuidéedeleslire.Elizaarboraitunsouriretimide.Ellepensaitencore àJeremy. – Nous devons ramener les enfants à New York cette semaine, afin qu’ils rencontrent la responsable des inscriptions de leur école privée, dit Anna. Par conséquent, pas de rapport hebdomadairecettesemaine!Celanevousembêtepas,dites-moi,lesfilles? Eliza et Mara secouèrent la tête. Non, cela ne les embêtait pas le moins du monde. Surtout qu’elles n’avaient toujours pas fait le moindre rapport hebdomadaire alors que l’été était déjà plus qu’àmoitiéécoulé. –Aufait,jen’aipasbeaucoupvucette...Jacqui...danslesparages.Ellen’estpasmalade? –Non,elleestentraindedonnersonbainàCody,improvisaMara. – Oui, elle s’occupe de son traitement hydrothérapique, précisa Eliza. Une théorie sudaméricaine... – Parfait. C’est une très bonne idée, rétorqua Anna. Permettez-moi de vous abandonner une minute... Annasedirigeaverslevestibule,vacillantsursestalons. –J’enaivraimentmarredeluitrouverdesalibis!s’exclamaMara,lorsqueAnnaeutquittéla piècepourjeteruncoupd’œilaufaxqu’elleavaitdemandéàLauried’envoyer. Elizaetelleavaientremarquéquedesvêtementstrèsbizarresavaientétédéposésdanslecottage, etd’autresremportés.Maisellesn’avaientpasvuleurcamaradedechambreenchairetenosdepuis... ehbien,depuislematchdepolo,àvraidire. –Àtonavis,elleestoù?demandaMara. –J’ensaisstrictementrien.Elleapeut-êtreunnouveaupetitcopain.Cequiestsûr,c’estqu’elle nedortpasici. –Jemefaisdusoucipourelle. –Ellevabien.C’estunegrandefille.Ellesaitcequ’ellefait,répliquaEliza. –J’espère,ditMaraenfronçantlessourcils. – Ne t’inquiète pas pour elle, elle ne le mérite pas. Après tout, elle ne se donne même pas la peinedenousdireoùelleest,alors,pourquoiest-cequ’onseferaitdumouronpourelle? Elizan’avaitriencontreJacqui,sicen’estqu’elleluienvoulaitd’avoirabandonnésapartdu boulot.DeuxbrassupplémentairesauraientétélesbienvenuslejouroùWilliamavaitdécidédetester lapratiquedukrav-magasursessœurs. Marasoupira. –J’espèresimplementqu’ellesaitcequ’ellefait. Annarevintdanslapièce,unpeuagitée,houspillantsamalheureuseassistante. –Jevousavaisditdelatapersurmonpapierpersonnel,passurunefeuilleblancheordinaire. –Jesuisdésolée.Jen’aipaspenséàvérifier. –Ehbien,renvoyez-la.Ilsrisquentdenemêmepaslaregarder!Jesaisquelecomitéseréunit aujourd’hui. –Toutdesuite. Lauries’inclinaets’empressadequitterlapièce. AnnaparutsurprisedetrouverElizaetMaratoujoursassisesdevantsonbureau. – C’est tout, les filles. Vous pouvez partir. Et ne vous inquiétez pas, nous serons de retour samedi, pour le dîner. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit... Ryan est aux commandes de la maison. Cesmotsleurfirentl’effetdelaplusdoucedesmusiques. Ryanprésideàuneréunion depremièreimportance... danssonjacuzzi Le reste de la semaine passa dans un tourbillon d’euphorie. Sans gamins à surveiller, Eliza et Mara consacrèrent leur temps à parfaire leur bronzage et à découvrir de nouvelles boutiques. Mercredi,cefurentlesgaleriesSaksdeSouthampton,jeudileParadisdesMarquesdeRiverhead,et vendredi, elles s’achetèrent deux robes vintage Lilly Pullitzer identiques, dans la boutique Colette. Ellespassèrentaussipasmaldetempsaveclesgarçons.ElizaetJeremyexploraientlesvignoblesde NorthFork,pendantqueMaraprenaitdesleçonsdesurfavecRyan–sansCamille,Dieumerci. Vendredi,Ryanlesconvoqua,etprésidalaréuniondepuissonjacuzzi. –Voilà...jemesuisditqu’ilétaittempsqu’onorganiseunepetitefête,exposaRyanensouriant aumilieudesbulles.Unesoiréeintime...oùl’onn’inviteraitquelesamisproches,suggéra-t-il. –C’estuneidéegéniale!s’exclamaEliza. –C’estsûr,çarisqued’êtremarrant,approuvaMara. – Très bien. Ça se fera demain soir, alors. Mara, tu viendras avec moi acheter la nourriture. Eliza...tafaussecarted’identitéfaitvraimentillusion,tuesdoncchargéedel’alcool.EtJacqui...Où est-cequ’elleest,nomdeDieu?demanda-t-ilenfronçantlessourcils.L’uned’entrevousl’avueces dernierstemps? MaraetElizasecouèrentlatête,avecunaircoupable.Ellessavaientquequelquechoseclochait, du côté de Jacqui. Mais toutes deux avaient été trop accaparées par leurs propres vies pour prêter attentionàquoiquecesoitd’autre. Lelendemainsoir,MaraetRyanserendirentàl’épiceriefineBarefootContessa.Ilsétaienten train de choisir du saumon fumé entier tranché et de faire leur choix entre les différents canapés lorsqueletéléphonedeMarasemitàsonnerdemanièreininterrompue. –Quiauntelbesoindetejoindre?demandaRyan,quitenaitplusieursbaguettescoincéessous unbrasetunbocaldecaviarsousl’autre. –Jim,réponditMara. Ils n’avaient pas fait allusion à Jim ou à Camille depuis la fameuse soirée où ils avaient failli s’embrasser,lasemaineprécédente.Maiscommeilnes’étaitplusrienpassédesemblableentreeux depuis,Maraétaitprêteàtoutmettresurlecompteducabernetsauvignon(etdesmargaritas...). –J’aijustebesoind’unpetitbreak...Jenepeuxpasdiscuteravecluipourlemoment. –Mmmm...,grommelaRyan. –Maiscelan’ariende...définitif...,sehâta-t-elledepréciser,sanstropsavoirpourquoi. MarajetaunregarddebiaisàRyan,toutenfaisantminedechoisirdespaquetsdechips.Ellene put s’empêcher de constater que son visage s’était assombri – de façon presque imperceptible – lorsqu’elleavaitfaitremarquerque«celan’avaitriendedéfinitif». Elizaobtienttoujours cequ’elleveut, mêmelorsqu’ellen’enveutplus –Jecroyaisavoirdit«seulementlesamisproches»marmonnaitRyanenparcourantdesyeux leséjour,lasalleàmanger,lasalledebal,lasalledejeux,lesenvironsdelapiscine,lepatioetle solariumgrouillantsdemonde. Toute la jeunesse de moins de vingt et un ans portant un nom connu dans les Hamptons était présente – notamment plusieurs enfants de stars du rock, ainsi que le casting complet de différents realityshowsdeMTV. SugaretPoppyavaientfaitcepourquoiellesétaientleplusdouées–ellesavaientrépandula nouvelle.Conserveruncaractèreintimeàlasoiréenefaisaitenaucuncaspartiedeleurspriorités. Elles étaient allées jusqu’à engager un RP, qui leur avait obtenu une autorisation officielle pour la soiréeets’étaitassurélesservicesd’unvoiturier. –C’estunesuperidée,frangin!ricanaSugar,tandisqu’unbataillond’admirateursl’entraînait, telleunedivinité,verslacabanedelapiscine. Ryan secoua la tête. Oh, et puis, après tout, autant en profiter... Il augmenta le volume de la musique,aupointquelacharpentevibraausondeIt’sallabouttheBenjamins,cettechansondePuff Daddyquiétaitdevenueunesorted’hymnedesHamptons. Toutes les chambres à coucher étaient occupées, et une forte odeur de joint flottait dans l’air. Unebanded’adosanglaisétaientserrésautourdelatableenverredelasalleàmanger,etundealer coifféd’unchapeaudefeutre(unélèvedelafacdeBenningtonenvacances)passaitd’ungroupeà l’autre. RyanaperçutMara.Ellesetenaitenretrait,sirotantunverredevinblanc. –Tut’amuses? –Quisonttouscesgens?demanda-t-elle,stupéfaite. – Va savoir ! Il doit y avoir tous les amis de mes sœurs, s’esclaffa Ryan. Viens, je vois mes copains,là-bas,ducôtédupatio. Elizaguettaitl’arrivéedeJeremy.Ilauraitdéjàdûêtrelà.Ilavaitpromisdelaretrouveràonze heures,dèsqu’ilauraitfinisonsecondboulot–serveurauTGIFridaydeHauppauge.Elleébouriffa sescheveuxetseservituneautrevodka-tonic.Çasepassaitsibienentreeuxqu’àlasecondeoùilla quittait,illuimanquaitdéjà.Ellen’auraitjamaiscrupouvoirressentircelapourquiquecesoit. EllerepéraKit,danslafouledesinvités,etlevasonverrepourlesaluer.Tayloretluiavaient rompulasemaineprécédente,etElizas’étaitefforcéedeluiremonterlemoral.BienqueTaylorfût sonamie,ElizaavaittoujourspenséqueKitméritaitmieux.Laplupartdesesvieuxcopainsétaientlà. Maischaquefoisquel’und’entreeuxluifaisaitsignedevenir,ellesecouaitlatêteetsouriait. –Oùest-cequetuvascommeça?demandaunevoix,alorsqu’ellesortaitpourlaénièmefois dansl’allée,espérantvoirlepick-updeJeremy. CharlieBorshokétaitlà,adosséàunecolonne,complètementivre. –Nullepart. Charlies’avançaverselleetl’entouradesesbras. –Oh,Liza,cequetusensbon!Tum’asmanqué,bébé. –C’estvraimentgentil,Charlie,dit-elleensedégageant. Toutl’été,elleavaitrêvéd’entendrecela.QueCharlievoulaitlareprendre.Qu’ilsformaientà nouveaulecoupleparfait.Qu’elleétaittoujourslafillequiavaitmislegrappinsurlegarçonleplus richedeNewYork.Or,àprésent,c’estJeremyqu’ellecherchait. Unedemi-heureplustard,lepick-updeJeremysegaradansl’allée.Ilportaitencoreletee-shirt etletablierdesonuniforme.Elizaseprécipitaversluietsejetadanssesbras. –Salutmabelle,dit-ilavecungrandsourire. –TUM’ASMANQUÉ! EllemontasesjambesautourdelatailledeJeremyetmurmura: –Trouvonsunendroitoùnousseronsseulstouslesdeux. Jacquiatoujoursété plusmaligne qu’onnel’imagine Ça pour une soirée, c’est une soirée ! songea Jacqui lorsqu’elle entra dans la propriété des Perry,oubliantprovisoirementqu’elleyétaitemployée. Elle avait passé l’après-midi à boire. Elle se sentait merveilleusement bien, quoiqu’elle eût le tournis,lecerveauengourdi,etunelégèretendanceàvoirdouble.Maisquelleimportance?Ellese blottitcontreLéo.Legentil,lefidèleLéoquiluifaisaitoublier...disons...presquetout. Certes, entre eux ça ne collait pas vraiment, physiquement parlant. Certes, le bungalow de ses parents,àBridgehampton,n’étaitpascomparable–avecsesmodestestroischambresàcoucher–à l’aile qu’occupait Luke dans la propriété Van Varick. Certes, il louchait légèrement et son rire lui tapait sur les nerfs. Et alors ? Rien de tout cela ne comptait. C’était le meilleur ami de Luke. Et, commen’importequellefillevousledira,iln’estrienqu’unhommedétestedavantagequepartager. La jalousie était un sentiment terrible, et Jacqui était parfaitement consciente de ses actes. Elle voulaitqueLukeéprouvecequ’elleavaitéprouvélorsqu’elleavaitdécouvertl’existencedesapetite amie.Ellevoulaitqu’ilsetordededouleur.Ellevoulaitqu’ilsouffre.Fautedeparveniràluibriserle cœur, elle pourrait au moins fracasser son ego. Le temps était venu, pour elle, de s’exhiber en compagniedesadernièreconquête. –Oùestlebar?luihurlaLéoàl’oreille. –Là-bas!cria-t-elleendésignantl’endroitoùRyan,mixeurenmain,préparaitdesdaiquiris. Ilssefrayèrentuncheminparmilesinvités,dépassantungroupequijouaitautwisteretunautre quidansaitsurlesofa(Annaauraiteuunecrisecardiaque,sielleavaitvucequ’ilsétaiententrainde faire subir à son Louis XV.) Ils furent stoppés net par Poppy Perry, vêtue d’un teeshirtVanHalendéchiréetd’unmini-shortultra-moulantenjean. –Jenemesouvienspasdet’avoirinvité,lança-t-elled’untonméprisant,enfoudroyantLéodu regard. –Qu’est-cequiluiprend,àcettesorcière?demandaJacqui. –C’estmonex-petiteamie,réponditLéo,embarrassé. Poppygardalesyeuxrivéssureuxtandisqu’ilstraversaientlapièceendirectiondubar,oùun autrevisagecontrariélesaccueillit. –C’estquoi,cedélire?ditLuke,siprèsdeLéoqu’ilauraitpuluicracheràlafigure.Tuesvenu avecelle?ajouta-t-ilenpoussantsonpoted’unmouvementbrusque. –C’estmoiquisuisvenueaveclui,ditJacqui,unongleeffilépointésurletorsedeLuke.Çate poseunproblema? –Qu’est-cequisepasse,monlapin?s’enquitKarinensurgissantauxcôtésdeLuke.Oh,salut Léo.EtJacqui,c’estbiença?demanda-t-ellegentiment. –Rien...toutvabien.Vamechercheruneautrebière!lançaLuke. Karins’éloigna,humbleetsoumise,tandisquelestroisautressejetaientdesregardsnoirs. ElizaenseigneàJeremy lesrèglesdujeuàboire d’«OregonCoast» Surl’écrandelasalledeprojectionprivéedesPerry,uneMischaBartoncontrariéedeprèsde cinqmètresdehautexpliquaitàBenjaminMackenziepourquoielledevaitcesserdelevoir. –Ilsrefontlecoupdelascènederupture!Fautquetuteservesunverre!lepressaEliza. C’estElizaquiavaiteul’idéedevenirici,touteslesautrespiècesdelamaisonétantoccupées pardescouplesenlacésoupardesadosquifaisaienttournerdesjoints.Tousn’étaientpasaucourant del’existencedelasalledeprojectionaménagéeausous-sol. Surl’écran,Bens’excusaitdevenirdel’Arizona,etnondel’Oregon. –Culsec?demandaJeremyenlevantsonverre. – Non, seulement quand il prononce le nom de sa ville d’origine, « Chino », dit Eliza, lui expliquantlescodesdujeu. –Oh,jesuisdésolé.Jeregardejamaiscefeuilleton. –Sic’étaitlecas,jemeferaisdusoucipourtoi.Oh,regarde,Summervafairelesboutiques. Deuxfoisculsec! – Je suggère qu’on passe à des gages plus physiques..., dit Jeremy en lui servant une autre tequila,agrémentéed’unerondelledecitronvert.Mmm...paroùjevaiscommencer?demanda-t-ilen relevantlachemised’Eliza,dénudantsonnombrilpercé. Elles’étaitfaitfairelepiercingàNewport,aprèsqueJeremyluieutconfiéqu’iltrouvaitçasexy. Ilfitglissersajupesurseshanches,révélantsataillefine,etbaissalatêtepourluilécherlarégiondu nombril. –Çachatouille!gloussaEliza. Elleébouriffasescheveuxetpoussadescrisperçantstandisqu’illuimordillaitleventre. Laportes’ouvritavecundéclic.Elizasefigea.Danslapénombre,ilsvirentungarçonetune fillefiévreusementenlacésquis’acheminaient–sanscesserdesecaresser–verslatabledebillard. Des bras jaillirent, des vêtements furent jetés à terre. Apparemment, Eliza n’était pas la seule à connaîtrel’existencedelapièce... –Nousnesommespasseuls!dit-elleàJeremyensemettantundoigtdevantleslèvres. Jeremysouritenapercevantl’autrecouple. –Ondiraitquequelqu’unaeulamêmeidéequenous,murmura-t-il. Ilsrirentensilence. –Allons-nous-en!dit-elle. Elle lissa sa jupe et ramassa les verres et la bouteille de vodka. Ils se dirigèrent précautionneusement vers la porte en pouffant, tandis que de répugnants bruits de succion leur parvenaientauxoreilles,accompagnésd’exclamationsinvolontairementcomiques:«Aïe!Pasici! Oups,jecroisquejesuisassisesurlatélécommande!Oh,c’esttoi!Jet’enprie,chéri,mepincepas! C’estmieuxcommeça!Attends,c’esttajambeoulamienne?» Soudain, on appuya sur l’interrupteur et la pièce fut violemment illuminée. Les deux couples clignèrent des yeux. Lindsay et Taylor se tenaient sur le seuil. Elles étaient en train d’explorer la maison, cherchant d’où provenait la musique, de façon à changer le CD. Des enceintes avaient été placéesunpeupartoutetlesvieuxtubesdePuffDaddy,onfinissaitpars’enlasser. – Je crois que c’est ici qu’ils ont mis la Creston, dit Lindsay. (Elle faisait allusion à la télécommandeuniversellequiactionnaittouteslesinstallationsélectriquesdelamaison–éclairage, chaînehi-fi,télévisions,alarmeanti-voletmicro-ondesinclus.)Oh,désolée!s’exclama-t-elle. Elizaputenfinidentifierl’autrecoupleprésentdanslapièce. –Charlie!Sugar! Sugar, vautrée sur deux fauteuils côte à côte, était vêtue en tout et pour tout d’un string. Effectivement,elleétaitassisesurlatélécommande.Charlie,enboxeràpois,setripotaitlepied.Tu parlesd’unesituationcompromettante! Sugar se redressa, s’ébouriffa les cheveux, et remit nonchalamment son caraco tout à fait transparent.Elizas’obligeaànepasregarderoùJeremyavaitlesyeux. –Eliza,qu’est-cequetufaislà?demandaSugard’untondétaché.Et,toi,tuseraispaslemec chargédel’entretiendelapiscine,ouuntrucdanslegenre?ajouta-t-elleenremarquantJeremy. Elle prit une cigarette dans son paquet. Charlie ramassa son pantalon sur le sol et en tira son briquet. Il lui donna du feu, tout en évaluant la situation : le visage cramoisi d’Eliza, ses vêtements froissés.L’expressionimpassibledesoncompagnon,sonuniformerappelantceuxdePizzaHut. –Liza,ditCharlied’unevoixpâteuse,visiblementencoresousl’effetdel’alcool.Jenesavais pasquetufréquentaislaracaille. Eliza se détacha de Jeremy, repoussant la main qu’il avait posée sur son coude, dans un geste protecteur. – Je ne suis pas la seule, à ce qu’il semblerait, Charlie, répliqua-t-elle en jetant sur Sugar un regardéloquent. Qu’elleailledoncseplaindreauprèsd’Annaetqu’ellelafasserenvoyer!Elizas’enfichait. Jeremyserebiffa: –Quandvas-tucesserdeprétendrequetuappartienstoujoursàcemonde-là,Eliza?fit-il. –Pardon?demandaCharlie. Sans doute avait-il mal compris. Ce gars était de toute évidence une saleté de plouc, alors qu’ElizaThompsonétaitnéeetavaitétéélevéesurla5eAvenue. ElizasetournaversJeremy,horrifiéedelevoirvendrelamèche. –Tunemeconnaismêmepas!lança-t-elle. Le visage de Jeremy se contracta. Il n’aurait jamais imaginé qu’elle tenait tant à conserver sa positionauprèsdesessoi-disantamis. –Tuasraison.Ilestclairquejeneteconnaispasdutout. Ilfonçaverslaportesansluiaccorderunregard. LindsayetTaylorrestaientbouchebéesousl’effetduchoc,enproieàunejoiemauvaise.Eliza... pauvre?Pouvait-onrêverplusbeaurebondissement? Bienqu’hébétée,Sugarexpliquad’unevoixneutre: –Paspossible!Vousn’étiezpasaucourant,lesamis?Toutl’été,Elizaabosséicicommefille aupair.Safamilleesttotalementruinée.Hé,t’espaschargéedefairefairesonrotàmonfrère,ouun trucdanscegoût-là?demanda-t-ellesuruntonsarcastique. Les yeux embués de larmes, Eliza marmonna des paroles inintelligibles et sortit en courant, aussirapidementqueleluipermettaientseshuitcentimètresdetalons. LukeetLéoontbeauêtreblancsetriches, ilss’imaginentsortirdroit dughetto –Tucrains,mec!ditLuke,secouantlatêteetfixantLéoetJacqui.J’arrivepasàcroirequetu aiespumepiquermapoufcommeça! –Hé,mec,tuasdéjàunepetiteamie,répliquaLéopoursejustifier. Sa pouf ? Jacqui n’était la « pouf » de personne ! C’était quoi ? Une audition pour un clip de rap?Pourquicesdeuxtypesseprenaient-ils?PourEminemetDr.Dre?IlstenaientplutôtdeVanilla IceetMCHammer. –Ettoi!Tum’asmenti,lança-t-elleàLuke.Toutcetemps-là,tuavaisunepetiteamie! –Écoute,mamasita.CequejefaisauxStates,çameregarde.Tut’esbienéclatéeavecmoi,pas vrai?rétorquaLuked’untonméprisant. Il avait vu clair en Jacqui dès leur rencontre. Les filles les plus jolies n’ont aucune dignité. Jacquin’étaitpasdifférentedetouteslespetitesprincessesdesbeauxquartiers–quisedonnaientde grandsairsmaisfondaientaupremiercomplimentbientourné. Jacquicomprenaitmalcommentelleavaitputomberamoureused’unpareilcrétin.Etcomment elleavaitpumarcheretcroireàsoncôté«meccoolquifréquentelesgargotes». –NomdeDieu,Léo.J’arrivepasàcroirequetutesoistapémameuf!tonna-t-ilencroisantles brassursapoitrineensigned’hostilité,commeilavaitvuSnoopDogglefairesurMTV. –Jetel’aipaspiquée,tameuf.Elleétaitlibre,protestaLéoenreculantetenagitantlesbras. – Hein ? Toi, écoute-moi ! dit Jacqui, s’adressant à Léo. Si je suis sortie avec toi, c’était juste pourlerendrejaloux. –Qu’est-cequejet’avaisdit?Tut’esfaitavoir,mec!C’estpascool,hein?Vraimentpascool, ditLukeavecunpetitsouriresuffisant. Léos’empourpraetfixaJacqui. –Quoi? Jacquihaussalesépaules.NomdeDieu!IlseprenaitpourunApollon,ouquoi?Évidemment qu’ellen’étaitsortieavecluiquepourseconsoleretsevengerdufameuxamourdesavie. Cefutunfiascototal.Dieusaitcomment,àlafindeladispute,LukeetLéosetapaientdansle dos en s’appelant « mon pote » et trouvaient la situation à mourir de rire : s’envoyer et larguer la mêmefille...voilàquilesrapprochaitencoreplus.OnseseraitcrudansunevidéodeBadBoy,etils trouvaientçaexcellent.Elleleurenavaitdonnédebonnesàraconteràleurscopains,àlarentrée,et ilsétaientonnepeutpluscontentsd’eux! Pourunefois,ilsemblaitqueJacquiallaitdevoirdormirdanslecottagedesfillesaupair.Seule. Maraadumal àresterhabillée Deux heures du matin. Presque tous les invités s’étaient rendus à une autre soirée. Ceux qui étaientencorelàpoursuivaientlafêteàleurmanière...defaçonplusintime,dirons-nous.Latableétait jonchéedebouteillesvides,dedizainesdeverresàcocktailetdecendriersdébordantsdemégots,et dugroupeémanaitunejovialitécordiale–àcroirequ’iln’yavaitriend’anormalàcequ’ilsfussent tousplusqu’àmoitiénus.Cen’estpaspourrienquel’onavaitappelécejeule«strippoker». Maraconsultasescartes.Unepairedereines.Pasmal.Sonpèreavaitapprisàsestroisfillesson jeufavori,etMaras’étaittoujoursconsidéréecommeunepro.Cen’estpaslafilledeGeorgeWaters quiallaitlaissergagnercesnullardsdefilsderiches. Toujours est-il qu’elle ne portait plus que son soutien-gorge rose et sa culotte taille basse assortie. Ellejetauncoupd’œilpar-dessuslatable.Ryanexaminaitsescartesenfronçantlessourcils. Ledonneurdistribuaunecarte,facevisible:c’étaitunas. –Etc’estladernière!fanfaronna-t-il. –Jepassemontour!décidaCorey,unamideRyan,enreposantsescartesd’unairdégoûté. –Moiaussi,ditunautre. –Jecontinue,déclaraRyan. Le regard de Mara alla de l’as à sa paire de reines. Puis elle passa en revue les quatre autres cartescommunes–plusfaibleslesunesquelesautres...Impossiblequ’ilparvienneàmebattre.Iln’a rien!Rienderien!Ilbluffeàcentpourcent!Ryanétaitlepirejoueurdelasoirée–leseulàfinirla partieencaleçon.Enfin,leseulàpartelle. Marasourit.Çapromettaitd’êtreamusant. –Moiaussi,dit-ellesuruntondedéfi. –LagrandeprêtresseduScrabbleferaitmieuxderenoncer,conseilla-t-il. –Pasquestion. –Alors,ilnevaplusteresterquetesyeuxpourpleurer,annonçaRyanavecungrandsourire,en abattantunepaired’as. Avecceluidudonneur,çaluienfaisaittrois.Maras’enfonçasursachaise. –Tuasquoi,toi? Elleluimontrasescartes. –C’estpasgrave.Tun’espasobligéedelefairesitun’enaspasenvie,ditRyan,compatissant. Elle haussa les épaules. Et puis, zut ! C’était comme se déshabiller dans la cabine d’essayage d’ungrandmagasin.Maisdehors.Enpublic.EtdevantRyanPerry. –Lerèglement,c’estlerèglement!ditMara. Touslesdaiquirisqu’elleavaitingurgitésluidonnaientducourage.Ellerespiraungrandcoup, dégrafasonsoutien-gorgeetretiramêmesaculotte.AussinuequeVénussortantdesflots,ellequitta latable,traversalacuisinecommeuneflèche,franchitleseuiletplongeadanslapiscine. Pas timide pour deux sous, Ryan suivit l’exemple. Il enleva son caleçon et lui emboîta le pas. Après tout, sa mère l’avait envoyé dans un camp de vacances hippie quand il était gosse. Tout cela n’étaitqu’unjeu. –Batailled’eau!hurla-t-ilenl’éclaboussant. Surprise en plein dos crawlé, Mara poussa un cri, avant de se mettre à riposter. Elle ne s’était jamais autant amusée de sa vie. Elle se sentait affranchie, libérée. Pour rien au monde la sage déléguéedeclassed’autrefoisneseseraitbaignéenuecommeunver,àl’aube,avecungarçonqui n’étaitmêmepassonpetitami. Ryannageaverselleetlasaisitparlataille. –JETETIENS! –Ryan!Lâche-moi!glapitMara,euphorique. Ils se maintinrent quelques instants en position horizontale, en riant aux éclats, lorsque Mara réalisa soudain qu’elle était... mon Dieu... complètement nue devant Ryan ! Et qu’il la tenait... qu’il l’enlaçait,àvraidire. Ellelevalatête,rencontrasesyeuxrieurs. Ilvam’embrasser,songeaMara.C’estcequivasepasser.Ici.Maintenant. Ellefermalesyeux,puissedégageabrusquement. – Ryan, je ne peux pas... ce n’est pas bien... non que je n’en aie pas envie... bien au contraire... maisilfautquejemetteleschosesauclairavecJ...JIM!!! Devanteux,auborddelapiscine,setenaitJimMizekowski,imposantavecsescentkilos.Son visagelaissaitparaîtreundégoûtabsolu. Quandonsedisputetoutnu, difficiled’êtretroppéremptoire Marasehissahorsdel’eauets’élançaàsapoursuite.Cedevaitêtrehorriblepourlui...ilyavait tantdechosesàexpliquer...siseulementilvoulaitbiens’arrêter. –Jim,jet’enprie,écoute-moi!supplia-t-elle. –Alorsc’estpourÇAquetunepouvaispasrentrercettesemaine?Fallaitquetu«travailles»! Àprésent,jecomprendsmieux,lança-t-il,sifurieuxqu’unegrosseveinepalpitaitsursonfront.Nom deDieu,j’arrivemêmepasàteregarder! –Cen’estpascequetuimagines.Ryanestjusteunami.Onétaitentraindejoueràunjeu,rien deplus,expliquaMara,conscientequec’étaitunpeuléger,commeexplication. – Du calme, mon pote, dit Ryan, encore amusé, en adressant à Jim son habituel sourire désarmant.Ons’amusait,c’esttout.Çatedirait,defaireunepartiedestrippokeravecnous? –Ilnes’estrienpassé,Jim!Jetelejure!ditMara,enflamméeparsapropresincérité. Carc’étaitvrai,aprèstout:ilnes’étaitrienpassé.Dumoins,pasencore. –Tusaispourquoijesuisvenu?demandaJim.Mamèreavutaphotodanslejournal.Ellelitle Post,vois-tu.Etilyavaitunephotodetoi,aumatchdepolo,avecungars...aveccegars-là!dit-ilen désignantRyan.J’aipascruunmotdecequ’ellem’araconté.Çateressemblesipeu...çaressemblesi peuàmaMara.Etpuisj’aivulaphoto...Tuétaishabilléecommesitufaisaisletapin. –Jefaispasletapin!s’exclamaMara. N’empêchequ’elleétaitnuecommeunver.Etenpublic.Humhum! –Non,pirequeça!T’esqu’unesalope,uneroulure!Tuvauxpasmieuxquen’importequelle puteàdeuxballes! Maraétaitinterloquée.Jamaisonnel’avaitinsultéedelasorte.Etilfallaitqueçaviennedeson proprepetitami!Elleignoraitcommentréagir. –Hé,mec,çasuffitcommeça,ditRyanens’interposantentreMaraetJim. Sa voix était calme, mais il avait cessé de rire. Au début il avait trouvé ça drôle. Mara et lui étaient nus, mais tout pouvait être facilement expliqué – après tout, il y avait encore un groupe de jeunesgensenpartiedéshabillésdanslepatio.Maiscegarsdépassaitlesbornes. –Jeveuxbienquetusoisencolère,maistunepeuxpasluiparlercommeça,ditRyan. Mara n’en croyait pas ses yeux. C’était trop. Elle avait tellement bu, tout cela lui paraissait surréaliste.Uncauchemarabsolu. Pendantcetemps,danslepatio,lesenceintesdiffusaienttoujourslamusiqueàpleinvolumeetla partiecontinuait.Sesparticipantsn’avaientpaslamoindreidéedumélodramequisedéroulaitdansle jardin. – Je lui parle comme j’ai envie de lui parler, rétorqua Jim en bombant le torse – ce freluquet fraisémouludesonlycéeprivén’avaitdécidémentriendeplusquelui!Etpuis,ajouta-t-il,Mara...la remisesurlaCamryquedevaittefairemononcle,tupeuxl’oublier! Surcesparoleshostiles,Jimdisparutdanslesbois.C’étaittellementabsurdequeRyanéclatade rire. –UneCamry?demanda-t-il. – C’est pas drôle, répliqua Mara, dégoûtée. Je comptais sur cette auto. C’était la seule que je pouvaismepayerunefoisrégléslesfraisd’inscriptionenfac. –Oh,zut,jesuisdésolé,s’excusaRyan,soudaindégrisé. Marafronçalessourcils.Maisquelquesinstantsplustard,ellesemitelleaussiàrire.Ilsétaient plantéslà,nus,danslejardindesPerry. –Tuasraison,c’estplutôtmarrant. Ilsregagnèrentlamaison,ramassantleursvêtementsaupassage. Quelques heures plus tard, Jacqui sortit du cottage des filles au pair et les trouva tous deux emmitouflés dans les sweat-shirts flottants de Ryan. Ils partageaient une cigarette en regardant le soleilselever. –J’arrivepasàdormir,ditJacqui. –Contentquetuaiespuveniràlafête,plaisantaRyan. –Jacqui...Tuvasbien?demandaMara. Non,elleétaitloind’allerbien.C’étaitrisible,vraiment.Legarsqu’elleavaitaiméétaitunloser volagepsychologiquementperturbé.Celuiparquiellel’avaitremplacéétaitencoreplusminableque lepremier.Jacquisesentaitvidée,humiliée,etcomplètementvannée. –Çavaaller,dit-elle,serrantsesbrassursapoitrine,tandisqu’unfrissonparcouraitsoncorps. Mara n’insista pas. Elle savait que Jacqui lui en dirait davantage quand elle en éprouverait le besoin. – Tu veux une cigarette ? demanda-t-elle, proposant à Jacqui le seul réconfort qu’elle était susceptibled’accepteràcemoment-là. –Jecroyaisquetunefumaispas,ditJacquiens’asseyantsurl’herbeàcôtéd’eux. Marahaussalesépaules. –Ilyatellementdechosesquejenen’auraisjamaisimaginéfaire,réponditMara. Lesvacancesnesontjamais assezlongues, pasvrai? Tôtlelendemainmatin,lesenfantsPerrymontèrentbruyammentlesescaliersetseruèrentdans lachambredesfillesaupair,réduisantànéanttousleursespoirsdegrassematinée.Desvestigesdela nuit précédente traînaient un peu partout dans la pièce : Jeremy avait laissé son blouson sous le lit d’Eliza, le sweat-shirt de Ryan était posé sur le fauteuil, et plusieurs coupes à moitié vides moisissaientdanslasalledebains. –Onestderetour!Onestderetour!hurlaitMadisonenfaisantdesbondssurlelitd’Eliza.On vousamanqué? –Vousvoulezallernager?demandaZoë. –Onestdéjàdimanche?gémitEliza. Maraneparvenaitmêmepasàsouleverlatêtedesonoreiller. –William,cessedemetirerlescheveux,jet’enprie! –OhmonDieu,j’aiunedecesgueulesdebois!selamentaEliza. –T’espaslaseule,répliquaMaraensetenantleventre. Elleparcourutdesyeuxlapièce. –OùestJacqui? ElizajetaàMaraunregardperplexe.Jacqui?Maraauraitpourtant dû le savoir. Jacqui n’était jamaislà.C’étaitunecamaradedechambrefantôme. –Elleétaitlàhiersoir,expliquaMara.J’arrivepasàcroirequ’ellesesoitesquivée.C’estson tourd’accompagnerlesgaminsquelquepart.Pouah! –Ehbien,jenel’aipasvue,répliquaElizaens’efforçantdesecachersouslescouvertures. –Honnêtement,jesuistoutàfaitincapabled’alleràlaplageaujourd’hui,criaMarapar-dessus lescrisdeWilliametdeMadisonquisechamaillaientpours’asseoirdanslefauteuil. –J’aiuneidée!ditEliza. Elles se rendirent dans l’un des rares cinémas de la ville. Contrairement aux multiplexes tentaculairesouauxtourshigh-techdeManhattan,oùlebilletcoûtaitplusdedixdollars,lecinéma d’EastHamptonétaitunpetitbâtimentàtoitenbardeauxquiprojetaitd’obscursfilmsétrangers,des filmsd’artetd’essaiet–àleurgrandesatisfaction–undessinanimédeWaltDisneycetaprès-midilà. –JeveuxvoirAliencontrePredator,décrétaWilliam. –Pasdebol,çan’estpasàl’affiche!rétorquaElizaentredeuxbâillements. Ellesfirententrerlesgaminsdanslasalle.Laclimatisationetl’obscuritésoulagèrentEliza.Elle avait l’intention de rattraper un peu du sommeil perdu en dormant pendant la séance. Ainsi parviendrait-elle peut-être à chasser de son esprit les événements de la veille au soir. Après avoir quitté la pièce, couverte de honte, elle s’était lancée à la recherche de Jeremy, mais n’avait trouvé qu’unepoignéedejeunesgensàmoitiénus,gisantinconscientssurlavéranda. Ilfallaitqu’ilcomprenne:elleavaitétémiseaupieddumurdevantdesgensqu’elleconnaissait depuistoujours–çan’avaitrienàvoiraveclui,enréalité.Ah,cequec’étaitcompliqué!songeaitelleenserongeantnerveusementlesongles. MaraentradanslasalleavecMadison,chargéed’unebouteilledeCocaetd’unénormecornet depop-corn.Elizas’enfourraunepoignéedanslabouche,etlarecrachaaussitôt. –Quoi?Sansbeurre? – L’huile pour moteur qu’ils font passer pour du beurre contient plus de calories qu’un rumsteak,luirappelaMara,agitantlementonendirectiondeMadison. Elizalesavait.Maistoutlemondesavaitégalementquelepop-cornn’étaitpasvraimentdela nourriture.Etquesansbeurre,çaavaitungoûtdesable. –Jevaisrajouterdubeurreetdusel,ditElizaens’emparantducornet. –Hé,vat’enchercherunautre!s’exclamaMara,désignantMadisonencoremoinsdiscrètement quelapremièrefois. – Pourquoi ne pas lui demander ce qu’elle veut ? suggéra Eliza. Tu veux que je rajoute du beurre? Madison regarda les deux filles au pair. Elle avait vraiment envie de beurre, mais Mara l’encourageaitsibienduregardqu’ellen’arrivaitpasàsedécider.C’étaitMaraquiavaitcoifféses poupéesBarbiel’autrejour,enréussissantàdémêlercomplètementleurscheveux.Ellenevoulaitpas ladécevoir. –Non,répondit-elle,presquesurletond’unequestion. –C’estbien,Madison,approuvaMara.Pourquoinepast’achetertonproprecornet?demanda-telle,conciliante,àEliza. –Laissetomber!répliquaEliza,sourcilsfroncés. Ellen’avaitplusunpennyenpoche,ayantdéjàdépensésondernierversement.Ilneluirestait qu’àattendreleprochain. Leslumièress’éteignirentetlespremiersaccordsdugénériqued’ouverturerésonnèrentdansla salle. Pendantquelesenfantsétaientoccupésàregarderlefilm,ElizaracontaàMaracequiluiétait arrivélaveilleausoir. –Jetejure,jenevoulaispasqueçasepassecommeça!J’étaissouslechoc,tucomprends?dit Eliza,quiavaitunfurieuxbesoind’êtreconsolée.Jeremycomptepluspourmoiquetousmesamis réunis. Marahochalatête.L’épisodequevenaitderelatersacamaradedechambren’étaitpasvraiment glorieux,maisMaravoyaitbienqu’Elizaétaitdéchirée. –Jesuissûrequ’ilcomprendra.Onatousdroitàl’erreur. Dansunmurmure,elleracontaàsontourlascèneavecJimetRyan,strippokerinclus. – Nom de Dieu, quel minable ! Je comprends pas que tu sois restée si longtemps avec un ploucardpareil,ditEliza. Marafutestomaquée.C’étaitunpeufortdecafé.Biensûr,unpeudecompassionnefaisaitpas demal.Maistraitersonpetitcopainde«ploucard»,c’étaitdépasserlesbornes!Certes,Jimn’était pas l’héritier d’une famille fortunée, il ne roulait pas en voiture de sport, mais il n’était pas si épouvantable que ça. Un peu borné, sans doute, et trop protecteur. Et très colérique, quand on le provoquait.Delààsefairetraiterde«ploucard»!Associantcetteremarqueàsescruellesréflexions de l’autre soir sur Jeremy « qui n’avait pas sa place dans ce monde-là », Mara commençait à la trouvertrèsinsultante. –Tuesincroyable,ditMaraenfoudroyantElizaduregard. –Hein? –Tusais,j’avaisvraimentdelapeinepourtoi,àproposdecequis’estpasséavecJeremy...eh bien,àprésent,jemedisquetuaspeut-êtreeucequetuméritais. –Uneseconde... –Jevaistedonnerunconseil,Eliza:dorénavant,tudevraisréfléchiravantd’ouvrirlabouche, sifflaMaraenramassantsessacs. –Pourquoi?Qu’est-cequiteprend?demandaEliza,stupéfaite. Ellenonplusn’avaitpaspassélameilleuredessoirées.Auxyeuxdetoussesamis,ellefaisait désormaispartiedelacatégoriedesploucs. –Parcequetusaiscequimanquevraimentdeclasse?demandaMara,lavoixhostileetlesjoues enfeu.Cesontlessnobinardesdanstongenre! Surcesparoles,Marapartit,laissantElizas’occuperseuledesquatregaminssurvoltés. MararentrachezlesPerryàl’instantprécisoùJacquifranchissaitleseuildelamaison. –Tuétaisoù,toutelamatinée?demandaMara. –J’inscrivaislesenfantsàlarégatedeShelterIsland.Jemesuisditqueçapourraitleurplaire, etcommeceseraledernierjour...,expliquaJacqui. Çaalors.Pourunefois,ellesecomportaitdemanièreattentionnéeetresponsablevis-à-visdes gamins.Or,aulieudeseréjouirdecettenouvelle,Marasesentitencorepluscoupabledelesavoir laissésàEliza. –Ehbien,tuauraispunousprévenir,rétorqua-t-elle. – Qu’est-ce qui te prend ? répliqua Jacqui, un peu blessée que Mara ne la félicite pas de son initiative. –Rien.Rien...Tuveuxbienmelaisserseule? –Avecplaisir,réponditJacqui. Lasituation estdeplusenplustendue Pourlapremièrefoisdepuisledébutdel’été,AnnaetKevinétaienttouslesdeuxprésentspour le rapport hebdomadaire, dans la salle de projection. Anna était de bonne humeur. Elle était bien partie pour être nommée coprésidente du Super Samedi – la collecte de fonds au profit de la recherche contre le cancer des ovaires. Elle avait trouvé un grand couturier disposant d’un surplus impressionnant et désireux de l’écouler dans un des stands vedettes, et l’annonce de sa nomination n’étaitplusqu’unequestiondetemps. Mara et Eliza déboulèrent dans la pièce avec un peu de retard (Cody s’était soulagé sur elles pendantqu’ellesluichangeaientsacouche).Quellenefutpasleursurprise–etleurmécontentement– quand elles trouvèrent Jacqui tranquillement assise là, à discuter avec leurs employeurs, comme si c’étaitlachoselaplusnaturelledumonde... Elless’assirent,étonnéesdutourqueprenaitlasituation. –Commejedisaisàl’instant,expliquaAnna,jedésireraissavoiroùenestZoë,aveclalecture. Elleacommencélanouvellebandedessinéed’ArtSpiegelman? –Heu...jenesaispastrop,Anna,ditElizad’untonjoyeux.Àvraidire,c’estàJacquiqu’ilfautle demander,vuqu’elleapassél’étéàluiliredeslivres. – Oui, il y a un livre qui la passionne, d’ailleurs. Je crois qu’il s’appelle Mais où diable est passéeCarmenSandiego?glissaMara. Jacquiluidonnauncoupdepiedsouslatable. Annaparaissaitenchantée. –EtCody? –Oh,nousl’avonspresqueguéridesonhabitudedecourirpartoutnucommeunver.Nousne manquons pas de faire valoir que les vêtements sont indispensables au développement de la sociabilité,soulignaEliza,enfusillantMaraduregard. Kevinbâilla.Ilétaitencoreentraindes’imaginerJacquinuedanslecockpitdesonyacht. –QuantàMadison,elleapprendàquelpointilestimportantdetoujoursdirelavérité.Surtoutà sesamis,précisaMaraàl’adressed’Eliza. –EtWilliam?Ilprendsesmédicaments? –Ohoui,absolument!dirent-ellesenchœur. Ledocteurluiayantprescritdel’Adderall,enplusduRitalinetduMetadatequ’ilprenaitdéjà, William était effectivement sous traitement. Non que cela eût modifié en quoi que ce soit le comportementdugamin–quirestaitlemêmepetitmonstrehyperactif. – Merveilleux ! s’extasia Anna. Oh, Kevin, ces filles sont parfaites, tu ne trouves pas ? Rien à voiraveccellesquetuavaisengagéesavant.Jesuistellementcontente! Les filles dressèrent l’oreille. Elles n’avaient toujours pas découvert ce qui était arrivé à la « première équipe », ainsi qu’elles avaient surnommé leurs devancières, et craignaient vaguement d’êtreellesaussirenvoyées.Dieusaitcequecesfillesavaientpufairedetravers.Aprèstout,Mara, ElizaetJacquiétaientloindesecomporterdemanièreexemplaire.Saufqu’AnnaetKevinétaientsi distraitsetindifférentsquecelan’avaitpasvraimentd’importance. Kevinleurtenditlesépaissesenveloppesgonfléesdebillets. –Mercimesdemoiselles.Etcontinuezsurvotrelancée! IlentraînaAnnahorsdelapièce. –Oh,chéri,j’aioubliédeteprévenir...,ditAnna,commeilss’éloignaient.Lepaysagiste...enfin le jardinier... il a démissionné aujourd’hui. Il va falloir que tu trouves quelqu’un d’autre, pour s’occuperdesazalées.C’estvraimentdommage! Maras’efforçadesurprendreleregardd’Eliza.Maiscelle-cidétournalatête. Tout en empochant leur argent, les filles pariaient mentalement sur celle qui, parmi elles, ne tiendraitpaslecoupjusqu’audernierjour. Mara:cinqcontreunqueceseraitEliza.Cettefilleétaituneje-m’en-foutiste.Etvuquetousses amisl’avaientlaissétomber,ellen’avaitplusaucuneraisonderester. Eliza : trois contre un sur Mara. Elle voyait bien la petite provinciale avoir le mal du pays et quitterlagrandevie. Jacqui:deuxcontreunsurelle-même.Ellecraignaitdenepouvoirenendurerdavantage.Elle étaitloindepasser«l’étéderêve»promisparl’annonce.Tuparlesd’unepublicitémensongère! Elizaaunpanierpercé enguisedesacàmain Le lendemain, Eliza se retrouva devant le comptoir de Cartier. Même après tout ce qui s’était passé, elle eut le sentiment de redevenir elle-même en franchissant ses portes dorées. C’était ça, la vraievie!Ellehésitadevantlesclassiquesdelamaison:lesbaguesTrinity,auxanneauxentremêlés, les solitaires étincelants marqués du « C » emblématique, les bagues carrées, massives et minimalistes, de la récente collection « nouvelle vague » – que les maîtresses de maison des Hamptonscollectionnaientcommedeschemisesachetéesausupermarchéducoin. –Celle-ci,dit-elleendésignantunemontreenordix-huitcarats,sertiedediamants. Lavendeuseattachalamontreàsonpoignetdélicat. –C’estunepetitemerveille. Levantlebraspourl’examineràlalumière,Elizaadmirasonéclatscintillant. –Jelaprends,dit-elle.Inutiledel’emballer.Jelagardesurmoi. Leprixdelamontredépassaitnettementlecontenudel’enveloppe,Elizademandadoncàlafille demettrelerestesursaVisadéjàtropsollicitée. Ellelaméritait,cettemontre!Aprèstoutcequ’elleavaitdûencaisser.Peut-être,àconditionde la regarder suffisamment longtemps, pourrait-elle oublier l’expression dégoûtée de Jeremy, le rire méprisantdesesamisetlefaitqu’illuifaudraitretourneràBuffaloàlafindel’été. Ensortantdelaboutique,ellevitMara,surletrottoird’enface,quisedirigeaitverslabanque. Elle se baissa avant que celle-ci ait pu l’apercevoir. Pour le moment, elle n’avait aucune envie de montrersamontreàMara,nideluifaireface. Unjour,Maraauraassezd’argentdecôtépour s’acheterlanationentière Mara s’éloigna du guichet. Elle avait environ six mille trois cents dollars en banque ! Elle en aurait eu six mille six cent soixante-six si elle n’avait pas dépensé une somme extravagante pour s’acheterunerobeetdesmules,lorsdecettefatidiqueséancedeshopping.Peut-êtrepourrait-elletout de même acheter la Camry, si Jim trouvait la force de lui pardonner ? Après tout, Ryan et elle n’avaientrienfait,songea-t-ellenonsansregret. Elleglissalerécépissédanssonportefeuilleetquittalabanque.Surletrottoird’enface,ellevit Eliza, qui sortait de chez Cartier avec un petit sac rouge. Celle-ci fit semblant de ne pas la voir. Exactement comme le premier jour, quand elles s’étaient retrouvées assises chacune à un bout du banc. MarasedirigeaversleStudioPilates,oùelledevaitallerchercherlespetitesfilles. Jacquipourraitbiengagner sonproprepari Devantlaréceptiondel’agencedevoyages,Jacquisemordaitleslèvres.Elleavaitjusteassez d’argentpourretourneràSãoPaulo.C’étaitunesacréetentation.Pourquoitraînait-elleencoredans cetteville?Dansseizeheuresàpeine,ellepourraitêtreànouveausuruneplagedignedecenom. Par-dessuslecomptoir,ellejetauncoupd’œilauxhorairesd’avions’affichantsurl’écrande l’ordinateur.IlyenavaitunquidécollaitdeJFKcesoirmême. Maislafuitenerésoudraitrien.N’était-cepasjeterl’argentparlesfenêtres?Ilneluirestaitque quelquessemainesàendurer.Sagrand-mères’étonneraitdelavoirrentrersitôt.Jacquiseraitobligée des’expliquer,etellenepensaitpasquesonavoseréjouiraitd’apprendreque,sielleavaitpassél’été auxÉtats-Unis,c’étaitpourêtreavecungarçon.Sisagrand-mèreavaitacceptédelalaisserpartir, c’était seulement parce que Jacqui avait prétendu avoir été sélectionnée pour participer à un «programmeéducatifexpérimental».Tuparlesd’uneprophétie! Auboutd’unmoisdanslesHamptons,Jacquiavaitapprisquelesstringsn’étaientpasautorisés sur la plage, que ses seins passaient pour faux et que le meilleur moyen de s’incruster dans une soirée,c’étaitdeprétendreapparteniràcemonde-là. –Dois-jeréserverlaplace?demandal’employée,enserasseyantderrièresonbureau. –Àvraidire,j’aichangéd’avis,répliquaJacqui. Parailleurs,elleavaitpromisàZoëdeluiapprendreàlirecelivrepleindejolisdessinsqu’elle avaitapportéavecelle. Elle quitta donc l’agence de voyages, son enveloppe pleine d’argent liquide sagement rangée danssonsacàmain. LeSuperSamedi n’adesuperquelenom Lederniersamedid’août,laseuleattractiondelavilleconsistaitenuneextravagantebraderieau profit de la recherche contre le cancer des ovaires. Parmi les sommités qui avaient animé l’événement,ontrouvaitfeulaprincesseDiana(quiraffolaitdessoldesd’OscardelaRenta),Donna Karan(quienavaitfaitunevraiefoireavecmanègesdeponeysettoutletralala),etfeuLizTilberis, ex-directrice d’Harper ’s Bazaar et fondatrice du Super Samedi. C’était une débauche de pavillons blancsoùdescouturierstelsqueCalvinKlein,JillStuart,KateSpade,MichaelKorsettantd’autres vendaientdesmodèlesdedéfiléoudesinvenduspourunefractionduprixd’origine. Anna, qui avait été, au dernier moment, écartée de l’organisation au profit d’une personnalité mondaine plus fortunée, s’était tout de même courageusement proposée pour parrainer le stand d’EdgardoDeMenil–jeuneloupquiavaitfaitsesdébutsl’automneprécédent,avecunecollectionde ponchosencuirclouté.Malheureusement,lemonden’étaitpasencoreprêtpourlesponchosencuir clouté, et le couturier s’efforçait de se débarrasser de son stock au Super Samedi. Anna tentait de convertir ses amies à ces articles prétendument haute couture mais toutes préféraient naturellement s’abstenir. –Mara,vousvoulezbienemmenerlesenfantsàlaménagerie?Ilsfontfuirlesclients!lança Annad’unevoixfrénétique. – Tu peux t’en charger, Eliza ? Tu as oublié de prendre la poussette de Cody et je vais être obligée de le porter tout l’après-midi, dit Mara sur un ton de reproche même si, à dire vrai, elle trouvaitassezréconfortantdesentirlebébésursahanche. Eliza,obnubiléeparlesvêtementsdemarquevenduspourtroisfoisrien,tardaàréagir.Unjean Yanukàcinquantedollars!UnerobeenjerseydesoieCalvinKleinàcentvingtdollars!Siseulement elle ne s’était pas acheté cette montre Cartier ! Pauvre et contrariée, elle allait devoir subir six longues heures de supplice : il n’y a rien de pire au monde que de faire les soldes sans un sou en poche. – Et alors ? Hier, c’est moi qui l’ai porté. Il a vomi partout sur mon beau débardeur, dit-elle, agacée.EtJacqui,elleestoù? Nullepart,commetoujours. Quandellereparut,sirotantuncocktailfrappé,Maras’énerva: –Tun’esjamaislàquandonabesoindetoi!siffla-t-elle,furieuse. Anna et Kevin se mêlaient à leurs amis, faisaient des bises et présentaient parfois celui des gaminsquisetrouvaitdansleurchampdevision.Sugarétaitassise,aussirenfrognée,lasseetsexy qu’àsonhabitude. –Chut!Onvat’entendre!ditElizaensehâtantd’essuyerlementonbarbouillédechocolatde Zoë. Williamtrouvatrèsdrôledes’accrocheràsescheveuxetdelatirerenarrièreaumomentprécis oùLindsayetTaylorapprochaient,tenantplusieurssacsbourrésàcraquer. –William!Lâche-moi,s’ilteplaît!suppliaElizaens’efforçantdesedépêtrerdupetitmonstre. Levant les yeux, elle aperçut Lindsay et Taylor près du stand Marc Jacobs, où elles essayaient desrobesàfinesrayures. –Commenttutrouves?demandaTaylorenlissantledevantdelajupedrapée. Ellecroisaleregardd’Elizaetsedétourna,embarrassée. –Oh,c’estEliza.Salut,ditLindsayenluiadressantunvaguegestedelamain. Toutesdeuxdétalèrentsitôtaprèsavoirpayé. Elizan’arrivaitpasàdécidercequiétaitlepire–quesesamisl’ignorentouqu’ilslaplaignent ostensiblement. –Pardon,mademoiselle...Vouspourriezallermechercherunverre?demandaCharlie,avecun souriretorve. –Tuvoispasqu’elleestentraindebosser,s’esclaffaSugarenselevantdesonsiège.HéBill, tireplusfort!ajouta-t-elleàl’adressedesonfrèrecadet. –Jetelâcheraipas!claironnaitWilliam. –Vatefairefoutre!ditEliza,fixantCharliedroitdanslesyeux. –Pardon?demandaCharlie. –Eliza!protestaAnnad’unevoixpincée.Tusaisquenousnousefforçonsdenepasutiliserce genredevocabulairedevantlesenfants.Çaaffecteleurdéveloppementinteractif. –Désolée,désolée,je... –Vienslà,dit-elle,forçantWilliamàlâcherEliza.Àprésent,vajoueraveclesenfantsKennedyCole.Ilssontlà-bas,tulesvois?Allez,file!ordonna-t-elleàsonbeau-fils. –Merci,marmonnaEliza,unpeuhumiliéeàl’idéeque,detouteslespersonnesprésentes,cesoit Annaquil’aittiréed’affaire. À proximité du restaurant en plein air, Mara trouva un endroit tranquille d’où essayer de rappelerJim.Iln’avaitpasdécrochédepuissamedisoir.Orellenesouhaitaitpasqueleurhistoirese termineainsi.Ellevoulaitqu’ilsachelavérité.Çalarendaitfurieuse,depenseraugenredebobards qu’ildevaitrépandresursoncompte,àSturbridge.Etsi,àsonretour,toutlemondelaprenaitpour une«puteàdeuxballes»?Aprèstout,elleétaitdéléguéedeclasseetavaituneréputationàdéfendre! Ellecomposaunenouvellefoislenuméro.Tombadirectementsurlamessagerie. – Jim, c’est moi, Mara. Je sais que tu ne veux pas m’écouter, mais il le faut. Donne-moi la possibilitédet’expliquer.Jesuisvraiment,vraimentdésoléedecequis’estpassé... –Salut. –Jim?Tueslà? –Ouais. –Écoute... – Non, l’interrompit-il. C’est moi qui suis désolé de m’être emporté samedi soir. C’était pas bien,etjem’enexcuse. Maratombaitdesnues. – Je ne sais pas ce qui s’est passé entre ce gars et toi, et je n’ai pas spécialement envie de le savoir. –Ilnes’estrien... MaisJimpoursuivit: – À vrai dire, je sentais que tu voulais ce job pour t’éloigner d’ici. Et je t’en voulais de me laisserseul.Maisilsetrouveque...,commença-t-il,d’unevoixpiteuse. –Quequoi? –Jecroisquej’airencontréquelqu’und’autre,reconnut-il. Mararespiraungrandcoup.Çaalors,ellenes’yattendaitpas!L’aveudeJimluiinspiraitdes sentimentscontradictoires.D’uncôté,ellen’avaitplusrienàsereprocher.Del’autre,flûte!Elleavait passél’étéàcraindredeleblesseralorsquelui,vraisemblablement,nepensaitpasdutoutàelle. –Quiça? –StephanieFortuna. Lachefdespom-pomgirls.Elleeutlevaguesouvenird’unepetitechipiefriséequifaisaitdes bondschaquefoisqueJimtouchaitleballon. –Ehbien...heureusepourtoi!dit-elle,presquesincère. –Ouais,merci.Onaquandmêmepassédebonsmoments,toietmoi,pasvrai?demandaJim. –Oui,réponditMarad’unevoixdouce. Jimetellesortaientensembledepuisquasimentdeuxans.C’étaitlafind’uneépoque.Lafinla moinsspectaculairequ’onpuisseimaginer.UnpeucommeledernierépisodedeMatrixcomparéau premier. –Bonnechanceavectonboulotettoutlereste.Etoubliecequej’aidit...ausujetdelaCamry.Tu peuxl’avoir,situlaveuxencore,ajoutaJim. –Merci,réponditsimplementMara.Prendssoindetoi. –Toiaussi. –Aurevoir. –Aurevoir. Mara raccrocha sans avoir dit « Je t’aime », comme ils le faisaient à chacune de leurs conversations téléphoniques depuis deux ans. Elle se sentait bizarre, entre autres parce qu’elle était désormaissûredeneplusl’aimer.Ellen’avaitplusdepointd’ancrage,elleétaitlibre.Elleavaitcessé d’êtrelapetiteamiedeJim.ElleétaitredevenueMara,toutsimplement.Maisellenesavaitpasencore cequecettenouvelleMaracomptaitfaireàprésent. – Hé, Mara, je peux t’emprunter vingt dollars ? demanda Eliza en s’approchant d’elle, un joli pullnoiràlamain.S’ilteplaît. Mara écarquilla les yeux. Parlait-elle sérieusement ? Elles ne s’étaient même pas encore officiellementréconciliées! –Tum’enveuxencore?demandaElizaensemordantlalèvre. Ellen’avaitpasl’habitudequ’onluienveuillelongtemps.Cen’étaitpasnouveaupourelle,dese montrervexanteoumaladroite.Cequil’était,enrevanche,c’étaitderépondredesesactes. –Écoute...jetedemandepardon,pourcequej’aiditl’autrejour.C’estjustequetoutestsi...jene voulaispasteblesser. Elizan’étaitpasencoreunepro,enmatièred’excuses. Maracroisalesbras. –N’empêchequetul’asdit. –Jesais.Jesuisnulle,selamentaEliza. –Ouais,ditMaraenremarquantquelesyeuxd’Elizas’embuaientdelarmes. Çaaussi,c’étaitunepremière. –Moiaussi,jesuisdésolée,ditalorsMara. –Désoléedequoi? –Derien.J’aipasenviequetupleures,c’esttout. Elizagloussaetpassaundoigtsoussesyeuxpouressuyerlestracesderimmel. –Jepeuxtelesemprunter,alors?Jetelesrendrai,promis. –Oh,d’accord.Maisavecdesintérêts!plaisantaMara. Eliza la serra dans ses bras. Elle acheta le pull et toutes deux regagnèrent le stand d’Anna, où Jacquidistribuaitdesbeignetsauxenfants. –Tiens,Chloé,dit-elleenentendantunàZoë. –Chloé?demandaAnna,levantlesyeuxdureçuqu’elleétaitentrainderédigerpourl’achat d’unponchoparticulièrementlaid. ElizadonnauncoupdecoudeàJacqui. –Zoë! –Zoë...Zoë,chantonnaJacquienrougissantdesagaffe. –Zoësouhaitequenousl’appelionspartoutessortesdeprénoms,cestemps-ci,expliquaMara. Cettesemaine,c’estChloé.Lasemainedernière,c’étaitJulie.Pasvrai,Zo? Zoë hocha la tête, en mangeant son beignet avec avidité. Bien qu’elle n’eût que six ans, on pouvaitl’acheter! QuandAnnaeutledostourné,Jacquiserépanditenexcuses. –Jesuisdésolée!Jenesaispasoùj’avaislatête!dit-elle,honteuse.Jenevoudraissurtoutpas nouscauserdesennuis. –C’estbon.Ç’auraitpuarriveràn’importelaquelled’entrenous,ditEliza. –Oui,net’inquiètepaspourça. Elles passèrent le restant de l’après-midi à traquer une top-model qui les fascinait toutes les trois. Plus tard, en entassant les gamins dans la voiture, Mara et Eliza songeaient que la journée n’avaitpasétésimauvaisequeça,aprèstout,lorsqueJacquidéboula. Sesyeuxbrillaientetelleétaitvisiblementtrèsexcitée. –Jevousretrouveplustard,lesfilles!Jeviensdecroiserunamiquim’ainvitéeàunesuper soiréechezSting!s’exclama-t-elle.Ciao! Maralevalesyeuxauciel. –C’estquoi,sonproblème,àcettefille?fit-elleàEliza. ElleenavaitassezdeJacqui.Bienqu’ellefûtpayéeautantqu’elles,elleétaitloindefaireletiers dutravail.WilliamtiralescheveuxdeMaraetpartitencourant.Dieusaitqu’uneautrepairedebras auraitétéutilepourmaîtrisercepetitgarçon. Elizaétaitégalementtrèsennuyée–maispasparcequeJacquilesavaitlaissétomber.Comment ça ? Une soirée dont elle n’avait pas entendu parler ? La réalité de sa mise au ban commençait à l’atteindredepleinfouet. Jacquin’estpasunenana quiselâche! Rupert Thorne gratifia sa proie d’un sourire prédateur. Il n’avait pas pu oublier la fille qu’il avaitpriseenvoitureàl’aéroport,cejour-là.Quelleplaisantesurpriseç’avaitété,delarevoiràla braderiecaritativeàlaquellesafemmeletraînaitchaqueannée! IlavaitmentionnéqueStingétaitenville–pourunconcertprivé.Luiferait-elleleplaisirdel’y accompagner? IlsdébutèrentlasoiréeparundînerauPalm,oùRupertcommandaunchâteau-latouràseptcents dollarslabouteille.«J’aiquelquechoseàfêter»,expliqua-t-ilàJacqui.Ill’avaitensuiteemmenéeau bardutrèssélectMaidstoneClub,célèbrepourlesimpitoyablesconditionsd’admissionàsonterrain de golf de deux cents hectares. Bill Clinton lui-même n’avait pas été jugé digne d’y disputer une partielorsdesavisite,en1999.Rupertenfreignittouteslesloisduclubrelativesauxfemmes,aux étrangersetauxcatholiques,àseulefind’impressionnerJacqui. Lalimousineroulaitversuneimmensepropriétédominantl’océan.C’étaitlesomptueuxmanoir – plusieurs milliers de mètres carrés – d’un ancien roi de la finance reconverti en DJ techno (ce n’étaitpasSting...Jacquiavaitdûmalcomprendre)quiaimaitdonnerdessoiréesdanslestyledeLas Vegas,avecstrip-teaseusesettoutletoutim...Lademeureétaitfréquemmentlouéepourdestournages defilmsoudeclipsetpourdesfiestasdemilledeuxcentspersonnes,commecesoir. À l’entrée, une femme leur donna des décharges à signer, en leur expliquant que la télévision filmaitl’événement.Jacquiinscrivitsonnomenbasdudocument,sanssedonnerlapeinedelire.Ce n’étaitpaslapremièrefoisqu’illuifallaitsignerunedéchargeàunesoirée–ilyavaittoujourstelle outellechaîneducâblepourfilmertoutcequisepassaitdanslesHamptons.Rupertsignaàsontour etluipritlamainpourl’introduiredanslasalle. Il y avait une ambiance de folie. C’était une fête gigantesque. Des centaines d’invités en sueur dansaient dans la lumière pulsante des lasers. La sculpture sur glace d’une bouteille de vodka, s’élevantjusqu’aupremierétage,fondaitaucentred’unefontaine.Lapiscineavaitététransforméeen unegrottespectaculaire.Deshôtessesvêtuesdebustiersetdemini-shortsdistribuaientgratuitement despaquetsdecigarettes. –Waouh!s’exclamaJacqui.EtSting,ilestoù? –Sting?s’esclaffaRupert.Jet’aiditDJ...oh,etpuisquelleimportance?Amusons-nous,tuveux bien? Deséquipesdetournagecirculaientde-ci,de-là.Tousportaientdeschapeaux«LESNANASSE LÂCHENT ! » et des tee-shirts à logo, et encourageaient les invitées à montrer leur poitrine à la caméra. Hep ! Une seconde ! Jacqui avait vu la pub de ces vidéos, dans le show de ce cochon de présentateurdontelleavaitoubliélenom. –Etvous?luidemandaunbarbuauventreproéminent. –Non...nonmerci. Ellesourit,malàl’aise.OnétaitloindurassemblementdestarsauquelRupertavaitprétendula convier. Où étaient les célébrités ? Ashton Kutcher et Cameron Diaz ? Sarah Jessica Parker et Kim Catrall?Ou,aumoins,TaraReidetParisHilton?Ilnes’agissaitpasd’unesoiréechic.Àvraidire, legrosdesinvitésétaitconstituédetypescraignosenchemisesbrillantesetpantalonsdepolyester,et defemmesmouléesdansdesrobesenspandex,ayantabusédubronzageetdessilicones. –Heu...jecroisquejevaisallermechercherunverre,dit-elle. –Bonneidée,approuvaRupertensepassantlalanguesurleslèvres. Ils’obstinaitàresservirJacquiavantmêmequesonverrefûtvide,sibienqu’elleignorait,au final,combiend’alcoolelleavaitbu.Soninquiétudeallantgrandissant,Jacquibuvaitbeaucoupplus qu’elle ne l’aurait souhaité. Un projecteur fut soudain braqué sur elle. Jacqui plissa les yeux et vit, plantésdevantl’entrée,desvigilesbaraquésetplusieurséquipesdetélé. Lejeuneproducteurdevidéosérotiquesquiorganisaitlasoiréesesaisitd’unhaut-parleur: – Voici arrivé le moment crucial, mesdames et messieurs ! Toute femme qui ne sera pas nue d’icicinqminutesferaitmieuxdes’enallertoutdesuite! –Hein?demandaJacqui. –Allez!fitRupert,unlargesourireauxlèvres.C’estpaslameràboire!Toutlemondesaitque cesfêtesfinissenttoutletempscommeça. –Pasmoi! –Hé,tuassignéladécharge,àl’entrée.Allez,rigolonsunpeu!ditRupert,entendantlebras pourfaireglisserlesbretellesdesoncorsage. –Uneminute!Uneminute!protestaJacquienrepoussantsamain. Rupertserenfrogna. – Qu’est-ce qui te prend ? Je te fais passer du bon temps. Je t’invite à dîner, je t’amène au Maidstone,etc’estcommeçaquetumeremercies?Allez,jeveuxjustequ’onrigoleunpeu,insista-til,gardantlamainplaquéesursapoitrineenungestevaguementmenaçant. –Biensûrqu’onvas’amuser,ditJacqui,réfléchissantàtouteallure.Jevoudraisjustepasseraux toilettesetm’occuperdedeuxtroistrucs,dit-elleavecunclind’œil,tandisquesoncœurbattaitàtout rompre. Toutautourd’eux,desfemmessedéshabillaientetagitaientleursseinsdevantlacaméra.C’était loind’êtreunegentilleblaguedepotache,commequandMaraetRyans’étaientbaignésnusdansla piscine. C’était une industrie. C’était terrifiant. Et ce n’était pas du tout ce qu’elle avait en tête lorsqu’elleavaitdéclaréqu’elleaimeraitassisterauconcertprivédeSting. –Jet’attendsici,ditRupertd’unevoixtraînante. Jacquitenaitàpeinesursesjambes. –Jerevienstoutdesuite,promit-elle. Àquatreheuresdumatin,elleétaitlà,pauméeaumilieudenullepart.Ellen’avaitpasdequoise payer un taxi, et ne savait même pas d’où en appeler un. Personne, à la soirée, n’accepterait de la ramenerchezelle. Elletrouvauntéléphonedanslehalletcomposalepremiernuméroquiluivintàl’esprit. –Luca!C’estmoi...Ilfautquetum’aides! –Quiest-ce?demandaunevoixféminineensommeillée. –C’estJacqui.JepourraisparleràLuca? –Ildort.C’estàquelpropos?demandalafemme,suruntonsoupçonneux. Inutiled’insister.Jacquicomposaunsecondnuméro. –Léo?C’estmoi,Jacqui.Ilfautabsolumentquetum’aides. – Jacqui ? demanda Léo. (Encore debout, il finissait de disputer cinquante-quatre parties de footballJohnMaddensursaPlayStation.)Lafillepourquijenesuisqu’uncoupenpassant? –Léo...Jet’ensupplie. Maisilavaitdéjàraccroché. Jacquiétaitenlarmes.D’iciquelquesminutes,Rupertallaitselanceràsarecherche,etDieusait cequiadviendraitd’elle.Ellecomposalederniernumérodontellesesouvînt. Çasonnait,maispersonnenerépondait.Jacquis’étaitpresquerésignéeàparcouriràpiedlessix kilomètresdelaroutedeMontauk,lorsqueMaradécrocha. –Allô? –Mara.C’estJacqui.Ilfautquetum’aides.Est-cequevouspouvezvenirmechercher? Maras’assitsursonlitetjetauncoupd’œilauréveil. –C’estquoicedélire?Tulaissestoutenplan,etnousondoitseréveilleretvenirte... –Mara,jet’ensupplie...,ditJacqui,éclatantensanglots. – Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mara, réalisant soudain qu’il arrivait sans doute quelque chosedegraveàJacqui. –Jesuisàcettesoirée...Stingn’estpaslà...c’estseulement...ilfautquejem’enailled’ici. –Tuesoù,aujuste? Jacquiluiexpliquaoùellesetrouvait. – On sera là dans quelques minutes. Il faut que je réveille Eliza. Je ne connais pas le chemin, maisjesuissûrequ’elle,elleleconnaîtra.Resteoùtues! Jacquiraccrocha,sefaufilaàl’extérieuretfranchitlagrilled’entrée.Leventsoufflaitdelamer, l’airs’étaitrafraîchi.Maisellepréféraitmourirdefroidplutôtqueretournerdanscettemaison. Onoublieparfois quelesHamptons setrouventàLongIsland Dans un éclat de phares la Volvo rouge bringuebalante s’arrêta devant la grille. Mara ouvrit grandlaportière. –Jacqui? Elizaallumauneautrecigarette.Bonsang,vousparlezd’unehistoire! Maraluiavaitexpliquéenvitessepourquoiilfallaitqu’ellesselèventetvolentàlarescoussede leurcamaradedechambre,maisElizan’étaitpassûred’avoirbiencomprislesraisonsquil’avaient forcéeàquittersonlitdouilletàquatreheuresetdemiedumatin. EllestrouvèrentJacquitapieprèsdesmarches.Quandellelesaperçut,ellefonditenlarmes. –Oh,monDieu!Qu’est-cequis’estpassé?demandaMara,craignantlepire. – Rien... rien. Je n’étais pas sûre que vous viendriez, c’est tout, répondit Jacqui, entre deux sanglots. Tremblanteetbouleversée,elleneressemblaitenrienàlaLatino-Américainesophistiquée,sûre d’elleetblaséequ’ellesconnaissaient.Àlalumièredelalune,elleparaissaitréellementsesseizeans. –J’aiétébête,dit-elle.J’auraisdûmedouterqu’ilsepasseraituntrucdanslegenre. ElleleurparladeRupert,delafaçondontill’avaitappâtée,delasoiréegraveleuse,desmecs lubriques,descamérasvidéo. –Tuesmineure,ditEliza.Onpourraitlesenvoyerenprison. –J’aisignéladécharge,admitJacqui. –Etalors?Qu’est-cequeçapeutfaire?Çanetiendrapas,devantunjury. – Allez, fichons le camp d’ici avant qu’ils n’essaient de faire de nouvelles recrues ! suggéra Mara. Jacquireniflapuiss’essuyalenezd’ungestedelamain.Ellejetauncoupd’œilàlavoiture. –VousavezprislaVolvo? Ellessedirigèrentversl’ouest,jusqu’àcettepartiedeLongIslandoùilyavaitplusdecentres commerciaux que de soirées orgiaques. Après tout, il n’y avait pas que les Hamptons au monde ! Elles commençaient même à en avoir par-dessus la tête, à vrai dire. On y passait son temps à se pomponneretàposerpourlagalerie.Ilfallaitsanscessesongeràassortirbikini,paréo,sacàmain etsandales...Onmettaitdesheuresàsepréparerpourallernullepart. –Regardez,unrestaurantdelachaîneDenny’s,ditMara.Çafaituneéternitéquej’aipasmisles piedsdansl’und’eux. –Çavousdit,unpetitdéjeuner?demandaEliza. –C’estunesuperidée,approuvaJacqui. Ellestrouvèrentunetabledansuncoin,prèsdelavitre,etouvrirentlesmenus. –Quess’quej’voussers?leurdemandauneserveuseenuniformedevichy,coifféeàlamode desannéessoixante. Elleressemblaitsipeuauxsylphidesquileurapportaientleursminusculesportionsdetofuau restaurantChezBabette,quelesfillesnepurents’empêcherd’échangerunsourire.C’étaitexactement cedontellesavaientbesoin:unebonnedosederéalité. –Jeprendsle«Spécialpoidslourd»,décrétaJacqui. –Troisœufs,deuxpancakes,dubacon,dessaucissesetdujambon?demandaEliza,horrifiée. Tout,danslaliste,dépassaitsonmaximumdequatrecentscaloriesparrepas. –Çam’al’airextra.Moiaussi,jeleprends,décidaMaraenrefermantlemenu. –Deux«poidslourds».Etvous,monchou? Elizahésita.Àluiseul,lebaconfaisaittroiscentscalories.Maiselleavaitvraiment,vraiment faim. –Trois,dit-elle. Elles engloutirent leurs petits déjeuners nageant dans la graisse et se mirent au courant des dernièresnouvelles. –Ettun’aspasreparléàJeremydepuis?demandaMaralorsqueElizaeutracontéàJacquice quis’étaitpassé. –Non. –Tudoisallerletrouveretluidirecequetuéprouves,soulignaMara.C’estimportant.Vousne pouvezpasenresterlà,touslesdeux! – Je sais, je sais, soupira Eliza, piquant un gros morceau de saucisse avec sa fourchette et l’enfournant. –Jeremy...lemecquitondlapelouse?demandaJacqui.Ilestvraimentmignon.Jel’aicroisé l’autrejour,iltecherchait.Jesuisdésolée.J’aioubliédeteledire. –Ilmecherchait?Oh,monDieu! –Tuvois...jesuissûrequ’ilressentlamêmechosequetoi.Maisilfautquetuaillesletrouverla première,insistaMaraquiétaitd’unnaturelromantique. –D’accord.MaisàconditionqueturompesavecJim.Tuméritestellementmieuxquececrétin. Parcequec’enestun! –Onadéjàrompu,répliquaMara.Hier,àvraidire. –Ettun’asrienditàRyan? –Non.Pourquoijeluidirais?demandaMara,obstinée. JacquietElizaéchangèrentunregard. –Seulementparcequ’ilestraidedinguedetoi,ditEliza. –C’estdel’amour,déclaraJacqui.Jesaisreconnaîtreunhommeamoureux.Ilt’aimeàlafolie. Iltedévoredesyeux.Ilesttellementépris!ajouta-t-ellesuruntondramatique. –Maisnon.Ilaunepetiteamie. –TuparlesdecetteCamille?demandaEliza.C’estdupassé.Ilmel’aditl’autrejour,ilnele sentaitpas.Ilarompulasemaineoùlesgaminsétaientpartis. – Et alors ? Il est peu probable qu’il s’intéresse à une fille comme moi, dit Mara d’une voix calme. Ellesavaitcequelesmecscommeluipensaientd’elle–ellel’avaitsulepremierjour.Lesmecs commeluiétaienttropbienpourelle. – Qu’est-ce que tu racontes, bon sang ? hurla Eliza, si fort que les routiers qui prenaient leur petitdéjeunerseretournèrent.Tuescanon!Tut’esregardéedanslemiroircestemps-ci?demanda-telleàMara,obligeantcelle-ciàfixersonrefletdanslavitrine. Jacquis’empressad’enrajouterunecouche. –ÀSãoPaulo,lesfillescommetoi,onditqu’ellessont...c’estquoilemotdéjà...sexy. –C’estsuper-gentildevotrepart,maisvousmefaitesmarcher,lesfilles,ditMara,sedétournant desonreflet. Auprès d’elle, il y avait Eliza, la sœur jumelle de Cameron Diaz qui, en dépit d’une terrible gueule de bois, était aussi radieuse qu’un top-model. Il y avait Jacqui, la voluptueuse LatinoAméricaine. Et il y avait elle, le vilain petit canard. Mais, pour une fois, Mara étudia plus attentivementsonreflet.LacoupedePierremettaitsespommettesenvaleur,etcenouveauchemisier turquoisequ’Elizal’avaitaidéeàchoisirfaisaitparaîtresesyeuxplusbleusquejamais.Àforcede courir après les gamins, elle avait même perdu quelques kilos. Devait-elle les croire ? S’était-elle transforméeenpin-updujouraulendemain? –Tuvois,ditEliza,d’untonsatisfait.Jetel’avaisdit. –Etmaintenant,tuvasallertrouvercegarçon!ordonnaJacqui. Elleétaittellementcontented’êtrelà,àcemomentprécis.ToutenregardantMaraécarteravec unsouriremélancoliquelesbouclesquiluitombaientsurlevisageetElizacommanderd’ungestede la main une tournée de milk-shakes (hé, qu’est-ce qui pouvait mieux s’accorder avec le « Spécial poidslourd»?),Jacquiréalisaqu’aprèstoutcequileurétaitarrivécetété,ellesétaientdésormais vraimentamies. Eliza,MaraetJacqui découvrentlemeilleur desHamptons Le soleil se levait lorsqu’elles reprirent la route 67 en direction d’East Hampton. Les étals de fruitsetlégumesétaiententraind’ouvrirsurlebas-côté.Elizaparvintàconvaincresesamiesdene paslaisserpasserl’occasiond’acheterlesmeilleuresprimeursducoin. –Annavatoujoursaumarchéd’Amagansett,maisilestprisd’assaut.C’estbeaucoupmieuxici. Elizahumaitl’air,tandisqu’elless’avançaient,examinanttouslesstands. Les épis de maïs formaient de hautes piles. Sous leur enveloppe vert pâle, les grains étaient ivoire,oujaunescommedesjonquilles.Ilyavaitaussidespamplemoussesgroscommedesballons debasket,desorangesquiparaissaientirradierdelumière,descarotteslonguesetcharnuescomme des bras, de la trévise, de la chicorée, de la roquette et autres salades fantaisie pour moins de un dollarlabotte. Elizaleurmontral’étalduboulanger,couvertdepaindeseiglesansblénigluten,depainsau levain,depainstressés... EllesreconnurentCindyCrawfordqui,sousunecasquettedebase-ball,reniflaitdeskakis. – Hé, regardez, une tarte maison à la pêche et aux myrtilles, dit Mara en se rapprochant du délicieuxparfum.Prenons-enunepourlesenfants. –Madisonvaadorer!approuvaEliza. –Auxpêches!LefruitpréférédeZoë!ajoutaJacqui. –QuantàWilliam,ilseracontentdelajetercontrelemur!plaisantaMara. Elles achetèrent un ballon en forme de Bob l’éponge pour Cody et remplirent le coffre de cageots d’agrumes, de pains à peine sortis du four, de grosses tomates grappe rouge orangé, de choux-fleursetdebrocolis.Etdesuffisammentderaisinpourfabriquerleurpropretonneaudevin! Elizalesdéposadevantlamaison. –Tuvasoù?demandaMara. –JeremyselèvetouslesmatinspourallercouriràMontauk.Jevaisvoirsijel’ytrouve. –C’estbien,ditMaraenserrantlebrasd’Eliza.Etmoi,jevaisallerchercherRyan. –Vas-y,frangine!s’exclamaElizaavecunsourire. Soudain,Jacquileurpassaàtoutesdeuxunbrassurl’épaule,cequin’étaitpastrèscommode,vu qu’Elizaétaittoujoursdanslavoiture. –Vousêteslesmeilleures! ElizadémarraetJacquietMaracontournèrentlamaison,endirectiondel’alléepavée. –Jevaismecoucher,ditJacqui,àpersonneenparticulier,enmontantl’escalierbranlant. Mais il lui faudrait également prendre une longue douche chaude, pour faire réellement peau neuve. Marapasseenfin àl’action! La maison principale était vide lorsque Mara se faufila à l’intérieur : les employés de cuisine eux-mêmes n’étaient pas réveillés. Elle monta l’escalier, s’arrêta devant la chambre de Ryan, entrebâillalaporte... –Ryan?murmura-t-elle.Tuesréveillé? Maintenantqu’ellesavaitcequ’ellevoulait–lui–elleavaithâtedeleluiannoncer.Etsiluinela voulaitpas,ehbien,elleysurvivrait.Ceàquoiellenesurvivraitpas,enrevanche,ceseraitdenepas luiavoirparlé. Elle ouvrit plus grand la porte et entra dans la chambre. Sur son bureau se trouvait le jeu de cartes de l’autre soir, quelques brindilles qu’ils avaient ramassées sur la plage pour en faire d’éventuelsbâtonsàmarshmallowsetlelivrequ’elleluiavaitprêté–LeZenetl’artdel’entretiende lamotocyclette.Illuiavaitconfiénejamaisl’avoirlu,etellel’avaittancésursonmanquedeculture littéraire. Sessurfsetsesskate-boardsétaientposéscontrelemur. Maissonlitn’étaitpasdéfait. L’édredonbleuétaitparfaitementreplié. Soncœurseserra.Sansdouten’était-ilpasrentréhiersoir.S’iln’étaitpasavecCamille,ilétait avec une autre. Qu’est-ce qu’elle s’imaginait ? Qu’il allait l’attendre tout l’été ? Mara se rappela toutes ces filles qui, aux soirées auxquelles ils avaient assisté cet été, lui avaient très clairement manifestéleurintérêt. Ellerefermalaportederrièreelle.Ilavaitdûtrouverquelqu’unpourluitenircompagnie–une de ces nièces Bush ou de ces riches héritières de la famille Hearst qui étaient pendues à ses lèvres. VoireunedecesjoliesIrlandaisesquitravaillaientdanstouslescafés,barsetboutiquesdelocation dekayaksdesHamptons. –Bonjourmademoiselle,luilançaStevens,lemajordome,lorsqu’ilpassadevantellepouraller ouvrirlesrideauxdanslachambredemonsieur. Ellehochatimidementlatête. Lapiscinescintillaitdanslalumièredumatin.Elleseditqu’elleétaittoutdemêmetrèsheureuse d’avoir passé l’été dans un cadre aussi merveilleux. La surface de la piscine à débordement se confondaitaveclebleudel’océan.C’étaitunevisiondontMaranepourraitjamaisselasser. Elleramassamachinalementlesjouetsdesenfantsenregagnantlecottagedesfillesaupair.La peluche de Zoë, la Game Boy que William avait égarée, la couverture de bébé de Cody, les deux poupéesmannequinsdeMadison. Ellecontournalemur,ets’arrêtanet,lesoufflecoupé. Là,danslehamactenduderrièrelecottage,étaitallongéRyan,endormi. Elle l’embrassa doucement sur la bouche pour le réveiller. Son prince assoupi. Ses narines vibraientaurythmedesarespiration.Ellesentitlatendresseetl’affectionl’envahir. Ilclignadesyeuxet,l’apercevant,eutunsourire. –C’étaitpourquoi? –J’enavaisenvie,c’esttout,dit-elleenluirendantsonsourire. –Jet’aicherchéetoutelanuit.Oùest-cequetuétaispassée? –Nullepart.Jet’aicherchémoiaussi. –Çaalors! Elle se pencha vers le hamac, et il l’attira pour qu’elle vienne s’y pelotonner près de lui. Le hamacsebalançasousleurspoidscombinés,lesprojetantl’uncontrel’autre. –EtJim?demanda-t-ileneffleurantsonbrasnu. –Onarompu. –Etcen’estpastropdur? –J’auraisdûlefaireilyatrès,trèslongtemps. –Trèsbien,dit-ild’unevoixensommeilléeavantderefermerlesyeux. Maraseblottitsoussonaisselle,heureusedesentirsesbrasfortsetrassurantsautourd’elle.Elle auraitvoulurestertoujoursainsi. Leventfaisaitoscillerlehamac.Ilss’endormirentausondesvaguesvenantsebrisersurlarive. ElizavaàMontauk pourlapremièrefoisdel’été Pitié,pitié...pourvuqu’ilsoitlà!serépétaitEliza.Pitié,pitié,pitié... Elle se gara sur le parking et marcha jusqu’à la plage. À l’exception de quelques courageux nageurs, il n’y avait personne. C’est alors qu’elle le vit. Il était vêtu d’un short et d’un anorak défraîchi. –Jeremy!Jeremy!cria-t-elle. Ilseretourna,l’aperçut,continuaàcourir.Plusvite. Elizaretiraprécipitammentseschaussuresàtalonscompensésetcourutpourlerattraper. –Jeremy,jet’enprie,supplia-t-elle.Attends-moi! Maisilcouraittoujours. –JET’AIME!cria-t-elle. Enfin,aubeaumilieudelaplage,ils’arrêtaetretiralecasquedesonwalkman. –Qu’est-cequetuasdit? Elleseprécipitaverslui,sanssesoucierdesbrisdecoquillagesquiluipicotaientlaplantedes pieds. Elle se campa juste devant lui. Il avait le visage luisant de sueur, les cheveux frisés par l’humidité.Maisilluiparutencoreplusbeauquedanssonsouvenir. –Jesuisdésoléepourl’autresoir...Jenesaispascequim’apris...ouplutôtjelesais,etjem’en veuxtellement.Jet’aime.Jen’aijamaisressentiçapourpersonne,etjevoulaisquetulesaches,dit Eliza,encherchantvainementunetraced’affectionsurlevisageimpassibledeJeremy.PourquoiastudonnétadémissionauxPerry? – Tu crois que j’aurais pu y travailler... continuer à te voir... tout en sachant ce que tu pensais véritablementdemoi?demanda-t-il. Elizavitàquelpointellel’avaitblessé. –Jet’enprie,pardonne-moi.Onpeuttoutreprendreàzéro?S’ilteplaît! Elleretintsonsouffle.Ilfallaitqu’ilrépondeoui,illefallait!Elleluiavaitditqu’ellel’aimait. Cesmots,ellenelesavaitencorejamaisditsàvoixhaute.Àpersonne. –Jenesaispas,dit-il,lesyeuxrivéssurlesable.Jecroisqu’onesttropdifférents,ajouta-t-ilen secouantlatête.Cen’estpassisimple. –Onnepourraitpasessayer? Elleessayadeluiprendrelamain,maisillarepoussa. Cen’étaitpasainsiqueleschosesauraientdûsepasser.Ilétaitcensél’embrassertoutdesuite, luidirequetoutétaitoubliéetqu’illuipardonnait.Maissonvisageétaitsombre. –Cen’estpascommeunrobinetqu’onpeutouvriroufermer,expliqua-t-il.Ilfaut...ilfautqueje réfléchisse.Laisse-moiunpeudetemps. Ilremitsesécouteursetrecommençaàcourir,s’éloignantd’elle. Elizalesuivitdesyeux,ignorantcommentréagir.Ellenes’étaitjamaismontréeaussivulnérable devantquelqu’un,etellevenaitd’êtrerejetée. Il avait demandé du temps. Mais le premier lundi de septembre approchait à grands pas. Elle n’avaitpasletempsd’attendre.Dansunesemaine,ellerentraitàBuffalo. Maraatrouvélebonheur... dansunhamac –Ohlesamoureux!Ohlesamoureux!scandèrentenchœurMadisonetZoë,réveillantRyanet lafilleaupairquidormaitdanssesbras. – MARA ET RYAN SONT AMOUREUX ! ricana William en produisant d’affreux bruits de succioncensésimiterlesbaisers. –Chut!fitRyan,agitantlesbraspourchassersesfrèresetsœurs. –Réveillez-vous!Réveillez-vous,lesendormis!Onveutallernager! Maraclignadesyeuxetsourit: –Pourcommencer,allezvouschanger!Onseretrouveauborddelapiscine. Aulieudeça,lesfillessehissèrentdanslehamacetWilliam,quidétestaitêtrelaissédecôté, grimpaluiaussi. –Oh,cequetueslourd!s’exclamaRyanenserrantsonpetitfrèredanssesbras. Maraéclataderire,tandisquelesgaminsfaisaientfurieusementtanguerlehamac. – On va tous tomber ! Eh bien, si personne ne veut partir, moi j’y vais ! menaça-t-elle, s’agrippantàl’undesbordsduhamacpournepassefairemalendescendant. –Non!Toi,turesteslà!protestaRyanenl’attirantànouveaucontrelui. Àl’autreboutduhamac,lespetitesfillessemurmuraientdeschosesàl’oreille,faisantuncornet deleursmainsminuscules. –Zoëetmoiavonsdécidé,ditMadisond’untontrèssérieux,quetuesBEAUCOUPplusjolie quel’anciennepetiteamiedeRyan. – Oh, merci, dit Mara, avec un clin d’œil à Ryan. Alors comme ça, je suis plus jolie que Camille? MadisonetZoëparurentdéconcertées. –Camille? –Heu...l’anciennepetiteamiedeRyan?hasardaMara. –TuveuxdireSophie?demandaMadison. –OuAnnette?intervintZoë. –Iln’yenapasqu’une?demandaMara. –Madison!Zoë!Nerépondezpas!ditRyan,plaisantantàmoitié. –Ilyenadestonnes!assuraMadison. –Destas,confirmaZoë. Maraécarquillalesyeux. –Ahoui,destas?Combien,aujuste?demanda-t-elleàRyan. –Ilfautvraimentqu’onparledeçamaintenant?ditRyandansunéclatderire.Çan’apastant d’importance,non?Enfin...noussommesensemble,àprésent. Maraparaissaitdécouragée. –Messœursnesaventpasdequoiellesparlent,dit-il,luiprenantlementonetl’embrassantsur labouche.Iln’yaqu’avectoiquej’aienvied’être.OK? –OK. Dumomentquec’étaitclair. Lespetitesfillespoussèrentunsoupirdebonheur.C’étaittellementromantique. Quelquesminutesplustard,Jacquiapparut,seslunettesdesoleilsurlenez.Elleétaitenshortet portaituncroissantetungobeletdecaféprovenantdelaHamptonCoffeeCompany.Soussonautre bras,elleavaitcoincéplusieursjournauxetmagazines. –Tuesqui,toi?luidemandaWilliamensedirigeantverslapiscine. –Jacqui...Jemesuisoccupéedetoitoutl’été!plaisanta-t-elle. Williameutl’airdéconcerté.JacquisouritenvoyantMaraetRyanblottisl’uncontrel’autre. – Regardez ce que j’ai trouvé ! dit-elle en brandissant le New York Magazine, le Hamptons Magazine,leNewYorkPost,leNewYorkDailyNewsetleNewYorkTimes. IlyavaitdesphotosdeMarapartout,signéesdesonamiLuckyYap. «LadernièrecoqueluchedesHamptons!Etellen’apaseubesoind’emboutirlafaçadearrière d’une boîte de nuit ou de tourner une vidéo porno pour y parvenir ! » claironnait la toujours-trèssobrepage6. – Hé, tu es plus célèbre que moi, dit Ryan en remarquant que la dernière série de photos ne mentionnaitmêmepas«l’héritierdesPerry». Marafeuilletalesmagazinesetlesjournauxavecunsouriresongeur.Ellesesentaitsûred’elle, etivredebonheur–nonparcequ’elleavaitatteintenunesaisonceàquoileshabituésdesHamptons aspiraienttouteunevie,maisparcequ’elleétaitaveclegarçonqu’elleaimait. Jacquiaccomplit desprodiges Jacqui rassembla les gamins et les conduisit à la piscine. Elle gonfla les brassards de bain de Codyetlesenfilasursesbraspotelés. –Allons-y!s’exclama-t-elleensautantdanslegrandbain. Choseétonnante,illasuivit,faisantgiclerl’eauetagitantsespetitesjambescommeuncanard. –C’estbien!C’estbien!ditJacquidansunéclatderire. Elleétaitinconsciented’avoiraccompliunmiracle–MaraetElizaavaientpassél’étéàessayer defairesurmontersaphobieaubébé,maispourJacqui,quin’étaitjamaislà,Codyétaitunnageur-né. Williamsautaluiaussidanslapiscine,manquantdepeudeheurtersonfrère. –Faisattention!grondaJacqui. Lepetitgarçonluitiralalangue. –Coulé!dit-ilenenfonçantlatêtedeCodydansl’eau. –WILLIAM! Ce gamin était un véritable cauchemar. Il lâcha son frère et, en gloussant, nagea vers l’autre extrémitédelapiscine. Codyclapotaitallègrement. –Pasmal!ditKevinPerry,ens’agenouillant.Hé...Jacqui...c’estbiença?Çavousdiraitdefaire un tour au sauna, un peu plus tard ? On vient d’installer un nouveau pommeau de douche. Il est incroyable! Jacquigagnaleborddelapiscine.Ellenesupportaitplusd’êtreobservéepartouscestypesqui bavaientdevantelle.Etaprèscequis’étaitpasséàlafête,elleenavaitsoupédeshommesplusâgés. –Jenecroispasquevotrefemmeapprécieraitdevousentendremeparlercommeça,dit-elle calmement. Ilparutdésorienté.Bienplusqu’iln’auraitdûl’être. –Biensûr.Ehbien...heu...àplustard,alors,bafouillaKevin. Jacqui hocha la tête. Quel soulagement ! Après des années passées à s’aplatir, à faire des courbettes et à flirter avec les hommes pour un pourboire, un trajet en voiture, un verre ou une invitationàunesoirée,elleparvenaitenfinàserebiffer! Çaluifaisaituneffetdutonnerre. Nouvelaccèsd’amabilité d’AnnaPerry Unefoisdeplus,Annaétaitassiseenboutdetable,lorsquelesfillesaupairdéboulèrentdansla salledeprojection,pourleurrapporthebdomadaire.Lesmiraclesnecesseraient-ilsdoncjamaisde seproduire? Lestroisfillesprirentplaceautourdelatable. –OùestKevin?chuchotaEliza. Jacquihaussalesépaules. Depuis que Jacqui lui avait fait comprendre qu’elle ne tolérerait plus ses avances, Kevin avait trouvédemeilleuresmanièresdepasserletemps. Lesfillesétaientunpeunerveuses.Ellesétaientcenséestoucherleurdernierversementàlafin delaréunion–àmoinsd’êtrerenvoyéesavant.Ellesignoraienttoujourscequiavaitsuscitélamiseà pieddelapremièrefournéedefillesaupairetleSuperSamedin’avaitpasétéleurmeilleurjour. MaisAnnaétaitvisiblementauxanges. – Eh bien, j’espère que vous avez passé un été fantastique, dit-elle. Ça a certainement été mon cas. OnluiavaitdemandédeprêtersoncourtdetennispourleTournoiCartier,cequilahissaitau rangdesSwid,KravisetDavisdelaville.ÇalaconsolaitdeladébâcleduSuperSamedi.Enfin,plus oumoins. Lesfilleshochèrentlatête. – Votre dévouement manifeste aux enfants me va droit au cœur, poursuivit Anna. Tout particulièrementencequiconcerneCody.Quellesurprisedelevoirnagercematin!s’extasia-t-elle enportantlamainàsoncœur.Levoirsurmontersaplusterriblepeur...Iln’estpasdeplusgrande fiertépourunemère! MaraetElizaacquiescèrent,sedemandantcommentdiableJacquis’yétaitprise. – Et ce livre en portugais que tu fais lire à Zoë, Jacqui. Nous espérions tout juste lui faire déchiffrer l’anglais. Mais qu’elle puisse parler deux langues, ce serait formidable ! La responsable desinscriptionsdesonécolepensequeçalaferapartird’unbonpied,àlarentréeprochaine.Elledit queZoëparviendracertainementàentreràDalton. MaraetElizaéchangèrentunnouveauregardperplexe.Quandcelas’était-ilproduit,aujuste? –Mieuxencore,Madisonaperducinqkilos!seréjouitAnna. Lafillettes’étaitgoinfréetoutl’été–lapertedepoidsétaitsimplementunphénomènenaturel chezuneenfantdesonâge–maislesfillessegardèrentbiendelementionner. –Bienentendu,Williamestencoreunpeunerveux.Maisn’endemandonspastrop...aumoins,il a cessé de mordre les gens, continua Anna. Il est si tentant de se disperser, dans les Hamptons. Il y règneunetellefrénésie,avectoutescessoirées,toutescesboîtesdenuit... Àcesmots,ellesaffichèrentunairvaguementcoupable. – Je ne vous l’ai jamais dit, mais c’est pour ça que nous avons dû nous débarrasser des premièresfillesaupair!Ellessortaienttouslessoirs! Lesfillessejetèrentdescoupsd’œilenbiais. –Noustenonsdoncàvousféliciterpourlaqualitédevotretravail.Voiciledernierversement, agrémentéd’unepetiteprime,conclutAnnaavecunclind’œil. Elizapoussaunsoupirdesoulagement.Sondécouvertétaitdeplusenplusimportant.Elleallait commenceràlecombler,cettefois-ci,aulieudel’aggraverencore.Vraiment.Dèsqu’elleseserait payé cet adorable manteau en tweed repéré chez Scoop, l’autre jour. Hé, l’automne approchait à grandspasetlarentréenécessitaitunenouvellegarde-robe... Mara croisait les bras sur sa poitrine. Elle avait gagné plus de dix mille dollars en un été. Waouh!Lesfraisd’inscriptionàlafacetuneCamryvieillededixans.Pouvait-onrêvermieux?Elle avait beau s’être transformée en une superbe créature, elle n’en restait pas moins, au plus profond d’elle-même,lapetiteprovincialed’autrefois. Jacquirangeasonenveloppe.Unefoisderetour,elleachèteraitàsagrand-mèrelaplusgrande statue de la Vierge Marie que la vieille dame ait jamais vue – en recevant un tel cadeau, celle-ci comprendraitàquelpointJacquil’aimait. MaisAnnan’avaitpasfini: – Au fait, nous aimerions vous avoir avec nous à Noël. Nous passons, comme chaque année, deuxsemainesàPalmBeach.Notrenounouhabituellenousalaissésenplan–ellepartenAngleterre. Vous pensez que ça pourrait vous intéresser ? La paie est de cinq mille dollars. On peut tous se retrouveràNewYorkets’yrendredansnotrejetprivé. PalmBeach?ÀNoël?Cinqmilledollars?Unjet?Ellessignaientoù? QuandPuffDaddy donneunesoirée, ilnefaitpasleschosesàmoitié Lepremierlundideseptembrearrivaet,aveclui,la«soiréeblanche»dePuffDaddy,dernier grand événement de la saison. Eliza avait passé trois jours au téléphone pour s’assurer trois invitations.Kitétaitunenouvellefoisintervenu,etLuckyYapleurenavaitenvoyédeux.Ellesétaient donctranquilles. Mara traînassait dans la chambre de Ryan, l’observant pendant qu’il passait un costume en lin blanc.Alorsqu’ilboutonnaitsachemisedevantlemiroir,ilsurpritsonregard. –Qu’est-cequeturegardes?demanda-t-il. –Monbeaupetitam...,commença-t-elle,avantdeseraviser. Avait-ellevraimentutilisécemot-là?Comments’était-ellepermis?Ellenesavaitmêmepasce qu’il pensait de tout ça. Peut-être prenaient-ils simplement du bon temps ? Il n’était pas dans ses intentionsdedéfinirsitôtleurrelation. Lisantladétressesursonvisageetdevinantàquoielleétaitdue,Ryanseretourna,grimpasurle litetl’embrassasurlajoue. –Jepréfèreregardermabellepetiteamie,murmura-t-il. Mara se renversa sur le lit et l’attira contre elle en s’agrippant au collier de cuir qu’il portait toujoursautourducou.Lesoreillersétaientencoretièdes. Ryanembrassasespaupières,sonnez,sesjoues. –Onnedevraitpeut-êtrepass’habillertoutdesuite,chuchota-t-il. –Peut-êtrepas,approuva-t-elle. Elizafixaleplacardd’unœilsceptique.Commentétait-cepossible?Toussesvêtementsblancs étaientsales,jaunisoutachés.Ellen’avaitrienàsemettrepourlaplusfameusesoiréedelasaison. Àmoinsque... Ellegagnadiscrètementlamaisonprincipale.Blancheetdiaphane,larobeVersacequeSugarlui avait demandé de porter chez le teinturier plus tôt dans la semaine était toujours pendue dans son dressing,attendantd’êtreenfilée.MaisSugarnerentreraitpasdesonépilationmaillotavantunbout detemps. Sugarauraitl’airlivide,là-dedans,songeaEliza.Honnêtement,jeluirendsservice. Elizas’emparadelarobe.C’étaitsadernièresoiréeauxHamptons.Etpuis,neméritait-ellepas delaporter?C’estellequienavaitprissointoutl’été. Avecunbâillement,Jacquipassaunchemisieretunejupemi-molletsblancs.C’étaitsatenuela plus classique. Pour une fois, elle souhaitait passer inaperçue. Les types lui posaient trop de problèmes,cestemps-ci.Çaluifaisaitdubien,d’êtrecélibataire. Legroupes’étaitdonnérendez-vousdansl’allée.MaraetRyanémergèrent,maindanslamain, de la grande maison. Ils avaient les joues rouges et rayonnaient, dans leurs costume et tailleurpantalonassortis. Elizalesrejoignitsurleseuil,danslarobeVersacequ’elleavaitempruntée(enfin...volée). –Ceneseraitpas...,commençaRyan,enreconnaissantlarobe. –Elleestàmoi!rétorquaEliza. Pourlasoirée,entoutcas.Fauted’avoirJeremy,elleauraitaumoinsunerobeVersace. Jacquis’avançadepuislejardin,sublimissimedanssatenue«classique». –Toutlemondeestprêt?demanda-t-elle. MaraetRyanprirentl’AstonMartin.ElizaetJacquitrouvèrentplusamusantd’yallerenVespa. Quellejoie,denepasavoiràchercheroùsegarer! Ilsroulèrentjusqu’àSettler ’sLanding,oùsedressaitlasomptueusedemeuremodernedontla grille en fer forgé portait le monogramme de Puff Daddy. Plusieurs pavillons blancs avaient été dressésàl’entrée,pourmieuxprocéderaucontrôledesinvités. Eliza leur raconta que la ville elle-même avait dû être assurée, pour rien moins que cinq millionsdedollars,contretoutaccidentenrapportaveclasoiréeetque«Puffy»avaitfaitérigerun pavillon de près de trois mille cinq cents mètres carrés flanqué d’un mur en mousse plastique de vingt-cinqcentimètresd’épaisseur,pourprotégerlevoisinagedesdouxaccordsdeFunkmasterFlex. –J’aientendudirequ’ilafaitplantertoutunverger,lasemainedernière,pourquecesoitplus champêtre!ditEliza. Dans la file d’attente, ils repérèrent Leonardo di Caprio, à qui plusieurs robustes gardes du corps tapotaient l’épaule. Leo était une blanche apparition, de sa casquette ivoire à ses chaussures d’unblancimmaculé.IlyavaitTopherGrace,accompagnéd’AliHilfiger;GavinRossdaleaubras deGwenStefani;Eve,Li’lKimetBustaRhymespapotantavecZacPosen,PazdelaHuertaetClaire Danes. Les trois filles retinrent leur souffle quand l’un des imposants physionomistes fit passer leurs cartonsd’invitationsousundétecteurlaser.Uneéternitésemblas’écouleravantqu’unsignalsonore neconfirmeleurauthenticité. –Allez-y,ditleportiervêtud’unimpeccablecostumetroispiècesenlesfaisantentrer. Unehôtesseenrobededentelleblancheleurprésentaunplateau. –Champagne? Tousquatreprirentunverreettrinquèrent. –Ànoustous!lançaMaraenguisedetoast. Difficiledefaireplusringard.Maisellepouvaitselepermettre–elleétaitl’unedescoqueluches desHamptons! Çaasesavantages, dedonnerunbonpourboire auvoiturier Ils trouvèrent une table inoccupée, non loin de l’endroit où Amanda Hearst était assise, en grande conversation avec André 3000. La soirée annuelle de Puffy mêlait, à doses égales, fortunes héréditaires et rappeurs récemment enrichis. Des aristocrates échangeaient des anecdotes hautes en couleuravecdeschefsdegangàdentsenor.Lesfillesdebonnefamillelesplusenvuedel’Étatde New York dansaient avec des stars de Hollywood ou des vedettes de hip-hop. Une tente blanche de stylemarocainavaitétédresséeetdesdanseusesduventrevêtuesd’ensemblesincrustésd’ivoireetde perlesfaisaientclaquerleurscymbalesàdoigtsentournoyantparmilafoule. –Visezunpeu!Sonmonogramme...ilestpartout!s’exclamaMara. Eneffet,lesinitialesdeleurhôtesetrouvaientaufonddelapiscine,surlesserviettesdetableet surcellesdestoilettes–sansoublierlesbaignoiresetlemoindretorchon. –Ouais,soupiraEliza. Bizarrement,lefaitd’avoirréussiàdégoteruneinvitationpourlameilleuresoiréedelasaison nesuffisaitpasàluiremonterlemoral. –Nefaispascettetête-là!ditMara.C’estladernièresoiréequ’onpasseensemble! Elizaparvintàesquisserunsourire. –Jesais.Jevaisfaireuneffort. Jeremynes’étaitmêmepasdonnélapeinedel’appeler.Illuiavaitditdeluilaisserunpeude temps,maisElizan’enavaitplus.Kit–leseuldelabandequiluiparlaitencoreaprèsqu’elleeneut étéexcluepourcausedepauvreté–luiavaitproposédelarameneràNewYorklelendemain,etelle avaitsonbilletdecarpourrentreràBuffalo. –Quisait?Ilteréservepeut-êtreunesurprise,fitremarquerMara. – Je sais. J’ai le sentiment que ça peut encore marcher, dit-elle d’un ton découragé. Je lui ai donnémonnuméroàBuffalo.Ilm’appellerapeut-êtreplustard. – S’il ne le fait pas, il y a un million d’autres gars qui seraient prêts à s’entretuer pour sortir avectoi,ditMara,enbonnecopine. Elle n’aurait jamais pensé compter une fille comme Eliza parmi ses meilleures amies – mais voilà,c’étaitarrivé. –C’estpossible. L’étéavaitétépalpitant,certes,maiséprouvantpoursonorgueil.Avantceséjour,l’idéequ’elle puisses’amouracherd’unjardinierluiauraitparurisible,voireabsurde.ElleétaitElizaThompson, lafilleàquinulnepouvaitrésister. Or Eliza Thompson n’obtenait plus tout ce qu’elle désirait. Elle commençait à en prendre conscience. Lindsay et Taylor passèrent près d’eux. Lorsqu’elles virent Eliza, elles n’en crurent pas leurs yeux. Elle... ici ? Malgré tout, elles décidèrent de s’arrêter à sa table et de lui montrer à quel point ellespouvaientêtrebonnesetgénéreuses.Enoutre,ellesn’auraientpasàlafréquenteràNewYork. Ellesétaientaucourant,pourBuffalo. Maislorsqu’elless’approchèrent,Elizadétournalatête.Elleavaitbeausavoirqu’ellesn’étaient pastotalementresponsablesdeleurattitude,celanel’obligeaitpasàfairesemblantdelesaimer.À direvrai,ellenelesavaitjamaisvraimentaimées.PascommeelleaimaitMaraetJacqui,entoutcas. –Heu...salut?fitLindsay. Taylors’éclaircitlagorge.Eliza,faisantmined’êtrefascinéeparlecontenudesonverre,les ignoradélibérément. LesdeuxfillesrestaientplantéeslàtandisqueRyan,MaraetJacquisouriaientsansdireunmot. Puis,faisantvolerleurscoiffuresparfaitementdégradées,elless’éloignèrentdansleurschaussuresà quatrecentsdollarset,pourlapremièrefois,Elizafutréellement,sincèrementheureusedelesvoir s’enaller.Ellebaissalatêteet,fixantsacoupedechampagne,songeaquetoutcelanecomptaitplus dutoutàsesyeux.Elleenauraitfait,deséconomies–neserait-cequesurlessacs!–sielleavait compriscelaquelquesannéesplustôt!EllerenonceraitvolontiersàsonsacàmainTod’s,àsonsac MarcJacobs,etàsonsacPradanoir–lemêmequeGwynethPaltrow–pourrevoirJeremy. Etsoudain,commeparmagie,Jeremyapparut. –Salut,Eliza,dit-il. Vêtu de l’uniforme blanc des voituriers, il avait les mains dans les poches et paraissait horriblementtriste. –Jeremy!Qu’est-cequetufaislà? –J’aitrouvéunboulotdevoiturier,dit-il. –Pourquoi? –Jesavaisquetuseraislà.Jevoulaistevoir. –C’estvrai? Elleparaissaitsipetite,sivulnérable,etpourunefois,n’essayaitpasdesefairepasserpourune autrequ’elle-même. Lerestedelatabléeenprofitapourseretirerdiscrètement. Elizaseleva.Elleleregardadanslesyeuxetvitcombienellel’avaitblessé. –Jenevoulaispasquetupartesavecl’idéequejenemesouciepasdetoi,dit-il. Lesyeuxd’Elizas’embuèrentdelarmes.Pasdelarmesdecrocodile,cettefois-ci.Ellevoulaitse jeterdanssesbras,effacerl’affreuxchagrinqu’ellelisaitsursonvisage,luidirequ’ilimportaitpeu qu’ilsaientétésilongtempsséparés...quel’important,c’étaitqu’ilsoitlà,àprésent. Etc’estcequ’ellefit. Elle bondit hors de son siège et se jeta à son cou, devant Puffy, Demi, Leonardo et ses deux anciennesamies. Surpris, Jeremy tomba à la renverse, l’entraînant dans sa chute. Sur l’herbe, ils s’enlacèrent, s’embrassèrent,sesourirent.TantpispourlarobeVersace–elleétaitavecJeremy. –Oh,monDieu...c’estquoicedélire!CeneseraitpasEliza,entraind’embrasserlevoiturier? –Tusaisquoi?Ilestplutôtmignon,reconnutTaylor. Ellescommençaientàsaisir:Elizaconnaissaitdeschosesqu’ellesignoraient. Ças’appelle lekarma JacquisouritenregardantElizaetJeremy.MaraetRyanétaientauborddelapiscine,blottisl’un contrel’autre.Jacquisentaitvenulemomentdes’esquiver.Toussesamisparaissaienttrèsoccupés. Tout en se réjouissant pour eux, elle s’apitoyait sur son sort. L’été qu’elle venait de passer correspondaitsipeuàcequ’elleavaitespéré. Ellesecoualatêtelorsqu’onluifourrasouslenezunplateaudecanapés. Maisellen’oubliapas,àlasortie,deprendreunsac-surprise.Unsacdeshoppingblancornéde l’inévitablemonogramme,contenantunpeignoirblancentissuéponge,deschaussonsblancsassortis etunebouteilledevodkaAbsolut(lamarqueayantsponsorisélasoirée,cetteannée-là). –Vouspartezdéjà?luidemandaalorsqu’elles’apprêtaitàfranchirlagrilleuntrèsbelhomme auxtraitsfamiliers.Vousêtesencoreplusjoliequandvousnepleurezpas.Ondiraitquevotreétése terminemieuxqu’iln’acommencé,ajouta-t-ilavecunsourire. C’étaitNachoFigueroa–lejoueurdepoloargentincroiséàcefameuxmatch! –Hé!Jacqui,c’estbiença? Elle se retourna. Près du camion d’un vendeur de glaces ambulant (qui sait de quoi pouvaient avoirenvielesinvités,encasdepetitefaim!)setenaitl’amid’Eliza,Kit–legentilgarçonquileur avaitprocurélesinvitationspourlasoirée. –Salut,Kit,dit-elleenluifaisantlabise. Kitavaitl’airravi.Nachoreculad’unpas,visiblementperplexe. Elleleursouritàtousdeux.Sonportablesonnaàcemomentprécis. –Espereummomento,dit-elleàNacho.Excuse-moiuninstant,dit-elleàKit. –Pronto? –Jacqui,c’estLuke.TonLuca. Ilétaitmanifestementsoûl,maisJacquivoulaitsavoirdequoiilretournait. –Sim? –Quelqu’unaappeléchezmoiàtroisheuresdumatinetmapetiteamie–enfin,monex-petite amie–s’estfichueenrogne.Onarompuet...voilà,tumemanques,Jac. –Oh,coitado,répliquaJacquid’untonacerbe. –Etmaintenant,elleestavecLéo,tucroisça?continua-t-ild’unevoixpâteuse.Qu’est-ceque vousluitrouvez,àcetype?Etenplus,illouche!Alors...qu’est-cequetuendis?Toietmoi?Jesais quetun’aimespasêtreseuleet...jemesenssiseulmoiaussi. Jacquiritintérieurement.Ilyavaitdoncunejustice,encebasmonde. –Désolée,Luca,maisc’estnon.Ciao! ElleraccrochaetsetournaànouveauversKitetNacho.Mmm...Lefringuantjoueurdepoloou l’amid’enfanced’Eliza? Jacqui hésita. Joueur de polo... Ne serait-ce pas la version longue de « joueur » ? Nacho paraissaitgentil,maisJacquienavaitassezdeshommesoccupésàjouer. –Tumeramènes?demanda-t-elleenglissantsonbrassousceluideKit.Ciao,Nacho! Kitétaitauxanges.Etsilesgenssetrompaient,aprèstout?Etsic’étaitlesgentilsgarçonsqui finissaienttoujoursvainqueurs? Finduséjour, maisdébut detantd’autreschoses Àminuitetdespoussières,Maragrimpal’escaliermenantàlachambremansardée.Elletrouva Jacquiendormiesurlacouchetteduhaut. –Jac?Tudors? Jacquilevalatête. –Plusmaintenant! Maras’assitauborddulitetretiraseschaussures.Quandellerelevalesyeux,Elizafranchissait leseuil. –Salut! Celaluifaisaitplaisir,qu’ellessoienttoutestroisréuniespourladernièrenuit. Éclatantedanssarobeblanche,Elizaenvoyavalserseschaussuressurlesol. –Aide-moi,Mara!dit-elleencommençantàpoussersonlituneplacecontrelacouchettedeson amie.Descends,Jacqui!chuchota-t-elle. Toutestroissepelotonnèrentsurledoublelitimprovisé,réconfortéesparlachaleurdesdeux autres. ElizaleurracontaqueJeremyetelles’étaientréconciliés. – Je l’aime tellement ! dit-elle, enfouissant son visage dans l’oreiller tant elle se trouvait lamentable.MaisBuffaloestsiloin. –Jesuissûrequevousvousverrezquandmême,assuraMara. Elle aurait pu dormir dans le lit de Ryan, mais en avait décidé autrement. La semaine qu’ils venaientdevivreétaitdignedesscènescentralesdeTitanic–avantquelebateaunecoule,alorsque toutétaitencoreparfait,torrideetexcitant.Maissadernièrenuitici,elleavaitvoululapasserdansla chambredesfillesaupair.Çaluiparaissaitlaseulechoseàfaire. Jacqui leur annonça que Kit avait proposé de les conduire ensemble à New York. Tant mieux. Ellesn’auraientpasàprendrelebus.Pourquoi,alors,étaient-ellessidéprimées? –OnsereverraàNoël,ditEliza,formulantàvoixhautecequ’ellespensaienttoutestrois. Chacunesavaitquelesautresluimanqueraient.Ellesavaientbeaucoupappriscetété. –Ilnousfaudradesmaillotsdebaind’hiver!ajoutaEliza. –PalmBeach...,ditMarad’unevoixrêveuse. UneautreopportunitédequitterSturbridge. –C’estcomment?demandaJacqui. –Géant!réponditElizadansunbâillement.Dessoirées,desgalas...ilnousfaudraàtoutesune nouvellegarde-robe! Elle ferma les yeux. Mara s’endormait elle aussi. Jacqui se tourna sur le côté, ramenant les couverturessurelle. Leur séjour s’achevait. Elles avaient fait tout ce qu’elles voulaient faire et même, parfois, ce qu’elles n’auraient pas dû faire. Le lendemain, elles emprunteraient la route de Montauk pour la dernière fois. Elles retourneraient chez elles. Un peu plus mûres, un peu plus sages, et incontestablementplusséduisantes. Pourfinir,ellesavaientvraimentpasséunétéderêve. Lespetitesannoncestenaientparfoisleurspromesses. FABULEUXBAINSDEMINUIT Traduitdel’anglais(américain) parFlorenceSchneider CeromanesttendrementdédiéàJennieKim, parcequ’onnepeutécrire surdesmeilleuresamiessansenavoirune, àSaraShandler,éditeurextraordinaire, parcequecelivreestlesienautantquelemien, etàMikeJohnston,parcequec’estcommeça. Ilestplushonteuxdesedéfierdesesamisqued’enêtretrompé. LaRochefoucauld «It’sgettin’hotinherre.»Çachauffelà-dedans! Nelly OùElizaapprendquefeu etsoufresonttrèstendance cetété Ça ne payait pas de mine, mais sans doute était-ce à cause de l’heure. Il était trois heures de l’après-midi et, au Septième Cercle, la dernière-née et bientôt la plus branchée des boîtes des Hamptons, les festivités ne débuteraient qu’après minuit. Ancienne grange à pommes de terre, le SeptièmeCercleétaitunbâtimentalambiquéàlafaçadecouvertedebardeauxmarron,nichédansles boisdeSouthampton.Seulunsignediscret(septcerclesaccrochésàunarbre,toutsimplement),en retraitdel’autoroute,indiquaitauxinitiésqu’ilsétaientparvenusàdestination. ElizaThompsongarasaberlinenoiresurleparking,àlafoissatisfaiteetnerveuse.Ellevérifia sonmaquillagedanslerétroviseuretappliquauneépaissecouchedegloss.Puiselleplaçaentreses lèvresunmouchoirenpapieretleretiralentement,ainsiqueleconseillaitlemagazineAllure, afin d’éviterdeseretrouveravecdurougesurlesdents. Elles’assuraquesonbrillantàlèvresChaneln’avaitpasbavé.Rien.Parfait. Eliza prit son sac Balenciaga en cuir métallisé, le modèle que tout le monde s’arrachait ces derniers temps. Elle l’avait acheté à Palm Beach, pendant les vacances de Noël, alors qu’elle travaillaitcommefilleaupairpourlesPerry.Ilcontenaitunefeuilledepapierenrouléerésumantles brillantesqualificationsd’Eliza:sesannéesdelycéeàlaSpenceSchool(dumoinsjusqu’àlafaillite de ses parents, l’année précédente, et le déménagement à Buffalo qui s’ensuivit) et un stage au magazine Jane (où aller chercher du lait de soja allégé et classer les vernis à ongles par ordre alphabétiquefaisaientpartieintégrantedesesattributions),ainsiqu’unelettrederecommandationde sonamidelonguedate,KitAshleigh,jeunehommetrèsenvueàManhattan. Lavieredevenaitpresquebelle,pourEliza.Certes,lesThompsonvivaienttoujoursàBuffalo, uneviequin’avaitrienàvoiravecl’existencedoréequ’ilsavaientmenéeàNewYork.Mais,aulieu d’êtrelocatairesd’unminabletrouàrats,ilsétaientdésormaispropriétairesd’untrèscorrectquatre pièces dans la seule tour haut de gamme de la ville. Grâce à quelques vieux camarades et clients fidèles, son père remontait peu à peu la pente, et Eliza avait à nouveau de quoi s’offrir des sacs à milledollars(OK,avecunecarteàdébitdifféré).Vusesnotesetlesrésultatsdesontestd’évaluation pourentreràlafac–quicomptaientparmilesmeilleurs,Elizaétaitloind’êtregourde–elleavaitde bonneschancesd’obtenirunebourseetdeparvenir,enfindecompte,àintégrerPrinceton.Cetété, ses parents avaient même loué un modeste bungalow à Westhampton. Il avait la plus petite piscine qu’Elizaaitjamaisvue–quasimentunebaignoire!–maisc’étaittoutdemêmeunemaison,elleétait àeux(dumoinspourl’été),etellesetrouvaitdanslesHamptons. Uneseulechoselamettaitmalàl’aise:cequis’étaitpassécethiver,àPalmBeach.Elleaurait préféréétoufferl’affaire,maislesnouvellescirculaientvitedanslesHamptons.Elizasavaitqu’illui faudraitrapidementcracherlemorceau. Ellebalayacettepensée–mieuxvalait,pourlemoment,seconcentrersurlatâchequ’elles’était fixée:décrocherunjobdanslaboîtelaplusbranchéedesHamptonsetreconquérirsontitredefille lapluscooldelaville. Avantlesproblèmesd’argentetBuffalo,Elizaavaitlaréputationd’êtrelafillelaplusjolieetla pluspopulairesurlecircuitdeslycéesprivésnew-yorkais.SugarPerry,quirégnaitdésormaisàsa place, n’était qu’une pâle copie d’Eliza du temps où celle-ci était le centre d’attention. C’était elle, alors,quilançaitlesmodes(lesrefletsplatine,entreautres),quiétaittenueaucourantdesmeilleures soirées(lesmardischezButter),etquisortaitaveclesmecslespluscraquants(CharlieBorshok,qui jouait dans l’équipe de polo, et que Sugar avait également récupéré). Tout avait changé quand sa situationdefilleaupairétaitapparueaugrandjour.Maisc’étaitunenouvelleannée,unnouvelété,et une nouvelle Eliza – qui par bonheur ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’ancienne Eliza, la fillequetouslesgarçonsrêvaientdeconnaîtreetquetouteslesfillesrêvaientd’être. Iltombaittoujoursunepetitepluiefroide–cesaversesétaientcaractéristiquesdudébutdumois dejuin–quandElizaémergeadelaberlinequ’elleétaitparvenue,àforcedesupplications,àsoutirer àsesparentspourl’été.Ellejetauncoupd’œilàsontéléphoneportable,histoiredevoirsiJeremyne luiavaitpaslaissédemessage.L’étédernier,ElizaétaittombéeamoureusedeJeremyStone,lebeau gosse de dix-neuf ans qui s’occupait du jardin des Perry. Mais ils avaient rompu cet hiver, parce qu’ils habitaient trop loin l’un de l’autre. Maintenant que c’était de nouveau l’été, Eliza mourait d’enviedelerevoir.ElleignoraitencorequelrôlejoueraitJeremydanssesplanspourrevenirsurle devantdelascène,puisqu’iln’étaitnirichenicélèbre(maisilétaittoutdemêmetrès,trèsmignon). Ellesavaitsimplementqu’ellecomptaitbienl’yintégrer.Comment,c’étaituneautrehistoire. Pasdenouveauxmessagesoutextos.Elizafourrasontéléphonedanssonsacetsedirigeavers laboîtedenuit. La porte était grande ouverte. Elle entra donc. Le Septième Cercle : le lieu incontournable cet été... Or voilà, Memorial Day était passé depuis une semaine, et la boîte n’avait toujours pas été inaugurée. Une épaisse et récente couche de sciure jonchait le sol, et les types de l’équipe de construction étaient encore sur place, se hurlant des ordres les uns aux autres. La structure de la grangeavaitétémodifiée,defaçonàpouvoiraccueillirunbarenzincenformedeferàchevaletun meublerange-bouteillesconçuspécialementpourlelieu.Hautdepresquehuitmètres,iloccupaitle murdufond. Tousleshommeslevèrentlatêteàl’arrivéed’Eliza.Certainssifflèrentàlavuedesesjambes halées, sous sa mini-robe rose – dans laquelle n’importe quelle autre fille aurait paru grosse ou enceinte.Eliza,quantàelle,paraissaitjolieetsexy. –Salut,jeviensvoirlespatrons...AlanouKartik?dit-elleenfaisantunequeue-de-chevaldeses longscheveuxblonds. L’undesouvriersémitungrognementetdésignalefonddelasalle.Elizaenjambadélicatement un bac à peinture et, se frayant un chemin à travers les établis et deux ou trois sacs de pommes de terrepoussiéreux,sedirigeaversdeuxtypesquibraillaientdansleurstéléphonesportables. C’étaientlessoi-disantroisdesnuitsnew-yorkaises.Maisbienqu’ilseussentpudresserunepile haute jusqu’au plafond avec tous les articles parus sur eux dans les journaux, ni l’un ni l’autre ne dépassait le mètre soixante-cinq. Eliza les dominait, sur les semelles compensées hautes de dix centimètres de ses chaussures Christian Louboutin. Alan Whitman avait une calvitie naissante et le teint cireux, mais sa réputation datait du collège, époque où il avait commencé à dealer de l’herbe dans les boîtes tendance. Il avait lentement gravi les échelons dans les clubs les plus branchés de Manhattan, jusqu’à avoir rassemblé suffisamment d’argent pour ouvrir trois aires de jeux pour célébrités–leVice,leCirqueetlaPluie-d’Or.Ilaimaitraconterqu’avantqu’ilnelaprenneenmain, ParisHiltonn’étaitqu’unemignonneélèvedesecondeducouventduSacré-CœurdeNewYork,qui remontait ses jupes d’uniforme autour de la taille pour les faire paraître plus courtes. C’est lui qui avaitfaitentrerParisdansl’unedesesboîtesalorsqu’elleétaitencoremineure.C’estlui,encore,qui avaitprévenulapresseàscandalequandelles’étaitmiseàdansersurlestables–ouàendégringoler. Quant à son collaborateur Kartik (connu sous ce seul nom), il venait de Miami et, dans son adolescence,avaitétépoteavecMadonna–laquelleétaitalorsuneicônepopquiportaitdescolliers dechien,etnonuneauteuredelivrespourenfantsmalfagotéequisefaisaitappelerEsther. –Commentça,vafalloirattendrepourvendredel’alcool?Turigolesouquoi?glapissaitAlan danssontéléphone. –Évidemmentqu’onalalicence,bébé!assuraitKartikd’unevoixmielleusedanslesien.Onest prêtsàdémarrer.Toutestaupointpourl’after,yapasdesouci! Elizasetenaitpatiemmentàl’écart,regardantlesdeuxtypesraconteràleursinterlocuteursdeux histoires différentes. C’était encourageant, vraiment : si Alan Whitman, ex-ado boutonneux qui revendaitdessachetsdemarijuanacachésdanssonsacàdosdelycéenpouvaitdevenirlepatronde boîteleplusréputédeNewYork,ElizaThompson,coqueluchedéchuedeManhattan,trouveraitbien lemoyenderégnerunjoursurlesHamptons! Ensoixantesecondeschrono, Mararedevientquelqu’un Envoyantlalimousineextra-longues’engagerdanssonallée,MaraWaterscompritquesavie allaitredevenirintéressante.Iln’étaitpasrare,pendantlapériodedesbalsdepromo,detrouverdes limousines de location garées devant les petits ranchs proprets. Mais celle-ci n’arborait pas un autocollant«LOUEZ-MOI.COMPOSEZLE1800!»sursonpare-chocs.Aulieudeça,ilyavaitun chauffeur en uniforme, qui ouvrit un parapluie au-dessus de la tête de Mara et prit les bagages des mainsdesonpèrestupéfait. AnnaPerryavaitditàMaraqu’elleenverraitunevoiture,maisMaranes’attendaitpasàquelque chose d’aussi somptueux. Mais il est vrai qu’Anna Perry, la très jeune et très capricieuse seconde épouse de Kevin Perry – l’un des avocats les plus réputés et les plus redoutés de New York –, ne faisait rien comme Madame Tout-le-monde. Elle avait exigé que Mara soit sur place le plus vite possibleet,engénéral,Annaobtenaitcequ’elledésirait.Sesnouveauxvoisins,lesReynolds,devaient serendredanslesHamptonsdepuisCapeCoddansleurjetprivé.Ellelesavaitconvaincusdeprendre Maraaupassage. RetournerdanslesHamptonsenjetprivé...Voilàquicontrastaitdutoutautoutavecsonretourà Sturbridge,enaoûtdernier,dansuncarenpiteuxétat.Ellevenaitdepasserleplusbelétédesavieet desefairelesmeilleuresamiesdumonde:Eliza,uneNew-Yorkaiseissued’unefamillerichissime maisruinée,etJacqui,unefilletellementsublimequeleshommessejetaientlittéralementàsespieds. Onlesavaitengagées,cetété-là,pourveillersurlesenfantsPerry,contrelajoliesommededixmille dollars. Mais leur amitié avait été encore plus précieuse. Toutes trois étaient aussi différentes que possible. Or, entre le gratin à conquérir, les fêtes où s’incruster et les enfants à surveiller, elles avaientforméuneéquipesoudée. SiMaraavaitpasséunétéaussimerveilleux,c’étaitaussigrâceàRyanPerry,lefrèreaînédes gamins qu’elle gardait. Elle était tombée follement amoureuse de lui, et ils avaient fini par sortir ensemblependantladernièresemaine.Aumomentdesadieux,elleluiavaitditqu’elleauraitvoulu pouvoir le ramener chez elle, afin qu’il rencontre sa famille et voie où elle vivait. Mais quelques heures plus tard, quand elle était descendue au minable arrêt de Sturbridge, cela avait cessé de lui paraîtreunebonneidée. ElleeutleventrenouéquandsasœurMeganvintlachercherdansleurFordTaurus1988toute cabossée. Mara portait toujours sa tenue fétiche des Hamptons : un corsage à liseré en dentelle, un treillisdélavéetdesmulesàtalonsornéesdestrass.Sescheveuxsentaientencoreleshampooingàla lavande d’Eliza, mais, à la vue de la voiture de sa sœur, la réalité la frappa de plein fouet. Mara n’avaitjamaiseuàrougirdesesorigines.MaisaprèsunétépassédanslesHamptons,voilàqu’elle pensasoudainNon,cen’estpasassezbien.LafamilledeRyanavaitunchefcuisinieràdemeure,celle deMaraunmicro-ondesvieuxdequinzeans. ElleinventaunefouledeprétextespourremettreàplustardlavisitedeRyan,prétendantavoir unexamenàréviserouunedissertationàrédiger.Enfin,ennovembre,ellepritletrainpourGroton, afindeluirendrevisitedanssonlycéeprivéarchisélect.Maiselleeutl’impressiondedétonnerparmi les amis de Ryan, et cela la mit mal à l’aise. La semaine suivante, elle rompit, lui disant ce qu’elle n’avait cessé de se répéter depuis son retour à Sturbridge : ils s’étaient bien amusés pendant l’été, maiscen’étaitpaslavraievie.Entreeux,çanepourraitjamaismarcher. Quitter Ryan était une chose. L’oublier en était une autre. Elle pensait constamment à lui et regrettait, sans oser se l’avouer, qu’il n’ait pas cherché davantage à la faire changer d’avis. À l’annoncedelarupture,ils’étaitmontréparfaitementcompréhensif,etc’étaitlàleproblème:Ryan était presque trop gentil. Si seulement il avait hurlé ou pleuré, ou s’était battu pour sauver leur relation ! Peut-être, au fond, ne souhaitait-elle que cela ? Qu’il lui dise qu’elle lui manquait, qu’il avaitvraimentbesoind’elle.Orils’étaitcontentéderépliquer:«Sic’estcequetudésires...»Ceà quoielleavaitrépondu:«Oui.»Ilsavaientdoncrompuet,depuis,plusdenouvellesdeRyan. ElleavaitpolimentdéclinélapropositiondegarderlesenfantsPerrypendantleursvacancesde NoëlàPalmBeach–ellecraignaitquecelaneluifassebizarrederevoirRyan.Or,auprintemps,elle nel’avaittoujourspasoublié,etavaitréaliséquelleerreurçaavaitétéderompre.Elleétaittoujours amoureusedelui,sibienquequandAnnaPerryl’avaitappeléepourluiproposerdereprendreson ancienne place (avec une augmentation : douze mille dollars pour l’été !), Mara s’était aussitôt demandécequ’elleporteraitquandellereverraitenfinRyan–etqu’ilsretomberaientdanslesbras l’un de l’autre, comme si l’année écoulée n’avait jamais eu lieu. Elle avait tant de fois imaginé la scènequ’ellecommençaitréellementàcroirequeçanepouvaitpassepasserautrement. Il plut durant tout le trajet jusqu’à l’aérodrome privé de Barnstable, à Hyannis. La voiture s’arrêtajustedevantletarmac.Sousunetenteblanche,onavaitdérouléuntapisrougepouraccéderà unavionargentéauxformesprofiléesexhibant,surl’aile,un«R»étincelant.Lorsqu’unstewardvêtu d’ununiformebleuimpeccablepritsessacs–sescabasLLBeanadorés,achetésl’étédernier–,Mara constata avec embarras que le chariot à bagages ne contenait que d’élégantes valises à roulettes en étoffedenylon.Pourquoifallait-iltoujoursqu’ellesoitàcôtédelaplaque? Une grande femme en caftan brodé et pantoufles de raphia, arborant le plus gros diamant que Maraeûtjamaisvu,luifitsigned’avancer,depuislehautdelaramped’accès. –Dommagequ’ilpleuve,n’est-cepas!Ilsontannoncédesaversesmaistoutdemême...C’est presque un ouragan ! Je me présente : Chelsea Reynolds. Bienvenue, bienvenue ! Vous y voilà... Attentionàlaflaque,surladernièremarche!Annam’ademandédedéposeruneamie,maisellene m’ajamaisditquec’étaitvous! Commentça,elle?Maras’apprêtaitàluiposerlaquestion.Maiselleavaitàpeinemislepied dansl’avionqu’onl’enlaçachaleureusement. –Sicen’estpasMlleWaters!Ladiva!Oùétais-tupassée,machérie?demandaLuckyYapen rajustantsonboubouimpriméléopard. Luckyétaitl’undesplusimportantsphotographesspécialisésdanslapressepeople.C’étaitlui, le véritable arbitre de la vie mondaine. Si vous étiez en vue, Lucky prenait votre photo. S’il ne le faisaitpas,vouspouviezaussibiendéménagerducôtéduNewJersey. –SalutLucky! Mara sourit, tandis que Lucky embrassait l’air autour de son visage. Il lui tendit une coupe de champagneetlaprésentarapidementauxautrespassagers,unparfaitéchantillonnagedesnobinards desHamptons,tousvêtusdevêtementstraditionnelsafricainsàimpriméssimilaires–ilsparaissaient revenird’unsafariauKenya.Ilyavaitquelquesnomsimportants,etlesparasiteshabituels–mélange d’héritièresauthentiques,debeautésmondainesbienconservées,etdejoliesattachéesdepressequi accompagnaientlesprésentatricesdeE!,lachaîneconsacréeauxcélébrités. –ToutlemondeconnaîtMara,n’est-cepas?Mamuse?braillaLucky. L’été dernier, Mara avait aidé Lucky à mener à bien une mission délicate. En gage de reconnaissance,lecélèbrepaparazziavaitimposésaprésencedanslespagespeople. –Biensûr,répliquaunefilleaucharmantvisage.OnneseseraitpasrencontréesauPoloGrill? –J’adorevotrechemise.EllevientdechezProenza?demandal’unedesjournalistesdemodeen palpantl’étoffedesonchemisierroseàpois,qu’elleportaitavecunbermudablancetdesespadrilles àsemellescompenséesenliège. Ayant passé tout un été en compagnie de deux bêtes de mode – Jacqui et Eliza –, Mara avait forcément recueilli quelques tuyaux. Flattée du compliment, elle n’eut pas le cœur d’avouer que c’étaituneimitationqu’elleavaitpayéquinzedollarschezH&M. Luckypritplusieursphotosd’elle,puissepenchapourglisserquelquesmotsàl’oreilledesa voisine.Maradistinguaparmileschuchotementsquis’ensuivirentsonnomassociéàceluideRyan Perry. L’hôtesse la conduisit au siège libre le plus proche, et Mara sirota son champagne avec délectation, savourant l’atmosphère et écoutant les potins qu’ils ramenaient du mariage auquel tous avaient assisté, à Cape Cod. Après une année à Sturbridge, où le piano-bar de l’hôtel Hyatt était l’endroitlepluschicdelaville,elleavaitoubliécommentvivaientlesheureuxdecemonde. –Oh,voilàGarrett!murmuralavoisinedeMarad’unevoixhaletante. –MonsieurReynolds!s’exclamaLucky.Jepeuxvousprendreenphoto? Levantlesyeux,Maravitémergerducockpitunjeunehommeauxcheveuxenbataille.Aussitôt, toutes les filles du groupe se redressèrent et tentèrent de croiser son regard. Il brandissait une bouteilledechampagne,ungrandsourireauxlèvres.Ilétaitdiaboliquementbeau,avecsesmèchesde cheveuxnoirsàlaJudeLawquiluiretombaientsurlefront.Sachemiseblancheetfroisséesortaità moitiédesonpantalonnoirenflanelle. –Toi!dit-ilenfranchissantl’alléecentraleetenpiquantdroitsurMara. Son regard noir et profond, aussi sombre que ses cheveux, était mis en valeur par les cils les plusfournisqu’eûtjamaisvusMara. –Viensavecmoi!dit-il,enlaprenantparlamainsansqu’ellepuisseprotester. CommeGarrettl’entraînait,legroupes’écartapourleslaisserpasser.Cachantmalleurjalousie, les filles fusillèrent Mara des yeux, pendant que Lucky hochait la tête en signe d’approbation. Heureuse d’avoir été distinguée, Mara se sentit spéciale et ne put s’empêcher de penser : Ohé les Hamptons,merevoilà! Jacquiretrouvesonsérieux... enmatièredeshopping Avecungrandsourire,lecaissierdelalibrairieBookhamptonluifitsignederangersacarte bancaire, bien que Jacqui insistât pour payer ses livres. Elle aurait bien aimé, juste une fois, rencontrerungarsquivoieenelleautrechosequ’uncorpsdignedefigurerdanslecalendrierPirelli. Ça commençait à lui taper sur les nerfs, d’être traitée comme un joli petit animal par des hommes toujours prêts à signer des chèques, à régler la note, à ramasser l’addition. Il n’y avait pas si longtempsqueça,Jacquileslaissaitvolontierspayer.Elleavaitunegarde-robepleinedevêtements Louis Vuitton, Gucci ou Prada pour en témoigner. Mais les choses avaient évolué. L’été dernier, l’horrible Luca Van Varick lui avait brisé le cœur. Depuis, elle était déterminée à devenir une fille bien,quelqu’unquel’onpourraitprendreausérieux. –Porfavor,j’insiste,répétaJacqui,s’efforçantdelefairechangerd’avis. –Désolé,votreargentn’estpasvalableici,répétalecaissierboutonneux,mêmesiJacquisavait quesonbossnelerateraitpasaumomentdescomptes. Mais c’était l’effet que Jacqui faisait aux hommes. Quelque chose – ses yeux légèrement en amande,peut-être,ouseslèvrespulpeuses(sansparlerdesonimpressionnant95C)–transformaitun vendeur binoclard de quarante et quelques kilos en bouffon protecteur et macho gonflant le torse, capabledetoutpourl’impressionner. –Cadeaudelamaison!ajouta-t-il. Jacqui soupira, prit à contrecœur le sac en plastique et le glissa dans son fourre-tout en cuir verni.Ellesortitettraversalarue,afind’allers’installersurundesbancsduparcpourattendreEliza. Quellebellejournée!Àl’aversedumatinavaitsuccédéunrayonnantsoleildejuinetunpépiement continu s’échappait des minuscules boutiques de Main Street : en cette nouvelle saison qui commençait,quelsvêtementschoisirpourlesbarbecuessurlaplage,oupourlescocktailsdesventes decharité?JacquiignoralesœilladesdesfrimeursroulantenPorsche,etlesregardsscrutateurset jalouxdelabrigadedesbotoxisées.Elles’assitetseplongeaaussitôtdanslalecturedesonouvrage, unguidedesmeilleuresfacultésd’Amérique. Étonnant,commeconsacrerunpeudetempsàsesétudesavaitaméliorésesrésultatsscolaires! C’étaittellementgratifiantderamenerchezelleunrelevédenotescorrect,pourchanger.Sagrandmère n’en revenait pas – au cours de l’année dernière, Jacqui avait passé plus de temps à la bibliothèque que dans les galeries commerciales, et elle parlait même d’entrer à l’université. Autrefois,laseulechosequipassionnaitJacqui,c’étaitdesavoirsielleparviendraitàmettrelamain avant tout le monde sur la dernière étole en fourrure de chez Prada. Autrefois, elle n’avait qu’une vague idée de ce qu’elle comptait faire plus tard. Elle s’était toujours figuré qu’elle finirait par épouseruntypedeuxfoisplusâgéqu’elleetparoccupersavieencuresdethalassoetessayageschez lesgrandscouturiers,toutenfermantlesyeuxsurlesinfidélitésdesonmari.C’estàcegenredevie quesonéducationl’avaitpréparée. Samère,ex-deuxièmedauphineàunconcoursdeMissUnivers,avaiteusonlotdesoupirants– dufilsdupatrondelaplusgrandecompagnied’électricitédupaysaufilsd’ungrandpropriétaire terrien éleveur de bovins. Au lieu de ça, elle avait préféré épouser un bel ingénieur en génie civil, doté de merveilleux yeux noirs et d’une totale absence de fortune familiale. Roberto Velasco appartenait résolument à la classe moyenne dans un pays d’extrême richesse et d’extrême pauvreté. LesVelascomenaientuneexistenceplutôtheureuseàCampinas,lamèredeJacquisecontentantde régenterlabonnesociétélocale.Maiselledésiraitdavantagepoursafille.C’estpourquoiellel’avait envoyéevivrechezsagrand-mèreàSãoPaulo.Là,Jacquiavaitfréquentélamêmeécoleprivéeque lesfillesdesmembresdelaclassedirigeante. Or son beau visage et ses courbes voluptueuses n’avaient fait qu’attiser la jalousie des filles riches, avec qui elle n’avait pas pu, par conséquent, se lier d’amitié. Pendant un temps, elle était consciencieusementsortieaveclesarrogantsrejetonsdespropriétairesterriensetdesproducteursde sucre.Maiselles’étaitvitelassée,etavaitdécouvertquelavéritableaventuresetrouvaitplutôtdans lesbrasdeleurspères,mariésetplusâgés. C’estalorsqueLukeVanVarick,sonLuca,étaitentrédanssavie.UnsympathiqueAméricainau sourire flegmatique, portant un énorme sac à dos... Elle l’avait rencontré alors qu’il profitait des vacancesdeprintempspourexplorerlepays,etelleenétaittombéefollementamoureuse.Auterme d’une aventure de deux semaines, il lui avait dit qu’il l’aimait et avait disparu dans la nature. Elle l’avaittraquéjusqu’auxHamptons,maisils’étaitavéréquesonLucaavaittoujoursappartenuàune autre. Si bien que Jacqui avait changé son fusil d’épaule : elle ferait un si bon boulot cet été que les Perry la recommanderaient comme nounou à demeure chez l’un ou l’autre de leurs amis fortunés. Ainsiellepourraits’installeràNewYorketsuivre,grâceàunprogrammed’échanges,uneterminale au lycée Stuyvesant, établissement privé très sélectif. Si elle y obtenait de bons résultats, elle aurait unechancedepouvoirentreràl’universitédeNewYorketdefairequelquechosedesavie.Elleétait reconnaissante à Kit, un ami d’Eliza, de lui avoir mis cette idée en tête lorsqu’ils avaient traîné ensembleàPalmBeach,pendantlesvacancesd’hiver.Illuiavaitparlédesasœuraînée,quin’enavait pasfichuunerameaulycéejusqu’àlaterminale,etétaitdésormaisenpremièreannéeàl’université deNewYork. Afin de pouvoir réaliser ses rêves, Jacqui s’était fixé une série de règles, la principale étant : Finilesgarçons!Ilsn’étaientbonsqu’àvoustroublerl’esprit,etsiJacquiavaitpurésisterauxplus beaux gosses du Brésil, elle pourrait aisément faire de même aux Hamptons. Elle parviendrait à garder la tête froide, à s’occuper des gamins et à assister à des cours de préparation à l’examen d’entréeàlafac,lessoirsoùelleauraitquartierlibre.GrâceàDieu,elleprouveraitaumondequ’elle n’étaitpasqu’unclonesanscervelledeGiseleBündchen. Elleétudiaattentivementlespagesduguide:ilcontenaitles photographies d’étudiants en pull assissurdespelousesverdoyantes,d’innombrablestableauxstatistiquesconcernantladiscrimination positiveetlesboursesaccordéesauxélèvesméritants,etdestémoignagesd’élèves.Bon...c’étaitun peu ennuyeux, certes. Sans doute pouvait-elle trouver mieux à faire, en attendant ? Elle referma l’ouvrage et consulta sa montre. Eliza devait passer la prendre dans une demi-heure et la boutique Scoop paraissait affreusement tentante, sur le trottoir d’en face. Ce n’était pas parce qu’elle prenait sesétudesausérieuxqu’ellen’avaitplusledroitdeselivreràsonpasse-tempsfavori,toutdemême. Unefilleavaitbienledroitdes’acheterunnouveaubikini,aprèstout. Elizaapprendquel’enfer estpavédecélébrités –Tuasdéjàtravaillécommeserveuse?demandaAlanWhitman,lorsquetoustroiseurentpris placesurdesfauteuilsclubenveloppésdehoussesenplastique,aufonddelasalle. Ilavaitàpeinejetéuncoupd’œilauCVd’Eliza.Augranddamdecelle-ci,sonfauteuilémettait, chaque fois qu’elle bougeait, une sorte de couinement évoquant un phénomène physique embarrassant.Parbonheur,aucundesdeuxhommesneparaissaits’enrendrecompte. – Pas véritablement, répondit-elle. Mais j’ai hâte d’apprendre. À ce que j’ai lu dans le Times, vousavezl’intentiond’étendrevosactivitésàlapublicité,àlacommercialisationetaulancementde produitsdemarque,etc’estvraimentversçaquej’auraisenviedeme... –Tuconnaisdespeople?Desgensenvue?l’interrompitKartik,l’airconcentré. –Euh...,hésitaEliza. –AshleyetJessicaSimpson?OulessœursPerry? –Biensûr,onfréquentait...euh,enfin...onfréquentelemêmelycée,dit-elleavecsoulagement. – Comme tout le monde... Mais tant mieux ! On a vraiment besoin de ce genre de clientèle, répliquaKartikenfronçantlessourcils.Ilyacinqnouvellesboîtesquiouvrentcetété,etilnousfaut lesgenslesplusexcitants.Jeneveuxpasdehasbeen,deploucs,oudemochetés.JeveuxvoirMaryKateOlsenvomirdanslestoilettes,situvoiscequejeveuxdire. Elizahochalatête. – Bordel, Kartik, c’est pas parce qu’elle t’a envoyé balader que tu dois être si dur avec elle ! s’esclaffaAlan. Sonpartenairel’ignora,préférantsonderElizaduregard. –Jepeuxpastedireàquelpointilestcruciald’avoiriciquelqu’unquisachereconnaîtretoutle monde,deTaraReidauxphotographesdelapage6duNewYorkPost.Ilfautconnaîtrelemondedela nuit. Ilmarquaunepause,pourdonnerplusdepoidsàsesparoles. –Onaeuungars,àlaPluie-d’Or,quin’apaslaisséentrerJCChasez!OK,jesaisquelesgars de’NSyncnesontpasfacilesàreconnaîtresansJustinTimberlake,maismec,çaaétémafête,jete dis pas ! Tu saisis, une fois que ça aura démarré, ici ce sera Beverly Hills, SoHo et Saint-Tropez réunis.Etauborddelamer,quiplusest! Elizas’abstintdeluifaireremarquerqueSaint-Tropezétaitauborddelamer. – Ton rôle est super-important. Tu es comme un meneur de jeu qui doit savoir négocier ses virages, glissa Alan en s’embrouillant dans ses métaphores sportives. Tous les soirs, le Septième Cercle va être le centre du monde, tu saisis ? C’est comme ça qu’on fonctionne. Une sacrée constellationdestars!s’exclama-t-ilentapantdupoingsurleplateauenzincdelatablebasse. –Çamarchecommeça,ditKartikd’untonsuffisant.Pourcommencer,ilfautdescélébrités.Ce sont elles qui attirent les ploucs prêts à payer trente dollars d’entrée pour pouvoir les regarder bêtement. Alanapprouvaetprécisa: –Lescocktailsdevingtcentilitreshorsdeprixetallongésd’eauonttoujoursmeilleurgoûtsi Chauncey Raven est à la table voisine, en train de faire des mamours à son dernier mari en date. Alors,invitelessœursPerry,dégote-leurunetableetfaisensortequ’ellesoitaudeuxièmeniveau,là où elles pourront voir tout le monde, et où tout le monde pourra les voir. La règle d’or : faire en sortedesatisfairelespeople.Pigé? – Ne jamais rien leur refuser ! enchaîna Kartik, et il vint aussitôt à l’esprit d’Eliza qu’elle assistaitàunnumérobienrodé. –LindsayLohanveutqueDominoluilivreunepizzaàtroisheuresdumatin.Pasdeproblème! AvrilLavigneabesoind’unhélicoptèreprivépourretournerenville?Riendeplussimple!R.Kelly veutunestrip-teaseusepoursasoiréed’anniversaire.Yaqu’àdemander! Ilbranditunpoingpoursoulignerl’importancedesesparoles. Eliza hocha vivement la tête. Au magazine, lors d’une séance photo, on lui avait demandé de remplirlacuvettedepétalesdegardéniaschaquefoisqueladivaphotographiéeallaitaupetitcoin. Parconséquent,elleavaitl’habitudedesatisfaireauxexigencesridicules. –Biensûr,pourlescivils,lesrègleschangentdutoutautout,ditAlansuruntonmielleux.Si c’estungroupedemecs,multipliel’additionpardeux,ilsnes’enrendrontpascompte.Neleurdonne jamaislamêmetable,àmoinsqu’ilsn’enaientréservéunepourl’étéentier.Danscecas,dèsqu’ils ontfinileurbouteilleàcinqcentsdollars,tuleurenrapportesune.Qu’ilsenconsommentminimum deuxparheure.C’estcequipermettrad’essuyerlesfraisgénéraux. –Etn’oubliepas:fautt’habillersexy,êtresexy,tesentirsexy,tuvoiscequejeveuxdire,ricana Kartik.Crois-moi:minijupeégalemaxi-pourboire.Etquandjedismini,c’estplutôtraslesfesses, hein,bébé? Iljoignitlegesteàlaparoleencinglantlehautdesescuissesaveclatranchedesamaindroite. Alantenditlamainetsaisitlecouded’Eliza,quieutunmouvementderecul. –Et,quoiqu’ilarrive,nelaissejamais–jedisbienjamais–entrerquelqu’unquin’estpassurla liste.Laliste,c’estDieutout-puissant!Mapropremèrepourraitêtrelààpoireauterdehors,sielleest passurlaliste...ehbenpasdebolm’manmaisturentrespas!Laseuleexception,c’estlescélébrités, maisça,çavasansdire.Là-dessus,jerigolepas.Nelaisserentrerabsolumentpersonne,ilyaqueça àfairepourquecetendroitrestebranché. Un mannequin en tee-shirt taille 6 ans et jean déchiré sortit des toilettes et s’écroula sur l’accoudoirdufauteuild’Alan. –J’aifaim,bébé!geignit-elleenfaisantlamoue. Eliza la reconnut, pour l’avoir vue, dernièrement, dans une pub pour la marque de sousvêtementsVictoria’sSecret.Danslespot,lafilleétaitvêtued’unbodyendentelleetd’ailesd’ange.Le spotavaitagacéEliza–ilfallaitvraimentavoirunimaginaireérotiqueunpeunazepourassocierdes sous-vêtementsàdesappendicesringardsetcouvertsdeplumes. –Vavoirlecuisinier,qu’iltepréparequelquechose!rétorquaAland’unevoixirritée. –J’adoretoncollier,ditlemannequinavecuntrèsfortaccent,détaillantrapidementEliza. Celle-cihochalatête. –Merci. ElletripotalecordondecuirqueRyanluiavaitdonnéàPalmBeach,unpeunerveuse. – Qu’est-ce que tu en penses ? Tu te sens d’attaque ? reprit Kartik. Tu es prête à passer le meilleurétédetavie? Elizasourit,songeantquecen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleentendaitça. –Jecommencequand?demanda-t-elle. Ellen’enrevenaitpasd’avoirdécrochésifacilementleboulot.Elleseraitderetoursurledevant delascèneenmoinsdetempsqu’ilnefautpourdire«Strictementsurinvitation». –Samedi,répondirentenmêmetempsAlanetKartik. –Dansdeuxjours? Eliza blêmit, et jeta un coup d’œil alentour. Oh hé, les plaques de plâtre n’étaient même pas recouvertes... – Pas de panique ! la rassura Kartik. On inaugure la boîte en douceur avec l’avant-première d’Autantenemportelevent.Tusais,leremakeavecJenniferLoveHewittetChadMichaelMurray? C’estpourrendreunserviceàuneamie.MitziGoober,tuconnais? Elizahochalatête.MitziétaitlaRPlaplusredoutéedelarégiondeNewYork,rienqueça.À vingt-sept ans, elle avait eu son heure de gloire lorsque le magazine New York avait titré en couverture«Unefêtardequiaduchien!»:deuxansplustôt,elleavaitfaitunmoisdeprisonaprès quesonchihuahuas’étaitattaquéaugiletbordédefourrured’uneinnocenteserveuse,laquelles’était retrouvéeàl’hôpitaltandisqueMitzifaisaitlesgrostitresdesjournauxàscandale.Onracontaitque Mitziavaitridel’incidentettraitélaserveusede«victimedelamode»,déclenchantuneluttedes classes qui avait abouti à interdire aux chiens miniatures trop agressifs l’accès à certains cafés et restaurantsdesHamptons.OrvoilàqueMitziétaitderetour,unbest-selleràsonactif–lerécitdeson séjourenprison.Etelleétaitpluspopulairequejamais.C’étaitlesyndromeParisHilton:riendetel, danslesHamptons,quelapubliciténégative. –Mais...,balbutiaElizaendésignantlechaosenvironnant. Difficiled’imaginerque,dansmoinsdequarante-huitheures,l’endroitpourraitressembleràun barconvenable. –Oh,d’icilàilsaurontfini,crois-moi!Tuasquelâge,aufait? – Je viens d’avoir dix-sept ans..., dit-elle d’une voix hésitante, en se demandant si elle n’aurait pasdûmentir. Kartiklarassurad’ungestedelamain. –Pasdeproblème,dumomentquetunetravaillespasderrièrelebar. Elizaréalisaqu’elleignoraittoujourslanatureetl’importancedesafonction.Ellecraignaitde paraîtregrossièreendemandantdesprécisions,d’autantquel’entretienétaitvisiblementterminé.Elle seditqu’ilss’accorderaientplustardsurlesdétails. –Alorscommeçalesgars,vousêtesdesfansdeDante?leurlança-t-elleensedirigeantversla porte. –Hein? Kartik la fixa sans comprendre. Alan, quant à lui, avait commencé à bisouter le mannequin mineur.Sesmainsavaientdéjàdisparusousletee-shirtdelafille. –Lenomdelaboîte...leSeptièmeCercle.C’estleseptièmecercledel’enfer,non? Son nouveau boss la regarda comme si elle était demeurée. Elle se demandait bien pourquoi. Elle se rappelait avoir appris en cours de littérature que, dans La Divine Comédie de Dante, le septième cercle était l’endroit de l’enfer où la violence et l’orgueil avaient conduit Alexandre le Grand,AttilaleHunetuntasdepersonnageshistoriquesimportants. –Ouais,situledis...,répliqua-t-ilenhaussantlesépaules.Ilestcool,Dante.C’estlenouveauDJ quivientdeParis,c’estça? De toute évidence, être cultivée ne faisait pas partie des qualités requises dans son nouveau boulot. Porter une minijupe et satisfaire aux exigences des célébrités, c’est tout ce qu’on attendait d’elle.Cen’étaitpassorcier. OùMarafait (involontairement)unnuméro digned’unestrip-teaseuse – Je m’appelle Mara, au fait, dit-elle au beau brun occupé à déboucher une bouteille de champagne. Elle se demandait pourquoi il s’intéressait tellement à elle, alors que plusieurs filles, dans l’avion,gagnaientleurviegrâceàleurravissantminois.Etpourtant,illeuravaitàpeineaccordéun regard.Maraetluiétaientassisl’unenfacedel’autre,danslesconfortablesfauteuilsencuircaramel del’espacedétentesituéderrièrelecockpit. –Jesaisquitues,dit-ild’untonsirupeux.TutravaillespourlesPerry,pasvrai? Luitendantlamain,ilseprésenta: –GarrettReynolds. Maraavaitdéjàtirésesconclusions.C’étaitl’avionprivédesesparents.Etelleavaitaffaireàla fameuse famille Reynolds, les tout derniers milliardaires américains intronisés par le magazine Forbes. Le père de Garrett, Ezra Reynolds, contribuait à enlaidir le ciel de New York en marquant toussesimmeublesdelalettre«R». Garrettabaissaunetableplianteenmétaldissimuléederrièreunpanneaulatéral,sortitdesflûtes à champagne d’un meuble adjacent et entreprit de les disposer en deux rangées sur le plateau. Le personneldebordprocédaàlafermeturedesportesetl’avioncommençaderoulersurlapiste.Mara remarqual’absencedelaïussurlesconsignesdesécurité,l’évacuationd’urgence,oulamanièredese servirdesoncoussindesiègecommedispositifdeflottaison(quoiqu’elleauraitpariéquelevisonne flottaitpas).Garrettetelleétaientmêmeparmilesrarespassagersàêtreassis. – Ça m’a l’air méchant là-dehors, dit Mara, tandis que la tempête faisait bruyamment vibrer l’avion. –Onnedépassequed’undemi-pointlesnormesminimalesdesécurité,confirmaGarrett. Puis il lui expliqua que, contrairement aux lignes commerciales, tenues de respecter les consignes de l’administration fédérale interdisant les vols dans certaines conditions climatiques extrêmes (comme la violente tempête de pluie dans laquelle ils étaient pris), les avions privés n’étaient pas soumis à de telles contraintes. Du moment que la vitesse du vent ne dépassait pas certaineslimites,ilsétaientlibresdevoler. –J’ail’impressionquemamèretientànepasratersonrendez-vouschezlecoiffeur,s’esclaffa Garrett. Mara n’était pas sûre qu’il plaisantait. Cette Chelsea Reynolds était bien capable de risquer sa peaupourunbrushing.Maranes’étonnaitplusderien,vucequ’ellesavaitdelaviedanslabonne sociétédesHamptons. –Accroche-toi!l’avertitGarrett,encoinçantsoussonmentonlemagnumdechampagne. L’avion décolla comme une auto tamponneuse sur un trampoline, et Mara perçut les gloussementseffrayésdespassagersballottéscommedesboulesdeflipper.Parmiracle,lesverres, surlatable,nebougèrentpasd’unmillimètre. –Ilyadesaimantscollésendessous,expliquaGarrettavecunsourireenremplissantlesflûtes tandisquel’avion,secouédetouscôtés,prenaitdelahauteur. Maras’agrippanerveusementauxaccoudoirs,alorsquelefracasdutonnerreetlebattementde lapluiecontreleshublotslaissaientGarretttotalementindifférent. – C’est toujours aussi... euh... agité ? demanda Mara en s’efforçant désespérément de ne pas perdrel’équilibrecommel’avionrencontraituneviolenteturbulence. S’ilyavaituneceinturedesécurité,elleétaitbiencachée. – Avec les avions de petite taille, on est davantage secoué au décollage. C’est sûr, le climat n’arrangerien.Maisc’estriencomparéàl’atterrissage!ajouta-t-il. Lorsque toutes les flûtes furent remplies à ras bord de champagne, Garrett la fixa avec insistance.Maraneputs’empêcherdecomparersonregardàceluidesonchatBoulePuantequandil lorgnaitBlue,leperroquetdesasœur. –Ilyaunvieuxdictondansl’Ouest...,lançaGarrettd’unevoixtraînante,sanscesserdelafixer. Marasourit.C’étaitdoncpourcelaqu’ill’avaitchoisie!C’étaitunjeuquiauraitpus’intituler «Faisonsboirelanouvellevenue».Illacroyaitnéedeladernièrepluie,ouquoi?ÀSturbridge,les chopesdebièreremplaçaientlescoupesdechampagne,maisMaraauraitjuréquelesrèglesétaient lesmêmes. –AuTexas,ilesttoujoursmidi!rétorquaMarad’untongrave,tandisqueGarretthochaitlatête d’unairadmiratifenconstatantqu’elleavaitreconnulesparolesrituellesquiannonçaientledébutdu jeu. –Etàmidi,nous...levonsnotreverre!s’exclamaGarrettensaisissantunepremièrecoupe. Marasejetasurlasienne,etcommençaàengloutirleliquidefraisetpétillant. –Etnousrecommençons!s’écriajoyeusementGarrettenvidantunesecondeflûte,tandisque celledeMaraétaitencoreàmoitiépleine. Elle la reposa bruyamment, étonnée d’avoir été battue, et en prit aussitôt une deuxième. Elle gagna difficilement le deuxième round mais, à partir de là, Garrett ne cessa plus de l’emporter – jusqu’àcequetouteslesflûtessoientvides,ducôtédeMara.NomdeDieu,cegarsétaittropfort!À Sturbridge,Maraavaitflanquélapâtéeànombredeconcurrents,collantmêmelahontedeleurvie auxplussoiffardsdesjoueursdefoot.C’estJim,sonex-petitami,quiluiavaitdonnélebontuyau: nepasrespirer. –Impressionnant,dit-elleenguisedecompliment. –Merci. Garrettsourit. –Tut’entirespasmalnonplus. Mara se décontracta dans son fauteuil, oubliant quelques instants sa peur des turbulences lorsqu’uncahotparticulièrementviolentl’éjectadesonsiège.ElleatterritsurlesgenouxdeGarrett. –OhmonDieu!Jesuisdésolée!s’exclama-t-elleens’efforçantdeseremettredebout. –Toutleplaisirestpourmoi,répliquagaiementGarrettensoutenantMara,alorsquel’avion étaitagitépardenouvellessecousses. Elles’agrippaàlui,rebondissantsursesgenouxplusieursfoisdesuite. –Alorscommeça,tuescegenredefille?plaisantaGarrett. Le commentaire la fit rougir. Ce mec était odieux, mais néanmoins charmant. Mara remarqua malgréellequ’illatenaitd’unemainferme... – Tu me rends dingue ! grogna-t-il, à fois taquin et séducteur. Tu ne veux pas qu’on dîne ensembleceweek-end?Commeça,onpourraitapprendreàseconnaître,aulieudepassertoutde suiteàl’action. –Impossible,répondit-elleensecouantlatête.J’aidutravail,jesuisdésolée. EllesedemandacequepenseraitRyans’ilpouvaitlavoiràprésent,assisesurlesgenouxd’un autre. –Jevaisquandmêmeréserverunetable,dit-ilavecunhaussementd’épaules.Onferacommesi j’avaisrienentendu. Quelques minutes plus tard, l’avion se stabilisa et le pilote annonça qu’il volait désormais audessusdesnuagesetavaitatteintsavitessedecroisière.GarrettaidaMaraàserasseoir,s’inclinaet, trèsgentleman,luifrôlalamaind’unbaiser.Ellepoussaunsoupirdesoulagementlorsqu’illapria de l’excuser, et alla s’occuper de ses autres invités. Il était classe, d’accord, mais Mara avait le sentimentqu’ilobtenaittoujourscequ’ildésirait–quandilnel’achetaitpas.OrMaran’étaitpasà vendre. Danslejargondesfilles, «Cequetuasbonnemine!» signifie«Jesuistellement contentedeterevoir!» DanslaboutiqueScoop,Jacquitraitaitlacabined’essayagecommeuneporteàtambour,prenant des poses à brefs intervalles avec chaque bikini, et éliminant ceux qui étaient trop serrés sur la poitrineoutropriquiquisurlesfesses.L’annéeprécédente,sonstringluiavaitvaluquelquesennuisà GeorgicaBeach,etellenesouhaitaitpasenêtrechasséeànouveaupouravoirenfreintlesrèglesqui protégeaientlesplagesdesHamptonsd’uneinvasiondefessesàl’air. Lorsque Eliza la retrouva, elle portait un bandeau sur les seins, et vérifiait l’aptitude d’une minuscule culotte à cacher son postérieur, en écartant les jambes et en effectuant une série de flexions-extensionsdevantlemiroiràtroisfaces,àlagrandeconsternationd’ungroupedeclientes vertesdejalousie. – Désolée, je dérange ? plaisanta Eliza tandis que Jacqui s’accroupissait une fois de plus dans sonminusculemorceaud’étoffe. –Liza!s’écriagaiementJacqui. Elle se releva pour accueillir son amie, et toutes deux s’étreignirent chaleureusement, les rangéesdebraceletsenord’ElizacliquetantcontrelesépaulesnuesdeJacqui. ElizaécartalesbrasdeJacquietadmiralafaçondontcelle-ciremplissaitsonbikiniJean-Paul Gaultier. –Cequetuesbelle!s’exclama-t-elle. –Non,chica,c’esttoiquiesbelle!glapitJacqui. Toutesdeuxgloussèrentetroucoulèrent,avecl’enthousiasmequicaractériselesfilles:ellesse firentd’interminablescomplimentssurleurscoiffuresetsurleurpertedepoidsrespective(réelleou imaginaire). –Commejenet’aipasvueàl’arrêtdubus,j’enaiconcluquetuseraislà,expliquaEliza.Jesuis désoléed’êtreenretard.L’entretienaduréunpetitmoment. –Commentças’estpassé?demandaJacquiens’engouffrantdanslacabinepoursechanger. –Superbien.J’aidécrochéleboulot!réponditElizaenadmirantuncabas. –Génial!seréjouitJacqui,quiémergeavêtued’unerobegitanetaillehauteetdesabotsàtalons hauts Gucci. Vous acceptez la carte American Express ? s’enquit-elle auprès de la vendeuse en lui tendantledeux-pièces. – J’ai le temps de jeter un coup d’œil avant qu’on aille chercher Mara ? demanda Eliza, examinantattentivementunponchocrocheté,pendantqueJacquiréglaitsonachat. –Jecroisquesonavionarrivemaintenant,doncilvautmieuxpas. –Bon,d’accord,ditEliza. Elle regarda avec regret la nouvelle collection de paréos aux couleurs vives Matthew Williamson. –Onreviendra. –Alors,commentçavadepuistoutcetemps?lançaJacquialorsqu’ellesétaientenroutepour l’aérodromed’EastHampton. Ellesbaissèrenttouteslesvitresdelavoitured’Eliza,bienquecettedernièrefûtunefandela climatisation. Les filles ne s’étaient pas vues depuis Palm Beach, où elles avaient dévalisé les boutiquesdeWorthAvenueetpassédutempsàlapiscinedesQuatre-Saisons,traînantlesgossesdans leursillage.Elless’étaientrenduesàunbaldeNoëldutonnerreauColonyClubetàunsomptueux réveillon de nouvel an dans un hôtel cinq étoiles, le Breakers. Les vacances s’étaient déroulées à merveille.Àundétailprès:Maran’étaitpaslà.Jacquiavaithâtequ’ellesseretrouventenfintoutesles trois.Maisauparavant,illuifallaits’assurerqu’Elizaavaitbienl’intentiondes’allégerlaconscience quantàcequiétaitarrivéenl’absencedeMara. –Jevaisbien,réponditEliza,avantdeluifairepartdesesintentionsdeconquérirlemonde(ou dumoins,lesHamptons)cetété-là. Elle s’apprêtait à travailler dans la boîte la plus branchée et à fréquenter les gens les plus en voguedumoment.Pourelle,cen’étaitmêmepasunboulot,maisplutôt...untitre,uneposition.Elle incarneraitàelleseulel’espritduSeptièmeCercle.Sonanciennebandeviendraitetbientôt,c’estelle quimèneraitlejeu.Ellen’avaitaucuneraisondesesentirgênéecetété,etcomptaitsursonlienavec AlanetKartikpourl’aideràretrouversaplacedanslaviesocialedesHamptons. – Tu as déjà revu Ryan ? demanda Jacqui, faisant dévier la conversation sur le sujet qui l’intéressait. –Non,maisons’estéchangédese-mails,etons’estparléautéléphonel’autresoir.Iln’yaura pasdemalaise,àmonavis. Eliza s’était efforcée d’oublier cet épisode, mais le fait d’être sortie avec Ryan Perry – l’amoureux de sa meilleure copine – ne s’oubliait pas si facilement. Surtout quand il fallait tout avoueràlacopineenquestion. –Jeveuxdire...onétaitbourrés,onafaitunebêtise.Entrenous,çan’ajamaisétéautrechose quedel’amitié. AprèslasoiréedeSugaretPoppyauBreakers,ElizaetRyanétaientrevenusàl’hôtelchercher unepairedetongspourEliza–seschaussuresChristianLouboutinluifaisaientunmaldechien.Ils étaienttousdeuxcomplètementbourrésauchampagneet,pourlapremièrefoisdepuisledébutdes vacances, d’humeur joyeuse. Ryan avait eu des moments sombres, Mara ayant rompu et renoncé à venir à Palm Beach. Et Eliza était déprimée car Jeremy lui avait dit qu’il valait mieux qu’ils ne cherchent pas à se revoir avant l’été, tant c’était dur pour eux de vivre si loin l’un de l’autre. Ryan avait repéré Le Parrain dans le programme d’une chaîne câblée payante. Ils s’étaient blottis l’un contrel’autresurlelit,commedutempsoùilsétaientgossesetavaientappristouteslesrépliquespar cœur. –Laisseleflingue,prendslescannolis!s’étaient-ilsexclamésenmêmetemps,avantd’éclater derire. Etpuis,soudain,voilàqu’ils’étaitmisàl’embrasser...àmoinsquecenefûtelle...etças’était bêtementemballé.Ellen’avaitjamaisvouluqueçaarriveetçanesignifiaitriendutout,assurait-elle. –DèsquejevoisMara,jeluiracontetout,assura-t-elled’unevoixpéremptoireencrispantsi biensesmainsautourduvolantquelesjointuresdevinrentlivides.J’aihâtedemedébarrasserdece poids,tucomprends?Jemesuisditqueceseraittropdurdeluienparlerautéléphoneoupare-mail. Jeveuxpasqu’ellepuisseimaginerqueçacompteplusqueça. –Tuastoutàfaitraison,approuvaJacqui. Elleétaitsoulagéequ’Elizasoitprêteàcracherlemorceau.Elizaavaitabsolumenttenuàceque leSecretdePalmBeachresteunsecret.Àcontrecœur,Jacquiluiavaitpromisdenerienrévélerà Mara,enconséquencedequoiellen’avaitplusparléàcettedernièredepuislenouvelan.Jacquine voulaitpasavoiràluimentiret,aveclesétudesetledécalagehoraire,ilétaitfaciledecesserd’être encontact. –Allez,dis-m’endavantagesurtonnouveauboulot,lançaJacqui,désireusedechangerdesujet faceàl’embarrasd’Eliza.Tuvasvraimentrencontrerautantdestars? Eliza s’exécuta avec joie et toutes deux, balayant Palm Beach de leur esprit, bavardèrent et échangèrent des potins jusqu’à l’aérodrome d’East Hampton. C’était un terrain à l’écart, auquel on accédaitpardepetitesroutes.Àleurarrivée,ellestrouvèrentMaratrèsentourée,occupéeàfairela bise à une foule de gens pleins aux as. Eliza reconnut certains des membres de la haute société rassemblésautourd’elle,etcelal’impressionna.Certes,sonamieayanteudroitnonàun,maisàtrois portraitsdithyrambiquesdanslesjournauxdesHamptonsl’étédernier,Elizanes’étonnaitpasdeson succès.Qu’ellel’aitdésiréounon,MaraétaitdevenueunepersonnalitédesHamptons. Elizadonnauncoupdeklaxon. –Nousvoilà! Elle ouvrit la portière et s’élança hors du véhicule, suivie par Jacqui. Elles avaient hâte de retrouverMara–ladernièrefoisqu’elless’étaientvuestouteslestroisensembleremontaitaumois d’août–etderenouerlefildeleuramitié. LevisagedeMaras’illuminaetelleseprécipitaàlarencontredesesamies. –Salutlesfilles!lança-t-elled’untoneuphorique,enserrantvivementElizacontresoncœur. Ce que vous m’avez manqué ! ajouta-t-elle en étreignant Jacqui avec la même chaleur. Vous êtes à tomberparterre! Lesroucouladesetlesexclamationsenthousiastesreprirent.ElizaetJacquis’extasièrentsurles refletsdeMaratandisquecelle-cilescomplimentaitsurleurbronzageetleursjolisvêtements. –NomdeDieu,j’arrivepasàcroirequejesuisderetour.C’estcommesij’étaisjamaispartie! ditMaraenagitantlatête,secouéed’unhoquet. –Mara,tuneseraispasunpeusoûle?demandaEliza. Etdirequel’étédernier,Maraétaittellementsagequ’illeuravaitpresquefallul’emmenerde forceàdessoirées. – Un tout petit peu, gloussa Mara. J’ai bu quelques coupes de... (nouveau hoquet) ... de champagneCristaldansl’avion. Jacquiécarquillalesyeux,admirative.Unavionprivé,duchampagneàcinqcentsdollars–cette fillesavaitsedébrouiller. Lestroisamiessouriaientjusqu’auxoreilles,enserappelantlemerveilleuxétépasséensemble l’annéeprécédente,etensedemandantquellesaventures,bonnesouhasardeuses,leurréservaitceluici. Tout était d’un vert éclatant après l’averse et l’air embaumait le sel et la terre, et s’y ajoutait un merveilleuxparfumboisé.Lestroisfillesn’enrevenaientpasdeleurbonnefortune:êtreici,dansles Hamptons,enfinréunies! Marafourrasesbagagesdanslecoffreetouvritlaportièrearrière. –Euh...,commença-t-elle,nesachantoùposersesfesses. Labanquetteressemblaitaucaddied’unSDF.Elleétaitenvahiedebouteillesd’eauvides,desacs deshoppingdéchirés,deboîtesàchaussures,deCD,d’emballagesdebarresdechocolatlightetde paquetsdetortillachipsallégées.C’étaitinattendu,pourquelqu’und’aussisoignéqu’Eliza.Comment unefilleaussisoucieusedeseshabits,desescheveuxetdesonlookengénéralpouvait-elletraitersa voiture comme une poubelle ? C’était une des choses que Mara appréciait tant chez elle : il était impossibledelaréduireàunstéréotype. –Ohlàlà!Désoléedubordel,ditEliza,embarrassée. Marasouritetdéplaçaunsacdevêtementssortisdupressingafindepouvoirs’asseoir. – Qui a faim ? demanda Mara. À bord, il y avait ces amandes de Majorque... Il y en avait tellementquej’enaiprisdeuxsachets.Ellessontsuper-bonnes. ElizadémarraetMaraleurtenditlessnackschapardésdansl’avion. – Alors, dites-moi tout ! C’était comment, Palm Beach ? Eh, les filles, vous ne m’avez jamais racontécommentças’étaitpassé! Pastoutàfaitremiseduvol,elleplanaitencoreunpeu.Garrettavaitcabotinétoutaulongdu voyage. À un moment, il avait même transformé l’avion en boîte de nuit volante et avait fait tournoyer Mara jusqu’à ce qu’elle soit prise de vertige. Sa bonne humeur était si contagieuse que JacquioubliamomentanémentquePalmBeachétaitunterrainminé. –C’étaitgénial!s’exclamaJacqui.Onaempruntélesrobesquelesjumelless’étaientfaitfaire pourleurpremierrallye.J’aiportéunmodèleChristianLacroixaucorsagedécorédeperlescousues main,dontPoppynevoulaitpas.EtElizaapumettrecettesublimerobeChanelqueKarladessinée exprèspourSugar. Mara poussa des « Oh » et des « Ah » en écoutant Jacqui décrire la maison et le réveillon du nouvelan,etElizacompritquelemomentétaitvenud’avoueràsameilleureamiecequ’elleavaitfait avecsonex-petitcopain. –Mara,fautquejetediseuntructrèsimportant,ausujetdePalmBeach... MarafixaEliza,intriguée.Sielleavaitunmauvaispressentiment,ellen’enmontraitrien.Son visageétaitouvertetpleindecandeur. Jacquiretintsonsouffle.Elleétaitpresqueparvenueàbalayerdesespenséeslesecretd’Eliza. Or,posanttouràtourlesyeuxsurl’uneetl’autredesesamies,ellesavaitquecequiallaitsuivre,elle nerisqueraitpasdel’oublierdesitôt. ChezlesPerry,lesfilles rencontrentlederniergadget importédeFrance... –Uneseconde!s’écriaMara,coupantlaparoleàEliza. LaradiodiffusaitunevieillechansondeMadonna,etMarasepenchaentrelesdeuxsiègesavant pouraugmenterleson. –Papadon’tpreach!semirent-ellesàchanterd’uneseulevoix.I’mintroubledeep! Mara était la fille la plus heureuse du monde. Quelle joie de retrouver Jacqui, Eliza et les Hamptons!Sesamiesluiavaientterriblementmanqué.Là-bas,chezelle,iln’yavaitpersonned’aussi drôlequ’Elizaoud’aussidéluréqueJacqui. Lachansons’achevamais,avantqu’Elizaeûtpudireunmot,Maralâchasoudain: –C’estfoucequej’aienviederevoirRyan! –Ahoui?fitJacqui.Alorsquetuasrompuaveclui? – Je sais, je sais, soupira Mara, toujours un peu pompette. Vous savez les filles, je pense vraimentavoirfaitunebêtise.Enfin...ilm’aditqu’ilm’aimaittoujours,mêmeaprèsquejeluiaidit qu’on ne pouvait pas continuer, et j’espère juste que... je sais pas... Vous savez s’il sort avec quelqu’un?demanda-t-elled’untonpleind’espoir. Elizaseraclalagorge.Quitteàparler,ilfallaitqu’ellesedécidevite,avantquecelanedevienne encore plus difficile. De toute évidence, Mara était encore amoureuse de Ryan, et Dieu sait que ce seraitterrible,pourelle,d’apprendrequ’ilétaitsortiavecunedesesamies.Ilvalaitmieuxenfinirau plusvite.Maraluienvoudrait,maisellefiniraitparcomprendreet,avecunpeudechance,parlui pardonner. –Mara,écoute,c’estimportant!Jet’enprie,netemetspasencolère,d’accord?Parcequeçane signifierien,jetelejure.Cethiver,àPalmBeach,je... –C’estlàquej’aipasassuré,l’interrompitànouveauMara,visiblementsourdeàl’angoissede plusenplusperceptibledanslavoixd’Eliza.CequejeregrettedenepasêtrealléeàPalmBeach! NomdeDieu,jesaispascequim’aprisderenoncer...Siseulement,jet’avaisécoutée,Jacqui! Jacquidemeurasilencieuse. –Enfin...alors,c’étaitquoi,cequetuvoulaismedire,Eliza?Pourquoijedevraismemettreen colère?demandaMaraenentreprenantdenatterlescheveuxd’Eliza,quiretombaientsurledossier dusiège.Ils’estpasséquoi,àPalmBeach? –PendantlesvacancesdeNoël,je...je... Elizaavaitlagorgenouée.Ellerespiraunboncoup. –...j’aidécidédenepastravaillerpourlesPerrycetété.Jenevaispasêtrefilleaupair. –Hein?s’exclamèrentenmêmetempsJacquietMara,choquéespourdesraisonsdifférentes. Elizasemordillalalèvre.ElleavaitétésurlepointdetoutrévéleràMara,pourdebon.Detout luiavouer,histoiredemettretoutçaderrièreelle.Maran’avaitrienàvoiravecsesanciennesamies LindsayetTaylorqui,leshypocrites,l’avaientsalementlaissétomberl’annéedernière. ElizaavaittoujourseulesentimentdepouvoirtoutdireàMara.Bon,d’accord,ellesnes’étaient pas donné beaucoup de nouvelles au cours de l’année scolaire, mais cela ne changeait rien : c’est commesielless’étaientquittéesàlaveille. Elizahaussalesépaules,àl’intentiondeJacqui.Ellesavaitquecettedernièrelaprendraitpour unelâcheetunementeuse.Ellepourraitvivreavecça,plutôtquededevoirbriserlesespoirsdeMara. Elleavaittroppeurdelablesser.Parailleurs,raisonna-t-elle,lameilleurechoseàfaire,c’étaitdene riendire.AinsiMaraetRyanpourraientseremettreensemblesansrienavoiràsereprocher.SiEliza ignoraitleproblème,ilfiniraitbienpardisparaître,non? –Tufaisquoi,alors?demandaMara,arrachantElizaàsondébatintérieur. – Je travaille au Septième Cercle, la nouvelle boîte de nuit, répondit fièrement Eliza. C’est vraimentchouette–jevaisapprendredestasdechosesenmatièrederelationspubliques,etcegenre detrucs.Jen’aipasvraimentbesoindusalairedesPerrycetété.Lesaffairesdemonpèrevontmieux, etiln’estpasimpossiblequ’onretournes’installerenvillel’annéeprochaine. Maraselaissaretombersurlabanquette. –Tuétaisaucourant,Jacqui? Jacquihochalatête. –Ettunem’enasriendit?gémitMara. – Je suis désolée... Je croyais qu’Eliza t’avait envoyé un e-mail, bredouilla Jacqui en fusillant unenouvellefoisElizaduregard. Celadit,songeaitJacqui,sicelacontrariaittantMaradenepasavoirétéinforméedesprojets estivauxd’Eliza,mieuxvalaitnepasluiavoirrévélélesecretdePalmBeach. –C’estsuper,ditMara.Enfin...jesuisvraimentcontentepourtoi,Eliza.Maisqu’est-cequ’onva fairesanstoi?QuivaterroriserWilliampourqu’ilobéisseenfin?Onseverra,aumoins? –Qu’est-cequeturacontes?Onseverratoutletemps!promitEliza. Elle tourna dans l’allée des Perry, où étaient garées plusieurs voitures de luxe. La dernière acquisitionendateétaituneétincelanteToyotaPrius,unevoitureàmoteurhybridequiconstituaitla toute nouvelle obsession des Hamptons en matière automobile. Les Prius étaient politiquement correctes,respectueusesdel’environnementetincroyablementdifficilesàobtenir–ilyavaituneliste d’attentedesixmois,etcertainsvéhiculessenégociaientavecunsupplémentdecinquantepourcent au-dessus des prix de vente officiels. L’Aston Martin de Ryan Perry était garée à côté. Mais Ryan demeurantunsujetdélicat,nulnefitdecommentaire. Laurie, l’assistante personnelle d’Anna Perry, une femme d’une quarantaine d’années à la chevelure hirsute, portant son mobile autour du cou et vivant par procuration la vie de ses employeurs,lesattendaitdevantleporche. –Hellolesfilles!Soyezlesbienvenues!Eliza,qu’est-cequetufaislà?Annaetlesgaminssont encoreenvilleetn’arriverontquedemaindanslamatinée.Ilsétaientcensésveniraujourd’hui,mais Kevin a eu besoin de l’hélicoptère pour un rendez-vous de dernière minute dans le Connecticut, et Annan’avaitpasenviedesecoltinerlesembouteillages.Ryanetlesjumellesnedoiventpasêtrebien loin. Jacqui et Mara, vous pourrez disposer de votre soirée après avoir préparé la chambre des enfants. EllessuivirentLaurieàl’intérieurdelamaisonettrouvèrentlademeuredesPerryinchangée, avec ses bouquets somptueux disposés un peu partout, son parquet en zebrano au brillant irréprochable... Toutes les pièces paraissaient prêtes à faire l’objet d’une séance photo pour un magazinedéco.LaurieleurexpliquaquelesPerryconservaientunpersonnelréduitchargédeveiller àcequelamaisonsoittoujoursparfaite,mêmeenpleinhiver.Ceafinqu’ilspuissentydébarquerà toutmoment,mêmesi,horssaison,ils’écoulaitparfoisplusieursmoisd’unevisiteàl’autre. –C’estquoi,cebruit?demandaMara.C’estunebétonnière? Sonpèretravaillantdanslaconstruction,cesonluiétaitfamilier. Lauriegrimaçaetseplaqualesmainssurlesoreilles. –C’estlechâteaudesReynolds.Ilsnesontpascenséspoursuivrelestravauxaprèscinqheures del’après-midi.J’aidéjàfaitremarqueràAnnaquenousdevrionsalerterlamunicipalité. Les trois filles s’avancèrent discrètement vers la baie vitrée et jetèrent des coups d’œil à l’énormeconstructionquiétaitentraind’êtreédifiéesurunedemeurevictoriennetraditionnelledéjà existante. Une structure de bois alambiquée, comprenant des tours, des poivrières et même ce qui avaittoutl’aird’êtredesdouves,semblaits’étendresurtoutelalongueurdelapropriétéets’avancer jusqu’à la plage. Une immense grue soulevait plusieurs colonnes grecques plaquées or. Elles assistèrent,fascinées,àlaposed’unvitrailhautdedouzemètresaudernierétage. –C’estunehonte,cequ’ilsfontsubiràl’anciennepropriétédesRockefeller!sifflaLaurie,aussi outréequ’unevéritablearistocrated’EastHampton.C’estunehorreurabsolue! – Eh les filles, je vais vous aider à porter vos bagages, dit Eliza en prenant le vanity-case de JacquietlesmagazinesdeMara. Lesfillestraversèrentlacuisinejusqu’àlaportedeservicedonnantsurlaterrasseetlejardin. Lespelousesétaientimpeccables,unjeudecroquetinstallépourquivoudraitdisputerunepartieet, auloin,lescourtsdetennisetlesterrainsdebasketvenaientvisiblementd’êtrerepeints. –OhmonDieu!C’estqui?chuchotaElizaàl’adressedesdeuxautres,tandisqu’ellesarrivaient aupatiodelapiscine. Étendu sur un matelas pneumatique, au milieu de la piscine à débordement, se trouvait le plus beaugarçonqu’elleseussentjamaisvu.Sasilhouetteétaitminceetdorée,desescheveuxcouleurde miel à son bronzage caramel. Une cigarette au coin des lèvres, il portait des lunettes d’aviateur et tenaitàlamainuncocktailfrappédécoréd’uneombrelleminiature. – Bonjour 1, lança le beau jeune homme d’une voix traînante, en laissant courir un doigt dans l’eau. Jacqui eut le souffle coupé. Avait-elle déclaré : « Fini les garçons » ? Pouvait-elle faire une exception,pourleplussplendidespécimenqu’elleeûtjamaiscontemplé? Ilrelevaseslunettesdesoleil,etlesdétailladepiedencapavecunsouriretaquin. –Salut,marmonnaMara. –Bonjourtoi-même,rétorquaEliza. –Boatarde,ditJacquiensouriantdetoutessesdents. – Je suis Philippe Dufour. Vous devez être mes collègues de travail. Deux d’entre vous, du moins,expliqua-t-ilavecunséduisantaccentfrançais. –Collèguesdetravail?demandaMara.Vousn’êtestoutdemêmepas... Il sourit, tira une bouffée de sa cigarette, et laissa tomber la cendre dans l’eau d’un bleu chimique. –Maisoui,jesuislenouveaugarçonaupair. 1. Enfrançaisdansletexte. Lesrègles nesont-ellespasfaites pourêtreenfreintes? Laurie les mit au parfum, sur le chemin du cottage des domestiques : Philippe était le neveu françaisdelanounoufrançaisehabituelle,quirentraittouslesétésdanssafamilleenCornouailles. Philippe était arrivé le matin même. Il était inscrit dans un lycée londonien, d’où son anglais quasi parfait. Aspirant à devenir joueur de tennis professionnel, il espérait se faire une réputation en remportantletournoidetennisRolex,quisetenaitchaquemoisdejuilletàEastHampton.Enplusde veillersurlesenfants,illeurdonneraitdescoursdetennis. – Comme vous pouvez le constater, il est ici comme chez lui, commenta Laurie d’un ton légèrementdésapprobateur.Çayest,nousyvoici!dit-elleenouvrantengrandlaporteducottage. Ilétaitentouspointssemblableausouvenirqu’ellesengardaient.Jusqu’àlatroisièmemarche de l’escalier branlant, qui grinçait toujours... Leur chambre était aussi dépouillée et austère qu’une celluledeprisonnier,maisellesnes’attendaientpasàmieux.Ilyavaitdeuxlitssuperposésetunlit uneplace,dotésd’oreillersfatiguésetdecouverturesrêches.Contrelemurd’enface,ilyavaitdeux commodes,unfauteuiluséjusqu’àlacordeetunetabledenuitavecunelampequinemarchaitplus très bien depuis qu’Eliza s’était pris les pieds dans le cordon, un soir de juillet, un an plus tôt. Il y avait cependant une nouveauté : un interphone blanc flambant neuf qu’Anna avait fait installer, expliquaLaurie,afindepouvoiraisémentcontacterlesfilles(etlegarçon)aupair. MaraetJacquicommencèrentàdéfaireleursbagagesendiscutantdecetteinnovationfascinante (legarçon,pasl’interphone!)toutenchoisissantleurscommodeetlitrespectifs. –Tuveuxlelitduhaut?proposaMaraàJacqui. –Oui.Jeteremercie,réponditJacquienécartantlerideaudel’uniquevasistas.Àtonavis,où est-cequ’ilsontinstallélegarçon? Marahaussalesépaules.Philippeluiétaitcomplètementsortidelatête...Ellerevoyaitl’Aston Martingaréedansl’allée,etsedemandaitsiRyanétaitquelquepartdanslapropriété.Peut-êtreétait-il danssachambre,oudanslacuisine?Etsielleexploraitunpeuleslieux?... Elizas’assitsurlelituneplace,sansréussiràsesentiràsaplace.Elleétaitpleinedenostalgie enserappelantl’étédernierettouslesincroyablesmomentspassésensembledanscetespaceexigu– à fumer en cachette à la fenêtre ou à descendre les bouteilles de vodka chipées dans le placard à alcoolsdesPerry.Direquesurlelitoùelleétaitassise,Jeremyetelleétaientsortisensemble!Mais sesregretss’évanouirentlorsqu’elleremarquadesmoutonsdepoussièresouslatabledenuitetse souvintdelachambreclimatiséequil’attendait,danslamaisonquesafamilleavaitlouéepourl’été. –Eh...Ilestchouette,toncollier!RyanPerryalemême,non?demandaMara. Levantlesyeuxalorsqu’elledéballaitsesaffaires,elleavaitaperçulecordondecuirqu’Eliza trituraitduboutdesdoigts,perduedanssespensées. –Oh! Elizas’empressaderetirersesmainsdesoncou.Nerveuse,ellejetaunregardalentour. –Oh,c’estrien,unvieuxtrucquej’aidégotéDieusaitoù... – Vous avez traîné ensemble en Floride ? reprit Mara d’une voix pleine de langueur. Toi et Ryan?Tul’astrouvécomment? Elizarougit. –Commentça?... –Ehbien,jesaispas...Ilavaitquelair?Ilsortaitavecquelqu’un? –Jel’aitrouvécommed’habitude,réponditElizaenhaussantlesépaules.Iln’étaitpassouventà lamaison.Àpartça,lesfilles,vousavezvucemec,danslapiscine?Onpeutdirequevousavezdu bol!fit-elleremarquer,histoiredechangerdesujet. Elleleurfitsigned’approcher. –Àcequej’aientendudire,lesFrançaissontchauds... MaraetJacquigloussèrent. C’estalorsquePhilippeentra,répandantautourdeluiuneodeurdetabacetd’huilesolaireau coco.PourJacqui,c’étaitl’odeurlaplussexydumonde. –Bon!s’exclama-t-ilensefrottantlesmains.Çadevraitêtreamusant,troisfillesetmoi! – Tu n’es quand même pas censé dormir ici ? demanda Mara, comprenant vaguement qu’il parlaitdelachambre. Anna n’aurait pas eu idée de mettre deux filles et un mec ultra-sexy dans la même chambre ? Certes,Annan’étaitpasvraimentdugenreàrespecterlabienséance...Maran’enrevenaitpas. Jacquihaussalesépaules.Oùétaitleproblème?Visiblement,Maran’avaitjamaisfréquentéles aubergesdejeunesseeuropéennes. Philippeallaitdoncdormirdanslamêmechambrequ’elles.Commeceserait...pratique. –Si,réponditPhilippe. Ilfouilladanslederniertiroirdelacommode,ensortitunechemiseetuncaleçonetcommença àretirersonslipdebain. –Uneseconde!s’écriaMara.Tutecroisoù? Ellesavaitqu’ellesecomportaitenrabat-joie,maishonnêtement,ildépassaitlesbornes.Ellese fichaitbienqu’ilsoitfrançaisetcharmant.Ellen’avaitpasenviedesesentirmalàl’aisetoutl’été.Il faudraitqu’ilapprenneàrespectersapudeuràelle–silui-mêmen’enavaitpas. ElizaetJacquiavaientl’airdéçues.LepeuquePhilippeavaitdévoiléleuravaitdonnéenviede voirlereste.Elless’étaientréjouiesdecestrip-teaseinattendu. Legarçonhaussalesépaules. –Onn’apasledroitdesedéshabiller?Jesuispourtantdansmachambre! Eliza et Jacqui regardèrent, amusées, Mara pousser Philippe vers le couloir, en lui maintenant avec fermeté les bras le long du corps. Elles retrouvaient la Mara collet monté qu’elles avaient connue! – En Amérique, on se change en privé ! insista Mara. (Elle retourna dans la chambre en se frottant les paumes, consternée.) Ce type est pas croyable ! Quoi qu’il en soit, Jacqui, j’ai l’impressionqu’ilaprislacommodeàcôtédulit.Ehbien...Onpartageleplacard,alors?Etpuisil faudraitqu’onaillevoirLaurie,qu’ellenousdisecequ’onaàfaire. –Ouais...Jedevraispeut-êtreyaller,ditElizad’untoncontraint,enselevantetenramassantson sac. Çaluifaisaitbizarrederevoirleuranciennechambresanspouvoiryrester. – Eh, les filles, vous faites quoi demain soir ? Vous ne voulez pas venir passer la soirée chez moi?Jenecommencepasàtravailleravantsamedi. –Pourquoipas...,réponditJacqui. Pour la seconde fois en quelques minutes, elle réalisait qu’ignorer toutes les tentations pour devenirlababy-sitteridéaleneseraitpasunetâcheaussisimplequeprévue. –...sionparvientàmettrelesgaminsaulitdebonneheure. –Comptesurnous,onviendra!ditMara. S’il y avait une chose qu’elle avait apprise l’année dernière, c’était bien celle-ci : elles trouveraienttoujourslemoyendes’occuperdesgaminsetdes’amuser. Eliza écarquilla les yeux et sourit. Jacqui se comportant en personne responsable ? Mara se déclarantprêteàfairelafête?Décidément,leschoseschangeaient!ToutesdeuxétreignirentEliza,et promirentdel’appelerbientôt. Lorsque Eliza partit, le claquement de ses mules se faisant entendre dans l’escalier, Philippe reparut dans la pièce. Il était rasé de frais et portait une chemise Oxford amidonnée et un jean parfaitementrepassé. –C’estmieuxcommeça?demanda-t-ilàMara. Elle approuva sèchement. Elle avait fini de ranger ses vêtements – elle en avait emporté peu, comparéàJacqui,dontlagarde-robeoccupaitdéjàtoutleplacard. –JevaisvoircedontLaurieabesoinpourlachambredesenfants,dit-elle. –Jeterejoins,promitJacqui,évitantdecroiserleregarddeMara. Elle était parfaitement consciente que Philippe, affalé tel un empereur sur le lit une place, la fixaitavecdesyeuxbrillantsdeconvoitise. Mara haussa les épaules et quitta la pièce. Sans doute pourrait-elle faire un petit détour en se rendant au bureau de Laurie – de façon, par exemple, à se retrouver juste devant la porte de la chambredeRyan. – Dis, Jacqui, tu as également besoin de voir Laurie ? demanda Philippe à Jacqui. Parce que sinon,ilyaencore...commentt’appellesça...delapiñacoladadanslebolmixeur. Jacquicessaderangersesvêtements.Ellesavaitcequ’elledevaitfaire:suivreMaraetl’aiderà tout préparer pour la venue des gamins, le lendemain matin. Mais Philippe souriait toujours, l’éblouissantparlablancheurdesesdentsetsesyeuxd’unbleuéclatant.Ilpassalamainsouslelit,et entiraunebouteillederhumàmoitiépleine. –Tum’aidesàlafinir?proposa-t-il. –J’aieffectivementunpeusoif...,concédaJacqui. Elle qui s’était juré de faire un effort cet été : de ne pas se laisser distraire, d’aider Mara à s’occuperdesgamins,deréviserson...sonquoidéjà...sonexamend’entréeàlafac... Jacquirespiraungrandcoup,redressalesépaules,etleregardadroitdanslesyeux. – Mais tu sais quoi ? Il vaut mieux qu’on remette ça à plus tard ! lança-t-elle à Philippe en quittantprécipitammentlachambre,avantqu’ilaitpuprononcerunenouvellefoissonnomavecson adorableaccentfrançais. Desretrouvailles... pasfranchementréussies Mara se réveilla tôt le lendemain matin et, entre deux bâillements, rejeta les draps. Jacqui dormait dans le lit du haut, tandis que Philippe ronflait bruyamment dans le lit une place, sous une montagnedecouvertures.Laveilleausoir,MaraetJacquil’avaientretrouvéentraindefumeretde fairedesréussites.Elless’étaientjointesàluiettoustroisavaientdisputéquelquesmanchesdedame depique,puiss’étaientcouchésdebonneheure. Maraavaitpassélaplusgrandepartiedelajournéeprécédenteàerrerautourdelamaisondes Perry,danslevainespoird’apercevoirRyan.Sachantqu’ilavaitcoutumedeselevertôtpouraller fairedusurfavantlepetitdéjeuner,elleavaitrégléleréveilauxaurores,afindelesurprendreavant sondépartpourlaplage.Ellechoisitsatenueavecuneattentionparticulière:untee-shirtvertpâle prérétréciquimettaitsatailledeguêpeenvaleuretunmini-shortenjeanàlaJessicaSimpsonqui dévoilait ses jambes. Elle rassembla ses longs cheveux bruns en une queue-de-cheval négligée, en prenantbiensoinderamenerquelquesboucleséparsesautourdesonvisage. Malheureusementpourelle,ellenetombapassurRyandanssacombinaisondesurf,lesyeux rivés sur les prévisions météo s’affichant sur l’écran plasma du téléviseur de la cuisine. Elle fixa l’AstonMartingaréedansl’allée,commesiellepouvaitforcerRyanàapparaître.Elleretournadans lamaison,lesépaulesvoûtées,sedemandants’ilnel’évitaitpas.Danslacuisine,elleseservitunbol deyaourt.Soudain,elledistinguadesvoix,provenantdupatio.Leventrenoué,elleouvritlaportefenêtre. Ryansetenaitsurlaterrasseetdiscutaitavecunegrandeblonde.Illevalesyeuxet,apercevant Mara, parut surpris. Il était vêtu d’un chandail à capuche et d’un jean délavé, et avait un sac de couchage coincé sous un bras et une glacière sous l’autre. Ses cheveux ébouriffés partaient comiquementdanstouslessensetilavaitlevisagezébréparlesmarquesdel’oreiller–maistout cela ne le rendait que plus adorable. Comme d’habitude, il était pieds nus, et ses orteils étaient couvertsdesable. – Hé ! dit-il et, l’espace d’une seconde, Mara retrouva son sourire franc et ses fossettes – auxquels,hélas,succédaaussitôtunegrimaceembarrassée.Mara...Jenesavaispasquetuétaislà. – Je suis arrivée hier, dit-elle en s’efforçant de garder un ton léger (c’était qui, cette fille, bordel?).Jenevoulaispasvousdéranger. Ryanlaissatombersesaffairesetsedirigeaverselle,lesbrastendus. –Tuplaisantes.Çafaitplaisirdetevoir!répliqua-t-ilens’assurantden’entrerencontactavec aucunepartiedesoncorps,àl’exceptiondesondos,qu’iltapotacommesielleétaitundesespotes del’équipedefoot. Ellehumal’odeurdemerdesescheveux,quiluirappeladouloureusementl’étédernier. –Àmoiaussiçamefaitplaisir,répondit-elled’unevoixétranglée. Il était encore plus beau que dans son souvenir. Le soleil avait éclairci ses cheveux et son bronzageintensesoulignaitl’éclatdesesyeuxverts.Ilsedéplaçaittoujoursaveclamêmegrâce;il émanait toujours de lui la même décontraction, la même simplicité... Le genre de gars à qui la vie avaittoutdonné,maisquin’avaitpaslaissécetteheureusecirconstancelepourrirlemoinsdumonde. Mara l’avait toujours trouvé trop bien pour elle. N’empêche que pendant une semaine entière, l’été précédent, il avait été à elle – totalement, délicieusement et miraculeusement. Et à présent, elle comptaitbienlereprendre. – Allison m’a raccompagné, expliqua Ryan, en présentant les deux filles l’une à l’autre. Tu te souviensdemoncopainOz?Ilafaitunfeudejoiehiersoir,poursuivit-ilenenlaçantlatailledela blonded’unmètrequatre-vingts,sosiedeCharlizeTheron. Allisonportaitunsimpledébardeurblancetunpantalondepyjamafermantavecuncordon.Elle avait les cheveux en bataille mais, songea Mara, ce genre de fille n’avait aucun effort à faire pour paraîtresexy.Sansdoutenepassait-ellepasunedemi-heureàchoisirlabonnetenueetàsortirdes bouclesdesaqueue-de-cheval. – Et ce garçon n’était pas en état de conduire ! roucoula Allison en chatouillant le ventre de Ryan. –Eh!protestaRyanenluiattrapantlesmains. IlsfirentminedesebattreetAllisonfronçalessourcils,pourrire,lorsqueRyanluibloquales mainsderrièreledos. Mara les regarda flirter, l’estomac noué. À peine un an plus tôt, Ryan et elle avaient passé presquetouteslesnuitsdeladernièresemaineenlacésdanslesbrasl’undel’autre,àserévélerdes secrets qu’ils n’avaient jamais confiés à personne... Elle se rappelait la moindre cicatrice sur son corps(celledugenouqu’ils’étaitcasséenfaisantduski,etcelledumolletdroit,dueàunechutede skate) et la moindre anecdote au sujet de son éducation (les Noëls dans le Maine, son safari « initiatique » au Kenya, son vieux professeur de latin, avec qui il déjeunait encore souvent à New York). Et, surtout, la façon dont son nez se plissait lorsqu’il fermait les yeux et s’apprêtait à l’embrasser.Maraavaitbeausavoirquec’étaitellequiavaitrompu,çaluifaisaitmaldelevoirflirter avecuneautre. Elle fut soulagée de les voir interrompre leur petit numéro, mais eut une bouffée d’angoisse lorsque Ryan s’assit près d’elle à la table du patio. Allison marmonna quelque chose au sujet de la fraîcheurdel’air,etMarasuivitdesyeuxsalongueetsouplesilhouettetandisqu’ellesedirigeaitvers uneJeepgaréedanslesable.Ilsétaientarrivésparlespetitesroutesjusqu’àlaplageprivéelongeant lapropriétédesPerry.Commetoutescesroutesétaientégalementprivées,celasignifiaitqu’Allison venaitd’unefamillepossédantelleaussiunepropriétéàGeorgica.Allisonétaitexactementlegenre defillequ’ons’attendaitàvoiravecuntypecommeRyan.Marareposasonboldeyaourt.Toutçalui avaitcoupél’appétit. Allisonregagnalepatioàgrandesenjambées,ayantenfiléunchandaild’hommeportantlelogo del’universitédeDartmouth.MarasesouvintqueRyandésiraitalleràDartmouth.Ellesedemanda s’ilétaitparvenuàyentrer.AllisonseperchaillicosurlesgenouxdeRyan. –C’estquoi,ça?minaudaAllisonentâtantduboutdesdoigtsunecorbeilledefruitsvisiblement exotiques,aucentredelatable. –Voiciunkaki,réponditRyanendésignantcequiressemblaitàunetomateorangeaplatie.Etça, c’est un ramboutan, expliqua-t-il en saisissant une boule rouge hérissée de piquants. Anna les fait venird’Indonésie. Lesnobismed’Annalapoussait,entreautresmaniesridicules,àmépriserlesproduitslocaux. Les Hamptons avaient beau être réputés pour leurs fraises, leurs pêches et leurs poires, les fruits rares,importésethorsdeprixéclipsaientlesfruitsfraisetdisponibles. –Çasemangecomment?demandaAllison. Ryan lui montra comment éplucher délicatement le fruit et libérer sa chair blanche et gélatineuse. –Miam!fitAllisonenmastiquant. Elle en pela un second, qu’elle mit dans la bouche de Ryan, qui la remercia d’un baiser. Ils s’amusaient,gloussaient...Maraavaitenviedevomir.Ellefitglissersachaiseenarrière,s’apprêtantà serelever. – Alors, comment était le trajet en car ? Il y avait beaucoup de monde ? l’interrogea Ryan en daignantenfinlaregarder. Ellesecoualatête. – En fait... je suis venue en avion. Anna s’est arrangée pour que je fasse le trajet avec les Reynolds,dansleurjet. – C’est vrai ? C’était comment ? Il paraît qu’il est dans un sale état, dit Allison, les yeux écarquillés. – C’est un nouveau G5, rétorqua Mara, en se rappelant ce que Garrett lui avait dit au sujet de l’avion.Enfait,ilestsuper,ajouta-t-elle,unpeusurladéfensive. –J’endoutepas,fitremarquerRyan–etMaracrutdécelerdanssontonunenuanced’ironie. –Garrettestvraimentsympa.Ilditquevousvousconnaissez,repritMara,décidéeàtesterRyan. –C’étaitunbonamiàmoi,répliquaRyanavecunvisageimpassible.Maiscen’estpluslecas. C’est alors qu’un sifflement perçant interrompit le silence matinal. Levant les yeux, ils virent l’objetdeleurconversation,quisetenaitdevantl’alléeséparantlesdeuxmaisons,ettenaitàlamain uneballedetennis. –Elleestpasséepar-dessuslaclôture,expliquaGarrett. Ilportaitunetenuedetennisd’unblancimmaculé.OnauraitditunmannequinRalphLauren. –Salut,grommelaRyan. –SalutGarrett,roucoulaAllison.Ilparaîtquevousavezunnouveaujet? Garretthochalatête,unsourireauxlèvres.Ils’avançanonchalammentet,d’undoigt,désigna Mara. –Salutbeauté!Alors,c’estbonpourdemainsoir?J’espèrequetuaschangéd’avis.J’airéservé lameilleuretableàl’AmericanHotel. La veille, Mara avait poliment décliné l’invitation. Mais après le numéro que Ryan et Allison venaientdeluifaire,elleoptapouruneautretactiqueetadressaàGarrettunsourireravageur. –OK,pourquoipas?dit-elle. –Super.Jepassetechercheràseptheures,répliquaGarrett,visiblementravi.CiaoAli.Àplus, Perry,lança-t-ilàRyan,enfaisantrebondirsaballesursaraquettedetennisetenrefranchissantla haie. Ryanseraclalagorge. –Bien.Amuse-toidemainsoir!dit-ild’untonbrusque.Aufait,jecroisqueLaurieestdansson bureau,ajouta-t-il,s’adressantàMaracommesiellen’étaitqu’unedesinnombrablesemployéesau servicedesPerry. IlsetournaànouveauversAllison,l’aidaàserelever,ettousdeuxdisparurentdanslamaison. Les espoirs de Mara – retrouver Ryan afin qu’ils reprennent leur histoire là où ils l’avaient laissée – étaient à l’eau alors que l’été commençait à peine. Mais, avant qu’elle ait eu le temps de s’apitoyerdavantagesursonsort,lesolsemitàtrembler.Levantlesyeux,Maravitunhélicoptère argentéatterrirsurlapelouse,etleshautesherbessecouchersurlesol. Unefemmeémaciée,vêtued’unerobeafricaineampleetfroncée,émergeaprudemmentparla portièreens’efforçantvainementdeprotégersonbrushingcontrelecourantd’airetenhurlantsur les pilotes. Plusieurs enfants se répandirent hors de l’hélicoptère, réclamant à grands cris leur petit déjeuner. AnnaPerryetlesenfantsavaientfinipararriver. LesenfantsPerry ontbeaucoupdechoses àapprendre...etbeaucoup demédicamentsàprendre AnnaPerryétaitassisedevantlatabledejeudelasalledeprojectionderniercridesPerry,et tapotaitdesdoigtslefeutrevert.Prèsd’ellesetrouvaitLaurie,prêteàtapotersurleclavierdeson ordinateur portable. Sur l’écran large de cinq mètres, au fond de la pièce, s’affichait une page d’accueil. OBJECTIFS À ATTEINDRE CET ÉTÉ PAR LES ENFANTS PERRY, pouvait-on lire en lettrescapitales. Marapritplaceenfaced’elles.Elleétaitpensiveetnerveuseaprèssarencontrematinaleavec Ryanetsanouvellepetiteamie.Àcôtéd’elle,deuxchaisesvides.JacquietPhilippeétaientenretard. Unmonsieurportantbarbeetlunettes,vêtud’uncostumeentweedrâpé,étaitassisavecunbloc-notes àlamainàlagauched’Anna.Marasedemandaitquiilétait. Une gamine filiforme, qui devait avoir onze ans, entra dans la pièce. Mara l’avait vue un peu plus tôt sortir de l’hélicoptère. Elle ne l’avait pas reconnue, de loin. Or, à présent, elle voyait qu’il s’agissaitdequelqu’undetrèsfamilier... –Madison!s’écria-t-elle.Bonjourmachérie. La nouvelle Madison concéda à Mara un bref signe de tête. L’été dernier, Mara avait tout fait poursoutenirMadison,prenantsadéfensecontreuneméchanteprofesseurdedanseclassiqueoului remontantlemorallorsqueWilliamlataquinait.Maratentadel’embrasser,maisMadisonévitases brastendus. –Anna,tutrouvesquecechemisiermevabien?demandaMadison,avantdemurmurerquelque choseàl’oreilledesabelle-mère. Lapetitefilleauxcheveuxbouclésquiaimaitporterdestee-shirtsetdesshortstropgrandsétait devenuelesosiedeJamieLynn,lasœurcadettedeBritneySpears,avecsescheveuxdéfrisés,sonjean évaséetundébardeurquilaissaitvoirsonnombril. Quelques minutes plus tard, Madison fit à Anna un bisou sur la joue – ou, plutôt, embrassa l’air–etsortitd’unpasléger,aumomentoùJacqui,lescheveuxmouillés,s’engouffraitdanslasalle, talonnée par Philippe. Tous deux semblaient partager une bonne blague, et Mara remarqua le pincementdelèvresd’Annalorsquecelle-cilesvitentrer. –Philippe!Vousêtesbieninstallé?demandaaimablementAnnadansunfrançaisparfait. –Oui,madame.C’esttrèsbeauici,répondit-ilenlagratifiantdesonsourireresplendissant. Annarougitdeplaisir. –Ehbien,Kevinetmoi,noussommesenchantésdevousavoiravecnouscetété,dit-elled’un ton pontifiant. Jacqui, Mara, je vois que vous avez déjà fait la connaissance de Philippe. Philippe, JacquietMaraontdéjàtravaillépournous,ellespourrontdoncvousmettreaucourantdesdétails,si j’oubliaisdementionnerquoiquecesoit.Jevaisêtretrèsbrève,carjedoisassisteràuneréuniondu comitédansquelquesminutes,chezlesParrish. Commeàsonhabitude,Annanecessaitdefaireallusionauxgrandsnomsdelabonnesociété desHamptons–cequin’évoquaitjamaisrienaugroupedesbaby-sitters. –Toutd’abord,permettez-moidevousprésenterleDrPellAbraham,lenouveauthérapeutede William.LeDrAbrahamsurveilleral’évolutiondeWilliampourcequiestdel’hyperactivité.Jacqui, jepensequ’ilestinutilequejereviennesurcequis’estpasséàPalmBeach.Pasbesoindevousdire qu’ilesthorsdequestionquecelasereproduise.Mescicatricesontdisparu,Dieumerci,grâceàun traitementaulaser.Laurie,lalumière,jevousprie.Premièrediapositive.Jevousremercie,dit-elle tandisquelapaged’accueilétaitremplacéeparunécranaffichantunephotodeWilliamentrainde tirerlalangue,àcôtéd’unelisteinscriteaumarqueurdeses«problèmes». Àlademanded’Anna,LaurieavaitconstituéuneprésentationPowerPointsurlesenfantsPerry, aussirigoureuseetfroidequelabalancecommercialed’uneentreprise. –Commevouslevoyez,nousespéronspouvoirenvoyerWilliamàEtonl’annéeprochaine,si sestroublesmentauxnelesdécouragentpasderetenirsacandidature,ditAnnaensoulignantlesmots Troubles déficitaires de l’attention / hyperactivité – nouvelles prescriptions à l’aide d’un curseur lumineux.LeDrAbrahamtenteradifférentstraitements,etétudieralesrapportsdeWilliamavecsa familleetleurimpactsursamaladie.Nevousétonnezdoncpasdelevoirassisterauxactivitésou poserdesquestions. Marablêmit.Annanesecontentaitpasdesedébarrasserdugamin,ellel’envoyaitcarrémentsur un autre continent. Eton, une école privée anglaise ultra-sélecte, comptait le futur roi d’Angleterre parmisesélèves.Annaavaittrouvélemoyendeconciliersesdésirsd’ascensionsocialeetsonenvie de se débarrasser du plus problématique des enfants de son mari. Pire encore, un docteur des plus louches allait le suivre tout l’été en prenant des notes ! À coup sûr, l’effet sur le comportement de Williamrisquaitd’êtrespectaculaire... LauriepressaunboutondelatélécommandeetlevisagedeZoéapparutsurl’écran. –NoustrouverionsmerveilleuxqueZoéapprenneunelangueétrangèrecetteannée.Celanousa tellementfaitplaisir,àKevinetmoi,lorsqu’elleaentamélalecturedecelivreenportugais,l’année dernière. Mais nous pensons qu’elle devrait se tourner vers une langue plus... comment dire... plus riche,dupointdevuehistoriqueetculturel.Unelanguequiluidemandeunpeuplusd’efforts.Ona opté pour le russe. J’ai moi-même étudié Tchekhov à l’université, et je me suis dit que ce serait formidablequ’elleprenneunpeud’avancesurl’étudedesclassiques. Donnerdescoursderusseàunegaminedeseptans?Commentallaient-ilss’yprendre?Mara avait à peine la moyenne en espagnol ! C’était du Anna tout craché, d’avoir choisi une langue qu’aucundesdeuxbaby-sittersétrangersneparlait. –QuantàCody,leDrAbrahamm’aalertéesurlefaitqu’ilcommençaitàmanifesterlessignes d’unepersonnalitéborderline.Ildevradoncégalementfairel’objetd’unesurveillanceattentive. JacquiprenaitunequantitédenotesetMara,voyantcela,avaitdumalànepaséclaterderire. QuantàPhilippe,lesmainsplaquéessurlanuque,ilsebalançaitsursachaiseetbâillaitsansaucune discrétion. Nouvellediapo:unemploidutempshebdomadaire. – Nous avons décidé de les maintenir très occupés cet été. Leur occuper l’esprit et les mains, c’estlemeilleurmoyendelesempêcherdefairedesbêtises...Ledimancheetlelundi,ilsferontdu surfàlaplagedeMontauk,lemardi,descoursdemusiqueetdesensibilisationàl’art,del’équitation lemercredi,lecampd’étédelaCabalelejeudiet,levendredi,dansedesalonetbonnesmanièresau CountryClub.Lesamedi,ilsaurontquartierlibre,maisj’espèrequevoussaurezlesinciteràtrouver des activités productives – pratiquer la méditation, par exemple. C’est si important, d’avoir une vie spirituelle. AnnafitsigneàLaurie,etleslumièresserallumèrent. – Pardonnez-moi, Anna... et Madison ? demanda Mara. Quels sont les objectifs qu’elle devra atteindrecetété? – Madison a onze ans. Trop âgée pour avoir encore besoin de baby-sitter, répondit Anna. Ne vous faites pas de souci pour elle. Nous sommes tellement fiers que son nouveau régime lui réussisse! Lerestedelajournéeconsistaenuntourbillonfrénétique.Maislorsquelesenfantsfurentenfin couchésetbordés,MaraetJacquiretournèrentlessivéesdansleurchambre.Philippes’étaitesquivé aussitôt après un premier et catastrophique cours de tennis (William s’était servi de sa raquette commed’unematraque,Zoéavaitmaniélasiennecommeunebattedebase-balletCodyétaitàpeine parvenuàsouleverlasienne). –Jesuisvannée!ditJacquiensehissantpéniblementsurlelitduhaut.Jenemesouvienspas d’avoirautantbossél’étédernier! Maraouvritlabouchepourrétorquerquelquechose,maislorsqu’ellevitl’expressiondeJacqui, elle éclata de rire. Au moins, Jacqui était là pour lui filer un coup de main cette fois-ci. Quant à Philippe,quisaitoùilétaitpassé? Ellesavaientàpeineeuletempsderespirerquandlenouvelinterphonesemitàsonner. –Pavillondes«au-pair»,réponditMara,ainsiquel’avaitexigéAnna. – Sans blague ! s’esclaffa Eliza. Alors, les garces, vous venez ou quoi ? demanda-t-elle. Mes parentsviennentjustedesortirpourlasoirée,etj’aitrouvéunesuper-recettedemojito.Apportezdes feuillesdementhe! Pourprendreunbain deminuitnuecommeunver, mieuxvautêtreronde commeunebarrique! Lorsqu’ellesarrivèrentàlamaisond’Eliza,ilétaitpresquedixheures,carJacquiavaitinsisté pourqu’ellesessaientdetrouverPhilippeafindel’inviteràlesyaccompagner. –Ceseraitgrossierdel’abandonnerici,avait-elleditàMara. Bienqu’ellesefûtjurédeneplussepréoccuperdesgarçons,çan’allaitpasl’empêcherdese montrer amicale. Mais le Français ne reparut pas et Mara, qui en avait assez d’attendre, persuada JacquideluilaisserunpetitmotindiquantcommentserendreàlamaisondesThompson. La seule voiture garée dans l’allée était l’Aston Martin de Ryan et, bien que les Perry leur eussent toujours assuré qu’elles pouvaient utiliser n’importe lequel des véhicules disponibles, elles décidèrentdesefairedéposeràSouthamptonparl’unoul’autredesemployésdejour.Pourletrajet deretour,ellesarriveraientbienàsedébrouiller,quitteàappeleruntaxi. La maison louée par les Thompson était un cottage à la peinture écaillée, avec une charmante vérandas’étendantsurtroisdesescôtés.Nichéeaufondd’unealléesansissue,elleétaitombragée parunefutaiedechênesauxtroncscourbés.Plusieurskayaksuneplaceetleurslonguespagaiesde boisétaiententasséssurlapelousededevant. Elizalesaccueillitsurleseuil,tenantsurunplateaulesmojitosfrappés. – Il était temps ! grommela-t-elle en leur tendant les grands verres embués. Je commençais à penserquej’allaisdevoirlesdescendreàmoitouteseule! Elizaleurfitrapidementvisiterlamaison. –Jecroisqu’ellen’apasétérénovéedepuislesannées1970,soupira-t-elleensecouantlatête, lesyeuxrivéssurletapisorange.Etévidemment,onestducôtécheapdel’autoroute,ajouta-t-elle. Marajetaitautourd’elledesregardsémerveillés.Parfois,ellenecomprenaitvraimentpasEliza. Certes, on était bien loin du palace digne d’un musée du design qu’habitaient les Perry, mais la demeuren’enétaitpasmoinsaéréeetconfortable.Et,bienqu’elleparûtpetitevuedudehors,Mara n’ycomptapasmoinsdesixchambresàcoucher–deuxsouslescombles,troisaurez-de-chausséeet unedanslesous-solaménagé,équipéd’unjeudefléchettesetd’unbaby-foot.Elizaneréalisaitpasla chancequ’elleavait. Elles se dirigèrent vers le patio, à l’arrière de la maison. Là, Eliza leur montra la piscine «minable»etlejacuzzi«archi-craignos».Puistoutestroiss’assirentauborddelapiscine,leurs jambestrempantdansl’eau. Marapritunegrandegorgéedecocktail,ens’efforçantdenepasenrenversersursajupe.Le sucredecanneetlamenthemélangésaurhumavaientungoûtdélicieux,relevéparunepointedesel. –C’estunrégal,ditMara. –Mmm...,approuvaJacqui. Ah,cequec’étaitbond’êtredébarrasséesdecesgamins!Ellepiquaunecigarettedanslepaquet d’Eliza,quis’enallumauneavantd’enproposerégalementàMara.Celle-cicommençaparsecouer la tête puis, changeant d’avis, en prit une elle aussi. Elles tirèrent avec plaisir sur leurs cigarettes, entredeuxgorgéesdemojito. Eliza voulut savoir comment s’était passée leur journée et écouta Mara avec attention lorsque cettedernièreracontaàquelpointelleavaitétédéçuedetrouverRyansiviteliéàquelqu’und’autre. –JeconnaisAllisonEvans,ditElizad’untonprudent,ens’efforçantdeparlerd’untoncalme.Je ne savais pas qu’ils sortaient ensemble. Tu en es sûre ? Ryan a des tas de copines... je veux dire d’amies filles, bafouilla-t-elle, en songeant qu’elle aussi était censée faire partie de ces « amies filles»deRyan.Tudevraispeut-êtreluiposercarrémentlaquestion. Marahaussalesépaules. –Àquoibon?Ils’estcomportécommesijen’étaisrienpourlui. Elleachevadevidersonverre,sentantquelerhumcommençaitàfairesoneffet. –J’auraisdûm’endouter. Pourlaréconforter,Jacquipassaunbrassurl’épauledeMaraetl’étreignit. – C’est pas si grave, chica. Tout le monde fait des erreurs, dit Jacqui en posant sur Eliza un regardéloquent. SiElizacomptaitjamaisavouerl’épisodedePalmBeach,c’étaitlemomentrêvé. MaisElizadétournalatête. –Dis-toibienunechose,Mara.Aumoins,toi,tunemourraspasvierge!déclara-t-ellesurun tonpiteux,avantd’écrasersacigarettesurlebordcarrelédelapiscine. –Jeremyettoin’avezjamais...,commençaMara. –L’amouràlonguedistance,çanenousapasvraimentréussi,soupiraEliza.Ilestcenséfaireun sautàlaboîtedemain.Maisjesaispassi...Moiaussij’aipeurqu’ilsorteavecquelqu’und’autre,se lamenta-t-elle. Jeremyavaitfiniparlarappelerlaveille.Etavaitprétenduêtretrèsimpatientdelavoir,bien qu’autéléphone,Elizal’eûttrouvébrefetunpeuabsent. –Avecmonmanquedeveine,jen’arriveraisansdoutejamaisàlefaire.Ilyatoujoursuntruc qui se passe ! Je meurs d’envie de me débarrasser de ma virginité ! geignit Eliza, consciente du ridiculedesesparoles. – Ci-gît Eliza Marie Thompson, annonça Jacqui sur un ton funèbre. La Dernière Vierge d’Amérique.Elleaessayédes’endébarrasser,maispersonnen’enavoulu.Qu’ellereposeenpaix. JacquietMaras’esclaffèrent.Elizafitmined’êtrevexée,avantdecéder,elleaussi,àsonenvie d’éclaterderire. –Venez!dit-elleenlesaidantàsereleverlorsqu’elleseurentfinideglousser,ragaillardiepar l’idéequivenaitdeluitraverserlatête. Ellesaisitlabouteillederhum.Àquoibonagiterlespiedsdansceminablepetitbassinquand l’océanétaittoutprès? Ellescoupèrentàtraverslesjardinsdesmaisonsvoisines,seglissantsouslescordesàlingeet enjambant les voitures d’enfants afin d’atteindre plus vite le rivage. Là, elles contemplèrent le roulementdesvaguesetleurcrêteblanched’écumeàl’horizon.L’airembaumaitl’iodeetlesel.Eliza trempaunpieddansl’eau. –Elleestbonne!s’exclama-t-elleavecravissement. C’étaitl’Atlantique–l’eaun’yétaitjamaisbonne!PoursebaignersurlescôtesdeLongIsland, surtoutàlanuittombée,ilfallaitaimerlesbainsglacés.Éméchée,Elizadécidaquec’étaitunsigne. –Onpiqueunetête!lança-t-elled’untoneuphorique. –Ohé,jeterappellequ’onn’apasnosmaillots!protestaMara,enfaisantquelquespas,làoù l’eauétaitpeuprofonde. Eneffet,elleétaitrelativementbonne–maistoutdemême... –Etalors?rétorquaElizaavecunhaussementd’épaules. Déjà,elleretiraitsoncardigan.Toutcerhumluiavaitdonnéchaud.Piquerunetêtedansl’océan luiparaissaitlameilleurefaçondeserafraîchir. Jacqui,sonverreàlamain,pritletempsdeconsidérerleschoses.Quelledélicieusesensation que la mer caressant ses pieds nus ! Elle termina son cocktail et, suivant l’exemple d’Eliza, laissa glissersarobedecoton.Detoutefaçon,elleneportaitgénéralementpasdesous-vêtements.Puiselle courutverslesvaguesenriant. Elizasedébarrassadesontee-shirtetdesonpantacourt,etôtarapidementsonsoutien-gorgeet saculotte.EllepoussadespetitscrisenrejoignantJacquidansl’eau. Lesdeuxjeunesfillesbarbotèrentgaiement. –Allez,Mara!Tunenagesnuequ’aveclesgarçons,ouquoi?lataquinaEliza,luirappelant que,l’étéprécédent,MaraetRyanavaientétésurprisalorsqu’ilssebaignaientsans maillot dans la piscinedesPerry,parlepetitamideMara,quiplusest. Eliza avait gagné. Mara déboutonna son chemisier et enleva son jean. Elle s’extirpa de son caracoet,ayantsoigneusementpliésessous-vêtements,lesplaçasursesvêtements. –Banzaï!s’esclaffa-t-elleenfaisantlarouejusqu’àlamer. Ellesnagèrentparesseusementpendantunpetitmoment,éprouvantunedélicieusesensationde décadence.Ah,lesplaisirsdel’été!Ellesfirentlaplancheetcontemplèrentlesétoilesets’amusèrent àseplongerlatêtesousl’eau.Auboutdequelquesminutes,leseffetsdel’alcools’atténuèrentetelles réalisèrentlamêmechose,quasimentenmêmetemps:l’eauétaitglacée! –Je...J’aifroid,balbutiaElizaenfrissonnant. Elleregagnalerivageaupasdecourse,sipresséedeserhabillerqu’elleenfilasonchemisierà l’envers. Mara et Jacqui suivirent. Elles riaient de leur bêtise : ne pas avoir pensé à apporter des serviettes ! Elles contemplèrent les vagues quelques secondes encore et s’apprêtaient à repartir lorsqueElizaeutunenouvelleidée. –Quelqu’unaunstylo?s’écria-t-elleenbrandissantlabouteillederhumvide. –Moij’enaiun,réponditMara. Elleplongealamaindanssapoche,etletenditàEliza. –Qu’est-cequetufais?demandaJacqui,enregardantElizadécollersoigneusementl’étiquette delabouteille. Eliza souriait, tandis qu’elle griffonnait quelques lignes. Puis, après avoir montré aux deux autressonmessage,ellelepliaentroisetleglissadanslabouteille,dontellerevissalebouchonavec force. –Vousn’avezjamaisfaitçaquandvousétiezgamines?(JacquietMarasecouèrentlatête.)C’est marrant.Onnesaitjamaisquivatomberdessus.Quialeplusdeforcedanslesbras?Mara? Marahaussalesépaulesetpritlabouteille.Ellelajetaetlestroisfilleslavirentdécrireungrand arcdecercle,monteretdescendreàlasurfacedel’eau,puisdisparaîtredanslesvagues.Surletrajet duretour,ellestraînaientdespiedsmaisétaientd’humeurjoyeuse. –Alors,lesfilles,vousvenezàlaboîtedemainsoir,hein?Jevousmettraisurlaliste,assura Eliza,alorsqueJacquiouvraitsontéléphoneportablepourappeleruntaxi. – D’accord, répliqua Jacqui non sans hésitation – elle redoutait déjà les conséquences de leur escapadedecesoir.Çadépendradel’heureàlaquelleonarriveàcoucherlesgamins,j’imagine... –Ouais,jesuispassûredepouvoir,ditMara.J’aicedîner,plustôtdanslasoirée. ElizapressaaffectueusementlesépaulesdeMara. –Allez,ceserasuper.C’estlepremierweek-enddel’été.Promettez-moidevenir! –Ryanseralà?demandaMara,enredoutantd’avoiràrevivrelascènedumatin. –Qu’est-cequeçachange?rétorquaEliza.Enfin,jevoulaisdire... Apparut soudain l’éclat de phares – une Aston Martin décapotable venait de s’engager dans l’allée. –Bonjour!s’exclamaPhilippe. Visiblement,iln’avaitpaslemoindrescrupuleàutiliserlavoituredeRyan. – J’arrive trop tard ? demanda Philippe, souriant en coin lorsqu’il vit à quel point les filles étaientdébraillées,avecleursvêtementshumidesquileurcollaientaucorps. – Non, non, tu arrives au bon moment, répondit sèchement Jacqui, pour nous ramener à la maison. AnnaPerryest beaucoupplusjeune quesesinjectionsdeBotox nelelaissentsupposer Lelendemainsoir,aprèsêtreparvenueàlaforcedupoignetàcoucherlesgamins,Jacquientra dans la salle de jeux, une pièce avec moquette mais sans fenêtres, coincée entre les chambres des filles et celles des garçons. Là, elle commença à ranger les jouets, les skate-boards, les Lego, les pistolets en plastique, les poupées Barbie et toutes sortes de peluches parlantes dans un coffre en plastique. Les chambres des gamins se trouvaient dans une aile isolée et à peine accessible de la maison,derrièreuneporteinsonorisée.Jacquiremarquaquelesenfantsn’auraientpaspuêtreplus loindesappartementsd’Anna–àmoinsd’êtreparquésdanslecottagedesdomestiques.Enrevanche, unepetitepièceàdeuxniveauxéquipéed’unbarétaitsituéejusteàcôtédelachambredesmaîtresde maison. Jacquis’acquittaseuledesatâche–Marasepomponnaitpoursonrendez-vousavecGarrett,et PhilippeavaitdenouveaufiléDieusaitoù.Mais,lorsqu’elleretournaaucottage,elleletrouvaassis, ouplutôtvautré,surlesmarchesduperron. Quelsaleflemmard!Iln’étaitjamaisdanslesparagesquandellesavaientbesoindelui.Jacqui mitlesmainssurleshanches,prêteàluidirelefonddesapensée. Voyantsonexpression,Philippeluitenditlejointqu’ils’étaitroulé. – C’est pas vraiment mon rayon, expliqua-t-il en désignant la maison. Tiens, prends une bouffée! C’était pas une super-idée, de se défoncer chez les Perry. Surtout quand elle espérait obtenir d’eux,àlafindel’été,unesublimelettrederecommandation.Celadit,elleétaitunpeutendue...et puis,ellen’étaitpasdugenreàrefuserunpetitjoint.Ellelepritetaspiralafuméeâcre,quiluibrûla lagorge. –Jenesaispascommenttufais!ditPhilippe.Matantem’avaitavertiqueceseraitpasfacile, maisjenecroyaispasqueceseraitduràcepoint-là.Jevoulaisjusteêtreauborddelamer. Jacquiéclataderire.Ellen’arrivaitpasàluienvouloirpourdebon.Illuifaisaitpenseràelle, unanplustôt.Ilsrestèrentassislà,dansunsilenceamical,àécouterchanterlesgrillonsetàregarder danser les lucioles autour des buissons entourant la piscine. Le portable de Philippe sonna à deux reprises,maisilneréponditpas. – Qui a tellement envie de te joindre ? demanda Jacqui lorsqu’il ignora la sonnerie pour la troisièmefois. –Oh,descopains,secontenta-t-ilderépondresuruntonnonchalant. Quelquesminutesplustard,Marasortitducottage,vêtued’unedestenuesgrifféesdeJacqui–en l’occurrence,unerobeenmousselinedesoielavandetrèsdécolletéeetdécorée,surlecoletlataille, d’un joli motif en perles de cristal. Il découvrait tellement le dos que Mara craignait de paraître indécente.MaisJacquiavaitinsisté:rien,danslesvêtementsqu’avaitapportésMara,n’étaitassezchic pourundîneràl’AmericanHotel. Philippesiffla. –Jesaispassijel’aibienmise,ditMaraàJacqui.Çavacommeça? JacquipassalejointàPhilippe,etselevapours’enassurer.Elletiraunpeusurlarobeauniveau delataille,pourqueledécolletésoitplusplongeant. –Voilà.Perfeito.J’aiunepairedeJimmyChoodansmonsac.Lestiennessontmignonnes,mais pasassezhautes,décrétaJacquiendésignantlessandalesdeMara. –C’estquoi,cequevousfumez?demandaMaraenhumantl’air,soupçonneuse. –Rien. –Riendutout. Mara savait qu’ils mentaient. Mais elle était trop soucieuse d’être présentable et trop reconnaissanteenversJacquideluiavoirprêtésarobepourlescritiquer.Parailleurs,elleenavait par-dessuslatêtedetoujoursjouerlesfillessages.JacquietPhilippeétaientassezgrandspoursavoir qu’ilsrisquaientd’êtrerenvoyéssionlessurprenaitentraindefumerdel’herbe. –DitesàElizaquejesuisdésoléedenepasavoirpuvenir,d’accord?leurdemandaMara,en enfilantlessandalesdeJacqui. PuisellesedirigeaverslademeuredesPerryafind’attendreGarrettdanslehall. Quelques instants plus tard, des talons claquèrent sur l’allée bétonnée. Jacqui crut que c’était Maraquirevenait–sansdouteavait-elleoubliéquelquechose.Orc’estAnnaPerryquiémergeades ténèbres,vêtued’unpeignoirdesoietrèsserréàlatailleetchausséedemulesenbrocart. –Ilm’asemblésentiruneodeur,dit-elle. Jacquimanquades’étoufferenravalantlaboufféequ’ellevenaitdetirer,ettentadedisperserla fumée. – Vous voilà ! lança Anna à Philippe avec un sourire chaleureux. Je vous ai cherché partout, minauda-t-elle,pendantqueJacquis’empressaitdecacherdanssondoslecorpsdudélit. –Qu’est-cequevoustraficotiez,touslesdeux?demandaAnna. Elles’assitprèsdePhilippe,surlesmarchesdubas. –Jacqui,ilyaquelquechosequinevapas? Jacquisecoualatête,balançalejointendouce,etl’écrasasoussontalon. –Rien...Onétaitjuste...non,toutvabien... Jacquis’efforçadesourireets’écartad’eux. –Jesuisdésolée.Jemeursdefatigue.Ilfautquej’aillemecoucher.Euh...bonnenuit! Elletournalapoignéedelaporteducottageetclaqualebattantderrièreelle.Soncœurbattaità toutrompre.Sapatronnevenaitdelessurprendreentraindefumerdel’herbe!Comment,désormais, espérer qu’Anna lui permette d’obtenir un job à New York ? Jacqui se demandait ce qui se passait, dehors,encemomentmême.AnnaparlaittoujoursavecPhilippe...Collantsonoreilleàlaporte,elle parvintàsaisirdesbribesdeleurconversation. –Vousn’avezriensurvous?entendit-elleAnnademander. Philippemarmonnauneprotestation. –Nefaitespasl’idiot!Jenesuispasnéedeladernièrepluie,voussavez,rétorquaAnna. Jacquiperçutunbruissementet,ànouveau,lavoixd’Anna. –NomdeDieu,cequej’enavaisenvie!Kevinpeutêtretellementennuyeux...Autrefois,onse marraitvraimenttouslesdeux,maismaintenantiln’enaplusquepourleboulot. Philippeémitunesortedericanement. Jacqui n’en croyait pas ses oreilles. Anna Perry ! Fumant un joint avec l’un des baby-sitters ! AnnasemitàglousseràcausedequelquechosequePhilippeavaitdit.Jacquisesentitsoudainlaissée pourcompte,mêmesic’estellequiavaitchoisidepartir. –Vousmedonnezquelâge?demandaAnnaàPhilippe. Ohnon,c’estvieuxcommelemonde!songeaJacqui. –Vingt-cinqans,réponditgalammentPhilippe. –Unpeuplus...J’aitrente-deuxans.Onnepeutpasdirequejesoisvieille,n’est-cepas?(Jacqui étouffa un rire. Pour elle, trente-deux ans, c’était presque le troisième âge.) J’ai parfois du mal à imaginerqu’àtrente-deuxans,jesuisdéjàmèredeseptenfants.Sept!Unevraiepoulepondeuse... Jacqui manqua de s’étouffer. Anna n’avait mis au monde qu’un seul enfant, Cody. Elle était la belle-mèredurestedelanichée.JacquinedistinguapaslaréponsedePhilippe.PuisAnnaparladela vieetdutempsperdu,etJacquiréalisaquelamalheureusefemmesesentaitseule.Çadevaitcraindre un max de ne pas avoir de vrais amis avec qui discuter, et de devoir recourir à la compagnie d’un employé.Maispourquoifallait-iljustementquecesoitPhilippe? Aprèscequiluiparutuneéternité,JacquientenditAnnasereleveretleclaquementdesestalons faiblir, comme elle s’éloignait du cottage. Jacqui poussa la porte d’une main hésitante. À présent qu’Anna était partie, Philippe et elle pourraient enfin se rendre au Septième Cercle. Or, lorsqu’elle ressortit,leFrançaiss’étaitvolatilisé.Ellenetrouvaqu’unmégotdejointetdesfeuillesdepapierà roulerdéchiréessurlesol. Jacquiétaitdécouragée.EllepouvaittoujoursallerauSeptièmeCerclemaisbizarrement,l’idée ne lui paraissait pas aussi drôle ou excitante que lorsqu’elle s’imaginait que Philippe allait l’y accompagner. D’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait... c’est vrai qu’elle était vannée. Après une journéepasséeàcouriraprèstroisgosses,çan’avaitriend’étonnant.Elleremontalesescaliersd’un pastraînant,ensongeantquesonlivredepréparationdel’examend’entréeàlafacpourraittoujours lui tenir compagnie. Cependant, elle avait beau savoir qu’elle se comportait de la meilleure façon possible,celanelaconsolaitguère. Riendetel qu’unevoituredeluxe pourremonter lemorald’unefille À sa grande stupéfaction, Mara trouva toute une équipe de tournage dans le hall, occupée à installer des projecteurs et des écrans de contrôle. L’un des gars, portant casque et micro, faillit renverserl’étagèrecontenantlacollectiond’animauxminiaturesenporcelained’Anna.SugarPerry, vêtue d’un top à capuche en velours rose prérétréci qui exposait son nombril et d’un mini-short assorti, parlait avec animation tandis qu’on la filmait. Le réalisateur, un jeune mec en pantalon de velours côtelé délavé, s’agenouilla pour vérifier l’image de Sugar dans son moniteur lorsqu’il remarquaMara,quitraînaitprèsdelaported’entrée. –C’estqui,tacopine?demanda-t-il,enindiquantaucaméramandefaireunplandeMara. –Oh,c’estpersonne!répliquaSugard’unevoixtrèslasse.Elletravailleici,c’esttout. Maisleréalisateur,ignorantlaremarquedeSugar,fixaittoujoursMara. –Salut,jem’appelleRandyBravermanetjetravaillepourlachaînededivertissementE!,dit-il enluiserrantlamain.Laurievousaparlédenotreémission? C’est alors que Mara se souvint. Sugar était la vedette d’un programme de télé-réalité qui se tournaitcetété,censémontrercommentvivaitlajeunessedoréedesHamptons.Telétaitl’objectifde l’émission:surprendrelesrichesoisifsdansleurviequotidienne–end’autrestermes,suivreSugar partout. Laurie les avait prévenus que, dans la mesure où ils étaient employés par les Perry, leur participationrisquaitd’êtreexigée.C’estpourquoiilsavaienttousdûsignerunedéchargeaudébutde lasemaine. – C’est la voiture de Garrett... Qu’est-ce qu’elle fait là ? s’interrogea Sugar en jetant un coup d’œilverslabaievitrée–unesuperbelimousinevenaitdesegarerdansl’allée. –Ilvientmechercher,expliquaMara,sedirigeantverslaporteenespérantpouvoirsortirdelà leplusvitepossible. –TusorsquandmêmepasavecGarrettReynolds?demandaSugarsansparveniràdissimuler sasurprise. –QuisortavecGarrettReynolds?criaPoppyPerryendévalantlesescaliers. Poppy était vexée qu’on ne l’ait pas retenue pour l’émission. Au début de l’année, leur agent avaitenvoyéuncommuniquéauxjournaux,lequelindiquaitquelesjumellesnesouhaitaientplusêtre appelées « les sœurs Perry » mais, à partir de maintenant, « Sugar Perry » et « Poppy Perry » – puisqu’elles tenaient une fois de plus à préciser qu’elles étaient deux personnes bien différentes, chacune menant sa carrière à elle. Du coup, Poppy perdait au change – elle n’était visiblement pas aussicélèbrequesasœur,plusgrande,plussexyetplusscandaleuse. –Moi,réponditcalmementMara. LessœursPerryprononçaientlenomdeGarrettcommes’ils’agissaitduprinceWilliamoude LeonardodiCaprio,àcroirequec’étaitundemi-dieu. Poppyécarquillalesyeux. –Paspossible! –Bizarrequ’ilnenousaitriendithiersoir,fitremarquerSugar,enregardantMaracommesi celle-ciavaitfaitquelquechosedemal. –Alors,çafaitquoi,desortiravecl’undesgarçonslesplusrichesdesHamptons?demanda RandyBravermanàMara,tandisquelemicroetlescamérasétaientsoudainbraquéssurelle. –Onnesortpasensemble.Enfin...c’estnotretoutpremier...jesaispas...Ilesttrèssympathique..., bredouillaMara.Jesuisdésolée,fautvraimentquej’yaille,ajouta-t-elleennaviguantentrelesunset lesautresafindegagnerlaported’entrée. Garrettémergeadel’arrièreduvéhicule,ettenditàMarauneroseblancheàlonguetige.Ilavait ramené en arrière ses cheveux sombres et soyeux, et était superbe dans son costume de lin blanc cassé. –Lecarrosseestprêt,madame,ditGarrett.Eh,c’estquoitoutecettepagaille?demanda-t-ilen désignantlafouleassembléedanslehall. Tous les yeux étaient rivés sur eux, et la caméra les suivait toujours, tandis que Sugar commençaitàtrépignerd’impatience. Marapritlaroseetseglissadanslavoiture. –SugarestfilméeparlachaînededivertissementE!,tusais,l’émissionsurlesjeunesgensde bonnefamille. –Ahoui!ricanaGarrett.RichesetcrétinsdanslesHamptons! Mara tiqua. Elle croyait que Sugar et Poppy étaient amies avec Garrett – du moins, c’était ce qu’ellesvenaienttoutjusted’insinuer.Or,voilàqu’ilsemoquaitd’elles–peut-êtreétait-ilplusmalin qu’ilnevoulaitbienlelaisserparaître. –Champagne?demanda-t-ilensortantunebouteilled’uneglacièresavammentdissimuléedans l’accoudoirdelabanquette. La limousine était tout ce qu’il y a de plus luxueuse, avec ses deux écrans de télé plasma, ses casquessansfil,etsessiègesmassants. –Ilssebaissentcomplètement,fitremarquerGarrettavecunsourirecoquin.Maispourça,on vapeut-êtreattendreunpeu,non? Marafitcellequin’avaitrienentendu.Ellecommençaitàsedemandersiellen’avaitpasfaitune bêtiseenacceptantl’invitationdeGarrettquandellenevoulaitqu’unechose:trouvermoyendefaire admettreàRyanqueleurhistoiredevaitreprendreàzéro.EllenevoulaitpasmenerGarrettenbateau, surtoutavectoutlemalqu’ilsedonnait... –Tuesabsolumentsuperbe,ditGarrett,luiprenantlamainetlapressantdanslasienne. Il la regarda avec admiration et la complimenta au sujet de sa robe, de ses cheveux, de son sourire,desonparfum,desesjambesetdeseschaussures.C’étaitagréabledesesentirappréciée– d’autantplusqu’àSturbridge,ellesefaisaitl’effetd’êtrebanaleetqu’hier,devantAllisonetRyan, elleavaitpresqueeul’impressiond’êtreinvisible. Lerestaurantétaitd’uneéléganceclassique,avecseschandeliersenargentmassifetsesserveurs ensmoking.Maranesesentaitpasvraimentàsaplacedansunetelleatmosphère.Unmaîtred’hôtel guindélesconduisitàleurtable. –Jepariequ’ilportedessous-vêtementsdefemme,glissaGarrettàl’oreilledeMara. Celle-ciétouffaunrireetcessad’êtremalàl’aise,bienqu’ilsfussent,etdebeaucoup,lesplus jeunesclientsdulieu. Garrett commanda pour elle, ce qui aurait contrarié Mara si les plats choisis n’avaient été absolument exquis. Elle n’avait encore jamais mangé de « médaillons de foie gras », ni de « langoustine légèrement pochée, à l’écume de caviar ». elle n’avait jamais, et de loin, dégusté des platsaussibonsetsurprenants.Entrelepoissonetlaviande,leserveurapportaunverreàcocktail remplidesorbetauconcombre. –C’estunsorbetdigestif,expliquaGarrett. Maralebutd’untrait,sedélectantdesasaveurlégèrementacide. Elle s’amusait, c’était indéniable. Certes, Garrett était un peu égocentrique – Mara en avait un peuassezd’entendresonopinionsurtoutetn’importequoi,dusystèmeélectoralàlarecherchesur lescellulessouches,enpassantparlenouveaufilmdeWesAndersonetparsasuper-idéedescénario (un remake de Casablanca situé dans l’espace !). Mais il était tellement passionné qu’elle lui pardonnait. Si l’on oubliait ses réflexions déplacées, il était à mourir de rire. Son enthousiasme candide et son impertinence étaient contagieux et, en dépit de ses premières impressions, Mara se surpritàappréciersacompagnie. – Je n’avalerai pas une bouchée de plus ! décréta-t-elle, repoussant son sublime dessert et tapotantsonventre.C’étaitàtomberparterre! GarrettversadusauternesdansleverreàdessertdeMara. –Àlatienne!dit-iltandisqu’ilsfinissaientlabouteille. Garrettavaitfourréunbilletdecentdollarsdanslamaindusommelierafinqu’iln’exigepasde voirleurspapiers–ilsn’avaientpasl’âgelégalpourconsommerdel’alcool. Décidément,Maraétaitunpeupompette.ElleserelevaenvacillantetGarrettluioffritsonbras. Prévenant,ilnelalâchapasjusqu’àlavoiture. –Oùest-cequejevousemmène?demandalechauffeurenportantlamainàsacasquette. MarahaussalesépaulesetadressaàGarrettunsourireespiègle.C’estvraiqu’ilétaitsexy!Pas étonnantqueSugaretPoppysoientjalouses.Charlie,lepetitamideSugar,étaitséduisant,maiscela étaitdû–àencroireEliza–àunremodelagefacialdegrandeenvergure.QuantàPoppy,ellevenait desefairelarguerpourlaénièmefoisparsoncopainLeo–quilouchaitunpeu. –AuSeptièmeCercle?suggéraGarrett. Marahochalatête.Ellepassaitunesibonnesoirée.Ç’auraitétégrossierd’ymettresiviteun terme,d’autantqueGarrettsecomportaitengentleman. –J’aiuneamiequiytravaille,dit-elleensouriant,tandisquelavoitures’enfonçaitdanslanuit. Lescélébritéssontcomme desgaminsdedeuxans: ellesfontdescaprices etpiquentdescrises Elizaavaitsuivilesinstructionsd’AlanetKartikàlalettre:elleportaituneminijupeàsequins argentée Sass & Bide coupée en haut des cuisses – Jessica Simpson possédait l’unique modèle identique–etdesescarpinsencuirmétallisé,auxtalonshautsdedixcentimètres. Laboîtebaignaitdanslalumièredesstroboscopes,etlemeubleàbouteillesgéantoccupantle murdufonddanstoutesahauteurétaitunemerveilleuseinvention.Lesbarmaidsétaientharnachées de cordes de varappe permettant d’atteindre l’une ou l’autre des étagères. Lorsqu’un client commandaitquelquechose,lesfillesescaladaientlemeuble,tellesdesacrobates,ets’emparaientde labouteillerequise.C’étaitunediversionamusante,unetrouvaillesympa.Lesclientss’amusaientà repérerlesalcoolslesplusinaccessiblespourpouvoirregardersouslesjupesdesjoliesbarmaids. Elizan’enrevenaitpas:unchantiertransforméenboîtedenuitultra-branchéequasimentdujourau lendemain!Cesgarsconnaissaientlachanson,aucundoutelà-dessus. Maisellen’auraitjamaisimaginéqueceseraitautantdeboulotdetravaillerdansuneboîtede nuit.Ellen’avaitguèreeuletempsdediscuteravecMara,oudeluidemandercequ’ellefaisaitavec GarrettReynolds,tantilyavaitd’agitationàl’entrée.Elizalesavaitinstallésàlameilleuretable– logique,puisqueMaraétaitl’unedesesmeilleuresamiesetGarrettquelqu’und’important,neseraitcequ’àcausedunomqu’ilportait.Ah,siseulementellepouvaitposer,elleaussi,sesfessessurune chaise!Àforcedesatisfaireetd’amuserlescélébrités,derepousserlesnazes,deservirdesragotsà lapresseetd’esquiverlesbarmaidsvolantes,Elizaétaitépuisée.Elleavaitlesnerfsenpelote,etsiun énièmegardeducorpsvenaitluidemanderdefairejeterunphotographedehors,ellesemettraitsans douteàhurler! Elleavaitdéjàunsérieuxmotifd’angoisse:OndineSylvester,stardesitcomquiavaiteupour compagnonlemariactueldelachanteusepopChaunceyRaven,allaitarriverd’uninstantàl’autre. Unesacréetuile,vuqueChaunceyetsonlégitimeDarylWolf,ancienchoristeetchanteurraté,étaient assisaubeaumilieudelasalleVIP!LereprésentantdeChaunceyexigeaitqu’onnelaissepasentrer Ondine, afin, disait-il, d’éviter de contrarier sa cliente. Ondine, qui avait eu deux enfants de Daryl, étaitenceinted’untroisièmelorsqueChaunceyétaitentréeenscène.Elizaexpliquaautrèspompeux agentqu’ellenepouvaitinterdirel’accèsdelaboîteàOndine,maisqu’ellepromettaitdelaplacerà unetablesituéeàl’autreextrémitédelasalle.IlimportaitdesatisfaireChauncey,carelleétaitlaplus importantestarprésente,maisilétaithorsdequestion–Elizaenétaitbienconsciente–dedéplaireà Ondine,puisqu’illeurfallaitunmaximumdecélébritésdanslaboîte. –Eliza...ilyaquelqu’unquitedemandelà-dehors...Ilditqu’ilteconnaît,crachotaunevoixdans lecasqued’Eliza. –OK.J’arrive,répliqua-t-elleenredressantlecasqueenquestion. Flûte, songea Eliza. Sûrement un vieux pote du lycée qui voulait qu’elle le fasse entrer... Elle avaitdéjàdonnésonfeuvertàLindsayetTaylor,justepourleurmontrerqu’elleneleurenvoulait plusausujetdel’étédernier.Etpuis,c’étaituntelplaisir,detenirtemporairementleurdestinentre sesmains! Elle se dirigea vers l’entrée principale. Aperçut Jeremy et son mètre quatre-vingt-dix, légèrementdébrailléavecsoncostumegrisàrayuresunpeufroisséetsacravatedénouée.Elleavait oubliéàquelpointilétaitbeau.Sescheveuxchâtains,ramenésenarrière,frisottaientau-dessousdes oreilles.Illuiavaitditqu’ilpasseraitàlaboîtecesoir-là,maisellen’yavaitcruqu’àmoitié.Illui paraissait si beau... On aurait dit un homme d’affaires, dans ce costume, et à la vue de sa cravate rouge,ellesesentaitencoreplusamoureuse. – Je leur ai assuré que tu m’avais donné rendez-vous ici, mais ils n’ont pas voulu me laisser entrer,dit-ilavecunvisageradieux. –C’estbon,Rudolph,lançaElizaauvideurbaraqué,ensouriantàJeremy. – Il y a des tas de gens qui prétendent connaître Eliza ce soir, ajouta Rudolph sur un ton menaçant,toutenouvrantlecordondeveloursrouge. –Rudolph...jeprendscinqminutesdepause.SijamaisOndinearrive,tumebipes! ElizaconduisitJeremydanslejardinàl’arrièredubâtiment,oùlesclientsfatiguésdesrythmes technosetdelaposecontinuelleallaientgrillerunecigarette. –Lecostume,c’estenquelhonneur?demandaEliza,taquine. Ellenevoulaitpasparaîtretropémue,mêmesielleétaitenréalitéfolledejoie. –JesuisenstagechezMorgan-Stanley,répondit-il.Labanqueenligne. –Waouh!C’estgénial!s’exclama-t-elle,impressionnée. Ilyaencoreàpeineunan,Elizalesdétestait,cesjeunesloupsdelafinance,quisemettaientà plusieurs pour louer des maisons dans les Hamptons – et se croyaient tout permis. Or, maintenant qu’ellecontemplaitJeremydanssonbeaucostume,labanqueenligneluisemblaitlachoselaplus sexydumonde. – Ouais, c’est chouette. Ils se gênent pas pour m’exploiter, cela dit. Je bosse toutes les nuits jusqu’àtroisouquatreheuresdumatin.Jenepensaispaspouvoirm’échapperceweek-end,maispar chance,onnefaitplusdeRFP,précisa-t-ilenutilisantlejargondelafinance. Eliza souriait, admirative. Ce n’était plus le Jeremy qui, l’été précédent, travaillait comme jardinier dans la propriété des Perry. Un an plus tôt, Jeremy ne s’intéressait qu’aux roses et aux bonzaïs. –Tuhabitesoù?demanda-t-elle. –Leweek-end,chezmesparents.Etlasemaine,vuquejetravailleenville,dansunappartement quelasociétélouepournous. –Alors?ditEliza,enluiprenantlamain. –Alors?répétaJeremyencaressantlesonglesvernisetmanucurésd’Eliza. Ilsseregardèrent.Êtresiprèsl’undel’autrelesrendaitsoudaintimides.Elizas’étaitrapprochée deluisanss’enrendrecompte,jusqu’àsentirsursajouelesouffledeJeremy.Etilss’étreignirent. Ellen’avaitrienvécudetelauparavant.Jeremyetelleétaientfaitsl’unpourl’autre.Certes,çaavait été une épreuve d’être séparés pendant un an. Elle s’était efforcée de ne pas lui demander, dans les innombrables e-mails qu’elle lui envoyait, s’il sortait avec quelqu’un. Jeremy, quant à lui, n’avait jamais fait allusion à une autre fille. Et à présent... c’est comme s’ils venaient de se rencontrer. Impossibledenepassetoucher,c’étaitplusfortqu’eux. Avant qu’Eliza eût réalisé ce qui se passait, Jeremy l’embrassait, un baiser aussi magique que danssonsouvenir. –Cequeçaaétélong!murmura-t-il.J’aipasarrêtédepenseràtoi. –Moiaussi,dit-elle,adorantsentirsatêtebiencaléesouslementondeJeremy.Mesparentssont àWesthamptonpourtoutl’été.Onaunemaison,précisa-t-ellenonsansfierté.Çatedirait,dedîner avecnouslasemaineprochaine? Autrefois,Elizan’auraitjamaisproposéàJeremyderencontrersesparents,decraintequ’ilsne détectent immédiatement ses origines modestes et ne s’opposent à sa relation avec leur fille. Mais maintenantqu’ellelevoyaitdanssonbeaucostume,parlerdesonstage,illuiparaissaitimpossible quesesparentsnel’apprécientpas. –Sijepeuxm’échapperduboulot.Onaunegrosseprésentationlasemaineprochaine.Maisje vaisessayer. Uncrachotementsefitentendredanslecasqued’Eliza: –Eliza,Ondinevientd’entrerdanslasalleVIP!Iln’yaplusuneseuletabledelibre!Etellene vapastarderàtombersurChaunceyetDaryl! –Fautquej’yaille,dit-elle,ensedégageantàcontrecœurdel’étreintedeJeremy. –OK.Detoutefaçon,jesuismort.J’aieuunesemaineépuisante. –Jet’appelle,lança-t-elleendisparaissantdanslaboîte. –C’estmoiquit’appellerailepremier!répliqua-t-ilensouriant. Elizaordonnaqu’onemporteunetabledégotéedansl’arrière-cuisineetqu’onl’installeàl’autre boutdelasalleVIP,afinquelestourtereauxpuissentsavourerenpaixleurscocktailsoffertsparla maison. Jacquiprendunevague, maislaisselegarçonluifiler entrelesdoigts –Laisse-ladormir!conseillaPhilippeàJacqui,tandisquecelle-cis’efforçaitenvaindefaire sortirMaradesonlit. Ilfallaitqu’ilssoientàMontaukàneufheures,pourlapremièreleçondesurfdesgamins.Ils n’yseraientjamaiss’ilsdevaientattendreleréveildeMissGueule-de-bois. JacquisecouaMaraunedernièrefoisetn’obtint,enretour,qu’unvaguegrognement. –Mmmfff...,fitMaraenroulantsurlecôtéetenenfouissantsonvisagesousl’oreiller. Maraavaitdéboulédanslecottagepeuavantl’aube.Elles’étaitlaissétombersurlepremierlit venuet,s’écrasantsurPhilippe,avaitétésaisied’unfourire.JacquietPhilippel’avaientensuiteaidée àregagnerlacouchettedubas,Jacquiprenantbiensoinderecouvrirsonamied’unecouvertureavant de lui retirer sa robe, tandis que Philippe défaisait la bride de ses sandales. Ils l’avaient bordée commeundesenfantsPerry.Lelendemainmatin,ilslaregardaientcommedesparentsamusés... –C’estunefêtarde,non?demandaPhilippequelquesminutesplustard. Jacqui et lui rassemblaient les gamins et la totalité de leur équipement aquatique, qu’ils entassèrentàl’arrièredelaRangeRover. – D’habitude, pas vraiment, dit Jacqui, prenant la défense de son amie, tout en attachant Cody danssonsiège-autoetenarrachantlapoupéedeZoédesmainsdeWilliamafindelarendreàlapetite filleenpleurs. JacquienvoulaitunpeuàPhilippe.Elleétaitécœuréed’avoirloupélasoiréed’ouverturedela boîteoùtravaillaitEliza.Ellenesavaittoujourspasoùcegarçonavaitbienpupasserlasoirée.Çane la regardait pas, mais elle était vexée qu’il eût accordé plus d’attention à Anna qu’à elle. Certes, Jacquis’étaitfixédesrèglesetn’avaitpasl’intentiondelesenfreindre–n’empêche,ellen’avaitpas l’habituded’êtrereléguéeausecondplan. Philippesortitle4×4del’alléeenmarchearrière.Ilss’engageaientsurlarouteprivéequandle Dr Abraham, surgissant de la maison au pas de course en peignoir rouge et pantoufles, leur fit de grandssignespourqu’ilss’arrêtent.Lesgaminsrâlèrentlorsqueledocteursehissadanslevéhicule. – Ah, le bon docteur ! s’exclama joyeusement Philippe. Vous avez besoin de surveiller les activités physiques des gamins, c’est ça ? demanda-t-il en désignant discrètement un grand cabas remplidelivresetd’écrantotal.Devoircommentilssecomportentàlaplage. –Ouioui,c’estcela,réponditledocteur. Lorsqu’ilsarrivèrentàMontauk,lesdeuxmoniteursdesurf,Bree–unefilletrapueetcoifféede dreadlocks,ausouriretoutendents–etRoy–unHaïtiendécontractéquin’arrêtaitpasdeleurfaire signedetenirbon–,leurmontrèrentoùsechanger.Annaavaitachetéauxgaminsdescombinaisons de surf assorties et tout ce qui se faisait en matière d’équipement dernier cri – y compris des GPS raccordés aux sangles qui reliaient leur planche en fibre de verre à leur cheville. Bree tendit à Philippe et à Jacqui des combinaisons, en expliquant à cette dernière que son joli petit bikini ne résisterait pas longtemps à l’assaut des vagues, et qu’il fallait donc qu’elle enfile le vêtement de protection. Si la première partie de sa déclaration suscita des regards émoustillés chez tous les hommesprésents,saconclusionnemanquapasdelesdécevoir. Quand tous se furent changés, ils montèrent sur les planches et, ramant avec les bras, s’éloignèrent de la plage. Les vagues les moins importantes commençaient près du rivage et ils n’eurentpasàallertroploin.BreeetRoyentourèrentlesdeuxplusjeunes,etdemandèrentàWilliam delessuivre. –Aïe!s’écriaWilliamquand,unevaguesebrisantdevantlui,ilreçutlesurfdanslafigure. –Tiens-lecommececi!ditPhilippeenmaintenantlaplanchequ’ilavaitempruntée. Unegrossevaguelessoulevadeplusd’unmètre.Cody,quiportaitdesbrassardspar-dessussa combinaison,poussadescrisdeterreur. –Lesplanchessurlecôté,faceàlaplage!ordonnaRoy,lesmainsenporte-voix.Surveillezles vaguesetrepérezlabonne,commeça...Etalors,hissez-voussurlaplanche.Pagayezaveclesbraset laissez-vousentraînerparlavague. –Facileàdire!fitremarquerJacquilorsque,tentantdesehissersurlaplanche,elleneparvint qu’àretomberdel’autrecôté.Merda! –Regardez-moi!Regardez-moi!criaZoé. EllesemithorsdeportéedeBree,etpagayaavecfrénésietandisqu’unevaguelaramenaitsurla plage. –Joli!Mahalo!ditRoyenlesencourageantd’unnouveaugestedupouce. – Cowabunga ! hurla William en piquant vers le fond, alors qu’une vague le renversait en arrière.Toutvabien!Toutvabien!dit-ilenrecrachantdel’eaudemerlorsqu’ilrefitsurface. Àl’approched’unevague,Philippesemitàplatventre,ramaénergiquementaveclesbras,se dressasurlaplancheetsurfajusqu’ausable. Ilretournadansl’eauaupasdecourse. –J’aipasfaitçadepuisdesannées!s’esclaffa-t-il. Sonvisagerayonnait,etsesyeuxbrillaient. –Waouh!Surpreendente!s’exclamaJacqui.Jemedoutaispasquetusavaissurfer. –Unpeu,c’esttout.C’estpassorcier!dit-il,luimontrantcommentfaire.Vas-y...prendscelleci ! Hisse-toi... oui, c’est ça. Bien ! Formidable ! Encore, encore, encore, l’encouragea-t-il alors qu’elleabordaitgracieusementsurlaplage. Pendant quelques instants, ils regardèrent les gamins osciller au gré des vagues. Puis, assurés queRoyetBreeveillaientbiensureux,ilsretournèrentsurlaplage,oùleDrAbrahamronflaitsous unparasol. –Visiblement,ils’estfaitpayersesvacances,constataJacquid’untonsec. Philippehochalatête. –Heureusementqu’onestlàpourtravaillerdur!répliqua-t-il,taquin,enétalantleursserviettes debain.S’ilyauntrucquejedéteste,c’estquandilyadusablepartout,ajouta-t-iltoutens’affairant. Jacquihochalatête,défitlafermetureéclairdelacombinaisonetlaretiraavecprécaution.Elle sentaitPhilippelafixerdesyeux,bienqu’elleneleregardâtpas. –Tuestrèsbelle,déclara-t-ilsurlemêmetonqu’ilauraitpudire«Ilfaitchaud»ou«Laterre estronde»–commesic’étaitunesimpleévidence,etnonuneraisonpoursemettredanstousses états. –Merci,dit-elleensoutenantsonregard. –Ondoittelerépéterenpermanence,jesuissûr.Çadoitêtreaffreusement...ennuyeux.Pénible, quoi! –Effectivement,réponditJacquiavecsérieux. –Danscecas,jedevraispeut-êtretedirequetuestrèslaide,fit-ilpourlataquiner. Jacqui lui lança un tuba. Il ne se contentait pas d’être mignon. Il avait l’esprit vif, et elle appréciait ça. Elle replia ses jambes contre sa poitrine et ouvrit, à contrecœur, son livre de préparationauxexamensd’entréeenfac.Sonpremiercoursdevaitavoirlieudemainet,bienqu’elle eût volontiers passé la journée à flirter avec Philippe, elle ne pouvait se permettre de se laisser distraire. LeportabledePhilippesonnapourlaénièmefois.Jacquisedemandaitcommentquelqu’unqui n’avaitjamaismislespiedsdanslesHamptonsauparavantavaitpusefaireautantd’amisenaussipeu detemps. –Allô?dit-ilenouvrantsonportable. Il s’exprima dans un français rapide puis, glissant son sac à dos sur son épaule, s’excusa de devoirpartir. –Tuvasoù?criaJacqui. Philippelevaundoigt,commepourdire«Attendsuneseconde!»,maiscontinuaàs’éloigner endirectionduchemindeplanches.Jacquiremarquaqueplusieursfilleslereluquaient,derrièreles verressurdimensionnésdeleurslunettesdesoleilChanelouGucci,etquequelquesmecslemataient eux aussi, sous leurs parasols à rayures. Philippe adressait à chacun, homme ou femme, le même sourireséducteur.Jacquisoupiraetbaissalatêteverssonlivre.Ellenecomprendraitjamaisrienaux Français. C’estpourçaqu’onappelle lapage6page666 Plus tard ce matin-là, Mara se réveilla enfin, seule dans le cottage des domestiques. Il était presqueonzeheuresetdemie.EllenetrouvaniPhilippeniJacqui,ets’étonnad’avoirpudormirsi tard sans qu’aucun des deux n’ait songé à la réveiller. Mara conservait un souvenir embrumé de la soiréedelaveille.Elleserappelaitavoirdanséavecfrénésielorsqueavaitretentilevieuxtuberock Livin’ on a Prayer, avoir croisé Eliza et échangé des histoires de shopping avec, assise à la table voisine, Chauncey Raven – la pop star très entourée qui venait de conclure à Las Vegas un second mariageexpress.Elleavaitégalementpasséunebonnepartiedelasoiréeperchéesurlesgenouxde Garrett, car une bande d’amis à lui s’était pointée, et ils avaient tous dû se serrer sur la banquette. Maiselleavaitesquivésonbaiserlorsqu’ill’avaitraccompagnéeàquatreheuresdumatin. Marasetraînajusqu’àlamaisondesPerry,laquellerésonnaitduvacarmedesmarteauxpiqueurs duchâteaudesReynolds.Ellesecoualatête–ellen’avaitvraimentpasbesoindeça,vusonétat–et entradanslacuisine,oùdesboiseriesfrançaisesanciennesrecouvraientlatotalitédeséquipements, congélateur compris. Elle réalisa que le château des Reynolds ne devait guère différer des autres demeuresdesHamptons,sicen’estparlatailleetlecôtétape-à-l’œil.Ellenetrouvapersonnedansla cuisine, à l’exception de Madison. Celle-ci pesait un blanc de poulet bouilli sur une balance de cuisine.Mararegardalafillettelecoupersoigneusementendeuxavantdelereposersurleplateaude labalance,puisdeledisposersuruneassietteavecplusieursjeunescarottescrues. –Qu’est-cequetufais? Madisonlafusilladesyeux. –Rien. Maras’installasuruntabouret,àcôtéd’elle,etsemitàpréparersonpetitdéjeuner.Ellecoupa unebananeenrondellesetversadulaitdemi-écrémésursonboldecéréales. – Tu sais, Madison, j’ai été une enfant joufflue. Mais à quatorze ans, mon métabolisme s’est réveilléquandj’aicommencéàbeaucoupjoueraufootetlà,j’aifondu. –Jedétestelefoot!rétorquaMadison,selevantetclaquantlaportederrièreelle. Mara soupira. Elle ramassa un exemplaire du New York Post ouvert à la page 6. « LE RICHE HÉRITIERA-T-ILTROUVÉCHAUSSUREÀSONPIED?»pouvait-onlireengroscaractères,sous unclichédeMaraassisesurlesgenouxdeGarrett,prislaveilleausoir.Elles’appuyaitsurlebrasde Garrettetparaissaitrireàsespropos.Garrettfixaitl’objectifavecunsourirearrogant,brandissant d’unemainunebouteilledechampagneouverteetserrantfermementdel’autrelatailledeMara.À l’exceptiondequelquesallusionssarcastiquesàlamonstruositédetrentemillemètrescarrésqueles Reynoldsétaiententraind’érigeràEastHampton,l’articleétaitquasimentidentiqueàceluiparusur Ryan et elle l’été précédent, décrivant comment le jeune couple avait été surpris « se faisant des câlins»danslaboîtelaplusbranchéedumoment.Commentcela,descâlins?Elleétaitassisesurses genoux,riendeplus.D’accord,illuiavaitpeut-êtreunpeufourrésonnezdanslecou... L’angoisselapritauventre.Ellesedemandasic’étaitRyanquiavaitlaissétraînerlejournalsur latable.Ellereniflaunetasseàmoitiévideàcôtédujournal.Duthévert...DanslefoyerPerry,seul Ryanenbuvait. Sugarentraalors,maigrecommeuncoucou,etennageaprèssaséancedeyoga.Lecaméraman etlepreneurdesondelaveillemarchaientsursestalons. –Oh,salut!s’exclamaSugar.C’estlapage6?s’enquit-elle,s’approchantpourlirepar-dessus l’épauledeMara. SugarlevalesyeuxetregardaMarad’unairsongeur. –Eh,vousvoulezpasfairelafêteavecCharlieetmoi,undecessoirs? L’unedessœursPerrysemontraitaimableàsonégard?Maran’encroyaitpassesoreilles.L’an dernier, Sugar n’avait même pas été capable de retenir son prénom, et n’avait cessé de l’appeler «Marta»,«Maria»,voire«Mary». –Ondonneunesoiréesursonyacht,leweek-endprochain.Ilyaurajustelestrèsbonsamis. AmèneGar.Çavaêtresuper! – Ouais, peut-être, marmonna Mara, pendant que Sugar souriait et haussait les épaules à l’attentiondelacaméra,rejetantsescheveuxenarrièreetbombantlapoitrine. –Venezlesgars!cria-t-elleauxdeuxgarsdel’équipe.Onseretrouveàladoucheextérieure. Maraavaitlesyeuxrivéssurlapage6.EllesedemandaitsiRyanvoudraitjamaisluireparler aprèsavoirvuunephotopareille.C’étaitleproblème,aveclesphotos–ellesvalaientunmillierde paroles.Or,parfois,cen’étaientpaslesbonnes. Riennesoulagemieux lespeinesdecœur qu’unevoiturepleine decadeaux! Àlafindelasemainesuivante,Marasedirigeaverslasalledeprojectionpourlepremierbilan hebdomadaire.JacquietPhilippeétaientcenséslarejoindresitôtaprèsavoirdéposélesgarçonsdans une sorte de camp d’entraînement pour enfants. Ils commençaient visiblement à bien s’entendre et aimaientaccomplirlemaximumdetâchesensemble. À la réunion, Mara avait l’intention de se plaindre du Dr Abraham. Il l’avait sermonnée après qu’elleeutembrasséCody,quivenaitdesecognerméchammentundoigtdepied,allantjusqu’àlui asséner: – Couronner une expérience douloureuse par une sanction positive ne risque pas d’aider la personnalitéàs’affirmer. Avant de lui demander, quelques minutes plus tard, si elle ne connaissait pas le moyen de lui faireobtenirunetableVIPauSeptièmeCercle.Cetypeétaitlouche. Après avoir passé quelques minutes assise dans la pénombre, Mara réalisa qu’il était inutile d’attendreKevinouAnnapluslongtemps.Riendenouveausouslesoleil.L’annéeprécédente,Anna avait également insisté pour que ces réunions aient lieu, alors que ni elle ni Kevin n’y assistaient jamais.Marahaussalesépaulesetsortitdelapièce.MadisonetZoéattendaientqu’ellelesconduise auyoga. Sortant par la grande porte, elles virent un grand camion de livraison garé dans l’allée des Perry. Plusieurs employés en uniforme en déchargeaient des portants chargés de vêtements et des dizaines de sacs de shopping noirs d’où dépassait du papier de soie rose. Une femme exagérément bronzée, maigre comme un portemanteau, et vêtue d’un débardeur blanc sur lequel on pouvait lire C’EST AVEC MOI QUE TON PETIT AMI VEUT SORTIR et d’un jean taille basse, dirigeait les opérations. – Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mara à Laurie, laquelle portait sur la scène un regard caustique. –J’ensuispassûre,maisjecroisquec’estpourvous,réponditLaurie. –Salut!MaraWaters?JesuisMitziGoober,lançalafemmeendébardeur. Elleprononçaladernièresyllabeàlafrançaise,sibienqu’onentendait«Goubert».Elletendit versMaraunbrasmusclémaisdécharné. –Waouh!Jenevousauraisjamaisreconnue!Vousêtestellementplusjoliequesurlesphotos! –Merci...jecroisque...,bafouillaMaraenbaissantlatête. Elles’étaitfiguréqueleschosesallaientsetasser,aprèslapublicationduclichéd’elleetGarrett dans le Post. Or, au cours de la semaine suivante, il était apparu dans les magazines Hamptons, Hamptons Life, Hamptons Living, Hamptons Country et Hamptons Luxury. Ryan ne lui avait jamais laissé une chance de s’expliquer ; chaque fois qu’ils se croisaient – ce matin même, ils s’étaient trouvésnezànezàlapiscine–,ilfaisaitminedel’ignorer.Levoirsidistantluifendaitlecœur.Et l’insistance avec laquelle Garrett tentait d’obtenir un second rendez-vous lui remontait un peu le moral.Illuiavaitdéjàenvoyéunetellequantitédefleursquelecottagedesbaby-sittersressemblaità unfunérarium. Un cliché de Mara seule et vêtue de la robe Zac Posen bleu lavande finit par atterrir dans les pages « société » de Vogue, sous l’intitulé « Ces dames en lilas », entre une photo de Jennifer Connellyvêtued’unerobeChloébleulavandeornéed’unnœudàlatailleetuneautred’AerinLauder dansunfourreaupourpreValentino.Maran’étaitarrivéequedeuxsemainesplustôt,orellesuscitait déjàdesregardsouvertementjaloux,outoutsimplementcurieux,partoutoùelleallait.Ellesefaisait l’effetd’unebêtecurieuseetd’uneusurpatrice:elleétaitlà,danslespagesd’unmagazinedemode,à poserdanslarobedeJacqui...quand,enréalité,ellepassaitsesjournéesàtraînerlesgaminschezle dentiste,àtorcherlesfessesdeCodyouàtenterdeconvaincreMadisondemangerautrechoseque dubouillondepouletetdufromageallégé. –Detoutefaçon,commejeviensdel’expliqueràvotreassistante... –Jesuisl’assistanted’Anna!l’interrompitLaurie. – Bien sûr. Peu importe..., dit Mitzi en faisant signe aux livreurs de sortir du camion les sacs restants. –Maraestfilleaupair!repritLauried’unevoixindignée. – Fille au pair ! Comme c’est charmant ! Formidable ! s’exclama Mitzi. Écoute, Mara, j’ai ce nouveaustylisteenvoguequirêvedet’habiller–enfait,ilyenaplusieurs–ettoutçacesontdes cadeauxquetuporterasquandtusortiras... – C’est pour moi ? demanda Mara en regardant les gars poser un sac après l’autre sur la pelouse,àcôtédel’allée. – Oui oui oui ! Débrouille-toi juste pour citer la marque chaque fois que les gens voudront savoircequetuportes.Shoshannaaenvoyétoutesacollectionété.Elleaadorélesphotosdetoidans sarobel’annéedernière,etellepensequequelques-unsdesmodèlespourraientteplaire.C’estbon,si onlaissetoutici? –C’estvraimentgentil,Mitzimais...euh...jenesaispassi... – Une seconde ! Une seconde ! J’ai failli oublier le meilleur ! dit Mitzi, en extirpant de son énormesacHermèsmodèleBirkinunécrinrecouvertdeveloursnoir.C’estuncadeau.Ouvre! Mara ouvrit l’écrin. À l’intérieur, un rang de perles éclatantes était disposé sur un fond molletonné. – Il vient de chez Mikimoto. Ce n’est que la version « perles de culture », désolée. Mais si tu peuxsongeràlesmentionner...,glissaMitziavecunsourire. –Jenesaispassijepeuxaccepter,protestaMarad’unevoixnerveuse. –Dequoituparles?Jet’enprie!Tulesmérites!Tuestellementravissante!Ah,monDieu,si seulementmescheveuxvoulaientbientombercommelestiens!ditMitzi,quitirasursescheveuxen grimaçant. Mara n’avait jamais rencontré personne qui possédât une telle énergie, un tel enthousiasme. MitziGoober,c’étaittoutcelaàlafois:votremeilleurecopine,unepom-pomgirl,etungourou.Elle luidonnaitlamigraine. Lorsqueleslivreursentreprirentdedéchargerunsecondportantàroulettes,Maratentadeles convaincre de le remettre dans le camion, pendant que Madison et Zoé contemplaient le butin, les yeuxécarquillés. –Mitzi!Attendez!Sérieusement,jepeuxpasaccepter! –Nedispasdebêtises!Tusaisàquelpointilestdifficilededénicherdesgensquientrentdans lesmodèlesdedéfilé?Allez,jet’enprie!Ceseraitunsacrécoupdepoucepourmesstylistes.Ce sonttesfanslesplusassidus. Sesfans?Elletravaillaitcommefilleaupair,avaitposépourquelquesclichés...etavaitdéjàson fan-club? Mitziagitaunporte-cléssouslenezdeMara. –Laquelletuconduis?LaRangeRover,là-bas?Tulatrouvespasunpeumastoc? –C’estcelledesPerry,àvraidire. –J’adoreraisquetuessaiesdeconduirecettenouvelleBMWdécapotable,ditMitzi,luifourrant lesclésdanslamainetdésignantunevoiturenoireetbrillantegaréedansl’allée. –Unevoiture?demandaMara,avantderesterbouchebée. –Àtadispositionpendanttoutl’été.Touslesjours,quelqu’unviendraremettredel’essenceet déposerdescadeauxpourtoi.Quedubonheur!Tun’aurasàtesoucierderien. MarafixalesclésdelaBMW.C’étaithallucinant.Etfollementexcitant.Ellepourraitvraiment gardertoutcebarda? ZoéetMadisonavaientcommencéàfarfouillerparmilesvêtementssuspendusauxportants. –Oh,regarde-moiça!s’exclamaMadisonenbrandissantundosnuenjerseynoirGucci. –C’estzoli!approuvaZoéens’enroulantdansuneétoleendentelle. –Uneminute!Mitzi!s’écriaMara. Elle s’efforça de rattraper la publiciste, qui s’était engouffrée dans une Citroën vintage et manœuvraitpourquitterl’allée. –Jevoudraisjuste...jenesuispassûrequecesoitunebonnechose,ditMaraensepenchantàla vitre. MitziplaqualamainsurlabouchedeMara,luibarbouillantlementonderougeàlèvres. – Enfin, mon chou ! Ne nous embête pas ! Pense juste à faire allusion à mes clients quand tu parleras aux journalistes. Marché conclu ? Passe un bon été ! J’espère bien te voir à ma soirée, la semaineprochaine,auSeptièmeCercle.Ciao! Mitziquittal’alléeaumomentoùlaToyotas’yengageait. –C’étaitqui?demandaJacqui,sortantdelavoitureavecPhilippeetlesgarçons. Mara jeta un coup d’œil alentour sur tout ce que Mitzi avait laissé : deux portants chargés de vêtementsdemarque,plusieurssacsdechaussuresetd’accessoires,unécrincontenantuncollierde perlesetuneBMWdécapotablenoireflambantneuve. –Euh...jesaispastrop,ditMara,n’enrevenantpasdesachance.Mabonnefée? Devinequivientdînercesoir? DeuxsemainesaprèsleursretrouvaillesauSeptièmeCercle,Eliza,ouvrantlaporte,vitJeremy surleseuil,unbouquetdefleursàlamain.Ilsnes’étaientrevusqu’uneseulefoisentre-temps.Les effroyableshorairesdetravaildeJeremyleretenaientenvilleleplusclairdesontemps,etilleur avaitfallureporterledîneràdeuxreprises.Sesparentslaharcelaientlittéralementpourqu’elleleur présente son « ami de cœur ». En cela, ils étaient de la vieille école. Eliza espérait que le dîner se passeraitbien,oudumoins,qu’ilpasseraitvite,defaçonàcequeJeremyetellepuissentenfinsortir etseretrouverseuls. – C’est pour ta maman, dit-il en lui tendant la gerbe de lys blancs, dont le délicat parfum se répanditdanslapièce. –C’estsuper-gentil.Entre!ditEliza. Elleavaitramassésescheveuxenunchignontrèssageetnouéautourdesoncouunrubande satinnoirornéd’unpendentifancien.EllesavaitqueJeremyaimaitqu’ellesoitjolieetenfantine,et avaitchoisisesvêtementsavecsoin–unerobeàvolantsChloéencotonblancetdesballerinesroses. Elleétaitcontentequ’ileûtl’airsisérieux,danssoncostumeenlinocreetsachemisebleuciel.Il avaitlégèrementdesserrésaclassiquecravateàrayures,etoffraitlaparfaiteimagedujeunebanquier ambitieux. ElizaconduisitJeremydanslesalon. –Papa,voiciJeremy.Jeremy,jeteprésentemonpère,RyderThompson. Un homme grand et costaud au front couronné de cheveux d’un blanc argenté se leva pour serrerlamaindeJeremy. RyderavaitluiaussitravailléàWallStreet,avantqu’onneserendecomptequ’ilpiochaitunpeu trop souvent dans les coffres-forts de la banque. Eliza ne comprenait toujours pas pourquoi on en avait fait un drame : c’était sa compagnie, après tout. Est-ce que ça n’aurait pas dû être pris en compte?Certes,elleserappelaitqu’ilsavaientcoutumed’utiliserl’aviondelasociétépoursefaire despetitsweek-endsàParis...etalors?Quantàlasoiréeàdeuxcentmilledollarsdonnéepourles seizeansd’Eliza,c’était,àencroirelesjournaux,lasociétéquiavaitpayélanote.Maiscommedes tasd’associésdesonpèreétaientprésents,c’étaitpresqueuneréuniond’affaires.Quoiqu’ilensoit, cela n’avait pas empêché l’enquête, les poursuites et l’humiliation qui s’ensuivirent. Les Thompson avaientendurétoutceladumieuxpossible,gardantlatêtehauteetfichantlecampàBuffalolorsque Manhattandevintinfréquentableetau-dessusdeleursmoyens. Sesparentsavaientétéclairssurcepoint:legarçonavecquiellesortiraitdevraitêtreissudu mêmemilieuqu’elle,etavoirreçuuneéducationsimilaire,endépitdecequis’étaitpasséaucours desdeuxdernièresannées.ElizaespéraitqueJeremyréussiraitsonexamend’entrée.Ilarrivaitque sesparentssemontrentunpeudurs.Pourlapremièrefois,Elizaregrettalalibertédontelleavaitjoui l’année précédente, lorsqu’elle était seule et ne devait aucune explication à personne, hormis aux Perry,lesquelsétaientleplussouventabsentsouindifférents. –Undoigtdegin?demandaRyderàJeremy,enbrandissantunshakerenargent. –MercimonsieurThompson,réponditJeremy.Jeprendrailamêmechosequ’Eliza. Fronçantlessourcils,lepèred’ElizaservitàJeremyunverredevinblanc.Maisilsegardade toutcommentaire.Puistousquatres’enfoncèrentdanslecanapérecouvertdelin. –Jevouspriedenousexcuser...lamaison...noussommeshabituésàmieux,ditBillie,lamère d’Eliza, portant nerveusement les mains à son cou et jetant un regard de dégoût à la collection de poupées de porcelaine disposées dans une vitrine. Mais comme Eliza tenait tellement à passer l’été danslesHamptons,nousavonspenséque... –C’esttrèsjoliici,assuraJeremy.J’aimebiencesvieillesbâtisses.Ons’ysentensécurité,vous netrouvezpas? Lamèred’Elizaluisouritchaleureusement. –Moiaussi,j’apprécielesconstructionsanciennes. – Jeremy a grandi dans les Hamptons, fit remarquer Eliza, en essayant malgré elle de leur donnerl’impressionqu’ilfaisaitpartiedeleurmonde. Nonqu’ellesesouciâtdecequepensaientsesparents.Ellenepensaitpascommeeux,detoute manière, enfin, pas vraiment. Si ç’avait été le cas, elle aurait couru après Garrett Reynolds, et non aprèsJeremyStone.Maisçafaciliteraittellementleschoses,s’ilspouvaientl’apprécier. LevisagedeBillies’illumina. –Oh,etoùça? –ÀSouthampton,réponditJeremy. LesThompsonaccueillirentsaréponseavecunmurmured’approbation. – Vous connaissez les Ross ? Courtney a fondé cette adorable école. On a failli s’installer ici nousaussi,pouryinscrireEliza. –JeconnaislesRoss,admitJeremy. Ilsegardadepréciserqu’ilétaitleurjardinier,augrandsoulagementd’Eliza. –OùçaàSouthampton?demandalepèred’Eliza. Jeremyleluidit. – Ah, ça ne serait pas dans le township ? devina Ryder, faisant allusion à ce quartier de Southamptoninfinimentplusmodeste,composédepetitspavillonsd’habitation. Jeremyhochalatête. –Commec’estpittoresque!ditBillie,avecunsourireforcé. –Quefaitvotrepère?insistaRyder. –LepèredeJeremydirigesapropreaffaire,s’empressaderépondreEliza,voyantletourque prenaientleschoses. –Quelgenred’affaire?demandasonpère. –Iltientunepoissonnerie,surlaroute27,réponditJeremyavantqu’Elizaeûtpusongeràun autreeuphémisme,dugenre«Iltravailledansletransportmaritime». –Celleaveclegrandnéonenformedesaumonsurlaporte?demandaBillie. –C’estça!confirmaJeremyensetapantlacuisse. –JecroisqueColombiayaachetédeshuîtresdélicieusesl’autre jour, mon chéri, dit Billie à sonmari,enhochantlatête.Unvrairégal.Sifraîches. Jeremyétaitauxanges,maisElizavoyaitl’oragepoindre.Çanesepassaitpasbiendutout.Eliza savaitquesesparentsétaientdessnobsdechezsnob.Illeursuffisaitdequelquesinstantspoursituer quelqu’undansl’échellesociale,etJeremyneleurparaissaitdéjàplusdignedeleurattention. – Vous êtes inscrit dans quelle université, mon cher ? demanda Billie, poursuivant l’interrogatoiretandisqu’ilss’asseyaientàtablepourdîner. –Jevaisàl’universitédel’État,ditJeremy,avantdes’essuyerlaboucheavecuneserviettede tableenlin.LaSUNY. RyderThompsonsetournaverssafemme: –CeneseraitpasleprénomdelafemmedeWoodyAllen?plaisanta-t-il. Elizaintervint.C’étaittropdouloureux. –Ilveutparlerdel’universitéd’ÉtatdeNewYork,papa.ÀNassau.Cen’estpastrèsloind’ici. –NewYorkauneuniversitépubliquetrèsréputée,concédagénéreusementBillie. Eliza se tortillait sur sa chaise. Jeremy était le premier membre de sa famille à aller à l’université,etilétaitréellementfierdecela.Nemedétestepas!,lesuppliait-elleduregard,attendant qu’illèvelesyeuxverselleetvoieàquelpointelleétaitdesoncôté.OrJeremygardalatêtebaissée pendantlerestedelasoirée. Lecafépris,lesThompsonseretirèrentaprèsavoirsouhaitébonnenuitàJeremyd’untonpoli etrappeléàElizal’heureducouvre-feu. –Tuveuxqu’onaillefaireuntourenvoiture?Ouonpourraitpeut-êtresebaladersurlaplage? suggéraElizaenquittantlatable. Ellevoulaitluidemanderd’excusersesparents,maiss’accrochaitencoreàl’espoirqu’iln’avait pasremarquéàquelpointilsétaientsnobs. Jeremysecoualatête. –Non.J’aiuneréuniontôtdemainmatin.Ilfautquejerentre. Levisaged’Elizasedécomposa.Ilsn’allaientmêmepastraînerunpeuensemble?C’étaitleseul soiroùellenetravaillaitpasàlaboîte,etelleavaitattenducemomenttoutelasemaine. Jeremy balança la veste de son costume sur son épaule et se dirigea vers la porte. Eliza la lui ouvrit,etlesuivitsurleporche. –Çatediraitqu’ondînechezLunch,lasemaineprochaine?Justetoietmoi?demandaEliza,se reprochantaussitôtsontonsuppliant. –Peut-être,soupira-t-il.Ilyabeaucoupdetravailaubureau. –Net’envapas!dit-elle,leslèvrestremblantes. Ellelevalementonversluipourqu’ill’embrasse.Elleauraittantvouluqu’ilcomprenne. Jeremysoupiraànouveauetparutsurlepointdes’enaller.Mais,aulieudeça,ilbaissalatête, frôlaseslèvres.Ilsdemeurèrentainsi,surleporche,pendantcequisemblaàElizauneéternité. –Jet’aime,tusais,marmonna-t-elledanssachemise. – Je sais, répliqua-t-il, se dégageant à contrecœur. Mais faut que je sois au bureau de bonne heuredemain,etjenepeuxpasmepermettredelouperlederniertrain. Ilgrimpadanssacamionnetterouillée,seultémoindesonancienneprofession. Elizaleregardas’éloigneretsedemandasiellelereverraitjamais.Unechosel’avaitfrappée: iln’avaitpasréponduàson«Jet’aime». LapotionmagiquedeJacqui, c’estlesgarçons! Jacquifutdésoléedeconstaterquelecoursoùelles’étaitinscriteétaitpleindegossesderiches archi-bosseurs, qui ne visaient pas moins que la perfection, ce qui ne fit que rendre encore plus déprimants les résultats de son premier test d’évaluation. Jacqui venait de fourrer ses livres de préparationàl’examensurlabanquettearrièredelaPriuslorsqu’ellevitPhilippearriverenscooter. Ilretirasoncasqueets’ébouriffalescheveux. –Attends!s’écria-t-ilenapercevantJacqui. Elles’appuyasurlaportièredelavoitureetsourit. –Quesepasse-t-il?demanda-t-elle. –Pasgrand-chose.Tuvasoù? –Encours.Onestmercredi,tutesouviens? Jacquiluiavaitparléducoursl’autresoirquand,déboulantdanslecottageàminuit,ill’avait trouvéeplongéedanssonlivre.Elleluiavaitexpliquéenquoicelaconsistaitetill’avaittaquinéesur lefaitquelesandouillesdesoncoursdevaientavoirdumalàseconcentrersurleurboulot,avecune camaradedeclassecommeelle.QuantàPhilippe,saseuleambitiondanslavie,c’étaitdegagnerle tournoidetennisRolex,dedevenirproet,plusglobalement,depasserdessupermomentsàrebondir d’unestationbalnéaireàl’autre.Toutcequ’ilsouhaitait,c’étaitvivreentennismanbohème. –Viensplutôtfaireunepartiedebillard!proposa-t-il.Tupeuxlouperuncours,non? Unsourireinsolentauxlèvres,leregardprovocant,illadétailladepiedencap. Jacqui se mordit la lèvre. Jouer au billard avec Philippe promettait d’être plus drôle que de résoudredesproblèmeslinguistiquesdansunsous-solhumide.Ellenes’autorisaitquasimentaucune distraction depuis des semaines. Songer que c’était elle, Jacqui, qui assumait les trois quarts du boulot. Elle en était fière, elle avait la manière avec les gamins. Mais elle regrettait de ne pas s’amuserdavantage. Philippelapritparlamain,etilssefaufilèrentdanslademeureprincipalepoursedirigervers la salle de projection, équipée dans un coin d’une table de billard. L’une des choses les plus étonnantes, chez les Perry, c’est qu’ils n’étaient quasiment jamais là pour profiter de la profusion d’équipementsdelamaison.Lesjumellescouraientsanscessed’unefêteàl’autre,Ryanpréféraits’en teniràsachambre,etlesnombreuxgadgets–l’écranlargedecinqmètres,lesquadsgarésprèsdela plage,lePacMand’origineetlesflippers–étaientrarementutilisés. Philippeenserralesbillesdansletriangle,etJacquicassa,envoyantunebillepleinejaunedans unepochedecoin. – Alors, tu étais passé où ? demanda-t-elle en frottant de craie bleue le bout de sa queue de billard. Philippemanquaitdepuisplusieursjoursàl’appel.Ellesepenchasurlatablepourtirerlecoup suivant.Elleenloupaunquiétaitpourtantfacile,etlabilleheurtalebordopposéaulieuderouler danslapochetouteproche. –Ilfallaitquej’ailleauconsulatdeFrance,etcommeAnnaavaitbesoinquejel’aidepourun truc, on est restés deux jours à New York, expliqua-t-il en contournant le billard afin de trouver le meilleurangle. –Hum...Vousétiezjustetouslesdeux? Philippehaussalesépaulesetenvoyaunebillerayéedansunepoche. –Oui.TuesdéjàalléedansleurmaisondeNewYork?Elleestmagnifique,dit-il. Jacquis’envoulutd’éprouverdelajalousie,maisc’étaitcommeça.ElleauraitjuréquePhilippe s’intéressaitàelleetpourtant,ilsavaientbeaudormirtouslessoirsdanslamêmechambre,iln’avait jamais rien tenté. Elle s’était promis de résister aux garçons cet été, mais n’avait pas songé une secondequel’onpuisseluirésister,àelle. –J’adoreNewYork,ditJacquid’untonsongeur. En fait, elle n’y avait jamais mis les pieds, mais n’avait aucun mal à l’imaginer : les rues animées,lesgens,lespetitscafés,lesboîtesdenuit,leshopping.JacquiaimaitleBrésil,maisc’està NewYorkqu’elleavaitl’intentiondefairesavie. –C’estlaplusbellevilledumonde,déclara-t-elle. Philippegrommela,sepenchantpourjouer. –JeveuxvivreàNewYorkl’annéeprochaine,ajoutaJacqui. Illevalesyeuxverselle. –Pourquoi? Elleluiexposasonprojetd’alleràStuyvesant–et,avecunpeudechance,àl’universitédeNew York–,précisantqu’elleespéraitqu’Annal’aideraitàtrouverunesituationdenounouàdomicilesi elletravaillaitbiencetété. Ilsjouèrent,égalisantlescoreàchaquecoup,jusqu’àcequ’ilnerestâtplusquelabillenoire,la o n 8.C’étaitunesituationdélicateetJacquis’appliqua,setortillantdefaçonàpouvoirviserjuste. –Tuesobligéedegarderunpiedausol,fitremarquerPhilippe,tandisqueJacqui,assisesurle reborddelatable,balançaitsesmulesàtalons. –J’essaie!répliqua-t-elledansunéclatderire. –Commeça,ditPhilippe,s’approchantd’ellepar-derrière,etguidantsesgestesavecprécision. Elle le laissa pousser la queue de billard et la bille s’engouffra dans une poche au coin de la table. –Alors,quiest-cequiagagné?demandaJacquiensetournantverslui. Philippeavaittoujourslesbrasautourd’elle. –Disonsqu’onestàégalité,dit-ilensepenchantpourrespirerl’odeurdesescheveux. Philippesepressacontresondos,etJacquisentitlachaleurémanantdesoncorps.Impossiblede résister.Elles’abandonnaàsonétreinte.Desfrissonslaparcouraienttandisqu’ilcouvraitsoncoude baisers.Ellefermalesyeuxetlevalatêteverslui.Commes’ildevinaitsespensées,illacouchaavec délicatessesurlebillard.LatêtedeJacquiheurtaleplafonnier. –Aïe!s’esclaffa-t-elleenl’attirantcontreelle. Il lui embrassa le cou, les épaules, ses doigts se perdirent dans les cheveux de Jacqui... Elle refermasesbrassursondos. –Jacqui? Leslumièresdelasalledeprojectionserallumèrentsoudain. Jacqui repoussa Philippe. Ce faisant, elle donna un coup dans la queue de billard, qui vint frapperPhilippeaubeaumilieudufront. –Aïe! – Qu’est-ce que vous faites ? demanda Zoé, un ours en peluche dans les bras. Pourquoi vous vousêtesmissurlatabledebillard? Direquec’étaitprécisémentpouréviterçaqueJacquis’étaitfixédesrèglesdugenre«Finiles garçons»! PersonnenecacheMara dansuncoin! UneautresoiréedefolieauSeptièmeCercle...Elizas’efforçaitdecontenirleflotimpétueuxdes fêtardssepressantderrièrelecordondel’entrée.Kartikluiavaitconseilléd’introduirelesgensau compte-gouttes,parpetitsgroupesdedeuxoudetrois,sibienqu’ilyavaittoujoursunelonguefile d’attente,donnantl’impressionquelaboîteétaitencoreplusassailliequ’ellenel’étaitréellement. Elizascrutalafoule,cherchantàapercevoirJeremy.Elleespéraitqu’ilpasseraitdenouveauàla boîte, mais il n’était pas encore reparu. Elle ne l’avait pas revu depuis le désastreux dîner chez ses parents,lasemaineprécédente.Elleluiavaitlaissédeuxmessagessursonportableetaubureau–où lecrétinquiavaitrépondul’avaitpriéeàdeuxreprisesd’épelersonnom.MaisJeremynel’avaitpas rappelée. –Votrenom?demanda-t-elleàunefemmed’âgemûrentailleurpantalonbeigequiavaitjoué descoudesdanslafiled’attente. –MargotWhitman,réponditladamed’untonsec. Elizafitglissersondoigtsurlaliste,passantlesnomsenrevue.Wilson (Owen), Wilson (Luke plusun),Williams(Venus&Serena),WMagazine,Women’sWearDaily. –Jesuisdésolée.Vousn’êtespassurlaliste,rétorqua-t-elle. Alanavaitpréciséquelalistenes’appliquaitqu’aux«civils».Lesmannequins,etautresfilles sublimement belles, ainsi que les célébrités en général avaient le droit d’entrer de toute façon, que leur nom soit sur la liste ou non. Mais les gens normaux, groupe auquel la femme appartenait visiblement,pouvaientgelerenenferavantdepouvoirfranchirleseuilduSeptièmeCercle. –Jesuislamèred’Alan,déclaralafemme.C’estuneblagueouquoi?Vousvoulezbienallerme chercher mon vaurien de fils, que je puisse entrer. C’est ridicule. J’ai des clients qui attendent à l’intérieur. – Je suis désolée. Vous ne voudriez pas appeler Alan sur son portable, pour qu’il puisse confirmer?Jenepeuxrienfairepourvous,insistaElizad’unevoixdésolée. Lafemmelevalesbrasauciel. –C’estquoicesfoutaises!Jesuissamère!Laissez-moientrer! Eliza ne céda pas. Les paroles d’Alan résonnaient dans son esprit : La liste, c’est Dieu toutpuissant. Même si ma mère est là-dehors, mais qu’elle n’est pas sur la liste, c’est pas de bol pour elle! Etsicettefemmeétaitmythomane–bienqu’elleeût,àvraidire,lementonfuyantetlesyeux globuleux d’Alan ? Mais le règlement était sacré et, pour une fois, Eliza n’avait pas envie de l’enfreindre.C’étaittropjouissif,parfois,depouvoirdire«non». –Jesuisdésolée.Jenepeuxrienpourvous,tranchaEliza.Veuillezvousmettresurlecôté.Vous n’êtespassurlaliste.Ausuivant! –Ohé,Eliza,lançaunevoixfamilière. Soncœurbonditdanssapoitrine–Jeremyétaitlà!Maislorsqu’ellelevalesyeux,c’estRyan quisetenaitdevantlecordondevelours.Ilportaitunpullenlinquisoulignaitlevertdesesyeux,et un jean. Il ne respectait absolument pas le dress code, mais le règlement ne s’appliquait pas aux garçonsaussibeauxqueRyanPerry. –HéRyan!ditgaiementEliza. EllefitsigneàRudolphd’ouvrirlecordon. –C’estledélire,cesoir,non?fitremarquerRyan. Ildésignalamassegrouillanteetbouillonnante.Touslefoudroyaientduregard,sedemandant pourquoiiln’étaitpasobligédefairelaqueue.Quelqu’unbalançamêmeunebouteilledebière,qui vints’écraserauxpiedsd’Eliza.Rudolphévacuaaussitôtlequidamfrustré. – Tu n’as pas idée ! répliqua Eliza en secouant la tête à la vue du souk. Pourquoi les boîtes réveillent-ellescequ’ilyadeplusbaschezl’homme?Lesgensnormauxprétendentqu’ilssontsur laliste,ceuxquisonteffectivementsurlalisteveulentdestablesdanslasalleVIP,etlescélébrités veulent...oh,toutetn’importequoi.L’autrejour,ilafalluquejeveillesurlemanteaudefourrurede NaomiCampbell.Ilavaitparaît-ilbesoind’unmassage!précisaElizadansunéclatderire. Ryanhaussalesépaulesetsouritjusqu’auxoreilles. –Ah,t’inquiètepas,tuvast’ensortir! Elizaluitenditdescouponspourdesconsommationsgratuites. –Jesuppose,oui,répondit-elleenlevantlesyeuxauciel. C’étaitchouette,deretrouverRyan.Ilss’étaientàpeinevusdepuisleurarrivée,peut-êtreàcause de ce qui s’était passé à Palm Beach. Ah, satané Palm Beach ! Eliza regretta, et ce n’était pas la premièrefois,d’yêtrejamaisallée. –Eliza,ohé!Onestlà! Elizafitvolte-faceetaperçutMaraetGarrett,quijouaientdescoudespourparvenirentêtede file.Lajoiel’envahitànouveauàlavued’unautrevisageami.Leurfaisantsigneàsontour,elleles invitaàrejoindrelecordondel’entrée. Ryanseretournaluiaussi,maissonvisages’assombritdèsqu’ilaperçutMaraetGarrett. – Faut que j’y aille, dit-il à Eliza en lui donnant une petite tape sur l’épaule. J’ai rendez-vous avecAllisonàl’intérieur. –Tuvasoù,Perry?criaGarrett. MaravitRyans’éloignersanslesavoirsalués,etsoncœurseserra.Cepullluiallaitsibien...De touslespullsdeRyan,c’étaitsonpréféré.L’étédernier,elleleluiavaitempruntélorsqu’ilsétaientsur laplageetquel’airavaitcommencéàfraîchir.Ilétaitsigrandqu’illuiarrivaitauxgenoux. Deuxsemainesdurant,Maraavaittrouvétoutessortesdeprétextespourrefuserlesinvitations deGarrett:elledevaitresterchezlesPerrypourgarderlesenfants,elleétaitfatiguée,elleavaitdes chosesàfaire...Maislaveille,elleavaitfiniparcéder.ElleavaitcroiséRyanetAllisonentraindese balader sur la plage puis, rentrant au cottage, avait aperçu les portants chargés de somptueux vêtements.Queldommage,delespriverdesflashsdespaparazzis!Etpuis,aufond,n’était-cepasce qu’onattendaitd’elle?Qu’elleportelesvêtementsetselaissephotographier? –Commentvas-tu?gloussaMara,trèsthéâtrale,enfaisantdeuxbisesàEliza.Tuétaispassée où? –Jevais...euh...bien,ditEliza,recommençantàculpabiliserpourl’épisodePalmBeach.J’étais ici...Tusaisoùmetrouver. –OK...n’empêche...fautabsolumentqu’onsevoie,undecesquatre...Enfin,quoiqu’ilensoit... tucroisquetupourraisnousavoirunetable?Mestalonsmefontunmaldechien! L’été dernier, Mara ne portait que des baskets ou des tongs. Eliza nota qu’elle était juchée, ce soir-là,surdessandalesManoloBlahnikincroyablementhautes,avecdeuxlanièresornéesdestrass étincelants au niveau de la cheville et des orteils. Eliza avait rêvé d’avoir les mêmes, mais elles n’existaientplusdanssapointure.CommentMaras’était-elleprocurécelles-ci? Elizaleurfitfranchirladoubleporteettraverserlapistededanseàdeuxniveaux,éclairéeparla lumière des stroboscopes. La musique était assourdissante, et la foule consistait en un mélange de garstrophabillésetdefillesàmoitiénues.Elizaremarquauncoupleparticulièrementdémonstratif étendusurl’undesdivansgéants,etsedemandasiellenedevraitpaslesrecouvrird’unmanteau. –Garrett,monpote!ditKartik,tandisqu’Elizalesplaçait,luietMara.Çafaitplaisirdetevoir! IlsetournaversEliza. –C’esttoiquiaslaissérentrerleshorreursquisontlà-derrière?accusaKartik. Il montrait du doigt deux types quelconques et leurs petites copines aux cheveux laqués qui jetaientdescoupsd’œilavidesautourd’eux,enprenantdesphotosavecleurtéléphoneportable. Elizasecoualatête.Ilsavaientdûréserverunetableaurestaurantpourpouvoirentrer. – Débrouille-toi pour détourner l’attention d’eux, tu veux bien ? Ils tuent sérieusement l’ambiance.Etjeveuxqu’ilssoientsortisd’iciquandMitzisepointera. Elizahochalatête.Elleprialeserveurd’atténuerl’éclairage,puisretournalàoùelleavaitplacé GarrettetMara,sansréaliserquelatabledeRyanetAllisonétaitdangereusementproche. –Çatedirait,qu’onaillefairelesmagasinsdemain?demandaMaraquandilseurentcommandé leursverres. Labarmaids’empressad’allerchercherlabouteilledevodkafinlandaisetrèscoûteusequ’avait choisieGarrett,toutenhautdesétagères. –C’estnotrejourdepaye!précisa-t-elle. – Ouais, c’est pas le mien... Mais bon, pourquoi pas ? répondit Eliza sur un ton plus brusque qu’ellenelesouhaitait. MaraaperçutRyan,unpeuplusloindanslasalleVIP.Ils’appuyaitaubar,Allisonàsescôtés.La grande blonde au type nordique riait à ce qu’était en train de lui raconter Ryan, et cela désespérait Maradevoirlegarçonluisourireenretour,révélantsesfossettes. –Tuasl’airsongeur,ditGarrettenluitendantlemojitoqu’elleavaitcommandé. Aprèsavoirgoûtéceluiqu’Elizaavaitconfectionnélorsdeleurpremierweek-end,cecocktail cubainàlasaveurpiquanteétaitrapidementdevenulaboissonpréféréedeMara.Lasaveurdusucre decanneetdesfeuillesdementheécraséesluirappelaitsesderniersmomentsdebonheur.Depuisson arrivéedanslesHamptons,leschosesn’avaientpasvraimenttournécommeellel’avaitespéré.Ryan sortaitavecuneautrefille,Elizasemontraitétrangementdistanteet,avecJacquietPhilippe,ellese sentaitcommeuncheveusurlasoupe.Lesgosseseux-mêmesneparaissaientpasl’aimerautantque l’annéedernière. –Jeréfléchissais...,répondit-elleenregardantRyanfrotterlesépaulesd’Allison. Beurk!EllesetournaànouveauversGarrett. –Onvadanser? Garrettsourit. –Toutcequetuveux,poupée! Il se leva et lui tendit la main. Ils se faufilèrent au centre de la piste de danse, où la foule tournoyait au son du tube de Nelly, Hot in Herre. La chanson était déjà vieille d’un an, mais faisait toujoursuntabacdanslesboîtes. Maracommençaàondulerdeshanchesetsentitsoncorpss’accorderaurythmedelamusique. ElledansalascivementautourdeGarrett,promenalesmainslelongdesondos,pressasesjambes contre celles du jeune homme. Contrairement aux gars de son âge, pour qui danser consistait à répéter indéfiniment le même pas, Garrett savait vraiment bouger. Ses hanches imposèrent aux cuisses de Mara un mouvement sinueux et sensuel. Mara se laissa aller, enivrée par la musique, l’alcooletlesouffledeGarrettdanssoncou.Ellesetourna.Garrettl’attiraversluietvintseplaquer contresondos. C’étaitunsacréshow,unshowqueRyannepouvaitpasrater,carc’enétaitprécisémentlebut. Jetantuncoupd’œildanssadirection,Maraeutlasatisfactiondeconstaterqu’ilavaitcessédeparler àAllisonetqu’illaregardaitd’unairdégoûté.Mararejetasescheveuxenarrièreetsecollacontre Garrett. –NomdeDieu,cequetuessexy!luiglissa-t-ilàl’oreilled’unevoixpressante.Oùest-cequetu asapprisàdansercommeça? Mara sourit timidement. Elle aimait bien Garrett. Mais surtout, elle aimait se servir de Garrett pourrendreRyanjaloux.Ainsicedernierfinirait-ilpeut-êtreparréagir? Àl’autreboutdelaboîte,AlansaisitElizaparlecoudealorsqu’elleconduisaitKitetunebande degazellesd’Europedel’Estàleurtable. – Ma mère vient de me passer un savon. Elle prétend qu’elle n’a pas pu entrer dans la boîte. Commentçasefait? Elizaétaitpétrifiée. –Votremère?MargotWhitman?Maisellen’étaitpassurlaliste!expliqua-t-ellepourjustifier sonattitude.Etvousaviezditque... Levisaged’Alansedécrispa. – Elle n’était pas sur la liste ? Eh bien, dans ce cas... Une seconde... Maman ! Tu n’avais pas téléphonépourconfirmer?hurla-t-ildanssonportable.Combiendefoisfaut-ilquejetelerépète... réserver, c’est obligatoire ! Non, je ne peux pas le faire à ta place ! Je suis un homme très, très occupé ! Pourquoi est-ce que tu ne m’écoutes jamais ? Tu n’entres pas si tu n’es pas sur la liste ! Commentça,l’accouchementadurévingt-quatreheures?Çasuffit,jedirigeuneboîte! Avantdes’éloigner,iltapotal’épauled’Eliza. –Bienjoué!mima-t-il. Necomptezpas surunegaminedeseptans pournepascafter Anna Perry finit par se présenter à un bilan hebdomadaire le lendemain. C’était le vendredi précédant le week-end du 4 Juillet, et elle emmenait les gamins à Nantucket rendre visite à leurs grands-parents. Malheureusement pour elle, les parents de Kevin estimaient pouvoir se débrouiller sansemployés,etlesbaby-sitterseurentdoncdroit,euxaussi,àdesjoursdecongé. –Oh,salutMara,ditAnna,selevantcarrémentpourembrasserMarasurlesdeuxjoues. Mararéagitcommesic’étaitnaturel,sansprêterattentionàlastupéfactiondeJacqui. AvantdeserendreauSeptièmeCercle,laveilleausoir,MaraetGarrettavaientcroiséAnnaau feu d’artifice annuel de bienfaisance du club Boys & Girls, où Anna avait vu Mara bavarder avec JessicaSeinfeld.UneinvitationchezlesSeinfeldétaitl’honneurleplusrecherchédesHamptons,et Annan’avaitencorejamaisréussiàenobtenirune. –Alors,commentvatoutlemondeaujourd’hui?demandaAnnad’unevoixgaie,jetantuncoup d’œilsurlatablée. Philippe,unsouriresuffisantauxlèvres,étaitassislespiedssurlatable.Àcôtédelui,Jacquise tortillaitsursachaise.Elleétaitcertainequ’ilsseraientrenvoyés,aprèsavoirétésurprisparZoéen traindefolâtreraubillard.Depuis,JacquiavaitgardésesdistancesavecPhilippe,esquivanttoutesses tentatives pour reprendre les choses là où ils les avaient laissées. Jacqui aurait juré qu’Anna faisait durerleplaisiravantdeporterlecoupfatal. Anna passa en revue les rapports relatifs à l’évolution de la situation. Le bilan était plus dramatiquequ’àl’ordinaire,ycomprispourlesenfantsPerry.LeDrAbrahamsignalaitqueWilliam manifestaitàprésentdessymptômesdetroublebipolaireenplusdesonproblèmed’hyperactivitéet queluietCody–lequelétaitprobablementschizophrène–allaientdevoirêtresuivisenpermanence. Zoénereconnaissaittoujourspaslescaractèresdel’alphabetcyrillique(bienqu’ellefûtparvenueà apprendreparcœurunarticledeMarie-Claireintitulé«Commentdécouvrirvotrezoneérogène?» –Zoépensaitquec’étaitsoncoude).Pourtant,Annaétaitétrangementexubérante. –MaisRomen’apasétéconstruiteenunjour,n’est-cepas?demanda-t-elleavecunclind’œilà Philippe,endistribuantlestroisenveloppespleinesdebilletsdebanque.MapetiteJacqui,tuveuxbien resterunmoment? –Biensûr,ditcettedernièreenserasseyantnerveusement. Maralaquestionnaduregard,maisJacquifitcellequin’avaitrienvu.Ellen’avaitpasparléde Philippe à Mara, car elle était pleinement consciente d’avoir enfreint sa règle d’or, et n’avait pas besoinqu’onlasermonneàcesujet.Ellesesentaitdéjàassezbêtecommeça. –Pourcommencer,Philippem’atoutraconté,commençaAnna,unefoistoutlemondepartiet laporterefermée. C’est fichu. Je suis virée, pensa Jacqui. Adieu East Hampton. Adieu, New York. Bonjour, ristournesetpromosjusqu’àlafindemavie. – Et je trouve que c’est une excellente idée, commenta sèchement Anna, en fourrant ses documentsdanssonsacàmain. –Desculpe-me...euh...pardon? – Que vous passiez l’année chez nous, à New York, dit Anna en souriant. C’est ce que vous désirez,n’est-cepas? –Jevousdemandepardon... –Afinquevouspuissiezyeffectuervotredernièreannéedelycée.C’étaitvotreprojet,n’est-ce pas?AssisterauxcoursdeStuyvesantafindepouvoirposervotrecandidatureàl’universitédeNew York? Jacquihochalatête,bouchebée.PhilippeétaitalléracontertoutcelaàAnna?Dansquelbut?Et pourquoicelasemblait-iltantréjouirAnna? – Je crois que nous allons pouvoir arranger ça, poursuivit Anna, sur un ton songeur. (Elle se mouchadélicatementdansunKleenexdecouleurrose.)Lanounouserarentrée,biensûr,maiselle aurabesoind’uneassistante.Lesgaminssontvraimenttrèsdissipés,cesdernierstemps.Biensûr,il vousfaudratravaillertrèsdur. –Biensûr,approuvaJacqui,semordillantl’intérieurdelajoue. –Etrenonceràtoutedistraction,ditAnnaavecinsistance.Jetiensàsoulignercepointprécis.Si vous devez travailler pour nous durant l’année scolaire, j’exige que vous ayez un comportement irréprochablecetété. Annajetauncoupd’œilverslaporte. –Vousvoyezoùjeveuxenvenir... –Jecrois,oui. Jacqui saisissait lentement ce qu’Anna attendait d’elle, en échange d’un travail pour l’année prochaine:Philippe. –Unedernièrepetitechose...J’aidécidéd’installerPhilippedanslademeureprincipale.Zoéa fait allusion à une partie de billard particulièrement intéressante, qu’elle aurait interrompue. Je ne crois pas que ce type de comportement soit très souhaitable en présence d’enfants. C’est bien compris? Un silence pesant s’abattit sur la pièce. Pendant plusieurs secondes, seul se fit entendre le bourdonnement de l’ordinateur portable d’Anna. Suite aux paroles de celle-ci, les pensées se bousculaient dans l’esprit de Jacqui. D’une part, Anna lui proposait tout ce qu’elle visait, par son travail,àobtenircetété:unboulot,unlogement,unechancedes’enrichirintellectuellement.D’autre part... il y avait Philippe. Philippe, avec son sourire diabolique, son visage angélique, son corps de mannequin.Philippe.Leseultypequi,depuisLuca,faisaitbattresoncœurplusvite. –Vouspensezpouvoiryarriver? Annaétaitentraindel’acheter.Iln’yavaitpasd’autremotpourça.Trèsbien, pensa tristement Jacqui. S’il fallait cela, elle n’avait guère le choix. Elle cesserait de fréquenter Philippe. Ne l’embrasseraitplusjamais.Nepasseraitplusjamaislesdoigtsdanssescheveuxsoyeux.Maisaprès tout,cen’étaitpasleseulmecsurterre!Unbeaugossefrançaisnevalaitpasqu’elleluisacrifieson rêve de vivre à New York et d’entrer à l’université. Aucun type ne méritait qu’elle lui sacrifie son avenir. Ellehochalatête. –Bienentendu. AnnaPerrysourit. –Jesavaisquejepourraisvousfaireconfiance. Lesmeilleureschoses necoûtentrien Travaillerdansuneboîtedenuitétaitloind’êtreaussiglorieuxquesel’étaitfiguréEliza.Même la satisfaction de pouvoir décider qui pouvait entrer ou non ne suffisait pas à contrebalancer les humiliations subies pour satisfaire aux exigences des people et des aspirants à la célébrité. L’autre soir,elleavaitdûpassertouteslesquinzeminutesunbrumisateurd’eaud’Éviansurlevisaged’une célèbreactrice–cettedernièrevoulantéviterquesapeaunesedéshydratependantqu’elledescendait desmagnumsdechampagne. Etiln’yeutpasdemomentmoinsgratifiantqueceluioù,ouvrantl’enveloppecontenantsapaye, elledécouvritprécisémentcequeluirapportaitsontravailauSeptièmeCercle.Elleseprécipitadans le bureau d’Alan, expliquant qu’il devait y avoir erreur. Alan jeta un coup d’œil à son chèque. Il s’avéraqu’ilyavaiteffectivementerreur:ilsavaientoubliédedéduireunepartiedescharges,etle montant aurait dû être encore plus bas. Eliza fit le calcul et en déduisit qu’elle touchait à peine le minimumlégal.Lorsqu’elles’enplaignitàKit,illuirétorquaqu’aprèssaterminale,ilavaitfaitun stagedesixmoisaumagazineRollingStonesanstoucherunsou.C’étaitunjobdeprestige,pasun job qui rapportait. C’était déjà une chance pour elle de bosser au Septième Cercle et, puisque ses parentsétaiententrainderemonterlapente,ellen’avaitpasvraimentbesoindegagnersavie,pas vrai? Ehbiennon,cen’étaitpastoutàfaitvrai.Sesparentsavaientétésuffisammentgénéreuxpourlui autoriserl’usaged’unenouvelleMasterCardmais,suiteàplusieursrazziaschezCalypso,TracyFeith et Georgina, elle avait déjà atteint le plafond autorisé. Chaque soir, il lui fallait trouver une tenue différente,àlafoischicetsexy,etçacommençaitàdevenirdifficileavecunbudgetlimité. SonboulotauSeptièmeCercleétaitcenséêtresonticketpouruneplaceausoleil.Or,aulieude devenirunepersonnalitéincontournabledelavienocturne–laversion«junior»deMitziGoober– Elizas’étaitretrouvéeàdevoirservirsesancienscamarades.L’autresoir,elleavaitdûfaireensorte queSugarpuissefairedusautàl’élastiqueduhautdumeubleàalcools,àlagrandejoiedel’équipe télé,puisilluiavaitfallupasserlebalaiàcausedesbouteillesécraséessurlesol. Elizaarrivaaucottageàl’instantmêmeoùJacquietMaracomptaientlesbilletsquecontenait leurenveloppe.Philippes’étaitdéjàabsentépourleweek-end–ilavaitmentionnéuneinvitationchez desamis,àSagHarbor.Elizaeutunpincementaucœurenvoyanttoutcetargent. –Onvaàlabanque?demandajoyeusementMara. SielletravaillaitunétédepluspourlesPerry,elleauraitdequoipayerlatotalitédesesfrais d’étudesàl’université. Jacqui fourra négligemment l’enveloppe dans un tiroir, se contentant d’en retirer quelques billets de cent dollars, au cas où elles s’arrêteraient dans un endroit marrant. Elle avait l’intention d’utiliserlaplusgrandepartiedel’argentpourfinancerlapréparationauconcoursd’entréeàlafac– uninvestissementdetaille,maisavecunpeudechance,ellen’auraitpasàleregretter – D’où ça sort, tout ça ? demanda Eliza en remarquant, dans un coin de la pièce, les deux portants chargés de vêtements. Oh mon Dieu ! Est-ce que c’est le fameux jean Sally Hershberger ? glapit-elle,piquantdroitsurunjeandélavéquivalaitmilledollarsenmagasin.Jeleveux! Ellepritlejeanetl’examinaattentivementàlalumière. –Oùest-cequetul’asdégoté,nomdeDieu? – Mara est célèbre, plaisanta Jacqui, farfouillant parmi les sacs de shopping et en extirpant un foulardGucciàmotifpsychédélique. C’étaitvrai.GarrettReynoldshériteraitd’unefortunesechiffrantenmilliardsdedollars,etles journaux se passionnaient tout autant pour sa vie sentimentale que pour les coûts de construction toujours plus élevés du château des Reynolds (dont ils étaient parvenus à obtenir et à publier des plans,révélantqu’ilnecompteraitpasmoinsdetrente-cinqsallesdebain).Parmilesanciennespetites amies de Garrett, on trouvait des starlettes célèbres. Les origines obscures de Mara ne faisaient qu’ajouter à l’intérêt que lui portait la presse à sensation – Lucky Yap en tête, qui adorait faire paraîtredesphotosdujeunecouple,aussimondainqueséduisant.Lapage6lesavaitsurnommés«La beautéetlemilliardaire». Mararougitetexpliqua,suruntond’excuse,quec’étaientdes«cadeaux»decouturiers,qu’elle étaitcenséeporterlorsqu’ellesortait. –Tuveuxdirequetuastoutçagratis?demandaEliza,stupéfaite. PasétonnantqueMaraaiteuunetelleallure,l’autresoir,auSeptièmeCercle.Elizafouinadans lerestedubutin,lesyeuxécarquillés.L’étoleàimpriméléopardShoshanna!Ledernierpantalonen cuiravecgalondechezAlvinAlley!LarobeMarniincrustéedeturquoises!Lapochetteenpython DeviKroell,d’unevaleurdedeuxmilledollars! –Waouh,c’esthallucinant,s’exclamaEliza.J’arrivepasàcroirequetoutçasoitàtoi. Le jean Sally Hershberger ! Elle rêvait d’en avoir un depuis qu’elle avait lu cet article dans Vogue...Lejeanenquestionavaitlaréputationd’êtrelemeilleurdumonde.Lesétoffeseuropéenneset japonaises les plus belles et les plus douces étaient taillées à la main par Sally Hershberger, la relookeused’Hollywoodquiprenaitsixcentsdollarspourunecoupedecheveux. –Tucroisquejepourraisl’emprunter?Onfaitlamêmetaille,non?demandaEliza,enretirant lejeanducintreetenleplaquantcontresesjambes. –Oh,jenesaispas,répliquaMarad’unevoixnerveuse.Ilafalluquejesignetoutescesclauses deresponsabilité... Elizafitlamoue. –Oh,cen’estqu’uneformalité.Ilsnedemanderontjamaisàlesrécupérer.Pasvrai,Jacqui? Jacquihaussalesépaules. –Engénéral,ilsteleslaissent.Maisj’imaginequeçadépenddescas. Eliza, qui s’était déjà débarrassée de son pantalon de treillis, remontait la fermeture éclair du jean. –Ilestsublime!Jen’arrivepasàcroirequ’ilstel’aientenvoyéàtoi!dit-elle. –Etpourquoipas?rétorquaMara,unpeuvexée. Eliza les avait salement lâchées cet été, elle et Jacqui. Et maintenant qu’elle leur rendait visite, ellelaissaitentendrequeMaraneméritaitpascettegarde-robegratuite. Elizaneréponditpas.Elleétaittropexcitéedeporterlejeandesesrêves. –Tumeleprêtes,dis?Jet’enprie,jet’enprie,jet’enprie.Allez,prête-lemoi! –Oh,d’accord,concédaMara.Maiss’illuiarrivequoiquecesoit... Ellefitlegestedel’égorger. ElizapoussauncridejoieetserraMaradanssesbras. –Jeterevaudraiça! Mara ne se sentait pas très tranquille à l’idée de prêter des vêtements qui n’étaient pas à elle. MaisElizaneluilaissaitguèrelapossibilitéderefuser. –Alors,vousenêtesoù,Garrettettoi?demandaElizaenremettantseshabits. –Jel’aimebien,ditMarad’unevoixhésitante.C’estunchouettetype.Audébut,jel’aiprispour unodieuxgossederiches,maisilvautmieuxqueça. –EtRyan,alors?lançaJacqui. –Ilnesesouvientmêmeplusquej’existe,rétorquaMaraavecunhaussementd’épaules. Le nouveau Ryan, si distant, n’avait pas grand-chose à voir avec le charmant garçon de l’été précédent. –Ilyapasgrand-choseàdire...Ryan,c’estdupassé. Eliza fut soulagée. Selon toute évidence, elle pouvait cesser de se faire du mouron pour Palm Beach.SiMaraavaittournélapage,alorsquelleimportance?Jacquielle-mêmenetrouvaitpluscela si grave. Comme tous les habitués des Hamptons, elle voyait désormais en Mara la nouvelle petite amiedeGarrettReynolds. Mara déposa son argent à la banque puis rejoignit Eliza et Jacqui au magasin d’usine Neiman Marcus.Ellespassèrentenrevuelesvêtementsdemarqueàprixréduits.Lelieuavaitlaréputationde vendre des fringues sublimes à prix sacrifié. Les étiquettes portaient un autocollant de couleur différenteselonladatedemiseenventedesvêtements.Plusildemeuraitlongtempsinvendu,plusun articledevenaitbonmarché. –Regardez-moiça!gloussaElizaenbrandissantuntoporangeriquiqui,impriméd’unmotif alambiquéetmulticolore.Vousletrouvezpastropdélirant? –Ilestplutôtvoyant,c’estsûr,reconnutMara. –Maisc’estunMissoni,précisaElizad’untonpleinderespect.Etilestàmataille.Jeleprends! Ilirasuperbienavecmonnouveaujean!dit-elle,commesilejeanHershbergerétaitvraimentàelle. Elle dégota d’autres articles de choix : un impeccable petit manteau blanc Balenciaga qui ne faisaitpastrophasbeen et un chemisier Yves Saint-Laurent à motif « traces de baisers », avec une toutepetitetachenoirequ’unbonteinturiersauraitfairedisparaître–Elizan’avaitaucundouteàce sujet. Jacqui dénicha une robe-chemise grise Narciso Rodriguez et des lunettes de soleil Christian Dior,tousdeuxcoûtantmoinsdelamoitiéduprixd’origine. –Tun’asrientrouvé?demandaElizaàMara,tandisqu’ellessedirigeaientverslacaisse.Tuas vulesballerinesMarcJacobs,là-bas? – J’ai déjà le dernier modèle, répondit Mara en agitant les orteils dans une paire de souliers pastelàboutsouvertsducréateurenquestion. –Oh!s’exclamaEliza. ÇaluifaisaituneffetbizarrequecesoitMaraquipossèdelesvêtementsetaccessoireslesplus incontournablesdumoment.Elles’étaitimaginéquetravaillerauSeptièmeCercleluidonneraitaccès àcegenred’avantagesmaisleseulbonusdontelleavaitjouiàcejourétaitunlaissez-passerpour uneavant-premièreàlaquelleKartikn’avaitpasenvied’assister. – Il me reste tellement de vêtements que je n’ai pas encore portés ! soupira Mara, ramassant machinalementsurlecomptoirunflacondeparfumouvertpourensentirleseffluves. –Ahouais,j’avaisoubliéquetuétaislaJuliaRobertsdesHamptons,grommelaEliza,encore plusagacéelorsqu’elleconstataquelemontantdesesachatsdépassaitlecréditautoriséparsacarte. Mararéalisait-elleàquelpointelleavaitl’airsnob? –Jacqui,tuvoudraisbienmeprêtercinquantedollars? Jacquisecoualatête,maistenditlebilletdebanqueàEliza.Celle-cinechangeraitjamais.Vous auriezbeauluidonnerunmilliondedollars,elleseraitàsecavantlafindelasemaine.Visiblement, s’habiller comme une princesse exigeait d’avoir le compte en banque pour. À moins de s’appeler MaraWaters,biensûr. Lemondeestplusbeau vuduhaut(d’unetable) –OnpeutenprendreunedeMaratouteseule?demandèrentlesphotographesamassésdevant l’entrée du Septième Cercle, lorsque Garrett et Mara sortirent de la limousine, très tard un samedi soir. Depuisle4Juillet–qu’ilsavaientpasséensemblesurleyachtdesReynolds,àcontemplerles feuxd’artificeau-dessusduPacifique–tousdeuxnesequittaientplusd’unesemelle. –Jevousenprie,ditGarrettens’inclinant,avantdes’écarter.Elleestextra,n’est-cepas?lançat-ilpendantqueMaraétaitaveugléeparlesflashs.Tuesunevraiestar!luigrommela-t-ilàl’oreille tandisqu’ilss’installaientàleurtablehabituelle. Même si elle n’avait commencé à sortir avec Garrett que pour rendre Ryan jaloux, Mara ne pouvaits’empêcherd’appréciersacompagnie. Ilpassaunbrasau-dessusdudossierdelabanquetteetrefermasamainsurl’épauledeMaraen ungestepossessif.Elleseblottitcontresontorse,savourantlecontactdelapuissantemaindeGarrett sur sa peau nue. Lorsqu’il se pencha pour l’embrasser et enfouit son visage dans le cou de Mara, celle-ci, relevant les yeux, rencontra le regard de Ryan Perry. Il était assis avec Allison, qui faisait signeàGarrett. Celui-ciôtalenezdudécolletédeMara. –Perry!lança-t-ilenagitantlamain.SalutAllison.Qu’est-cequetufichesaveccebouffon? ajouta-t-ilpourplaisanter. RyanserrasansenthousiasmelamaindeGarrett. –SalutGarrett...Mara. –Salut,répondit-elle. C’était le premier mot que Ryan lui adressait de la semaine. Lorsqu’ils se croisaient dans la maison,ilsecontentaitgénéralementd’unbrefsignedetête. GarrettselevapourembrasserAllisonsurlajoue. –Venezvousasseoiravecnous,allez... RyaninterrogeaAllisonduregard.Celle-cihaussalesépaulesetrenditàGarrettsonsourire. –Avecplaisir,dit-elleenprenantplaceàcôtédeGarrett. Ryanétaitvêtud’unechemisecubaineetd’unjeandélavé–cequ’ilappelait,pours’amuser,le «smokingdessurfeurs».Garrettparaissaitsoudainendimanché,avecsachemiseàmanchettesDolce &Gabbanaetsonjeannoiramidonné. Mara se dégagea de l’étreinte de Garrett, mais Ryan détourna le visage et ne s’adressa qu’à Allison – qui gloussait à cause de ce que lui murmurait Garrett à l’oreille. Ce dernier expliqua qu’Allison et lui avaient fréquenté, un an durant, la même prépa à New York. Bientôt, tous trois entamèrentuneconversationsurleursconnaissancescommunes. – Vous êtes au courant, pour Fence Preston ? Il ne va pas tarder à péter les plombs, c’est sûr, déclaraGarrett. –Tuestellementplusmignon,ditAllisonendonnantàRyanunepichenettesurlenez. Mara, qui ignorait totalement qui était – ou ce qu’était – le fameux Fence Preston, se sentait nerveuseetdélaissée.MaisGarrettveillaitàremplirànouveausonverredèsqu’ilétaitàmoitiévide, etellecommençaàenengloutirlecontenurageusement. –Onfaitunconcoursdeboisson?suggéraGarrett. –Jesuispartante,répliquaMara. Garrett commanda une bouteille de schnaps à la cannelle et versa le liquide doré dans quatre verres. –C’estdégueu,cetruc!ditcalmementAllisonenfaisantlagrimace,aprèsenavoirsirotéune gorgée. Ryan vida à son tour le sien, avec une expression morose. Désespérément désireuse de l’impressionner,Marafitdemême. –Encoreun!meuglaGarrett,ettoustroisdescendirentquelquesverresdeplus. C’estaumomentprécisoùlesquatreschnapsatteignaientMaradepleinfouetqueleDJeffectua son remix de la soirée, sur la chanson de Bon Jovi Livin’ on a Prayer. Les habitués du Septième CerclecommeGarrettetMarareconnurentimmédiatementl’«hymneofficiel»delaboîte.C’estla chansonquimettaitlefeuàlasoirée,etàlaquellelescélébritésréagissaientendansantsurlestables. –J’adoooorecettechanson!braillaMaraenchantantàvoixhaute.Elleestgéniale! –Hein,quec’estlameilleure?demandaChaunceyRaven,sepenchantversleurbox. Petite et menue, la star de la chanson portait un soutien-gorge noir sous un tee-shirt blanc moulant, et une minijupe en jean tellement raccourcie qu’on voyait dépasser l’intérieur blanc des poches.Elleétaitpiedsnusetunebagueétincelaitsurl’undesesorteils. –Allez,dansons!s’exclama-t-elleenmontantsurleurtable,avantd’yhisserMara. Ivreeteuphorique,Marasuivitl’exempledelachanteuse,ettoutesdeuxsemirentàondulerdes hanchesetàfairetournoyerleurchevelure,dansunebrillanteimitationdesclipsringardsdesannées 1980. –Toiaussi!ditChauncey,remarquantAllison,toujoursassise. Allisonsecoualatête,l’airdéconcerté. –Oh,nonmerci.J’aimemieuxdansersurleschaises! –Oh,j’aioubliéd’apportermonverre,ditChaunceyensautantdelatablepourallerchercher soncocktail. Seule sur la table, Mara heurta du pied la bouteille de schnaps, que Ryan Perry empêcha de justesse de se fracasser sur le sol. Mara se figea, se sentant soudain vulnérable. Elle remarqua que Ryan la regardait bizarrement. Peut-être ferait-elle mieux de redescendre. Elle hésita. Mais alors Garrettl’encouragea. –Bravo!Vas-y,Mara! Ilriaitetsifflait,etplusieurspersonnesdanslasallesemirentellesaussiàl’encourager.Portée parleurscris,ellesemitàdanserdemanièreencoreplusfrénétique.Leurboxbaignavitedansla lumièredesflashs. –Parici! –Regardeunpeuparlà,monchou! –Tourneunpeulatête,Mara! –OnpeutenprendreuneoùtutepenchessurGarrett? Tropheureusedelessatisfaire,MarasepenchaetplaquaunbaisersurlefrontdeGarrett,cequi suscitaunnouvelassautdeflashs.Marasedéhancha,fitlamoueetpritlapose,remarquantqueRyan nelaquittaitpasdesyeux.Enfin!Illaregardait! –Woooaaah,we’rehalfwaythere-uh...Whoooahh,livin’onaprayah...,chanta-t-elle. Elle s’éclatait comme une folle, jusqu’au moment où elle sentit une main, sur sa cheville. Baissantlesyeux,elleaperçutElizaquilafoudroyaitduregardetqui,Dieusaitpourquoi,semblait furax.Mara,pourtant,étaitenchantéedelavoir. – Eliza ! Allez, monte ! ordonna-t-elle. Take my hand, we’ll make it I swear ! chanta-t-elle, en tendantlamainàsonamie. –Descendsdelà!Descendsdelàtoutdesuite!Àlaseconde!sifflaEliza,latirantparlajambe. –Hein?J’entendsrienàcequetumedis!criaMara. –Onauneinspectionsanitaire,ici,cesoir.C’estunrestaurant.Lesgensn’ontpasledroitde dansersurlestables!Ilspeuventfairefermerlaboîte! –Hein?répétaMaradansunéclatderire. –Jet’aidemandédedescendre!hurlaEliza,nomdeDieu! Ellel’entraînaparterre.Maratrébucha,sajupefrôlantlabougieetmanquantdeprendrefeu,et atterritsurlesgenouxdeGarrett. – Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ? Tu veux me faire virer, ou quoi ? dit Eliza d’une voix furieuse. –C’estquoi,tonproblème?demandaMara. Aprèstout,LindsayLohanavaitfaitquasimentlemêmenumérolaveilleausoir! –Jen’aipasdeproblème...c’esttoileproblème.Tuteconduiscommeunesalegosse!lâcha Eliza. Mara se comportait exactement comme les célébrités pourries gâtées qui se sentaient le droit d’agircommebonleursemblait. –Pardon?gémitMara.Tum’astraitéedequoi? – Oh hé, du calme ! dit Ryan, se levant et se plaçant, les bras tendus, entre les deux filles remontéesàbloc. –Mara,Elizan’avaitpasl’intentiondedireça. –Tais-toi,Ryan!s’exclamaMaraenlefoudroyantduregard.Ont’ademandétonavis? PasétonnantqueRyanserangeducôtéd’Eliza.N’aurait-ilpaspu,pourunefois,prendreson partiàelle?IltrouvaittoujoursdesexcusesàEliza.Mêmel’étédernier,quandelleavaitrencontré Elizaetquecelle-cis’étaitcomportéecommeunesorcière,Ryanluiavaitditdenepasluienvouloir –safamille,avait-ilprécisé,connaissaitdes«momentsdifficiles».CommesiMaraignoraitceque c’étaitquedetraverserunesalepasse! Pendant ce temps, Eliza remarqua que Garrett, appuyé sur sa chaise et le sourire aux lèvres, semblait se délecter du spectacle. Sans doute songeait-il qu’avec un peu de chance, elles en viendraientauxmainsetserouleraientsurlesolensetirantlescheveux.Elizaétaithorripilée.Pour lapremièrefois,ellesedemandacequeMaravoyaitenlui,endehorsdetoutsonargent. –Mara,calme-toi,ditEliza.Tuessoûle. Cela ne fit que ranimer la colère de Mara. Comment ça, alors qu’il n’y avait pas pire éponge qu’Eliza?Cettefillecarburaitlittéralementàlavodka. – Euh... je suis désolée, mais c’est une boîte de nuit ici ! hurla Mara, ivre et agressive. Tu es jalouseparcequejesuisdanslasalleVIPalorsquetoi,tuesicipourbosser! CesparolesfirentàElizal’effetd’uneclaque. –Arrêtedetecomportercommeunegarce! – Moi, je suis une garce ? C’est toi qui t’es comportée bizarrement tout l’été, répliqua Mara, conscientequec’étaitvrai. Elizal’avaitsnobéetoutescessemaines,ets’étaitmontréetrèspeuloquacechaquefoisqu’elles avaienttraînéensemble. Ellessefusillaientdesyeux.L’annéedernière,ellesavaientmisdutempsàs’entendreets’étaient pasmalchamaillées.Maiscettefois-ci,c’étaitbienpire. –Oh,monDieu,jenemesenspasbien!ditMaraenplaquantunemainsursaboucheetune autresursonventre. Etalors,sepenchantenavant,ellevomitsurlesnouveauxescarpinsMarcJacobsd’Eliza. Avantdeperdreconnaissance,ladernièrechosequ’ellevitfutlevisagedeRyan,empreintd’une expressiondeprofonddégoût. Onn’oubliejamais sonpremieramour Le Septième Cercle fermait à cinq heures du matin. Après avoir passé son badge devant la pointeuse,Elizatraversalaboîtedésertejusqu’auxsallesdupersonnelsituéesaufonddubâtiment.La disputeavecMaral’avaitterriblementcontrariée.Nonseulementsespatronsluiavaienthurlédessus carl’inspecteursanitaireavaitétéàuncheveudevoirMaradansersurlatable,maissesnouvelles chaussures étaient fichues. Et, contrairement à Mara, elle n’avait pas plusieurs paires gratuites qui l’attendaientchezelle.Elleétaitépuisée,découragéeetunpeuamère.Commentsepouvait-ilqu’elle, Eliza Thompson, qui avait autrefois sévi dans toutes les boîtes de Manhattan, finisse désormais ses soiréessobre,lespiedscouvertsdevomi? Elle retira les escarpins en daim souillés et enfila des tongs et un large sweat-shirt Princeton aussi long que sa jupe. Des employés nettoyaient le bar à grande eau et le gardien de nuit venait d’arriverpourramasserlespoubelles.ElizaditaurevoiràMilly,lapréposéeauvestiaire,etpartagea sespourboiresaveclestroisautresserveuses.LasoiréeavaitétéplutôtrentablecarElizaavaitdécidé quelesnomspouvaientapparaîtresurlalistecommeparmagie,grâceàunbakchichdecentdollars. Ilfallaitbienqu’elleaméliore,d’unefaçonoud’uneautre,sonmaigresalaire. –Tuesencorelà?demanda-t-elleenvoyantRyan,assisseulaubar. Ilhochalatête. – Comment ça, encore ? Je passe ma vie ici, plaisanta-t-il. Non. Je t’attendais. Je voulais te raccompagnercheztoi,pourqu’ilnet’arriverien. –C’estgentil,dit-elle. Elleétaitcontentequ’ilss’entendenttoujoursaussibien,etqueleuramitiéaitrésisté. –Tuboisquelquechose?proposaRyan.Unverreteferaitdubien,ondirait. –C’estmoiquitravailleici,tutesouviens.Eh,Johnnie?Onpourraitenavoirundernierpourla route? L’employéhochalatêteetleurservitdeuxverresdewhisky. –Paspourmoi,merci,ditRyan. –Bon...danscecasjevaisboirelesdeux!Ceseraitdommagedelegâcher. Elizasouritetsirotasonwhisky. –NomdeDieu,qu’est-cequiaprisàMara,cesoir?demanda-t-elle. –Jen’enaiaucuneidée,réponditRyanentapotantdupoingsurlecomptoir. –Moinonplus. Elizalevasonverrecommepourtrinquer. –Jevaisteraccompagnercheztoi,déclara-t-il,lorsqu’elleeutvidésonsecondverre. –Mais...etmavoiture? Elizadésignalaberlinegaréesurleparking. –Demain,jedemanderaiàLauried’envoyerquelqu’unlachercher,ditRyan. Sur le trajet, capote baissée, jusqu’à la maison des Thompson, Eliza raconta que son job au SeptièmeCercleétaittoutlecontrairedecequ’elleavaitimaginé.Elleextirpaunecigarettedupaquet deRyan,etl’alluma. –Tuenveuxune? Ryansecoualatête,avantdechangerd’avis.Elizal’aidaàallumerlacigarette,enarrondissant lesmainspourempêcherlaflammedes’éteindre. –Merci,marmonnaRyanenrejoignantl’autoroute. Elizaexhalauneénormebouffée. – Et Jeremy ne m’a pas appelée une seule fois en deux semaines, se lamenta-t-elle. Je ne sais absolumentpasoùonenest,touslesdeux.Ilmeditqu’iln’apascessédepenseràmoicetteannée,et voilàqu’ildisparaîtdelasurfacedelaterre! Ryanhochalatête,l’aircompatissant.Elizaposasespiedsnussurletableaudebord.Ilyavait longtempsqu’ellenes’étaitpassentieaussibien,aussidétendue. –EtentretoietAllison,ilsepassequoi? –Pasgrand-chose.Jecroisqu’ellecraquepourmoi.Maisonestamis,riendeplus. –Mec,ellescraquenttoutespourtoi.Riendenouveausouslesoleil. Iléclataderireettapotasacigarette.Leventemportalacendre. –Siseulementc’étaitvrai! –MaraetGarrettontl’airplutôtintimes,non?fitremarquerEliza,sansaucuneméchanceté,sur letond’unesimpleobservation.Ilspassentquasimenttoutesleurssoiréesensemble,àlaboîte. –Ondirait,approuvaRyanavecunhochementd’épaules.Elleachangé. Lorsqu’ilsarrivèrentdevantlamaisond’Eliza,ellehésitaavantdesortirdelavoiture. – Tu veux peut-être entrer un petit moment ? Je suis hyper-stressée et je sais que je ne parviendraipasàm’endormiravantlongtemps.OnpourraitmaterLeParrainII... –OK,ditRyan. Luinonplusnesemblaitpasavoirhâtedeseretrouverseul. Ryans’enfonçadansledivan.Elizasortitdelacuisinesurlapointedespieds,tenantunbolde pop-cornchaufféaumicro-ondesetdeuxCocalight.Çaluiparaissaitsinaturel,detraîneravecRyan. Ilavaittoujoursfaitpartiedesonexistence.Ellesesouvenaitquequandilsétaientgossesleursdeux familles passaient leurs vacances de Noël ensemble, aux Bahamas. Et que c’est encore ensemble qu’ilsavaientapprisàfaireduski,surlespistesd’Aspen.ElizaserappelaitquelamèredeRyanavait coutumededirequ’ilsferaientunbeaucouple,elleetRyan,unefoisgrands.Encetemps-là,Sugaret Poppys’appelaientencoreSusanetPriscilla,etsuivaientElizacommedespetitschiens,sedisputant l’honneur de lui brosser les cheveux, ou de s’asseoir à côté d’elle dans le télésiège. Les jumelles avaient changé, pour sûr. Ryan, quant à lui, était toujours le même... Il était toujours là, tout près d’elle. Àl’écran,RobertdeNiroétaitentraindepasserdesmecsàtabac.Elizas’assitetposalatêtesur l’épaule de Ryan. Mais lorsqu’il se pencha pour lui dire quelque chose, leurs lèvres se joignirent. Elizan’avaitpasvouluquecelaarrive.Or,aulieudesedégager,elleluirenditsonbaiser.Ilrelevale sweat-shirtd’Eliza,entrepritdedéboutonnersonchemisier,etembrassachaquecentimètrecarréde sapeau. Elle se répétait qu’il ne fallait pas... qu’elle devait l’arrêter. Mais c’était tellement... agréable. C’était comme à Palm Beach, la situation était la même... Deux cœurs brisés se réconfortant mutuellement.Ilssefaisaientdubien,riendeplus.Çanesignifiaitrien,serépétait-elle. Puis elle cessa de réfléchir car Ryan s’était remis à l’embrasser... Et toutes les inquiétudes d’Eliza,toussesdoutesquantàl’avenirdeleurrelation(inexistant,selonelle)etsesconséquences (nulles,espérait-elle)sedissipèrentsouslesbaisersdélicieusementpressantsdeRyan. Décidément,ledocteur craintunmax! – Et Mara, elle est où ? demanda Zoé, quand Jacqui vint préparer les gamins à sortir, le lendemainmatin. –Elleestmalade,dit-ellesombrement,enaidantlafilletteànouerlaceinturedesonpeignoir. Aujourd’hui,iln’yauraquemoi,d’accord? C’estsûr,Maraavaitvraimentuneminededéterrée.Unefoisdeplus,ellen’étaitpasparvenueà se réveiller et, lorsque Jacqui l’avait secouée, elle avait marmonné quelque chose au sujet d’une gueuledeboisd’enfer,cequicommençaitàdevenirunehabitude.Philippeétaitànouveausortifaire une course pour Anna. Mara et Jacqui avaient convenu que, Jacqui s’étant occupée des enfants la veille, Mara s’en chargerait aujourd’hui, afin de permettre à Jacqui de réviser ses cours. Mais évidemment,Maral’avaitencoreplantée. –OùestPhilippe?OùestPhilippe?demandaWilliam,chaussantsesbasketsàroulettes. Jacqui détestait la personne qui avait inventé ces sacrés machins. À cause d’eux, William, se déplaçantdeuxfoisplusrapidement,étaitdeuxfoisplusdifficileàattraper. –Jenesaispastrop,réponditJacqui.Jecroisquevotremamanavaitbesoinqu’ilfassequelque chosepourelleenville. Laurieluiavaitexpliquéqu’Annasouhaitaitqu’ilrelisedesdocumentsfrançaisqu’elleavaitfait traduire.Çaparaissaitvraimentlouche.Depuisqu’elleavaitacceptél’ultimatumd’Anna,Jacquis’était efforcéed’éviterPhilippeafinderespectersonengagement.Cequiétaitloind’êtresimplepuisque, chaquefoisqu’illasurprenaitseuledanslamaison,ildésiraitsavoirquandilpourraitlarevoir.Il l’accusamêmed’êtreuneallumeuse,cequiétaittoutdemêmeuncomble! –Jetel’aidéjàdit,c’estpasmamaman!hurlaWilliam,luiperçantlestympans. –Trèsbien,trèsbien.Calme-tois’ilteplaît!Merda!s’exclama-t-elle. Ellevenaitderéaliserqu’ellen’avaitpaspenséàmettreunecouche-culottedebainàCody.Celle qu’ilportaitn’étaitpasétanche. –Madison,tunousaccompagnesaujourd’hui?demandaJacqui. Toutaulongdumois,Madisons’étaitmontréehautaineaveclegroupedesbaby-sitterspuisque, officiellement,ilsn’étaientpluschargésdeveillersurelle. –Oui.J’airendez-vousavecuneamielà-bas. Elleétaitdrôlementélégante,avecsonmaillotdebainroseetsontee-shirtenéponge.Devantle miroir,elles’appliquaitunedernièrecouchedemascara. –Tutemaquillesunpeutroppouralleràlaplage,tunecroispas? –Ettonmaillotdebainestlimiteindécent.Tunecroispas?rétorquaMadisonensepassantsur leslèvresduglossrougefoncé. Jacquisesentitblessée.ElleavaiteuunboncontactavecMadisonl’étédernier.Or,lagamine étaitdevenueunevraiepeste.Etsabelle-mèren’avaitpasl’airdesesoucierquelagaminedeonze anssepromèneattiféecommeunepetiteaguicheuse. – C’est simplement qu’il fait très chaud sur la plage, et que ce n’est pas bon pour la peau, expliquaJacquid’untonpatient. –Jem’enfiche,rétorquaMadison. JacquiplialapoussettedeCody.Elleétaitdésormaisbeaucouptroppetitepourlui.Sesjambes lui arrivaient quasiment au menton lorsqu’il s’y asseyait. Le « bébé », bien qu’âgé de quatre ans, préféraitroulerplutôtquemarcher.Hierencore,alorsqu’ellelepromenaitdanslarueprincipale,des femmesluiavaientdemandésisongarçonétait«spécial»(c’est-à-dire,handicapé). –Non,simplementparesseux!avait-ellerépondugaiement. CarAnnaavaitbeauporteruneattentionextrêmeàleurrégime,àleurorientationscolaireetà leurviespirituelle,Jacquin’avaitjamaisvudesgaminsàquil’essentielmanquaitàcepoint-là. Alorsqu’elleconduisaitsontroupeauverslegarage,ilscroisèrentleDrAbraham,quisortait d’unedesluxueuseschambresd’amisenmâchouillantunebanane. –Alorscommeça,onvapasserlajournéeàlaplage?Attendez-moi!dit-il. Jacquin’avaitpaseuletempsdeprotesterqu’ilressortaitdéjàdesachambre,sonsacdeplage souslebras. –Ondiraitquejevousaipourmoitoutseul!plaisantaleDrAbraham,enconstatantqueMara etPhilippen’étaientpasdanslesparages. –Faudraitpeut-êtrepasoublierlesgamins,rétorquaJacqui. La seule voiture était la minuscule Toyota Prius et, entre le siège bébé de Cody et la forte corpulencedudocteur,ycasertoutlemondenefutpasévident.Jacquilesconduisitàlaplagetoute proche de Georgica, où les gamins se dispersèrent : Madison se lança à la recherche de ses amis, Williamparcourutlechemindeplanchesdelongenlarge,etZoéallaramasserdescoquillages. –Nevouséloignezpastrop!Ilfautquejepuissevousvoir!criaJacquienplantantsonparasol etenétalantsondrapdebain. ElleplaquasescheveuxenarrièregrâceaufoulardPucciprêtéparMarapuisfitglissersarobe deplageenfaisantmined’ignorerlesregardsdudocteur.Elleespéraitqu’ilfiniraitparpigeretla laisseraittranquille. Le livre de préparation à l’examen d’entrée à la fac exigeait pas mal d’attention – la partie linguistiquedel’examenavaitétéabordéelasemainedernière,lejouroùelleavaitséchésoncours pour jouer au billard avec Philippe. Jacqui n’arrivait pas à saisir les questions de vocabulaire, du type: Lerocherestàlamontagnecequelaplumeest: a)àl’aile, b)aupoulet, c)àl’oreiller, d)auxquatrepropositionssus-mentionnées. Enportugais,lemêmetermedésignaitle«rocher»etla«base»,ainsiquele«sol».Dansce cas, la réponse pouvait être a), puisque les ailes étaient constituées de plumes. Mais les plumes servaientégalementdebaseàlafabricationdesoreillers,auquelcaslabonneréponseétaitc).Tout celaétaitdrôlementcompliqué. –Tuparlesd’unbouquinbarbant!ditunevoix,au-dessusd’elle. Jacquirelevalebordsoupledesonpanamaetsourit. –HéKit.Tuvasbien? –Ouais.Justeunpeucontrariéquet’aiespasappeléàlasecondeoùt’esarrivéeici,maisj’ai survécu,lataquinaKitens’asseyantprèsd’elle. Ilavaitdescheveuxblondsenbrosse,etleteintsipâlequesonnezpelaitdéjà.C’étaitl’undes meilleursamisd’Eliza,etJacquiavaitapprisàmieuxleconnaîtreàPalmBeach.EllesavaitqueKit avaitunfaiblepourelle,maisellepréféraitfairecommesiderienn’était.Kitluiplaisait,maispasde cettefaçon-là.Etpuisilyavaitlarègled’or:Finilesgarçons!Puisqu’elleétaitforcéedel’appliquer àPhilippe,ilfaudraitbienqu’ellel’appliqueégalementàKit. – Je suis désolée. On a été tellement débordés, avec les gamins... J’ai pas pris un seul jour de congé,expliquaJacqui. –C’estqui,cenaze?demandaKit,faisantallusionaudocteur,quironflaitsousuneéditionde pochedeLaFamilled’abord!duDrPhilMcGraw. –Unfalsificação...undocteurbidon,ditJacqui,netrouvantpaslemotqu’ellecherchait. –Uncharlatan? –C’estça!(EllesepenchaversKit.)Jepeuxpasl’encadrer! Kithochalatête. –Pourquoinepaslesemer?dit-ilsuruntondeconspirateur. –C’estquoi,tonidée?demandaJacqui,haussantsessourcilsparfaitementépilés. Maraserait-elle lanouvelleTaraReid? Maranesesouvenaitpasdecequis’étaitpassélaveille.Elles’étaitréveilléeavecunhorrible maldetête,etavaitsisoifqu’elleallaàlasalledebainsetbutdirectementaurobinet.Cesderniers temps,Maraseréveillaitsouventdanscetétat.Ilétaitpresquemidiet,commed’habitude,Jacquietles enfantsétaientdéjàpartis.Ellepritunelonguedouche,seséchalescheveux,enfilasatenuelaplus pratique – un surmaillot à capuche et fermeture éclair – et dissimula ses cernes sous de superbes lunettesd’aviateurOliverPeoples,articlesqui,grâceauplanMitzi,neluiavaientriencoûté. Ellesedirigeaverslamaisonprincipale.Aupassage,elleremarquasurlechâteaudesReynolds ledernierajoutendate:deuxstatuesgéantes–deschevaliersenarmureflanquantl’entréedepartet d’autre.Elleallaàlacuisineetsepréparaunsmoothie.EllerinçaitlemixeurquandlePostretintson attention.Ellefeuilletalejournal,allantdroitàsarubriquefavorite:lapage6.C’estalorsqu’ellela vit. –OhmonDieu! Elle plaqua une main sur sa joue et jeta autour d’elle des coups d’œil nerveux. Regarda à nouveaulaphoto.OhmonDieu!Desimagesdelaveillel’assaillirentsoudain,amplifiantsonmalde crâne. Elle dansait sur la table. Hurlait sur Ryan. Traitait Eliza de garce. Mais, pire encore... cette photoépouvantable,là,danslejournal! EllequipensaitqueLuckyYapétaitsonami!Tuparlesd’unami!Laphotopriselaveilleau soirs’étalaitaubeaumilieudelapage6,au-dessousdugrostitre«LANOUVELLETARAREID?». Mara Waters, la gentille fille de Sturbridge (du moins, c’est ainsi qu’elle s’était toujours vue), se penchaitversGarrettquiavaitlenezfourrédanssondécolleté,tandisquesesseinsjaillissaienthors de son bustier Gucci. Nom de Dieu, un mamelon s’en était même échappé et, rose et effronté, s’exhibaitfièrementàlafacedumonde! Direqu’elleétaitmortifiéenesuffiraitpasàdécrirecequeMararessentitcematin-là.Perdreles pédalesunsoir,c’étaitunechose.Voircefauxpasrendupublicdèslelendemain,c’enétaituneautre. Ellesehâtadefourrerlejournalàlapoubelle,enespérantquepersonneneletrouverait.Surtoutpas Ryan. C’était si humiliant. La nouvelle Tara Reid ? Tara Reid elle-même ne voulait pas avoir la réputationdeTaraReid. Mararougit.Elleavaittoujourseulesentiment,auplusprofondd’elle-même,denerienavoirà envierauxPerry.Carilsavaientbeauêtrerichissimesetvivreuneexistencedeluxe,ellepossédait quelquechosequ’ilsn’avaientpas:unefamilleforteetunie;desparentsquiavaientsuinculquerà leurstroisfillesdesvaleursessentielles,tellesl’intégrité,lasincéritéetlarespectabilité.Or,avecla publicationdececliché,queluirestait-il?SugaretPoppyelles-mêmesn’avaientjamaisétésurprises dansunesituationaussicompromettante.Lescandaleavaitbienfailliéclaterlorsquel’ex-petitcopain deSugaravaittentédediffuserlavidéomontrant leurs ébats torrides. Mais le cabinet d’avocats de sonpèreetunbongraissagedepatteavaientrésoluleproblème.Maras’étaittrompéesursonpropre compte. Peut-être, comme tous ces gens qui fréquentaient les Hamptons, était-elle prête à tout pour attirerl’attentionetsefaireconnaître? –Mara,jevousparle!Ilyaquelqu’unquivousdemandeàlaporte,ditLaurieenentrantdansla cuisine. Marasefigea,redoutantencoreDieusaitquoi.Ellen’attendaitpersonne.Laphotopouvait-elle constituer une atteinte aux bonnes mœurs ? La police du mamelon venait-elle la chercher ? Mais lorsqu’elleouvritlaporte,unsimplemessagerenuniformemarronsetenaitsurleseuil. –Signezici!indiqua-t-ilenluifourrantsouslenezuneécritoireàpince. Ellegriffonnasonnom,etilluifourraplusieursénormessacsdanslesbras,contenantencore troismerveilleusesrobesShoshanna,etunesélectiondecardigansencachemireauxcouleurspastel. Mara découvrit une note écrite à la main sur du papier coûteux : Excellent article dans le Post ! Continuecommeça.Bises.Mitzi. Mamelonmisàpart,Maracompritqu’auxyeuxdeMitzi,laphotoétaitunsuccès.L’articledela page6citaittouteslesmarquesqueportaitMara. Àl’instantoùellerassemblaitsessacs,ellevitRyansegarerdansl’allée.Elles’arrêta,comme pétrifiée.Ilsortitdelavoitureets’avançaverselle,lesyeuxcernésetlesmêmesvêtementsquela veillesurledos.Malgréelle,Maraeutunserrementaucœur. –Oh...euh...salutMara,bafouillaRyanendevenantécarlate. –Salut,marmonna-t-elleavecunsignedetête. Ilavaitpassélanuitavecunefille.Çasevoyaitcommelenezaumilieudelafigure.Maraétait malade de jalousie. À ce qu’il semblait, Ryan ne serait jamais en manque de petites amies. Et pire encore:ellenepourraitplusjamaisenêtre. Lebonheur, c’estunevoilegonfléeàbloc ConnaîtreKitAshleighprésentaitbeaucoupd’avantages.Ilavaitlesensdel’humour,étaitloyal enverssesamisetcollectionnaitlesgadgetshorsdeprix.Maissaqualitéessentielle,c’étaitdesavoir s’amuser,etce,n’importeoù.Ilsemontrad’uneefficacitéredoutablelorsqu’ilfutquestionderéunir les enfants : il promit à William qu’il pourrait barrer le voilier, autorisa Madison à emmener son amie,racontaàZoéqu’ilsverraientdesdauphins,etportaCodyjusqu’àlavoiture.Touss’entassèrent danssaMercedes-BenzCLKdécapotable(JacquiavaitlaissélesclésdelaToyotasousl’huilesolaire dudocteur),etKitlesconduisitàSagHarbor,oùsonbateauétaitàquai. –C’estunecoquilledenoix,ditKitàproposduPoisson-lune,maisilyadelaplacepournous tous,etonpourrapeut-êtreapprendreànaviguerauxgamins.Monpèrem’aapprisquandj’étaistout gosse. –C’estça?demandaWilliam,guèreimpressionnéparlevoilierdehuitmètres.Celuidemon pèreest...aumoinstroisfoisplusgrand! –Lataillenefaitpastout,monami,répliquaKit. Ildéroulalesvoilesetdéfitlescordages. – Allez, donnez-moi un coup de main. Toi aussi, Madison. Et Zoé... vous pouvez tous vous rendreutiles. Avec Kit pour diriger les opérations, ils parvinrent à appareiller. Puis Kit prit la barre et les emmenaaudockduBistroJLX,unrestaurantfrançaisbranchésituéauborddel’eau.Unserveurse présentaaubateaupourprendreleurcommandeet,quelquesminutesplustard,leurtenditpar-dessus le garde-fou plusieurs sacs pleins à craquer de fromage, de sandwichs au jambon fumé, de salades tomates-mozzarella,debouteillesd’eaugazeuseetdecidre. Celanemanquapasd’impressionnerJacqui.Kitdirigeaànouveaulebateauverslelarge. –Onnepeutpasallerplusvite?gémitWilliam. –Regarde,jevaistemontrercommentfaire,ditKitens’élançanthorsdelacabine. Ils trouvèrent le vent, et tous se turent. La mer était calme et lisse, le voilier se balançait délicatement au gré des vagues. C’était à la fois relaxant et excitant. Jacqui déballa le déjeuner et distribualessandwichs. –C’esttropnul!seplaignitAngelica,lacopinedeMadison.OnauraitdûresteràGeorgica.Ces typeshyper-mignonsqueconnaîtmoncousinétaientcensésveniraujourd’hui. Madison,quisemblaitjusque-làapprécierlabalade,s’empressadesemettreaudiapason. –Tunevasquandmêmepasmangerça?demandaAngelica,tandisqueMadisonfaisaitglisser danssonassietteunerondelledetomateetunetranchedemozzarella. Madisonsehâtadelesremettredanslabarquette. Jacquiassistasilencieusementàlascène.ElleauraitvoulupouvoirdireàMadisonquelesfilles commeAngelica,tropmincesettropprivilégiées,dissimulaientleurpropremanqued’assuranceen semoquantdetoutlemonde.Mais,conscientequ’elleneferaitqu’embarrasserlafillette,ellepréféra setaire. Aulieudeça,Jacquiamassadanssonassietteunequantitédefromage,desalami,depainetde légumes au vinaigre et s’appliqua à ne pas en laisser une miette – sous le regard fasciné des deux préadolescentes,quin’arrivaientpasàcroirequ’onpuisseautantmangertoutenayantlephysiquede Jacqui. AngelicaavaittentédeserendreaimableenflattantJacqui.Commeçan’avaitpasmarché,elle s’était mise à l’appeler « la fille au pair » d’une voix snobinarde. Jacqui respira quand les deux fillettesserésolurentàtirerlemeilleurpartideleurjournéeenselivrant,surlepont,àuneséance silencieusedebronzage. Jacquiregardaautourd’elle.Lesgaminsquis’amusaient,l’eauétincelante,lesoleilaveuglant... Elle renversa la tête en arrière, sentit le vent s’engouffrer dans ses cheveux. Elle était heureuse d’avoirunamitelqueKit. Ilesttellementplusfacile dementirautéléphone Eliza tamponna son cou d’une nouvelle couche de fond de teint compact. Les suçons de Ryan avaientfleuripendantlanuit.Elizasemblaitrescapéed’unchampdebataille,aveccestracesjauneet violets’étalantpartoutsursondécolletéetdanssoncou.C’étaitdrôlementembêtant.Ellenepouvait tout de même pas aller travailler avec cette allure de femme battue. D’où le fond de teint compact BobbiBrown.Dieumerci,onavaitinventélemaquillageparfait! Évidemmentc’étaitunpeubizarre...êtredenouveausortieavecRyan...EtJeremydanstoutça? Devait-elle se considérer comme « infidèle » ? Étaient-ils seulement encore ensemble ? Eliza était confuse,etunpeutriste.EtavecRyan...çavoulaitdirequoi,aujuste?Ellen’étaitpasamoureusede Ryan,toutdemême?Ryanétait...unami.Non,plusquecela...c’étaitunfrère...enfin,pastoutàfait. Cematin-là,ill’avaitréveilléeetportéejusquedanssonlit. –Ilfautquej’yaille.Jesuispascertainquetesparentsapprécieraientdenoustrouverdansle salon,chuchota-t-ilenfrôlantsonnezd’unbaiser. –OK,approuva-t-elled’unevoixensommeillée. –Àplustard,dit-ilenlabordant. Elizasouritàcesouvenir,etachevaitdecacherunsuçonavecunsoupçondecorrecteurdeteint vertlorsqueletéléphonesonna. –SalutLiza,c’estmoi. –Oh!dit-elle,samaintenantlefonddeteintcompactrestantfigéeàmi-hauteur. Mara.Merde!Ryanluiavait-ilditquelquechose? –Écoute...,commençaMara. Elizaretintsonsouffle. – Je suis vraiment, vraiment, désolée pour hier soir, continua Mara. Je ne sais pas ce qui m’a pris.J’aijamaisétéaussisoûledemavie. –Oh.C’estpasgrave.Net’inquiètepas! –Jetiensàcequetusachesquejeneferaisjamaisrienquipuissetecauserdesennuis.Jesaisce quecejobsignifiepourtoi. –Jet’assure,tun’aspasdesouciàtefaire. Ellenesouhaitaitqu’unechose:raccrocher.Maraétaittellementgentille,çarendaitleschoses encoreplusdifficiles.MieuxauraitvaluqueMarasoituneauthentiquegarce,maiscen’étaitpasle cas. –Entoutcas,j’aivraimenthonte,insistaMara.EtdevantRyan,enplus! –Mara...fautquej’yaille!l’interrompitEliza. Ryan et elle avaient beau être d’accord pour considérer que l’épisode de la veille au soir ne comptaitpasdavantagequeceluidePalmBeachetqu’iln’yavaitrienentreeux,Elizanes’ensentait pasmoinsaffreusementcoupable.LefaitdesavoirqueMarasortaitdésormaisavecGarrettReynolds n’atténuaitpassamauvaiseconscience. –Oh...trèsbien.Onpourraitpeut-êtreprendreuncafécettesemaine,ouuntrucdanslegenre? demandaMarad’unevoixmalassurée. –Ouais.Jet’appellerai,OK?rétorquaEliza. –OK,réponditMara. MaisElizaavaitdéjàpressélatouche«findecommunication». Danslacuisine,Mararaccrochaletéléphone.Elleavaitlecafard.Elizaluienvoulaittoujoursà mort, c’était clair. Elle ouvrit la porte-fenêtre donnant sur le patio et s’étonna de voir Philippe prendreunbaindesoleilaumilieudelapiscine,étendusurunmatelaspneumatique,sasempiternelle cigaretteaubec.Ellecroyaitqu’ilétaitpartienville.Bienqu’ilfûtcenséfairepartiedugroupedes baby-sitters,ellelecroisaitrarementdepuisqu’ilavaitététransférédanslademeureprincipale. –Tasœuraappelé,dit-ilentapotantsacigaretteau-dessusdel’eau. –Laquelledemessœurs? Philippehaussalesépaules. C’étaitsûrementMegan.Avecsestroisgamins,Maureendevaitêtretropdébordéepourpouvoir passeruncoupdefil.MarasedemandapourquoiMegannel’avaitpasappeléesursonportable–cela dit,ellenecaptaitpastrèsbien,danslesHamptons.Mararetournaàlacuisineetcomposalenuméro detravaildeMegan. –AllôMeg?C’estmoi!annonça-t-elle. –Mara!LastardeSturbridge!répliquajoyeusementsasœuràl’autreboutdufil. –OhmonDieu...Tuasvulaphoto?danslePost? –Biensûrquejel’aivue.Ohé,Mara,c’estàtasœurquetuparles!Jet’aiaussivuedansUS Weekly,l’autrejour.Tuesplusmignonnesurlapage6,bienqueleclichésoitunpeuosé,ditMegan suruntondespécialiste. Maradistinguait,enarrière-fondsonore,unbruitdeséchoirsetdeciseauxquiclaquent. –Tum’asvraimenttrouvéemignonne?Etpapaetmaman,ilsl’ontvueaussi?demandaMara, enjetantuncoupd’œilparlafenêtre. Philippeseprélassaittoujoursdanslapiscine.AnnaPerryapparutdanslepatio,enbikiniblanc etchaussuresàtalonstransparentes.Elleentraprudemmentdansl’eau,etPhilippel’aidaàs’installer surunmatelaspneumatiquesemblableausien.Ilsselaissèrentglisserjusqu’àl’autreboutdubassin, oùl’eauruisselaitencascadedansunjacuzzi. –Tum’écoutes,Mara? –Oui,euh,non...jesuisdésolée.Tudisais? –J’étaisentraindetedirequej’avaisplanquélejournal.S’ilsl’avaientvu,tupouvaisfairetes bagages!Tuconnaispapa... –Merci.Jeterevaudraiça. –Tucroispassibiendire!J’aidécidédevenirterendrevisitedansdeuxsemaines.Jeveuxvoir oùmapetitesœurpassesontemps! –C’estuneidéegéniale!répliquaMara. –Jesais.Doncjen’aipasattenduquetum’invites,ditMegan. –Qu’est-cequeturacontes?Tusaisquetuestoujourslabienvenue,protestaMara. –C’estpourquoij’aidécidédevenir.Bon,fautquejetequitte.J’étaiscenséefaireunrinçagede dixminutesàMmeNorman.Maintenantellevaavoirlescheveuxbleus...Onsevoitbientôt! Mararaccrocha,ragaillardie.Megan,sasœurpréférée,allaitvenirluirendrevisite!Ceserait extradepouvoirpasserdutempsavecelle.Etdefairedestrucsnormaux,commeallermangerdes hamburgerschezO’Malley,àEastHamptonou,pourquoipas,sefairecuireunhomardsurlaplage. Mara avait besoin d’un petit break, et il n’y avait rien de tel que la famille pour vous remettre les piedssurterre. Garrettramèneuneprise Lesrichesétaientdifférents,Maral’avaitcomprisdèsl’étédernier,lorsqu’elleavaitrencontré lessœursPerry,toujoursprêtesàdépenserhuitcentsdollarspourunerobegrifféemaisrechignantà payer leurs propres consommations. Ou Ryan Perry, qui roulait dans une voiture de sport anglaise conçuetoutexprèspourlui,maisutilisaitducarburantsansplombpouréconomiserquelquesdollars. SeuleunefamillecommelesReynoldspouvaitsefaireconstruireunbassind’eausalée–unimmense réservoiràpoissonsoùl’onpouvaitaussinager–àmoinsdedixmètresdel’océan.Garrettinvita Maraàvenirlevoir,carilvenaittoutjusted’êtreapprovisionnéenpoissons.Maraentradansl’eau, tièdeetrelaxante. –Encoreune?suggéraGarrett,agitantunpichetdemargaritaàlamangue. – J’en ai déjà bu deux, dit Mara, repoussant la proposition d’un geste. Je devrais peut-être me calmerunpeu.Masœurarrivebientôt,etj’aipasenviequ’ellepenseque... –...qu’ellepensequoi?demanda-t-il. Il but directement au pichet puis, d’une main, s’essuya les lèvres. C’était une belle soirée, on entendaitlechantdesgrillons. –Jesaispas...j’aipasenviequ’ellepensequejesuisunefêtardeouuntrucdanscegoût-là.J’ai quandmêmeunboulot,luirappela-t-elle.T’imagines,silesgaminsmevoientsurlapage6?dit-elle d’unevoixhorrifiée. –Tusaisquoi?Tudevraispast’angoisserpourça.C’estjusteunephotodansunjournal.Tu saiscequelesgensenfont,desjournaux?demandaGarrettenagitantlepichet,cequifitjaillirune partiedesoncontenudanslebassin. Marasecoualatête.L’alcoolnerisquait-ilpasd’empoisonnerlespoissons? – Ils les jettent à la fin de la journée, poursuivit Garrett. À Londres, ils enveloppent les frites avec,pourqu’ilsabsorbentl’huile! Iléclataderire,posalepichetauborddubassin.Ilnageaverselle,ets’amusaàl’éclabousser. –Jet’aimebien,Mara.Jetetrouvemarrante.Reste-le! Marasentitlajoiel’envahir.Ill’aimaitbien.Ilvenaitdeledire.Avecsescheveuxmouillés,il étaitsibeau,onauraitditunanimalmarin,sombreetsouple.Illuisouritetellecaressasonvisage. Lui,aumoins,nelajugeaitpas.ContrairementàRyanPerry,quilaprenaitsansdoutepourlapire pochtronnedesHamptons.Garrettlatrouvaitmarrante. Unbancdepoissons-clownsorangeetblancfila,telleuneflèche,verslecorailvoisin.Marase resservitunverre.C’étaitexquis.Etpuis,siMegantenaitàvenir,n’était-cepaspourjouirduglamour desHamptons?QuipréféreraitmangerdessandwichsauhomardàlaplagedeMontaukplutôtque passersessoiréesdanslasalleVIPduSeptièmeCercle,entourédestarsdeciné? Garrettluibalançadeslunettesdeplongée,untuba,et actionna l’éclairage subaquatique. Mara plongea la tête sous l’eau, et regarda autour d’elle. L’eau était bleu ciel, claire comme le jour, et peupléedecréaturesmarinesdetouteslestailles,detouteslesformesetdetouteslescouleurs.Ily avaitdestortuesdemer,desmurènes,despoissons-zèbressobresmaissuperbes,despoissons-anges, despoissonsarc-en-ciel,etdesempereursànageoirebleue. Elleémergea,etextirpaletubadesabouche. –C’estmagique,dit-elle. –PourquoialleràStBarth,quandonpeutfairevenirStBarthchezsoi?demandaGarretten ajustant ses lunettes de plongée. C’est l’inconvénient des Hamptons. Il n’y a pas de bon endroit où fairedelaplongée. Un banc de raies pastenagues leur frôla les genoux. Mara les suivit des yeux, émerveillée par leurgrâce,tandisqu’ellesondulaientverslecorail. Garrett lui prit la main et ils traversèrent le bassin à la nage. Il lui désigna des méduses translucidesetdefrémissantesétoilesdemer.Puisilsedirigeaversunegrotteartificiellesituéeau centredubassin,etfitsigneàMaradelesuivre. Prenantsoindemaintenirsoncocktailhorsdel’eau,Marabaissalatêteetentradanslagrotte. Elles’étaitimaginéquelesPerryvivaientdansleluxe,maislà,c’étaitunetoutautreconceptiondu luxe... La demeure des Reynolds était un croisement improbable entre le château de Versailles et Marineland. –C’estl’endroitquejepréfère,ditGarrett,enl’attirantverslui.TuesdéjàalléeàCapri? Marasecoualatête.Àl’exceptiondesHamptons,ellen’était,pourainsidire,jamaisalléenulle part. Ilenlaçasatailleetlaserracontrelui. –Unjour,jet’yemmènerai,luichuchota-t-ilàl’oreille. Marasourit.L’idéeluiplaisait.EllesedemandacequeRyanétaitentraindefaire,àcetinstant précis.Etbalayaaussitôtcettepenséedesonesprit. Danslapénombredelagrotte,lescheveuxdeGarrettavaientdesrefletsd’unnoirbleuté,etses yeuxbrillaientdemalice. –Jepariequejegardelatêtesousl’eaupluslongtempsquetoi! –Ahouais?Jerelèvelepari!rétorquaMara. Marasepenchaenemplissantsespoumonsd’air,décidéeàluidonnertort.Garrettpritlamain de Mara, et tous deux s’enfoncèrent dans l’eau au même moment. Et il l’embrassa. Elle sentit le souffle de Garrett, le goût salé, la tiédeur mouillée... et s’abandonna aux sensations nouvelles et électrisantesquesescaressesluiprocuraient.Ellequipensait,depuisdéjàsilongtemps,queseulRyan pouvaitluifaireéprouvercela... Deuxdemi-amoureux valent-ilsunamoureuxentier? Chaqueété,aussiloinqu’Elizas’ensouvienne,leMeadowClubdeSouthamptonorganisaitun tournoiamateurdestinéàsesmembres.Cequiavaitétéaudépartunecompétitiondiscrèteetprivée étaitdevenu,aufildesans,unévénementsportifincontournable,quiavaitmêmesonsponsorofficiel –d’oùlesurnomde«tournoiRolex».Ilétaitsusceptibled’attirerdesstarsdutennis,commeAndy RoddickouLindsayDavenportetmêmed’ancienschampionsdel’envergured’IvanLendloudePete Sampras. Le prix consistait en un disque d’argent et un chèque de dix mille dollars. Cependant, cet été-là,aucundesjoueursn’étaitcélèbreouclasséauniveauinternational,àladésolationduclub,qui comptaitsurlapublicitéqueluirapportaientlesvedettes. Àlafindelasemaine,toutlemondesepressapourvoirlacompétition.Etc’estsouslesyeux d’une foule fortunée, vêtue de chemises Lacoste et d’imprimés madras, que Philippe commit une doublefautefaceàsonadversaire,unSuédoisbaraqué. Jacqui était assise au fond des tribunes avec les enfants, qui avaient accepté, en échange d’esquimaux,d’assisteraumatch.EllesavaitcombienPhilippetenaitàremporterlechampionnat.Or, c’étaitmalparti.Jacquiremarquaque,danslatribuned’honneur,Annasuivaitelleaussilapartieavec intérêt. Jacqui avait beau savoir qu’il lui fallait garder ses distances avec Philippe, voir Anna le regarder ainsi ne faisait qu’attiser son propre désir. Elle se souvenait encore de ses baisers, sur la tabledebillard.Endépitdetoussesefforts,ellen’arrivaitpasàoubliercemoment. Sur le court adjacent, Eliza était en train d’égaliser contre la championne de la section sportétudesdel’universitédeStanford.Elleavaitremportélademi-finale,terrassantsonadversairedans une manche haletante, et n’en revenait pas de se retrouver en finale ! Elle n’aurait jamais cru cela possible. Heureuse d’être enfin le centre d’attention pour la première fois cet été, elle jeta un coup d’œilauxtribunes.EllecroisaleregarddeRyan,assisaupremierrang,etluisourit.Jetantunsecond coupd’œil,elleaperçutalorsJeremy.Elleloupasonservice,etlaballefrappamollementlefilet. Maraétaitdansuneloge,aupremierrang,avecGarrett.JusteenfacedeRyan,maiselleetRyan neseregardaientpas.SugaretPoppyétaientaveceux,àcôtédeMara.Elizaremarquaquelestrois fillesétaientvêtuesderobespastelidentiques.Hallucinant!L’étédernier,lessœursPerrysavaientà peinequeMaraexistait. Elizas’efforçadeseconcentrersursonjeu.Onyétait:plusqu’unsetàjouer.Lachampionnede Stanford envoya une balle très haute au milieu du court, à laquelle Eliza répliqua par un smash puissant.Jeu.Set.Etmatch.C’estainsiqu’Elizaremportalapartie. La championne de la section sport-études donnait des interviews dans les vestiaires, où elle tentaitd’expliquercommentunelycéenneavaitpulabattre.Elizaentradiscrètement,pritunedouche envitesseetpassauncaracoSabbiaRosaetunjeanblancChloé.Elles’empressaderegagnerlehall, espérantpouvoirévitersadésagréableadversaire. –Eh,tuasfaitunsupermatch! Elizajetauncoupd’œilalentour.Ryansetenaitsouslavoûted’entrée,unbouquetdefleursàla main. –Ryan!Merci!dit-elle,raviedelevoir.Ellessontpourmoi? Ryan lui tendit les fleurs et ils s’étreignirent chaleureusement. Il se penchait pour l’embrasser surlajouelorsqu’ellesentituneautremainluitapoterl’épaule.Tournantlatête,ellevitJeremy,qui souriaittimidement. –Eh!s’exclamaEliza,ensejetantàsoncou. Le visage pressé contre le polo de Jeremy, Eliza rayonnait, oubliant presque qu’il l’avait totalementlaissétomberdepuisledîneravecsesparents.Ryantoussa,etElizaserappelasesbonnes manières. –Jeremy,tuconnaisRyanPerry,non?C’estunvieilamiàmoi,expliquaElizad’unevoixun peunerveuse. –Biensûr,j’aitravaillépourtafamille,l’étédernier,ditJeremyenserrantlamaindeRyan. –Tuvasbien,mec?demandaRyan. Ilsseserrèrentlamainavecunsourirecrispé.Ryanaffectaituneattitudenonchalante,maisEliza voyaitqu’ils’agissaitd’unepose. –Oh,Eliza,jeteprésenteCarolyn,ditJeremyensetournantversunegrandefilleauxcheveux auburn,derrièrelui.ElizaThompson.CarolynFlynn. ElizatenditlebouquetàRyan,afindepouvoirserrerlamainàl’amiedeJeremy. –Tudevraisessayerdedevenirpro,ditcelle-ci.Tuasfaitunmatchincroyable! –Merci,c’estgentil.Tusais,j’ail’impressiondet’avoirdéjàvue,ajoutaElizaenlaregardant plusattentivement.TuesuneancienneélèvedeSpence,non? –Jecroisquej’étaisunanau-dessusdetoi,confirmaCarolyn. –Alorscommeça,vousvousconnaissez,touslesdeux?demandaEliza. –OnestensembleenstagechezMorgan,expliquaJeremy. Elizaavaitmalauxzygomatiquesàforcededevoirsourire.C’étaittellementchouette,derevoir Jeremy...enfin!Etelleétaittellementtouchéequ’ilsesoitsouvenudutournoidetennis.Mais,selon touteapparence,ilétaitvenu...avecunefille. –Jesuisdésolédepasêtrepassétevoiràlaboîte,dit-il.J’aibossécommeundingue. –C’estpasgrave,répliquaEliza.Rattrape-toienvenantcesoirauSeptièmeCercle,d’accord? Ilhochalatête. –J’yserai. –Moiaussi,ditRyan,tenanttoujourssonbouquetdefleurs. MaisElizaavaitdéjàfilé. L’interdiction estlepluspuissant desaphrodisiaques Jacquifrappaàlaporte.EllesavaitquePhilippeboudaitàl’intérieur.Aprèsavoirperdudela manière la plus humiliante qui soit – 6-0, 6-0, 6-3 –, il avait rageusement quitté le court. Mais en regardant Anna le regarder, pendant le match, Jacqui avait décidé de faire le maximum pour le... consoler.Elleouvritlaporteetentra,aumomentprécisoùAnnas’apprêtaitàsortir. –Oh!Excusez-moi!s’exclamaJacqui.Jevoulaisjuste... –Leschambresdesenfantssontparlà-bas,Jacqui,rétorquaAnnad’untonglacial. – Oui je sais, je... je cherchais la couverture de Cody, bredouilla Jacqui en quittant la pièce précipitamment. Elleparcourutlecouloiraupasdecourse.Etrevint,enmarchantsurlapointedespieds,lorsque lespasd’Annasefurentéloignés. –Ouvre!Vite!C’estmoi,chuchota-t-elle. –C’estouvert,chuchota-t-ilàsontour. Enentrant,elletrouvaPhilippeétendusursonlit,entraindefumerunecigarette.Ilparaissaitun peuplusdétenduquelorsqu’ilavaitbalancésaraquettesurlesolenbétonetrepoussélescamérasde télévision. –Ilsepassaitquoi,là?demandaJacqui. –Dequoituparles?répliquaPhilippe. –Anna,dit-elleendésignantunpointpar-dessussonépaule. –Quiça? –Lapatronne.Elleétaitavectoi,là,àl’instant? Philippehaussalesépaules. Jacquiserraleslèvres. Encorecouvertdesueur,sescheveuxd’unblonddemielhumidesetcollantàsonbeauvisage, Philippeétaittoutsimplementirrésistible.L’interdictiondesortiravecluileluirendaitplusdésirable encore.Maiss’ilavaitvraimentuneaventureavecAnnaPerry,leschosessecorsaient. –Net’angoissepasausujetd’AnnaPerry,ditPhilippecommes’illisaitsespensées.Cen’estpas tonproblème.Qu’est-cequej’ypeux,siellemetrouveséduisant?Moi,parcontre,ellenem’attire pas.Etdonc,iln’yarienentrenous. –Jenepensaispasàça,mentitJacqui. Philippeprituneboufféedesacigarette,laissantlafuméetourbillonnerautourd’eux. –Vraiment?répliqua-t-ildansunsourire. Jacquiluisouritàsontour.NomdeDieu,cequ’ilétaitsexy! –Alors,tutesenscomment?Çava?s’enquit-elled’unevoixdouce. –C’étaitjusteunmatch,dit-ilenécrasantsacigaretteetenrajustantl’oreillersoussatête. –Jesuisdésoléepourtoi,entoutcas. Jacquijetauncoupd’œilàlaporte,craignantàchaquesecondedevoirsurgirAnna. – Moi aussi je suis désolé. Mais comme disent les Américains, on perd un jour pour mieux gagner le lendemain, n’est-ce pas ? demanda-t-il avec un sourire de mauvais garçon. À part ça, qu’est-cequetufaislà?Ilfautquejeperdeunmatchpourquetudaignesfaireattentionàmoi? –Ehbien...Tuétaispasmaloccupéavecquelqu’und’autre...,ditJacqui,s’asseyantauborddulit. –EncoreAnnaPerry!Qu’est-cequejedoisfairepourteconvaincrequ’iln’yarienentrecette femmeetmoi?s’exclamaPhilippe. –Prouve-le-moi!lançaJacqui,entrouvrantseslèvresdansunsourireprovocant. Philippel’attiraverslui. –C’estcequetuveux?demanda-t-ilentredeuxbaisers. Jacquiréponditàsonbaiseravecfougue.Maislorsqu’ilglissaunemainsoussonchemisieret luicaressaledos,ellelerepoussa. –Non...pasmaintenant,dit-elleenjetantunnouveaucoupd’œilàlaporte. –Quand? –Ontrouverabienunmoment,ditJacqui. Ellelissasescheveuxetl’embrassaunedernièrefois. Ellepassalatêtedansl’embrasuredelaporte.Lavoieétaitlibre.Ellefranchitleseuil,àl’instant précisoùleDrAbrahamsedirigeaitverssachambred’unpasdéterminé.Alorsqu’ellefranchissait le couloir en rasant les murs pour gagner les chambres des enfants, Jacqui les entendit discuter, Philippeetlui,etsedemandadequoiilspouvaientbienparler.Décidément,lacompagniedePhilippe étaittrèsappréciée! LessœursPerry trouventàMara unnouveausurnom Ilnefautpasjugerlesgensselonleurapparence.C’estcequeMaras’étaitentendurépétertoute sa vie, elle qui avait grandi dans la petite ville de Sturbridge. Ses parents avaient un faible pour ce genre d’expressions toutes faites, du type « Méfiez-vous de l’eau qui dort » ou « Aide-toi, le ciel t’aidera », que sa mère avait brodées, encadrées et accrochées dans leur cuisine. Mara mettait généralementenpratiquelepremierdecesdictons:elleétaittoujoursprêteàlaisserauxgensune secondechance. Garrett Reynolds, par exemple. Elle l’avait tout d’abord pris pour un play-boy fortuné qui ne pensait qu’à une chose – or il s’était avéré qu’il s’intéressait réellement à elle. Elle s’était donc trompéesursoncompte.Sepouvait-ilqu’elleaitégalementmaljugéPoppyetSugar? Ça avait commencé de façon plutôt anodine, quand Garrett et elle, acceptant l’invitation de Sugar,avaientassistéàl’anniversairedeCharlieBorshok.Ilsavaientpasséunebonnesoirée,etles jumellesn’avaientpasuneseulefoismentionnésonstatutdefilleaupair.Àvraidire,contrairementà l’étédernier,elleslatraitaientsurunpiedd’égalité.Poppy,àpeinerevenued’uneprétenduethalasso en Arizona avec un tour de poitrine revu à la hausse et les cheveux teints en marron chocolat, se montraparticulièrementamicale,suiteau«scandaledumamelon». –C’estpasmal,d’êtreunpeucontroversée.Commeça,lesgenscontinuentdes’intéresseràtoi, avait-elleexpliquéàMara. Et en matière de controverse, Poppy s’y connaissait. Depuis qu’elle avait été évincée de l’émission de télé-réalité, elle avait tenté de reconquérir l’attention du public par des moyens alternatifs.Enpremierlieu,unenouvellegammedebougiesparfuméesinspiréesdesavietellement glamour.Parmilesdifférentsparfums,ontrouvait«AmbianceNewYorkCity»,dontl’odeurétait malheureusement semblable à celle de la ville évoquée, « Dernier verre », qui empestait comme l’arrière-salled’uncaféglauque,et«Célébrité»,mêlantlavénéneuseodeurdesureauauxeffluves capiteux et écœurants du gardénia. Leurs parents ne paraissaient pas s’inquiéter du fait que les jumellesn’avaientvisiblementpasl’intention,nil’unenil’autre,deretourneraulycéecetautomne. CommeledisaitSugar,ellespourraienttoujoursobtenirleurdiplômed’étudessecondairesplustard, commelefaisaienttouteslesstarsdeHollywood. Lejourdelasoiréedelancement,auSeptièmeCercle,de«DroguesDoucesparPoppyPerry», Poppyavaitbousilléle4×4delafamille.Kevin,furieux,avaitditauxfillesqu’ellespouvaientsoit prendre la Volvo, soit s’acheter une nouvelle voiture. Ne souhaitant pas s’attaquer à leurs propres fonds, les jumelles avaient demandé à Mara la jolie petite BMW décapotable avec laquelle elle se trimballaitpartoutenville. Elles étaient les deux dernières personnes sur terre avec lesquelles Mara aurait pensé pouvoir sympathiser.Mais,commelesjumellesétaientinvitéesauxmêmesfêtesqu’elleetavaientlesmêmes amis que Garrett, ça paraissait naturel. D’autant plus que Mara n’avait personne d’autre avec qui traîner. Eliza lui avait dit ne pas s’inquiéter, n’empêche qu’elles ne se fréquentaient plus depuis la fameuse soirée au Septième Cercle. Mara était très peinée qu’Eliza lui en veuille autant, mais ne voyaitpascommentarrangerleschoses. Plustarddanslasoirée,Maraseretrouvaassisesurlelitplate-formedeSugar,enpleineséance demaquillageetd’essayageaveclesjumelles. – Qu’est-ce qu’elle est belle ! s’exclama Mara en caressant une robe blanche Versace au décolletéaudacieux,dansleplacarddeSugar. – Je sais. C’est ma préférée, dit Sugar. Mais je ne peux plus la porter. J’ai été trop souvent photographiéeavec.JeladonneraisbienàPoppy,maiselleneluiiraitplusàcausede...tuvoisceque jeveuxdire,s’esclaffa-t-elleendésignantlapoitrinedesasœur.L’opération... –Tais-toi!Çamefaitencoreunmaldechien!gémitPoppyensefrottantlesseins.Essaie-la, Mara!Jepariequ’ellevasuperbient’aller.Allez,essaie-la! – J’ose pas, dit Mara, alors qu’elle retirait déjà son short et faisait glisser la robe sur ses hanches. –Tumetsquoi,cesoir? –J’aipasencoredécidé,réponditMaraenremontantlafermetureéclair. –OhmonDieu!Poppy,regarde! –Oh,c’estdingue! –Qu’est-cequ’ilya?s’inquiétaMara.J’ail’airridicule? PoppyfitpivoterMarapourqu’ellesoitfaceaumiroirenpied. –Pasvraiqu’elleestlaplusmimidumonde?demanda-t-elleàsasœur. –Çaoui...Onpeutdirequ’elleestmimi,approuvaSugar. –Mimi...c’estça!C’esttonnouveaunom.Àpartirdemaintenant,ont’appelleracommeça.Ne leprendspasmal,ditPoppylamainsurlahanche,maisMarac’estunpeunul! –Cetterobeestfaitepourtoi!Tusaisquoi?Elletevatropbien,tudevraislagarder,déclara pompeusementSugar. Poppyhochalatête,emballée. –Turessemblesàcemannequinrusse...cetteNataliaquelquechose! –Ahoui,tutrouves? Mararougit.Ellesecontemplaunenouvellefoisdanslemiroir.C’étaitlarobequ’avaitportée Elizaàlasoiréed’anniversairedeP.Diddyl’annéeprécédente.Maraserappelaits’êtredemandéoù Elizaavaitbienpuladénicher.Àprésent,ellelesavait. –Jeteladonne.C’estuncadeau.Qu’est-cequ’onferaitpaspournotrepetiteMimi! – Eh, les filles, vous savez si Ryan a une copine ? lança soudain Mara – elle avait remarqué qu’AllisonnevenaitpluschezlesPerry,cesdernierstemps. Sugarhaussalesépaules,etPoppygardaunvisageimpassible. –Pasqu’onsache,assuraSugar. OràpeineMaraeut-elleledostournéqu’elleadressaunclind’œilàsasœur. –Allez,fautqu’onyaille.C’estmoiquiconduis!décrétaPoppyenagitantlesclésdelaBMW deMara. Elizasetenaitdevantlaboîte,gardiennedesonempiredequarantecentimètrescarrés,grelottant dansuneénièmetenuearchi-légère.EllereconnutlaBMWquivenaitd’entrerdansleparking,mais que faisait Poppy au volant ? Cette dernière lança les clés au voiturier, et Sugar sortit du côté passager.Lesjumellesposèrentpourquelquesclichés.EllesignorèrentEliza,toutoccupéesqu’elles étaientàglapirdes«Salut!»àl’adressedeKartik. –Eh,attendez-moi! Tournantànouveaulatêteverslavoiture,ElizavitMaraouvrirlaportièrearrièreets’élancerà lapoursuitedesjumelles.Elizalasaisitparlebras,alorsqu’ellepassaitsanslaremarquer. –Ohé,onseditplusbonsoir? –Eliza!jet’avaispasvue!s’exclama-t-elled’unevoixhautperchée,imitantàlaperfectionles intonationsdeSugar.Bravopourlematchd’aujourd’hui.T’asétégéniale! –Mimi!Ramèneunpeutafraise!hurlaPoppydepuislaporte. –J’arrive!criaMara,ens’empressantdelesrejoindre.Aurevoir,Eliza! Mimi?sedemandaEliza.QuidiableétaitMimi?ElleregardaMaras’éloigner.S’imaginait-elle deschoses,ouMaraportait-ellelarobeVersacedeSugar?Quiplusest,devantSugar! Sous les yeux d’Eliza, Mara la brune et Poppy la nouvelle brune entourèrent Sugar la blonde platine,ettoutestroisfirentleurentréedanslaboîte,laissantElizasegelersurplace. Enrobédesucre, çapassemieux! Jeremyavaitpromisdevenir,maisminuitavaitsonnédepuislongtemps,etiln’avaittoujours pasmontréleboutdesonnez.Elizaconsultaànouveausonportablepours’assurerqu’ellen’avait pasloupéd’appel.ElleretournadanslaboîteetfitlecomptedestablesencorelibresdanslasalleVIP. Celal’irritadevoirMarainstalléesurlameilleurebanquettedel’établissement,entouréedepartet d’autreparlessœursPerry,devisantaveccertainesdesadolescenteslesplusfortunéesdelabonne sociéténew-yorkaise.Etcelal’irritad’êtreirritée.EllenevoulaitpasêtrejalousedeMara,maisça l’écœurait un peu de voir son amie, qui n’aurait pas su épeler le nom d’Hermès l’année dernière, traîner avec la jeune héritière de la vénérable marque française. Mara frayait avec la crème de la jeunessedoréeet,pirequeça,onauraitditqu’elleavaitfaitçatoutesavie. Elle était d’une élégance incroyable. Elle portait la robe blanche de Poppy avec des spartiates ImitationofChrist,etavaitunchouettepetitétuiàcigaretteArtdécoenguisedesacàmain.Eliza, quantàelle,étaitvêtued’unerobedosnuAlaïa,achetéeparsamèredesdécenniesplustôt.Larobe entissumétalliséassociaitunesortedecolroulésurledevantàundosnageur.Trèsmoulante,elle épousait parfaitement les formes d’Eliza, et avait pour fonction de rappeler à Jeremy ce qu’il avait loupécetété.Ensepréparantcesoir-là,Elizaavaitététrèscontented’elle-même.Àprésent,ellese sentaitpresqueordinaire. – Eh, jolie robe ! dit Sugar en croisant Eliza dans les toilettes, une pièce aux équipements en acierinoxydable,oùunabreuvoirindustrieltenaitlieudelavabos. –Merci,c’estunmodèlevintage,ditEliza,flattée. Elle avait du mal à l’admettre, mais l’attention de Sugar lui avait manqué. Si celle-ci se comportaitparfoiscommeunevraiegarce–Elizan’étaitpasprèsd’oublieràquelpointelles’était montrée méchante après avoir découvert qu’elle travaillait chez les Perry –, elle savait aussi vous enjôlerquandl’envieluiprenait.EtDieusaitpourquoi,c’estcequ’elleétaitentraindefaire. –Super!s’exclamaSugarenserinçantlesmains.Eh,aufait,félicitations! –Merci,soupiraEliza. Certes,elleétaitcontented’avoirgagné–ellesauraitcommentutiliserl’argent,etadoraitêtrele centred’attention.Maiscelanesuffisaitpasàlaconsoler:ilétaitdéjàuneheuredumatin,etJeremy, bienqu’ileûtpromisdevenir,n’étaittoujourspaslà. –Qu’est-cequinevapas,mapoulette?s’enquitSugarenserepoudrantlenez. –Rien,réponditEliza,avecunhaussementd’épaules.C’estjusteque...j’étaiscenséeretrouver unmecici,cesoir. –Notreancienjardinier?demandaSugar,apparemmentsansmalveillance. –Ouais,acquiesçaElizaenfronçantlessourcilsfaceaumiroir. –JecroyaisquetuétaisavecRyan,ditSugar. –Quit’aracontéça?répliquaEliza,stupéfaite. Ryan et elle n’étaient sortis ensemble qu’une seule fois cet été, et ni l’un ni l’autre n’avait l’intentionderemettreça. Sugareutunsourireénigmatique. –C’estmonfrère,tusais...Etpuis,ilyaeutoutecettehistoire,àPalmBeach. Elizaétaitaffligée.Elleavaitoubliéquelesjumellesétaientaucourantdel’épisode. –C’étaitriendutout.Onn’estpasensemble. –Pourquoi?insistaSugar,s’adossantaulavaboetcroisantlesbras.Iln’estpasassezbienpour toi? –Maisnon.Çan’arienàvoir. –Danscecas,pourquoivousnesortezpasensemble?proposaSugar,commesiellevenaitde résoudreunproblèmedifficile. –EtMara,danstoutça?demandaElizasuruntonnerveux. Sugarlevalesyeuxauciel. –Parcequetucroisqu’ellen’estpasaucourant? –Maraestaucourant?rétorquaEliza,déconcertée. Pourquoineluiavait-elleriendit,danscecas?Parcequ’elleétaitfurieuse?Ouparcequ’ellene sesouciaitréellementplusdeRyan? –C’estpassiterriblequeça!Detoutefaçon,maintenantelleestavecGarrett,déclaraSugar, avantdeplaquerunbaisersurlajoued’Eliza.Àplustard. Bienplustard,cettenuit-là,aprèsquetouteslescélébritésfurentpartiesetquetoutelacourde Sugar, Mara comprise, eut quitté le Septième Cercle pour se rendre à une fête à Jet East, Eliza vit qu’elle avait un message de Jeremy. Il avait visiblement été retenu à une soirée caritative avec son patron dont il avait cru qu’il pourrait s’échapper, et blablabla... Eliza distinguait en arrière-fond sonore le tintement des verres et des rires féminins. Il disait qu’il était vraiment désolé. Tu parles, Charles!Elizaeffaçalemessage,tropfurieuseettropdéçuepours’ensoucierdavantage. Ellesedirigeaversl’espaceVIP,oùellevitRyanPerry,assisseulàunetabledansuncoindela salle.Elles’assitàcôtédeluietremarqualebouquetdefleursqu’ilavaittentédeluioffrir,plustôt danslajournée.Cettefois-ci,ellen’oublieraitpasdelesprendre. Commentondevient mannequin –Qu’est-cequivousfaitrire? MaraétaitenretardaurestaurantoùelledevaitrejoindreJacqui,Philippeetlesenfantspourle déjeuner.Elleavaitpassélamatinéechezlapédicure,encompagniedeSugaretPoppy,etsesentait unpeucoupabled’avoirunefoisdeplusmanquéauposte. –Cettefemme,là-bas,vientdenousdemandersinousétionsmannequins,expliquaJacqui,en levantlesyeuxaucieletentendantàMaraunecartedevisitesemi-rigide. MaratournalatêteetvitMitziGooberleuradresserdegrandssignesenthousiastes.Portantla mainàseslèvres,Marafitminedeluienvoyerunbaiser. –Mitzi...qu’est-cequ’ellevoulait?s’enquit-elle. –Elleveutqu’onparticipeàundéfilé,réponditPhilippe. Ilmontralecartond’invitationàMara. Maraexaminalecartonauxcaractèresgravés.C’étaituneinvitationpourundéfilédemodeà butcaritatifquiauraitlieuauclubdepolodeBridgehamptonlasemainesuivante.Ellel’avaitellemêmedéjàreçueparlaposte–onluiavaitréservéuneplaceaupremierrang.Depuislors,Sugaret Poppy avaient du mal à parler d’autre chose. C’était visiblement l’un des événements les plus importantsdelasaison. –Vousdevriezlefaire,ditMara. –Mannequin,ilyapaspluscrétincommeboulot!ditJacquiendécoupantlesharicotsvertsde Cody. MitziGooberaccourutàleurtableetfitlabiseàMara. – Alors, c’est bon, vous êtes partants ? Reinaldo va vous adorer. Sérieusement, ce serait me rendreunénormeservice:deuxmannequinsn’ontpaspuobteniràtempslerenouvellementdeleur visa. – On vous fait une faveur, alors ? Et vous, vous me proposez quoi, en échange ? demanda Philippeavecunsourireaguicheur. –Oh,maisquelvilaingarçon!gloussaMitzi.J’adoreça!Qu’est-cequevousvoudriezqueje fasse? –C’estbon,onestpartants!l’interrompitsèchementJacqui. Philippedevait-ilforcémentflirteravectoutcequiluipassaitsouslenez?Ilétaitcenséêtreà elle,mêmes’ilsn’avaientfaitqu’échangerquelquesbaisersclandestinsicietlàdepuisletournoide tennis.S’ilsuffisaitàJacqui,poursedébarrasserdecettefilleexaspérante,d’accepterdeparticiperau défilé,elleacceptaitdeboncœur!EtpuisMaraetElizayassisteraient.Ellevoulaittellementqu’elles puissentseretrouver,touteslestrois,etredeveniramies. – C’est top ! dit Mitzi en leur envoyant une quantité de baisers. À plus tard, beau gosse. Je réservelachambred’hôtel,lança-t-elled’unevoixrauque,enmanièredeplaisanterie,àl’adressede Philippe. Unechambre...Ahouais? Çac’étaituneidée! Çanecomptepas, maisçafaitdubien! Siquelqu’uns’étaitavisédeluiposerlaquestion,Elizaauraitréponduqu’ellen’étaitvraiment pas amoureuse de Ryan Perry. Mais vraiment pas du tout. Ils avaient tous deux leurs raisons pour souhaiterqueleurrelation,sionpouvaitappelerçacommeça,restesecrète. AprèsqueJeremyluieutposéunlapinlesoirdutournoidetennis,etqu’elleeutdécouvertque MarasavaitpourelleetRyan–etqueçaluiétaitvisiblementégal–,Elizatrouvanaturelderemettre ça.Illuiavaitoffertdesfleurs,nomdeDieu!Cesoir-là,ilsserendirentdoncdanslademeuredes Perryet,sansbiencomprendrecomment,seretrouvèrentnusdanslesbrasl’undel’autre.C’étaitla troisièmefoisdel’année.N’était-cepasentraindedevenirunehabitude? Le lendemain matin, Eliza s’était esquivée discrètement, en prenant soin de ne pas emprunter l’escalier de service menant à l’arrière de la maison, fréquemment utilisé par le groupe des babysitters.SugaravaiteubeauaffirmerqueMarasavait,Elizaétaitterroriséeàl’idéedelacroiser.Elle nepouvaitsedébarrasserdel’impressionquefricoteravecRyanétaitcommejoueraveclejoujoude quelqu’und’autre. Àprésent,dixjoursplustard,Elizacommençaitàs’habitueràl’idée.Ilss’étaientrevusplusieurs fois, avaient passé des moments drôles et relaxants. L’autre soir, après que le rappeur 50 Cent eut célébré le lancement de son nouvel album au Septième Cercle, Ryan avait fait un saut à la boîte à l’heuredelafermetureetilsétaientalléschezelle,sousprétextederegarderunautreDVD.Or,Dieu sait comment, ils avaient glissé vers quelque chose de plus intime. Deux jours plus tard il l’avait appelée, le soir où elle ne travaillait pas, pour lui proposer de venir voir Le Parrain III. Elle n’en mourait pas d’envie (si Sofia Coppola était devenue une grande réalisatrice, elle n’avait jamais été unebonneactrice,estimaitEliza),maiss’étaittoutdemêmeretrouvéedanslesbrasdugarçon.Eliza décidaquesortiravecRyan,c’étaitcommemangerdeboutdevantlefrigo:çanecomptaitpas,c’était duzérocalorie! Àpartquesesparentssemontraienttrèsirritants,traitantRyancommesonpetitami–cequ’il n’étaitcertainementpas.Unsoir,Ryanétaitpasséchezeux.Elizaetluis’étaientfaitréchaufferune pizzaaumicro-ondesetavaienttraînéauborddelapiscine,aulieudeserendreàunefêteàlaquelle ils avaient prévu d’assister au Club PlayStation2. Quand les parents d’Eliza étaient rentrés, plus tôt que prévu, d’une soirée de bienfaisance, ils avaient fait tout un plat de la présence de Ryan. Certes, c’étaitunvieilamidelafamilleettoutletralala,maisquandmême...Samèreleuravaitadresséun clin d’œil et, le lendemain matin, son père avait dit à Ryan qu’il pouvait leur rendre visite aussi souventqu’illedésirait.Intéressant:sitôtaprèsledîneravecJeremy,sonpèreavaitditqu’ilvalait mieuxcesserd’inviterdesgens,carlamaisonn’étaitpasàeux.ElizaenconcluaitqueRyanavaitle genrequiconvenait,etpasJeremy–dumoins,selonlescritèresdesesparents. NonqueJeremyeûtjamaischerchéàlarevoir.Ellen’avaitpluseudesesnouvellesdepuisle jourdutournoi.Biensûr,ellen’encontinuaitpasmoinsàconsulterfrénétiquementsesmessages. – Tu appelles qui ? demanda Ryan, fourrant dans sa bouche une poignée de pop-corn et répandantdesmiettespartoutsurletapis. Ilétaitvenulachercherauboulotcesoir-là,etilsétaientlà,àregarderlatéléd’unœil. –Jeconsultemesmessages,répondit-elle. Ryanhochalatête.Àl’écran,uneactricecélèbreracontaitàOprahWinfreysadernièrerelation amoureusedésastreuse. Leproblème,c’estqu’ElizaaimaitbiencesmomentspassésavecRyan.Elleaimaitqu’ilvienne la chercher au boulot : tout le monde le connaissait ou avait entendu parler de lui, et toutes les serveuses le trouvaient super-mignon. Elle aimait bien n’avoir à se soucier de rien. Même sa mauvaiseconscienceàl’égarddeMaras’atténuaitaufildesjours.SugarluiavaitditqueMarasavait etqueçaluiétaitégal.Elizanefaisaitdoncriendemal.SortiravecRyanluirappelaitsonancienne vieàNewYork,etl’époqueoùellepouvaitembrasserquiellevoulait,parcequec’étaitsondroit! Elleabandonnasamessagerieetlevalesyeuxversl’écran. –Eh,cen’estpasSugar?demanda-t-elle. C’étaituneémissiondetélé-réalitédelachaîneE!.Ilsétaiententraindediffuserlematchde tennis. Ryangrommelaquelquechose.Ils’apprêtaitàchangerdechaînequandquelquechoseattirason regard.Elizalevitaussi.Mara,dansuncoindel’écran,fixaitsurquelquechose,ousurquelqu’un,un regardpleindelangueur.Lacamérasedéplaçaalorspoursuivresonregard:danslestribunesétait assisRyan,totalementconcentrésurlematch. Mincealors! Lesmeilleureschoses necoûtentrien (maisellesontunefin) –Nemedispasquecesontdesvrais?!hurlaMegan,sifortqueMara,occupéeàreleverses cheveuxenqueue-de-cheval,faillitenavoirlestympanspercés.Ilssontgroscommedesglaçons! Lejourdudéfilédemodeàbutcaritatif,Maraavaitreçulavisitededeuxpersonnes:sasœur Megan–quitraînaituneénormevaliseenpiteuxétatetunetroussedemaquillagedeseptkilos–,et un messager en uniforme marron venu livrer un petit sac noir. Dans le sac se trouvait un écrin en velours. Il contenait une paire de boucles d’oreilles serties de diamants dix carats d’une valeur de deuxcentcinquantemilledollars,prêtéesparl’undesnouveauxclientsdeMitzi. Àprésent,lesdeuxsœursserendaientaurestaurantJean-LucEast,oùMaraétaitenbonstermes aveclepatron. – Nicole Kidman les a portées à la cérémonie des Oscars, répondit Mara. Je suis censée les mettrecesoir. Après qu’on les eut conduites à l’une des meilleures tables, sa sœur l’informa des dernières nouvellesdeSturbridge:lesproblèmesrencontrésparleurpèresursonchantier,letravaildeleur mèreàlabraderiedelaparoisse,maisMaratrouvaittoutcelatellementprovincial,tellementringard qu’ellesesurprit,malgréelle,àpenseràautrechose. –Etlereprésentantenproduitscapillairesestcraquant!glapitMegan,cequiéveillal’attention deMara. Chaque semaine, le salon de coiffure recevait de nouveaux produits et le représentant de la marque,unIrlandaisdunomdeBobbyO’Donnell,étaitlederniermecsurquisasœuravaitflashé. Mara regarda sa sœur de derrière les verres surdimensionnés de ses lunettes Chanel : plus grande qu’elle, Megan avait les cheveux roux et bouclés et un sourire exubérant rappelant celui de Julia Roberts. Elle était absolument ravissante, vive comme tout, et amoureuse d’un type qui, pour gagnersavie,livraitdesbouteillesdeshampooingetd’après-shampooing.Qu’est-cequiclochait? –TuméritesmieuxqueceBobbyO’Donnell,ditMara,coupantcourtàlaconversationsurle représentantenproduitscapillaires. ElleavaitoubliéàquelpointlavieétaitennuyeuseàSturbridge.Enavait-iltoujoursétéainsi? Aprèsledéjeuner,Marasortitquelquesbilletsdebanquedesonsacàmainetleslaissasurla table,obligeantMeganàrangersacartedecrédit. –J’aiétépayéeaujourd’hui,expliqua-t-elleentapotantuneenveloppedepapierkraftbourréeà craquer. Ellesconsacrèrentlerestedelajournéeàécumerlesboutiquesd’EastHampton,etretournèrent chezlesPerryafindeseprépareravantd’alleraudéfilé.Maraseregardadanslemiroir.Elleportait unerobeDiorévanescente,ornéedeperlescousuesmain,etàl’ourletbrodédeplumes.Lecélèbre maquilleurScottBarnes,quicomptaitparmilesclientsdeMitzi,étaitpassélamaquiller.Illuiavait appliqué,enlescollantunàun,desfauxcilsenfourrurederenard,commeilfaisaitpourJennifer Lopez. Edward Tricomi, qui coiffait le Tout-Hollywood, était venu en personne lui couper et lui coifferlescheveuxpourlasoirée.Pourcouronnerletout,ellearboraitàchaqueoreilleundiamant dixcaratsdelaplusbelleeau. Megansortitdelasalledebains. –Pasvraiqu’elleestterrible?demanda-t-elle.Jel’aidégotéechezLoehmann’s! Elleétaitvêtued’unemini-robesixtiesMarcJacobsàgrosboutonsenplastique,etdecuissardes blanches.Unlooktrèsenvogue...deuxsaisonsplustôt. – Tu ne veux pas plutôt m’emprunter quelque chose ? suggéra Mara en désignant les portants chargésduderniercrienmatièredevêtements.Jet’assure,çanemedérangepasdutout. –Turigoles?J’aiachetéçaexprèspourcesoir! Mara poussa un grognement. Cette tenue était manifestement passée de mode, ce qui n’était certes pas l’idéal pour se rendre à un défilé. Mara comprit que ça n’allait pas coller et, pour la premièrefoisdesavie,eutvaguementhontedesasœur. Cen’estpas parcequ’ellessontbelles qu’ilfautêtrejalouses! Danslescoulissesdudéfilé,l’assistantducouturier,unnomméOctavianquipréféraitsefaire appelerMissO,rassemblalesmannequinsautourdelui. –Écoutez-moi,lesamis!s’écria-t-il.Vouslesgarçons,vousjouezpaslesmachos.Etvousles filles,vousêtesdesminettesenvacances!Etsurtout,soyezsexy!Pigé?Allons-y! Jacqui portait sa première tenue, une combinaison-string archi-légère et un jean évasé taille (très)basse.Lacombinaisonlaissaitsondosàmoitiédénudé,àl’exceptiond’unefinelignedetissu coincéedanslaceinturedujean. Elle avait bien failli louper le défilé et regrettait déjà que cela n’ait pas été le cas. Lorsque Philippeetelleavaientacceptédejouerlesmannequins,ilsnes’étaientpasimaginéunesecondeque çaallaitleurprendrelajournée.Heureusement,Annaavaitinsistépourquelesgaminspassentlanuit aucampdevacancesdelaCabbale.Elletenaitabsolumentàcequ’ilsdeviennentamisavecLourdeset Roccoquiétaientcenséss’ytrouvereuxaussi. Pendantledéfilé,Jacquin’enrevenaitpasdelafaçondontlesmannequinsétaienttraités.Tous lesstylistesetleshabilleusesleurparlaienttrèslentement,commeàdesenfants,ouàdeshandicapés mentaux,ouàdesenfantshandicapésmentaux.Chaquemannequinétaitflanquéd’uneescortedetrois personnes,pasmoins,pourlesaideràpasserdesmainsdesmaquilleursauxmainsdescoiffeurs,puis desmainsdescoiffeursàcellesdeshabilleuses. Octavianseprécipitaverselle. –Jacqui!Jetecherchais.Reinaldoaeuunenouvellevisionpourlefinal. Illaconduisitàl’espacecoiffure,oùd’audacieuxvisagistestransformaientlacrinièredesfilles en nids de rats défiant les lois de la gravité, tandis que le créateur en chef, Reinaldo, donnait son approbationàceschignonsentoutgenre. –Jepensaisdonc,ditReinaldoencaressantlescheveuxnoirsetsoyeuxdeJacqui,àunecoupeà laSineadO’Connor,avecunpetitcôtéGoodCharlotte. –Génialissime!approuvaMissO. Assisesursachaise,Jacquilesfixaitd’unairdubitatif. Lecoiffeur-visagistetenaitunrasoir. –Machérie,qu’est-cequetudiraisd’unecoupe«iroquois»?demanda-t-il. –Vousplaisantez?réponditJacqui,levantlesmainspourseprotégerlatête. Seslongscheveuxsombresetbrillants! –Onnepeutpasfaireautrement!décrétaReinaldod’unevoixsoudaintrèsassurée.Lemariage dupunketdurock.Durétroetdelavieilleécole...Tuasvucefilm...?dit-ilenclaquantdesdoigts, lessourcilsfroncés,LaGuerredesétoiles,l’Attaquedesclones? – Plutôt un faux iroquois, non ? Hérissé mais désordonné, précisa Octavian. Richard Avedon rencontreHelmutNewtondansunefantaisiedeBazLuhrmann. –Géant! Sans laisser à Jacqui le temps de protester, il commença de lui raser un côté du crâne. C’était douloureux. Quelques minutes plus tard, on balayait sur le sol les cheveux de Jacqui et elle se regardaitdanslemiroiravecstupéfaction. Elle n’avait jamais douté de sa beauté... mais à présent ? Elle leva la main, qui glissa sur son crânecommel’eausurledosd’uncanard. –Perfecto!Magnifique!s’extasiaitOctavian. Detoutesavie,Jacquines’étaitjamaissentieaussilaide. C’estcequ’on appellelescélébrités dedeuxièmezone,bébé Le club de polo de Bridgehampton avait, pour le défilé de mode, dressé une immense tente blancheaumilieuduterraindepolo.Unerangéedetablesblanchesinstalléeàl’entréeaccueillitMara etMegan.Plusieursinvitésarpentaientleslieuxuncocktailàlamain,leurstalonss’enfonçantdansle solàchaquepas.MararepéraEliza,derrièrelatoutepremièretable.Ellebousculalesgenspoury parvenir,marmonnantdebrefs«pardon»tandisqueMegan,qu’elleentraînaitavecelle,serépandait en excuses chaque fois qu’elles passaient devant quelqu’un. Alan et Kartik avaient « prêté » Eliza à Mitzipourl’aideràdirigerlesopérations,carlamoitiédupersonneldeMitziavaitfaituneréaction allergiqueàlanouvellecrèmepourlevisaged’undesesclients.Selontouteapparence,lesextraits pursd’algueneréussissaientpasàtoutlemonde. –Tuessûrequ’onpeutfaireça?demandaMegan. – Pardon pardon pardon... vous pourriez nous laisser passer, s’il vous plaît ? lançait Mara en fonçanttêtebaissée,sansmêmeattendreuneréponse. Plusieursdamesdistinguéesleurjetèrentdesregardsagacés,queMaraignora. –Liza!s’écria-t-elle. Eliza, coiffée de son sempiternel casque et vêtue d’une jolie robe noir et blanc Temperley achetéeavecl’argentdutournoi,leurfitsignedelarejoindre. –Tuvois,qu’est-cequejetedisais...c’estuneamieàmoi,ditMara,ensegardantdepréciser qu’Elizafaisaitpartie,l’annéedernière,dugroupedesfillesaupair. MaraetElizasefirentlabise,sefrôlantàpeine.Leursrelationsavaientchangé,bienqu’ellesne fussentpasfranchementfâchées. –Eliza,voicimasœurMegan. – Oh, salut ! fit Eliza avec un grand sourire. Waouh ! C’est fou ce que vous vous ressemblez touteslesdeux! –Tutrouves?rétorquaMara,nesachantsielledevaitleprendrepouruncompliment. ÀforcedetraîneravecSugaretPoppy,ellefinissaitparcroirequetoutlemondeétaitironique. – Tu es superbe ! dit Eliza, complimentant Megan, au grand soulagement de Mara. (Eliza consultasalisteetfronçalessourcils.)Jen’aipaslenomdeMeganici,chuchota-t-elleàMara. –Ahbon?demandaMara. Elle avait eu l’intention de demander à Mitzi une place pour sa sœur. Or, ça lui était complètementsortidelatête. Elizajetaunnouveaucoupd’œilàlaliste.Plusieursdescélébritésattenduesn’étaientpasencore arrivées,etilétaittrèsprobablequ’ellesneviendraientpasdutout. –Suivez-moi,dit-elle,enécartantlerabatdelatente. Les sœurs Waters suivirent Eliza à l’intérieur. Une longue allée au sol recouvert de plastique avaitétéaménagéesurtoutelalongueurdelatente.Departetd’autre,deschaisespliantesblanches formaientd’impeccablesrangées.Surchaquechaise,onavaitdisposéunpetitsacnoircontenantde multiplesproduitsdebeauté,ainsiquedesmagazinesdemode.Or,lessacsdupremierrangétaient nettementplusgrandsquelesautres. –Latienneestici,ditEliza,lorsqu’elletrouvalachaiseaunomdeMara. Elledécollal’étiquette,portantlenomd’unecélébrité,surlachaised’àcôté. –Ettoi,Megan,mets-toilà! –Merci,lançaMaraduboutdeslèvres. Meganselaissatombersursachaise,fascinéeparl’agitationenvironnante.Auboutdel’allée, lesphotographesinstallaientlesappareilsetleurstrépieds,etungroupeagitédepaparazzisprenait desclichésdescélébritésoccupantlepremierrang.Ilyavaitdecélèbresrédactricesdemodecachées derrièreleurslunettesgriffées;plusieursjeunesfemmes,blondespourlaplupart,portantdespulls en cachemire aux coloris pastel autour du cou ; et un petit nombre d’actrices célèbres, assises aux meilleuresplaces.Desémillants«journalistes»représentanttoutesleschaînesettouteslesémissions traitantdelaviedesstarsinterviewaientleshabituéesdesdéfilés,lesfillesdelahauteetlesactrices connues. Mara croisa les jambes et orienta son visage pour pouvoir être prise sous le meilleur angle, sachantqu’ilsn’allaientpastarderàvenirprendresaphoto.Elleprétenditnepasremarquerquesa sœurétaitdéjàentraindefarfouillerdanslesac-surprise,etdes’exclamersurlestrésorsqu’elley découvrait. –Regarde,Mara!DubaumeàlèvresKiehlgratuit!s’exclamaMegand’unevoixtoutexcitée. Marahochalatêteavecunsourire. –Iln’yapasmieux,approuva-t-elle. ElleneprécisapasquelacompagniedeMitziluiavaitenvoyé,l’autrejour,uncartonremplide produits de la même marque. Mara sourit à une petite femme aux cheveux frisés, le nez chaussé d’énormeslunettesdesoleil,quiétaitassiseàcôtédeMegan. –OhmonDieu!J’adorevotresérie!Jem’identifietotalementàCarrieBradshaw!ditMegan, tournéeverselle. –Merci,réponditdiscrètementlastar. –Jepourraisavoirunautographe?demandaMegan. Mara faillit mourir de honte. Sarah Jessica Parker eut beau s’exécuter gentiment, Mara était affreusementgênée.Lescélébritésnevenaientcertainementpasauxdéfiléspourêtreimportunéespar desfans.Pourcouronnerletout,unefoisquelesphotographeseurentmitrailléJessicaSimpsonet SarahJessica,pasunnes’arrêtapourprendreunephotodeMaraWaters. Contrairementàcequ’elleavaitcommencéàcroire,ellen’étaitpassicélèbrequeça,aprèstout. L’ambiance devienttrèschaude Jacquis’efforçad’éviterlesmiroirsquisetrouvaientpartoutdanslescoulisses.Sescheveux! Ses splendides, ses épais cheveux noirs ! Disparus ! Remplacés par une coupe branchée, un faux iroquois,avaitditlevisagiste.End’autrestermes,uniroquoisinabouti,quineressemblaitàrien.Les cheveux,pluslongsaumilieu,avaientététravaillésdefaçonàformerunepointealorsquelescôtés du crâne étaient coupés en brosse. Elle passa les doigts là où les cheveux étaient le plus court, frissonnantaucontactdesanuquerasée.Onauraitditcelled’ungarçon.Maisiln’étaitplustempsde selamenter,caronéteignaitlalumièreetOctavian,àl’entréedelapiste,hurlaauxmannequinsdese mettreenligne. Jacquis’efforçadetrouversaplace,lesyeuxhumidesdelarmescontenues.Commentaffronter lafouleavecunecoupeaussiridicule?Elleentrepritderajustersacombinaison-machin-chose–ne l’aurait-elle pas mise à l’envers, par hasard ? –, commença par retirer les bretelles, et le vêtement restaàpendreautourdesataille. –Jacqui? Ellefitvolte-face,lesseinsàl’air. –Oui? –Oh!Salut!Oh! KitAshleighsetenaitàl’entréedel’espaced’habillage,rougecommeunetomate.Iltenaitun énormebouquetdefleurs. –OhmonDieu!Jesuisdésolé! Jacquiserralesbrassursontorsepourcachersapoitrine. –Kit! –Jesuisdésoléd’êtreenretard.Cesfleurs...ellessontpourtoi,dit-il,lesluitendantenprenant soind’éviterdelaregarder. –Ellessontmagnifiques!Obrigado. Une habilleuse vint remonter les bretelles de sa combinaison, même si cela ne changeait pas grand-chose.Jacquiétaittoujourstrèsdénudée. Kitsursauta.Ilvenaitderemarquersescheveux. –Tescheveux? –Commenttutrouves?ditJacqui,entripotantnerveusementlespointes.C’estmoche,non? –Tues...,bredouillaKit,lesyeuxbrillantsd’admiration.Tuesàtomberparterre! –Tuessincère? Jacquisouritetécarquilladesyeuxpleinsd’espoir. C’estalorsquel’undesassistantsremarquaKit. –Pasdepetitscopainsici!gronda-t-ilenluiindiquantlasortie. –Jenesuispasson... LevisagedeKits’empourpraànouveau. –Tuesmagnifique,dit-ilàJacqui.Bonnechance! –Salut!Merci!s’écria-t-elle,pendantquel’habilleuses’assuraitquesonstringétaitbiendroit. Àcemoment-là,unesilhouettebronzéeetsculpturaleapparutdanssonchampdevision.Entre deuxchangementsdetenue,Philippeexhibaitsoncorpsnu,soupleethâléàforcedejouerautennis.Il faisait des tractions sur un portant et n’avait pas l’air de craindre que tout le monde puisse le voir, lorsqueJacquisurpritsonregard. Illagratifiad’unsourireprédateur. –Joliecoupe!lança-t-il. Ilyavaitunequantitédetrèsbellesfillesdanslescoulissesdudéfilé,mais,pourunefois,illui consacrait toute son attention. Dans la salle, les lumières se tamisèrent, et Reinaldo les exhorta à penser«ausexe,lesenfants,ausexe!». AprèsavoirvuPhilippenu,cenedevaitpasêtretropdifficile. Iln’yapasquedans lesjardinsd’enfantsqu’on joueauxchaisesmusicales UndéfilédemodeétaitbienledernierendroitoùElizaauraitpensécroiserJeremy.N’empêche qu’ilétaitlà.Elleaidaitàclasserleschèquesdesdonateursetàlesmettreenregarddesnomscochés surlalistedesinvités,lorsqu’ilétaitapparuàl’entrée,encompagniedeCarolynFlynn.Tousdeux étaient serrés l’un contre l’autre au second rang – le rang des sponsors, puisque la banque qui les employait avait presque entièrement financé l’événement – en train de siroter du champagne et de jeterdesregardsdéconcertéssurtoutcequilesentourait. Elizalesobservait,sedemandants’ilsformaientuncouple,lorsqueRyanentraetallaprendre place à côté de ses sœurs. Eliza eut un petit serrement au cœur. Et puis après tout... si Jeremy ne l’aimaitplus,illuirestaitRyan,quiétaitunsupercopain,petitcopainouDieusaitquoi...Illuiadressa ungestediscretdelamain,accompagnéd’unclind’œil. Elizaluifitsigneàsontour,tandisquel’abordaitunefemmedefortecorpulence,dontlevisage luiétaitvaguementfamilier. –C’estvouslaresponsabledel’accueil?demandalafemme. Elleétaitvêtued’unechemisepolodéfraîchieetd’unpantalonample,ettenaituntalkie-walkie. –Euh...oui...sivousvoulez,bredouillaEliza.Enquoipuis-jevousaider? –Macliente,ChaunceyRaven,vaarriverd’unesecondeàl’autre,ditlafemme. Eliza se rappela alors où elle avait vu la femme. C’était la pontifiante agente qui, au début de l’été,avaitpriéElizadenepaslaisserentrerOndineSylvesterdanslasalleVIP. – C’est formidable. Nous sommes de grands fans de Chauncey ! répliqua Eliza, lui servant la répliquequ’elleréservaitàtouslesagentsdestars. –Ehbien...tantmieux...maisj’aibesoindesavoiroùelleseraplacée.Lesfilles,là-bas,m’ontdit quetoutesleschaisesdupremierrangétaientprises. –Oh!s’exclamaEliza. Merde.Ledéfiléallaitdébuterdanscinqminutes! LavoixgrinçantedeMitzibrailladanssoncasque. –Eliza!Monchou!Ondéclenchelepland’urgence!ChaunceyRavenn’apasdeplace! L’agentebaraquéefusillaitElizaduregard. Celle-cinesavaitpasquoifaire.L’ordredeMitzi(«Arrange-moiça!»)neluiindiquaitenrien lamarcheàsuivre.Commentfaire?Prierl’undesoccupantsdupremierrangdesemettreausecond rang?Elleparcourutdesyeuxlasalleàprésentremplied’invités,ets’arrêtasurMaraetMegan.Sans doute comprendraient-elles à quel point il importait d’installer Chauncey au premier rang. Eliza parcourutlepassagerecouvertdeplastiquedansuncliquetisdetalonsetallatrouverlesdeuxsœurs. –Mara,jepeuxteparleruneseconde?demandaElizaenluitirantlebras. –Quesepasse-t-il?Ilyaquelquechosequinevapas?rétorquaMara. –ChaunceyRavenvaassisteraudéfilé. –Oh,super! Mara avait tellement traîné avec Chauncey, au Septième Cercle, qu’elle la considérait comme uneamie. – Mais il n’y a plus de place au premier rang. Je suis vraiment, vraiment désolée. Ça vous dérangerait,tasœurettoi,devousdéplacerausecondrang?Jepeuxvousmettrejustelà-bas,àcôté dessœursPerry. Maraseraidit. – Mais pourquoi ? demanda-t-elle en voyant les sœurs Perry échanger des messes basses, de l’autrecôtédupodium. Sugar et Poppy ricanaient en jetant des coups d’œil à Megan et Mara rougit à la pensée des commentairesquedevaitleurinspirerlatenuedesasœur.Elleavaitdumalàcroirequ’Elizaveuille les faire bouger. Mara avait passé suffisamment de temps dans les Hamptons pour savoir qu’il n’y avaitriendeplushumiliantqued’êtreforcéd’abandonnersaplace. L’agentedeChaunceyRavensaisitElizaparlebras,etluimurmura. –Chaunceyestentrée!Ellevaarriver! –Jesuisvraimentdésoléededevoirvousdemanderça,insistaEliza,tournantledosàMara,et suppliantMegand’ungestedesmains.Maisonaunepersonnalitétrès,trèsimportantequiarriveet quiavaitoubliédeconfirmersaprésence.Onavraimentbesoindevosdeuxplacesaupremierrang. Jesuisvraimentdésolée,Megan. –Pasdeproblème!réponditMeganavecungrandsourire.C’estqui,lastarenquestion? –Vraiment,Meg,tunedevraispastelever!s’obstinaMara,alorsqu’ElizaaidaitdéjàMeganà libérersachaise. – C’est Chauncey Raven. Merci, merci, merci ! dit Eliza en tendant ses affaires à Megan et en l’installantausecondrang.Oh...saufqu’ilfautquetulaisseslesac-surprise. Le visage de Megan se décomposa. Elle remarqua que les sacs du deuxième rang étaient nettementpluspetits. –C’estbon.Garde-le!ditEliza. Chaunceyarrivaavecquinzebonnesminutesderetard,traînantdanssonsillagesonmari,Daryl Wolf.Commeiln’yavaitqu’uneplacepourdeux,Chaunceyseperchaillicosurlesgenouxdeson époux. La salle fut plongée dans le noir et, soudain, une ligne de basse assourdissante s’échappa des haut-parleurs, et la voix sensuelle d’une chanteuse se mit à roucouler en cadence. Les lumières se rallumèrentetlesmannequinscommencèrentàtrottinersurlepodium,aurythmedutubeélectro-hiphopFuckthePainAway. L’assistances’échauffasousl’effetdesparolesoséesetdestenuesarchi-révélatrices.Jacquifit son entrée dans sa combinaison-string et avec son faux iroquois, et l’atmosphère devint électrique. Toutcelaétaitsimauvais...etpourtantsidélicieux.Pasuneseuletenuen’étaitportable.Pasunseul vêtementquieûtunquelconquerapportavecl’existencedesfemmesdel’assistance.Maiscelan’avait aucuneimportance.Lacollectionétaitunhommageexubérantausexeetàlabeauté,etrecueillerait unconcertdelouangesdanslesjournaux.Lorsqu’ellesfiniraientparatterrirdanslesboutiques,les jupestransparentesseraientdoublées,lesminijupesramenéesàunelongueurplusconvenable.Quant auxcombinaisons-strings,lemodèle,àvraidire,n’avaitétécrééquepourledéfilé. Eliza glissa deux doigts dans sa bouche et siffla. Puis elle jeta un coup d’œil vers le premier rang,maisellenevitpasMara,justeChaunceyRavenqui,assiseenbiaissurlesgenouxdesonmari, devaitluibloquerlavuedudéfilé. Ehbien,çaluiapprendraitàsecomportercommeunegarce! Lesliensdusangrésistent àtout...saufàlasalleVIP AprèsquelepubliceutacclaméReinaldo,àlafindudéfilé,tousseruèrentsurlebuffet,quise tenait dans le parc du Country Club. Garrett était arrivé à la toute fin et, jaugeant Megan d’un seul coup d’œil, avait entrepris de l’ignorer totalement. Mara avait demandé à Megan de tenir son sacsurprise,letempsqu’elleaillesaluersesamis. LorsquelesvraiescélébritésfurentrepartiesetqueGarretteutreparuàsescôtés,lespaparazzis finirent par s’apercevoir de sa présence. Elle remarqua que Megan paraissait mal à l’aise, mais il fallaitbienqu’elleailledirebonjouràtouscesgens–deséchotiers,desrédacteursdemagazines,et divers spécialistes en relations publiques qui lui avaient fait porter, cet été, des créations de leurs clients. – Ma chérie ! s’exclama Mara d’une voix stridente, en saluant une fille un peu trop grasse boudinéedansunerobeàimpriméLiberty.(CommeMitzi,elleavaitprisl’habituded’appelertoutle monde«chéri».)Tuessuperbe! Àpeinelafilleeût-elletournéledosqu’ellemurmura,àl’adressedeGarrett,deMeganetde tousceuxquipouvaientl’entendre: –Sitantestqu’onpuisseêtresuperbe,habilléeavecunetoilecirée! Garrett éclata de rire, et les sœurs Perry les rejoignirent aussitôt pour profiter de leur bonne humeur. –Oh,waouh!lançaSugar.J’adoraiscetterobe! –C’estvrai?ditMegan.Merci. – Ouais, l’année dernière, ricana son interlocutrice. La mienne, je l’ai donnée à l’Armée du Salut. Mara fit celle qui n’avait rien entendu. Elle avait bien dit à Megan de lui emprunter quelque chose,justementpouréviterça. Meganseretirapoliment,l’airblessée,sousprétextedesedirigerverslebuffet.MaraetSugar partagèrentunecigarette. –MonDieu!Quelleidéedemangerdansunendroitpareil!s’exclamaSugar. Marahaussalesépaules. –OnvaauDragonbar,maintenant?demanda-t-elle,faisantallusionàlavraiesoiréed’after,à laquelleseulsleshappyfewavaientétéinvités. Plusieurs de leurs amis communs, parmi lesquels l’héritière de grands laboratoires pharmaceutiques,sejoignirentàleurgroupe. –Eh,Mimi,cen’estpastasœur,là-bas?demandal’héritièreendésignantMegan,quis’efforçait denepasrenverserdeuxmini-assiettesrempliesdechampignonsfarcisetdepincesdecrabe. –Euh...enfin...non,pasvraiment,réponditMara,embarrassée. SiMegann’entenditpas,quelqu’und’autreentendit.Lorsqu’ellelevalesyeux,MaravitRyan.Il laregardaitensecouantlatête. –SalutRyan,crâna-t-elleenluisoufflantsafuméeauvisage. –J’auraisjamaiscruçapossible,dit-il. –Pardon? – Tu es devenue... l’une d’entre elles, répliqua-t-il, faisant un geste vers la foule environnante. Messœurssontdéjàpasmaldanslegenre,maistoi...Etmoiquitecroyaisdifférente! –Qu’est-cequeçasignifie?demandaMara. MaisRyanluiavaittournéledos,ets’éloignaitdéjà. Mara jeta un coup d’œil alentour, espérant que quelqu’un aurait assisté à leur conversation, et pourraitconfirmerqueRyandépassaitlesbornes.Maisiln’yavaitpersonnedanslesparages,hormis unserveurquineparaissaitpasvraimentcontentd’êtrelà.ElleallaserasseoiràcôtédeGarrettet regardaRyandirebonjouràEliza.Meganlarejoignit,tenanttoujoursuneassietteremplied’amusegueules. –Mara,jesuisvannée.Jecroisquejevaisrentrertôt,dit-elle,l’airdécouragé.Etjepensequeje reprendrailepremierbuspourSturbridgedemainmatin. MaraétaittoujourssouslechocdesmotsdeRyan.«Tuesdevenuel’uned’entreelles.»Quiça, elles?Meganluiparlait,maisMaraneprêtaitpasattentionàsesparoles. –Euh...OK...trèsbien,répliqua-t-elled’untondistrait. –Mara,tum’entendsouquoi?Jem’envais!insistaMegan. MaisMarasecontentadeplongerlamaindanssonsacetd’ensortirsaclé. –Laclécoinceunpeu,parfois,danslaserrureduhaut.Ilfautdonnerdeuxtours,dit-elle. Meganhochalatête,lagorgenouée. –Ehbien...parfait...Onsevoitàlafindel’été,alors,quandturentrerasàlamaison. –Ouais,répliquaMara. Elleselevaetétreignitmollementsasœur.L’uned’entreelles?Quiça,elles?SugaretPoppy? Etalors?C’étaientsessœurs,aprèstout.Ellelesregarda,puisseregarda.D’accord,ellesportaient toutes les mêmes sandales en cuir métallisé et les mêmes mini-robes asymétriques, mais ça ne signifiaitpasqu’elleétaitcommeelles.Lesapparencessontparfoistrompeuses, songea Mara. Ryan étaitmieuxplacéquepersonnepourlesavoir. –Tasœurestpartie?demandaGarrettensepenchantversMara. –Ouais.Elleétaittrèsfatiguée. –Tantmieux,ditGarrettenluifrottantledos. Marafittomberlacendredesacigarettedansunverreàvinvide,carlecendrierétaittroploin. ElleaperçutElizaetRyan,retranchésdansuncoin,avecdesamisdeRyan.Ilsétaientassissiprèsl’un del’autre,siprochesqueleurscuissessetouchaient,etElizaécartaitdesmèchesduvisagedeRyan. N’importequilesauraitprispouruncouple. Etpourtant,lesapparencessontparfoistrompeuses,serépétaMara. Elleslesontparfois,maisçanesignifiepasqu’elleslesonttoujours. Jevaistecasser tasalegueuledeFrançais! Lorsqu’ellearrivaauDragonbar,ElizatombasurKit,entraindesiroterundoublewhisky. –Eh,monchou,qu’est-cequivapas? KitluidésignaJacqui,quis’étaitinstalléedansuncoin,avecungroupedesublimescréatures. Sitouslesinvitésétaientvêtusdefaçontrèsvoyante,lesvéritablesbeautés–dontJacquifaisait partie–seprélassaient,quantàelles,ensweat-shirtsetentennis.Jacquiétaitassisesurlesgenouxde Philippe. –Allez,jet’enpaieunautre,ditEliza.Unwhisky,c’estça? Kithochalatête,agitantlesglaçonsdanssonverredésormaisvide. Philippevintverseux.AdressaàElizaunpetitsignedetête. –Salut.Ons’estdéjàrencontrés,non?demanda-t-ild’untonaguicheur. –Oui,réponditEliza,avecunsourire. Philippe n’avait pas retiré son maquillage, ce qui lui donnait l’air assez crétin, vu de près. Il appelalaserveuseetcommandauncosmopolitan. –Philippe,voicimonamiKit.Kit,jeteprésentePhilippe.Iltravailleluiaussi,cetété,comme baby-sitterchezlesPerry,expliquaEliza. –Salut,ditKit,enregardantPhilippeavalerunegrandegorgéedesoncocktailpourfille. Alors comme ça, ce mannequin avec de l’eye-liner plein les yeux aimait boire ce genre de trucs... –Tusorsaveccettefille?demandaKitendésignantJacqui. Philippehaussalessourcils. –Qu’est-cequeçapeuttefaire?rétorqua-t-il. –Ehbien,c’estuneamieàmoi!ditKitens’efforçantdemaîtrisersavoixetsacolère. –Ahoui? –Ouais.Etsituluibriseslecœur,jecasseraitasalepetitegueuledeFrançais!menaça-t-il. Ildonnauncoupdansleverreàcocktail,faisantgiclersoncontenusurletee-shirtd’andouille dePhilippe,oùl’onpouvaitlire«LESMANNEQUINSCRAIGNENTUNMAX!». –Merde!s’exclamaPhilippe. Ilsedétourna,sansrépondreàl’insulte.Toutens’éloignant,iltentaitd’essuyerlatacherose. –Net’inquiètepas,bébé,ditJacquiquandilserassit.Jenevaispastarderàteleretirer,ceteeshirt. Elizafait deséquationssentimentales Certes,ill’avaitprésentéeàsonmeilleuramideprépa,MattHooper,dontilluiavaitparléàune oudeuxreprises.Ça,iln’avaitpasmanquédelefaire. –EhMatt,jeteprésenteEliza,avait-ildit. Elizaavaitsouri.Mattavaitrépliqué«Salut»ets’étaitassis.Pointfinal.Ilnel’avaitpasdétaillée depiedencapetneluiavaitpasadressélehochementdetêtesubtilquisignifiait:«Alorscommeça, t’eslapetitecopinedemonpote!»ElizaétaittoutsimplementEliza.Unefillequitraînaitenboîte avecRyan. Ilssortaientdésormaisensembledepuisplusd’unmoiset,mêmesiellenes’attendaitpasàce queRyanlaprésentecommesapetiteamie...d’ailleurs,ellen’étaitpassapetiteamie!Lapremière foisqu’ilss’étaientretrouvésdanslesbrasl’undel’autre,ilétaittoujours,àsesyeux,l’amoureuxde Mara.MaisétantdonnéqueMaraétaitvisiblementlanouvellepetiteamiedeGarrett,celasignifiait-il queRyanétait...sonpetitamiàelle?Elleserécitalalistedetoutcequ’ilfaisaitpourelle.Ilallaitla chercheraprèsleboulotpourqu’ellen’aitpasàrentrerseuleenvoiture.Ill’appelaittouslessoirs.Il n’avaitpasbesoindel’appelerpourlavoirleweek-end,puisqu’ilétaitclairqu’ilsseverraient.Illui avaitmêmeoffertcecollieravantqu’ilsnequittentPalmBeach.Elizadéliraitpeut-être,maistoutcela paraissaitfaired’ellelapetiteamiedeRyan. Maissielleétaitsacopine,pourquoineledisait-ilpas?Pourquoinepaslepréciseràsesamis? Etpourquoiaucund’euxneparaissaitserendrecomptequ’ellen’étaitpasunefilleàquiRyanavait juste donné rendez-vous pour la soirée, ni juste une amie, mais la fille avec qui il rentrait tous les soirs ? Soudain, Eliza cessa de se sentir mal à l’aise, et commença à se sentir de plus en plus... vexée. –Ryan,onpeutparlerdeuxminutes?demandaEliza. –Biensûr,bébé,ditRyanavecunsourire. –Jeveuxdire,justetouslesdeux?précisa-t-elle. Ellel’entraînadansuncoindelaboîte. –Àtonavis,qu’est-cequ’onestentraindefaire,touslesdeux? –Onboitunverre,répondit-ilenhaussantlesépaules,sanscesserdeluisouriretendrement. –Non,jeveuxdire...touslesdeux...tuvoiscequejeveuxdire. –Oh. L’espaced’uneseconde,ilparutdéconcerté.Puisilréalisaqu’Elizalefixaitattentivement. –Ehbien,voilàcommentjevoisleschoses... Ilremualessourcils,cherchantdetouteévidenceàdédramatiserlasituation. –Toietmoi,c’estdel’amitié... AhAh. –...avecdesavantagesenplus.Tusaisbien... Ilhaussalesépaules,esquissaunsourirecharmeur. –Commentça,desavantages?Quellesorted’avantages? Elle comprenait très bien ce qu’il voulait dire par là, mais était suffisamment furieuse pour exigerdesexplicationssupplémentaires. –Tusais...onestamis,maisonaimebien...sefairedescâlins,etcegenredetrucs,répondit-il ensourianttoujours.Viens,jet’offreunautreverre. Quanddiableallait-ilcesserdetraiterlasituationtellementàlalégère? –Alorscommeça,c’esttoutcequejesuis?Unbonplan?Histoiredepasserletemps?lança Eliza. – Eliza, ne prends pas les choses comme ça ! dit Ryan, en la pressant contre lui pour la réconforter.Allez,c’estpascequetucrois.Netemetspasencolère.Tusavaiscequ’onfaisait,non? –Vatefairevoir,Ryan! Elizaretenaitseslarmes.Ellen’étaitpasunefillefacileetpourtant,c’estexactementcequ’elle avaitlesentimentd’être. –Eliza...attends...Eliza!répétaitRyan.Allez... Plusieurs têtes se tournèrent vers eux, assistant à ce qui était de toute évidence une querelle d’amoureux. Si certains des amis de Ryan s’étaient imaginé qu’Eliza et lui n’étaient guère plus que desamis,ilschangèrentsansdouted’avisenlavoyantluienvoyersoncocktailàlafigure. L’amourestaveugle, maisMaraportaitpeut-être deslunettesdesoleil – C’était quoi, ce cirque ? demanda Mara en désignant Ryan qui, lancé à la poursuite d’Eliza, sortaitdelaboîte. Elleavaitassistéàlatotalitédelascèneet,bienqu’ellen’eûtpudistinguerleursparoles,ilétait clairqu’ElizaetRyansedisputaient. Qu’ils se disputaient comme seules deux personnes qui s’étaient retrouvées nues dans les bras l’unedel’autreétaientcapablesdesedisputer. Sugarricana,lenezdanssonverre. –Tun’espasaucourant? ElleléchaleborddesonverreàcocktailetadressaàMaraunsourirecandide.Poppydonnaun coupdecoudeàsasœur. –ElizaetRyansontsortisensembleàPalmBeach.Et,àcequej’aientendudire,ilsontremisça toutl’été.Lestroisquartsdesontemps,illespassechezelle,ditSugar,d’unevoixdénuéedetoute émotion. Eliza... et Ryan ? Ensemble ? Sa meilleure amie ! Et son petit ami ! OK, son ex-petit ami ! Et d’accord,sonex-meilleureamie!Mais...Ryan!EtEliza!ÀPalmBeach!Ensemble!Etquiplusest, pendanttoutl’été!Commentavait-ellepul’ignorer? Comment Eliza avait-elle pu trahir le premier commandement de l’amitié : Tu ne sortiras pas avec le futur petit copain, le petit copain ou l’ex-petit copain de ton amie. Et le second commandement : Tu ne mentiras pas à ta meilleure amie. Mais Eliza avait passé son temps, l’été dernier, à rôder dans les Hamptons en cachant à tous ses anciens amis qu’elle avait déménagé à Buffaloetqu’elletravaillaitcommefilleaupair.Peut-êtreMaras’était-ellefaitdesillusionssurelle? – Ma pauvre petite... on croyait que tu le savais, dit Sugar en posant une main sur l’épaule de Mara. –Çava?demandaPoppy,apparemmentsoucieuse. ElletenditàMarauneservietteenpapier. –Tunepleurespas,toutdemême? Marasecoualatêteetseforçaàsourire. –Çava,jet’assure. Maisc’étaitloind’êtrelecas. Pourquoiletéléphone sonne-t-iltoujours aumauvaismoment? Lacléd’unechambredemotel. C’est ce que Jacqui glissa dans la poche du jean de Philippe sans qu’il s’en aperçoive, au Dragonbar. –Jenousairéservéunechambre,expliqua-t-ellelorsqu’illatrouva.C’estàMontauk,pasloin delaplage. AudiableAnnaetsesultimatums!Lejeuenvalaitlachandelle. Lemotelétaitunbâtimentdélabré,enfrontdemer,datantdesannées1950.Leschambresétaient propresetilyavaitdelamoquette.Cen’étaitpasuncinq-étoiles,maiscen’étaitpasnonpluslemotel de Psychose. Jacqui disparut dans la salle de bains. Ils étaient enfin seuls, et dans un lieu privé où Annanerisquaitpasdelessurprendre.Jacquiseregardadanslemiroir–elleavaitencoredumalà s’habituerauxcheveuxcourts–etenfilaunensembleculottesoutien-gorgeAgentProvocateuracheté pourl’occasion. Philippeétaitcouché,etdéjànusouslescouvertures,lorsqu’ellesortitdelasalledebains.Ileut ungrandsourireenlavoyant. –Ah,l’ensembleAgentProvocateur!s’exclama-t-ilsuruntondeconnaisseur. Jacquines’attendaitpasàunetelleréaction.Pourelle,unvéritablecompliment,c’était:«Tues superbedanscetterobe!»etnon«CetterobeestgrifféeChanel».Maispeut-êtrePhilippefaisait-il unefixationsurlamodeparcequ’ilétaitfrançais? Ellesoulevalescouverturesetseglissaàcôtédeluidanslelit. –Ohlàlà!Tuaslespiedsgelés!s’exclama-t-illorsqu’ellevintsepressercontrelui. – Désolée, dit-elle en frottant ses pieds contre les draps. Le carrelage de la salle de bains est froid. Philippesecalmaetfinitparl’embrasser.Ellefermalesyeux,sentitsesmainssedéplacersur son corps et défaire les nœuds délicats qui retenaient ses sous-vêtements. Mais soudain Philippe s’appuyasuruncoude,etparcourutlachambredesyeux. –Qu’ya-t-il?demandaJacqui. –Montéléphone,répondit-ilenbondissanthorsdulit. Ilseprécipitaverssonsacàdos,d’oùlasonnerieprovenait.Ils’agenouillaetdéfitlafermeture delapochededevant,oùsontéléphoneétaitalluméetvibrait. Jacquiselaissaretombersurlelitavecungrandsoupir,maisPhilippeavaitdéjàrépondu. –Non,non,jen’airienprévu,disait-il. IlraccrochaetregardaJacqui. –Jesuisdésolé...j’aiune...euh...uneurgence!dit-il. Jacquiattendit,bouchebée,pendantquePhilippeserhabillait.Lorsqu’ilallaserincerlafigure danslasalledebains,elleseprécipitasursonsacàdos.Quidoncpouvaitêtreassezimportantpour qu’ill’abandonne–nuequiplusest!–aumilieudelanuit?Elleparcourutfrénétiquementlaliste desappelsreçus.Jusqu’autoutdernier:DomiciledesPerry. Anna. Évidemment. Onnesesentjamaistrèsbien, lematin,avecleshabits delaveille Iln’estjamaistrèsdrôledeseréveillerdansunlitinconnu.Lafaçondontlalumièredusoleil voussurprend–jaunâtre,peuflatteuseetchargéedegrainsdepoussière–donnel’impressionquele mondeveutvouspunirdevosturpitudesdelaveille.MêmesiMaraetGarrettn’avaientrienfaitla nuitdernière–ils’étaitendormitouthabilléàlasecondeoùils’étaitcouché–lajeunefilleeutle réveilamer.RyanetElizasortaientensemble,etcettepenséeluiserraitlecœur. Garrettdormaitencorelorsqu’elleremitsesvêtementsdelaveilleausoir.Çaluiparaissaitun peunaze,voirevulgaire,deporterunerobeàplumesdesibonmatin,etelleavaitdormiavectout sonmaquillage.Ellecherchasessandales,sansparveniràlestrouver. Garrettpoussaungrognement,ouvritunœilettentad’attirerànouveauMaradanslelit. –Tuvasoù? – Faut que je parte, dit Mara avec un sentiment de panique, en se dégageant de l’étreinte de Garrett. Elleramassasonsacàmainsurlamoquetteetsefaufilahorsdelachambre,sanssessouliers. –Jet’appelleplustard,marmonnaGarrett. Mara s’empressa de descendre l’escalier de service et de traverser le jardin qui séparait la propriétédesReynoldsdecelledesPerry. Ellevenaitdefranchirlahaie,devantlapiscine,lorsqu’ellevitRyans’avancer,sonsurfsousle bras.Parfait!Justementlegarsqu’ellevoulaitcroiser! Ryan enregistra la robe chiffonnée de Mara, ses pieds nus, son maquillage qui coulait, et la directiond’oùellevenait.Ilaffichauneexpressiondemépris. –Ons’estcouchétard?demanda-t-ilavecunrictuspleind’amertume. Maraseredressa.Ilnes’étaitrienpassé,maispasquestiondeleluidire.Qu’ils’imaginedonc qu’elleétaitrestéetoutelanuitavecGarrett,etquelui,Ryan,luiétaitonnepeutplusindifférent. – Garrett ne m’a pas laissé fermer l’œil de la nuit ! déclara-t-elle en souriant aussi largement qu’elleenétaitcapable.Jesuisépuisée! Ryangrimaça.Onauraitditqu’elleledégoûtait. –Jesuisaucourant,pourtoietEliza,ajouta-t-elle.Alors,nevapastefigurerquetuvauxmieux quemoi! –Maisdequoituparles?Tuasrompuavecmoiennovembre!hurla-t-il. C’était la première fois que Mara voyait Ryan se mettre réellement en colère, montrer que sa nonchalance et sa décontraction pouvaient être ébranlées. Exactement ce qu’elle aurait voulu voir l’automnedernier,lorsqu’elleluiavaitannoncéqu’ilvalaitmieuxpoureuxsecontenterd’êtreamis. –Sijel’aifait,c’estseulementparcequejenepensaispasquetu...Oh,laissetomber!ditMara, enpivotantsursestalons. Detoutemanière,ilétaittroptard.Désormais,ilsortaitavecEliza.Ellesedirigeaàgrandspas verslecottagedesdomestiques,ens’efforçantdenepaspenseràcequivenaitdesepasser. Lorsqu’ellearrivadanslachambre,iln’yavaitpersonne.Jacquin’étaitpasdanslesparages,et Megan était partie. Sans même lui laisser un petit mot. Mara s’écroula sur le lit. Elle était épuisée, mentalementetphysiquement.Lasonneriedel’interphoneretentit.Elledécrocha. –Allô? –C’estcommeçaquevousrépondezautéléphone?rétorquaAnna,desavoixaudébithaché. –Oh,jesuisdésolée. –Lesenfantsattendentleurpetitdéjeuner.Ai-jeraisondesupposerquevousêtesencoreànotre service? –J’arrivetoutdesuite,Anna!répondit-elleàcontrecœur,ensedemandantoùJacquiavaitbien pudisparaître,etpourquoielleneluiavaitrienditausujetdeRyanetEliza. Ça,desamies? Lesgaminspleurent quandonleurretire leursbonbons KartikavaitdépêchéElizaauprèsdeMitzipourl’aideràtoutremballeraprèsledéfilédemode. EllerevintdoncauCountryClubaprèsquelquesheuresdesommeilàpeine.Lesmanutentionnaires empilaient les chaises, et des sacs-surprises vides volaient à travers la tente comme des buissons errants. Eliza assistait à une réunion en compagnie de Mitzi et de ses assistantes. Toutes bâillaient derrièreleurslunettesnoiresetsirotaientdescafésaulaitécrémé,enressassantlespotinsdelaveille. –Toutd’abord,ilfautfairelivrerunsac-surpriseàtouteslescélébritésquin’enontpaseuhier. L’agentedeChaunceyRavenaappelé.Chaunceyenveutun. Elizahochalatête.Ah,lescapricesdestars...Chaunceydevaitavoirquarantemillionsdedollars enbanque,maisilluifallaitàtoutprixcebaumeàlèvresKiehletcetagendaélectroniqueincrustéde cristauxSwarovski. –Etpuis,ilyadeuxoutroisarticlesdontilfautqu’ons’occupeaujourd’hui...Onaprêtédes robesàplusieursfillespourqu’elleslesportenthier,etilfautqu’onlesrécupère.Envoyez-leurles coursiershabituels.Onauncasspécial,cependant.SugarPerryaunerobeChanel,etilfautqu’onla récupèrepourledéfilédeKarl,demain,àParis.C’esttrèsimportant,carc’estleseulexemplairedont nousdisposonspourl’instant.Eliza,tuconnaisSugar,non?Tupeuxtechargerdecettemission? –Biensûr,réponditEliza,ens’efforçantdenepasleverlesyeuxauciel. Ellesegaradansl’alléedesPerry,soulagéedeconstaterquelavoituredeRyann’étaitpaslà. Hiersoir,Ryanavaittentéàsixreprisesdelajoindresursonportable.Ellen’avaitpasrépondu,et avaiteffacélesmessagessanslesécouter. Après lui avoir balancé son verre à la figure, Eliza avait quitté la boîte en courant et failli heurterCarolynetJeremy.Cedernieravaittentédeluisaisirlebras,maisellenes’étaitpasarrêtée. Bizarre,lafaçondontleschosesavaientévolué!Ellen’avaitsouhaitéqu’unechose:passerl’étéavec Jeremy. Et à présent, il était là, en compagnie d’une autre. Et elle pleurait à cause d’un garçon qui n’étaitmêmepasJeremy.Saufqu’auboutd’unmoment,alorsqu’elleroulaitverschezelleetquesa voiture s’enfonçait dans les bois, c’est pour Jeremy qu’elle se mit à verser des larmes, et non plus pourRyan. Eliza sonna à la porte et demanda au majordome à voir Sugar. Elle se préparait à la bagarre. Sugarn’étaitpaslegenredefilleàlâcherfacilementunmodèleuniquederobehautecouture. En effet, quand Eliza entra dans sa chambre entièrement meublée et décorée de blanc, les premièresparolesdeSugarfurent: –Quit’alaisséentrer? Elleétaitvêtueentoutetpourtoutd’untee-shirtetd’unboxer.Lescaméramansdel’émissionde télé-réalitésuivaientlemoindredesesfaitsetgestes. Elizahaussalesépaules. –Mitziveutrécupérerlarobe. –Quellerobe?demandaSugaraveccandeur,enfaisantdesflexionsdudos. Elleseréveillaittoujourstôt,qu’elleeûtounonlagueuledebois.Cejour-là,elles’étaitlevéeà l’aubepoureffectuersonsalutausoleil. –LaChanel.C’estunmodèleunique,etonenabesoinpourledéfilédeKarl. –Oh,celle-là,ditSugar.Jenesaisplusoùjel’aimise. –Tul’asperdue?demandaEliza,incrédule.Tuestoutdemêmebienrentréeavec,cettenuit? –J’imagine,gloussaSugar.Jemesouviensplusderien. –Écoute,Sugar,c’estpasmonproblème.Jefaismonjob,pointfinal.Tuveuxbienmedonnerla robe?Ellen’estpasàtoi,tusais. –Trèsbien. Elleouvritlaportedesapenderieetfouilladansuntasdevêtementsàmêmelesol.Etbalançaà Elizauneespècedeloquedéchiquetée. –OhmonDieu!s’exclamaEliza.Elleestfichue! –Charlieamarchésurlatraîne,etjecroisquePoppyl’abrûléeaveclescendresdesacigarette. Jesuisdésolée!conclut-elleavecunsourirehypocrite. Elizatintlarobedesoierosepâledevantlescaméras.Ellen’arrivaitpasàcroirequ’onpuisse êtreaussinégligent,mêmeenétantaussigâtéequeSugarPerry. – Tu sais que Daria Werbowy est censée défiler avec, demain ! Mitzi t’avait demandé d’en prendresoin!s’écriaEliza. – J’en ai pris soin. J’y suis pour rien, c’est clair ? rétorqua Sugar d’un ton exaspéré. Et puis, pourquoiilenfabriquepasuneautre,derobe?C’estsonboulot,non? Eliza fourra la robe dans un sac et sortit en bousculant les caméramans. Elle savait que Mitzi serait furieuse et que ce serait elle, et non Sugar, qui aurait à affronter sa colère. La célébrité protégeaitdetout.Elizaavaitaumoinsappriscelacetété. Lesmeilleureschoses necoûtentrien(maisespérons qu’ellessontassurées!) LorsqueMararevintdesajournéedebaby-sitting,elleenvoulaitencoreterriblementàJacqui denerienluiavoirdit,pourRyanetEliza.Cetété,elleavaitàpeinevucelle-ci.Enrevanche,Jacqui etelleavaientpassépresquetouteslesnuitsdanslamêmechambre. –LajoaillerieIvanaappelépourvous,luiditLaurie,tandisqueMaras’efforçaitdefaireentrer lesenfantsdanslasalledejeux. –Oh? – Ils ont envoyé un coursier cet après-midi pour récupérer des... boucles d’oreilles ? Mais commevousn’aviezpaslaissédepaquetouquoiquecesoit,ilssontrepartis. Lesbouclesd’oreilles.Lesbouclesd’oreillesd’unevaleurdedeuxcentcinquantemilledollars. Ahoui...Mitziluiavaitditqu’elleenverraitquelqu’unlesrécupérerlelendemaindelasoirée.Mara avaitcomplètementoublié. Elleseprécipitaaucottagedesdomestiques.Levoyantdurépondeurétaitallumé.Elleécoutale message: «Mara,salut!C’estMitzi.Tuétaissuperbehiersoir,machérie!Parailleurs,mabelle,fautque jerendesesbouclesd’oreillesàIvan.Remets-lesdansl’écrinetlaisse-lesàtonassistante,defaçonà cequelecoursierpuisselesrécupérer.Merci!Àplustard!» Puislesuivant: «SalutMara,c’estànouveauMitzi.Écoute,monchou,lecoursieraditqu’iln’yavaitpasde paquetpourlui.Tuasdûoublier.Appelle-moipourmeteniraucourant,Ivanenavraimentbesoin, JenniferLopezdoitlesporteràlacérémoniedesMTVMusicAwards.Merci,monchou.Salut.» Mara mit toute sa commode sens dessus dessous. Elle aurait juré qu’elle les avait retirées en rentrantaucottagelematinmême,etqu’ellelesavaitrangéesdanslepetitécrindevelours,àcôtéde lamontredeJacqui.Maislorsqu’elleouvritl’écrin,lesbouclesnes’ytrouvaientpas.Ellesn’étaient pas non plus dans son autre coffret à bijoux, ni sur le lavabo, où il lui arrivait parfois de laisser traînersoncollierdeperles.Sepouvait-ilqu’elleleseûtoubliéeschezGarrett? ElleappelaGarrettetluiexpliqualasituation. – Non, t’as rien laissé ici. Il manque qu’une chose dans cette chambre, et c’est toi, poupée ! réponditGarrettavecnonchalance. Elleraccrocha,saisiedepanique. Sepouvait-ilqueMeganlesaitprises?Impossible:MeganétaitpartieavantleretourdeMara. Etpuis...sasœur?Elleétaittellementhonnêtequ’illuiétaitarrivéd’appelerungrandmagasinpour signalerquesoncompten’avaitpasétédébitésuiteàunecommande.Était-ilpossible,alors,qu’elle les eût perdues pendant le défilé ? Mais les boucles d’oreilles ne tombent quand même pas toutes seules! Elleétaitcertainedelesavoirretiréescematinenarrivant,justeaprèsavoircroiséRyan.Mais alors,commentsefaisait-ilqu’ellesnesoientpluslà? Letéléphonesonna.Maradécrocha. –Allô? – Mara ! Ma chérie ! Je parviens enfin à t’avoir au bout du fil ! Écoute, tu peux laisser ces bouclesdansunpaquet,qu’onpuissevenirlesrécupérerdemain.Merci,majolie! –Biensûr,ditMarad’unevoixfaible,leventrenoué. Elle avait signé, avec une totale insouciance, des documents où elle reconnaissait assumer la responsabilitélégaleencasdepréjudicefinancierdûauvolouàlapertedesbouclesd’oreilles.Mais cela devait arriver fréquemment, non ? Elle se souvenait avoir lu que Paris Hilton avait égaré un braceletendiamantsdansuneboîtedenuit. Maisvoilà...Parisétaitcélèbre.AlorsqueMara,ainsiqu’ellevenaitdeleréaliserlorsdudéfilé... nel’étaitpas! Avecdesamiespareilles, quiabesoindessœursPerry? JacquirevintdeMontaukbienplustarddansl’après-midi,Philippeayantprislavoiturelaveille ausoirsanssedemandercommentJacquiallaitrentrer.Elleavaitdûprendrelebus,quifaisaittoutun tas de détours et s’arrêtait toutes les cinq secondes. Au cours de cet interminable trajet, Jacqui eut largementletempsdemesurerl’étenduedesabêtise:toutrisquerpourpasserdutempsavecPhilippe quand, depuis le début, il n’avait cessé d’être le joujou d’Anna ! Elle s’en voulait terriblement de s’être écartée de ses bonnes résolutions et d’avoir cru Philippe lorsqu’il lui avait affirmé qu’il n’y avaitrienentreAnnaetlui.Maisaumoins,ilsn’avaientpasétésurpris,pasvraiment,entoutcas.Et puis,mêmesiAnnaavaitPhilippe,lesprojetsdeJacquiétaientenbonnevoie,àcommencerparle boulotàNewYork. À son arrivée au cottage, elle trouva la chambre sens dessus dessous, et Mara au milieu du chaos,lescheveuxenbatailleetl’airaffolé.Lesdraps,lesoreillersetlescouverturess’entassaient aux quatre coins de la pièce. Toutes les affaires de Jacqui – chaussures, foulards, maillots de bain, sous-vêtements,mouchoirsetmagazines–jetéessurlelit. –Merde!Qu’est-cequisepasseici?Mara,tuveuxbienm’expliquer? –Toi!lançaMaraeninterrompantsoudainsafouille. Elleoubliamomentanémentlesbouclesd’oreilles.Elleavaitquelquechosedeplusimportantà régleravecJacqui. –Tuastoujoursétéaucourant,pasvrai? –Moi?Aucourantdequoi?Dequoituparles?demandaJacqui,complètementperdue. – Ryan et Eliza. Tu étais à Palm Beach. Tu savais qu’ils étaient sortis ensemble. Et tu ne m’as jamaisriendit? –Attendsuneminute!répliquaJacquienavançantdanslapièceavecprudence,commesiMara étaitunanimaldangereux. –Tuétaisaucourant,pasvrai?répétaMara,lesyeuxbrillantsdecolère. – Pour Ryan et Eliza. Oui. Mara, je suis désolée. Je voulais te le dire mais... je pensais que c’étaientpasmesoignons. Mararéagitauquartdetour. –Jetel’auraisdit,siç’avaitététonpetitami! –Mara,cen’étaitpastonpetitami.Tuavaisrompu,tutesouviens? Maran’avaitrienàrépondreàcela.Ellepoussaungrognementetrepritsesrecherches. –Maisilsepassequoi,ici?demandaJacquienfaisantunpasdeplus,levantlesmainspourse protéger comme si Mara risquait de se jeter sur elle à tout moment. Pourquoi est-ce que tu as tout chamboulé? –Jecherche...mesbouclesd’oreilles!gémitMarad’unevoixdéchirante. –OK...,ditJacquiengardantlesmainslevées.Quellesbouclesd’oreilles? –Cellesquem’aprêtéesIvan,delajoaillerieIvan.Cellesquej’avaishiersoir.NicoleKidman les a portées aux Oscars. Elles valent deux cent cinquante mille dollars. Et il les leur faut pour demain! –Cellesquetuportaishiersoir?demandalentementJacqui. –Oui,répliquaMara,d’untonimpatient. Jacquiétait-ellesourde,ouquoi? –Ellescoûtentsicherqueça? –Oui. –Merde,ditJacqui. Ellecommençaàfarfouillerparmilesaffairesquijonchaientlelit,afind’aiderMara. – Elles ne sont pas perdues. Je les avais ce matin. Je les ai retirées... et je les ai mises... là, expliquaMaraendésignantlacommode.Tunelesaspasvues? –Non...enfin...,bredouillaJacquienfourrageantdansunepiledesous-vêtements. CommentMarapouvait-elleêtresinégligente? –Jenesaispas...,continua-t-elle.Jen’aipasregardé...jevienstoutjusted’arriver. –Bizarre.Toiquiastoujoursl’airdesavoiroùsetrouvetout!rétorquaMaraenregardantavec insistancelefoulardPucciqueJacquiavaitnouédanssescheveux. –Çasignifiequoi? –Toutçaestvraimenttrèsbizarre,non?Ellesétaientlàquandjesuispartie...etellesnesont pluslààmonretour.Etçan’apasl’airdetedérangerdeteservirdansmesaffaires,alors... – Tu insinues que je les ai volées ? demanda Jacqui, pas certaine d’avoir bien compris les parolesdeMara. –Jedissimplementqu’ellesnesontpluslà.Etàpartmoi,iln’yaquetoiquipossèdeslaclédu cottage. Jacqui ne s’était jamais sentie aussi insultée de sa vie. Elle fixa Mara, et celle-ci lui apparut commeuneétrangère. – C’est peut-être toi qui les as volées, dit froidement Jacqui, cherchant sciemment à blesser Mara. –Pourquoijeferaisça?demandaMarad’unevoixeffrayée. Jacqui haussa les épaules. Elle abandonna le tas de vêtements dans lequel elle était en train de fourrager.Plusquestiond’aiderMara,àprésent. C’est alors que la porte s’ouvrit. Eliza entra, sans réaliser qu’elle entrait dans un champ de mines. –Oh,regardez-moiça!Uneautresalegarce!ditMara. ElleavaiteutoutletempsdemaudireElizaetRyan,pendantqu’ellecherchaitfrénétiquementles boucles. –Tulesasprisesexprèspourmenuire,c’estça? –Dequoituparles?demandaEliza,perplexe. Jacquiluiexpliqual’histoiredesbouclesd’oreilles. –Écoute,Eliza.Jesaisquetum’asjalouséependanttoutl’été.Jesaisquetuveuxcequiestà moi,maisj’auraisjamaiscruquetu...Jepensaispasquetuferaisquelquechosed’aussibas. –Qu’est-cequeturacontes?demandaEliza,sepenchantenavantcommesicelapouvaitl’aider àcomprendrepourquoiMarasemontraitaussimauvaise. –JesaistoutausujetdePalmBeach,lançaMara. Elizaeutl’airsurpris. –Maisjecroyaisquetusavaisdéjà.Etqueçat’étaitégal. –Quit’aracontéça?sifflaMara. –Sugar. –Çanechangerien,quejel’aiesuoupas.Jen’arrivepasàcroirequetuaiespumefaireune chosepareille! –Vousaviezrompu,Ryanettoi.Etj’avaisl’intentiondetoutteraconter...maisSugaretPoppy m’ontditquetuétaisdéjàaucourantetquetut’enfichais...et... Eliza s’interrompit en réalisant à quel point elle s’était trompée. Sugar avait menti, bien évidemment.C’étaitlaspécialitédeSugar:mentir. –Alors,tutrouvesçanormaldesortiravecmonpetitamidansmondos? –Tonex-petitami.Tuasunnouveaupetitamidésormais,Mara.Tuasoublié,peut-être?Etnous n’avonsrienfaitdansledosdepersonne.Nousnetenionspasàblesserquiquecesoit,c’esttout. Nous. Nous. Nous. De toutes les paroles d’Eliza, c’est cela qui faisait le plus mal à Mara. Ce «nous»désignantElizaetRyan.Ilsformaientdoncbienuncouple. –MaistuconnaissaismessentimentspourRyan,ditMara. Elle aurait pu supporter l’idée qu’ils aient passé une nuit ensemble, à Palm Beach. Mais l’été entier...ensemble?Danssondos?CommentElizaavait-ellepuluifaireça? –Tusavaisquejel’aimaisencore,ditMara. –Etcommentjel’auraissu?Onnes’estquasimentpasvuescetété. –Ouais,tuaspassétontempsàm’ignorer,répliquaMara. C’étaitvrai.ElizaavaitévitéMara.Audébutparcequ’elleavaitmauvaiseconscience.Etpuis,au fildesjours,épuiséeparsonboulotetdélaisséeparJeremy,elleavaittrouvéleréconfortdansles brasdeRyan.Elles’étaitserviedeluicommed’unpansementpouroublierJeremy.Or,lablessurene s’était jamais refermée : Eliza aimait toujours Jeremy. Or elle avait passé tout l’été avec Ryan, et perdusameilleureamie... Mara, Eliza et Jacqui se foudroyaient du regard, s’en voulant à mort pour d’innombrables raisons. C’estcequ’onappelle unbeausalaud! Maraavaitfouillélecottagedefondencomble,etpasséaupeignefinlessentiersetlesbuissons autourdelapiscine,ainsiqueleparcduCountryCluboùelleavaitemmenélesgaminscejour-là– bienqu’ilparûttrèspeuprobablequelesbouclesfussenttombéestouteslesdeux.Aufildesjours,il devenaitdeplusenplusclairquequelqu’unavaitdûlesvoler. MitziGoobers’étaitremiseàharcelerMaradecoupsdetéléphone–sonportable,letéléphone ducottageetceluidelademeureprincipalesonnaientenpermanence.Chaquefois,Mitzi,oul’unede sesassistantes,demandaitàMaraderappelerpourleurdirequandIvanallaitpouvoirrécupérerses boucles d’oreilles. Mitzi était même venue en personne, puisque la cérémonie des MTV Music Awardsétaitprévuepourlesurlendemain.Parchance,Maraavaitemmenélesgaminsàlaplage.Pour finir,Ivanlui-mêmeavaitappeléet,enhurlant,avaitmenacédeporterplainte. Onétaitjeudisoir,etGarrettétaitsupposépasserlachercheràseptheures.Ilsdevaientserendre audînerquesesparentsdonnaientaurestaurantAlisonbyTheBeachpourfêterl’achatduscénario deCasablancadansl’espaceparunecompagniedeproduction.Maisseptheuressonnèrentsansque lalimousineapparaissedansl’allée.Septheuresetquart.Septheuresetdemie.Huitheures.Ledîner étaitcensécommencermaintenant. Mara consulta sa montre. Elle composa à nouveau le numéro de Garrett, qui ne répondit pas. Ellesesentaitunpeuridiculeàtournerenrondenattendantsonarrivée,danssarobekimonoRoland Mouret et ses escarpins à bout ouvert Prada. Elle décida donc de se rendre seule au dîner, avec la BMW.Sansdouteétait-ilprévuqu’ilsseretrouventlà-bas? Le restaurant était clair et aéré, avec son comptoir en cuivre, et ses draperies blanches suspendues au plafond. Les Reynolds avaient loué le restaurant pour la soirée. Mara remarqua que plusieurspersonneslaregardaientbizarrementtandisqu’elleparcouraitlasalledesyeux,cherchantà apercevoirGarrett. –Eh,tusaisoùestGarrett?demanda-t-elleàunefillequisortaitavecl’undesesamis. –Ilestlà-bas,réponditlafille.Mais...euh... Maral’ignoraetsedirigeaverslatableprincipale,aucentredelapièce,oùGarrettétaitassis,sa chaiserenverséeenarrière,riantàgorgedéployée.Elleallaversluietpassalamainsursonbras. –Euh...salut.Désoléed’êtreenretard,chuchota-t-elle. Ellejetauncoupd’œilautourdelatable.Iln’yavaitpasdechaiselibre. Garretttournalatête,visiblementétonnédelavoir. –Mara,qu’est-cequetufaisici? – Je t’ai attendu. Je croyais que tu devais venir me chercher, répondit Mara, en se demandant pourquoiillaregardaitcommeça. Illuiavaitparlédudînerlasemainedernière,etluiavaitfaitpromettrequ’elleyassisterait. –Permettez-moidem’absenteruninstant,dit-ilàlatablée,enentraînantMaraàl’écart. Celle-ciremarquaunegrandefilleauphysiqueexotique,quilesfusillaitduregard. –Attends...Tuesvenueavecuneautrefille?compritMara. – Tu n’as pas eu mon message ? chuchota Garrett d’un ton pressant, en l’éloignant davantage encoredel’assistance. –Quelmessage?demandaMaraenfaisantunpasdecôté,pourqu’unserveurpuisseapporter unplateauchargédecoupesdechampagneàunetablevoisine. Ilpoussaunsoupir,etsepassalamaindanslescheveux. – Je... euh... je suis vraiment désolé, Mara. Tu es une chouette fille et tout ça... mais tu comprends...ilfautpasm’envouloir. – Pardon ? demanda-t-elle, en remarquant que tous les convives s’enfonçaient dans leurs fauteuilsetquecertainslançaientàGarrettdesregardssoucieux. –Écoute,dit-il,sapatiencevisiblementàbout.Jenepeuxpasmepermettred’êtrevu,pourle moment,avecquelqu’uncommetoi.Monpèreestconstammentattaquéparlesjournauxausujetde notremaison,ets’ildécouvrequelafilleavecquijesors... Illaissasaphraseensuspens. –Quoi?demandaMara. –Oh,Mara.Toutlemondesaitquetuasvolélesbouclesd’oreilles,répondit-ilavecunsourire. Jetrouveçagéant!FaireçaàMitzi,enplus!Sasociétén’estpasassurée,pasvrai?Sacarrièreestà l’eau!gloussa-t-il. – Mais je n’ai pas volé les boucles d’oreilles. Ce n’est pas moi, protesta Mara. J’arrive pas à croirequetupuissespenserçademoi! –Écoute,bébé.Cequejepensen’aaucuneimportance.Jetel’aidit.Çam’estégal,quetules aiesprisesounon.Jetienssimplementàgarderunebonneimage,surtoutencemoment.Monpèreva êtrefurieuxsimonnomresteencoreliéautiencetété.C’étaitdéjàassezgênant,toutescesrumeurs ausujetdeton...tusais...detonmilieu.Maisça,c’estbienpire! Marasecoualatête.EllenecomprenaitrienauxparolesdeGarrett.C’étaitquoi,ceshistoiresde milieu,dejournauxetdebonneimage?D’ailleurs,commentsavait-il,pourlesbouclesd’oreilles? Enfin,Mararéalisa:elleétaitdanslesHamptons.Toutlemondeétaitaucourantdetout. –Alorscommeça,tumelargues? –Mara,tuesunegentillefille.Etonapassédebonsmoments,pasvrai?ditGarrettavecunclin d’œil.Çavalaitlapeine,rienqueparrapportàPerry. –ParrapportàPerry? Maras’apprêtaàluidemandercequ’ilvoulaitdireparlà,maisGarrettétaitdéjàretournéàsa table.Illevaitsonverrepourporteruntoast. Àlui-même,bienévidemment. LeSeptièmeCercledel’enfer, eneffet –Tuvoiscettetable,là-bas? ElizaacquiesçaenfixantlepointquedésignaitKartik.Cen’étaitpasunesimpletable.C’étaitla table, celle sur laquelle Mara avait dansé le soir du cliché olé olé, et celle que Chauncey Raven réservaithabituellement. –Faisensortedelestraiterauxpetitsoignons,ditKartik. Elizahochalatêteetsedirigeaverslatable,afindeleursouhaiterlabienvenue,àsamanière habituelle:aprèsleuravoirfaitunpetittoposurlesservicesproposésparlaboîte,elleleurremettait uncadeaudelamaison–unebouteilleduchampagnelepluscoûteux.Cenuméronemanquaitjamais d’impressionnerlescélébrités.LeshommesbavaientsurEliza,ensedemandantsielleétaitcomprise dansles«servicesproposés»,etlesfemmestentaientdecopineravecelle,carpresquetoutesavaient étéserveusesouhôtessesavantdeconnaîtrelesuccès. –Salut,jem’appelleEliza.JevoussouhaitelabienvenueauSeptièmeCercle,commença-t-elle, avantderéalisercequiavaitconduitKartikàdistinguerlatable.SheridanDunlop? –OhmonDieu,Eliza! SheridanDunlopétaitunanau-dessusd’elleàlaSpenceSchoolmaiselleavaitlaissétomberses étudesaprèssaterminalepours’installeràLosAngeles.Depuislors,elledécrochaittouslesrôlesde blondes BCBG, d’autant que Gwyneth Paltrow avait lâché le créneau pour devenir mère au foyer. Sheridan venait de recevoir une nomination aux Oscars pour son interprétation d’une prostituée sourde-muette.Elleétaitassiseavecquelques-unsdesesvieuxamisdeNewYorketdesHamptons. CarolynFlynnétaitlà,ainsiqueTayloretLindsayet...Jeremy? –SalutEliza,dit-ild’untondécontracté,enluiprenantdélicatementlabouteilledechampagne desmains. IlétaitassisentreTayloretLindsay,etcettedernièreavaitlamainsurlegenoudugarçon. Elizan’enrevenaitpas!Pendanttoutcetemps,elleavaitcruqueJeremysortaitavecCarolyn, quandlaréalitéétaitbienpire.Lindsay...cettesalepetiteprétentieusequisedonnaitdesairs,avecson nezmalrefaitetsonriredehyène.ÀsafaçonderegarderEliza,onauraitditqu’ellevenaitdegagner unprix. –SalutJeremy.Heureusedet’avoirrevue,Sheridan!lançaElizaens’éloignant. Elle retenait ses larmes et fumait d’une main tremblante, lorsque Jeremy la rejoignit dans le patiosituéàl’arrièredubâtiment. –Lize,dit-il,luiposantlamainsurl’épaule. – Elles t’utilisent, tu comprends ? bafouilla-t-elle. Ces filles-là sont... sont... ce ne sont pas de vraiesamies.Ellesveulentseservirdetoi,c’esttout.Lindsayestloind’êtreunepersonnehonnête,tu sais. Jeremyécarquillalesyeuxetpinçaleslèvres. –Tusais,jecroisquetun’espastrèsbienplacéepourparlerd’honnêteté.Jesuisaucourant, pourRyanPerryettoi. Oh! Ilyadesgens qu’onbalanceraitbien aufondd’unétang! Le lendemain matin, Mara était censée aller se faire masser avec Sugar et Poppy au centre de naturopathie. Elle en avait bien besoin, avec tout le stress accumulé après la perte des boucles d’oreilles. – Vous avez vu les jumelles ? demanda-t-elle à Laurie, qu’elle croisa devant la chambre des filles. –Jecroisqu’ellessontparties. –Ahbon?Commentça? Celafaisaitdessemainesquelesjumellesn’avaientplusdevoiture. –Ilmesemblequ’ellesontprislaBMWdePoppy,expliquaLaurie. C’étaitsaBMWàelle,maisMaranesesentitpaslecouragedediscuter,d’autantqueLauriese montraittrèsfroidedepuisqueMitziGooberl’avaitprisepoursonassistante,autoutdébutdel’été. Contrariée, Mara entra dans la cuisine et se mit à feuilleter les journaux. « L’ÉTANG DE GEORGICAASSÉCHÉENUNENUIT!»pouvait-onlireengrostitresurleEastHamptonStardaté dujour.L’étangdeGeorgicaétaitunétangcôtiersituésurunepartieprotégéedulittoral,àmoinsde deux kilomètres de l’océan. Ryan et elle avaient coutume de s’y promener l’été précédent, et les gamins adoraient qu’on les y emmène. Il abritait également une colonie d’oiseaux en voie de disparition,lespluvierssiffleurs.Or,quelqu’unavaitcreuséunerigoledanslalevéedequinzemètres dehautquilebordaitafindedrainerl’étangpendantlanuit.Ilyavaitdesphotosprises«avant»et «après»,etMaranereconnaissaitmêmepaslemarécageboueuxsurlesecondcliché. Ezra Reynolds était désigné comme le principal suspect car il s’était plaint publiquement de l’étang,dontledébordementgênait,selonlui,l’avancéedestravauxdesapropriété.Deplus,onlui avait refusé l’autorisation de le vider. L’article rappelait que les habitants de Georgica « avaient coutume de se considérer comme étant au-dessus des lois » et que le voisinage comprenait des personnalités telles que Calvin Klein, Martha Stewart, Steven Spielberg et Ron Perelman, lesquels avaienttousfaitdiffuserdescommuniquésoùilsaffirmaientn’yêtrepourrien.SeulslesReynolds avaientgardélesilence. Maraétaitprofondémentdégoûtée.Quelgenredepersonne–defamille–pouvaitfairepreuve d’un tel égoïsme ? Pauvres pluviers siffleurs ! Elle ramassa le New York Post et l’ouvrit immédiatement à la page 6 pour lire la version people du « Mystère de l’étang asséché ». Mais un autre article attira son attention. « OÙ SONT PASSÉS LES DIAMANTS ? » Mara s’assit, la gorge nouée. Quelle fille de milieu modeste – ayant troqué cet été son prestigieux petit ami contre un autre encoreplusfortuné–nes’estpasdonnélemalderendrelesbouclesd’oreillesd’unevaleurdedeux centcinquantemilledollarsqu’onluiavaitprêtées? C’étaitl’articleclassiquedelapage6,oùl’onnecitaitpasdenoms.Or,ilindiquaitunnombre incroyabledeprécisions: «Elleprétendlesavoirégaréesmais,sivousvoulezmonavis,ellelesavolées»,aconfiéune sourceanonyme.«Jecroyaisquec’étaituneamiedessœursPerry,maisellevientd’uneespècede troupaumé.»SugarPerry,questionnéeàcesujet,s’estcontentéederépondre:«Voussavez,ilya tellement de gens qui prétendent être mes amis, alors que je ne les ai jamais vus de ma vie ! » «Exactement!»aconfirmésasœurPoppy,quivientdesefaireteindrelescheveuxenbrun. L’articledonnaittouslesdétailsexceptélenomdeMara,dontondevinaitaisémentl’identité. –Jenelesaipasvolées!s’exclamaMara,livide,danslacuisinedéserte. Elle comprenait que les sœurs Perry ne l’aient pas attendue ce matin : elles l’avaient déjà envoyéeàlacasse.LeDailyNewspubliaitluiaussiunarticlesurlescandaledesbouclesd’oreilleset unautrerédacteurlaprésentaitcommeunefilleaupairavideetmalhonnête. Les réactions de Garrett et des jumelles, elle le savait, ne seraient que les premières d’une longuesérie.Maranes’étaitjamaissentieaussidépriméeetrejetée. Il pleuvait des cordes lorsque Jacqui revint de son cours, ce soir-là. S’approchant du cottage, elle aperçut une silhouette qui tenait un parapluie et passait la pelouse au peigne fin à l’aide d’une lampetorche.PauvreMara!BienqueJacquiluienvoulûttoujours,celaluifaisaitdelapeinedela voirs’acharnerainsisouslapluiebattante.Maisalors,unéclairdéchiralecieletJacquiréalisaquela silhouetteétaittropgrandepourêtrecelledeMara. C’étaitRyan. –Salut,s’écriaJacqui.Qu’est-cequetufais? –Oh,salutJacqui,réponditRyanendirigeantversellelefaisceaulumineux.J’aiperdu...euh... undemesverresdecontact,etjelecherchais. –Jenesavaispasquetuportaisdesverresdecontact,répliquaJacqui. Ryanhaussalesépaules,etJacquieutunsouriretriste. SiseulementMarasavaitàquelpointRyanl’aimait! Lespluvierssiffleurs n’ontjamaisété aussienvogue! AlanWhitmanetKartiknepurentrésisteraudésirdesefairedelapubet,leweek-endsuivantle scandaledel’étangdeGeorgica,ilsorganisèrentauSeptièmeCercleunesoiréecaritativeauprofit despluvierssiffleurs–lesquelsétaientdésormaisSDF. ElizatrouvaJacquiaumilieudelafouleetlaserradanssesbras.C’étaitlapremièrefoisque Jacqui mettait les pieds au Septième Cercle, et la façon dont Eliza gérait la foule et la salle l’impressionna. Ni l’une ni l’autre ne fit allusion à Mara, qui s’était montrée si blessante. Mais chacunesavaitquel’autreypensaitaussi. Eliza vit Ryan entrer et s’avança vers lui. Ils ne s’étaient pas vus depuis une semaine. Entretemps,Elizaavaitcessédeluienvouloirpourcettehistoired’«amitiéavecavantages»etsouhaitait qu’ilsredeviennentamis. –Salut,dit-elleenluidonnantunpetitcoupsurl’épaule. Ryans’efforçadesourire. –Saluttoi-même. Ellel’embrassasurlajoue,frôlantsanslevouloirlecoindesabouche. –Jesuisdésoléepourl’autresoir. –Moiaussijesuisdésolé,répliquaRyan.Jen’avaispasréalisé...enfin...cequejevoulaistedire c’est...jet’aimevraimentbeaucoup,Eliza.Etjesaispascequim’aprisdetedireça.Enfin...tusais quepourmoi,tuesplusqu’uneamie.Onpeutformerunvraicouple,sic’estcequetusouhaites. –Jesais,ditEliza. Ryan tendit les mains, et Eliza se jeta dans ses bras. Elle pressa la tête sur son épaule et il lui serra la taille plus fort. Cela aurait dû suffire, et pourtant... À cet instant précis, elle vit Jeremy et LindsaypénétrerdanslasalleVIP. Jeremyavaitplaquésescheveuxenarrièreetportaitunevestedesportencachemiremarronet unjeanfoncé.Lindsayl’enlaçaitd’unemainfermeetleregardaitavecadoration.Ilsepenchapour luichuchoterquelquechoseàl’oreille.Lindsays’esclaffacommesiellen’avaitjamaisrienentendu deplusdrôle.Elizaeutunserrementaucœur. Ryanallaleurchercheràboire,etElizasetournaverslavitrevoisine.Dehors,demêmequela veille, il pleuvait des cordes, ce qui n’empêchait pas la foule de s’amasser à l’entrée de la boîte, commetouslessoirs.C’estalorsqu’elleaperçutMara.Elles’abritaitsousunparapluieetl’undes larbinsdeMitziluirefusaitl’entrée. ElizavitMitziGooberfairecellequin’avaitrienvu.Maraétaitl’unedesrarespersonnesàse soucierréellementdespluvierssiffleurs,etElizaréalisaitqu’illuiavaitfallubienducouragepour oseraffronterunefoulepareille.JenniferLopezavaitarborédesbouclesd’oreillesHarryWinston auxMTVMusicAwards,etMaraavaitétémisesurlistenoire. LesassistantesdeMitziprièrentMarades’écarterdelafiled’attenteetElizasesentit,malgré elle,solidairedesonancienneamie.Celle-cisedétournalentementnonsansavoir,auparavant,jeté uncoupd’œilendirectiondelafenêtre,àl’instantmêmeoùRyanembrassaitElizasurlefrontetlui tendaitsonverre. Cen’estpascequetucrois,songeaEliza.ElleauraitvoulusortirdelaboîteetrappelerMara, maiscelle-cis’éloignaitdéjà. Quelquechosevacraquer! Lelendemainmatin,JacquietMarafurentréveilléesparuncraquementretentissant. –Merde!s’exclamaJacqui. Ellerejetasescouverturesetregardaparlafenêtre. –Qu’est-cequisepasse?demandaMara. Ça faisait plusieurs jours qu’il pleuvait, mais là, c’était autre chose ! Le vent mugissait et se déchaînait contre les carreaux. Les deux filles s’étaient habillées en silence, puisque Jacqui refusait toujours d’adresser la parole à Mara. Elles coururent à la maison principale, où Laurie avait déjà allumélatélévisionsurlachaîneinfo.L’ouraganTiffanyapprochaitdepuislaCarolineduNord.Au lieud’avancersurlaterrefermecommeprévuetdeperdredelavitesse,ilsedéplaçaitsurl’océanet gagnaitenintensité. – Il va nous atteindre ce soir, dit Laurie d’un ton sinistre. Il va falloir préparer la maison. Où sontlesenfants? Philippe aida Laurie à trouver les volets extérieurs et entreprit de les clouer sur le bord des fenêtres. Uneinspectionrapidedugarde-mangerrévéladescarenceseneaupotableetautresproduitsde base. Laurie appela donc Ryan sur son portable pour lui dire de se rendre au supermarché Home Depotleplusproche,etdefairelepleindebouteillesd’eau,delampesdepoche,depiles,debougies, deserviettesdebain,deboîtesdeconserveetdefruitssecs. ZoéseprécipitaversMara. –J’aipeur!dit-elle. –Toutvabiensepasser,machérie,réponditMaraenlaserrantcontreelle.Jedoism’enaller, maisjerevienstoutdesuite. CarLongIslandavaitbeauseprépareraupassaged’unterribleouragan,leballetdesagentset despublicistesnecessaitpaspourautant.MaintenantqueMaraétaittombéedesonpiédestal–et,àen croire la rumeur publique, avait été larguée par Garrett Reynolds –, tous les couturiers voulaient récupérer leurs vêtements. Sans délai. Ce qui signifie que Mara consacra la moitié de la journée à chercherdeslampesdepocheetdesserviettesdetoilette,etl’autreàcouriraucottageetàrendretous les paquets aux différents coursiers. Ce fut particulièrement humiliant, surtout lorsque l’une des assistantesdeMitzivints’assurerquerienn’avaitétéoublié. –CechemisierChloén’apaséténettoyé,ditl’assistanted’untonrevêcheenlebarrantsurl’une de ses listes. OK... il ne nous manque donc que le jean Sally Hershberger, les sandales strassées ManoloBlahnik,etlefoulardPucci,soupira-t-elle. – Je... euh... je ne les ai pas, bredouilla Mara, consciente du mauvais effet que ça devait faire, aprèsl’histoiredesbouclesd’oreilles. Mêmelelivreurenuniformemarronparaissaitdésolépourelle. –Trèsbien...jediraiàMitziquevouslesavezvolésaussi,ditl’assistantesuruntonsarcastique, avantd’ouvrirsonparapluieetderessortir. Jacqui ne put que remarquer le manège, à l’extérieur du cottage. Elle avait les bras pleins de matériel pour renforcer la porte d’entrée et adressa à Mara un signe de tête, alors que celle-ci conduisaitl’assistanteaugaragepourrendrelaBMW. Poppy et Sugar rentraient justement à ce moment-là, au volant de la voiture. Quand elles comprirentqueMitzivoulaitlarécupérer,toutesdeuxgrimacèrentdedépit. –Commentça,elleveutlarécupérer?gémitSugar,avantderendrelesclés.Maisc’estnousqui l’utilisonsàprésent! –Tuesvraimenttropbête,Mimi,luilançaPoppytandisque,plantéesdevantlaporteouvertedu garage,ellesregardaientlaBMWs’éloignerdansl’allée. Vousn’avezpasidéeàquelpoint!songeaitMara. Elizasaitfairelapart deschoses À midi, le ciel était complètement noir, et les rues étaient désertées. Tout le monde s’était calfeutréchezsoipourseprépareràlapiretempêtedel’année.Elizasetenaitsurlaterrassedesa maison de location. Emmitouflée dans une parka avec l’écusson de la Spence School, elle guettait l’arrivée de Ryan, au volant de la Porsche. Ses parents lui avaient demandé d’aller chercher des réserves,etRyanavaitproposédevenirlachercher. Ryanluiouvritlaportièreducôtépassager.Luiaussiportaituncoupe-ventdecouleurjauneà l’insignedesonlycée,avecsonjeanetsessempiternellestongs.Illuiditquelchaosc’était,chezlui. Aucunedeslampesdepochenefonctionnait,etplusieursdesfenêtresn’étaientpaséquipéescontre lestempêtes.Deplus,l’eauavaitcommencéàs’infiltrerdanslamaison,carilsn’avaientplusassez deserviettespourcalfeutrerlaporte. –C’estpareilici.Ons’imagineraitquelesgensquilouentcettemaisonsontéquipés,maison n’arientrouvéàpartdeux,troisbricoles,ditEliza. –Annaestenpleinecrisedenerfs,àl’idéed’unecoupuredecourant.Ellenepeutpasvivresans sonsèche-cheveux! Elizagloussa.EllecroisaleregarddeRyan,ettousdeuxrirentdeplusbelle. Ils roulaient lentement sous la pluie battante. Toutes les voitures semblaient se diriger vers le mêmepoint.Lorsqu’ilsarrivèrentausupermarché,ilnerestaitplusuneseuleplacesurleparking. Par chance, une Bentley s’en allait justement à ce moment-là, un générateur attaché sur son toit, et Ryanputsegarer. La pluie ruisselait sur les vitres. Les arbres ployaient sous le vent. La tempête faisait rage, secouantle4×4. – Bon Dieu, regarde-moi ça ! s’exclama Ryan, lorsque le vent projeta un parasol à travers le parking. –Jesais.C’estdelafolie,approuvaEliza.Etilyaunautretrucquiestfou,tusaisquoi? –Quoi? Ryannevoyaitpasdutoutoùellevoulaitenvenir. –Toietmoi. Ryancessadesourire. –Qu’est-cequetuveuxdireparlà? ElizaregardaRyan.Sescheveuxavaientbeauêtreplaquéssursonfront,ilétaittoujoursaussi beau. Mais justement, ils étaient presque trop bien ensemble. Trop semblables. Eliza aspirait au mystère, à la spontanéité... Elle voulait le genre de garçon capable de se faire embaucher comme serveurdansunesoirée,rienquepourpouvoirêtreprèsd’elle.EtRyanavaitbeauêtremerveilleux,il n’étaitpascegarçon-là. –Tun’espasamoureuxdemoi. Ryansemitàprotester. –Etmoinonplus,jenesuispasamoureusedetoi,l’interrompit-elle. –Aïe!plaisanta-t-ilenportantunemainàsoncœurcommes’ilsouffraitaffreusement. –Cetété...touts’estpassédefaçonsibizarre,tunetrouvespas?Jepensaisqueceseraitundes meilleurs moments de ma vie, dit Eliza en s’enfonçant plus profondément dans son siège. J’avais décrochéunsuperboulot,etils’estavéréqu’ilestcomplètementnul.Jepréfèrem’occuperd’enfants quem’occuperdecélébrités.Crois-moi,Williamestmoinscapricieux.Tuasdéjàessayéderetirersa bouteilledechampagneàunestar?demanda-t-elleenriant. –Eliza? Elletournalatêteverslui. –Ouais? –Tueslafillelapluschouettequejeconnaisse. Ryansepenchaetpritdanssesmainslementond’Eliza.Puisilluibaissalatêteet,deseslèvres, frôlasonfront. –Amis,alors? –Biensûr.Arrête,çachatouille! Ilss’aimaient–commedesamis–etElizaeutledésirsoudaindevoirRyanheureux.Ellelui jeta un nouveau coup d’œil. Il était grand, beau, riche et intelligent. Ils se connaissaient depuis l’enfance,etc’étaitlegenredemecavecquisesparentsavaienttoujoursdésirélavoirsecaserun jour,orElizasavaitqueRyanetellen’étaientpasdestinésl’unàl’autre. RyanlaserracontreluietEliza,pressantsajouecontrecelledesonami,luichuchota: –Jesaisquetum’aimes,maisjesaiségalementquetuesamoureuxdequelqu’und’autre. Ilrelâchalentementsonétreinteetpoussaunsoupir. –Jenevoisvraimentpasdequoituparles,dit-ilens’arrachantunepetitepeaudel’ongle. – Cette fille que nous aimons tous deux, cette fille dont tu es amoureux, elle est toujours là, insistaEliza.Jet’assure.Moiaussi,jeluienaivoulu,maiselleesttoujourslà. Ryanhaussalesépaules. –Maran’estpluslamêmepersonneàprésent.EllealaissélesHamptonsluimonteràlatête. Elleachangé. – Écoute, quand on a été la coqueluche du moment, on ne peut pas s’en tirer sans dommage. Crois-moi,jesuisbienplacéepourlesavoir!Iln’yapasunefillequineprendraitpaslagrossetête! Maisjecroisencoreenelle.Jeneleluiaipasdit,parcequ’onestplusoumoinsfâchéescestemps- ci... mais je crois que si elle a rompu avec toi, c’est parce que... eh bien, c’est parce qu’elle ne se sentaitpasàlahauteur. Elizadittoutcelad’uneseuletraite,sansoserregarderRyan.Ellefinitparlefaire.Sonvisage étaitdemeuréimpassible. –EllesortavecGarrettàprésent,répliquaRyansuruntonsansappel. Elizacompritaussitôtqu’elleavaitvujuste.Aucundoutelà-dessus:Ryanétaitencoreamoureux deMara. ElizaexaminaRyan.Ilsétaientplusprochesqu’ilsnel’avaientjamaisété.Peut-êtrecette«amitié avecsesavantages»avait-elleunsensplusprofondqu’ilsnel’auraientcru? –Bon,onferaitmieuxd’yalleravantqueleschosessegâtent,ditRyan. –Aufait,MaraetGarrettontrompu.Jesuissurprisequetessœursnet’enaientpasparlé.Est-ce qu’ellesnesontpasraidesdinguesdelui? –Eliza,jenecomprendsmêmepascommentonpeutfairepartiedelamêmefamille! Ils s’engouffrèrent dans le supermarché. Or, il ne restait plus rien : ni attaches métalliques, ni panneauxdebois,nibâches,nilampes-tempête,nibougies,nipiles,niréchaudsàgaz,nigénérateurs, nicordes,niclous,nisacsdesable... –Quesepasse-t-il?demandaElizaàunvendeurvêtud’ungiletorange. Celui-cihaussalesépaules. – Quelqu’un a tout raflé, dit-il en désignant un gars qui, s’appuyant au comptoir, signait un interminablereçudecartebancaire. GarrettReynoldslevalesyeuxetfitsigneàRyanetEliza. Commel’aditOscarWilde, lesvraisamisvousfrappent par-devant Poppynes’étaittoujourspasremised’avoirperdu«sa»voiturelorsqu’elleetMaracoururent danslamaisonpouréchapperauxviolentesrafales. –C’étaittellementhumiliant!Onnem’ajamaistraitéedefaçonaussihumiliante!Est-cequ’ils saventquijesuis?selamentait-elleensebattantavecsonparapluie. Mara essorait ses cheveux trempés lorsque quelque chose de clair et d’étincelant attira son regard.QuelquechosequePoppyportaitauxoreilles.D’énormespierresprécieuses.Desdiamantssi lourdsqu’ilsdéformaientlelobedesesoreilles,etd’unesibelleeauqu’ilsrayonnaientdemillefeux danslagrisailleduhalld’entrée. – Poppy, dit Mara, tendant la main vers les boucles d’oreilles. Où est-ce que tu as trouvé ces boucles? Poppyportaaussitôtlesmainsàsesoreilles. –Oh,celles-ci...?Euh...jetelesaiempruntées...Ellesétaientsurtacommode.Jet’avaisprêté monsacàmain,alorsj’aipenséquesituempruntaismesaffaires,jepouvaisemprunterlestiennes, dit-elleavecungloussementhautperché.Pourquoi? PoppysecomportaitcommesielleavaitsubitementoubliéquesasœuretellesnobaientMara depuisdeuxjours,sansparlerdesproposcitésdanslapage6. –Ellesnesontpasàmoi,ditMarad’untonatterré. –Ahbon?répliquaPoppyenbattantdescilsaveccandeur. – Elles appartiennent à Ivan. Elles valent deux cent cinquante mille dollars. Tu n’as pas lu la page6?Tuespourtantcitéededans.Lesgenspensentquejelesaivolées. Poppyfeignitl’innocence. –Jenesaisvraimentpasdequoituparles.Allonsnousréchauffer!Jesuismortedefroid! –Uneseconde.Jeveuxquetumelesrendes!ditMarad’untoncatégorique,entendantlamain. –OK,faispastacasse-pieds!Mincealors!rétorquaPoppy. Elleretiralesbouclesetlesposad’ungestebrusquesurlapaumedeMara. Mara se contenta de la fixer. Poppy était la personne la plus impitoyablement, la plus agressivementégoïstequ’elleeûtjamaisrencontrée.Etc’étaitcegenredepersonnequ’elleavaittenté d’impressionnertoutl’été!Maraétaitécœuréed’avoirperdutoutcetemps. – Allez, Mimi, fais pas ta mauvaise tête ! Je te les ai empruntées, c’est tout ! dit Poppy, sur la défensive. –Nem’appellepascommeça!sifflaMara,labousculantpoursedirigerversletéléphone. Lorsquelecoursiereutrécupérélesbouclesd’oreilles,Maraéprouvauntelsoulagement,une telle joie, qu’elle ne savait comment les manifester. Elle se sentait libérée, soulagée d’un poids terrible. Elle regardait s’éloigner le camion marron quand elle tomba sur Jacqui, qui s’apprêtait à fairequelquescoursesavantquel’ouragannefrappepourdebon. –Jacqui!OhmonDieu!Jacqui!s’exclamaMara. Elleseprécipitaverselle,lasaisitparlesbrasetlafittournoyer. –Quoi?Qu’est-cequis’estpassé? Ellesnes’adressaientpluslaparoledepuisunesemaineet,pendanttoutcetemps,ellen’avaitpas vuMarasourireuneseulefois. –Jacqui!Jesuislareinedesidiotes!J’aiétéhorribleavecvous!Jesuisvraimentdésolée! Poppy... c’est Poppy qui avait pris les boucles. Je sais pas si elles étaient au courant... je sais pas si ellesl’ontfaitexprès.Jepensequeoui,maisjesuisvraimentdésoléed’avoircru...d’avoirpenséque tuavais...jedoisêtrecinglée! Jacquihaussalessourcils.LessœursPerry.Évidemment!C’estdansleschambresdesjumelles qu’ellesauraientdûcommencerparchercher. –C’estbon,dit-elleàMara. – Je tiens à ce que tu saches que je suis vraiment, vraiment, vraiment désolée. Mais vraiment, vraiment,vraiment... –C’estbon,Mara.Jetepardonne,l’interrompitJacqui,enluiprenantlamain. –C’estsimplementque...jesuistellementgênée.Jeregrettequetoutcelasoitarrivé. –Écoute,leschosesn’arriventpassansraison.Net’inquiètepas!ditJacquienlaserrantcontre soncœur.Maistun’aspasfinidefairedesexcuses,chica. Jacquiavaitraison.Cen’étaitqueledébut. Quoideplussexyqu’untype avecunmarteau? AumomentoùElizaetRyans’apprêtaientàquitterlemagasin,bredouillesetsansillusions,une voixfamilièrelesinterpella. –Eh,lesamis,vouscherchezàvouséquiper?demandaJeremy. LuiaussiavaitétéprisaudépourvuparlarazziadesReynolds.Ils’avançaverseux,vêtud’un ponchoennylonimperméableetd’unchapeaudepêcheurfroissé. –Ilsn’ontplusrien,ditEliza. –Oui,maisjesaisoùonpeuttrouverlenécessaire.IlyaunmagasinTarget,àRiverhead,qui vend des fenêtres anti-tempête et tout le reste. La plupart des gens ne le connaissent pas, dans les Hamptons,parcequ’ilestsurlabretellenord.Çavousditdemesuivre?Fautprendrel’autoroutedu nordjusqu’àlasortie«Riverhead»,etc’estjustelà. Ilfrottalesmainssursonjean,qu’ilavaitrentrédanssesgrossesbottesencaoutchouc. Eliza le remercia d’un hochement de tête, et Ryan et elle suivirent le véhicule de Jeremy sur l’autoroute inondée. Il y avait beaucoup moins de voitures roulant dans cette direction, et ils ne tardèrentpasàarriveràdestination. À l’intérieur du magasin, difficile d’imaginer qu’un ouragan se préparait. L’atmosphère était gaie et lumineuse, et les rayons regorgeaient des choses dont ils avaient besoin. Plusieurs autres personnesfaisaientleurscourses,maisilyenauraitlargementassezpourtoutlemonde.Lestrois jeunesgenséchangèrentunsourirecomplice. –Quivainstallervosfenêtres?demandaJeremyàEliza,alorsqu’ilss’approvisionnaienttous deuxenlanternesetenfioul. –Monpère,réponditEliza,bienquesonpèren’eûtpasloindesoixante-dixans. –Jevaislefaire,ditdoucementJeremy.Écoutemonpote,jevaisraccompagnerEliza,ajouta-tilensetournantversRyan.Samaisonestsurmonchemin,detoutemanière. –Çateva,Eliza?demandaRyan. –Super,ditEliza. Soncœurbattaitàtoutrompre. Ryanl’étreignitbrièvement. –Bonnechance!Etnevousfaitespastremper!leurlança-t-il. Eliza grimpa dans la camionnette de Jeremy. Les sièges de cuir étaient usés, et elle ne ressemblait en rien à la Porsche de Ryan, avec son intérieur cuir et son écran de navigation. Mais, commeJeremy,ellesentaitbonlaterreetlasèvedepin.Elizaadoraitcetteodeur. Ils roulèrent en silence jusqu’à la maison de location de Westhampton. Les parents d’Eliza étaient en proie à la panique. Sans personnel à qui donner des ordres, les Thompson ne savaient absolument pas quoi faire. La télévision ne marchait plus, et les plombs avaient sauté. Par chance, Jeremydénichaviteledisjoncteurdanslacaveetparvintàrétablirlecourant. –Dieusoitloué!ditMmeThompson,entripotantnerveusementsoncollierdeperles. –Jenesaispascombiendetempsçavatenir,maisilfautviteenprofiter,déclaraJeremy.On risqued’êtrebientôtprivésd’électricité. Elizaregardalejeunehommeinstallerlesfenêtresanti-tempête.Ilfrappaitàcoupsdemarteau, fixait, réussissait à décrypter des instructions compliquées. Elle espérait que ses parents comprendraientcequ’elleluitrouvait. Ils’occupaitdesfenêtresdugrenierlorsqu’elleluiapportaunebouteilled’eau. –Elleesttiède,jesuisdésolée. –Non,c’estparfait.Jeteremercie,dit-ilenessuyantlasueursursonfront. Ilsepenchasurleclipdefixationetappuyadetoutelaforcedesoncorps.Lejoints’enclencha dupremiercoupdanslafenêtre,etileutunsouriredesatisfaction. –Voilà.Çadevraittenirlecoup!Vousavezassezdeserviettes,hein?Etuneradio? – On a une microtélé qui fonctionne sur batterie. Mon père l’a trouvée dans la cave. Je crois qu’onatoutcequ’ilfaut. Jeremyhochalatête. –Tantmieux. Ils’assitparterreetbutl’eauàgrandstraits. –Qu’est-cequit’apriscetété?demandaEliza,ens’asseyantprèsdeluisurlamoquette. –Qu’est-cequim’apris?Qu’est-cequit’aprisàtoi,tuveuxdire?répliquaJeremyengrattant l’étiquettedelabouteille. –Jenesaispas...Onauraitditquetum’évitais.Jepensaisquetunevoulaisplusdemoi,avoua-telle.Tun’appelaisjamais.Tunecherchaismêmepasàmevoir. –Eliza,sij’aifaitcestagechezMorganStanley,c’estpouruneseuleraison:jevoulaisdevenir quelqu’unquetupourraisrespecter.Jevoulaisdevenirquelqu’un...detonmonde,expliquaJeremyen mimantdesguillemetslorsqu’ilprononçalemot«monde». –Tuasfaitçapourmoi? –Oui,maisils’estavéréqueçanesuffisaitpas.Tesparentsmel’onttrèsvitefaitcomprendreà ce dîner. Alors, j’ai songé « Pourquoi faire des efforts, alors qu’ils ne changeront jamais d’avis à monsujet?»,dit-ilavecunhaussementd’épaules. – Pourquoi faire des efforts ? demanda Eliza d’un ton incrédule. Parce que je ne pense pas commemesparents,voilàpourquoi!Etc’estassezlamentabledejugerquelqu’unsursafamille.On n’estpasresponsabledesonmilieu. Jeremyeutl’airembarrassé,puisfinitparlâcher: –Ouais,maisalorsj’aiappris,pourtoietRyan,etparconséquent... Cefutautourd’Elizad’êtregênée. –Tum’asmanqué,dit-ellesanssedémonter. –Toiaussi,tum’asmanqué,admit-ilàsontour.Jet’aivueàlatéléhiersoir,ajouta-t-ilsoudain, suruntonbadin. –Ahoui?Oùça?s’étonnaEliza. – Dans l’émission de Sugar. Tu voulais récupérer une robe, et elle refusait de te la donner, répondit-ilenriant.Etàlafin,ilyavaitcevieuxcouturierfrançaisavecdegrosseslunettesnoires quidisaitqu’iln’habilleraitplusjamaisSugarPerry.C’étaitassezrigolo. –KarlLagerfeld?demandaEliza,maisJeremysecontentadehausserlesépaules. Peut-êtreSugarserait-elleenfinpunie? ElizaregardaJeremy.Mêmequandilparlaitd’uneémissiondetélédébile,ilrestaitdixfoisplus touchantquetouslesgensqu’elleavaitconnusdanssavie.Illuiavaittellementmanqué. –C’estjusteque...tuavaisl’airtellementoccupé,dit-elleentiranttimidementsurlajambede sonpantalon. –Ouais,tum’étonnes.Jedétestaisceboulot.Detoutefaçon,j’aidémissionné.Tun’imaginespas lenombredeconneriesqu’ilfautavaler.JebosseànouveauchezlesPerryl’étéprochain. –C’estvrai? –Ouais,jeviensdeleleurdire. Ilbutl’eauquirestait,etreposalabouteillevide. Elizan’avaitpasencorefinid’assimilertoutescesinformations. –Jecroyaisquetunem’aimaisplus,dit-elle. – Eliza, qu’est-ce que tu racontes ? Je suis fou de toi. Depuis le jour où je t’ai vue pour la premièrefois,auborddelapiscinedesPerry. –EtCarolyn?EtLindsay?Qu’est-cequetufaisaisavecelles? –Jelesairencontréesauboulot.Carolynestchouette.Etvousaviezlesmêmesamis,elleettoi. Jem’imaginais...jemedisaisqueçat’impressionnerait,quejeconnaissedesgensquetuconnaissais. Lindsay,c’étaitriendutout.Sijesuissortiavecelle,c’estuniquementpourterendrejalouse,comme tuétaisavecRyan. –Ryanetmoi...nousnesommespas...iln’yarienentrenous.Onestamis,riendeplus. –C’estvrai?demanda-t-il,pleind’espoir. –C’estvrai,répondit-elled’unevoixassurée. –Alorscommeça...vousnesortezpasensemble? –Non. MaisElizadevaittoutluidire. –Enfin...onnesortplusensemble.Ilestsuper,maisvoilà...c’esttoiquejeveux. Jeremysourit,desonjolisourireenbiais.Levisaged’Elizas’illuminaet,leplusnaturellement du monde, ils s’embrassèrent. Jeremy lui caressa les cheveux. Eliza posa la main sur sa joue, réchauffantsapaumecontrelapeaudeJeremytandisque,dehors,l’ouraganfaisaitrageetébranlait lamaison. –Jet’aime,dit-il.Tueslaseulefillequicomptepourmoi. Une telle joie envahit Eliza qu’il lui semblait que son être ne suffisait pas à la contenir. Et lorsqu’ill’embrassaànouveau,ellesesentitaussilégèrequel’air,commeunebulledechampagne quis’échapped’unebouteilleets’élèveendansantversleplafond. Maradépouillelesriches pourtoutdonner... euh...auxriches! À cinq heures, il n’y avait plus ni lumière, ni serviettes de toilette pour empêcher l’eau de s’infiltrerdanslamaisonparlesintersticesdelaporte.Lesgaminscommençaientàs’agiter.Mara avaitpassél’après-midiaveceuxàjoueraujeudesseptfamilles.Williamsetenaittranquille,pour une fois. Zoé avait le chic pour gagner, et Cody lui-même se taisait. Quant à Madison, elle avait trouvéunpaquetdechipsets’étaitmiseàenmanger,commelesautres! Unvrombissementdemoteurébranlalamaisondepuisl’allée.Tousseprécipitèrentàlafenêtre. UnénormecamiondusupermarchéHomeDepotsegaraitdevantlapropriétédesReynolds. Maratombaitdesnues.RyanavaitappeléLauriepourdirequ’ilnerestaitplusrienaumagasin. Ellen’avaitqu’àregarderlecamionpourcomprendrecequis’étaitpassé. –Venez,lesenfants!s’exclama-t-elleenlesrassemblant.Onvafaireunraid! Aprèss’êtreassuréequelesgaminsétaienttouschaudementvêtusdepullsetd’imperméables, ellelesemmenadehors.Ilpleuvaitàverse,etcelanetarderaitpasàsedéchaînerpourdebon.Elle leur fit franchir la haie séparant les deux propriétés et emprunter le passage secret que lui avait montréGarrett,lequelmenaitausous-solduchâteaudesReynolds. Les gamins étaient fous de joie. Mara et eux gagnèrent le rez-de-chaussée, depuis le sous-sol. Elleentrouvritlaportedelacuisine.Lavoieétaitlibre! –Venez!dit-elle. Elle les conduisit à l’une des salles de bains situées à l’étage. Là, les étagères contenaient une tellequantitédeserviettesdetoilettequ’onseseraitcrudansuneboutiquedelingedemaison.Mara commençaàfairelepleindeserviettes,lespassantaufuretàmesureauxenfants. –Tufaisquoi?demandaGarrettd’unevoixdécontractée,enentrantdanslasalledebains,une bièreàlamain. Illuiparutblafard,danssachemiseOxfordblanche. Maraleregarda.Elleserappelasesremarquesblessantes,lafaçondontill’avaittoutdesuite crue coupable d’avoir volé les boucles d’oreilles, et dont il l’avait larguée sans prendre le temps d’écoutersaversiondel’histoire. –Vousêtestropbienéquipés,cheztoi.Vousn’avezpasbesoindetoutça.Noussi.Alors,onle prend,répliquaMara,commesic’étaitl’évidencemême. –Vousn’avezpasledroitdefaireça,dit-il,suruntontoujoursironiqueetdétaché. –Trèsbien.Danscecasjevaisteledemandergentiment.Onpeutvousprendredesserviettes? S’ilteplaît? – Non, rétorqua-t-il sèchement. Maintenant, tirez-vous, toi et les gosses, ou bien j’appelle les gardiens! –DésoléeGarrett,maisçanevapassepassercommeça,ditMara.William? –Oui?fitlepetitgarçon. –Tutesouviensdecetteprisequ’ont’aenseignée,danstoncoursdeboxefrançaise?demandat-elle,ensebaissantpourêtreàsonniveau.Tunecroispasquec’estlemomentdenousfaireune démonstration? ÀpeineWilliameut-ilcompriscequeMaraluidemandaitqu’unsourirediaboliques’affichasur sonvisage. –Hiii-yaaa!!!s’écria-t-il,s’élançantsurGarrettetluibalançantunsévèrecoupdepieddansle ventre. Garrettétaitpliéendeuxsousl’effetdeladouleur. –Danslemille!hurlaWilliam. Avant de partir, Mara remarqua quelque chose qui brillait... ses sandales strassées, qu’elle ne trouvaitplus,derrièrelaportedelasalledebains.Ellelesramassa,triomphante.Mitziayantdéjàfait unecroixdessus,ellepourraitlesgarder. –SalutGarrett!lançaMaradansunéclatderire. Enressortantlesbraschargés,ilsvirentsortirdeleurvoitureuncoupled’âgemûr,quivivaitun peuplushaut.Ceux-ciremarquèrentlessacsqueportaientMaraetlesenfants. –Eh,oùest-cequevousavezdénichétoutça?Ilsn’ontplusrien,ausupermarché! –Tenez,servez-vous...Onenalargementassez!ditMaragaiement,enleurpassantdeuxsacsen papierremplisdepilesetdebouteillesd’eau. Ils se hâtèrent de retourner dans la maison, radieux, victorieux, et enchantés du résultat de l’expédition. – On a trouvé de l’eau ! s’écria Mara, entrant fièrement dans la cuisine et déposant deux bombonnesdequatrelitressurlatable.Oh! Sonvisagesedécomposa. Surleplandetravailétaiententassésunequantitédebouteilles,deserviettes,depilesetdebois decheminée.Ilyavaitaussidesbougies,dufioul,deslampes-tempête,plusieursmichesdepain,du thon et des haricots en conserve, des serviettes, de la corde et des lampes de poche. Les gamins, enchantés,sejetèrentsurlespaquetsdechipsetdesnacksentoutgenre. Ryansetenaitaumilieudelacuisine,etrangeaitdesplatsdepâtesdéshydratés. –Elizaetmoiavonstrouvéunmagasinouvert,expliqua-t-il,sanslaregarder. –Oh...oh,super. Elles’apprêtaitàquitterlapièce,lorsqu’illarappela. –Attends,jeveux...ilfautqu’onparle,dit-il. Ilfitvolte-faceet,pourlapremièrefois,Maravitàquelpointilétaitmalheureux. Unchevalier enimperméablejaune –Merde!s’exclamaJacqui. Elle venait de mettre le contact et le moteur de la petite voiture hybride avait émis un vague crachotement,avantdecaler.Tous,chezlesPerry,comptaientsursafaibleconsommationd’essence (moinsdecinqlitresauxcentkilomètres),etJacquinesouvenaitpasquequiconquesesoitdonnéle mal,cetété,d’yremettreducarburant.Àprésent,iln’yenavaitplus,etJacquiétaitdanslamouise. Elleétaitcoincéesurlaroute27,etlatempêtedevenaitdeplusenplusviolente. Elletentad’appelerchezlesPerry,maisçasonnaitdanslevide–letéléphoneavaitsansdoute étécoupé.Elleessayaleportabled’Eliza,pourtomberdirectementsurlamessagerie.Endésespoirde cause, elle décida d’appeler Philippe, bien qu’elle lui en voulût encore. Elle aurait préféré ne pas avoiraffaireàlui,d’autantplusqu’ilneluiavaitmêmepasdonnéd’explicationsquantàsondépart dumotel.Lorsqu’ilss’étaientcroisésdanslamaison,ils’étaitcomportéavecellecommesitoutcela n’avaitjamaiseulieu. Ellecomposalenuméro. –Allô?Allô?Philippe?Écoute,c’estJacqui,j’aibesoindetoi,c’esturgent. –Allô?Quiparle?demandaunevoixféminine. –Euh...c’estJacqui. C’étaitquoi,cedélire?Pourquoin’était-cepasPhilippequirépondait? –Ehbien,pourunemauvaisesurprise...,ditlavoixd’Anna,mielleuseàsouhait.Désoléedevous l’annoncer,maisPhilippeaferméboutique. Clic. Quezaco?Jacquiraccrochad’unemaintremblante.AnnaPerry?Alorselleréalisa.Ellevenait d’êtresurprise–oudumoins,Annapensaitl’avoirsurprise!C’étaitpresquecomique.Aprèsavoir passétoutl’étéàembrasserlebeauFrançaisendouce,ellevenaitd’êtrepriseenflagrantdélit,alors quePhilippeetelleavaientcessédesefréquenter. Jacqui soupira, en prenant conscience de ce que ça signifiait. Elle pouvait dire « adieu » à ce boulot,àNewYork.AdieulesPerry,adieuStuyvesant,adieulafac!Elleavaittoutfichuenl’airà caused’unmec.D’unmecquin’envalaitmêmepaslapeine.D’unmecquiétait,detouteévidence, l’amantdeleuremployeuse.Toutsonavenirétaitàl’eau! Elle regarda par la vitre et frissonna lorsqu’un éclair déchira le ciel. Elle composa un autre numéro,espérant,sanstropycroire,quelapersonneallaitdécrocher. Un quart d’heure s’écoula, puis une demi-heure, puis quasiment une heure. La voiture était ballottée par le vent. Il allait falloir qu’elle sorte de là rapidement, avant que le véhicule ne soit emportéparlamontéedeseaux. Enfin,alorsqu’ellevenaitd’abandonnertoutespoir,lespharesd’unpuissant4×4percèrentle brouillard.UngarçonenimperméablejauneseprécipitaverslaToyota. –Çava?criaKit,encapuchonnédanssoncoupe-vent. Elle hocha la tête. Il l’aida à sortir de la voiture. Ils pataugèrent jusqu’au 4 × 4, de l’eau jusqu’aux chevilles. Kit ferma soigneusement la portière de Jacqui, et contourna le véhicule pour s’installerauvolant. –Jeteremerciedufondducœur,ditJacqui.Jesuisvraimentdésoléedet’avoirdérangé. –C’estunplaisir,répliquaKit,lesourireauxlèvres. Jacqui lui rendit son sourire et, pour la première fois, se sentit troublée. Peut-être était-ce simplementlesoulagementd’avoirfinalementétésecourue...Toujoursest-ilqu’ellenecessapasde sourire,tandisqueKitroulaitsurdesroutesinondées. Il lui expliqua que toutes les routes menant aux Hamptons étaient bloquées, et qu’ils feraient mieuxdeserendrechezsesparentsàWainscott.C’estainsiqu’ilsdébarquèrentdanslapropriétédes Ashleighquiétait,detoutelarue,laseuledemeureilluminée.Sileterrainentourantlamaisonétait impressionnant,lamaisonenelle-même,destyletrèsmoderne,consistaitsimplementenunblocde bétonallongé,auxproportionsmodestes,dontlesbaiesvitréesdonnaientsurl’océan.Kitexpliquaà Jacqui qu’elle avait été conçue par le meilleur ami de son père, un célèbre architecte. De toute évidence, elle était suffisamment petite – moins de trois cents mètres carrés – pour que le générateurqu’ilsavaientinstalléfournisselademeureenélectricitéplusieurssemainesd’affilée. KitgaralavoituredanslegarageadjacentetintroduisitJacquidanslamaisonparlacuisine,où samèreétaitentraindepréparerledînersurunebellecuisinièreàgaz,dansunecuisineouvertesur leséjour.ContrairementàlademeuredesPerry,lamaisondesAshleighétaitunvéritablefoyer,un lieuoùlesgensvivaient,nonundécordigned’unmagazinedeluxe. Il y avait bien une immense toile noire sur le mur, forcément une œuvre d’art très coûteuse, quelquesdivansdesignetdeschaisesencuiretmétalchromé,maisilyavaitaussiunjournalouvert surlatablebasse,despoilsdechiensurledivanetdestassesdecafésurlesdessertes.Lesétagères étaient recouvertes de livres et seuls quelques disques de platine encadrés, discrètement accrochés dansuncoin,laissaientdevinerquelepèredeKitétaitunimportantproducteurdemusique. –Bonjourmonchéri.Oh,c’esttonamie?demandagentimentlamèredeKit.C’estaffreuxlàdehors,non?Vousdevezêtregelés.Christophermonchéri,tuneveuxpasallerchercherunpullet unpantalondansmonplacard,pourqueJacquipuissesechanger? Onétaitloindel’agitationfrénétiqueetdésordonnéequirégnaitchezlesPerry.Iln’yavaitpas nonplusdeserviettessouslesportes.Lamaisonétaitunesortedebunker,uneoasisd’art,delumière etd’exquisenourritureitalienne. Jacquilaremercia,sesentantindigned’unetellehospitalité.Aprèsavoirprisunedouchedansle baindevapeuretavoirpasséunépaispullnoiretunpantalondesurvêtement,elledînaavecKitetses parents, qui se délectèrent de ses anecdotes sur le Brésil et de ses réflexions sur la vie dans les Hamptons.Lorsquesesparentssefurentretirés,elleaidaKitàchargerlelave-vaisselleetànettoyer lacuisine. Ils ramenèrent l’édredon de Kit et se blottirent dessous, sur le divan, afin de regarder les nouvelles. Plusieurs coulées de boue étaient signalées du côté des falaises, et le niveau de la mer montaitdangereusement. –J’espèrequelesPerrysontensécurité,ditJacqui,enserongeantlesongles. Elles’inquiétaitpoureux,maiss’inquiétaitaussidecequirisquaitdesepasseràsonretour.Elle étaitcertainedesefairerenvoyerparAnnaàlasecondeoùellepointeraitleboutdesonnez. – Je suis sûr que tout va bien pour eux, dit Kit. J’ai parlé à Ryan, et ils ont l’air d’avoir la situationbienenmain. Jacquiposalatêtesurl’épauledeKit.Ellen’auraitjamaisimaginéqu’ilpuisseêtreautrechose qu’un ami. Or, assise près de lui sur le divan, à l’abri de son foyer chaleureux et protecteur, elle ressentaitlespremierssymptômesd’unsentimentplusprofond–unsentimentquidépassaitlasimple convoitise–etelleréalisaquec’étaitpeut-êtrecelad’aimerquelqu’un,enoppositionàdésirer. –Ilfautmelaisserunpeudetemps,murmura-t-elle,enposantlamainsurlajouedeKit. Ilétaitsipâle,avaitlapeautellementsensible.Etsescheveuxétaientd’unblondpresqueblanc. Pasdedoute...ilyavaitlàdupotentiel. –Hein?demanda-t-ild’unevoixensommeillée. –Rien,réponditJacqui. –Çava,tuesbien? Jacquihochalatête.Ellenes’étaitjamaissentie,desavie,aussiàl’aise. Maran’ajamaisvu unaussibeaupeignoir! Mara eut presque pitié de Ryan. Il paraissait si triste, planté là, dans la cuisine, dégoulinant de pluie,sonpaquetderisottoàréchaufferàlamain. –Écoute,tunemedoisaucuneexplication,dit-elle. Cette pensée lui brisait le cœur, mais si Eliza et Ryan étaient heureux ensemble, il lui faudrait bientrouverlemoyendeseréjouirpoureux. –Ahbon?demandaRyan,déconcerté. – Je sais que vous sortez ensemble, Eliza et toi... Tant mieux. Je vous souhaite d’être heureux, c’esttout,dit-elled’unevoixbrisée. Ryans’avançaentraînantlespieds,etposasonpaquetderiz. – Mais c’est ce que j’essaie de te dire... Je ne sors pas avec Eliza. Eliza et moi... sommes simplementamis.(Ils’approchad’elle.)Detrèsbonsamis,maisriendeplus. –Vousn’êtespasensemble?Elizaettoi?Mais...jenecomprendsplusrien. Ellevitalorsqu’ilavaitleslèvresviolettes. –Oh,monDieu,tuesgelé,s’écria-t-elle,avantqueRyaneûtpuajouterquoiquecesoit. –Maisj’aiquelquechoseàtedire...,insistaRyan,toutruisselantdepluie. –Trèsbien,maistoutd’abord,tuvasretirercesvêtementsmouillésettemettreauchaud.Allez, viens. –Oui...j’aifroid,dit-ilenclaquantdesdents.Tum’accompagnes? Ilcommençaàretirerseshabits,toutensedirigeantverssachambre.Lorsqu’ilsparvinrenten hautdel’escalier,Mararemarquaqu’undomestiqueavaitfaitdufeudanslacheminéedesachambre. Ryans’assitjusteàcôtéetpeuàpeu,parutseréchauffer. –Tiens,dit-elle,enluitendantuneserviettedetoiletteblancheetduveteuse.Fautquetutesèches, turisquesd’attraperunrhumeouuntrucdanscegoût-là. –Mara,uneseconde...Ilfautqu’onparle!répétaRyanensefrottantlanuqueaveclaserviette. Çatedérangepas?demanda-t-ilentirantsursontee-shirttrempé. –Euh...oh...non,balbutiaMaraentournantlatête.Vas-y,jeneregardepas. Ryanéclataderire. –Non,jeveuxdire...Tuveuxbienm’aider? Maracessasoudaind’êtreembarrassée,tandisqu’ellel’aidaitàsedébarrasserdesesvêtements mouillés.Ilretirasonjeanmouillé,etMaraluitenditlepeignoir.Illuisemblaitsibeau,avecsapeau hâléecontreletissuéponge,etsoncorpspresquenu... –AlorsMara...voilàcequejevoulaistedire...,bafouilla-t-il.Enfin...c’estpasfacile. –Oui?demandaMara,leregardantavecespoir. –C’estjusteque...ehbien...cetété...tusais...je...je... Ilsecoualatêteetregardalesflammesavectristesse. – Tu m’as manqué cet été, avoua-t-il enfin. Ce qui m’a manqué... ce qui me manque... c’est la Marad’autrefois. –Moiaussi,ellememanque,ditMara,lagorgenouée,ens’asseyantauborddulit. La Mara d’autrefois. La Mara d’avant le scandale des boucles d’oreilles, d’avant l’épisode Garrett,d’avantlesurnomdessœursPerry.Oùétait-elle,laMarad’autrefois?Silapetiteprovinciale deSturbridgen’existaitplus,ellenes’étaitpasnonplustransforméeensnobinardedesHamptons. –Ryan,j’aihontedemoi...jemesuistellementmalcomportée...je... Sesyeuxs’embuèrentdelarmes.Puisellesemitàpleurer,sanspouvoirs’arrêter. –Jemesuislaisséentraîner,poursuivit-elle,alorsquetoutcequejedésiraisc’étaitêtreavectoi. Je ne sais même pas ce que je faisais avec Garrett pendant tout ce temps. Je voulais simplement te rendrejaloux. –Ehbien,çaamarché! Ilrit,etvints’asseoirprèsd’elle. –Jecroisqueluiaussin’étaitavecmoiquepourterendrejaloux,ditMara.Quandilarompu,il m’aditqueçaavaitvalulapeine«rienqueparrapportàPerry»,ouuntrucdanslegenre... Ryansecoualatête. – Il est comme ça depuis qu’on est gosses. Il m’a piqué ma petite copine, quand on était en sixième.Enseconde,j’aiamenéunefilleaubaldefindetrimestre,etc’estluiquil’araccompagnée chezelle,dit-ilenhaussantlesépaules.C’estunenfoiré. Mara lui serra le genou, et sourit de la façon dont Ryan venait de résumer le personnage de Garrett.Effectivement,c’étaitunenfoiré. –Tusais,j’aivraimentpasassuréquandtum’asditquec’étaitfini,repritRyan.J’auraisdûaller àSturbridge.Etessayerdetefairechangerd’avis. –J’auraisjamaisimaginésortiravecquelqu’uncommetoi,reconnut-elle.Jemesuisditqu’en rompantlapremière,jesouffriraismoins. Ils ne s’étaient pas regardés de toute la discussion, préférant adresser leurs confidences aux flammes.MarafinitparsetournerpourfairefaceàRyan,etécartalesmèchesquiluiretombaientsur lefront. –J’aifaittellementdechosescetétéquejeregrette,soupira-t-elle.J’aiétéaffreuseavecElizaet Jacqui.Etquandmasœurestvenue,jemesuismontréesigrossière. –Eliza,Jacquiettasœur,ellesfinirontpartepardonner,larassura-t-il.Toutvas’arranger. –Non.Toutlemondemedétesteet... Avantqu’elleaitputerminersaphrase,ill’embrassait.Etelleluirendaitsonbaiser.C’étaitsi douxquec’enétaitpresquedouloureux. Ill’attiraverslui,etenfonçalesmainsdanssescheveux.Ellel’enlaça.Ilss’embrassèrentencore etencore,sansmêmeprendreletempsderespirer,commesiseuleimportaitlacommuniondeleurs deuxâmesàtraversleursbaisers.Ellefrissonna,ilouvritsonpeignoiretl’enenveloppa,elleaussi. Marafermalesyeux,àlafoiseuphoriqueetnerveuse.Ilétaittoutpourelle,elleétaittoutpour lui. Il était tout ce qu’elle avait toujours voulu et, bien qu’elle redoutât toujours d’avoir gâché tellementdechoses,elles’abandonna.Onauraitditqu’ilsétaientfaitsl’unpourl’autre.Etleurscorps sedisaientcequeleurscœursressentaientdepuisdéjàsilongtemps. VoilàpourquoiWilliam étaitincontrôlable! Lelendemainmatin,l’eauavaitreflué,etleséboueurscommençaientàdégagerlesautoroutes couvertes de branchages et d’arbres arrachés. Kit raccompagna Jacqui chez les Perry. Le 4 × 4 progressaitpéniblementdanslaboue.Leventnesoufflaitplusparrafales,etilavaitenfincesséde pleuvoir. La tempête s’était déplacée vers le nord, mais avait dévasté les Hamptons. Plusieurs demeuresbâtiesàflancdecoteauavaientététotalementdétruites.Et,lorsqueKitsegaradansl’allée desPerry,JacquietluiremarquèrentquelechâteaudesReynolds,oùdumoinscequienrestait,était dansuntristeétat. –Mince!ditKitd’untonjoyeux.J’espèrequ’ilsétaientassurés. –C’étaitunetellehorreur,çavautmieuxcommeça! Elle regarda la maison des Perry, le ventre noué. Il était temps d’affronter ce qui l’attendait – êtrevirée,quoi!Mais,tandisqu’ellerassemblaitsoncourage,etsepréparaitmentalementàfaireses valisesetàretournersur-le-champauBrésil,unvieuxtaxipourris’arrêtadel’autrecôtédel’allée circulaire.Philippeouvritlecoffreetentassasesvalisesàl’intérieur. Ils’enallait?Jacquicroyaitqu’ilétaitcensérestertoutl’été.Certes,ilyavaitdestasdechoses qu’elle ignorait à son sujet. Elle regarda le beau garçon, et se sentit idiote mais pas désespérée. Philippeluiadressaunvaguesignedelamain. –Tuvasoù?demanda-t-elle. Ilhaussalesépaulesetmitseslunettesdesoleil. –Aurevoir,machérie! Ilextirpaunecigarettedesonpaquet,etmontaàl’arrièredutaxi. Lauriesurgitdelamaison. – Et ne revenez surtout pas ! Vous avez de la chance qu’on ne porte pas plainte ! Si on vous épargnelesennuis,c’estseulementparégardpourvotretante! LeDrAbrahambousculaLaurie,portantdesvalisescabosséesrecouvertesdetissuécossais. –Attends,mongars!Moiaussi,j’aibesoinqu’onmedéposeàlagare! LeDrAbrahamadressaàLaurieuntimidesignedetêteetmontaàsontourdanslavoiture. Jacquigrimpalesmarchesimbibéesd’eau.LamaisonPerryparaissaitpresqueintacte. –Ques’est-ilpassé?s’enquit-elleauprèsd’Anna,quiavaitsuivitoutelascènedepuisl’entrée. Lablondeglacéeladétailladepiedencap. –Vousn’êtespasaucourant?répliqua-t-elle,d’untonsoupçonneux. –Aucourantdequoi?demandaJacqui,déconcertée. –MaisvousavezappeléPhilippehiersoir...,ditAnna. Jacquirougit. –Je...j’étaiscoincéesurlaroute27.J’aieuunepanned’essence,etj’étaisprisedansl’ouragan. J’aiessayélamaison,maislaligneétaitcoupée,expliqua-t-elle. Levisaged’Annasedétendit. –Alors,pourdebon,vousn’étiezpasaucourant? –Aucourantdequoi? –Philippeestuntrafiquantdedrogue,lançaLaurie. Elleracontad’unevoixhaletantecommentAnnaavaitdécouvertquePhilippeetleDrAbraham vendaient du Ritalin, de l’Adderall, du Valium et de l’Ambien dans les Hamptons et les banlieues environnantes. C’étaitdoncpourçaquesontéléphonesonnaittoutletemps!Vraisemblablement,Philippeavait commencéàfaucherlesordonnancesdeWilliamafindesatisfairecertainescommandes.Ledocteur s’était rendu compte du manège de Philippe et, au lieu de le dénoncer, lui avait fait d’autres ordonnances et avait prélevé sa part des profits. L’ouragan avait plongé nombre de gens dans l’angoisse, et Philippe avait fait beaucoup de livraisons, cette semaine-là. Anna avait découvert la véritélorsqu’ellel’avaitsurprisentraindefourrerlespilulesdeWilliamdanssonsacàdos,alors qu’elle parcourait la maison à la recherche de ses médicaments à elle. C’est pourquoi elle avait dit «Philippeaferméboutique»lorsqueJacquiavaitappelé. Désireuse d’éviter le scandale, Anna avait préféré renvoyer Philippe et le docteur plutôt qu’intenter des poursuites. Elle était plus sensible à l’inconvenance de la chose qu’à son aspect criminel.Ellenevoulaitpasvoirsonnomdanslesjournaux–dumoins,paspourcegenrederaison. AnnacongédiaLaurie.ElletouchalebrasdeJacqui,dansungestecomplice. –Aufait,jevousfélicited’êtreparvenueàgardervosdistancespendanttoutl’été,dit-elleavec unclind’œil.Jesaisàquelpointilpeutsemontrercharmant. BienqueJacquinefûtpastotalementparvenueàgarderlesdistancesavecPhilippe,elleévitade lepréciser.Peut-êtrePhilippen’avait-ilpasétél’amantd’Anna–cecoupdefildudomiciledesPerry, lesoirdumotel,avaittoutaussibienpuêtrepasséparleDrAbraham.Jacquinesauraitsansdoute jamaislavéritéqui,aufond,luiétaitégale. –Quoiqu’ilensoit,mapetiteJacqui,jetenaisàvousrappelerquevousdevrezêtrederetourà New York à la fin du mois d’août. J’enverrai un billet d’avion chez vous, au Brésil. Ça vous convient?demandaAnna. –Vousvoulezdirequej’aileboulot?s’écriaJacqui. – Évidemment. Et mon amie, à Stuyvesant, dit qu’on vous y admettra sans difficulté. Nous n’allonspasenvoyerWilliamàEton,finalement,puisqu’ilaratél’examend’entrée.Etaprèstoutce qui s’est passé avec Philippe, je ne pense pas que sa tante, notre nounou habituelle, reviendra travaillerpournous.Nousauronsdoncabsolumentbesoindequelqu’unpours’occuperdesenfants. Jacqui éclata de rire. Au bout du compte, elle obtenait tout ce qu’elle avait désiré. Et, en regardantKitaiderRyanàramasserlesbranchescassées,elleréalisaqu’elleobtenaitpeut-êtrebien plusquecequ’elleavaitmérité. L’étésetermineplusvite queprévumaisleprochain arriverabienasseztôt Cetaprès-midi-là,AnnaannonçaquelafamillePerryregagneraitNewYorkplustôtqueprévu. Il restait encore deux semaines avant la rentrée. Or, s’attarder dans les parages pour nettoyer la maison et le jardin ne correspondait pas à l’idée qu’Anna se faisait des loisirs. Les filles seraient payées jusqu’à la fin de l’été, comme prévu. Mais, à partir du lendemain matin, on n’aurait plus besoindeleursservices. La cuisine étant inutilisable à cause des dégâts des eaux, Jacqui proposa de faire une véritable churrascariabrésilienne(unegrilladedesteaks,desaucisses,depouletetd’agneau)pourfêterlefait d’avoir survécu à l’ouragan. À présent que la tempête était passée, le ciel était clair et dégagé. La soiréerêvéepourunbarbecue!Jacquipréparamêmeunpichetdecaipirinha,laversionbrésilienne dumojito,certainequesesamiesapprécieraient. ElleinvitaElizaàsejoindreàelles.Aprèsavoirunpeuhésité,celle-ciaccepta.Elleavaitpas maldechosesàdireàMara,etlemomentétaitvenu.Jeremyetellearrivèrentaucrépusculedanssa bonne vieille camionnette, manœuvrant prudemment sur les routes cahoteuses, et évitant les arbres arrachés.Ilssedirigèrentverslepatiod’oùs’échappaitunedélicieuseodeurdeviandegrillée.Les enfantsjouaientalentour,faisantdel’escrimeaveclesbranchesbrisées. Eliza vit Mara et Jacqui, qui s’occupaient du gril. Mara était fraîche et rayonnante. Pour la première fois cet été-là, elle portait ses propres vêtements – un tee-shirt blanc tout simple et un pantalondetreillis. –Hola,chicas!lançaEliza,imitantJacquidumieuxqu’ellepouvait. Maralevalatêteausondesavoix.ElizaétaitvêtuedujeanSallyHershbergeretdutopMissoni acheté en solde. Quant à Jacqui, elle cachait son faux iroquois sous le foulard Pucci. Mara était heureusequesesamiesaienttoutesdeuxconservéunsouvenirdelagarde-robedeMitzi. –Ilfautqu’onparle,Mara,ditEliza,rassemblantsoncourage. Maraacquiesça. –Ouais,ceseraitpasmal. –Toiaussi,Jac,précisaEliza.Touteslestrois.Ilyatroplongtempsqu’onnel’apasfait. Lesfillesmarchèrentlentementverslaplage.JacquisetenaitentreElizaetMara,espérantêtrele beurre de cacahuète qui les souderait à nouveau comme un sandwich... Elles contemplèrent les mouettes qui planaient au-dessus des vagues et l’océan qui scintillait dans l’or du soleil couchant. L’ouragan avait remué les fonds sableux, et la plage était jonchée de coquillages brisés et autres débris. Enfin,ElizasetournaversMara. –Jesuisvraimentdésolée.Pourtout.J’espèrevraimentque...enfin...tusais,j’espère,quejene feraijamaisrienpourtenuire,dit-elled’unevoixtremblante.JesaisqueRyanettoi,vousêtesfaits l’unpourl’autre.J’aicommisuneerreur,etjesuisréellementdésolée.Jeregrettedepast’avoirparlé dePalmBeachplustôt.J’aiessayé,maisj’airenoncétropvite. – Arrête, Liza... ne pleure pas ! dit Mara. J’ai été horrible avec toi le jour du défilé, et je t’ai accuséed’avoirvolécesmauditesbouclesd’oreilles.J’aitellementhonte.Toutestmafaute,aussi. –Non,c’estàcausedemoi,insistaElizaens’essuyantlevisaged’unemain. Elle attrapa l’ourlet de son ravissant chemisier Missoni et se moucha avec. Ce geste lui ressemblaittellementpeuqueMaraetJacquinepurentqu’éclaterderire. Marahochalatête. –J’aiconfianceentoi. Et,écoutantsoncœur,ellesutquec’étaitvrai.ElleavaitvraimentconfianceenEliza.Lesgensse trompent parfois. Elle était bien placée pour le savoir. Et, aussi heureuse fût-elle d’avoir retrouvé Ryan,l’amitiéd’Elizaétaittoutaussiimportanteàsesyeux.Onnerencontrequequelquesvéritables amis au cours d’une existence, et il faut tout faire pour conserver ceux qu’on a eu la chance de trouver. Lesyeuxd’Elizas’embuèrentànouveaudelarmes. – Eh les filles, déclara-t-elle d’une voix brisée, j’espère que vous savez que j’ai jamais eu de meilleuresamiesquevous! Jacquipassalesbrassurlesépaulesdesesdeuxamies,ettoutestroissetinrentenlacées.Mara commençaelleaussiàsangloteretJacqui,sansbiencomprendrepourquoi,s’ymitégalement.Elles s’étaientsentiessiseules,lesunessanslesautres. – Hé, regardez ! dit Jacqui en désignant des détritus qui s’étaient échoués sur la plage. Ça ne seraitpasnotrebouteille? Mara avait peine à y croire, mais c’était bien la bouteille de rhum dans laquelle elles avaient cachéleurmessage,autoutdébutdel’été.Quellecoïncidenceextraordinaire! Elizaretiralebouchonetextirpalemessage.Enhautdumorceaudepapier,leurmotàelles: BonjourdeMaraWaters,ElizaThompsonetJacareiVelasco,danslesHamptons.Nouspassons leplusbelétédenotrevie.Sivoustrouvezlabouteille,veuillezécrirevotrenometunpetitmot,etla balancerdansl’océan. Enbasdelapage,unemainavaitgriffonnélesmotssuivants: BonjourdelaNouvelle-Écosse,auCanada,deSandraShepherd,AlanaKingetMargritteLyon. Nousavonstrouvévotrebouteillequiflottait,surlaplagedeWhitePoint.Nousaussi,nouspassons unétégénial! Jacqui,ElizaetMaraéclatèrentderire.C’étaitunpetitmiracle. –LaNouvelle-Écosse!MonDieu,c’esttrèsloin!fitremarquerEliza. –C’estsansdoutel’ouraganquil’aentraînéeaussiloin,suggéraJacqui.Ouplutôtramenée. –Jemedemandesiellesnousressemblent,ditMarad’untonsongeur,enportantlamainàson cou. LecollierdeperlesdechezMikimoto.Mitziluiavaitassuréqu’ellepourraitlegarder,audébut de l’été. C’était le seul véritable cadeau qu’elle lui avait fait. Mara songea à une certaine grande rousse...sasœurl’adorerait,c’estsûr. –L’étéprochain...onreviendra!déclaraEliza.L’étéprochain...jesaisquevousalleztrouverça ringard, mais je jure que ce sera le meilleur été qu’on passera jamais ! Ce sera le meilleur été de notrevie! JacquietMarasourirentavecindulgence.ToutespensaientàcetteannoncesurInternetquiles avait réunies. Travailleraient-elles à nouveau pour les Perry ? Ryan avait parlé à Mara des petits bungalowsqu’onpouvaitlouer,surlaplage.Elizaplanifiaitdéjàsonprochainstage,danslestylisme, peut-être–entouslescas,pasdanslemilieudesboîtesdenuit!EtJacqui...Ehbien,Jacquisongeaità Kit,quiluiavaitparusimignonlaveille,etàréalisersonrêve:entreràl’universitédeNewYork. Aulendemaindel’ouraganrégnaientlecalmeetlapaix.C’étaitunepurification,unecatharsis. LesHamptonsserelèveraient.Pendantl’automne,onrépareraitlesroutes,onreconstruiraitles monstrueuses bâtisses. Et, en mai, une nouvelle équipe de filles débarqueraient, pleines d’espoir, avides de soleil et de rires. Elles s’amuseraient, tomberaient amoureuses, et s’enivreraient de champagnesurlesplagesdesableblanc. Mara,JacquietElizafirentlesermentderevenirl’étéprochain.Unanseraitsivitepassé. UNESAISONENBIKINI Traduitdel’anglais(américain) parValérieLePlouhinec Àtouteslesfillesmerveilleusesquim’ontenvoyédese-mails, desmessagesinstantanés,destextos,desblogsetdescommentaires enligne:mercipourvotresoutiensansfaille,votreenthousiasme réconfortantetvosnombreusesquestionsintéressantes!Cequisuit estpourvous.Et,oui,ilestbeaucoupquestiondeMaraetdeRyan danscelivre.Quantauxnouvelleslectrices…bienvenue danslesHamptons! Etmaintenant,rentrezchezvous.Non,jerigole. Occupez-vousdusuperflu,lenécessaires’occuperadelui-même. DorothyParker Alltheriches,baby,won’tmeananything, Alltheriches,baby,won’tbringyouwhatlovecanbring «Touteslesrichessesdumonde,bébé,neveulentriendire Touteslesrichessesdumonde,bébé,netedonnerontpascequedonnel’amour.» GwenStefani,RichGirl «Toutvientàpointàquisait attendre»,dit-on:assise ausiège12A,Maraespère quec’estbienvrai Lorsquelepiloteamorçasonvirageau-dessusdel’aéroportLaGuardia,MaraWaterséteignit soniPodminietposalecataloguedel’universitédeDartmouthqu’elleétaitentraindelire.Àtravers le petit hublot, elle contempla l’horizon de Manhattan : un lumineux panorama de verre et d’acier adouciparlabrumedefind’après-midi.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleprenaitcettenavette pour faire les quarante minutes de vol entre Boston et New York, elle en avait l’habitude. Le trajet était agréable, avec magazines gratuits à volonté en salle d’embarquement et, pour compagnons de voyage,deshommesetfemmesd’affairesencostumedelainageimpeccableouencompletdetravail froissé,dontl’oreilletteBluetoothclignotaitavecdiscrétion. C’était la première semaine de juin et, à peine quarante-huit heures plus tôt, elle avait officiellement reçu son diplôme de fin d’études secondaires. La cérémonie s’était déroulée sans surprise:aprèsunmornediscoursdumajor(myope)delapromotion,leslycéensavaiententonné sansentrainBreakaway,deKellyClarkson.Lachansonavaitétéimposéeparladirectionquin’avait pas apprécié le choix des élèves : American Idiot de Green Day. Seul événement notable : juste au momentoùonluiremettaitsondiplôme,unmembredelafanfaredulycéeavaitsoulevésarobede cérémonie sur l’estrade et prouvé qu’il ne portait rien en dessous. (Ses collègues de la fanfare, en granduniforme,avaientalorsimproviséuneversionimpertinentedugénériquedelasérieTheStrip ensetrémoussantetsedéhanchantd’unemanièretrèspeuprotocolaire.) Mara avait reçu le prix d’excellence en anglais, ainsi qu’une bourse d’études de deux mille dollars. Sa mère avait pleuré et son père avait pris bien trop de photos avec son nouvel appareil numérique,tandisquesessœursl’acclamaientdepuislesgradins.Ausondesaccordsretentissantsde laMarchesolennelle,elles’étaitjointeauxtroiscents«Tigresrugissants»–lesurnomdesélèvesdu lycée–pourjeterenl’airsacoiffedediplômée.Ensuite,toutenbuvantdupunchcoupéd’eaueten grignotant des biscuits rassis dans le gymnase, elle avait regardé ses camarades échanger leurs nouvellesadressesélectroniquesàlafacetsepromettredeserendrevisiteàl’automne. Siseulementelleavaitpuenfaireautant! MararegardalecataloguedeDartmouthenfronçantlessourcils.Lesphotosd’étudiantsenpull àtorsadesoccupésàrévisersurlespelousesluidonnèrentuneboufféedejalousie.Surlisted’attente. C’estcequedisaitlalettred’unepagequ’elleavaitreçuedansuneminceenveloppeblanche.Niouini non:«Peut-être». Peut-être serait-elle informée de son admission une semaine ou même quelques jours avant la rentrée.Aussibien,ellepouvaitnepasêtreadmisedutout.Parchance,elles’étaitvuproposerune place à Columbia, assortie d’une généreuse aide financière, et elle avait versé un dépôt de garantie pourréserversaplaceaucasoùcelanemarcheraitpaspourDartmouth. L’étéquis’étendaitdevantelleseraitdoncremplid’angoisseetd’appréhension,carelleignorait cequ’iladviendraitd’elleàl’automne.C’étaittellementinjuste!Dartmouthétaitsonpremierchoix, son seul choix même, si elle avait pu en décider. Après tout, c’est là que Ryan allait entrer en deuxièmeannée. Ryan.Àl’évocationdesonnom,ellenepouvaits’empêcherdesourire.RyanPerry.Sonpetit ami.Celaavaitfinipararriver:euxdeux,enfinréunis!Ilss’étaientrencontrésdeuxansauparavant, lorsqu’elle était fille au pair chez lui et s’occupait de ses petits frères et sœurs. Dès le début, ils s’étaient bien entendus. Mais les événements et les gens s’étaient rapidement interposés entre eux. Lorsdecepremierété,MaraétaitencoreavecJimMizekowski,sonamoureuxdulycée.Elleavait fini par le plaquer à huit jours de la fin. Ryan et elle avaient alors passé ensemble une dernière semainederêvedanslesHamptons.Maisplustard,pendantl’hiver,Maraavaitrompu,effrayéepar l’incompatibilité de leurs milieux sociaux. Car si Ryan était né avec une cuillère en argent dans la bouche,Mara,elle,avaittoujoursdûtravaillerdurpourobtenirquoiquecesoitdanslavie. C’est pourquoi ils avaient passé le deuxième été chacun de son côté. Mara avait trouvé refuge dans les bras de Garrett Reynolds, le riche héritier et grand séducteur qui habitait la porte à côté ; quant à Ryan, il n’avait pas cherché bien loin non plus : il s’était consolé avec Eliza, l’une des meilleures amies de Mara. Mais tout cela, c’était du passé. Garrett était oublié, et Eliza, pardonnée. Toutel’année,MaraétaitsouventalléeretrouverRyanàNewYorketdansleNewHampshire.Ryan, lui,avaitfiniparfairelevoyagejusqu’àSturbridge. Toutes ses craintes au sujet de ce qu’il allait penser – que sa maison était trop miteuse, ses parentstropbizarres,sessœurstropbruyantes–avaientétébalayéesdèsl’instantoùRyanétaitarrivé. Il avait sympathisé avec son père en parlant football, et avait repris trois fois du poulet frit de sa mère:unrecord!Meganluiavaitsoutirétoutessortesdedétailscroustillantssurlescélébritésnewyorkaises (« Ton pote a léché de la tequila dans le décolleté de Lindsay Lohan ? Non, tu plaisantes?»);MaureenavaitdéclaréqueRyanétaitunbeaunompourungarçon,toutencaressant sonventredefemmeenceinte.Iln’avaitfaitaucuneremarquesurlasalledebainsinachevéeoùun boutdetissuclouéàlafenêtretenaitlieuderideau,nisurlatempératurefrisquettedelamaison– quinze degrés en plein hiver – à laquelle se tenaient ses parents pour réduire les factures de chauffage. Cetété-cipromettaitd’êtrelemeilleurdetous:ellen’avaitplusbesoindegarderdesenfants, car elle avait trouvé un stage au magazine Hamptons grâce aux relations d’Anna Perry. C’était un postededébutantetypique:fairelecoursier,passerdesfax,répondreautéléphonepourlarédactrice enchef.Maisonpouvaitenespérerquelques(notezbienle«quelques»)petiteschancesd’écrire.«Il nousfautquelqu’unpourlégendertouteslesphotosdesoirées»,luiavaitditsafuturepatronne.Mara pressentait que cela demanderait plus d’aptitudes à distinguer l’une de l’autre les jet-setteuses identiquementblondesquederéellesqualitésrédactionnelles,maisaumoinsc’étaitunpremierpas danslemondedujournalisme. Celanepayaitpasautantquelejobdenounou–uncomble!–,etlesgossesetlesfillesallaient luimanquer.JacquiseraitladernièreàtravaillerencorepourlesPerry,puisqu’Elizaavaitautrechose de prévu, comme d’habitude. Mais le mieux, avec ce boulot, c’est qu’elle serait libre de vivre avec Ryanàbordduyachtdesonpère.Ilsallaientvivreensemble,commeunvraicouple.Ceseraitl’étéle plusromantiquedumonde! Mara soupira en rêvant qu’elle sillonnait la baie à la voile, Ryan à la barre tandis qu’elle se prélassaitenbronzantsurlepont.Touslesdeuxs’embrassantsurfonddesoleilcouchant. L’avionavançajusqu’àlapasserelleetMararallumasontéléphonequiémitimmédiatementla sonnerieindiquantunappeldeRyan:l’airdufilmHalloweendeJohnCarpenter.Doo-do-do-dodoodo-do-do... Ellesouritenouvrantd’ungesteletéléphone.Elleétaitsurlisted’attente?Labelleaffaire!Elle allaitquandmêmepassersontroisièmeétédanslesHamptonsaveclegarçonqu’elleaimait,etqui l’attendaitàl’aéroport. Etcela,personnenepourraitleluienlever. ÀSoHo,pourEliza,lamode c’estlaguerredestranchées –E-liii-zâ! –E-liii-zâââ! –Tum’écoutes? Hein?Quoi? Elizaclignadesyeux.Quelqu’unluiparlait.Plusprécisément,quelqu’unluiparlaitdehaut.Elle posa ses baguettes et essaya de masquer son agacement. Dîner en paix, c’était vraiment trop demander? Il était minuit et demi. Elle était au show-room depuis neuf heures du matin et n’avait qu’une envie:rentrerprendreunedouche.EllequiétaittoujoursparfuméeauCocoChanel,pourlapremière foisdesavieellecocottaitgrave!Elleserenifladiscrètementchaqueaisselleetplissalenez. –E-liii-zââ.Allôallô,laTerreparleàE-liii-zââ! Eliza se frotta les yeux et finit par faire le point sur la propriétaire de cette voix. Paige McGinley, aussi appelée Paige la Pénible. Sa soi-disant patronne. L’esclavagiste en chef du célèbre stylisteSydneyMinx,propriétairedushow-room,leroidescapricesdestar,l’hommeàcausedequi elleavaitdormiàpeineunedemi-heuredepuisdeuxjours. SydneyétaitunstylistedemodegayoriginaireduBronx.Audébutdesacarrière,ilavaitréussi, àforcedevigoureuxciragesdepompes,às’acoquineravecunebandedejet-setteursnew-yorkaisqui l’avaient aidé à lancer une ligne de sportswear chic, décontractés et néanmoins hors de prix. Ses collectionss’étaientparlasuiteétofféespourproposeraccessoires,parfum,objetsdedéco,bougies etlingedemaison.Quiconques’habillait,dînaitetrêvaitpouvaitêtresûrd’utiliseràunmomentouà unautreunarticleSydneyMinx. Ce cabotin allait ouvrir, dans deux jours, sa première boutique dans les Hamptons. Le bureau bourdonnait d’une activité frénétique pour préparer dans le moindre détail la grande soirée d’inauguration et son défilé de mode. Comme tout le monde à New York, Eliza avait été une fan absolue de Sydney à ses débuts : les pulls « clochard » en cachemire nid-d’abeilles d’un prix extravagant,lespantalonstuyau-de-poêlesexy,lessacsaulogoartistementtagué.Maiscesderniers temps, il dérapait. Les dernières collections avaient viré sans transition, d’une saison à l’autre, du lookbombesexuelleenfolieàl’austéritélaplusamidonnéeetcolletmonté:lamarques’efforçait laborieusementdes’adapteraupublicdeplusenpluscapricieuxdesacheteusesdehautecouture.Au boutd’uncertainnombredecollectionsratées,onrisquaitforcémentdetomberdanslesoubliettesde lamode.Aveccetteouverture,Sydneyjouaitgros. La tension était si forte que si jamais Sydney, éternel insatisfait, convoquait encore une fois l’équipe pour traiter d’imbéciles et d’incapables tous ses associés, assistants de production, mannequins et stagiaires, quelqu’un allait forcément éclater en sanglots. Déjà, l’une des modélistes avaitabandonnésamachineàcoudre,mortifiée,lorsqu’ilavaitqualifiéde«cameloteàdeuxballes», de«cauchemaroculaireinégalé»etd’«insulteaunomdelacouture»leprototypesurlequelelle travaillait. –Jepeuxfairequelquechose?demandaElizaavechumeurens’essuyantlaboucheavecune servietteenpapier. –Pourquoiest-cequetouslesT-shirtsnesontpasencorepliés?Jetel’aidéjàdit,ilfauttousles emballer pour que les coursiers les apportent aux boutiques demain matin, fit Paige d’un ton autoritaire. Cette fille de vingt-deux ans aux cheveux noirs et aux traits durs, fraîchement diplômée du FashionInstituteofTechnology,avaitrapidementgrimpéduposted’assistantepersonnelledeSydney àlapositiondedirectricedecréationdelamarque. Les T-shirts, décorés de la silhouette photoshoppée et nettement amincie du styliste, seraient glissés dans les sacs de cadeaux offerts aux invités VIP de la fête de lancement à East Hampton, et vendusaucommundesmortelssoixante-quinzedollarspiècedanslesboutiquesdetoutlepays. – Parce que je suis en train de passer tout le tissu à la bombe or comme Sydney l’a demandé pourlesmanteaux«Anna»,rétorquaElizaenrepoussantlesboîtesdenourriturechinoise. Elle montra à Paige les coupons qui devaient être cousus sur un trench militaire grâce auquel Sydney espérait attirer l’attention de la rédactrice en chef de Vogue. Il en restait encore la moitié à peindre. Elizas’essuyalesmainssurl’arrièredesonpantalondejoggingSoLowpuiscroisalesbras, sur la défensive. Emballer des T-shirts, non mais, c’était une tâche de grouillot ! Elle était Eliza Thompson ! Mentionnée une fois dans le magazine New York comme la fille la plus populaire du circuitdeslycéesprivés!Sielleavaitprisceboulot,c’étaituniquementparcequ’elleaimaitlamode etcroyaitqueceseraitleparadisdepasserl’étédansleshow-roomd’unstyliste. – Ces coupons ne sont pas encore finis ? dit Paige, atterrée. Sydney en avait besoin il y a des heures. Elizas’efforçadenepasavoirl’airtropcoupable.Elleavaitpristoutsontempspourpeindrele tissu, justement afin que personne ne lui demande de faire autre chose. Elle avait remarqué qu’en prenantunairsuffisammentoccupé,ellepouvaitéviterlescorvéeslesplussoûlantes. –Entoutcas,laissetomberpourlemoment.VaaiderVidalia,ellen’estpasfichued’enfilersa robecorrectementpourlefilage.Ensuite,ilmefautcesT-shirts. –D’accord,grognaEliza. –Etqu’est-cequec’estquecetteodeur? Elizasefigea,lesbrascollésaucorps. –Berk!Quiacommandéduchinois?s’écriaPaigeensoulevantlaboîtedebœufauxoignonsà moitiédévoréeparEliza. –Euh...toutlemonde?luirappelaEliza. Toutel’équipeavaitprisdelanourritureàemporter,vuquel’heuredudînerétaitpasséedepuis longtempsetqu’ilsétaienttousmortsdefaim.Elleétaitentraind’engloutirvoracementlesnouilles quandPaigeavaitinterrompusonrepas. –Ehbien,débarrasse-nousdeça.SiSydneysepointeetretrouvesesvêtementsparfumésfaçon Chinatown,ilvafaireunscandale. Elizaenfournaencorequelquesbouchéesduplatodorantavantd’allerlejeteravecregretdans levide-orduresdel’autrecôtéducouloir.Puisellerevintdansleloftdetroismillemètrescarrésde SydneyMinx.Ilsetrouvaitautroisièmeétaged’uneancienneusinedeSoHo.Lestylistel’avaitacheté danslesannéessoixante-dix,alorsquelebâtimentétaitencoreunsquatd’artistes.Sydneyavaitjuré qu’ilnequitteraitjamaislequartier,maislorsquelesaffairesavaientdécolléils’étaitviterepliésur uneadressehuppéedel’UpperEastSide,etleloftavaitététransforméenquartiergénéralpourses collections. Àpeineunesemaineplustôt,Elizaavaitbondidejoieenapprenantquesamèreavaitpersuadé SydneyMinxdelaprendreenstage.Elleavaitmêmeratésacérémoniederemisedediplômepour êtrelàcesoir.Aucuneimportance:aprèsunanpasséàSpence,àNewYork,etdeuxaulycéeHerbertHooverdeBuffalo,elleavaitfaitsadernièreannéed’étudessecondairesdansunepensionchicoù, même en séchant la plupart des cours, elle avait réussi comme une fleur dans les matières les plus difficiles.Enfilerunerobenoireetcoifferunchapeauencartonpourallerchercherunmorceaude papier?Etpuisquoiencore?Elleavaitdemandéaulycéedeleluienvoyerparlaposte.D’ailleurs, commechacunsait,lacoiffedecérémonieaplatitlescheveux. Les Thompson avaient retrouvé leur fortune, et pour Eliza, tout était pour le mieux dans le meilleurdesmondes.Lescandalequiavaitruinésesparentsetlesavaitprécipitésdansl’oubli(d’où lepassageparBuffalo)étaitdel’histoireancienne.Grâceàdesrelationsbienplacées,sonpèreavait investi pour une bouchée de pain dans des entrepôts abandonnés de l’ouest de Manhattan, qui n’avaientpastardéàdevenirlesvaleursimmobilièreslesplusrecherchéesdelaville.Etvoilà!Les affairesavaientreprispourlesThompson.EnrachetantleurpartdelacopropriétédeParkAvenueet enreprenantuneinscriptionauprestigieuxKnickerbockerClub,ilsavaientretrouvéleurréputation intacte,demêmequeleurscartesdecrédit. Touslesrêvesd’Elizasemblaientenfinseréaliser:elleavaitétéadmiseenavanceàPrinceton, l’universitédesesrêves–cequin’avaitjamaisvraimentfaitdedoute,avecsesnotesparfaitesetson statut de future héritière. Mais en plus, cet été, elle n’aurait ni à s’occuper des enfants Perry, ni à s’épuiser dans une boîte de nuit à servir des célébrités insupportables. Le stage chez Sydney Minx étaitlacerisesurlegâteau.Illuiapporteraitdescontactsdanslemilieu(ellenecrachaitjamaissurde bonnes remises pour rallonger son budget shopping, et elle avait entendu dire que les soldes de presseétaientincroyables!)etenplus,ceseraitunemanièreamusantedepasserletemps.Cen’était pasqueleboulotsoitagréableencemoment,maisilpourraitledevenir...siseulementonlalaissait faire quelque chose de plus intéressant que peindre du tissu, repasser des vêtements et garnir des cartons. Quoi qu’il en soit, dès demain elle serait dans les Hamptons avec Jeremy et ses amies. Mara devaitdéjàyêtre,etJacquin’allaitpastarderàarriverenavionaveclafamillePerry. Elles ne s’étaient pas vues toutes les trois depuis les vacances de printemps, où elles avaient réussi à se retrouver à Cabo San Lucas pour quelques journées gorgées de soleil. Elle bouillait d’impatience de leur décrire son nouveau job. Bien sûr, l’agrafage des programmes de défilés de moden’étantpasextraordinairementglamour,elleneraconteraitpeut-êtrepastoutdansledétail. Enpassantdevantunmiroirenpied,ellevérifiarapidementsonreflet.Horreur!Lemanquede sommeil lui avait accroché des valises sous les yeux, et sa chevelure blonde, habituellement splendide, lui retombait à plat sur les épaules. Ses yeux bleus étaient humides entre des paupières rougies.Pourtant,mêmedanslepireétat,elleparvenaitencoreàêtrelaplusjoliefilledelapièce. Elleavaitnouésonamplechemiseblancheautourdesatailleaulieudelaboutonner,cequilaissait entrevoir un ventre plat et bronzé au-dessus de son jogging baggy. Et les confortables claquettes qu’elle portait aux pieds arboraient tout de même un discret logo Chanel de chaque côté. Elle rassemblasescheveuxenunchignonlâchemaisélégant,qu’ellefixaàl’aided’unepairedebaguettes propres. Jeremyaimaitbienquandelleremontaitsescheveux,pensa-t-elleavecaffection.Ilétaitdéjàà Montauk et l’attendait avec impatience. En le voyant quelques semaines plus tôt, à sa remise de diplômeuniversitaireàBinghamton,elleavaitétésifièredelui!Jeremyétaitl’undesraresgarçons àrendresexycetteridiculecoiffeencarton,avecsesbouclesbrunesquidépassaientsouslebonnet. Unerelationàdistance,c’étaitdur,maisilsavaientréussiàlafairefonctionneretn’allaientpas tarderàfêterlepremieranniversairedeleurhistoire.Onn’auraitjamaisditquecelafaisaitdéjàun an:dèsqu’ilssetrouvaientensemble,c’étaitcommes’ilsvenaientdeserencontrer.Dufondducœur, ellesesentaitplusamoureusequejamais.Elleavaithâtedelerevoir.Detouslesgarçonsqu’elleavait connus,JeremyétaitleseulàvoirlavraieEliza,leseulàl’aimerparcequ’ellerecrachaitparfoisson laitparlenezenriant.Leseulavecquiellesesenteassezàl’aisepourlaissertombersonnumérode princesse-diva.Tantdetypesn’attendaientd’ellequ’uncomportementdemannequinparfait,dugenre «soisbelleettais-toi».Jeremy,lui,latrouvaitbellelorsqu’elleavaitunboutonaumenton. Ilsavaientprévudepasserlanuitensembledèsqu’ellearriveraitenville...etElizasavait,même si Jeremy l’ignorait encore, que pour la première fois cela voudrait dire vraiment passer la nuit ensemble;passepelotercommedesgamins,commeilsl’avaientfaitjusqu’àprésent.Auboutd’un anderelationsérieuse–aprèsunerupturel’hiverdeleurrencontre–,elleétaitprêteàfairedelui sonpremieramant.Ilétaitsonvéritableamour,etilattendaitdepuislongtempsqu’ellesesenteprête. Elle avait dix-huit ans : pour elle, c’était le moment. Elle inspira profondément et se regarda de nouveaudanslaglace. Sitoutsepassaitcommeprévu,demainsoirelleneseraitplusvierge.Ellesedemandaitsielle aurait quelque chose de changé. Plus vieille ? Plus mûre ? Plus expérimentée ? Est-ce que cela se verrait?Ellen’allaitpastarderàlesavoir. Dansl’UpperEastSide,Jacqui constatequefairesesvalises pourlesHamptonsn’arrange enrienlagueuledebois Lasonnetteretentitetcarillonnafortementdanslestudio,maisJacquiVelascon’yprêtaaucune attention.Ellesedépêchaitdejetervêtements,chaussuresetsacsdeplagedansdeuxvalisesouvertes aumilieudelachambre.Àpeineunedemi-heureplustôt,ellemontaitsurl’estradeaveclerestedesa promotiondel’académieSainte-Grâcepourrecevoirsondiplôme.Elleportaitencorelajolierobeà fleursBlumarineetlesescarpinsGucciàboutrondqu’elleavaitchoisispourl’occasion. Sagrand-mèreétaitdéjàpartiepourl’aéroportafind’attrapersonvolderetourpourSãoPaulo. Cela avait été un bonheur de voir son avó, rayonnante de fierté sous sa mantille en dentelle. Après tout,JacquiavaitétéreçueavecunbonB+demoyenneetunprixd’excellenceenespagnol(biensûr, parlercourammentleportugaisl’avaitaidée).Elleavaitfaitsesadieuxàsagrand-mèreàlaportede l’auditorium;puis,dèsqu’ellel’avaitpu,étaitrentréeàtoutevitesseemballersesaffairespourles Hamptons.LesPerryétaienttrèsàchevalsurleshorairesetn’enattendaientpasmoinsdesautres. Maispourquoi,pourquoiavait-ellerepoussésilongtempslemomentdefairesessacs?Jacqui continuaitàseledemander,mêmesielleneconnaissaitquetropbienlaréponse.Lafindesexamens! AulieudepasserdutempsàsepréparerpourlepèlerinageannueldesPerryàEastHampton,Jacqui avait choisi de faire la fête avec ses camarades. Les quarante-huit heures qui venaient de s’écouler avaientétéuntourbillon:soiréealcooliséeauMaritimeHotel,golfminiatureauxChelseaPiers,nuit passéedanslesCatskillsavecfeudecampetmarshmallowsgrillés.Entrelesfestivitésetlesmoments oùelledevaittrimballerlesenfantsPerrydel’écoleàleursactivitésdiverses,ellen’avaitpastrouvé uninstantpourremplirsesvalises. Son pauvre crâne souffrait d’une gueule de bois carabinée, conséquence de la fête imbibée de tequila de la veille. Elle ouvrait des tiroirs au hasard, choisissant et écartant des objets au petit bonheur.FoulardPucci.Oui.Cardiganencachemire.Non.(Tropchaud.)DjellabaDuroOlowu.Oui. Petithautsexy.Tropvul’andernier.Havaianas.Oui.Levi’sblanc.Absolument. Elle passa la main dans son épaisse chevelure noire. La crête hérissée qu’elle avait dû porter l’étéprécédentpourundéfilédemoden’étaitplusqu’unsouvenir.Lacoupepunkluiallaitbien,mais elleavaitbesoindeseslonguesbouclesbrunespoursesentirelle-même. SapremièreannéeàNewYorkavaitététoutsimplementmagique.LesPerryl’avaientinstallée dans le studio de leur précédente nounou. Jacqui avait eu le souffle coupé en découvrant ces vingt mètres carrés aménagés de manière charmante et confortable avec baies vitrées, jolie chambre en alcôve,unevraiecuisineetunecheminéeenétatdemarche.Situéàunpâtédemaisonsdechezles Perry, l’appartement était assez près pour que Jacqui y aille facilement garder les enfants, mais suffisammentéloignépourqu’elleaitsonintimité. Jacquis’étaitinscriteendernièreannéedelycéeàSainte-Grâce,unepetiteécolecatholiquede filles du West Side, qui l’avait acceptée alors que Stuyvesant, l’une des écoles publiques les plus cotées du pays, avait rejeté sa candidature. Les Perry lui payaient ses frais de scolarité, et ses camarades de classe avaient rapidement idolâtré cette éclatante beauté brésilienne parachutée parmi elles. Jacqui avait travaillé dur toute l’année, ce qui ne l’avait pas empêchée de se faire beaucoup d’amies.Carelleétaitlaseuledel’écoleàavoirsonpropreappartement,etelleavaitdonnédesfêtes sanscompter. Elletrouvaunebouteilledebièrevidesoussonlitetlafourradanslapoubelle. La sonnette tintinnabula de nouveau, et cette fois Jacqui entendit distinctement Anna et Kevin Perrysedisputerderrièrelaporte. –Jeteparle!Nerépondspasautéléphonequandjeteparle! –Anna,c’estpourletravail.C’estimportant.Uneminute,d’accord? –Tunem’écoutesjamais.Tufaistoujourspasserletravailavant! –Chérie,s’ilteplaît,tais-toi.Ilfautquejeprennecetappel. –Oh,vas-y,tiens!Oùest-elle?Jacqui!Jacqui! –J’arrive,criaJacquiencourantouvrirlaporte. Anna Perry, véritable apparition tout de blanc vêtue, en tenue de tennis Chanel, tapotait avec impatiencedesafrench-manucuresurlechambranledelaporte. –Lalimousineestlà.Nousdevonsêtreàl’héliportdela34eRueenvitesse,sinonnousallons loupernotrecréneaudedécollage,ordonna-t-ellesansménagement. KevinPerry,l’airtenduetchiffonnédanssoncostumedelainagegris,adressaàJacquiunbref signedumentontoutenportantsontéléphoneàl’oreille. –Oui,oui,désolée...uninstant... Jacqui hocha la tête et referma la porte au nez d’Anna. Les Perry payaient peut-être cet appartement,maisc’étaitquandmêmechezelle.Enoutre,ilfallaitabsolumentqu’ellecachelefûtde bièrequitraînaitaumilieudusalon. Marainfiltrelajeunessedorée Maratraversal’aéroportàgrandesenjambéesrésoluesetpritunraccourciconnudepeudegens pourrejoindrelazonederetraitdesbagages.Elleétaittellementconcentréequ’elleneremarquapas lesnombreuxregardsadmiratifsquilapoursuivaient.AvecsonT-shirtblancMichaelStarsmoulant, sonpantacourtLillyPulitzervertetroseetsessandalescompenséesToryBurchpourTRB–achetés toutrécemmentgrâceauchèquedefélicitationsdesesgrands-parents–,elleétaitlaclassemême.Son épaissechevelurenoisette,expertementcoloréeetcoiffée,luitombaitcoquinementjusteendessous desépaules,etelleétaitbronzéegrâceàunweek-endpasséàBlockIslandpourfêtersondiplôme. Ellerécupérasesvalises,lesempilasurunchariotetfranchitlesportescoulissantesenverreà larecherchedeRyan.ElleletrouvaappuyéàuneFerrariEnzorougesurbaissée,garéeillégalement lelongdutrottoir. Ilcourutàsarencontreàgrandesfouléesbondissantes. –Salutbeauté!dit-ilensaisissantunehousseàvêtementssurledessusduchariot. – Salut toi-même, répondit Mara dont le cœur rata une marche... ce qui arrivait à chaque fois qu’ellevoyaitsonbeauvisage. Elleluisouritpar-dessuslesvalisesCoachassortiesencuirsouple,uncadeaudefind’étudesde sa sœur Megan. Cette dernière avait quitté son salon de coiffure pour un job de représentante de commerce,quiluioffraitdesremisesexceptionnelles. LescheveuxdeRyanavaientpoussé,ilavaitunecouped’étudiantébouriffé,maisàpartcelail n’avait pas changé : même bronzage cuivré, même look légèrement débraillé – un T-shirt AbovegroundRecordssurunjeantrouéRoley,seséternellesclaquettesencaoutchouc,etdesRayBan aviateur vintage remontées sur la tête. Mara laissa le chariot sur le trottoir pour le rejoindre, passantunbrasautourdesataillependantqu’ilfourraitlahoussedanslecoffre. –Unenouvellecaisse?demanda-t-elleenadmirantlavoituredesportitalienne. – Ouais. (Il haussa les épaules comme pour s’excuser.) C’est mon père. Je crois que c’est un cadeauderattrapage.Ilaoubliémonanniversairecetteannée. ChezMara,danscegenredecirconstances,onconfectionnaitplutôtdesbrowniesmaisoneton offraituneviréeaucentrecommercial,paschezleconcessionnaireFerrari. –Ettonanciennevoiture? –SugarlapromèneàL.A. Mararemercialesdieux,quelsqu’ilsfussent,quiavaientdécidéquelesjumelles,lesinfernales sœurs de Ryan âgées de dix-huit ans, seraient absentes des Hamptons cette année. Sugar et Poppy étaient«montéesàHollywood»,ettoutesdeuxécumaientlescastingsdefilms.Pourl’instant,elles totalisaientàellesdeuxunfilmd’horreursortiuniquementenvidéo,maiselless’étaientdébrouillées pourêtreprésentesàtouteslesavant-premièresdegala.Sugarenregistraitunalbum(MeltedSugar), tandisquePoppyétendaitsonempired’unelignedeparfums–«Sniffers»byPoppyPerry–auxsacs à main (« Stuffers ») et aux parfums d’ambiance (« Stinkers »). Elles étaient connues pour leurs apparitions publiques généralement alcoolisées et dénudées et, cela va sans dire, elles étaient la nouvellecoqueluched’Hollywood. Marasecoualatêteausouvenirdesexploitsdesjumelles;elleleuravaitpresquepardonnéleur rôledanssesdéboiresdel’annéeprécédente.Presque,maispastoutàfait. – Tu m’as manqué, dit Ryan en se penchant pour l’embrasser. Ses lèvres se pressèrent contre celles de Mara qui ferma les yeux et entrouvrit la bouche. Elle le sentit se coller à son corps et resserrasonétreinte.Bientôt,ilssepelotaientcarrémentdevantl’aérogare.Ryanenfouitsonvisage dans le cou de Mara qui respira son parfum familier : savon Ivory, eau de mer et crème solaire. Miam. Plusieurs automobilistes klaxonnèrent avec impatience, car la voiture de Ryan bloquait la circulation.Ilssedécollèrentàregret. –Mmm,fitRyanenluipressantlesépaules,jecroisqu’onferaitmieuxd’yaller. –Tucrois?rétorquaMaraenclignantdel’œil,encoretoutheureuseetétourdiedesonbaiserde bienvenue. Ryanhaussaunsourcilenobservantlesbagages. –Jenesuispassûrquetoutrentredanslecoffre. Ilsecoualatête. –J’enaiprisunpeubeaucoup. – C’est ce que je vois. (Il hocha la tête en essayant de faire entrer une valise particulièrement énormedanslepetitcoffredelaFerrari.)Sij’avaissu,j’auraisprislaRover. –Désolée,fitMarad’unairpenaud. Ryanjuraenplaisantantàmoitiélorsquelesroulettesdelavalisesecoincèrentdanslemontant delaportière.Marareculapournepaslegêner. – Qu’est-ce que c’est, SGH ? demanda-t-elle en remarquant un petit autocollant ovale sur la gauchedupare-chocsdeladécapotable. – Sag Harbor, là où nous allons passer l’été, expliqua Ryan en rougissant un peu. Anna en a acheté pour toutes les voitures. Les leurs sont marqués « EH », East Hampton. Je n’ai pas pu l’empêcherd’encollerunsurlamienne.C’estunpeuringard,jesais. Maraeutunsourirenarquois.Unautocollantproclamantleurdestinationpourl’été,c’étaitAnna Perrytoutecrachée:labelle-mèredeRyan,obsédéeparlestatutsocial,nelaissaitjamaispasserune occasiondefaireétalagedeleurfortune.Ryanfinitparréussiràcaserleplusgrosdesbagagesdans lecoffreetempilalerestesurleminusculesiègearrièredelavoituredesport.Maraposasonsacà mainMulberrytoutneufsursesgenouxetcalalecabasassortisoussespieds.Elleétaitunpeugênée d’avoir emporté tant d’affaires ; mais en tant que stagiaire pour le magazine le plus en vue des Hamptons,elleétaitbiendécidéeàavoirtouslesattributsdelajournalisteglamour,neserait-ceque pourcourirchezStarbuckschercherdescafés.ElleconnaissaitlesHamptonsdepuisassezlongtemps pouravoirparfaitementintégrél’adage:«L’habitfaitbienlemoine». Ryan se glissa sur le siège conducteur et la Ferrari démarra en rugissant. Comme son beau fiancédoublaittouteslesvoituresenunéclairsurl’autoroute,levisagedeMaras’illumina. Quiconquel’auraitvueainsiauraitcruqu’elleavaittoujoursétéunemoitiéégaledececouple doré, qu’elle avait toujours baigné dans le genre de vie dont la plupart des gens ne font que rêver, qu’elle était née belle, riche, bénie des dieux et pleine de confiance en elle. Pourtant, ceux qui pensaientcelaétaientàmillelieuesdelavérité. Elizapimenteunpeu lacollection –Eh,Vidalia!appelaEliza.(Ellesedirigeaversuntopmodeld’unmètrequatre-vingtsmince commeunfil,emberlificotéedansunepièceoriginaledeSydneyMinx.)Paigem’aditquetuavais besoind’aide? –Jen’yarrivepasaveccetruc,seplaignitlemannequinavecl’accentnasillarddeCincinnati,sa villenatale. Eliza se demanda si Vidalia (tout court) avait pris un pseudonyme dans le but de donner une image plus exotique d’elle-même ; ce faisant, elle s’était involontairement attribué le nom d’un oignoncommun. –Voyonsvoir,jecroisquec’estl’emmanchurequetuassurlatêteetqueça,çavalà;cecise boutonnedececôté,etcemorceaupendlibrement,ditElizaenaidantVidaliaàsedébarrasserdela robeavantdelafaireglissersursesépaulesetdeboutonneradroitementdespressions. Enfin, elle tira sur la mousseline savamment déchiquetée jusqu’à ce qu’elle soit bien en place. VidaliaetElizacontemplèrentl’imagerenvoyéeparlemiroir. –C’esttout?demandalemannequind’unairdubitatif. Elisahochalatête,maisellecomprenaitsaperplexité.Larobeàelleseuledevaitêtrelecloudu spectacle,pourtantelleétaitunpeuordinaire.Ilmanquaitquelquechose... Elizarepéraplusieurschaînesenor–desceintures–surunetabledecoupe. –Tiens,dit-elleendisposantleschaînesautourducoudelafille.Metsça. Elizaempilachaîneenorsurchaîneenor.PuiselletroqualessandalesdeVidaliacontreune pairedecuissardesencrocodilemarron.C’étaitcenséêtreunecollectionprintemps/été,maistoutle mondeallaitvouloirdesbottescetété:desbottesdecow-boy,desbottesdemotard,pourquoipasdes cuissardes en croco ? Les sandales, c’était fini. Prise d’une bouffée d’inspiration, Eliza passa les bordsdelarobeàlabombedoréepourcompléterl’ensembleavecpanache. Lemannequinsesouritdanslaglace.C’étaitsexy,mignonethautdegammeenmêmetemps,le parfaitdosageentreimpertinenceetsuperluxe. –C’estmieux,non?interrogeaEliza. –Perfecto,acquiescaVidaliaquisoudainn’avaitplusrienàenvieràunehéritièreeuropéenne. Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre, euphorisées par la poussée d’adrénaline qui accompagneuntravailbienfait,unetenuebienpensée. Maislorsquel’exaltationretomba,Elizafutsaisieparl’angoisse.Elleavaitprisdegrosrisques enaccessoirisantlarobeetenremplaçantlessandalespardesbottes.Seuleslesstylistesenchef–les vieilles routardes de la 7e Avenue, rompues aux magazines et aux défilés de mode sous leurs ceinturestresséesMarni–étaientcenséesarrangerlesvêtementsenvuedeleurprésentation.Quelle seraitlaréactiondeSydneylorsqu’ilverraitcommentVidaliaportaitlarobe?Ilrisquaitdedétester. Ilsepourraitqu’ilrenvoieElizaavecpertesetfracas.Elleavaitdéjàvuarriverdeschosespareilles: l’étéprécédent,ellesetrouvaitdanslescoulissesd’undéfilélorsqu’unstylisteavaitjetéunecoupede champagne à une maquilleuse qui avait eu l’outrecuidance de prêter ses lunettes masque à un mannequin pour le show. Les lunettes n’étaient pas sur la liste pour cette tenue. Le styliste les avait arrachéesdelatêtedumodèleavecunetelleviolencequ’ilavaitfaitsautersonpostiche.Elleavaitdû défilerchauvecommeunnouveau-né. Elizasemitàpaniquer. – Tu sais quoi, Vidalia, si on retirait ces chaînes ? suggéra-t-elle. Sydney ne va peut-être pas apprécier. MaisVidaliasecontentaderepousserlamaind’Eliza. –T’inquiète,c’estgénial. Detoutemanière,ilétaittroptardpuisqu’onappelaittouslesmannequinspourundernierfilage. Eliza inspira profondément et regagna le milieu de la pièce, en espérant que son premier jour au studiodeSydneyneseraitpasledernier. Jacquigardeuneenfant detrente-troisans Derrière la porte fermée, Jacqui entendait Anna et Kevin continuer à se quereller. Il était questiondesonincapacitéàluiàécoutersafemme,etdesonincapacitéàelleàlelaisserfaireson travail.Sonretardleurservaitsimplementd’excusepoursecrierdessus,cequ’ilsfaisaientbientrop souventcesdernierstemps.Jacquisavaitqu’unepartieduproblèmevenaitdel’angoissegrandissante d’Anna à l’idée de vieillir : elle avait failli buter son visagiste lorsqu’il avait remarqué quelques mèchesgrisonnantesàsondernierrendez-vous. Jacquinecomprenaitpascommentdeuxpersonnespouvaientsefairetournerenbourriqueàce point.AnnareprenaitKevinsurtout,qu’ils’agissedesatenueàtableoudesondrivedegolf.Deson côté,KevinsedisputaitavecAnnaausujetdesrelevésdecartesbancairesoudutravaildelafemme dechambre.Annaavaitunefâcheusetendanceàluijeteràlatêtelesobjetsquiluitombaientsousla main, si bien que, dans le feu de l’action, plusieurs de ses précieuses statuettes d’animaux Lladro avaientdéjàétéréduitesenmiettes. Lasemaineprécédente,avantundînerqu’ilsdonnaientchezeux,Kevinavait,dansunaccèsde colère,brisélabrosseàcheveuxMasonPearsond’Anna. –Unebrosseàsixcentsdollars!avaithurlécettedernière,àl’agonie. Enreprésailles,elles’étaitbattueavecsonmarietluiavaittirél’oreillesifortquelecartilage s’étaitbrisé.Kevin,fouderage,l’avaitaccuséedemauvaistraitementsetavaitmenacéd’appelerles urgences.Ilsnes’étaientcalmésqu’avecl’arrivéedeleursinvitésquisedemandaientpourquoiKevin avaitlatêtebandée. Jacquiavaitviteapprisàéloignerlesenfantsdecesscènesdetroisièmeguerremondiale.D’un tempéramentégaletd’unnatureljoyeux,elleaimaitqueleschosessepassentbien.Mêmesarupture avecKitAshleighavaitétédespluscordiales. Ils étaient sortis ensemble peu après l’arrivée de Jacqui à New York. Les débuts avaient été merveilleux,maisilétaitrapidementdevenuévidentqu’ilsn’étaientpasfaitspourêtreencouple:Kit s’énervait dès qu’un autre garçon osait ne serait-ce que poser les yeux sur Jacqui (ce qui était fréquent),etJacquisefatiguaitdedevoirl’assurerdesonamourvingt-quatreheuressurvingt-quatre. LacoupeavaitdébordéunsoiroùKitavaitrefusédel’emmenerdanslanouvelleboîtequ’illançait, depeurqu’ellerencontred’autreshommes.L’unedeschosesquiavaientattiréJacquichezKitétait qu’ilsavaittoujourss’amuser.Pourtant,curieusement,lefaitqu’ilssoientensemblenefaisaitquele stresser.Elleétaitsûrequ’ilavaitpresqueétésoulagélorsqu’ellel’avaitquitté,commes’ils’yétait attendu.Toutefois,elleétaitheureusequ’ilsaientréussiàseséparerbonsamis. AprèsKit,elleavaitfréquentéquelquesgarçons,maisrienderemarquable,personnedontlavue lui fasse perdre le souffle et picoter la peau. Cependant, Jacqui était une grande optimiste. Elle se tiendraitouverteàl’amour,etseraitàl’écoutelorsqu’ilviendraitfrapperàsaporte.Aprèstout,elle avaitletempsd’attendre. Demêmequ’elleavaitletempsd’attendresonadmissionàlaNYU,l’universitédeNewYork. On lui avait expliqué par e-mail que la décision tenait à un minuscule, un lancinant petit détail. Un problèmed’équivalenceavecsonlycéeauBrésil.Uneembrouilleadministrative.Unefoisquecela seraitréglé,enmoinsdetempsqu’ilnefautpourledireelleprendraitsesnotesentreunbébétop modeletunejumelleOlsenesseulée. RiennepouvaitvraimentatteindreJacqui.Aprèstout,quandonmesureunmètresoixante-seize, qu’onestbâtiecommeGiseleBündchenetqu’onaunsourirepluséblouissantquelesoleil,àquoi bon se faire du mouron ? En plus, elle s’apprêtait à passer un nouvel été dans les Hamptons – retrouverMaraetEliza!–etiln’yavaitplusaucunexamenpourl’empoisonneretl’empêcherde faireunenoubadutonnerre.Çaallaitdéménager!Elleméritaitbiendes’éclaterunpeu,aprèstoutle durtravaildecetteannée. Jacquiseremitàemballersesaffaires,posaundernierregardsurleplacard–robesdeplage? espadrilles?strings?OK,OK,OK–etbouclasesdeuxvalises.Ellelestraînajusqu’àlaporte,où Annaétaitseuleàl’attendre. –OùestKevin?demandaJacqui. Aucoursdel’année,sarelationavecsonemployeuse,femmeréputéepoursonexigence,était devenue presque fraternelle. Anna n’était pas si terrifiante ni folle que cela une fois qu’on la connaissait mieux. Elles étaient devenues tellement amies qu’Anna avait même commencé à se confieràJacqui. –Ilnevientpas.Ilestpartiàuneréunion.Ilyaungaladecharitéenfaveurdespersonnesâgées cesoiràEastHampton,ehbienmevoilàsanscavalier.Ah,leshommes! JacquisuivitAnnadansl’ascenseur. –C’étaitsansdouteimportant. –Qu’est-cequipeutêtreplusimportantquedepasserdutempsavecsafamille?Jetejure,unde cesjoursjevaisappelerRaoulFelder,tupeuxmecroire!(Ellefaisaitallusionàuncélèbreavocatdu divorce, qui réglait la désintégration des mariages les plus huppés.) Peut-être qu’au moins, comme ça,ilferaattentionàmoi!C’estàpeines’ilmeregardeencore. –Chut,ilnefautpasdireça,fitJacquiensesignant. Elle était superstitieuse et n’aimait pas que l’on tente le mauvais sort. Autant qu’elle puisse en juger,laséparationseraitlapiredeschosespoursortirAnnaduchaosquiembrouillaitsavie.C’était le problème, de nos jours : on considérait que tout était jetable, qu’il s’agisse de vêtements, de téléphones portables ou de relations. Jacqui, elle, savait que le jour où elle tomberait amoureuse, vraimentamoureuse,ceseraitpourtoujours.Sielleavaitlechoix,iln’yauraitpasdedivorcedanssa vie.Sesgrands-parentsétaientrestéscinquante-cinqansensemble,jusqu’àlamortdesonpapi,etses parentsavaientdéjàaffrontévingtannéesdeviecommune. –Etpourquoinepasledire?C’estvrai,ilmeconsidèrecommeunmeuble!Sijedivorce,il réaliseraenfintoutcequejefaisdanscettemaison,boudaAnna. ElleavaitracontéàJacquiqu’audébutdeleurliaison,Kevinnepouvaitpassedécollerd’elle; ilsprenaientvolontiersdesjetsprivéspourlaBarbadeoupourCaprisuruncoupdetête.Hélas,des annéesdemariageetderoutinedomestiqueavaienteuraisondesplaisirsdecegenre. IlarrivaitàJacquidetrouverZoé,huitans,plusmaturequ’Anna.Ellenel’avaitpascompristout de suite, mais elle se rendait compte à présent que son boulot de fille au pair consistait aussi à s’occuperd’Anna.Commesielleavaitentendusespensées,cettedernièreposalatêtesursonépaule. –Sansvous,ilseraitcomplètementperdu,luiassuraJacquid’unevoixapaisanteensortantde l’immeublepourrejoindreavecellelalimousinenoireextra-longuegaréedevantleporche. –Vadoncleluidire,fitAnnaavecamertume.(Ellesecoualatête.)Enfinbref,ettaremisede diplôme?Ças’estbienpassé? C’était gentil à elle de s’en souvenir. Jacqui grimpa dans la limousine et lui raconta un peu la cérémonie.SapromotionavaitréussiàobtenirquelascénaristeetcomédienneTinaFeyprononcele discours, grâce à la fille de sa bonne, qui fréquentait l’école. Ce n’était pas leur premier choix : HillaryClintonétaitauprogramme.Maislasénatriceavaitannuléauderniermomentenraisond’un problèmed’emploidutemps.AinsiallaitlavieàNewYork... La voiture démarra et commença à traverser la ville en direction de l’héliport ; elle prenait à gauchedansParkAvenuelorsqueJacquis’aperçutqu’elleavaitoubliél’articleleplusindispensableà sonétédanslesHamptons. SonbikiniRosaChápréféré,celuiquiétaitbordédecoquillages.AuBrésil,elleavaitmontréà sesamieslesmaillotsquelesAméricainesconsidéraientcommesexy.Toutess’étaientesclafféesen voyantlatailledesculottes.Ellesétaientgigantesquescomparéesauxpetitstangasquel’onportaitlàbas. Si seulement elle avait pensé à le prendre ! Eh bien, tant pis. Puisque c’était ainsi, elle s’amuseraitbienàentrouverunautre,quitteàle«brésilianiser»unpeupoursesentirvraimentellemême. Quelquepart,ChrisMartin chanteàcœurjoie Lorsqu’ils arrivèrent au yacht-club de Sag Harbor, de petites lumières blanches éclairaient les voilesimmaculéescontreuncieldéjàsombre.LeyachtdedouzemètresdesPerryétaitamarréàun emplacementdechoix:c’étaitlepremierduquai,leplusprèsdeseauxlibres.Ryansegaraàcôtédes autresvoituresrangéesenfacedunaviredeleurpropriétaire. –Votrechâteau,milady. Il plaisantait, mais ce n’était pas si éloigné de la vérité. Le voilier aux lignes pures était un Catalinabimoteurdotéd’uncockpitspacieuxetélégant,debannettesd’invitésdisposéesenV,trois sallesdebains,cuisine,salon,etlatélésatellite. –Onpeutydormiràdix,jepensequeçadevraitsuffirepournousdeux. Mara en eut le souffle coupé. Le bateau était encore plus grand et plus beau que dans son souveniravecsespontsdeteckpolisàlamain,sesfinitionsélégantesenfibredeverre,etsonnom– LaNégligence,ensouvenirdesprocèspourfauteprofessionnellequiavaientpayéleyacht–peintà lafeuilledeplatinesurl’étrave.Troisfanionstriangulairesflottaientausommetdumât:labannière étoilée,lelogoduyacht-clubetleblasonfamilialdesPerry.Maragagnaleboutduquai,retira ses chaussuresets’engageaavecprécaution,piedsnus,surlepontdubateau.Là,elledécouvrituneallée depétalesderosesquimenaitauxcabinesdubas. –Qu’est-cequec’est?s’étonna-t-elleavecunregardinterrogateur. Ryanlasuivitdansl’escalier,àmoitiéensevelisouslesbagages. –Tuverras. Enbas,ellecontinuaàsuivrelapistedespétalesquimenaitaupontavant.Là,unetableentourée dedeuxchaisesétaitdresséepourledîner. –Oh!fitMaraenjoignantlesmains. SurlanappeblancheamidonnéesetrouvaientdeuxcouvertsdeporcelaineRoyalCopenhagenà motifsdetoiledeJouy.Aumilieu,sousdesclochesd’argent,leurdînerlesattendaitsurunchauffeplat.Deseffluvesdepouletrôti,delégumesauxherbesetd’autresmetssucculentss’élevaientdela table.Unseauàchampagneenargent,àcôtédubastingage,gardaitaufraisunebouteilledeVeuve Clicquot. Ryanlâchalesbagagesparterreets’approchadeMaradanssondos.L’entourantdesesbras,il luichuchotaàl’oreille: –Bienvenueàlamaison. Marasentitsesyeuxseremplirdelarmes.C’étaitlachoselaplusromantiquequ’elleeûtjamais vue–sansêtreringardniconvenucommeunépisodeduBachelor.C’étaitpourdevrai.Ettoutcela, c’étaitpourelle. Unmaîtred’hôtelenvestedesmokingblanchesortitdel’ombreets’inclina. –Toutestàvotregoût,monsieurPerry?demanda-t-ilavecunepointed’accentfrançais. –Oui,merci,Georges,acquiescaRyan.Nousdébarrasseronsnous-mêmes.Nenousattendezpas. Passezunebonnesoirée. –Trèsbien,monsieur,ditleFrançaisendisparaissantdanslanuit. –J’aiobtenuqueJean-Lucprépareledîner.Normalementilsnecuisinentpasàdomicileetne fontpasdelivraisons,maislepropriétaireestungrandamidemonpère,expliqua-t-il.Allezviens, onvas’asseoir. IltiralachaisedeMara.Elles’assit,encoreémerveilléepartoutcespectacle.Lanuitétaitdouce etparfumée,unebrisefraîchesoufflaitdanssescheveux,etelleserappelacombienelleaimaitles Hamptons. Ils soulevèrent les cloches d’argent avec impatience. Les quatre heures de voiture leur avaient ouvertl’appétit. –DesnouvellesdeDartmouth?demandaRyanentredeuxbouchées. Dartmouth.Merde.Marasecoualatête.L’espaced’uninstant,lamagieseternit.Cettehistoirede listed’attenteétaitleseulobstaclequiempêchaitencoresavied’êtreparfaite,absolumentparfaite. –Malheureusementnon. –Ilsvontteprendre.Ilsnepeuventpasnepasteprendre,affirmaRyanenattaquantsonpoulet. Ilcroyaitavecunoptimismeindéfectiblequetoutallaits’arrangerpourlemieux. –J’espèrebien,soupira-t-elle.Detoutemanière,jenepeuxrienfairedeplus. –Tusais,jepourraistoujourssuggéreràmonpère...ditRyanentendantlamainpourprendre celledeMara.Ilconnaîttrèsbienleprésidentdel’université. Mara secoua la tête. C’était gentil de le proposer, mais l’idée de demander à son père de la pistonnerlagênait.D’unepart,elletrouvaitcettepratiqueinjuste,ellequiculpabilisaitdéjàd’avoir obtenusifacilementlejobaumagazineHamptons.D’autrepart,ellevoulaitméritersonadmission parelle-même. Ilspoursuivirentleurrepaset,aprèsledessert,Ryansortitdesouslatableuneboîtequ’ilpoussa versMara.Decouleurbleupâle,elleétaitentouréed’unrubanblancbienconnu.LecœurdeMara bonditdanssapoitrine,maislaboîteétaittropgrandepourcontenirunbijou. –Qu’est-cequec’est? Ryanhaussalesépaules,feignantl’innocence,maissesyeuxpétillaient. Maratirasurlerubanetouvritlaboîte.Nichéesdanslepapierdesoie,elledécouvritdescartes devisite.Aucentredechacuneétaitgravéunminusculevoilier.Endessous,onpouvaitlire:Mara Waters,SagHarbor. Sanouvelleadresse.SurdupapierTiffany,riendemoins. –Ryan,ilnefallaitpas...souffla-t-elle,lesyeuxbrillants. –Oh,c’estrien.Jemesuisditqueçateplairaitpourtonnouveauboulot,tusais?Ilmesemble quelesgensdesmagazinesadorentcegenredechoses. –Lesgensdesmagazines,murmuraMaraencaressanttendrementlebristol.Queveux-tudire? –Tusais,lesfillesdepapierglacé... Sonvisages’illumina.Elleétaitune«filledepapierglacé». Ryanselevaetsortitlabouteilleduseauàchampagne,laissanttomberdegrossesgouttesd’eau sur le pont. Il prit une serviette, l’enroula autour du goulot, et fit sauter le bouchon. De délicates vapeursfraîchess’échappèrentensifflant.Ilremplitprestementdeuxflûtesdevinpétillantetluien tenditune. –Ànotreété,proposa-t-il. –Ànous,approuvaMaraenfaisanttintersonverrecontrelesien. Ilsburentensilenceàpetitesgorgéesetlongèrentlebastingagejusqu’auboutdunavire.Mara s’aperçutqu’ellenepouvaitpass’arrêterdesourire. Lorsquelechampagnefutterminé,ilpritsonverreetleposasurlatableàcôtédusien.Etd’un gestefluide,illasoulevadanssesbras. Elleenfouitlatêtedanssoncou.Ilsn’avaientpasbesoindeseparler;toutcequ’ilsavaientàse dire, ils l’exprimaient par les battements de leurs cœurs tout proches. Elle se sentait si légère, si aérienne, féminine et aimée dans ses bras forts tandis qu’il descendait le long du bateau pour rejoindrelacabineprincipale... –Oups!lâcha-t-ilenglissantsurdespétalesderoses,maisilrepritsonéquilibreetluifitpasser leseuildanssesbras. EnvoyezColdplay,pensaMara.Ceciestladéfinitionmêmedumotromantique. Ryan ouvrit la porte et déposa doucement Mara sur le vaste lit. Elle le regarda avec désir et l’aidaàenleversonT-shirttandisqu’ilsoulevaitsonchemisier. Ilss’embrassaientdenouveau,lalanguedeRyanprofondémentenfouiedanssabouche,lorsque soudainilsentendirentunesonneriestridenteetlancinante. –Qu’est-cequec’estquecetruc?s’inquiétaRyanenjetantdesregardsdanstouslescoinsdela pièce. – Aucune idée, dit Mara en se redressant sur les coudes. Elle n’avait plus que son string Cosabella,etRyan,soncaleçon. Ellerepérauneboîteencartonblanc,violetetorangequivibraitdansuncoin. –Jecroisqueçavientdelà. Ryans’extirpadulitpourallerprendrelaboîte.Illasouleva.C’étaitunpaquetFedEx.Ilexamina l’adressesurl’étiquette. –C’estpourtoi,dit-ild’unevoixneutre. C’estbiençaqu’onappelle lechicdughetto? Lebrouhahadustudiofutinterrompuparun«chhhhut»craintifsuivideséclatsdevoixd’un hommeentraindepester. SydneyMinxétaitarrivépourledernierfilage. Le styliste, un bonhomme court sur pattes arborant une longue queue-de-cheval blanche, ne sortaitjamaissanssesénormeslunettesd’unnoirimpénétrable.Ilressemblaitàuneversionréduiteet dodue de Karl Lagerfeld. D’ailleurs, l’imitation ne s’arrêtait pas là : il agitait furieusement un petit éventailjaponais. Touslesmannequinss’étaientalignéspouruneultimerépétitionavantledéfilédulendemainà laboutiquedesHamptons. –Qu’est-cequec’estqueça?Qu’est-cequec’est 1?C’esthorrible.Horriiiiible!s’exclama-t-il enaffectantunaccentfrançaisridicule,ledoigtpointésurunmannequinvêtud’unetuniquebordéede plumesd’autrucheetdupantalondesoieassorti.Cettetenuecoûtetroismilledollarsenboutique,et on dirait un chiffon de supermarché à vingt-neuf dollars quatre-vingt dix-neuf ! Et ça ! Quelqu’un peutmedireàquoic’estcenséressembler?brailla-t-ilendonnantuncoupd’éventailsurlederrière d’unefille.Elleportaitunblousondemotoultracourtencotonpar-dessusunerobeléopard.C’estdu DonatellaVersaceenpleinsuicide!Cen’estpasdutoutduSydneyMinx!Cen’estpasmavision! Paige!Paige! Elizasourit.Pourunefois,lafureurdeSydneyfaisaitplaisiràvoir.Ensaprésence,Paigeétait réduite à une carpette larmoyante : on aurait dit cette mauviette de Simthers pleurnichant face à l’apocalyptiqueMrBurnsdansLesSimpson. –C’estlelookAspencôteEst?hasarda-t-ellefaiblementenréférenceàla«vision»deSydney pour sa collection, qui devait mêler la coquetterie sans façons des stations de ski et la hauteur aristocratiquedesestivantsdesHamptons. –Cen’estcertainementpasAspencôteEst!CeseraitplutôtghettocôteOuest! Les mannequins se recroquevillèrent, les couturières froncèrent les sourcils, et l’une des assistantessemitàretireravecuneragefébrilelarobedelafillequisetrouvaitàcôtéd’elle.Retour àlaplancheàdessin. –Vous!criasoudainSydney,lesyeuxfixéssurVidalia.Parici. Vidaliaavançaenhésitantverslecentredelapièce,devantSydney.Lesnombreuseschaînesen orcliquetaientdoucementsursapeau. –Tournez-vous!ordonna-t-il. Elles’exécutaenquelquespas. –Paige!C’estvousquiavezfaitça?Cen’estpascommeçaquelarobedevaitêtreprésentée! Sonéventailétaitenproieàunefolleagitation.Paigesecouacatégoriquementlatête. –J’aidemandéàunestagiairedel’habiller,pasderefairelestylisme!aboya-t-elle. Eliza pâlit. Ça y était. Elle savait qu’elle avait totalement passé les bornes : son job consistait justeàaiderlesfillesaveclesfermeturesÉclair,certainementpasàfaireunechoseaussiimportante qu’accessoiriserlesrobes. Sydneyparcourutattentivementlasalledesyeux. –Quiestlaresponsable? Elizaavalasasaliveavecdifficultéetlevalentementlamain. –Votrenom,c’estquoi?demanda-t-ilenenlevantseslunettesnoiresetenlatoisantd’unœil critique. –ElizaThompson,monsieur. Ilplissaleslèvres. –LafilledeBillieThompson.N’est-cepas 2? –Ouimonsieur...jeveuxdire,Sydney. Sydney renifla comme s’il avait senti une mauvaise odeur. Il ferma les yeux. Toute la pièce frémissaitdetension.LamoitiédespersonnesprésentesplaignaientEliza,lesautresétaientsoulagées denepasêtresurlasellette. L’ombrageuxstylisterouvritenfinlesyeux.IlregardadenouveauVidalia. –Ehbien,Eliza,jedoisdirequec’esttoutsimplementfabuleux! Eliza,commetoutlemondedanslapièce,poussaunsoupirdesoulagement. –Quantaureste,c’estducacadechien. Sonéventailvirevoltadenouveau. –Euh,ehbien...merci,fitElizaeninclinantlatête. Ellecoulaunregardenavantetréprimaunsourire.Paigeétaitvisiblementécœurée. Sydney s’adressa à cette dernière en chuchotant derrière son éventail, puis il disparut. Paige frappamollementdanssesmainspourattirerl’attentiongénérale. –Bon,toutlemonde!C’estclairquenousavonsencorebeaucoupdetravail,alorsallons-y! dit-elle. Legroupesedispersapourreprendresestâches. Eliza retourna à sa pile de T-shirts, le visage rayonnant. Sydney avait aimé la tenue, il avait même considéré que c’était bon ! Non, il avait dit qu’elle était tout simplement fabuleuse ! C’était comme si un éclair avait déchiré les nuages. Elle avait adoré participer au stylisme de la robe. En travaillantsurlelook,elles’était,pourlapremièrefoisdesavie,réellementinvestiedanssontravail. C’étaitlapremièrefoisqu’ellesepassionnaitpourautrechosequeleshopping. Uneombres’abattitsoudainsurelle.Levantlesyeux,ellevitPaigequiladominaitdesahauteur. Elleallaitlamassacrersurplace. –Sydneysouhaitequetujettesunœilsurlerestedesacollection.Jeteremplaceaupliagedestshirts. Chaquemotsemblaitluiécorcherlaboucheensortant. ElizaredescenditsurTerreetluitenditlaplancheàplier.Elleavaitlespiedsencompoteetmalà touteslesarticulations,maisundouxsentimentdesatisfactionluipermettaitd’oublierladouleur. Toutd’uncoup,leboulotn’étaitplussoûlantdutout. 1. Enfrançaisdansletexte(N.d.T.). 2. Enfrançaisdansletexte(N.d.T.). CommediraientlesStones, «onn’apastoujours cequ’onveut»... La limousine avança au pas sur la longueur de plusieurs pâtés de maison, bloquée dans les embouteillages du centre-ville. Tout autour d’eux, les rues étaient encombrées de banlieusards soucieux,quitentaientdes’échapperdelavilleleplustôtpossibleencevendrediaprès-midi:onse serait cru dans New York 1997. Parfois, il fallait plus de temps pour sortir de l’agglomération que pourgagnerlesHamptons. Jacqui étendit les jambes à l’arrière de la limousine pour somnoler pendant que les enfants zappaientsurlelecteurdeDVDintégré,etqu’Annapassaitdescoupsdefil.SontéléphoneSidekick se mit à vibrer et elle consulta l’écran. L’icône indiquant un e-mail clignotait. Elle cliqua dessus distraitement,maisretintsonsouffleenvoyantl’adressedel’expéditeur:[email protected] ne pouvait signifier qu’une chose : l’université avait enfin rendu son verdict. Elle inspira profondémentavantdedéroulerlemessage. À:[email protected] De:[email protected] ChèreJacareiVelasco, Nous sommes au regret de vous informer qu’il nous est impossiblede vous proposer une place en première année pour larentrée scolaire à venir. Malheureusement, l’examen des équivalencesavec votre lycée de São Paulo révèle que vous avez suivideux années seulement d’études secondaires en sciences et enmathématiques. L’université de New York exige de tous ses élèvesun minimum de trois années d’études dans ces matières.Nous vous suggérons de poursuivre une année supplémentaired’études secondaires afin de consolider votre candidature si vouschoisissez de la renouveler l’année prochaine. En vous remerciant de votre intérêt pour l’université de New Yorket en vous souhaitantbonnechancepourl’avenir, Cordialement, Lecomitéd’admissiondel’universitédeNewYork. Commentétait-cepossible?Elleavaitattendusilongtemps,elleavaittellementtravaillé!Entre lescoursetsonactivitédefilleaupair,elleavaitàpeineeuletempsdesortiravecElizapendantles vacances, lorsque cette dernière rentrait de pension. Elle avait passé les évaluations nationales pas moinsdeseptfois,etelleavaitmêmeétéreçueauxexamensdeniveauavancéenanglais:unevraie performance ! En outre, pour muscler sa candidature, elle avait consacré du temps à des tâches d’intérêt général, au centre de dialyse, ce qui n’avait pas été une mince affaire compte tenu de ses obligationsauprèsdesPerry.Elleavaitfaittoutsonpossible;elleavaitrécritsalettredemotivation tellementdefoisqu’ellenesupportaitpluslerécitdesavienilepassagesur«lapersonnelaplus influentedanssavie»(sagrand-mère).Surlepapier,elleétaitlacandidateidéale:équilibrée,bonne moyenne, bonne éducation, une photo d’enfer (toutes les universités en demandaient de nos jours). Alors,qu’est-cequin’allaitpas? –Çava?interrogeaAnnaenhaussantunsourcil. ElleavaitremarquéleregarddeJacqui,bizarrementfixe. –Une-maildelaNYU,ditJacquid’unevoixcreuse. Ellecrachalemorceau. –Jesuisdésoléepourtoi,réponditchaleureusementAnna.J’aiétéélèvelà-bas.Jesaisquec’est incroyablementdurd’yentreraujourd’hui.Jesuissûrequeturéussirastrèsbienailleurs. Jacquiapprécialesparolesdeconsolationd’Anna;ellesavaitquesapatronneneluivoulaitque dubien.Maisellen’avaitpasdesolutionderechange.L’universitéduMichigan?Ellen’auraitmême passusituerleMichigansurunecarte.Wellesley?Unefacdefilles?Paslapeined’ypenser!Donc, aulieudelafac,ilneluirestaitplusqu’àredoubler.Quellehumiliation! Jacqui avait déjà entendu parler de cette solution honnie. Quelques élèves de dernière année à Sainte-Grâceavaientfaitlamêmechose.Enrèglegénérale,c’étaientdesidiotesdefillesàpapaavec untoutpetitcerveauetdesmontagnesdefric.Jacquin’arrivaitpasàcroirequ’elleenétaitaumême point.Etd’abord,ellen’étaitpasriche.Quiallaitluipayerencoreuneannéedelycée? Biensûr,ellepouvaitcontinueràtravaillerpourlesPerry.Elleétaitcertainequ’Annan’étaitpas presséedechercherunenouvellefilleaupair.MaisJacquiavaittellementparlédelaNYU!Elizaet elleavaientdéjàprévudeseretrouverenoctobrepourHalloween,etelleavaitfaitpromettreàMara qu’ellespasseraientThanksgivingensemble,quellequesoitlafacoùseraitcettedernière.Elleavait même décidé qui partagerait sa chambre : une amie de Sainte-Grâce qui savait déjà qu’elle était admise. Lacirculationsedébloquaenfinetlavoiturelesdéposadevantleportailhérissédebarbelésde l’héliport de la 34e Rue. Anna et le reste de la famille s’extirpèrent de la limousine, laissant Jacqui seuleàl’intérieur. Pendant que personne ne la voyait, Jacqui essuya quelques larmes. Madison Perry, douze ans, encoreplusmaigrequel’annéeprécédente,passalatêtedanslavoiture. – Jacqui ? Il faut qu’on y aille. (Elle remarqua l’expression de Jacqui.) Quelque chose ne va pas?Tutesensbien? Jacquisouritcourageusementets’essuyalevisage. – Je viens de réaliser que je ne porte pas la bonne tenue pour l’hélicoptère. Ma jupe va me remonterdanslafigureavectoutcevent. Madisoneutunpetitrirehésitant. –CommeMarilynMonroe,tuvois:vlouf!plaisantaJacqui. Elleseglissahorsdelavoiture.Àprésent,Madisonsemarraitfranchement.Jacquiseforçaà rireelleaussietplaquasajupesursescuissesencourantdansleventdesrotors.Maissonsourire s’effaçaàl’instantoùMadisonsedétourna. LafilledusoleildeSãoPauloavaitlecœuraussiplombéquelecieldeNewYork. Quandledevoirvousappelle... leBlackBerrysemetàsonner! RyanlançalaboîteFedExàMaraquiladéchirapourl’ouvrir. –Maisqu’est-ceque...fit-elleenvoyanttomberunBlackBerryagitédevibrations. Elleessayaderépondre. –Allô?Allô?Allô?cria-t-elledansl’appareilentripotantlespetitsboutonssurlecôté. –Jenecroispasqu’ilsonne,précisaRyanpourl’aider.Jepenseplutôtquetuasunmessage. –Ahbon,ditMaraenparcourantlemenujusqu’àtrouveruneenveloppeclignotantesurl’écran. Ellecliquapourl’ouvrir. –Ohnon! –Quoi?demandaRyanenseremettantaulitetenenvoyantbaladerlecartonvided’uncoupde pied. Ils’agenouillaau-dessusdeMaraetsemitàluifairedesbisousdanslecou. –Quoiquecesoit,çanepeutpasêtreimportant,continua-t-il. – Merde ! Ça y est, je suis morte ! s’étrangla-t-elle en voyant défiler le texte. (Elle regarda sa montreetseremitàjurer.)Ilestonzeheuresetdemie! –Maisquoi?Qu’est-cequisepasse? –Ryan,s’ilteplaît,tupourrais...fitMaraenécartantsamainetensedétournantdesesbaisers. C’estmapatronne!gémit-elle.Elleestlaseuleàconnaîtrel’adressedubateau.Bref,ilyaungrand gala de charité au club Cain ce soir, pour un centre de personnes âgées, et leur chroniqueuse mondaineestcoincéeàunmariageroyalàSaint-Tropez.(Maraavalasasaliveavecdifficulté.)Elle veutquej’ysois...etquej’écriveunpapiersurlasoirée! Ryansoupirabruyammentcontresonépaule. –Etalors?s’étonna-t-il.Oùestleproblème?Tudevaisbienécrirepoureux,non? Marasoufflasursafrange. –Pasvraiment.Ellem’aditquej’auraispeut-êtreunechanced’écrireunpeu,maissurtoutdes légendes.Pasunvraiarticle.Tunecomprendspas...Jen’aijamaisrienrédigédetel!Leplusgros événementquej’aiecouvert,c’étaitlespectacledeMaryPoppinsmontéparmonlycée!Etelleveut unpapier,avecdescitationsdecélébrités.Jenesaismêmepascommentons’yprend! Maraétaitterroriséeàl’idéed’allerfourrerundictaphonesouslenezd’unepersonnecélèbre. Aufait,avait-elleundictaphone? –Facile.Tutepointesettuposesunequestion,réponditRyan.C’estriendutout,jevoistoutle temps des reporters le faire. En plus, tu es déjà allée à au moins un million de soirées dans les Hamptons.C’estlamêmechosetouslesans. Maraselibéradesesbras.Elles’enveloppadansundrapetcourutàlarecherchedesesbagages. –Tut’envas?demanda-t-il,incrédule.Maisonvientd’arriver! –Bienobligée,argua-t-elleenregagnantlacabineavecunevaliseetunehousseàvêtements.La soiréecommençaitàdixheures!Jesuisdéjàhyperenretard!Luckydevaitm’yretrouverilyaune heure! Elleouvritlahousseetsemitàlarecherched’unetenue. –Ducalme.Ilnesepassejamaisrienavantminuit. Ilgardalesilencependantqu’elleagrafaitsonsoutien-gorgeàbalconnetetseglissaitdansune robeHollywoodmoulanteaudécolletéparsemédeperlesdeturquoise. –Tum’aidesaveclafermetureÉclair? Ryanbougonnaetseredressasurlesgenoux.Maraluitournaledosetilremontalezipavec précaution. Elleseretournapourlisserledevantdelajupe. –Jesuisbien? –Jepréféraisavant. Ileutunpetitsouriremoqueuretallumaletéléviseuràécranplatdesoixantepouces. –Tuneveuxpasveniravecmoi?proposaMaradontlevisages’illuminaàcetteidée. Elleétaitnavréedel’abandonnerenpleinenuit.Elles’assitauborddulitpourenfilerunepaire desandalesàtalondecuirPierreHardyetluijetaunregardencoin. –Onvabiens’amuser,fit-elled’unevoixcâline. –Naaan,ditRyanenselaissantretombersurlesoreillers.Jesuisclaqué,j’aifaitlaroutedepuis leNewHampshired’abord,etensuitejusqu’ici.Vas-y.Sérieux.Çam’estégal. –Allez,onvadanserunpeu,boirequelquesmargaritas...essaya-t-elle,aguicheuse,enfixantles lanièresautourdeseschevilles. –Desmargaritas«hypnotic»?demanda-t-ilenarrondissantunsourcil. –Toncocktailpréféré. –Mmm... Il sembla un instant sur le point de se lever pour s’habiller, mais à la dernière seconde, il retombasurlesoreillers. –Jesuistropcrevé.J’ail’impressionquejenepeuxmêmepasbouger.J’aivraimentbesoinde m’écroulercesoir. –J’auraisbienaiméqu’onresteensemblepournotrepremièrenuit,fitMara,boudeuse. –Jesais,bébé.Onpourrait,réponditRyanenseredressantpourpasserunbrasautourdeson couetl’attirersurlelitaveclui. Ilglissaunemainsoussarobeettirasursonstringd’ungestetaquin. Pendantuninstant,ellesedétenditsoussonempriseetfermalesyeux.Ellelesentaitembrasser doucementsanuque;ilauraitétésifaciledes’abandonner,decéder,deresteraveclui...Maiselle posaunemainsurlasienneetlachassadesoussajupe.Àregret. –Ilfautvraimentquej’yaille.Çam’embête,maisillefaut. –Bon,soupiradenouveauRyan.Jecomprends. Ellesetournapourleregarderdroitdanslesyeux. –Sûr? –Sûr. Ilopinadumenton,maissesyeuxétaientvidésdeleurétincellehabituelle. Ellehésitaitencore;unepartied’elle-mêmenesouhaitaitriend’autrequederesteraulitavec lui pour toujours. Et l’autre partie s’inquiétait sérieusement pour son premier article de magazine. Une mission en bonne et due forme ! Tout ce qu’elle aurait à faire serait de surmonter sa timidité naturelle pour aller recueillir quelques citations auprès des célébrités présentes. Leur demander ce qu’ellesportaient,avecquiellessortaient...et...quoid’autre?Elleavaitunecolonneàremplir,soit huitcentsmots!Elleespéraitqu’elleallaits’ensortir. –Jesuisdésolée,répéta-t-elle. –Net’inquiètepas,dit-il.Onatoutl’étédevantnous. Marasourit.Cetypeétaitformidable.Qu’est-cequec’étaitqu’unenuitmanquée?Ilavaitraison, ilsavaienttroismerveilleuxmoisdevanteuxpourtoutfaireensemble. Elles’emparadesclésdelaFerrari. –Jepeuxlaprendrepouryaller? Hélico,touchécoulé! –Commentça,notrehélicon’estpaslà?aboyaAnnaenplantantsondoigtdanslapoitrinedu contrôleuraérien,quin’enmenaitpaslarge.Noussommestoujourspremierssurlalistedesdéparts. –Navré,madame,maisvousallezdevoirattendrequ’ilssoientpartis,expliquanerveusementle technicien avec un geste du pouce par-dessus son épaule. Ensuite, votre pilote atterrira et vous pourrezvousembarquer. Annaregardadansladirectionqu’ilindiquaitets’étrangla. –Maisqu’est-cequec’estqueça?Etqu’est-cequeçafaitànotreplace? Surl’emplacementhabituellementréservéauxPerry,trônaitunsuperbehélicoptèreBlackHawk de l’armée, redécoré avec détails personnalisés et finitions de luxe dignes d’un championnat de tuning,depuislessiègesbaquetencuirmoelleuxjusqu’aumarchepiedrétractable.Cetappareil,conçu pour affronter un tir nourri en Irak, servait tout simplement à transporter ses propriétaires de ManhattanauxHamptonsenmoinsd’uneheure. Unmonstrueux4x4Hummerjaunevif,massifetcarré,surgitsurletarmacetvints’immobiliser à côté du Black Hawk dans un crissement de pneus. La portière s’ouvrit pour laisser sortir trois ravissants garçons. Ils ressemblaient à un groupe de rock indépendant. Le premier était un grand blond doté d’un visage agréable et d’un sourire amical, en T-shirt Atari violet et jean baggy. Le deuxièmeavaitlescheveuxbruns,biencoupés,etdeslunettescarréesàmonturedeplastiquenoir:un intellobranché,mignondanslegenrecérébral.Letroisièmeétaitdégingandéetnonchalant,cheveux châtainsenbatailleavecdejoliespattessurlesjoues;ilportaitunechemiseàcolpelleàtartetrès seventiesenpolyesterjaunesurunpantalonàcarreauxbariolé.Onauraitdittroisétudiantsdébutants perdussurleurpremiercampus. JacquiétaitàcôtédelabarrièreaveclesenfantsPerry.ElleportaitlesacàdosdeZoéettenait Codyparlamain,etc’estàpeinesielleavaitremarquélestroistypes.Codyhurlaitqu’ilvoulaitfaire pipi,etJacquiluiexpliquaitqu’ildevraitattendred’êtrearrivédanslesHamptons,cariln’yavaitpas de toilettes sur l’héliport. Le pauvre gosse avait appris la propreté à l’âge de cinq ans, et il avait encoreunaccidentdetempsentemps.Jacquipriaitpourquecelan’arrivepasmaintenant...àmoins de le laisser faire dans un coin ? Ce n’était qu’un enfant après tout, et il semblait bien cruel de le laissersouffrirainsi. Elle réfléchissait à cette délicate question, son esprit cherchant frénétiquement une réponse simpleàsesproblèmes;maislevacarmedesrotorsdel’hélicoptère,lastéréoduHummerpousséeà fondetlesplaintesincessantesd’Annal’empêchaientdeseconcentrer. Letriosortidu4x4sedirigeanonchalammentversleBlackHawk. – Désolés pour le retard, s’excusa le grand blond au contrôleur aérien avec un sourire malicieux. Ben avait un petit rendez-vous avec la veuve Poignet, ajouta-t-il, narquois, en levant la main. –Duffy,vieux,tusaisbienquec’estmameilleurecliente,intervintBen,celuiavecleslunettes. Ilhaussalesépaulesenriant. –Regardez-moiça,intervintlemignonaveclespattes.Laclasse! Ilsifflaetseglissaauprèsdel’hélicod’unpassoupleetfélin. Surlacarlingueétaitpeinteunemaindontl’indexetlemajeurdressésformaientunVtordu.En dessous,onpouvaitlireenlettrescalligraphiées:TheShocker! – Oh purée, Grant. (Duffy porta soudain un bras derrière sa nuque, l’air ennuyé.) J’ai complètement oublié que je devais aller chercher mes parents à Martha’s Vineyard demain avec ce truc! –Peut-êtrequ’ilsnevontrienremarquer,lerassuraBenenôtantseslunettespourlesessuyer suruncoindesachemise.Tupeuxtoujoursleurdirequec’estunsignedepaix. –Ouais,c’estça,jetaDuffd’unairsombretandisqueGrantluicognaitl’épauleens’efforçant denepasriretropfort. Toustroisgrimpèrentsurlemarchepiedets’installèrentdansl’hélicoptèresansunregardpour leclanPerry. C’estalorsqu’ilsremarquèrentJacqui,ungenouàterre,quiessayaitdecalmerCody. –Tupeuxfairelà,Cody.Personneneteverra,disait-elleenaidantl’enfantàdéboutonnerson pantalon. –Àdixheures,fitCodypourindiqueràsesamisladirectiondeJacqui.Chauddevant. Benreposaseslunettessursonnezpourmieuxl’examiner. –Sûrqu’onn’apasdefillescommeçaàHarvard,regretta-t-il. Granthochalatête. –PasétonnantquelesMissUniverssoienttoujoursdesSud-Américaines. Sescamaradesleregardèrentdetravers. –Tut’yconnais,pourcesconneries!letaquinèrent-ils. –Ças’appelleavoirdessœurs,rétorquaGrant,vexé. Ilarrangeasonlargecoldechemiseetlissasescheveuxchâtains. Jacqui n’avait même pas remarqué les trois garçons qui l’observaient avec une intensité à la limite de l’irrespect. Dans le soleil de l’après-midi, des reflets violets émaillaient sa chevelure sombre et son bronzage intense rayonnait. L’adorable découpe de sa robe soulignait son décolleté généreux,etlapositionaccroupieàcôtédeCodytendaitlesmusclesdesesjambesfinesetfermes. –Voilà,trèsbien,dit-elle,soulagéequel’enfantaitréussiàuriner. Ellechassasescheveuxdesesyeux,soulevantetétirantsapoitrineplantureuse,cequiarracha auxoccupantsduBlackHawkunchœurd’exclamationsétranglées. –Yo!fitDuffy,adepted’uneapprochedirecte. –Excusez-moi!criaBen,optantpourlapolitesse. Grant se contenta de se renverser dans son siège et d’observer Jacqui, pensif. En général, c’étaient les filles qui venaient à lui, et il ne voyait pas l’intérêt de se ridiculiser. D’autant que les appels frénétiques de ses camarades étaient étouffés par le vacarme des rotors passant à la vitesse supérieure. –C’étaitqui,àvotreavis?s’interrogeatouthautBentandisquel’hélicoptèrelesenlevaitdans lesairs,horsdeportée. –Unedéesse,décidaDuffy. –Ducalme,lesmecs,onvadanslesHamptons.Etlà-bas,ellessonttoutescommeça,croyezmoi,assuraGrant. Maissesamisluijetèrentunregardsceptique.Jusqu’àpreuveducontraire,iln’yavaitqu’une seuleJacqui. Règlen°1delachronique mondaine:fairecroireque toutlemondes’amuse! Dans les Hamptons, même une soirée de collecte de fonds pour un centre de personnes âgées attiraitlesplusgrandsnomsetuneassistancebrillante.LapremièrepersonnequevitMaraenentrant n’était autre que Mitzi Goober, la redoutable attachée de presse. L’année précédente, celle-ci s’était improviséemeilleureamiedeMaraetl’avaitcouvertedecadeaux,avantdelalaissertomberàcause d’un malentendu – une histoire de boucles d’oreilles à deux cent cinquante mille dollars que J.Lo devaitporteràlasoiréedesMTVMusicAwards.Maisqu’est-cedoncqu’uneopérationderelations publiquesratéelorsquel’onestamies?ÀlagrandesurprisedeMara,Mitzil’accueillitd’unHello! strident et l’attira pour la serrer violemment dans ses bras. Mara eut l’impression d’embrasser un squelette. Mitziétaitplusbronzéeetplusblondequejamais.Maissisesbrasétaienttoniquesetmusclés, sonventreressemblaitàunballondebasket:elleétaitenceintedesixmois.Arborantundébardeur moulant,quiproclamait«Jevislerêveaméricain»,elleexhibaitfièrementsagrossesse,lenecplus ultra des accessoires de mode cet été-là. Les « mamans appétissantes » étaient au top, la fertilité se portait bien. Bien sûr, les enfants à peine nés étaient prestement renvoyés en coulisses aux mains d’une équipe de nounous. Les fashionistas se pâmaient à l’idée d’une grossesse chic, mais battaient viteenretraitedèslorsqu’ils’agissaitd’éleverunenfantpourdevrai. –MaChêêêrie!roucoulaMitzienaspirantduRedBulldansunecanettebleuetargentàl’aide d’unefinepaillerouge. Lacaféine?Pasunproblèmepourcettefuturemère. –Salut,Mitzi,ditMara,soulagéedevoirquelqu’unqu’elleconnaissait. OùétaitLucky?Elleespéraitbienletrouverafindesavoiraujustecequ’elleétaitcenséefaireà cettesoirée. – Comment vas-tu ? Et qu’est-ce que tu racontes de nouveau ? babillait Mitzi de sa voix musicale. Il paraît que tu es engagée à Hamptons cet été ! C’est trop ! Il faut que tu rencontres nos clients,onadeschosesfantastiquesdeprévuespourlasaison.Ons’occupedelasoiréeinauguralede Sydney,jeverraisbienunreportagedesixpages! –Euh... Mara ne savait pas quoi répondre. C’était absurde de penser qu’elle pouvait être décisionnaire pourunechoseaussiimportantequ’unarticledeplusieurspages.Ellen’étaitqu’unesimplestagiaire. –Parlons-en,d’accord?Jet’enverraideséchantillons.Bye!serépanditMitzienluiposantune biseagressivesurchaquejoue. À l’instant où elle fut libérée, diverses personnes que Mara avait rencontrées les deux années précédentes se glissèrent à ses côtés. Tout le monde savait qu’elle travaillait pour le magazine Hamptons. Ceux-là mêmes qui l’avaient zappée à la fin de l’été dernier faisaient tout pour se retrouverdanssespetitspapiersetluirappelercommeilsseconnaissaientbien.Maraétaitenpartie écœuréeparleurhypocrisie,maisd’unautrecôtéelleadmiraitleurténacité.Onpouvaittrouvercette amitié intéressée, mais ainsi allait la vie dans les Hamptons. À leur manière, ces personnes lui rendaient hommage. Il était évident, à voir leurs marques d’attention, qu’à leurs yeux Mara jouait dans la cour des grands. Même Alan Whitman et Kartik, les copropriétaires du Septième Cercle – l’endroitoùilfallaitêtre,unanplustôt–,vinrentluiprésenterleursrespects. Les anciens patrons d’Eliza apprirent à Mara qu’ils revenaient de Las Vegas, où ils avaient ouvert un Septième Cercle dans le désert. À la soirée de lancement, des danseuses topless avaient recréélafameuserevuedeShowgirls. –Maisjepeuxteledire,fitAlanenhochantlatête.Ilfautquetuviennesvoirnotrenouvelle boîte.LeVolcan.Onaunefontainedevraielave.C’estintense. –Viensdîner,tuesinvitéequandtuveux,ajoutaKartikenserrantMaradanssesbrascommeun vieuxcopain.Mitzit’appellera.Passenousvoir! Marasouritsanss’engager.«Passenousvoir!»étaitleleitmotivdelasoirée:toutlemonde– jet-setteursprêtsàtoutetleursattachésdepresse,fillesdevestiaire,serveurs–essayaitdeseplacer auprèsd’elle,d’obtenirunementiondanslemagazine. Dans un coin du club, elle reconnut Anna Perry. Cette dernière semblait terriblement décalée, trophabilléedanssalonguerobedesoirée.Ledînerdecharitéavaitrassemblélegratindelabonne société,alorsquelafêtedansantequisuivaitétaitplutôtdestinéeauxjeunes.D’habitude,Annapartait tôt,aveclesautresépouses;maiscesoirelleétaitencorelà,poséesurundivancapitonné,unverre enéquilibresurlegenou. Mararemarquaàsescôtésl’undes«accompagnateurs»lespluscélèbresdesHamptons.Ces hommesgaysavaientpourfonctiond’escorterlesfemmesmariéesquineparvenaientpasàentraîner leurmaridansletourbillondelaviemondaine.OùdoncétaitKevin?Elles’arrêtapoursaluerAnna quisemontrachaleureuse. – Tu as vu toutes les photos des enfants ? Ils sont mignons, non ? lui demanda son ancienne patronneavecmélancolie.Codyatellementgrandi!Celamemanquedeneplusavoirdebébéàla maison. –Tevoilà! Pour la première fois de la soirée, Mara se sentit authentiquement heureuse à la vue de quelqu’un.LuckyYap,lephotographemondainàlalanguebienpendue,sefrayaituncheminjusqu’à elle. –Excusez-moi,Anna,priaMaraensetournantverssonami. LuckyportaitunevolumineuseredingotedevelourssurunT-shirtmarqué«FashionVictim!» (l’ironie était à la mode cet été, contrairement aux boubous africains de l’année précédente), son fidèleNikonnumériqueautourducou.Ilobservaattentivementl’assembléeenhaussantlesourcil. –Rienquedesex,desfrèresetsœursetdesbeaux-enfantscesoir,constata-t-ilavecregret. Ilvoulaitdirequel’assistancenerassemblaitquedesinconnusayantunerelationplusoumoins ténueaveclesvraiescélébrités. –Qu’est-cequejedoisfaire?l’interrogeaMaraavecardeur. –Cequenousfaisonstoujours:mentir,mentiretencorementir!Toutescessoiréessontd’un ennuimortel,maispersonnenedoitlesavoir,sinonnousserionstousauchômage. Mara s’esclaffa. Elle savait que Lucky plaisantait, ou du moins elle l’espérait. Elle lui fit le compte-rendu de ses observations. Elle pensait avoir repéré une jet-setteuse célèbre – une nièce de Bush –, mais sans certitude. Elle avait aussi aperçu près du vestiaire un joueur de polo marié qui embrassaitunestarlettedelatélévision,égalementmariéedefraîchedate. –Tucroisqueçasuffitpourmonarticle? –Biensûr,mabiche!Tupeuxparlerdestourtereauxadultèresdanslarubrique«incognito».Et jemettrailaphotodelastarlettejusteau-dessus,commeçatoutlemondecomprendradequiils’agit, expliquaLuckyavecmalice. –Ah,tantmieux,ditMara,soulagée. –MademoiselleMaraWaters,grondaderrièreelleunevoixfamilièreetnéanmoinssexy. Elleseretourna. –MonsieurGarrettReynolds,gazouilla-t-elleàsontourencroisantlesbras. Garrettécartadesesyeuxunecoquinemèchenoire.Bronzé,ilportaitunechemisedelinblanc etunpantalonécru.Ill’embrassasurlajoueetsecomportaenvieilami,commes’ilnes’étaitjamais rien passé entre eux – comme s’il ne l’avait pas laissée tomber comme une vieille chaussette lorsqu’elleavaitétévictimedemédisances. –Alors,onbosse? Ellehaussalesépaules. –Bonnechance,reprit-ilenremuantsonverredewhisky.C’estmadernièresoiréeici. –Oh,tunerestespasdanslesHamptonscetété? Garrettéclataderire,commesic’étaitlachoselaplusdrôlequ’ileûtjamaisentendue. – Bien sûr que non. Les Hamptons, c’est tellement dépassé ! Nous avons mis la maison en location. Je serai au Cap, en Afrique du Sud : tout se passe là-bas à présent. Mais amuse-toi bien, ajouta-t-il,narquois...Jesaisquetutrouveraslemoyendet’attirerdesennuis. NisacondescendancenisondédainneréussirentàatteindreMara.Garrettétaitunâne,etelle étaitheureusequ’ils’enaille.Ellesedemandaitcequ’elleavaitpuluitrouver. Soudain, Ryan lui manqua. Il s’était sûrement écroulé devant Aqua Teen Hunger Force, l’hilarante série animée. Elle s’apprêtait à rentrer se glisser auprès de lui dans le lit lorsque Lucky Yapl’appelapourluiprésenterJillKlompenhower,laseuleauthentiquecélébritéprésente.Selonla rumeur,cetteactriceoscariséevenaitd’annulersonmariageavecunrockerchrétiendeuxsemaines aprèslanoce.Soudain,Marafutbientropoccupéeàessayerdeserappelertouslesdétailsdelavie deJillpourselanguirdesonamoureuxendormi. CommediraitHeidiKlum: Elizaest«in» etPaigeest«out» Elizaaidaencoreunmannequinàarrangersatenue,inclinasacasquettedelivreurdejournaux pourluidonnerunpetitaircanaille,luifitmettrelecaracodedentellepar-dessuslarobeetnonen dessous. Puis elle passa à la fille suivante, et à la suivante encore, en apportant de petites améliorations:unepairedebouclesd’oreillespar-ci,uncollantrésillepar-là...Enunriendetemps, elleavaitcomplètementmodifiélelooketl’ambiancedelacollection. Voilà ! pensa-t-elle. C’est mieux comme ça. Tous les vêtements déclinaient un thème cohérent avec quelque chose de très sexy, très plage, très jet-set. Cela rappelait les anciennes collections SydneyMinx.Elledevaitbiensel’avouer:elleétaitungénie! –Qu’est-cequetufabriques?sifflaPaige. Sortant du bureau de Sydney, elle venait juste de remarquer que presque tous les mannequins portaientleurtenuelégèrementdifféremment. –Oh,Paige!Tum’asfaitpeur. Elizagrimaça. –Sydney,regardezcequ’elleafait!s’écriaPaige,menaçante.Toutachangé! Lestylistesurgitdesonbureau.Ilfronçalesourciletsepritlementondanslamain. –Voyonsvoir. Eliza se figea et retint sa respiration. Tout son courage l’abandonna momentanément. C’était faciled’êtreinspiréeetsûredesoidevantlesmannequinsquipoussaientdes«oh»etdes«ah»au moindrechangement,maiscen’étaientquedesmannequins...Qu’est-cequ’ellesyconnaissaient?La plupartd’entreellesnesavaientmêmepasépelerleurnomdescène. – Bien, bien, fit Sydney. Continuez comme ça, dit-il à Eliza. Et Paige, donnez-lui un coup de main. CefutpourElizaunmomentdetriomphe,maisteintéd’amertume.Cartandisqu’elleprenaitdes décisionsets’affairaitàpeindre,déchiqueteretaccessoiriserchaquetenue,Paigesetenaitenretrait sans l’aider, morte d’ennui, bouillant d’une rage qu’elle ne se donnait même pas la peine de dissimuler. –Tupeuxmepasserunpistoletàcolle,s’ilteplaît?luidemandaElizatoutentirantsurunejupe etenpinçantletissupourformerdesruchés. –Tiens,grognaPaigeenlejetantparterre. LefracasfitsursauterElizaquitroualetissuavecsesciseaux. –Mincealors!piaillalemannequin. –Oh,merde!gémitElizaenvoyantletrou. Elle regarda Paige qui avait l’air d’une parfaite petite sainte. Eliza savait qu’elle l’avait fait exprès,etellen’ypouvaitrien. Elleeutuneidée. –Bougepas,dit-elleaumodèle. Elledécoupaundeuxièmetroudanslajupe,puisuntroisième,etunautreencore,créantainsiun motifajourésexy. Quelquesminutesplustard,c’estdufonddelasallequeluiparvinrentdeséclatsdevoix. –C’esttroppetit!selamentaitunmannequin. Sarobedecuircouleurcaféétaittellementcourtequ’elleluicouvraitàpeinelesfesses. –Qu’est-cequisepasse,encore?Jevouspréviens,lesfilles,jenepeuxpasmepermettreune nouvelle crise ! Je n’ai déjà plus de Xanax ! cria Sydney, déboulant en trombe pour juger de la situation. –Elizam’aditdelamettreausèche-linge...etregardezça!ditPaiged’untonsuffisant.Latenue estbousillée.Elleneserajamaisprêtepourledéfilé. – Je voulais un effet de cuir vieilli, expliqua Eliza en examinant d’un œil critique le matériau détruit. Elle avait demandé à Paige de régler la machine sur « délicat », mais de toute évidence l’assistantemalveillantes’étaitfaitunplaisirdelaprogrammersur«maximum». Lecuir,enlambeaux,avaitbeletbienrétréci. –Tiens,tranchaElizaentendantaumannequinunjeancoupéauxgenoux. Elletiralajupesurlebustedelafille. –C’estunhaut! –Biensûr!approuvaSydneyenagitantsonéventail. –Biensûr,répétaElizaengratifiantPaigedesonsourireàunmilliondedollars. Paigeauraitbeautouttenterpoursabotersesefforts,Elizanepouvaitpasperdre. Siseulement touteslespartiesdefoot seterminaientcommeça! Jacqui arriva dans les Hamptons au coucher du soleil. La propriété des Perry, Creek Head Manor,étaitplusimmaculéeetplusimpeccablequejamais,commesielleattendaitlesphotographes de Metropolitan Home pour un reportage. Laurie, la joviale assistante d’Anna, était venue une semaine à l’avance pour tout préparer dans les règles de l’art : tous les vases étaient garnis de lys blancs à longue tige, et tous les lits, de draps frais en lin d’Italie. Anna avait une fois de plus fait rénoverlamaisonpendantl’hiveretfaitinstallerunsolarium,ainsiqu’unpetitbaréquipédel’eau courantedansleplacarddelachambre.Lasalledebainsdesparentsabritaitégalementl’ancienbidet deJackieOnassis(achetéunefortuneensalledesventes),assortiauxcarrelagesMarie-Antoinette. Jacquifitdînerlesenfantsetdonnalebainauxpetits.Aprèslesavoirbordésdansleurslitset rappeléàWilliametMadisondenepassecouchertroptard,ellefutenfinlibredevidersesvaliseset des’installer.Ellegrimpalesmarchesbranlantesentraînantlespiedsetouvritlaporte,déchirantune toiled’araignée. Aprèsuneannéedefastecitadin,leretouraucottagedesfillesaupairétaitunpeudéprimant.La pièce,sombreetrenfermée,sentaitlemoisi.Jacquiouvritlafenêtreengrandeteutimmédiatementla nostalgieduconfortclimatisédesonappartement.Elletrouvadesdrapsenpercalefroissésdansles tiroirs et les envoya sans enthousiasme sur le matelas taché et bosselé du lit à une place. Ce n’était pluspareil,sansElizapourseplaindredelaminusculesalledebainsniMarapourexhortertoutle monde à se préparer pour la prochaine journée de travail. Cafardeuse, elle s’assit au bord du lit et allumaunecigarette,jetantdistraitementlescendresdanslajardinièrequicontenaitunficusdesséché. Jacquisegrattalajoueetinhalaunelonguebouffée.ElizaétaitencoreàNewYork,etMaraétait surlebateauavecRyan:mieuxvalaitleslaissertranquillestouslesdeuxpourlanuitdeleurarrivée. Alors qu’elle déballait ses affaires, elle vit l’éclairage de la piscine qui illuminait l’allée du jardin. Quellebonneidée!Elleattrapauneservietteetsortitrapidementducottage. C’étaitexactementcedontelleavaitbesoinpoursesentirmieux:unpetitbaindeminuit.Anna était à son gala de charité, il était tard, les enfants dormaient... il n’y avait personne d’autre à la maison...L’eauétaitbonneetvivifiante:lesPerryavaientfaitpomperetfiltrerl’eaupureetfraîche d’unpetitcoursd’eaudunorddel’île.Ellefitquelquesbrassesnonchalantes,puisselaissaflotterun momentsurledos.Elleregagnaensuiteleborddubassin,oùelles’étaitpréparéunverrebienglacé. Heureusement,ellesavaitoùétaientcachéeslesclésdubar. Aprèsquelquesminutes,elleeneutassezetretraversalapiscinepourgagnerl’alléequimenait au cottage. Elle sortait de l’eau, ruisselante et nue, lorsque soudain les buissons qui délimitaient l’espacedelapiscineexplosèrentdansungrandfracas. Jacquihurla. Troisgarçonsàlapoursuited’unballonenmoussevenaientdedébouleràtraverslahaiequi séparaitlapropriétédesPerrydecelledesReynolds. –Droitdevant,droit...devant!s’étranglaDuffy,serrantencorelaballecontrelui.C’estelle! – Sainte mère de Dieu, s’exclama Ben en allongeant le cou. Je jure solennellement que je ne retourneraijamaisàHarvard. –Señorita,veuillezexcusermesimbécilesd’amis,ditGrantavecsonaccenttraînantdusud,qui auraitétécharmants’iln’avaitpasétéétaléparterre,levisageécrasédansl’herbe. Lesyeuxronds,ilscontemplaientJacquidanslasplendeurdesanudité,vêtueuniquement«àla brésilienne»...nousvoulonsparler,biensûr,desonépilationbrésilienne. –Merda!jura-t-elleens’enveloppantdelaservietteetencourantverslecottage,laissantdans sonsillagetroisgarçonsfousd’amour. MaraadesdoutesXXL sursonnouveaustatut Peu après deux heures du matin, Mara remonta sans bruit à bord du Catalina. Elle tourna lentementsaclédanslaserrureetentrasurlapointedespiedsdanslecockpitsombre.Laluneentrait àflotsparlehublot,etMaradistingualalongueformedeRyanblottiesousl’édredonblancenduvet d’oie. Ellesedébarrassadesessandalesàtalonetsemassalaplantedespieds.Jilllesavaitinvitésdans la maison qu’elle louait à Bridgehampton, et après quelques vodkas et une partie de « Célébrités » bienarrosée(lastaravaitgagnéhautlamaingrâceàsonimitationdeNicoleRitchie),chacunétait rentréchezsoi. Mara tapa sur son BlackBerry le récit de l’annulation de mariage de Jill et le compte-rendu détaillé du gala de charité, espérant envers et contre tout que son texte parviendrait jusque dans le prochainnumérodumagazine.Luckyluiavaitassuréquel’articleétaittrèsbien,maisellen’enétait passisûre.Etsisachefn’appréciaitpassesblaguessurles«accompagnateurs»?Ouseséquations sur la vie mondaine, postulant que deux assistants de stars équivalaient, de nos jours, à une star de troisièmecatégorie?ParexempleCaCeeCobb(assistante personnelle et meilleure amie de Jessica Simpson) + Trace Ayala (assistante personnelle et meilleure amie de Justin Timberlake) = Brooke Burke. Sespiedss’enfoncèrentdansletapismoelleuxavecunbruitspongieux,etelles’enfermadansla salledebainspoursedémaquiller,sedoucheretsechanger.ElleenfilaunvieuxT-shirtencotonde Ryan,dontelleaimaitladouceursursapeau. Ellesefaufilasouslescouverturesetseblottitensilencecontresontorse,glissantlesbrassous sesaissellesetseserrantcontrelui,lesjambespasséessouslessiennes. –Mmmmppf,murmuraRyanenluitapotantdistraitementlebras.Ilsoupira. – Ry, tu m’entends ? Ryan ? chuchota-t-elle. Je crois qu’ils ont fait une grosse erreur en m’envoyantàlasoirée.Jeneconnaisrienàl’artd’écrireunechroniquemondaine.Jenesuismême pasdanslescerclesmondains. Énervéeparlavodka,elles’inquiétaitpoursonarticle.Siseulementilpouvaitseréveillerpour qu’ellepuisseenparleraveclui!Elleauraitvraimenteubesoindesonsoutienencemoment. – Mmmppff... hein ? dit Ryan d’une voix endormie. T’en fais pas, tout va bien se passer, marmonna-t-il. Marasetordaitlesmains.Etsisachefdétestaitsontexte?Elleseraitbonnepourpassersonété à rédiger des légendes de photos. L-R, héritier du ketchup ; Trophy Wife, chirurgien esthétique des stars... –Ryanchéri,tum’écoutes?Jesuistellementnerveuse... Pour toute réponse, Ryan émit un ronflement sonore. Il lui tourna le dos et serra son oreiller contrelui,laissantMaraseuleetabandonnéedesoncôtédulargelit. Bon,ehbien...c’étaittoutpourcesoir.Detoutemanière,resterperchéesurdestalonspendant troisheuresétaitunevraietorture,elleavaitbienbesoinderepos. Elle posa un dernier baiser sur la joue de Ryan et pivota face au mur en remontant les couverturessursapoitrine. Ils dormirent ainsi, dos à dos, pratiquement sans se toucher. Le lit se balançait doucement au rythmedesvagues,etquandMarafermalesyeux,ellerêvaqu’elleflottaitseuledanslevide. Riendetelqu’unboulotbien faitpourvousgonflerlemoral Enfin le dernier ! Eliza maintint les bords du carton en place pendant que l’autre stagiaire les scotchait.Ilétaitofficiellementsixheuresdumatinetl’équipeaucompletavaittravaillétoutelanuit. Elizasesentaitenproieàunlégerdélire,maiselleexultait.Sesdernierschoixpourledéfiléfaisaient uneffetbœuf:elleavaitplacédesbijouxextravagantssurtouslesmannequins,jouéaveclestextures etlesmotifs,etréussiàcréerunspectaclehyperglamour.Sydneyétaitaucombledelajoie.EtPaige, aucombledelacontrariété. Elizaétaitsurunpetitnuage.Jamaisdesavieellen’avaittravailléaussidur,nines’étaitsentie aussibien!Lacollectionétaitincroyable:mêmePaigeavaitdûadmettreàcontrecœurquetoutétait sublime.Elizaétaittellementfière!C’étaitencoremeilleurqu’unementiontrèsbienauxexamens. Ils avaient emballé chaque tenue dans du papier de soie avant de les suspendre, avec leurs houssesenplastique,dansunearmoireportative.Celle-ciseraitchargéedanslecamionenpartance pour les Hamptons. Les livreurs arrivaient dans une heure, et les vêtements seraient en magasin le lendemainmatin,lejourdulancement. Eliza prévoyait de dormir quelques heures, puis de gagner les Hamptons en voiture dans l’après-midi.Ellesaluad’unsignedetêtelerestedel’équipeetrentrachezelleprendreunedouche bienméritée. Dansunaccèsdegénérositéquineluiressemblaitguère,Sydneyavaitpermisàtoutlemondede rentrerenvoitureavecchauffeurauxfraisdelacompagnie,etuneflottedeLincolnnoiresétaitgarée devantl’immeuble.ElizaenvoyalasiennesurParkAvenue. Le portier toucha sa casquette et lui tint la porte ouverte. Elle ressentit un afflux de plaisir indescriptible en pénétrant dans le hall de marbre décoré de fresques rococo aux couleurs pastel pleinesdenymphesetd’angelots.Elleempruntal’ascenseurgarnidemiroirsetd’unépaistapis,qui la déposa au vingt et unième étage. L’appartement des Thompson était dans la famille de sa mère depuis le début du XXe siècle. C’était un « six pièces classique », mais on aurait pu l’appeler un «douzepiècesluxe»,carilfaisaitledoubledelasurfacehabituelle,avecuneentréequis’élevaitsur lahauteurdetroisétagesetunbalcondominantCentralPark. SesparentsétaientdéjàdanslesHamptons,dansleur«cottage»d’Amagansett(seuleunepub Ralph Lauren aurait pu décrire comme « rustique » leur maison de campagne de dix chambres). Quelle merveille d’être chez soi, vraiment chez soi. C’était étrange : Eliza ne se serait jamais vue commeunebosseuse,maisunejournéeaustudiodeSydneyavaittoutboulversé. ToutessesamiesdeSpencesecontentaientd’allerchezlecoiffeur,defairedushoppingetde parler garçons. Bien sûr, il y avait quelques filles brillantes qui partaient faire du théâtre à Williamsburg,d’autresquieffectuaientdesstagesd’étédansdesmagazinesouàlaMaison-Blanche, maisElizan’avaitjamaiseuenviedeleurressembler. Ellen’auraitjamaispenséqu’unedurenuitdetravailpuisselaremplird’énergie,aulieudela vider. Cette occasion qui lui avait été donnée d’exprimer sa créativité, d’exploiter ses talents innés pour produire quelque chose de beau, lui apportait une satisfaction qu’elle n’avait jamais ressentie. Elizasesentaitinspirée,elleétaitheureusedefairecestagechezSydney.Elleavaithâtequeledéfilé commence. Quelquesheuresplustard,rafraîchieparunesiesteetunebonnedouche,Elizabouclaledernier desessacsmonogrammésGoyardetfitappeleruntaxi.Ellerejoignitlegaragefamilialdel’autre côtédelaville,oùl’attendaitsonnouveauvéhicule:uneLandRoverLR3sportflambantneuve–un net progrès par rapport à la berline de location de l’été précédent. Ses parents lui avaient offert la voiturepourlaféliciterdesonadmissionàPrinceton,l’universitéoùsonpèreavaitfaitsesétudes.Le 4x4étaitrutilant.Elizabalançasesaffairesàl’arrièreetsautasurlesiègeconducteur. Unevoixsynthétiqueàl’accentbritishl’accueillitdèsqu’elledémarralemoteur. –Bonjour,Eliza.Oùvoulez-vousalleraujourd’hui? –Bonjour,voiture!pépiaElizaenretour. Çalafaisaittoujoursmarrerd’avoiruneconversationavecsacaisse.Ellesaisitleuradresseà AmagansettdansleGPSautomatique. Lavoituresemitàluidonnerdesinstructions.Elizasortitduparkingetsemêlaàlacirculation. «Téléphone»,l’informalavoituretandisqu’unvoyantsemettaitàclignotersurletableaudebord. –Décroche,ditEliza. –Vousêtesenligne. Elizaentenditunbruitdevagues,etJeremyquisedébattaitavecsontéléphoneportable. –Allô?Allô?fit-il.Eliza,tueslà? –Salut,bébé. –Salut... Savoixgraveetprofondelafaisaitfondre.Elizaeutunpincementdepitiépourtouteslesfilles dontlecopainn’avaitpasunevoixaussisexyqueJeremy.ElleserappelaqueCharlieBorshok,son précédentamoureux,avaitunevoixhaut-perchéetricanaitcommeunehyène. –Jeviensdequitterleparking,jevaisentrerdansuntunnel.Jeserailàdansquelquesheures. (Ellesemitàroucoulercommeunecollégienne.)Jet’aimanqué? –Pasdutout,plaisanta-t-il. Elles’engageadansleprofondtunnelquitraversaitlavilleetlesignalfaiblit. –Jer,jenecapteplus.Jeterappellequandjesuissurla27,OK?Jet’aime. Pasderéponse.Elleavaitperdulecontact.Elleeutunfrissonenpensantàlaparuredelingerie surmesure,spécialementpréparée,quil’attendaitdanssesbagages.Delasoierosetrèspâle,avecdes rubansensatin.Jeremyl’ignoraitencore,maiscesoir,c’étaitlegrandsoir.Elleespéraitbienquele monden’allaitpass’écroulerd’icilà,carellen’avaitaucuneintentiondemourirvierge. Lediablesechausse enLouboutin Premier indice que ce boulot n’allait pas être banal : les escarpins de sa chef posés sur son bureau. Mara les admira du coin de l’œil. C’était des Louboutin de cuir rose bonbon, avec leurs semelles rouges comme un camion de pompier – le fameux détail qui, partout dans le monde, prouvaitauxfollesdechaussuresquec’étaientbiendesarticlesdeluxeàcinqcentsdollars. Pendant dix ans, Sam Davis avait régné sur les médias de New York. À elle seule, elle avait transformé plusieurs magazines léthargiques et déphasés en vaches à lait ultra-rentables. Elle avait commencé par American Teen et gravi les échelons du « ghetto rose » de la presse féminine, de Sophisticatedàl’espagnolAnnaClaudia,puisàGlitter,plusgrandpublic,jusqu’àlapluscélèbrede sesrecréations,Them:untabloïdpeoplequi,chaquesemaine,abreuvaitsonpublicdedétailssurla vieprivéedesstarlettesdelatélé.C’étaitlafautedeSamDavissilajeunechanteusepopChauncey Raven,récemmentmariéeàsonancienchoristeDarylWolfetmamand’unpetitLiamSpenserRaven Wolfdequatremois,avaitdéjàratatinédeuxdécapotablesMercedes,poursuivieàfonddetrainpar despaparazzienpleinMalibu. Sam Davis pliait le monde des médias à sa volonté et son ascension semblait sans limites. Pendantdesannées,ilavaitsembléqueriennel’arrêterait.Convaincuequ’ellepouvaittoutconquérir, elle s’était mis en tête de réinventer le marché de la presse culturelle. Elle avait alors proposé un magazineàmi-cheminentreHarper’setInStyle,quidevait«rendresexylesgensintelligents».Ce qu’ellefitenaffublantdesprixNobeldetenuesdénudéesetendemandantàdesacteursdecritiquer les dernières sorties littéraires. Les sommets furent atteints lorsqu’un présentateur de reality show résuma ainsi un ouvrage – couronné par le prix Pulitzer – sur la famine en Afrique : « Un livre succulent, à dévorer sans hésiter ». Le magazine cessa de paraître après trois numéros, le contrat mirobolant de Sam fut rompu, et aussi rapidement qu’elle était devenue la reine de la ville, elle en devintlarisée. D’où son exil dans les Hamptons. Elle jurait que c’était pour se rapprocher de sa famille (d’après ses employés, elle travaillait seize heures par jour alors que son fils de cinq ans était hospitalisé pour une tumeur au cerveau), pour profiter de la tranquillité qu’offrait le journalisme dans les Hamptons (expositions florales, concours hippiques, frime en tout genre). Mais New York connaissaitlavérité:elleétaitfinie. Finie peut-être, mais pas morte. Sam Davis avait hâte d’imposer sa griffe sur Hamptons et de faireànouveauparlerd’elle. Mara attendait avec impatience qu’elle ait terminé de harceler son assistante au téléphone au sujetdesoncafé. –Combiendefoisfaudra-t-ilquejevousledise?Uncappuccinodrynemoussepas! Elleavaitencoredumalàréaliserqu’elleaitpudécrocherunjobaussiconvoité.Larapiditéde tout cela lui faisait encore tourner la tête. Toute sa vie, on lui avait inculqué que la réussite était le fruit du travail et de la discipline... mais comment y croire alors qu’un simple coup de fil – une relation–luiavaitapportéleboulotdesesrêves?Celanesemblaitpasjuste.Quediredetoutesles candidatesauposte,quin’avaientpaslachanced’avoirbossépouruneanciennecamaradedefacde SamDavis? D’aprèsEliza,c’étaitunraisonnementvaseux.Lemondenefonctionnaitqu’aucarnetd’adresses. Toutcequicomptait,c’étaitquionconnaissait.Pluslesgensétaientimportants,mieuxc’était.Mara s’étonnaitdeconstaterqu’àdix-septans,elleavaitrencontrédéjàbeaucoupdecesgens. –Oui?demandaSamenprenantenfinactedelaprésencedeMara. C’étaitunesolidefemmedetrente-sixansauvisageduretridé.Sescheveuxd’unnoirdejais étaientcensésfairepunk,toutcommesoncollierdechien.Pourtant,boudinéedansunpullVivienne Westwood trop petit et un jean Shagg qui lui moulait les cuisses, Sam Davis trouvait le moyen de ressembler à n’importe quelle mère de famille banlieusarde s’accrochant désespérément – mais en vain–àsajeunesserebelle. –JesuisMaraWaters.Votrenouvellestagiaire.J’airédigél’articlesurlegaladecharitéd’hier soirauclubCain. – Le quoi ? interrogea Sam. (Elle fit disparaître ses pieds sous le bureau dans un éclair de couleur.)Ahoui.J’aieuvotrepapier.Onl’acoupé. –Oh,fitMara,déçueetpeinée. Tout ce travail, devoir laisser Ryan en plan... et l’article n’était même pas passé ! De plus, ses pirescraintesseconfirmaient:ellenesavaitpasécrire.Ellen’étaitmêmepascapablededivertiravec unechroniquemondaine.C’étaitsérieusementdéprimant. Cematin-là,Maras’étaitréveilléeseuledanslelit.Ryanavaitlaisséunmotpourdirequ’ilétait partisurfer.C’étaitsonhabitudedeseleveràl’aubepourallerattraperlesvagues.Maras’enétaitun peu attristée : la veille au soir, ils avaient eu trop sommeil pour se retrouver, et voilà qu’ils n’arrivaient pas à passer la matinée ensemble. Elle avait prévu de leur préparer un petit déjeuner romantiquedanslacuisinedubord,maisdutserabattresurunpetitpainfroid,touteseuledevantla télé. –J’aibienpensélepublierlasemaineprochaine,maisceneseraientplusdesnouvellesfraîches. EtnousnedonnonsquedesnouvellesfraîchesdansHamptons,déclaraSamDavisavecemphase. –Biensûr,acquiescaMaraens’apprêtantàremettresoncarnetdenotesdanssonsac. Manifestement, elle allait être reléguée à la gestion des fournitures de bureau. Ses épaules s’affaissèrent. Cependant,àsagrandesurprise,Samluifitsignedes’asseoirenfaced’elle;Maraobéit,une foislesiègedébarrassédespilesdemanuscrits,demagazines,d’enveloppesetdeboîtesFedExqui l’encombraient. –C’estpeudechose,voussavez.Çaarrivetoutletemps,luiexpliquaSamenlevantlesyeuxau ciel.C’étaitunpeulourdsurlesjeuxdemots,maispasdéplaisant.Unrienverbeux.Vousavezgâché la chute en parlant du joueur de polo et de la starlette dès le quatrième paragraphe. Mais vous apprendrez. Maraseragaillardit. –C’estvrai? Samfarfouillasursonbureauettrouvaunesortiepapierdel’articledeMara.Ellelereluten diagonale. –Ilyadebonneschoseslà-dedans:les«équationsmondaines»,c’estamusant.J’aimebien.Il nousfautplusdecela. Mararayonnait.Elleétaitcontentedesatrouvaille. –Voussavezquoi?Lasecrétairederédactionaengagéunenouvellestagiaire,pourfaireplaisir àlabelle-sœurdel’éditriceoujenesaisquoi.Sibienquenousn’avonsplusbesoindevousenstage, expliquaSam. AvantqueMaraaiteuletempsdeserenfrogner,ellepoursuivit: – En revanche, j’ai besoin de quelqu’un pour rédiger l’Agenda mondain régulièrement. CourtneyvonWildingaappelé.Ellepassel’étéenMéditerranéesurleyachtdejenesaisquelprince grec,ellenerentrerapasàNewYorkavantl’automne.(Samsoupira.)Voilàcequiarrivequandon embauchedejeunesjet-setteusespourécrirel’Agendamondain.Impossibledelesinstallerdevantun clavier:çaabîmelamanucure. Elle dénicha quelques vieux numéros du magazine qu’elle fit glisser vers Mara à travers le bureau. –Vouscouvrirezlesdéfilésdemode,lepolo,lesgalasdecharité,lesdîners,quiestin,quiest out, ce qui se porte, qui couche avec qui, qui se fait snober aux feux d’artifice cette année. On va secouerunpeutoutcemonde!LeurdonnerquelquechoseàlireentrelespagesdepubpourCartier. Maraopinaenprenantdesnotesàtoutevitesse.Quiin/out,lireentrepubsCartier. – Sydney Minx inaugure sa nouvelle boutique demain. Je veux que vous y soyez. Et surtout, interviewez-lebien.Nousallonsréaliserunportraitcomplet.Jeveuxquevousdonniezencoreplus souventvotrepointdevued’étrangèrerécemmentintégrée.Onferapeut-êtrelacouvertureavecça. Voyonscequelevieuxrenardadanssamanche.Jeveuxtroismillemotspourlundi. Trois mille mots ! Pratiquement un roman ! Et Sam Davis avait-elle bien dit « couverture » ? C’étaitsagrandechance! –Ah,avantd’oublier,unechosequ’ilmefautabsolument,lançaSamDavis.Deschaussettes. –Deschaussettes? Samdésignasespieds. –Deschaussettes.Pourmonmatchdetennis.Ilm’enfaut.Arrangez-vouspourqueSydneym’en envoie.Dites-luiqu’onvalesphotographierpourunepagedemode. –Pardon...fairevenirdeschaussettes? –Vousêtessourde?Voilàlenuméro,insista-t-elleenpassantunecarteàMara.Jesuisenretard pourmondéjeunerchezNickandToni’s. Surcesmots,SamDaviss’enalla. Mararegardaitfixementlemorceaudepapierdevantelle.Sapatronnevoulaitvraimentqu’elle demande à un styliste d’envoyer une paire de chaussettes par coursier ? Pourquoi pas simplement descendreenacheterunepairedansunmagasin?Oupasserenprendrechezelle? Ellecomposalenuméro. –GooberRelationspubliques,chantaunevoixsoyeuseàlaquelleMarareconnutl’assistantede Mitzi. Mara raccrocha immédiatement. Elle ne pouvait pas se résoudre à demander à quelqu’un d’envoyer des chaussettes, et encore moins à Mitzi. Même avec l’excuse débile d’en avoir besoin pour une séance de photos. Ce n’étaient que des chaussettes blanches, en vente dans n’importe quel supermarchépour1,99dollars.Peut-êtreferait-ellemieuxdecourirenacheter,toutsimplement.Mais siSamremarquaitquecen’étaientpasdesSydneyMinx?LeschaussettesSydneyMinxavaient-elles quelquechosedeparticulier? Parchance,elleeutuneautreidée.Ellecomposarapidementlenumérodeportabled’Eliza. –Liza? –Mar!Holla! ÀCabo,ellesavaientécoutél’albumdeGwenStefanienboucle,às’enécorcherlesoreilles,sur l’iPoddeMara. –Hollaback,girl!T’esoù?demandaMaraquelavoixrauqued’Elizasubmergeadeplaisir. Cet été, toutes les trois seraient de nouveau réunies... Qui savait quelles bêtises elles allaient encoreinventer? –Coincéedanslesembouteillagessurla27,commetoujours.Maisjedevraisêtrearrivéedans uneheure. – Écoute, il me faut des chaussettes. Pour ma chef. Sam Davis. Tu crois que vous pourriez en envoyer? –Deschaussettes? Maras’expliquarapidement. –Ahoui.Net’inquiètepas.Ilparaîtqu’ellefaitçatoutletemps,ellecommandedestrucsàtout boutdechamp.Personneneluiprêteplusdevêtementsparcequ’ellementtoujoursendisantquec’est pour un reportage photo, et ensuite on les voit sur elle à une avant-première. Par contre, elle et Sydney, c’est une longue histoire, paraît-il. Je vais charger une des filles du magasin d’en envoyer unepaire.Quelletaille? MarapoussasubrepticementdupiedlaboîteàchaussuresLouboutinquitraînaitsouslebureau demanièreàvoirl’étiquette. –Duquarante-quatre.C’estBertheaugrandpied,dit-elleavecunpetitrire. Elizalamitenattente,puisrepritlaligne. –Tulesaurasàmidi. –Tuviensdemesauverlatête. –Ouplutôtlespieds,gloussaEliza. –Tusaisquoi?JedoisécrireunarticledefondsurSydneyMinx!pépiaMara,surexcitée,tout engribouillantsursonbloc-notes:ParMaraWaters,puis:L’Agendamondain,parMaraWaters, et enessayantd’imaginersesquelqueslignesdebiographie:MaraWatersvitàSagHarbooravecson fiancé.Ceciestsonpremierarticlepourlejournal. –Arrête!s’étranglaEliza. –C’estvrai!Onm’aconfiélarédactiondel’agendamondain.C’estpasdingue,ça? – Complètement dingue, s’enthousiasma Eliza. Oh mon Dieu, tu vas être, genre, hyper importante! –Tais-toi!rigolaMara. Eliza avait tendance à exagérer, mais c’était tout de même agréable à entendre. Elle posa ses piedssurlebureaucommeSamDavis.Detoutemanière,iln’yavaitpersonnepourlavoirdansles environs. –Tumeciterasdanstonarticle?J’aiaccessoirisétoutelacollection. –Jeverraicequejepeuxfaire,réponditMarad’untonfroidementprofessionnel. –Oh,fitEliza,déçue. –Andouille,jeplaisantais.Biensûrquejeparleraidetoi,promitMara. –Ouf!Pendantuninstant,j’aicruquej’allaisdevoirt’apportermasuper-machine-à-dégonflerles-grosses-têtes,lataquinaEliza. –OnsevoitchezlesPerry? –Unpeu,monneveu!conclutEliza. Maratsouritenraccrochant.Elleétaitfolled’impatiencederevoirsesamies. Jacquibrouillelesondes deRadio-instance-de-divorce Lesenfantsavaientbeaus’efforcerdefairecommes’ilsn’entendaientrien,lamaisonrésonnait desarcasmesetdeproposacides.KevinetAnnasedisputaientparinterphoneinterposé.Unefoisde plus. Jacqui contempla le boîtier blanc fixé à côté du grille-pain en regrettant de ne pas pouvoir couperleson.L’interphonedecettemaisonétaitdifférentdeceluideNewYork.Là-bas,lorsqu’on appelait une pièce, la conversation s’établissait discrètement entre les deux postes. Dans les Hamptons, où le système était plus ancien, lorsqu’on appuyait sur le bouton votre voix sortait par quinzehaut-parleursàlafois. – Bon sang, où sont encore passés mes clubs de golf ? Comment se fait-il que je ne retrouve jamaisriendanscettemaison?beuglaitKevin. –Pasmafaute.Cen’estpasmoiquilesaidonnésàrevernir,grinçaAnna. –Çac’estsûr,tunefaisjamaisriendanscettemaison.Àpartclaquerdufric!Etaufait,tonpetit exploitavecmonoreille,c’estgrave.Lemédecinditquec’estinfecté. – Et alors ? Je m’en fous. J’en ai marre de la manière dont tu me traites. Je ne suis plus ton assistante,jesuistafemme!hurlaAnna. –Ouais,j’avaisremarqué.Monassistantes’activeplusquetoi!rétorquaKevin. –Vatefairefoutre.Jeveuxdivorcer! –Parfait!C’estd’accord!répliquaKevin.Iltefautsansdoutequelqu’undeplusjeune,puisque tuneveuxjamaisfairelamêmechosequemoi. –Allô,laTerreparleàKevin!Tesamissontchiants! –Ehbiencommeçatun’aurasplusàlessupporter,hein? –C’estsérieux,cettefois!menaçaAnna.Jeveuxdivorcer! –Vas-y!Appelletonavocat! –Ilestdansmesnumérosabrégés!Regarde-moifaire! – Ils ne disent pas ça sérieusement, dit Jacqui en versant dans les bols des enfants des flocons d’avoineirlandaisebiologiquecomplète.Ilsn’enpensentpasunmot. Lamenacedudivorceétaitsisouventbrandiequ’elleenavaitperdusonefficacité. Madisonlevalesyeuxauciel.Elleaffectaitl’indifférencefaceauxquerellesentresonpèreetsa belle-mère, mais comme Anna était la seule mère qu’il lui restât – leur vraie mère, Brigitte, s’était enfuiedansunashramauSriLankasansunregardpoureuxdepuisdesannées–,ilétaitévidentque les disputes la terrifiaient. Lorsqu’un long cri d’Anna déchira l’interphone, Madison renversa accidentellementsonverredejusd’orange. –Net’inquiètepas,larassuraJacquienl’aidantàessuyerlatableavecdupapierabsorbant. William,onzeans,nelevapaslesyeuxduromand’aventurequ’ilétaitentraindelire.Lepetit garçonhyperactifs’étaitcalmé,curieusementsansl’aided’aucunmédicament,etunetransformation radicales’étaitproduite.Alorsqu’avantleproblèmeétaitdelefairetaire,àprésentilétaitdélicatde luiarracherunmot.Ilavaitgrandi,maigri,etsaressemblanceavecRyans’accentuaitdejourenjour. Silesdeuxaînéss’efforçaientdemasquerleuranxiété,levacarmeperturbaittrèsclairementZoéetle bébé–commeilsappelaientencoretousCody. LalèvreinférieuredeZoétremblait,etlapetitefillesemblaitsurlepointdesemettreàpleurer; quantàCody,leseulenfantbiologiqued’Anna,ilhurlait,lesmainsplaquéessurlesoreilles. À bout de patience, Jacqui traversa la cuisine pour aller débrancher le boîtier qui cessa immédiatementdeglapir.OnentendaitencoreladisputedesPerryrésonnerdanslesprofondeursde lamaison,maislesonétaitlointainetétouffé. –Allez,mangezvosfruits,lesamadoua-t-elleenfaisantpasseràlarondeunboldepruneauxet deraisinssecs. –Y’aquelqu’un?claironnaunevoixjoyeuseàlaporte. Jacqui leva les yeux. Mara entra, les bras chargés d’un grand panier rempli de muffins tout chauds,sortantdufour,dechezlaComtesseauxPiedsnus.Leurparfumdecannelleetdemuscade envahit la cuisine. Et pour la première fois depuis qu’elle avait reçu les mauvaises nouvelles de la NYU,Jacquieutréellementenviedesourire. –Saluttoutlemonde!ditMara. –Holla! Maras’approchapourembrasserJacqui. –Tuessuperbe! Jacqui exécuta une pirouette. Elle portait un débardeur ajouré et blousant Derek Lam avec un étroitbermudaàcarreauxgris. –Toiaussi.C’estunetuniqueTory?J’adore! Mara acquiesça en s’asseyant au comptoir de la cuisine ; les enfants avaient immédiatement abandonnéleursfloconsd’avoinepourdévaliserlepanierdemuffins. –MonDieu,William,tuaspoussécommeduchiendent!s’exclamaMara.EtMadison,tuestrop mignonneaveccettechemise! –OnditBill,maintenant.Ilneveutplusqu’onl’appelleWilliam,précisaaffectueusementJacqui. EtnousavonstrouvécettechemiseensoldechezJeffreylasemainedernière,n’est-cepas,Mad? William adressa à Mara un sourire timide et retourna s’asseoir. Mara leva les sourcils en regardant Jacqui qui se contenta de hausser les épaules. Deux étés de suite, le petit garçon les avait terroriséesavecsescrisesdenerfs;ilétaitdifficiledeconcevoirquelesalegossequilespoursuivait desonpistoletàeausoitdevenucetenfantsageplongédansunlivre. MaraébouriffalescheveuxdeCodyetembrassaZoé. –Alors,comments’estpasséelapremièrenuitde«laCroisières’amuse»?lataquinaJacquien traçantdesguillemetsimaginairesavecsesdoigtsavantdedébarrasserlesbolsintacts. MararougitetjetaunregardsignificatifverslespetitsfrèresetsœursdeRyan. Jacquihochalatêteetluiexpliquaàmi-voixquedèsqueleursgrands-parentsarriveraient,elles pourraient discuter tranquilles. Les parents de Kevin emmenaient les enfants dans leur propriété de l’autre côté de l’île, où ils allaient passer la journée à pêcher dans l’étang et à faire du cheval. Les grands-parentsPerry,desgenspleinsdebonsens,étaientcontrelesnounous,sibienqueJacquise retrouvaitavecunejournéedecongé. Quandlesenfantsfurentpartis,MaradécrivitàJacquiledînerincroyablementromantiqueque Ryanluiavaitpréparé,etlamanièredonttoutavaitétéinterrompuparunemissionprofessionnelle. –J’aiétéobligéedelelaisser...Jen’avaispasvraimentlechoix,sedéfenditMara. –C’estdur,admitJacqui. –Oui,maisbon,çava.Onatroismoisàpasserensemble. Puiselleluiracontatoutsursonnouveauboulotetsadinguedepatronne. –C’estgénial,Mar!Tues,genre,unevraiejournaliste,s’émerveillaJacqui.Jesuishyperfière detoi,chica. Mararayonnait.Jacquisavaittoujoursexactementquoidire. Elles comparèrent ensuite leurs cérémonies de remise de diplôme, et la conversation tomba bientôtsurleurfutureuniversité. – Je suis encore sur liste d’attente pour Dartmouth, tu te rends compte ? gémit Mara. Quelle poisse.Ettoi?DesnouvellesdelaNYU? Enuninstant,l’estomacdeJacquisecontracta.Ellenesavaitpasquoirépondre.Elleserefusait à admettre son échec, surtout après avoir laissé entendre à Mara que tout roulait pour elle. Et puis, c’étaittropdouloureuxàavoueràhautevoix.Jamaisellen’avaitétéaussigênéeavecsonamie. MaisJacquifutsauvéeparlegonglorsquedeuxlongscoupsdeKlaxonrésonnèrentdansl’allée. –OÙSONTMESHARAJUKUGIRLS 1?braillaElizadepuislaported’entrée. 1. Harajukugirls est une chanson de Gwen Stefani qui fait allusion aux collégiennes habillées de manière délirante du quartier de HarajukuàTokyo(N.d.T.). Pourfêterleursretrouvailles, lestroismousquetairesfont unepausecigarette Elizasortitdesavoiture.ElleportaitunelonguerobebustierblancheàtailleEmpire,enjersey de coton à smocks, qui mettait en valeur ses épaules bronzées. Son petit nez était surmonté d’une gigantesquepairedelunettesDita:c’étaitladernièreobsessionmodedescélébrités,etelleavaitdû les pister jusque dans une boutique de West Hollywood. Elles étaient tellement grandes qu’elles lui mangeaientlamoitiédelafigure,maisillesluifallait.(ToutlemondepouvaitporterdesChanelet des Gucci ordinaires, mais quand on était au parfum, c’était des Dita qu’il fallait !) Ses cheveux étaientnouésenunelonguetresse.Elleavaitlesjouesrosesetlesdentsbrillantes.Elleétaitl’image même de l’été, et ses vieilles bottes de cow-boy apportaient une touche branchée qui complétait parfaitementl’ensemble. Mara et Jacqui admirèrent la robe d’Eliza et décidèrent immédiatement qu’elles voulaient la même.C’étaitl’effethabitueldesvêtementsd’Elizasurlagentféminine:onconvoitaittoujoursce qu’elleportait.Heureusement,Elizaétaitdecellesquipartagentvolontiersleurssecretsdeshopping. – Trop mignonne, non ? Planet Blue à Malibu. Je suis allée en Californie avec mon père la semaine dernière. Pas de panique, j’ai le numéro ! dit-elle avec animation en embrassant chaleureusement ses amies sur les deux joues – une nouvelle habitude, prise après une journée de travailenstudiodemode. –Jacqui,personneneportelebermudacommetoi.Ilvientd’où?OldNavy?Tuplaisantes?On diraitunepiècedecréateur!Mar,tescheveuxsonttropbien!Tuasfaitquelquechoseàtessourcils, aussi?Maisavantqu’onseracontetout,quelqu’unpourraitm’apporterunebouteilled’eau?Jecrève desoif! MaraallaenriantchercheràlacuisineunebouteilledeGlaceauSmartwatergivréequ’ellelui tendit.Lapremièrefoisqu’elleavaitvuEliza,ellel’avaitcataloguéecommeuneinsupportablepetite princesse, mais depuis, son amie lui avait largement prouvé son erreur. Même si elle faisait le maximumpourvivredansunmondeoùtoutcequiestplusfroidquezérocontientduchampagneet ducaviar,ellesavaitaussicequec’étaitquedemangerdesrestesdansunvieuxfrigoàBuffalo. –Regardez-moiça!ditElizaenleurmontrantlaLR3noiregaréedansl’allée,unefoisqu’elle eutdévissélabouteilleetprisunelonguegoulée. Marahochalatête,impressionnée.Elizaleuravaitbienditquesafamilleavaitretrouvétoutesa fortune;lavoitureleprouvaitsanséquivoque. –Elleestnickel,approuva-t-elle. –Oùsontlesmioches?demandaEliza. –Chezleurmamie,expliquaJacqui.AgradeçaaDeus.Dieusoitloué. –Iln’yapersonne,alors?Super,onpeutfumer,ditElizaentirantunpaquetdesonsacàmain Chloé Silverado. Vous aimez ? Je sais, je n’ai pas été sage, avoua-t-elle en parlant du prix à cinq chiffresdusac. Touteslestroiss’installèrentconfortablementsurlesmarchesdevantlamaisonpourpapoteren fumant des cigarettes. Elles avaient conscience que c’était peut-être leur dernier été ensemble – qui pouvaitpronostiqueroùellesenseraientl’anprochain?–,etcettepenséelesrapprochaitencoreplus. Sansquecesoitdit,toutestroisétaientheureusesd’avoirencoreunesaisonbaignéedesoleilàpasser danslesHamptonspourfairedushopping,s’amuseretfaireunefiestad’enferavantd’entrerenfac. Leurpapotagefutinterrompuparlebruitd’untaxibrinquebalant,quis’arrêtadansl’allée.Une filleminusculeapparutàlaportearrière.CettecréaturetoutemenueétaituneCoréenneextrêmement jolie. Ses cheveux courts ébouriffés encadraient des lunettes œil-de-chat à monture d’écaille. Le chauffeurl’aidaàsortirsesbagages–desvalisesassortiesvertoliveornéesdulogoFendi–,etelle tiradesonsacGucci,pourlepourboire,quelquesbilletsdeundollarfroissés. Elleconsultalepapierqu’elletenaitàlamainavantdeleverlesyeuxsurlesfilles. –Excusez-moi.CreekHeadManor,c’estbienici? –M-mm,acquiescaMara. –Onpeutvousaider?demandaJacqui. Lafillelesobservatouteslestroisavecattention,commesiellevenaitjustedelesremarquer. –OhmonDieu!dit-elle.Vousêteselles! –Qui,elles?répétaMaraensetournantverssesamiesd’unairperplexe. –Vousêtescélèbres!piaillalafilled’unevoixsuraiguë.Vousêteslesfilleslesplusclassedes Hamptons,jesaistoutsurvous,jel’ailudansTeenVogue! L’étéprécédent,pourfaireplaisiràMitziGoober,touteslestroiss’étaientprêtéesàunportrait des « filles de l’été » dans le magazine. Mara y était photographiée au bras de Garrett Reynolds, sortant d’une Bentley. Eliza, elle, était présentée dans sa minirobe à paillettes Sass & Bide, une planchetteécritoireàlamain,devantuneboîtedenuit.QuantàJacqui,elleoccupaitladoublepage centraledanslatenuefinaledudéfilédemode. –TuesMara,n’est-cepas?ditlafilleenluitendantbrusquementlamain.Jet’aivuedansle realityshowdeSugarPerry! –Oh,euh...ehbienmerci,bredouillaMara,encoreunpeudésarçonnée. Lafillehochavigoureusementlatête. –Toi,tudoisêtreEliza,lafolledemode,dit-elleensetournantversEliza.Etdonc,toi,tues Jacqui...mapréférée!couina-t-elleensejetantàsoncou. Mara et Eliza échangèrent des coups de coude pendant que Jacqui esquivait poliment les embrassadesdelafille.«Préférée?»Pourquilesprenait-elle,despersonnagesdesérietélé? Lanouvellevenuesemblaitsurlepointdetournerdel’œil. –C’esttropcool,quandjepensequejevaistravailleravecvouscetété! –Travailleravecnous?demandaElizalesyeuxplissésenécrasantsacigarettecontrelasemelle desachaussure. –Jem’appelleShannonShin.Lanouvellefilleaupair!Etjesuisprêtepourlemeilleurétéde mavie! Lesmalentendusfont bonménageavecl’abus demargaritas Toutensirotantleursmargaritas«hypnotic»bleulagonàlaterrassedel’hôtelSunset,lesfilles analysaientlesderniersévénementssurvenuschezlesPerry.ElizalesavaitconduitesàShelterIsland pourboireunpetitverrependantl’happyhouravantd’allerchercherJeremyàsontravail.Ilvenaitde monter son entreprise de paysagisme, et n’avait eu aucun mal à recruter comme clients tous ses anciensemployeurs.Elizaetluiavaientrendez-vousàsonappartementdansquelquesheures,etelle voulaitprendredesforcespourlegrandévénement.Elleavaitdécidédeperdreenfinsavirginité,pas sonsang-froid. –Tusavaisquetuallaisavoirdurenfort?demanda-t-elleenallumantunecigaretteetenposant lespiedssurlemuretquilesséparaitdelaplage. Ellesétaientinstalléesdanslesfauteuilsenosierdubar,alignésfaceàl’océan.Jacquisecouala tête. –Annaadûoublierdem’enparler.Grossesurprise. Maraopinaduchef. –Lanouvelleal’airtrès...enthousiaste. Elle n’en revenait toujours pas de la manière dont Shannon les avait traitées. Comme des célébrités. –Jetrouveçasuper,approuvaEliza.Çatefaitquelqu’unàquidonnerdesordres! Toutes les trois avaient pris un coup de vieux. Déjà deux ans qu’elles se connaissaient, vraiment?LefraisvisagedeShannon,quinzeans,leuravaitrappelécombienellesétaientjeuneset naïves lors de leur première embauche comme filles au pair. Shannon n’avait fait aucune difficulté pour rester seule à la maison, à attendre le retour des enfants, pendant que Jacqui sortait boire un verre en vitesse avec ses copines. Anna avait recruté la nouvelle de la même manière qu’ellesmêmes:paruneannoncesurInternet.Shannonleuravaitracontéqu’elleavaitenvoyéunportfoliode qualitéprofessionnellecomprenantundossierdedixpagessursescompétences,aveclesémouvants témoignagesd’enfantsqu’elleavaitgardés.Elleavaitétéengagéesur-le-champ. Jacquiculpabilisaitbienunpeudel’avoirlaisséetouteseulepoursonpremierjour,maisd’un autre côté Eliza avait raison. C’était elle qui commandait, et ce serait bien d’avoir quelqu’un pour l’aider. –Bonalors,ilfautqu’onpasseunétéfantastiqueavantderentreràlafaccetautomne,ditEliza. Onseraaupolotouslessamedisaprès-midi.Sansexception.Ilparaîtqueçavaexplosercetteannée. DesgensdetoutepremièreimportancesouslestentesVIP. –J’aiunecartedepresse,intervintMara.Jecouvrelepolo. Ellen’enrevenaittoujourspasdel’avoirméritée...maisSamDavislaluiavaitremisecetaprèsmidimême.C’étaitunepièced’identitéplastifiéequiportaitlamention«PRESSE»enmajuscules rougesau-dessusdesonnom.Rienqu’àlaregarder,elleenavaitdesfrissons. –Cool.Jesuissurlaliste.Jet’yferaiinscrireaussi,Jac,promitEliza.(Àprésentquesafamille faisait de nouveau partie du gratin, elle naviguait avec assurance dans les courants de la vie mondaine.)IlyaaussilegaladecharitéL’ArtpourlaVie,etlebanquethawaïenpourlarecherche contrelesida.Etpuis,peut-êtrequ’undecesweek-endsonpourraitpousserjusqu’auxvignoblesdu nordpourunepetitedégustationdevin? –Perfeito,approuvaJacqui. –Quedirais-tud’unefêtesurlebateau,Mar?lançaEliza. – Bien sûr. Pour le 4 Juillet, peut-être ? suggéra Mara en imaginant comme ce serait joli de lancerunfeud’artificedepuislepont. Ils pourraient avoir une glacière remplie de bières, et quelques feux de Bengale et chandelles romaines pour les garçons. Jeremy les renseignerait sûrement si jamais Ryan ne savait pas où en trouverenville. –Jem’occupedesgrillades,proposaJacqui.Vousavezunbarbecuesurlebateau,oui? –JedemanderaiàRyan,maisjecroisbienenavoirvuun,ditMara. –Commentva-t-il,aufait?demandaElizad’unevoixlégèreensoufflantunronddefumée. EllejouaitavecsabaguedeCladdagh,uneallianceirlandaisequeJeremyluiavaitoffertepour sonanniversaire.Elizalaportaitaveclecœurtournéverslebas,ensignequesonproprecœurétait pris. –Cemecsurfevingt-quatreheuressurvingt-quatre,septjourssursept.Ildoitavoirdel’eaude merdanslecerveau,jevousjure,plaisantaMara. –Dites,onm’adéjàproposéd’adhéreràunclubdegastronomieàPrinceton,annonçaEliza. –Tuvasaccepter?Ilparaîtqu’ilssonthypersnob,objectaMara. – Mais il le faut ; c’est le seul moyen de s’alimenter, rétorqua Eliza. Personne ne mange à la cafétéria,ausecours! Eliza ne trouvait pas cela snob, simplement pratique. Les clubs de gastronomie offraient de meilleurs cuisiniers et des aliments bio. L’un d’eux proposait même un régime végétarienmacrobiotique.Ellen’avaitaucuneintentiondeprendrelescinqkiloshabituelsenarrivantàlafac. Elleleurexpliquacommentelleavaitplanifiélesquatreannéesàvenirgrâceàunguidedescoursles plusfacilesetdesprofslesplusindulgents.Elleallaitpassersesexamensobligatoirestranquilleles deuxpremièresannées,ensuitepartirunanàParis,etprésenterlediplômel’annéesuivante.Riende tropcrevant,puisqu’elleétaitassuréedereprendreunjourlaboîtedesonpère.C’étaitcequetoutle mondeattendaitd’elle,etsurtoutsesparents. –Ehbien,tuasdéjàtoutprogrammé,admiraJacqui. Elleeutunpincementdetristesse,carpourunefoisdanssavieelleaussiavaitfaitdesprojets, maisilsn’avaientpasmarchécommeprévu. –Eneffet,j’aimebienêtreorganisée,admitEliza,modeste.Ettoi,Mar?Desnouvelles? –Pasencore,râlaMaraenfronçantlessourcils.C’estdelatorture.Ilsnedevraientpasavoirle droitdenousinfligerça!C’estinjuste! –Jesais,c’estnul,maisColumbia,çapourraitêtregénialaussi.C’estenpleineville. Marahochalatête. –MaisRyann’yserapas,dit-elled’unetoutepetitevoix. Elleécrasasacigarettedanslecendrierenplastiqueetregardaungroupedejeunesreplierun filetdebeachvolley.Elizahaussalesépaules. –C’estpasloinduNewHampshire. –Sansdoute,soupiraMara. –Ettoi,Jac,commentças’estpasséaveclaNYU?poursuivitEliza. –Oui,raconte-nous.Aumoins,sijemeretrouveàColumbia,jesauraiquetuesenvilleavec moi,avançaMara. Jacquiposasonverreets’éclaircitlagorge.Ellesesentitpiquerunfardenformantlesmots. –Ehbienoui... –Ehbienoui?lacoupaMaraenécho. –Tuasétéprise?enchaînaElizad’unevoixperçante. –Félicitations!s’exclamèrent-ellestouteslesdeux. Mara et Eliza couvrirent Jacqui de gros baisers et de grandes embrassades. Elles savaient combienellevoulaitentreràlaNYU,etcommeelleavaitbûchépouryarriver. Jacqui sourit. Le sourire resta longtemps figé sur son visage. Il y était toujours lorsque la conversation retomba sur l’heure du rendez-vous pour la soirée d’inauguration de Sydney Minx le lendemain.Cen’étaitqu’unmalentendu;ellen’avaitpaseuenviedeledissiper,voilàtout.Oùétaitle mal,ensomme?Ellen’avaitpasencoreenviequecesoitréel,toutsimplement.Àcemomentprécis, toutcequ’ellevoulait,c’étaitboireencoreunverreavecsesamies. Lediables’habilleenbikini bleupétard Unvold’oiseauxdemertraversaitleciellorsqueMaraarrivaauport.Elizaladéposaetluifit aurevoirdelamain.Ellesavaientpassétouteslestroisl’essentieldelajournéeàSunsetBeachet, aprèsavoirattenduqu’Elizaaitdessoûlé,ellesétaientrentréesenchantantàtue-têtesurl’albumde GwenStefani,lesvitresbaisséesàfondpoursentirleventdel’océanleursoufflerdanslescheveux. –Soissage!luicriaEliza. –Nefaisrienquejeneferaispas!lataquinaJacquidepuislesiègepassager. –Ça,çalaisse...beaucoupdemarge!réponditMaraenriantetenagitantlamain. ElleentenditlavoixdeRyansurlepont.Ildevaitdiscuteravecdespotesdesurfpasséslevoir. Leurspremiersinvités!Marasedemandas’ilyavaitdequoileurpréparerunpetitquelquechoseà mangerdanslefrigo.Ellesentaitvenirsonheuredegloireentantquemaîtressedemaison.Ceserait amusantdedéployersestalentsdeparfaitehôtesse. Marasedépêchaderejoindreleboutduquaietpritpiedsurlepontarrière.Elleposasonsac dans le salon et se dirigea vers la proue, où elle le trouva. Ryan était à genoux, en caleçon à fines rayures,occupéàcirerlepont.Ilétaitennage,etMaraletrouvaplussexyquejamais.Iln’yavait qu’unproblème. Cen’étaitpasàunpotedesurfqu’ilparlait. Une donzelle en bikini turquoise grattait le bateau d’à côté. Elle se pencha par-dessus le bastingageetéclaboussaRyandemousseavecsonéponge.Ilripostaenluienvoyantsonchiffon. Soudain, Mara ne se sentit plus du tout accueillante. Le fantasme de servir des canapés et des cocktailsfutévacuéaussisec. Toutel’année,elles’étaitdemandécommentellesupporteraitdesavoirqueRyanétaitdugenre àavoirbeaucoupd’ex-petitesamies,etdesamiesfilles,etdesfillesquivoulaientêtreplusquedes amies. Le problème, c’était qu’il adorait tout simplement la compagnie des femmes. Il avait une relation naturelle avec elles, ayant beaucoup de sœurs, et il se fichait complètement que Mara n’appréciepassonintérêtprononcépourlesmembresdusexeopposé.Surtoutenminusculebikini stringturquoise. – Ce ne sont que des copines, l’assurait Ryan. Tu sais bien que tu es la seule qui compte pour moi. Mais il était naturellement séducteur – c’est ce qui faisait son charme – et, même si Mara ne voulaitpaslechanger,levoirbadinersifacilementavecuneautren’amélioraitpassaconfianceen ellenisonassurance.Elleavaitdéjàeuassezdemalàsurmonterl’affaireEliza. –Eh,çafaitlongtempsquetueslà?fit-il. –Pasvraiment,répondit-ellefroidement. –Tinker,voicimacopine,Mara,dit-ilenprenantcettedernièredanssesbras. –Ah,salut!ditTinker.J’aibeaucoupentenduparlerdetoi,ajouta-t-elleamicalement. –Tinkerestdansmaconfréried’étudiants,expliquaRyan. Mara lui adressa un signe de tête. Elle savait que Ryan faisait partie d’une confrérie mixte à Dartmouth. Bizarrement, elle s’était toujours figuré que les filles qui avaient envie d’intégrer ce genredegroupesdevaientêtredesespècesdegarçonsmanqués...maisTinkerétaitfémininejusqu’au boutdesongles. –CommejeledisaisàRyan,messœursetmoionvapasserl’étésurlebateaudenosparents, ditTinker. Marasouritens’efforçantd’avoirl’airraviedecettenouvelle,puisellesetournaversRyan. –Tusensmauvais. –Ahoui?répondit-ilenjouantàfairesemblantdel’étouffersoussesaisselles. –Arrête,gloussaMara. –Allez,quoi,ditRyan.Onvaprendreunedouche?Onpourraitselaver...,luichuchota-t-il.Ettu pourrais,tusais...tefairepardonnerdem’avoirabandonnéhiersoir... CommeMarasentaitsesgenouxflageoler,illuiserralamainavecforce.Elleallaitluimontrer combien elle était désolée de l’avoir laissé seul la veille. Combien elle était vraiment, sincèrement, complètementdésolée.Elleluienvoyaunsouriremalicieux. –Tuesvraimentunsalemec,dit-elle. Pourtouteréponse,illuisouffladoucementdansl’oreille. – Contente de te connaître, euh... Tinker ! s’écria-t-elle, envahie par un frisson d’impatience tandisqueRyanl’entraînaitverslagrandechambre,oùilsallaientprofiteraumaximumdeladouche tropicale,duJacuzzi,del’immenselit... Tropserréespourêtreàl’aise Deretouraucottage,Jacquiconstataavecstupéfactionquelaplupartdesesaffairesavaientété fourréesenvracdansdeuxpetitstiroirs,etqu’unoreillerinconnuétaitposésurleseulvrailit. Shannonsortitdelasalledebainsenpeignoir,latêteenturbannéedansuneserviette. –Oh,salutJacqui!J’aidûdéplacerunepartiedetesaffaires,ellesprenaienttoutelaplacedans leplacard.Tun’étaispasprévenuequej’allaisarriver,n’est-cepas?J’aibienremarquéqu’Annaétait unpeufofolle. Jacquis’apprêtaàdirequelquechose,maislafillecontinua. –Etj’espèrequeçanet’embêtepas,maismonmédecinditquej’aiunproblèmededos,alorsje nepeuxvraimentpasdormirsurlelitsuperposé.Çateconvient? Cette fille minuscule battit des paupières, et Jacqui en resta momentanément sidérée. Elle était censéeêtrelasupérieure,etpourtant,enunclind’œil,Shannons’étaitappropriétoutcequ’ilyavait demieuxdanslachambre. Jacquinesesentaitpasenétatderépondre;elleétaitencorepompetteàcausedesmargaritas,et énervéeparlemalentenduqu’elleavaitomisdedissiper.Àlaplace,ellesemitàouvrirlestiroirs pourrepliersoigneusementsesvêtementsenréfléchissantàunplan. Uneheureplustard,pendantqu’ellespréparaientledînerdesenfants,JacquiexpliquaàShannon combiencetétéseraitimportantpourelles.IlleseraitentoutcaspourJacqui,carcommeelledevait redoublersadernièreannéedelycée,elleavaitbesoinqu’Annal’emploieencoreunan. –Jedoisjustet’avertirquelapremièreannéeoùj’aitravailléici,onaapprisqu’Annaavaitviré lesfillesaupaird’origineavantnotrearrivée,dit-elle.Donc,onnepeutpasvraimentserelâcher.Ce n’est pas la fête sur toute la ligne, OK ? Et les enfants Perry ne sont pas toujours faciles, surtout Madison.Ilfautlessurveillercommelelaitsurlefourenpermanence.Jacquivoulaitdire«comme le lait sur le feu », mais elle se mélangeait encore un peu dans les expressions quand elle était énervée. Shannonopinaenéminçantlescarottes. –Oh,biensûr,dit-elleaveceffusion.Maisjenesuispasinquiètedutout.Lesenfantsm’adorent. Jacqui garda le silence en mettant l’eau à chauffer pour les pâtes, un petit sourire aux lèvres. AveclesenfantsPerry,Shannonn’avaitaucuneidéedecequil’attendait... Audîner,elleprésentaShannonauxenfants. –Écoutez-moi,toutlemonde,voiciShannonShin.Ellevam’aideràm’occuperdevouscetété. Shannons’agenouillapoursemettreàlahauteurdeZoé.D’unepetitevoixhautperché,ellelui demanda: –Bouzour,Zoé.Commentçavaauzourd’hui? Zoéladévisagead’unœiltorve. –Trèsbien,merci,répondit-elled’unevoixposée. CodyhurlaetrefusadeseséparerdeJacquilorsqueShannontentadeleprendredanssesbras. –Jetedéteste!Jetedéteste!répétait-ilensecouantlatête. Complètementdécontenancée,Shannontentadesympathiseraveclesaînés. –Salut,jem’appelleShannon.Jacquim’aditquetut’appelles...Bill?demanda-t-elleentendant lamainàWilliam. Ilétaitrestépratiquementmuet,etsonvisageviraaurougetomatelorsqueShannons’adressaà lui.Ilgardalesyeuxfixéssursonassietteetenfournaimmédiatementunecuilleréedefettucini. Jacqui se mordit les lèvres pour ne pas rire. Exactement comme elle s’y attendait, les enfants n’étaient pas décidés à se laisser amadouer facilement. Elle était même assez fière d’eux. Elle avait travaillédurets’étaitdévouéepourgagnerleurconfianceetleuraffection;Shannonaussidevraiten passerparlà. Maisilyavaitencoreunenfantàtable.MadisonPerryétaitassisedevantuneassiettedefeuilles delaitueramollies,qu’ellechipotaitavecsafourchette. Jacqui lui donna un coup de coude pour l’encourager à manger, mais au lieu de s’exécuter, MadisondévisageaShannond’unœilfuribond. –C’estqui,celle-là?Qu’est-cequ’ellefaitlà?demanda-t-elleàJacqui. –C’estlanouvellefilleaupair.Soisgentilleavecelle. Shannonvints’asseoiràcôtédeMadison. – Oooh, tu as une Technomarine ! s’exclama-t-elle en désignant la montre rose de Madison incrustéedediamants. – M-mm, concéda Madison en levant le poignet pour que Shannon puisse l’examiner de plus près. Mon père l’a achetée dans une vente de charité. Elle a appartenu à Paris Hilton. Elle a cinq braceletsdifférents.Monpréféré,c’estceluiencrocorose. – Trop bien. J’ai toujours voulu en avoir une. Je m’appelle Shannon. Toi, c’est Madison, pas vrai?J’adoretescheveux.Tulesfaisdéfriser? LevisagedeMadisons’illumina.Ellespenchèrentlatêteensemblepouradmirerlamontrede Madison. – Tu as douze ans ? Tu fais plus, tu as l’air tellement mûre. Moi, je viens d’avoir quinze ans, continuaShannon.Onestpratiquementcommedessœurs! Uneflatterieaprèsl’autre,ShannonseretrouvaviteentraindebavarderavecMadisoncomme unevieillecopine.EnaidantCodyàcoupersescarottes,Jacquineputréprimerunlégersentimentde trahison. Elizaenvoieunmessage àtouteslespatrouilles pourretrouverunerobe Letéléphonesonnait:NowIain’tsayin’sheagold-diggerbutsheain’tmessin’wit’nobroke... Elizaouvritunœil.Jeremypoussaungrognement.Ellesepenchapar-dessussontorseetfarfouilla dansletiroirdesatabledenuitàlarecherchedesontéléphone. –Allô?fit-elled’unevoixensommeilléetandisqueJeremyenfouissaitlatêtesoussonoreiller. –Hmpprff,seplaignitJeremy. – Chut, souffla-t-elle en pressant l’oreiller contre son visage, taquine mais à moitié morte de trouillequel’onpuissel’entendre. Elle l’avait fait entrer en douce, la veille au soir, lorsqu’il était sorti du travail et qu’elle était revenue de boire un verre avec les filles. Pourtant, l’opération « date d’expiration » ne s’était pas dérouléecommeprévu.Jeremyavaitpassétoutelajournéeàplanterdesérablesjaponais,etilétaitsi fatigué qu’il avait eu du mal à garder les yeux ouverts. Ils en étaient encore aux préliminaires lorsqu’ils’étaitmisàronfler. Elisa se disait qu’ils pourraient réessayer ce matin. Elle comptait sur son père pour partir tôt joueraugolf,etsursamèrepourserendreàuneréuniondecharité.Ensuite,Jeremyetelleauraient toute la maison pour eux. Elle avait prévu de sortir discrètement du lit, de se brosser les dents, d’enfilersaparuredelingerieetderevenirseglisserentrelesdrapspourêtreparfaitelorsqu’ilse réveillerait. Mais c’était compter sans cet appel matinal de la personne qu’elle détestait le plus au monde. –Eliza,s’écriaunevoiefrénétique. –Paige?Qu’est-cequisepasse?demanda-t-elleenseredressant. –Uneurgence! –Qu’est-cequinevapas?s’enquitEliza,lecœurbattantàtoutrompre. Un certain nombre de scénarios catastrophe lui traversèrent l’esprit : Sydney avait changé d’avis,ildétestaittouteslestenuesqu’elleavaitconçues.Oualors,lesvêtementsétaientarrivésettous lestissuspeintsàlabombeavaientdéteintsurlesautres.Ouencore,lapeintureavaitprisunevilaine couleurenséchant. –Ilmanqueunetenue,ditPaiged’unevoixpaniquée.CellequeVidaliadoitporterpourlefinal. Je suis à la boutique sur Main Street avec Sydney, on a tout déballé, mais on ne la trouve pas. Elle n’estpaslà. –Maisjel’aiemballéemoi-même,sedéfenditEliza.Elleestforcémentlà. –Ehbennon,etSydneyestentraindefaireunecrisecardiaque.Tusaisquec’estlatenuelaplus importantedudéfilé.Toutestfoutusanscetterobe. –Jesais,jesais. –Ilfautabsolumentquetuarrangesça.C’esttoiquiasfaitcepaquet,insistaPaige.Ceserata fautesiellen’estpasaudéfilécesoir... – C’est bon, t’inquiète pas. Je m’en occupe, promit Eliza en faisant son possible pour ne pas paniquerelle-même. Elle raccrocha et resta assise au bord du lit, pensive. Toutes ses idées de séduction matinale s’étaientenvolées. Réfléchis,Eliza,réfléchis,s’exhorta-t-elleenessayantdeserappelertouslesdétailsdelaveille... la chronologie des événements... et en s’efforçant de comprendre ce qui s’était passé. Elle avait demandé à Vidalia d’enlever la robe et de l’accrocher au portant pour emballage, mais dans la frénésiedumomentelleavaitoubliédevérifiersilemannequinl’avaitbienfait.EllerevoyaitVidalia disantqu’elleavaitundînerhabillécesoir-làetqu’illuifallaitquelquechosedefabuleuxàporter: elle voulait être prise au sérieux par les responsables cosmétiques d’Estée Lauder pour qu’ils lui proposentuncontratexclusif. Elizas’étrangla.Cesatanémannequinavaitsortilatenueendouce!Ellel’avaitportéeaudîner Lauder!Elizaenétaitsûre. –C’étaitquoi?Toutvabien?demandaJeremy. –Toutvas’arranger,ditElizajusteaumomentoùunhélicoptèreBlackHawkpassaitau-dessus deleurstêtesdansunfracasdetonnerre. Elleleregardaparlafenêtreensedemandantcequevoulaitdirelelogoàdeuxdoigtspeintsur lecôté.Ildisparutparmilesnuagesenémettantduhip-hopàpleinstubes. ElizaramassasonsacàcôtédulitetcaressasacarteAmericanExpressTitanium... Plusfortquelacrise desquaranteans: lacrisedesdixans? Shannon était déjà dans la salle de projection lorsque Jacqui arriva ce matin-là. La nouvelle, installéeauboutdelatabledejeu,bavardaitgaiementavecAnnaPerry. –Ah,Jacqui,tevoilà.Tusaisquenousessayonsdecommenceràl’heure,machère,ditAnnaen luifaisantsignedevenirs’asseoirprèsd’elle. Jacquieutunregardfuribond. –Euh...iln’yavaitplusd’eauchaudeaucottage,sejustifia-t-elle. –J’auraisdûteprévenir,intervintShannonavecsonairsainte-nitouche.Jesuisobligéederester trèslongtempssousladoucheàcausedemonproblèmededos... Jacqui opina sèchement. Au réveil, elle avait trouvé la porte de la salle de bains verrouillée pendantunebonneheure.Elleavaitdûrenoncerauxbienfaitsd’unebonnedouchepourallerpréparer lepetitdéjeunerdesenfants,etàsonretouraucottage,ilnerestaitplusdanslestuyauxquedel’eau froide,glacéemême. – Je suis contente que vous ayez fait connaissance. Shannon a beaucoup d’expérience et d’excellentesréférences,luiexpliquaAnna. Jacquiregardalajeunerecruedetravers.Laveilleausoir,Shannonluiavaitavouéque,quoi qu’endisesonimpressionnantCV,lesseulsenfantsqu’elleeûtjamaisgardésétaientsespetitsfrères etsœurs.Etpourtant,ellesemblaitinnocentecommel’agneau. Annajoignitlesmains. – Bien, nous y voilà, en route pour un nouvel été dans les Hamptons ! dit-elle avec un enjouementforcéalorsqueJacquil’avaitentendue,pasplustardquelaveilleausoir,sedisputeravec Kevinausujetdesrelevésdecartesdecrédit. Annaenétaitdéjààsatroisièmetassedecafé.Visiblement,latensiondesonmariageenmiettes luiportaitsurlesnerfs. Jacquiouvritsoncalepin,styloenmain,prêteànoterlalistedesactivitéséducatives,spirituelles etsportivesexigéesparAnnapourlestroismoisàvenir. –Cetteannée,riendeprévupourlesenfants,annonça-t-elle. Jacqui faillit en tomber de sa chaise. Chaque été, Anna élaborait un emploi du temps serré, strictement réglé heure par heure, et dressait toute une liste de buts impossibles à atteindre. Elle attendaitdesenfantsqu’ilss’ytiennent,etdesfillesaupairqu’elleslesyaident.L’annéeprécédente,il yavaitmêmeeuuneheuredeprésentationPowerPoint. –Rien?repritJacquibouchebée. –J’ailubeaucoupdechoses,cesdernierstemps,surles«minicrisesexistentielles»;surles enfantstellementstimulésqu’ilss’angoissentàl’excèsetdéveloppentunsyndromedestressjuvénile. Voussavez,commelespetitsJaponaisquisejettentparlafenêtreaumomentdesexamens,dit-elle avecunregardsignificatifendirectiondeShannon. – On les appelle les karoshi, précisa joyeusement Shannon. Suicide pour cause de surmenage. C’estunphénomèneenhausse,surtoutàl’écoleprimaire. –C’estça,ditAnnaavecunepointedenervosité.Entoutcas,jeneveuxpasdecelapourmes enfants.Parconséquent,cetété,ilsneferontquejouer.Jeveuxqu’ilssedétendent,qu’ilss’amusent. Qu’ilssoientlibres... –...defairetoutcequ’ilsveulent,terminaShannon. –Exactement.Jecroisquec’esttoutàfaitça. –C’esttout?demandaJacqui,encoreincrédule. –C’esttout,confirmaAnna. Jacquin’encroyaittoujourspassesoreilles.Pasdereprisesd’équitation,pasdestagedesurf, pasdecampdelaCabale,dekrav-maga,decoursdeconversationenfrançais,italien,cantonais?Les enfants,libresdefairecequileurchantait?Joueràdesjeuxvidéo,regarderdesfilms,alleraucentre commercial,sebaigner,traîneravecleurscopains...rien,absolumentriend’éducatifnidestimulant? Ensortantdelasalledeprojection,JacquineputseretenirdeconfieràShannonàquelpointcet étés’annonçaitdifférentdesprécédents. Shannoneutunsourirerusé. – À ton avis, qui lui a envoyé l’article du Time sur les écoliers stressés ? Je les connais, ces mèresmodèles.Hé,ho,jesuisvenuedanslesHamptonspourm’amuser,moi!Aufait,paslapeinede meremercier. Jacquiduts’inclinerrespectueusementdevantsanouvellecollègue.ShannonShinétaitpeut-être une petite manipulatrice, mais en une journée chez les Perry elle avait compris comment prendre Anna...Toutcomptefait,ellepourraitbienserévélerutile. –Tuasuneinvitationpourl’ouverturedeSydneyMinx?luidemandaJacqui.C’estcesoir,etil paraîtqueceseralameilleuresoiréedel’été. –Non,ditShannonens’assombrissant.Jeneconnaispersonneici,àparttoi. –T’inquiète. –C’estuneinvitation? –Jecroisquec’estunetrêve,murmuraJacquipourelle-même. –Pardon? –Rien.Bon,voyonsunpeucequetuvasmettrecesoir... Soussesdehorsparfaits,Ryan estungrosporcdansl’âme Ryan avait eu beau assurer à Mara qu’en quelques jours elle ne remarquerait même plus le balancementdubateau,elleseréveilladesasiestedemauvaisehumeur,avecl’impressionden’avoir pasdormidutout. Elle avait passé la matinée dans les bureaux de Hamptons, à réunir des informations pour l’article sur Sydney Minx et à faire venir des sacs-cadeaux pour Sam. La rédactrice en chef en exigeait un pour chaque événement chroniqué dans le magazine, même si elle n’y assistait pas en personne. Parfois, elle en faisait livrer d’Europe si elle avait entendu dire que leur contenu était particulièrementintéressant. Aprèsletravail,MaraavaitregagnéleCatalinapourfaireunepetitesiesteavantlesfestivitésde lasoirée.Àsonréveil,elleconstataqu’ilneluirestaitqu’unedemi-heurepoursepréparerpourle défilé. Ausalon,elletrouvatoutl’équipementdeRyanseméauhasarddanslapièce.Sesmallesétaient arrivéesdelafacparcamionUPSlematinmême,sibienquel’endroitressemblaitàuneantennedu ministère des Sports. Il y avait un wakeboard, plusieurs snowboards, des raquettes de tennis et de badminton,descrossesdehockeysurglaceetsurgazon,desballonsdebasket,desballesdegolf,des ballons de football américain. Ryan lui avait déclaré un jour que c’était insultant de l’appeler un «sportif».Letermeapproprié,luiavait-ilexpliqué,étaitathlète,carsportifévoquaitunebrutalitéet une étroitesse d’esprit auxquelles il ne souscrivait absolument pas. Fort bien, songea Mara en contemplant tout son équipement. Donc, ce n’était pas un sportif... mais il était, sans aucun doute, athlétique. L’une des malles étant ouverte, Mara put constater qu’elle contenait vraiment toutes sortes de vêtements:T-shirtpropres,chaussettesetserviettessales,vestesdecostumesurleurcintre,encore enveloppéesdanslahousseenplastiquedupressing.Apparemment,Ryanavaitsimplementjetétoutet n’importequoidanslapremièremallevenuesansprendrelapeinedetrierquoiquecesoit.Nichés dansletasdevêtements,MaradistinguadesétuisàCD,desboîtesàcigarettes,uncendrier(sale),une chopeàbière(propre),etmêmeunecorbeilleàpapierquicontenaitencorelesbrouillonsfroissésde sonmémoiredefind’année.Marasecoualatête...ellen’avaitpasréaliséqueRyanétaitbordéliqueà ce point. Il lui avait promis de mettre de l’ordre dans ses affaires, mais de toute évidence il avait abandonnéceprojetpourallertaquinerlesvagues.Commed’hab’. Ilentrad’unpasnonchalantaumomentoùelleessayaitdedégagersasecondevalise,coincée sousl’unedesnombreusesplanchesdesurf. – Attends, je vais t’aider, dit-il en soulevant la planche comme une plume pour lui permettre d’attrapersonsac. –Moncœur,tucroisqu’onpourrait,euh...rangerunpeu,enquelquesorte?seplaignitMara. –Maisoui,maisoui,temporisa-t-ilens’approchantpourl’embrasser. Ilétaitmouillé,couvertdesable,etilsentaitlamer.Sescheveuxbrunsluicollaientaufront.En tempsnormal,MaraauraitfonduenlevoyantmoulédanssacombinaisonNéoprènenoire;maislà, ce qui l’intéressait, c’était de trouver son carton d’invitation et la liste des personnes qu’elle devait interviewerpoursonarticle. –Jeneretrouveriendanscebazar!râla-t-elle. Descanettesvidess’éparpillaientpartoutdanslapiècedepuisunsoiroùdescopainsàluiétaient passés. Ses fantasmes de parfaite maîtresse de maison avaient vite volé en éclats lorsqu’elle avait comprisqu’ilspréféraientsetaperdelapizzafroideetdelabièreordinaire. –Pourquoitustressesautantsurcedéfilé?demandaRyan. Mara commençait à avoir l’impression qu’il ne faisait aucun cas de son travail, d’autant que plusieursdesfillesqu’ilfréquentaitavaientrédigélachroniqueavantelle.Elleétaitcontrariéequ’il necomprennepascombiencelacomptaitpourelle. Ryans’affalasurlecanapé.Mêmesilemeubleneluiappartenaitpas,Marafutagacéedevoirsa combinaisontremperlecuiritalien,quigarderaitunetacheindélébile.Celal’énervaitqueRyann’ait mêmepasconsciencedecegenredechoses:lecanapévalaitsansdoutedesmilliersdedollars,mais quesignifiaitunesipetitesommepourungarçonquiavaitdéjàtout? –Jepeuxteretrouverlà-bas?demanda-t-ilenlançantunemainderrièresondospourdescendre lafermetureÉclairdesacombinaison.Ilfautquejemedoucheetquejemechange. –Jedoispouvoirtrouverquelqu’unpourm’emmener,concédaMara. EllecomposarapidementlenumérodeLucky,quiheureusementn’étaitpasloindeSagHarbor etpouvaitpasserlaprendre. – Cool, fit Ryan en lui plantant un baiser sur le front avant de se diriger en sifflant vers la douche. Mara haussa les épaules en ouvrant sa valise. Il était l’amour de sa vie, mais parfois sa négligence la rendait dingue... Elle commençait à découvrir que le chemin de l’amour n’était pas toujourspavédepétalesderoses. Parfois,ilétaitjonchédevieillescanettesdebière. Alors,onbosseouonbulle? Ah,çac’étaitcequ’onappellepasserunbonété! Ledécretd’Annainstaurantlalibertétotalen’étaitpastombédansl’oreilled’unesourde,sibien queJacquiavaitdécidé,enaccordavecShannon,depasserlajournéeàtraînerauborddelapiscine. Williamétaitplongédansunlivre,Madisonbronzaitsurunmatelasgonflablequidérivaitmollement aumilieudubassin,etZoéetCodys’entraînaientàfairel’équilibredanslepetitbain. Shannonrêvassaitsousleparasoldanssonminusculeune-piècenoirtandisqueJacqui,àcôté d’elle,étrennaitsonbikinirougetoutneuf.Lematinmême,elleavaitachetécenouveaumaillotàl’un descamionsambulantsJ.CrewquisillonnaientlesHamptonspourparerauxurgencesdecegenre. Jacquiaimaitlamanièredontleminishortpouvaitêtrerouléd’unsimplegestepoursetransformer enslipsexyéchancrésurleshanches. Jacqui ferma les yeux et savoura le soleil qui chauffait son visage et décrispait ses muscles tendus.Auboutdequelquesminutes,elleseredressasursontransatpourfeuilleterlederniernuméro deW.C’étaitlabellevie:lesenfantsoccupés,sacollèguedevenueuneamie,unpichetdelimonade glacéeà portée de main. Elle s’installa en vue d’une lecture croustillante sur les derniers scandales mondains. C’est alors que, de l’autre côté de la piscine, derrière la haute haie, elle entendit ce drôle de bruit:poum,poum,poum.Silence.Puisencorepoum,poum,poum.Lesonladistrayait,l’empêchaitde seconcentrersursonmagazine.Ellefinitparseleverpourallervoir. Elle franchit les buissons épais qui délimitaient la hideuse propriété des Reynolds, une monstruositédetrentemillemètrescarrésbâtieparlesvoisinsboursouflésdesPerry.Ungigantesque châteaugonflabledépassaitau-dessusdelahaie;lastructurerenfermaittroistypesquiculbutaient, rebondissaientetriaientcommedesfous.Destypesqu’elleavaitdéjàvusquelquepart... –Excusez-moi,criaJacqui. Lescabriolesstoppèrentnetetlestroisgarçonstournèrentlatêteverselleavecunsourireidiot. Elle ne put s’empêcher de leur rendre leur sourire. À la lumière du jour, ces garçons étaient carrémentmignons.Cettefois,laNYUétaitvraimentoubliée.Pourquois’inquiéterpourlafacalors qu’ilyavaitdesbombessexuellesdanslecoin? –Toutesnossincèressalutations,ditGrantKotackenfaisantunbondspectaculairepourvenir atterrirjustedevantelle.Sauferreurdemapart,nousnoussommesdéjàrencontrés,ilmesemble, continua-t-ilavecsonsoyeuxaccentdusud. – Une bien brève rencontre, malheureusement, précisa Duffy en traversant à pas de géant le plastiqueondulantpourfinirdansl’herbeaprèsunegalipette. –Quiafaillinousbriserlecœur,approuvaBenensurgissantduchâteauvacillantàlasuitede sesacolytes. Cequis’étaitpassépendantsonbaindeminuitnegênaitabsolumentpasJacqui:elleétaitfière desoncorpsetn’yvoyaitriendehonteux. –JacquiVelasco.JetravaillechezlesPerry,dit-elleentendantlamainaugarçonleplusproche, celuiquiavaitlescheveuxenbatailleetlespattes. –GrantKotack,souritGrant,toutcontentqu’ellesesoitadresséeàluienpremier.Enchanté. Illuifitunbaise-mainavecunegrâceraffinéed’unautreâge,particulièrementplaisanteàvoir chezungarçonenpantalondechantieretT-shirttropgrandornédulogod’unemarquedebeurrede cacahuète. –JohnDuffy,ditlegrandmaigreauxcheveuxfins,interrompantleurssalutations. Il était mignon comme une star de Hollywood : mâchoire carrée, mèches blond cendré lui tombantdanslesyeux,etlegenredesourirequinaissaitlentementsurleslèvrespourilluminertout levisage.Appelle-moiDuffyouDuff,commetoutlemonde. –BenDefever. Le troisième lui adressa un signe de tête. Avec ses grosses lunettes noires, il n’était pas sans ressemblanceavecRiversCuomo,desWeezers,l’undesgroupespréférésdeJacqui. –Onpeutfairequelquechose?ajouta-t-il. –VoustravaillezpourlesReynolds?demanda-t-elle. –Lesqui?fitDuffydansungrandsourire. –Lescrétinscoincésàquiappartientcettetaule,ditGrantavecunclind’œilpourJacqui. –Onl’alouéepourl’été.C’estuntrucdeouf.Tusaisqu’ilyaunepiscined’eaudemerbourrée depoissonstropicauxlà-basderrière?Avecunegrotte?demandaBen.Ilfautquetuviennesvoirça avecnousundecesjours,ajouta-t-iltimidement. –Etpourquoipasmaintenant?proposaDuffy.C’estunbonmoment,maintenant,non?Jevais chercherlesmasquesetlestubas! –Netesenspasobligée,précisaBenavecunaccentdesincérité. – Peut-être plus tard, dit Jacqui sans cesser de sourire. Mara lui avait décrit la grotte en détail l’étéprécédent. Ellerougit;Duffyétaittropmignonavecsonairgamin,Grantétaitl’imagemêmed’undieude laguitarerock,etBenétaittoutsimplementadorableavecseslunettes.Etvoilà:ellelesentaitbien nettement,cepicotementdansl’échine,cesentimentquiluiavaitmanquétoutel’année. –Tuveuxsauter?proposaGrantenagitantlepouceendirectionduchâteaugonflable. –Volontiers,maisj’aiquelquesgaminsavecmoi...ilspeuventvenir?demandaJacqui. –Ilssontàtoi?fitDuffyd’unairperplexe. –Non,jesuislafilleaupair,s’esclaffaJacqui. –Ahbon,tantmieux,parcequependantuninstanttunousasvraimentfaitpeur,lataquinaGrant. EllecompritqueDuffyvenaitdesepayersatête. –«Plusonestdefous,plusonrit!»conclutBen.Amène-les! Jacquilesremerciad’unsourireetcourutporterlabonnenouvelleauxenfants.Ellelesramena encompagniedeShannondontlesyeuxs’agrandirentàlavuedecestroisjolisgarçons. –Qu’est-cequisepasse,parici?Salut,moic’estShannon!dit-elleensouriantlargementaux troismâles,lesmainssurseshanchesminces.Cool,lechâteau! MaisquandJacquiétaitdanslesparages,Grant,BenetDuffy,commetouslesgarçons,avaient dumalàvoir–etencoreplusàentendre–quiquecesoitd’autre. Personnen’ajamaisdit quel’humourpotache étaitraffiné LaboutiquedeSydneyMinx,aucentredel’avenueprincipaled’EastHampton,étaitflanquéede deuxénormesprojecteursquidessinaientlesinitialesdeSydneydansleciel.Àlaportesepressaitla foulehabituelledeceuxquiessayaientd’entrer,agitantenvainleursinvitationsroseetoraunezdela brigadedecerbèresimpitoyablesquinelaissaientpasserquelesjournalistesetlesVIP. Maramontrasacartedepresseetfutimmédiatementadmiseàl’intérieur.EllerepéraJacquiau bar,occupéeàtenterd’attirerl’attentionduserveur. –OùestEliza?demanda-t-elleencriantpoursefaireentendrepar-dessuslatechnohurlante. Elleregardaautourd’elle.Pourlasoiréedelasaison,c’étaitétonnammentbanal.Àmoinsque Marasoitblasée,àforced’avoirassistéàcegenrederéceptionslesétésprécédents:quelquesjetsetteurspar-ci,quelquescélébritésdedeuxièmeordrepar-là,unsacsurprise...bof.Toutcomptefait, iln’yavaitpasgrandedifférenceavecuneinaugurationdeboutiquestandard.C’étaitmêmepeut-être unpoilennuyeux.Maisledéfilédemodeallaittoutchanger,dumoinsellel’espérait.Aumilieudela boutiquetrônaitunpodiumrecouvertdeplastique. Jacqui haussa les épaules. Elle se tordit le cou, légèrement agacée, pour tenter de croiser le regard du barman. D’habitude, elle n’avait aucun mal à capter l’attention d’un homme, mais le bar étaitdévalisé,etc’estàpeinesisademandeavaitétéremarquée. –Champagne,madame?offritDuffyquivenaitd’apparaîtrecommeparmagieavecuneflûte qu’illuimitdanslamain. –Oh,merci!Etuneaussipourmonamie?demanda-t-elle. –Aucunproblème,ditBenensematérialisantavecunesecondeflûte. JacquilapassaàMara.Ellestrinquèrentrapidementetchacunepritunelonguegorgée. –Ilyenaencoreàlasource,leurassuraGrantenremplissantdenouveaulesverresgrâceàune bouteilledeVeuveClicquotqu’ilcachaitsoussonbras. –D’oùçavient,ça?s’étonnaJacqui. –Nousavonsnosméthodes,ditBenmystérieusement. –Piquéedanslescuisines. Duffysouritlargementenrévélantdeuxautresbouteillessoussonmanteaudetoile. –Engraissantroyalementlapatteaubarman,expliquaGrant.Aufait,lesdeuxbouffons,vous medevezdessous. MaraetJacquipouffèrentderire.Lestroisgarçonsformaientunarcdecercleprotecteurautour d’elles. –Lesmecs,voiciMara.Mara,voilàlesmecs,ditJacquienguisedeprésentations. Marasouritetlesremerciapourlesboissons. –OùestShannon?demandaMara. Ellesavaittoutdesesmachinationsausujetdulitetduplacard,maisconvenaitavecJacquique sonrôledanslerevirementd’Annavalaitlargementquelquespetitsinconforts. –Elleestlà-bas,ditJacqui. Mara regarda dans la direction de la fille aux cheveux noirs, qui inspectait furieusement les portants, méthodiquement, un par un. Shannon lui rappelait quelqu’un. Quelqu’un qui menait son shoppingcommeunecampagnemilitaire.ElleétaitfrappéedelaressemblanceavecEliza,dumoins danssamanièredefairelesboutiques:commesisavieendépendait. – Il fait un peu chaud là-dedans, non ? dit Jacqui sans s’adresser à personne en particulier, en éventantledécolletédesarobevintageOscardelaRenta. –Jem’enoccupe!s’exclamaDuffyensejetantprestementdansl’action. Ilétaittellementravid’avoirunemissionqu’ilfaillitrenverserunmannequinsursonpassage. –Hé,monpote!cria-t-ilauserveurleplusproche.Montelaclim,yo!ajouta-t-ilenluicourant après. –Laissetomber,jesaisoùestleclimatiseur!intervintBenenpoussantDuffysurlecôtépour satisfairelui-mêmeledésirdeJacqui. – Ne bouge pas d’ici, chuchota Grant en lui serrant le bras. Je connais l’organisateur de la soirée.Jevaisluidiredes’enoccuper. –Maisquisont-ils?demandaMaralorsquelestroisgarçonseurentdisparudanslafoule.Tes esclaves? Jacquiéclataderire. –Ilssontmignons,hein? –Pasmal. –CesontlestypesquiontmontéDortoirEnFolie.com.Ilyaeuungrandarticlesureuxdansle supplément Styles du dimanche, il y a quelques mois, tu te souviens ? Ils ont démarré le site web pendantleurpremièreannéeàHarvard,etauprintempsdernierilsontramasséquelquechosecomme plusieurscentainesdemillionsdedollars. Mara hocha la tête pour indiquer qu’elle voyait de quoi il s’agissait. Le site, un véritable panthéon de l’humour potache, vendait des T-shirts ornés de la citation tirée d’un célèbre sketch, «Vivelescloches»,oudeblaguessurl’abstinence,comme«J’aijuréd’arrêterautroisièmerendezvous».Ilétaitcélèbrepoursonlogo«TheShocker»,ungestegrossierdifférentdusimpledoigt d’honneur:deuxdoigtslevésformantun«V»tordu.Ilsenavaientfaitdesmainsgéantesenmousse commecellesqu’onachètenormalementpourlesmatchesdefootball.Ryanavaitunjourexpliquéà Mara ce que signifiait « The Shocker » : elle avait d’abord été dégoûtée toute une journée, puis étonnée de constater à quel point les garçons pouvaient avoir l’esprit mal tourné. Mais le plus surprenantétaitleurjeunesseetleurfortune.Aucundestroisn’avaitplusdevingtetunans. –Bref,ilsontlouélechâteaudesReynoldspourlesvacances.C’estleurpremierétédansles Hamptons,alorsjeleuraiditquejeferaisleguide,expliquaJacqui. Marahaussalessourcils. –Àtouslestrois? –Jem’amusejusteunpeusansfairedemalàpersonne,s’esclaffaJacqui. –Ohattends,voilàSydney.Ilfautquej’yaille,jedoisl’interviewer,interrompitMaraenépiant lestylistequisemêlaitàlafoule. –Sydney,bonsoir!MaraWaters,deHamptons;nousfaisonsunarticlesurvous...Puis-jevous poser quelques questions ? demanda-t-elle en lui fourrant son dictaphone iPod sous le nez – elle l’avaitachetéaussitôtqu’onluiavaitconfiécettemission. – Pas maintenant, dit Sydney en se cachant le visage derrière son éventail noir. Comme vous pouvezlevoir,jesuisextrêmementoccupé. –Jesais,navréedevousdéranger,monsieurMinx,maissivouspouviezjustemedirequelques mots?insistaMara,intimidéeparsonimpatience. –Paige!Paige!criasoudainSydneysansprêterattentionàMara.Voyezavecmonassistante, Paige.Elles’occuperadecequ’ilvousfaut... –Ah,bien,bien,ditMara,vaincue,enéteignantl’appareil.Pensez-voustrouverunpeudetemps pourbavarderaprèsledéfilé? –Regina,machérie!Tuesmerveilleuse!Oui,merci.C’estlafolie,n’est-cepas?EtCecily!Tu la portes ! Quel amour ! continuait Sydney sans un regard pour Mara, absorbé par la foule des personnalitésmondainesquilefélicitaientpoursasoirée. Maraseretirasurlecôtéenattendantpatiemmentlafindesaconversation. –MonsieurMinx,croyez-vousque... – Vous pourriez vous pousser ? Vous me bloquez la lumière, ordonna Sydney sans la laisser finirsaphrase.Paige!hurla-t-il.C’estpourquand,cetterobe? –Elizaaditqu’elleseraitlàd’uneminuteàl’autre,l’assuraPaiged’unairsoucieux. –Elleaintérêt,menaçaSydney.Ledéfilévacommencer! Mara était énervée et contrariée. Elle avait été balayée comme un laquais de bas étage, pas commequelqu’unquiavaitsaproprechroniquedanslemagazineleplusludelarégion.Elizaaurait peut-êtrepul’aideràseremettreenselle...saufqu’Elizan’étaitnullepart. Maraluttaitcontrelapanique,maissiellenedécrochaitpasuneinterviewdeSydney,comment allait-ellebienpouvoirécriresonarticle? SurMainStreet,Elizarejoue leDébarquementfaçon hautecouture Maraserongeaitlesongles,inquiètepourlesortdesonarticle,ensedemandantoùpouvaitbien êtreRyan.Elleavaitessayédel’appelersurlebateau,maisiln’avaitpasdécroché.Ilauraitlargement dûêtrelà,àl’heurequ’ilétait.Elleétaitsurlepointdelerappelerlorsqueleslumièressetamisèrent danslaboutiqueetquelepodiums’illuminad’unhalorose.Lesconversationsseturentetlesinvités applaudirentsansénergie,leursonglesmanucuréscliquetantsurlecristal. De la techno française pour défilés tonna dans les haut-parleurs accrochés au plafond, et le premiermannequin,vêtud’uncaftanàmotiftigrépeintàlabombe,sortitdel’arrière-boutiquepour s’avancersurlaplate-forme.Lesmodèlessesuccédèrent,enchaînantlesvariationssurlethèmedela jungle, et Mara remarqua que les vêtements étaient réellement intéressants à regarder. Avec leurs détailsteintsentye-and-dyeourepeintsàlabombe,ilsindiquaientunchangementdedirectionradical etmêmelégèrementavant-gardistepourlacollectiondeSydneyMinx. Mara prit frénétiquement des notes pendant que Jacqui sifflait son champagne. Au bout d’un quart d’heure, le dernier mannequin, en tunique mandarine et minishort turquoise moucheté de peinture or, s’arrêta brusquement à mi-parcours. La musique fut soudain noyée dans un fracas assourdissantvenudel’extérieur.Lepublicsedétournadupodiumets’attroupaderrièrelesvitrines pourdécouvrirlacausedecetteinterruption. Unhélicoptèrenoirdel’arméetournoyait,menaçant,au-dessusdumagasin. –C’estnotreBlackHawk?demandaDuffy. –Nonnon,pasdelogo.Ilsontdûlelouer. Mara et Jacqui suivirent la foule à l’extérieur. Une échelle de corde était apparue sous l’hélicoptère,etunesilhouettebienconnueprogressaitverslebitume. –OhmonDieu!s’étranglaMara.C’estEliza! C’était bien elle. Eliza faisait sa descente en robe audacieuse de mousseline déchiquetée et cuissardesencrocodile.Degrosseschaînesenors’entrelaçaientautourdesoncou.Alorsquelevent desrotorsfaisaittourbillonnerlajupe,ellepassatranquillementdel’échelleautrottoir,entradansla boutiqueetparcourutlepodiumdumêmepasassuré. Lesphotographesl’inondèrentd’untorrentdeflashesetlafoule,uninstantfrappéedestupeur, explosa en acclamations enthousiastes, sifflets et youyous. Ils en avaient pourtant vu dans les Hamptons,maisunfinaldedéfiléenhélicoptère,c’étaitunegrandepremière. Elizaposapourlesphotographesavecunlargesourire,baignéedanslalumièredesprojecteurs. Çaavaitmarché!Elleyétaitarrivée!ElleavaitréussiàtraquerVidaliajusquedanssoncinquième sans ascenseur de l’East Village. Au départ, elle avait l’intention de lui laisser l’honneur, mais le mannequinavaitunetellegueuledeboisaprèssondînerdelaveille,qu’iln’yavaitpasmoyendela rendre présentable pour le défilé. Eliza avait donc enfilé la robe en remerciant le ciel de lui avoir donné les mensurations adéquates. Puis, grâce à sa nouvelle carte Marquis Jet (merci American Express !), elle avait loué un hélicoptère qui l’avait enlevée en un éclair depuis New York. Ces chouettespetitsBlackHawks,c’étaitbienpratique! Elleregardal’endroitoùPaigeetSydneysetenaientdansuncoin.Ellen’yvoyaitpastrèsbien, éblouieparlesflashes,maiselleétaitcertainequ’ilsallaientlaféliciterd’avoirsibienfaitsonboulot. Elles’enétaitsortietouteseule,etàcoupsûrc’étaitunspectacledontonparleraittoutl’étédansles Hamptons. Mayday!Mayday! –Onyestarrivés!triomphaElizaendescendantdupodiumetentendantlesbraspourserrer PaigeetSydneysursoncœur.C’estincroyable,pasvrai?s’écria-t-elletandisquelesphotographes continuaientdelamitrailler. C’estseulementlorsquelesflashess’éteignirentqu’ElizapritconsciencequeSydneyetPaigene partageaient pas son enthousiasme, mais alors pas du tout. Bien sûr, elle s’attendait à un peu de jalousiedelapartdePaige,maisn’était-cepasellequiavaitexigéd’Elizaqu’ellerègleleproblème? Elle ne pouvait pas avoir l’air un peu contente de la voir se débrouiller ? Au lieu de cela, Paige semblaitsurlepointdevomir,etSydneyavaitunregardmeurtrier.Maisquoi,elleavaitratéquelque chose? Lesourires’évanouitdesonvisage. –Qu’est-cequ’ilya?Vousn’avezpasaimél’hélicoptère?Nevousenfaitespas,jecouvreles frais.J’aiunecarteMarquisJet.Jenevousfacturerairien,c’estmoiquioffre. –Paige,tusaiscequ’ilteresteàfaire,ditSydneyd’untonlugubreavantdesedétournersans mêmeunregardpourEliza. –Eliza,jepeuxtedireunmot?demandafroidementPaige. Quoi,encore?Elleavaitréussiàsauverlasoirée,etilssecomportaientcommesielleavaitfait quelque chose d’épouvantable. Comme si elle avait échoué à livrer la marchandise au lieu d’y parvenir avec panache. C’était tout le contraire de ce à quoi elle s’attendait. Elle suivit Paige dans l’arrière-boutique. –Qu’est-cequisepasse?demanda-t-elle,levisageencoreluisantdelachaleurdesprojecteurs. –Tuesvirée,ditPaige,impassible. Elizanotatoutefoisqu’ellenepouvaitpasdissimulerunenotedejubilationdanssavoix.C’était cequ’ellevoulaitdepuisledébut.Cettepetitelèche-bottes,quin’auraitpasétéfichued’accessoiriser unetenuemêmesionluiavaitbraquéuneagrafeuseàstrasssurlatempe,n’avaitfaitqu’attendreun fauxpas.Elizavoyaitmalcommentelleavaitputoutgâcheràcepoint.Quelquechosenecollaitpas. –Maisjenecomprendspas... –C’étaitunesoiréepourSydney.SydneyMinx.Ettusaiscequiestentraindesepasser?De quoitoutlemondeparle? –Quoi?répétaEliza,encoredéconcertée. – Toi. C’est de toi qu’on parle. Qui était la fille dans l’hélicoptère ? Qui est ce mannequin descendudescieux?C’étaitqui,lafilledanslarobe?Quiestcettefille.Iln’yaquetoisurtoutesles lèvres.J’aidûépelertonnomàplusieursreportersduNewYorkPost! Elizafaillitrépondre:«Ilssaventexactementcomments’écritmonnomauPost!»,maiselle choisitsagementdelaboucler. –Allez,Paige,soissympa,implora-t-elle.VaparleràSydney,ilt’écoute.C’estvrai,quoi,jel’ai rapportée,larobe,non? –Tuasrapportélarobe,maistuasvolétoutel’attentiondelapresse,répliquaPaige. Comme par un fait exprès, un important reporter people de l’East Hampton Star frappa à la porte. –Hé,MissHélico!Vouspourriezmedirequelquesmots? Paigelevalesyeuxauciel. –Biensûr,j’arrivedansuneminute,souritEliza. Lorsquelejournalistefutparti,elleattrapaPaigeparlebras: – Tu n’es pas sérieuse ? Vous ne pouvez pas me faire ça ! C’est mon stage d’été, mes parents vontpéterunplombs’ilsl’apprennent. Elizaétaiteffondrée.Ellevenaitjustededécouvrirsapassion,decomprendrequ’ilyavaitdes chosesplusintéressantesdanslaviequ’uneMastercard.Elleavaitvraimenthâted’enapprendreplus surl’industriedelamode.Commentpouvait-onluienlevercelamaintenant? –Tuesvirée,Eliza.Merciderendrecetterobeetdeviderleslieuximmédiatement. Etc’estainsiqueMissHélicofutdescendueenflammes. Danslejournalismepeople, lerefusdecoopérer n’estjamaisunproblème Lafêteétaitfinie,Jacquietlestroistypesdusitewebrentraientcontinuerlanoubaauchâteau des Reynolds. Mara monta en voiture avec eux et leur demanda de la déposer chez Starbucks, à quelques pâtés de maisons du port. Elle passerait y prendre un double crème pour se redonner de l’énergie,puisrentreraitchezelleàpied. Elle était complètement coincée. Elle n’avait rien à raconter. Sydney Minx l’avait royalement ignorée toute la soirée. Il avait refusé de lui accorder une interview. Elle qui avait quatre pages à remplir!Desdizainesdecentimètresdetexteencolonne!Lereportageétaitdéjàmisenpagespar lesmaquettistes,ilsn’attendaientplusqueletexte. Quefaire?Cettefoisc’étaitsûr,elleallaitsefairevirer.SamDavisluiavaitconfiéunemission enor,etMaraseretrouvaitenpleinedéconfiture.Cen’étaitpascommesielleavaitdûdécrocherune interviewduPrésident,bonsang!SydneyMinxétaitunstylistedemode!Lesstylistesnevivaientque pourlapresse!Etpourtant,elleavaitencoretrouvélemoyendetoutrater. À ce compte-là, Mara se dit qu’elle ferait mieux d’oublier ses ambitions dans le journalisme sérieux:ellen’avaitmêmepasétécapabledemeneràbienunarticlepeople. Quelques personnes traînaient devant le café. Lorsqu’elle eut retiré son double crème sans matièregrasseaucomptoir,elles’assitprèsdelafenêtreetsaisitsonBlackBerryd’unemainmoite. Leplustôtseraitlemieux. –Bonsoir...Sam?C’estMara. –Ah,bonsoir. Onentendaitleshurlementsd’unbébéenbruitdefond. –Désoléed’appelersitard... –Pasdeproblème.Qu’est-cequisepasse?demandaSamd’unevoixaimableetprofessionnelle. –C’estjusteque...àproposdureportagesurSydneyMinx... Maratournaitautourdupot. –M-mm?Heathcliff,poselebébé,poseBébéKathytoutdesuite!Mamanadit!ordonnaSam. –Jen’aipaseu... –J’aidit:onécouteMaman!VilainHeathcliff!Vilaingarçon!criaSamd’unevoixstridente. –Jen’ai... –Qu’est-cequevousdites?demandaSam,unpeuessoufflée.Désolée,c’estunasiledefousici. Troisenfantsdemoinsdecinqans,etlanounouquiaprissajournée. Marasoupiraaveccompréhension. – Sydney m’a refusé l’interview... je n’ai rien pour l’article. Je suis vraiment désolée, avoua Maraenserrantsongobeletdecafé. –Levieuxcabotinm’enveutencorepourcetarticledansThem,hein?demandaSam,unepointe d’amusementdanslavoix. Marafutétonnéed’entendresachefrirecommesitoutallaitbien. –Bon...cen’estpasgrave.Onvacontournerleproblème. –Commentça? –VousappelezdesprochesdeSydneypourleurdemanderquelquesmots:ceuxquil’ontconnu àl’époque,ceuxquilefréquententmaintenant,ceuxquisaventcommentilfonctionneetcommentil secomportedansleprivé.Ilnousenfautaumoinsdeuxàciterofficiellement,touslesautrespeuvent resteranonymes:«unesourceproche»ou«unintime».Vousavezfaitdesrecherchesaujourd’hui, non ? Retournez dans la base de données LexisNexis, utilisez votre compte client... et on écrira l’articlesanslui. –Onpeutfaireça? –C’estcequ’onfaittoutletemps,l’assuraSam.Laroutinehabituelle. –Ah. –Alors,troismillemotspourdemainmatin? –OK,promitMara,reconnaissanted’avoirétérepêchéed’unavenirpasséàdisposerdespetits fourssurdesplateaux. Touteàsajoiedenepasêtrerenvoyée,elleneréalisaitpasencorequ’ellenesavaitpasdutout paroùcommencer.Maisçanefaisaitrien.Ellevenaitdeserappelerqu’unedesesamiesétaittrès prochedesonsujet. Uneespionnechezlesstylistes Virée. Dubalai. Fichueàlaporte. Avecperteetfracas. Comme un pauvre concurrent d’un reality show à qui le milliardaire au regard d’acier et au brushing impeccable, ou l’ancien top model, ou le gourou du développement personnel, ou l’aventurier en veste saharienne, dit « Au revoir ! » en lui montrant la sortie et le chemin du confessional. Touteseuledanslestoilettesexiguësdel’arrière-boutique,elleseretenaitdepleurer.Aulieude cela,elleretiraleschaînesenoruneàuneetlesaccrochaàlapoignéedelaporte.Elledescenditla fermeture Éclair des bottes en croco et déboutonna la robe de mousseline, qu’elle pendit soigneusement à un cintre capitonné. Paige lui avait aboyé ses ordres sans se demander un instant comment elle s’habillerait une fois qu’elle aurait tout enlevé. Heureusement, Eliza avait réussi à mettrelamainsurunsac-cadeauavantqu’ilssoienttouspartis.Elleenfilal’undesT-shirtsSydney Minxofferts.C’étaitunegrandetaille,sibienqu’illuicouvraitlescuissescommeunerobe.Çairait. Elle sortit des toilettes pieds nus, vêtue uniquement du T-shirt. Dans son sac, son Palm Treo sonna.Quoi,encore? This-shit-is-bananas,B-A-N-A-N-A-S,chantaitjoyeusementletéléphone. Mara. –’llô?saluaEliza. Elle écouta son amie raconter son histoire. Mara avait un problème avec son article, vu que Sydneyluiavaitrefusél’interview. – Alors il me faut des noms, des gens qui voudront bien me parler de lui : comment c’est de travailler avec lui, où il trouve ses idées, ce genre de trucs, disait-elle. Et toute info croustillante exclusiveestlabienvenue.Tucroispouvoirm’aider? Mêmenoyéedanslebrouillarddel’humiliation,Elizadistinguaclairementuneoccasiondese venger. –Aucunproblème,dit-elle.Ilfautquetuparlesavecsonancienassocié,RichardMendelsohn: c’estluiquiafinancélescollectionsjusqu’àleurséparationl’andernier.Etavecquelques-unsdeses graphistes;ilyenaquinebossentplusici.Sesamismondains.Àuneépoque,ilsortaitbeaucoup aveclamèredemonamieTaylor,Pringle.Oh,etAnnaPerry,aussi.Sûrqu’elleleconnaîtdepuisun bonboutdetemps.Jesuiscertainequ’ilsaurontdestasd’anecdotesscandaleuses. Unsourirevindicatifnaquitsursonvisage. –T’eslameilleure!ditMara,reconnaissante. –Ehoui,c’esttoutmoi.Lameilleure,soupiraEliza. –Liza,çanevapas?Tuasl’airbizarre. –Non...rien.Jesuisfatiguée,c’esttout,sedérobaEliza. Lavengeanceétaitdouce,maisellen’offraitqu’unemaigreconsolation.CrucifierSydneydans lapresseneluirendraitpassonboulot.Elleregrettasoudaincecoupdepoignarddansledos,maisse justifiadesonmauvaisgesteensedisantqu’elleaidaituneamie. –Bon,d’accord,fitMara,peuconvaincue.Aufait,c’étaitdingue,tonentrée.Toutlemondene parlequedeça. C’estbienleproblème,pensaEliza,maisellenerévélarienàMara.Ellessedirentaurevoiret Elizaraccrocha.Ellesortitdevantlemagasin,àlarecherchedeJeremy.Ill’avaitprévenueparSMS qu’ilseraitunpeuenretardàcaused’unrendez-vousavecunclient,maisqu’ilviendraitlachercher dèsqu’ilauraitterminé. Elleletrouvadeboutdevantsacamionnette,enpleineconversationavecPaigesurletapisrouge àprésentdéserté.Hein?Pardon?Commentetpourquoiseconnaissaient-ils?Ellelevitembrasser Paigesurlajoue.Elizarestacachéedansl’ombre.Ellesesentaitcommeuneintruse. LorsquePaigeeutenfindisparudansuntaxi,Elizas’approchadeluienfaisantattentionoùelle posaitlespieds. – Salut mon bébé ! Jeremy lui sourit largement et la serra brièvement contre lui. C’est ça que portentlesbeautifulpeoplecetété?DesT-shirts?Oùsontpasséesteschaussures? – D’où tu la connais ? demanda Eliza en grimpant dans la camionnette sans relever la plaisanterie. – Qui ça ? dit Jeremy en passant un bras par-dessus l’appui-tête d’Eliza pour faire sa marche arrière. –Lafilleavecquitudiscutais.PaigeMcGinley. – Oh, Paige ! On a grandi ensemble sur l’île. C’est une vieille copine. On peut dire qu’elle a gravileséchelonssansperdredetemps,hein?Impressionnant.Tutravaillespourelle? Formidable,pensaEliza.Toutàfaitcequ’elleavaitbesoind’entendre.Jeremyfraternisaitavec l’ennemi. –C’estunelonguehistoire. – Ah oui ? Qu’est-ce que j’ai raté ? demanda-t-il, car il était arrivé à la soirée trop tard pour assisteràsonentréedestar. –Rien,rien,répondit-elleensecouantlatête.Àcemomentprécis,ellen’avaitpasenvied’entrer danslesdétails. Maraalesensdel’humour àmaréebasse Le café crème mousseux fut un remontant parfait et, armée des renseignements e-mailés par Eliza,Marasesentaitdébordanted’énergie,prêteàpasserunenuitblanchesursonarticle.Ellerentra à pied du Starbucks jusqu’au port de Sag Harbor. Les bateaux se balançaient doucement, et Mara parcouruttoutelalongueurduquaiavantderéaliserqu’elleavaitdépasséleuremplacement...Oùétait passéeLaNégligence?Ellearpentalajetéedelongenlargeetfinitparcomprendre:ellen’étaitplus là,toutsimplement. Levoilier–et,encoreplusimportant,sonordinateur–avaitdisparu! Volé!Cefutlapremièrepenséequiluivintàl’esprit...Vite,ilfallaitappelerlessecours!Ryan n’avaitpaspuveniràlasoirée,ilétaitarrivéquelquechosedeterrible!Ilfallaitqu’elleaillesignaler undétournementdebateau!Sonimaginations’emballasurdesimagesdedealerscolombiensetde trafiquants d’armes arraisonnant le yacht pour mener à bien leurs sinistres intentions ! Pendant un moment,ellefutabsolumentpersuadéequeRyanavaitétékidnappé! Uneminuteplustard,elleserenditcomptequ’elleétaitcomplètementridicule.Lebateaun’avait éténipiraténivolé.Detouteévidence,Ryanétaitpartifaireunepetiteexpéditionnocturne.Quelque choseluidisaitqu’ilavaittrouvécelaplusimportantqued’allerlaretrouveràlasoirée. Elle composa frénétiquement son numéro sur son BlackBerry. Son ordinateur était à bord, et ellen’avaitplusquequelquesheurespourrendresonarticle.Maisiln’yavaitpasderéseaudansla baie.Maratombasurunevoixsynthétiquequiluidélivracesinformations:«Votrecorrespondantne peutpasêtrejointpourlemoment.Veuillezvérifierlenuméroetréessayerultérieurement.» Ehmerde. Elle regarda désespérément autour d’elle et vit les jeunes du bateau d’en face quitter leur emplacementsurdeuxjet-skis. –Voussortezdanslabaie?leurdemanda-t-elle. –Ouais,quelqu’unfaitunefêtemonstresurunyacht. VoilàquiressemblaitbienàRyan. –Vouspouvezm’emmener? –Monte. Ils sillonnèrent les eaux jusqu’à repérer La Négligence. Les projecteurs étaient allumés et on distinguait une soirée de folie en plein boum. Les basses résonnaient à fond dans les enceintes du yacht. Plusieurs personnes en gilet de sauvetage s’amusaient à sauter du plongeoir à la poupe du navire.Quelqu’unescaladaitlegrandmâtpourhisserundrapeaudepirates. Lejet-skiserangeaàcôtédubateau,etMaragrimpasurlepont.Ellebouillaitderage.Ellejura quedèsqu’ellemettraitlamainsurlui,elleallait...elleallait... –Mara! Ryanlapritdanssesbras. –Tevoilà!Jet’ailaissépleindemessages. Ilavaitunénormesourireauxlèvresetunbockdebièreencoreplusénormeàlamain. –Çam’auraitembêtéqueturateslapremièregrossefêtedel’été. Ilavaitl’airabsolumentfoudejoiedelavoir,etluiplantaungrosbaisersurlabouche. Quelsmessages?sedemandaMara.Ellen’avaitpasreçuunseulappeldelui. –Tun’espasvenuaudéfilé,l’accusa-t-elle. – Je me suis endormi, fit-il, penaud. À l’heure où je me suis réveillé, je savais que ce serait terminé. Et puis Tinker et ses sœurs sont passées, on a appelé d’autres gens... et puis on est allés chercherdesbières...et... Etvousavezdécidédefairelafêtedusiècle,pensaMara.Çaavaitl’airplutôtmarranteneffet, maisellen’avaitpasletempspourlarigolade.Elleétaitcharrette. –Allez,viensteservirunverre,ditRyan. –Tum’asplantée,ditMaradontlacolèrenes’apaisaitpassifacilement. –Maisdequoituparles? – Je suis arrivée sur le quai et il n’y avait plus rien... ce bateau, c’est ma maison, Ryan, tu ne comprends pas ? Pour l’été. C’est chez moi. Mon ordinateur est ici. Et j’ai du boulot. Je me suis pointée,etlebateaun’étaitpluslà,et... –Attends,attends...jet’ailaissélenumérodubateau-taxisurtaboîtevocale.Tun’aspaseumes messages? –Non. –Maisjen’aipasarrêtédet’appeler,insista-t-il,perplexe. –TuasappelésurmonBlackBerryouàmonanciennuméro?demanda-t-elle.Jet’aiditdene m’appelerquesurmontéléphoneprofessionnel.Jenemesersplusduvieux. –Oh,fit-ilavecunsourirecoupable.J’aioublié. Ellesedétournadelui.Luiarrivait-ildel’écouter?Etquandallait-ilarrêterdetraîneravecdes joliesfillespendantqu’elleétaitauboulot?Avait-ilaumoinsconsciencedusaleeffetquecelalui faisait? Sansajouterunmot,elledescenditdanslecockpitcommeunefurie,plantantlàRyansurlepont, peinéeténervé. –Mara,allez,neleprendspascommeça! Uncoupled’invitéssepelotaitsurlecanapédusalon,maisc’estàpeinesielleleremarqua.Elle filadroitdanslachambre,claqualaporteets’assitàsonbureau.Elleallumal’ordinateurd’ungeste vengeur. Quandelleauraitfinisonpapier,elleallaitletuer.Maisd’abord,ilfallaitqu’ellepassequelques coupsdefil. Quiatout...abeaucoup àperdre –Allez,quoi,qu’est-cequinevapas?(Jeremypassalamaindanssonépaissechevelurechâtain bouclée et tendit la lèvre supérieure vers Eliza.) Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter la soupe à la grimace ? demanda-t-il, déconcerté par son attitude. Je croyais que tu passerais la nuit chez moi, ajouta-t-il,légèrementblesséparlechangementdeprogramme. Elizagardalesilence.PaigeMcGinley.Justeunevieillecopine.Onagrandiensemblesurl’île, ruminait-elle.Génial.Lafemmequivenaitdeluiimposerl’humiliationdesavieétait«unevieille copine»desonamoureux.Rienn’auraitpuêtrepirepourlemorald’Eliza. ElleavaitprévuderesterchezJeremy,danssonappartementdeMontauk:elleavaitdéjàraconté àsesparentsqu’elledormaitchezuneamie,elleétaitcouverte.Elleavaitmêmedéposéunpetitsac d’affairescontenantsaparuredelingerieàl’arrièredelacamionnettecematin. Elles’étaitditqu’aprèsuncoupd’éclattellementtriomphalaudéfilé,ellecouronneraitlasoirée en perdant sa virginité. Et elle en avait vraiment eu l’intention ; mais maintenant que son ego était piétiné,ellen’enavaitplusenviepourcesoir.Toutcequ’ellevoulait,là,c’étaitengloutirunpotde glaceBen&Jerry’sets’endormirdevantRoomRaiders. Jeremylaissalemoteurtournerdansl’alléedevantchezelle,tousfeuxéteints. –Tuessûrequetuneveuxpasvenir? Ilposaunemainsursongenouqu’ilsemitàmasser.Sesdoigtsfortsdescendirentlelongdeses molletsenpétrissantdoucementlesmuscles. Elizahésita.Elleenavaitenvie...maisellevoulaitqueleurpremièrefoissoitparfaite,etpour ellelasoiréeétaitdéjàgâchée. – J’aimerais bien, mais j’avais oublié : j’ai promis à mes parents d’aller observer les oiseaux aveceuxdemain,ilfautquejemelèvetôt,dit-elleàregret. C’étaitunpurmensonge.Sonpèrel’avaiteffectivementinvitéeàsejoindreàeux,saufqu’elle avaitdéjàdécliné. Ilôtalamaindesongenouetlapassaautourdesesépaules,l’attirantpourlaserrercontreson torse.Sesdoigtsluicaressèrentlebrasaveclégèreté,luienvoyantdesdéchargesélectriqueslelong del’échine. –Allez,resteavecmoi.Jeveuxtemontrermonnouvelappartement.J’aifaitleménagerienque pourtoi,dit-ild’unevoixrauque. À ces mots, Eliza sentit qu’elle commençait à fondre. Elle ferait mieux de le suivre ; Paige n’avait qu’à aller se faire voir. Mais soudain, le souvenir de Jeremy embrassant l’ennemie gâta cet instantetraffermitsavolonté. – Je ne peux pas. J’aimerais bien. La prochaine fois, d’accord ? conclut-elle en l’embrassant rapidementsurleslèvres.Jet’appelle. Elle lui fit un signe de la main depuis les marches de l’entrée et regarda la camionnette disparaîtrederrièreleshaiesdupassageprivéquimenaitchezelle.Enentrant,elletrouvasesparents quil’attendaientdanslacuisine.Sonpèretenaituneliassederelevésdecartedecrédit. –Salutm’man,salutp’pa,dit-elleenleurposantunebiserapidesurlajoue. –JecroyaisquetudormaischezTaylor?s’étonnasamère. –Changementdeprogramme,fitgaiementEliza.Qu’est-cequevousfaitesdeboutàcetteheureci? –Nousavonsreçuunappeld’AmericanExpressaujourd’hui. Elizahochalatêteenouvrantletiroirenacierinoxdufrigo.Ellefarfouillaàlarecherchedes potsdeglacequ’elleétaitsûred’ytrouver.Elledénichaundemi-litredePhishFoodetl’attaquaàla cuillère,àmêmelaboîte. –TuasachetéunecarteMarquisJet?demandasamère.Etjet’enprie,prendsunbol.Tuasété élevéedansuneétable? –M-mm,opina-t-elleenenfournantunecuillerée. –L’étableoulacarteJet? –Jet,ditElizad’unevoixdéforméeparlaglace. –EttuasaffrétéunhélicoptèredeNewYorkàEastHamptonaujourd’hui? –M-mm,répéta-t-elleenléchantlacuillère. – Depuis quand es-tu autorisée à être aussi extravagante ? Cette carte, c’est pour les urgences, poursuivitsamèreavecemphase. Maisc’étaituneurgence...oudumoins,c’étaitsonimpressioncematin. –Papaettoi,vousavezNetJets,alorsjemesuisdit...sedéfenditEliza,rappelantàsesparents qu’ilsétaienteuxaussiabonnésàunservicedejetsprivés. –Eliza,noust’avonsdéjàachetéunevoiturepourcetété.Tupasseslesbornes.Lesjeunesfilles de dix-huit ans ne louent pas d’hélicoptères privés. Nous avons résilié ton compte, lui dit sa mère d’unevoixbasseetglaciale.Papaetmoi,nousnoussommesaussiaperçusquetoutestesautrescartes de crédit avaient déjà atteint leur plafond. Ces cartes, c’était ton argent de poche pour toutes les vacances. Houlà. –Ilfautabsolumentquetuapprenneslavaleurdeschoses.Tunepeuxpasjeterl’argentparles fenêtres.C’estexactementcegenredecomportementquinousaattirédesennuis.Tuvasdevoirme rendrelescartes,ditsamèred’unairsévère. –Toutes?demandaEliza,catastrophée. Ellelançaàsonpèreunregardmalheureux.Illalaissaittoujoursfairetoutcequ’ellevoulait,et l’argentn’étaitjamaisunproblèmelorsqu’ils’agissaitdesapetitefille.Maiscettefois,ilsecontenta de secouer la tête en l’évitant du regard. Ça craignait un max. D’habitude, c’était sa mère qui était stricte,maisalorslà,sisonpèreétaitfâchéaussi,elleétaitcarrémentmal.Etsurtout,elleétaitpauvre. Commentallait-ellepouvoirs’ensortirsansl’aidedesesamiesVisaetMastercard? –Toutes,insistasamèreenluitendantlamain,paumeouverte. –Maiscommentjevaisfairepouravoirunpeudeliquide?s’inquiétaElizaentirantdesonsac sescarteschéries. –Tuastonindemnitédestage,luirappelasamère. –Plusmaintenant,avoua-t-elle,l’estomacrévulsédedéceptionetdefrustration. Elledonnaunviolentcoupdecuillèredanssaglace,projetantenl’airungrosmorceauquialla s’écrasersurlesoldemosaïque. –Merde!jura-t-elle. –Ques’est-ilpassé?demandasamèreavecuneinquiétudevisiblementsincère.Jecroyaisque toutsepassaitàmerveille,tudisaisquetuadoraiscequetufaisais? –Jepréfèrenepasenparlermaintenant,réponditElizacalmement.C’estcompliqué. Elleseremitàpelleterfurieusementsaglace. –Ehbienmachérie,tuvasdevoirtetrouverunnouveaujobsituveuxdel’argentcetété,luidit samère. Letondesavoixindiquaitqueletribunalparentalavaitrendusadécision,etquelejugement étaitsansappel. Anna,l’épousequicriait auloup! Peuaprèsseizeheurestrentelelendemain,Jacqui,Shannonetlesenfantsvenaientderentrerde laplagelorsqueLaurapénétradanslacuisine,visiblementnerveuse. –Ilyaquelqu’unàlaporte,dit-elle. Jacqui aidait Cody à retirer son masque de plongée et Shannon ramassait les serviettes mouillées. La voix de Laurie leur fit lever la tête. Les enfants s’égaillèrent dans leurs chambres en laissantdestracesd’eauetdesablesurleparquetenzebrano. –Quiest-ce?demandaJacqui. –Unhomme.IlveutparleràAnna. Jacquihaussalesépaules. –Tuluiasditquequelqu’unvoulaitlavoir? –Elleestenpleinsoinduvisage,expliquaLaurie. Anna avait récemment pris l’habitude coûteuse du spa à domicile. Une fois par semaine, une esthéticienne,unemasseuseetunemanucurevenaientlapomponnerchezelle. – Je lui ai dit de revenir dans une heure, mais il ne veut pas bouger d’ici. Il affirme que c’est important. Laurietortillaitnerveusementlesboutsdesachemisedecotonunie. –Tuveuxquej’aillelaprévenir?demandaJacqui,comprenantsoudaincequeLaurieattendait d’elle. Cettedernièreopinad’unairsoulagé. –Tuveuxbien?Ellem’aavertiequ’ellenevoulaitvoirpersonne,etsijedisquoiquecesoit j’aipeurqu’elle... Jacquiselevaethaussalesépaules. –Çam’estégal.Jenevaispasmemettrelatêteaucourt-bouillon. –Larate,lacorrigeaShannonenpouffantderire.Larateaucourt-bouillon. Jacqui toqua doucement à la porte de la chambre d’Anna. Des sons de ruisseau cascadant, de carillonsàvent,dechantsdebaleiness’échappaientdelapièce. –Anna,ilyaquelqu’unàlaportequidemandeàvousvoir. Pasderéponse. –Anna?Anna? Soudain,laportes’ouvritavecfracasetAnnaapparutdanssonpeignoirenépongeblanc,laface couverted’unmasquegrumeleuxàbased’avocat. –Qu’est-cequ’ilya?J’aiditàLauriequejenevoulaispasêtredérangée,siffla-t-elle. – Il y a un homme... à la porte... Il prétend qu’il doit absolument vous voir... On lui a dit de revenirplustard,maisilrefusedes’enaller,expliquaJacqui,soudainaussinerveusequeLaurie. –Ilseprendpourqui?murmuraAnnad’unairmauvaisendescendantbruyammentl’escalier quimenaitdanslehall. Elleouvritlaporte.Unhommeencostumesombreetlunettesnoiresattendaitpatiemmentsurle seuil. –Oui? –AnnaPerry?demanda-t-il. –Elle-même,répondit-elleavechauteur. –Madameestservie,dit-ilenluitendantuneépaisseenveloppejaune.Bonnefindejournée. Illasaluaenportantlamainàsatempeets’éloigna. –Quoi?s’exclamaAnnaenblêmissantautantquec’étaitpossiblesoussonmasque. Elledéchiral’enveloppeetensortitundocumentépaisdeplusieurspages. –QUELCONNARD!hurla-t-elle. Ellejetalespapiersenl’air,traversaencoupdeventlapluiedefeuillesquiretombaientcomme desconfettis,etmontareprendresessoinsdebeauté. –Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’aitpriseaupieddelalettre. Jacquigrimaça. Shannon,planquéedanslecouloirdelacuisine,regardaJacquid’unœilinterrogateur. –Qu’est-cequis’estpassé? –JecroisqueKevinvientdedemanderledivorce,ditJacquienramassantlespapierséparpillés. Vasurveillerlesenfantsdehors.Neleurdispasunmotdetoutça! Ellelutunepageendiagonale.Contratenvuedeladivisionprédéterminéedesavoirs,accords depensionalimentaireouautrespensionset/ouallocationdesfraisd’avocatassociésàladissolution dumariage. Elle feuilleta la seconde liasse. C’est seulement en voyant les signatures au bas de la dernière pagequ’ellecommençalentementàcomprendrecequ’elleavaitentrelesmains.L’accordprénuptial d’AnnaetKevinPerry! Elle le parcourut des yeux et tomba sur un paragraphe encerclé et marqué d’une flèche. Un avocatavaitgriffonnédanslamarge:Jusqu’au26août. LaclauseencercléestipulaitquesiKevinetAnnarestaientmariésmoinsdecinqans,Annane recevrait pas un centime à la suite du divorce. À New York, c’est ce qu’on appelait la « clause Trump»,enréférenceàDonaldTrump.LemilliardaireétaitcélèbrepouravoirplaquéMarlaMaples àunmoisdeleurcinquièmeanniversairedemariageafindenerienluidevoir.SiAnnaparvenaità s’accrocher au-delà de cinq ans, elle recevrait la moitié de tout. Dans le cas contraire, elle n’aurait rien. Jacquisentitsonestomacseserrer.AnnaétaitsurlepointdesefaireTrumper! Kevinl’avaitfait!Ellelutlepremierparagraphe.Danslescausesdedissolution,l’avocatavait coché maltraitance physique et citait l’usage excessif de la force (ouais, une oreille tirée) ayant entraînéuntraumatismemajeur(c’est-à-direuncartilagecassé)etunemiseendangerdel’intégrité physique(maiscen’étaitqu’unepetiteinfection!) Puislaréalités’abattitsurelle:silesPerrydivorçaient,Kevinprendraitlesenfants(ilsétaient presque tous à lui), et si Anna était ruinée, Jacqui se retrouverait au chômage. Elle ne pourrait pas redoublerlelycéeetdevraitrentrerauBrésil.PasdeNewYork,etcertainementpasdeNYU.L’été sansstressetsanssoucisc’étaitfini.Undivorce,çacraignaittotalement.Nonseulementcelaferaitde JacquiuneSDFàl’automne,maislesenfantsnes’enremettraientjamais:ilsenavaientdéjàtropvu quandKevinavaitdivorcédesapremièrefemme. JacquiavaitentendudirequeZoén’avaitpasprononcéunmotpendantsixmois.Madisons’était réfugiéedanslaboulimie,etc’étaitàcetteépoquequeWilliamavaitcommencéàmontrerdessignes d’hyperactivité. Ils s’étaient enfin stabilisés avec Anna comme belle-mère... qu’allaient-ils devenir lorsque Kevin la chasserait de leurs vies ? Et ce pauvre Cody qui ne pourrait plus voir ses demifrèresetsœu